Si on compare le cerveau à la toile d'Internet, c'est simplement parce que, à l'instar d'autres dispositifs machiniques inventés par l'homme, le réseau électronique et numérique est construit à l'image que nous nous faisons de notre mémoire en ce moment. Ainsi le rapprochement entre les descriptions de l'intelligence artificielle et la projection aborigène de la mémoire dans l'espace n'est en rien une réduction d'un peuple à un processus machinique, mais plutôt une mise en avant d'un processus de pensée universel que nous n'arrivons à voir qu'en le matérialisant. Notre manière de matérialiser la pensée consiste à construire des machines et des langages dont les formes évoluent tout le temps, nous donnant ce sentiment de « modernité » qui n'en finit pas de ne plus être moderne. Pour les Aborigènes, les matérialisations de la pensée sont des visions qui nous arrivent aujourd'hui par leur art pictural, leur danse, leur musique. Si ces visions sont des images, cela ne veut pas dire qu'elles sont moins réelles que les machines. Au contraire, elles témoignent de la structure même de notre cerveau, de notre corps, de la matière, et pourquoi pas d'autre chose ?
barbara glowczewski. rêves en colère. Terre humaine. plon.De vastes régions du centre et de l'ouest du continent australien, couvrant la majeure partie du Territoire du Nord, de l'Australie-Méridionale et de l'Australie Occidentale sont occupées par des déserts. D'un point de vue géographique, le désert est constitué de chaînes de montagnes, de formations rocheuses spectaculaires, de savanes, de forêts d'eucalyptus et d'acacias, de lacs, de dépressions salées, de dunes de sable, d'étendues rocailleuses coupées ça et là de torrents intermittents et de rivières, et ponctuées de rares points d'eau permanents : cavités rocheuses, sources, réservoirs naturels et mares d'infiltration. Ces régions étaient habitées par plusieurs groupes aborigènes qui, d'une manière générale, partageaient la même cosmologie et le même système social, possédaient une tradition artistique commune et formaient l'un des principaux blocs culturels de l'Australie aborigène. Si le mot désert nous évoque seulement des zones arides et desséchées, des territoires vides et inhospitaliers, pour les aborigènes qui les habitent, ces terres étaient riches en moyens de subsistance et en en significations spirituelles puisque crées par leurs ancêtres mythiques. A travers ces espaces se déployait le réseau des itinéraires suivi par les héros mythiques au cours de leurs grands voyages créateurs du Jukurrpa ou Temps du Rêve, associant étroitement le paysage à l'ordre social des peuples qui les habitent.
L'arrivée des Européens et la colonisation furent donc plus durement ressenties dans le désert qu'en Terre d'Arnhem. Les premiers explorateurs européens arrivèrent dans le centre de l'Australie en 1860 et, dès 1885 ; les grands éleveurs s’assurèrent les meilleurs pacages autour de la ville actuelle d'Hermannsburgh et le bétail pollua les points d’eau. En maints endroits, les nouveaux maîtres du sol chassèrent les Aborigènes de leurs terres ancestrales. Autres conséquences désastreuses de cette invasion, la propagation des maladies jusqu’ici inconnues et le flot des réfugiés chassés des zones nouvellement colonisées eurent pour conséquence de compromettre l'équilibre des communautés partout dans le désert. Les Aborigènes réussirent néanmoins à préserver leur relation avec le sol, en dépit d'une mainmise générale sur leurs territoires, en travaillant dans les « stations » d'élevage et en assurant la continuité des traditions orales et des cérémonies par lesquelles la terre est célébrée et revivifié
Le progrès de la colonisation au XXe siècle accéléra encore cette dispersion. Jusqu'en 1966, conformément à la politique dite d’assimilation en vigueur, les Aborigènes furent transférés dans ces centres où ils étaient regroupés dans des conditions sociales totalement inappropriées et au mépris de leurs traditions culturelles. Ainsi en 1955, les pouvoirs publics créèrent les centres de peuplement de Yuendumu et de Lajarnanu. En 1960, PAPUNYA , un village, situé à environ 250 km à l'ouest d'Alice Springs, fut organisé en réserve gouvernementale où l'on installa des groupes linguistiques différents : des Arrernte, des Anmatyerre, des Luritja, des Warlpiri du sud et surtout des Pintupi. La transition entre une existence semi-nomadique et la vie sédentaire fut brutale. Les Aborigènes se trouvaient dans une situation où ils n'avaient ni le pouvoir de décider de leur propre avenir, ni la possibilité de faire connaître leurs aspirations au monde extérieur. Il y eut dans ce lieu l'un des taux de mortalité infantile les plus élevés au monde. De grands initiés, riches d'une tradition séculaire, habitants émérites du désert, se virent confier des tâches de jardinier, de terrassier. Le mélange des tribus à Papanuya, bousculant le totémisme fut une offense à la tradition qui n'autorisait les rencontres entre tribus que lors de cérémonies précises.
« La dérision est là, macabre, le dimanche, quand les Aborigènes défilent au pas - jouant volontairement les fous du roi - avec sur leur épaule une pelle, une pioche, un râteau, devant des Blancs moqueurs. Le travail est la première des règles. Et qu'importé si le râteau glisse sans résultat sur un sol sec, ce qui compte c'est le geste de l'emploi ! En échange de cette « activité», les Aborigènes reçoivent un salaire en dollars australiens, avec lequel ils apprennent à dépenser, à acheter du vin, de la bière, des conserves, des magazines illustrés : l'« argent des assis. La modernité progresse et le diabète accourt : avant, ces hommes et ces femmes avalaient en mangeant des baies sauvages l'équivalent en sucre de quelques bonbons par an; maintenant, avec l'alcool, les sodas, ce sont des kilos de bonbons par jour ! Mais personne ne réagit : « C'était un endroit tranquille et sans espoir, où les émotions se perdaient et se gaspillaient dans une atmosphère de cruauté, atroce de désinvolture. »
J'aimerais donner l'impression que les débuts du mouvement pictural ont été un rêve merveilleux, écrira Bardon bien des années après, mais ce qui me revient surtout à l'esprit aujourd'hui, c'est un sentiment d'horreur, l'image d'un endroit où la dignité humaine des Aborigènes a été bafouée au plus haut point. Employer des mots comme dégradation, maladie ou saleté n'atténue pas le sentiment qu'on éprouvait devant les scènes auxquelles on assistait. Parce que la dégradation, la maladie, la saleté, étaient partout. »
j.p.barou. l’œil pense. payot
Pourtant ces divers centres, celui de Papunya en particulier, vont constituer les foyers de l'un des mouvements les plus importants de l'art contemporain. Alors que les communautés, conformément à la tradition continuaient à peindre leur corps ou le sol ainsi que les objets d'usage courant (boucliers, récipients en bois, boomerangs), l'adoption de la peinture acrylique et de la toile leur permit de présenter « l'esthétique » du désert à un public beaucoup plus large, mondial désormais. C’est à Papunya que des artistes aborigènes utilisèrent pour la première fois des couleurs synthétiques pour transférer des dessins et des images hérités de leurs ancêtres sur des surfaces transportables qui étaient destinées à quitter la communauté locale. Le rayonnement de l'art du désert n'a cessé depuis lors de grandir.
Il existait en effet un « art » du désert traditionnel et différent par son répertoire iconographique de celui de la terre d’Arnhem .Cet art classique se présentait sous de multiples formes: armes et outils décorés, ornements personnels, plaques incisées sacrées et secrètes en bois ou en pierre, (tjurunga) gravures et peintures rupestres; s’y ajoutaient la peinture du corps, les dessins dans le sable, des installations cérémonielles et des peintures exécutées sur le sol. Fréquemment produit dans un contexte ritualiste, il était souvent destiné à connaître une existence éphémère , délibérément détruit au cours d'une cérémonie ou laissé à l'abandon pour se désintégrer au bout de quelques jours.
La tradition artistique des Aborigènes du Centre se caractérisait par ses formes géométriques, lignes, cercles concentriques, arcs de cercle, ovales, zigzag, et empreintes de pas d'animaux et d'humains. Texture et couleur constituaient aussi deux composantes fondamentales : comme signification en soi, mais aussi en fonction des connotations rituelles du site dont elles proviennent, et en considération de leur éclat ou de leur absence d'éclat. Des symboles peu nombreux mais possédant chacun un champ sémantique étendu. Ils représentaient différents sites sacrés du Temps du Rêve et transmettaient les pouvoirs magiques des ancêtres du Temps du Rêve aux acteurs des cérémonies rituelles. Chaque motif représentait un site donné constituant en même temps un moyen mnémotechnique pour se rappeler les exploits ancestraux qui s'y déroulèrent et qui amenèrent à la création même du site. La transmission de motifs associés à des totems, lieux ou chemins relatant des récits mythiques est un savoir sacré acquis en partie, au cours de rituels. Génération après génération, des niveaux publics ou ésotériques du savoir oral se sont cristallisés dans ces motifs. Les révélations oniriques (on retrouve l’emploi de notre concept) apportaient (et apportent toujours) pourtant des variations qui enrichissaient ou réinterprétaient le patrimoine ancestral. L’innovation par ce biais de l’onirique fut donc toujours présente
Ainsi chaque cercle concentrique, demi-cercle ou ligne parallèle peut décrire des épisodes, des personnages ou des objets associés à l'événement créateur originel. Cependant, cette interprétation peut se faire à différents niveaux. Les événements peuvent être décrits par exemple comme une simple histoire détaillant la nourriture collectée par les entités ancestrales, les instruments qu'ils transportaient et les abris qu'ils firent. A ce niveau d'interprétation les motifs peints ressemblent aux objets décrits dans l'histoire ou à leurs empreintes laissées dans le sable. Ainsi, les cercles concentriques représentent un grand plat en bois rempli de baies ou le foyer des Ancêtres. Les lignes parallèles décrivent leurs lances ou leurs bâtons à fouir et les demi-cercles, les traces laissées sur le sable, lorsqu'ils se sont assis, ou bien les coupe-vent qu'ils ont construits. Néanmoins, à un autre niveau d'interprétation, ces mêmes motifs peuvent être lus d'une manière différente. Toutes les actions des Ancêtres ont des implications créatrices ; ils ont modelé le paysage et lui ont donné la forme que nous lui voyons aujourd'hui. La même peinture peut être donc interprétée comme une sorte de carte topographique qui montre les traits marquants du paysage. Les cercles concentriques comme des collines ou des creux de rochers, les lignes parallèles comme des cours d'eau ou des gorges, les demi-cercles comme des falaises et des rochers.
Ils peuvent évoquer un lieu ou un site, un parcours ou un mouvement les cercles concentriques par exemple, peuvent désigner un site, un camp, un point, un feu. Dans un contexte cérémoniel, par contre, ils ont pour fonction de permettre aux pouvoirs ancestraux enfermés au sein de la terre de remonter à la surface du sol et d'y pénétrer à nouveau. Une ligne droite ou sinueuse peut représenter un éclair ou un cours d'eau, mais elle peut aussi indiquer un un itinéraire mythique. Les motifs en fer à cheval représentent généralement des personnes-assises ou des seins de femme; les formes arquées: des boomerangs ou des coupe vents et les courtes barres rectilignes : des lances et des bâtons à fouir. Les champs de petits points enfin peuvent évoquer les étincelles, le feu, le sol brûlé, la fumée, les nuages, la pluie et divers autres phénomènes naturels.
Ces dessins se prêtent à des interprétations multiples et simultanées qui varient selon l'observateur et suivant le niveau de ses connaissances rituelles du site et du rêve qui y est associé. La signification d'un tableau s'enrichit en fonction des combinaisons et des juxtapositions de motifs qu'il met en jeu et en considération du contexte social et culturel dans lequel il opère, selon qu'il s'agit, par exemple, d'un tableau destiné à une cérémonie ou au domaine public. Les combinaisons de motifs permettent d'approfondir indéfiniment le sens d'un tableau mais, dans l'explication qu'il fournit de son œuvre, l'artiste fait une distinction entre ce qui peut être révélé publiquement et ce qui doit rester caché et s'en tient au niveau d'interprétation approprié. Certains groupes tendent à favoriser tel ou tel type de structure ou de procédé pictural mais, contrairement à ce qui se passe dans certaines régions de la Terre d'Arnhem, ils ne sont pas limités à un seul rêve et ils peuvent en représenter plusieurs à la fois. wally caruana l’art des aborigènes d’australie.
Dans le désert comme dans le reste de l'Australie aborigène, la collaboration entre membres de moitiés opposées était un des aspects fondamentaux de la production des œuvres destinées aux cérémonies (elle reste actuelle et contredit notre tradition des « auteurs », d’ailleurs historiquement datée). Ceux qui sont « propriétaires » par héritage patrilinéaire de droits sur la terre, les cérémonies, les rêves et des dessins qui y sont associés ont (en Warlpiri) le titre de kirda, ceux qui les ont reçus par héritage matrilinéaire celui de kurdungurlu. Le même individu peut être kirda pour certaines cérémonies et kurdungurlu pour d'autres. Dans la production d'œuvres d'art « publiques », cependant, un kirda travaille maintenant souvent seul ou avec l'aide d'un kurdungurlu. Dans la pratique quotidienne, cette collaboration s'étend aussi à des personnes ayant d'autres liens de parenté: mari et femme, parents et enfants ou frères et sœurs, par exemple. Il arrive même, avec la permission du « propriétaire » du rêve, que certains artistes peignent seuls des thèmes avec lesquels ils ne sont associés qu'à titre de kurdungurlu.
Cidessus la "carte" du REVE DE LA FOURMI A MIEL et l'acrylique de JOHNNY LYNCH TJAPANGATI,proprétaire du REVE.
Cet art sacré de l'Australie centrale suscitait pourtant peu d’intérêt de la part du monde de l'art en raison de son caractère occulte .S’il était efficace quand il s'agissait d'atteindre son but précis, l’apparition des forces ancestrales au cours d’un rituel, il restait essentiellement éphémère ,mis au rebut, caché ou détruit ensuite. Par ailleurs, les formes les moins éphémères, les gravures et peintures rupestres que l'on trouve dans toute l'Australie, sont par leur nature impossibles à collecter; il était donc difficile de les répertorier avec précision avant l'apparition de la photographie. Enfin, l'art sacré des sociétés d'Australie centrale, à l’inverse des écorces de la terre d’Arnhem ne recourait guère aux formes peintes, prédominantes dans nos propres cultures.
Le rejet des œuvres aborigènes en tant qu'art tint donc à ce qu'elles ne correspondaient pas à la conception européenne du XIXe siècle de l'objet d'art. Comme l’ont en effet montré Danto ou Alfred Gell , et quoiqu’on pense à première vue, de simples critères esthétiques ne suffisent pas pour constituer une œuvre d’art : plus que ce que nous appelons confusément beauté, importent d’abord l’histoire et l’intentionnalité qui ont présidé à la genèse de l’œuvre.
Entre la perception aborigène et la conception européenne de l'art de l’époque , deux cultures s'affrontaient donc et il fallut alors toute une série de conditions pour que l’art aborigène soit reconnu(à l’instar des autres « arts premiers » ) : l'évolution de la conception de l'art en général et de l'art européen en particulier, une meilleure connaissance de l'art et de la culture aborigènes, le développement économique de la production artisanale au sein des communautés aborigènes et, enfin, la détermination des Aborigènes à voir reconnaître la valeur de leur culture, de leur histoire et de leur mode de vie.
Beaucoup d'explorateurs et de colons des premiers jours s'étaient constitué des collections d'objets aborigènes dont certaines prirent naturellement le chemin des musées scientifiques européens. D'autres restèrent en Australie et furent placés dans les musées locaux d'histoire naturelle où ils voisinaient avec la flore, la faune et les spécimens géologiques, comme le voulait la coutume de l'époque. Les autorités coloniales rassemblèrent aussi des collections destinées aux grandes expositions universelles d'Europe, où les objets aborigènes servaient à la décoration ou étaient exhibés comme des curiosités. Il fallut attendre le début de recherches anthropologiques sérieuses, pour qu'on commençât à reconnaître la complexité des structures religieuses autour desquelles s'organise la société aborigène, et la valeur intrinsèque de leurs produits culturels comme expressions de leur perception de l'univers. . Mountford, en 1956, avait montré que les dessins d'un jeune Aborigène changent radicalement une fois qu'il a été initié, qu'il est entré dans le monde des hommes, celui d'une vision religieuse et sacrée. Au lieu d'une esquisse horizontale du réel l'initié se fait l'écho d'images ancestrales qu'il ne connaissait pas jusqu'alors, reproduisant les objets sacrés qui lui ont été révélés durant la cérémonie d'initiation. Mais aucun des anthropologues ne regardait ces dessins comme un art en soi dissocié de son contexte ethnologique. Bien plus, Ils n'auraient surtout pas imaginé considérer ces dessins en termes de production aborigène dans un but commercial. Un tel projet aurait représenté pour eux une hérésie.les objets collectés étaient considérés non comme des objets esthétiques mais comme des données ethnographiques. Il était admis, au XIX siècle et au début du XXème, que les Aborigènes se situaient au stade plus bas de l'évolution et qu'ils constituaient un groupe humain sans art.
L’art du désert se limitait donc aux seules cérémonies, pour la plupart vues des seuls initiés. Les seules peintures indigènes produites pour la vente en Australie centrale avaient été celles des aquarellistes Aranda qui travaillaient selon la tradition importée des paysagistes européens.
En effet, dans le courant des années trente, un artiste non-aborigène, Rex Batterbee, initia les Aborigènes de la Mission luthérienne d'Hermannsburgh, à l'ouest d'Alice Springs, à la peinture des paysages à l'aquarelle à la manière occidentale. Cette technique fut adoptée en particulier par Albert Namatjira, qui devint le premier artiste aborigène célèbre en Australie. A une époque où l'assimilation était à l'ordre du jour, sa maîtrise des techniques artistiques européennes fut interprétée comme une preuve du bien-fondé de cette politique. L'école de peinture qui s'est créée au sein de la communauté Arrernte d'Hermannsburgh continue d’ailleurs encore de nos jours à produire des aquarelles. Namatjira présenta sa première exposition en 1938, mais, malgré sa célébrité, il mourut déçu par la société blanche. Il a néanmoins grandement contribué à répandre dans le public une meilleure image des Aborigènes et à établir les bases sur lesquelles repose le succès des développements ultérieurs de l'art aborigène, en particulier dans le désert où, douze ans après sa mort, allait surgir l'école de peinture de Papunya.
L’artisan du changement fut Geoffrey Bardon, un professeur de dessin qui avait été nommé à l'école de Papunya en 1971.
« En 1971, quand Bardon arriva pour la première fois dans ce monde en friche qu'était le "camp" (settlement) de Papunya, il trouva plus d'un millier d'Aborigènes des peuples Anmatjira, Loridja et Pintupi d'une grande dignité, sous la coupe des blancs. .(Tous ces groupes avaient cependant des liens rituels avec le mythe de la Fourmi à miel). Les yapa (chasseurs aborigènes) habitués à se déplacer sans frontières, étaient réduits à une inertie dégradante, coupés de la puissance spirituelle qu'ils puisaient dans leur terre. Les karnta (femmes), au lieu d'être occupées à la collecte de leurs aliments de base -graines, herbes, tomates du bush, oignons, pommes de terre et prunes- étaient assujetties désormais à préparer et consommer dans des cuisines communales et non autour des feux de camp une nourriture différente, de type industriel.
Devant le désarroi du peuple aborigène, Bardon réagit en empathie avec tout ce que celui-ci avait perdu, révolté contre ces blancs qui étaient en train de piétiner une culture unique. Alors qu'il était assis sur le sable au milieu de ce groupe d'hommes, il remarqua qu'ils avaient une forme d'écriture pictographique, ou hiéroglyphique en résonance avec les récits de création de leurs ancêtres pour eux toujours présents sur cette terre déserts Immédiatement, et s'effaçant lui-même, il fut de leur côté, l'imagination frappée par ces symboles qui semblaient surgis de la terre dont ils étaient un élément. Les simples griffonnages sur le sable qu'il était amené à lire s'imposaient à lui comme la base d'un art nouveau, la clé d'une autre manière de voir ces immenses déserts .Les arcs, cercles, méandres et pistes qu'il avait sous les yeux étaient semblables à ceux trouvés sur les anciens pétroglyphes aborigènes qui avaient été datés au carbone 14 à 31 000 ans A.J.C. et cependant ne faisaient pas encore partie de l'histoire de l'art australien. Bardon se donna pour mission de corriger cela…. »
. »PAPUNYA TULA - ART OF THE WESTERN DESERT - Geoffrey Bardon .Préface de Judith Ryan..
Diplômé de l'École des beaux-arts de Sydney, Bardon peint déjà quand il arrive sur place. Grand, blond, assez timide, il cache en vérité un projet muri : en tant qu’artiste et professeur d'art, il était en premier lieu intéressé par ce langage visuel, par la dynamique des couleurs et des formes. Cet amour de l'art et la passion de l'enseigner était juste ce qu'il fallait pour initier la créativité jusque là figée des Aborigènes et donner de l'élan à toute cette richesse. selon Pierre Barrou qui le rencontrera avec Sylvie grossmann, Bardon voulait remonter aux sources de l'art australien. « Devant Sylvie Crossman et moi-même, en 1989, il comparera son départ à celui de Gauguin embarquant pour Tahiti, sa quête à celle du poète Federico Garcia Lorca plongeant au cœur de l'Espagne profonde pour en recueillir les légendes traditionnelles. »
La réussite essentielle de Bardon a été de persuader certains « anciens » de transcrire sur des panneaux et des toiles les dessins archétypaux rituels, proposant aux artistes un matériel européen pour eux incongru -acrylique, brosses, panneaux rectangulaires- et de les inciter à s'exprimer dans leur propre langage visuel. Bardon créait une atmosphère de confiance mutuelle qui engagea de nombreux aînés à se mettre à peindre.il conforta de cette manière l’image d’eux-mêmes et la fierté de leur propre culture. . Le recours à l'iconographie classique dans la production d'un tableau public entraîna pourtant de longs débats parmi les doyens de la communauté. Ces dessins avaient été réservés jusque-là aux peintures pariétales et aux cérémonies, au cours desquelles ils étaient reproduits sur les objets, sur les corps des participants et dans les peintures sur le sol. Finalement, Old Tom Onion Tjapangati, propriétaire du Rêve de la Fourmi à miel, donna la permission à Billy Stockman Tjapaltjarri, Long Jack Phillipus Tjakamarra, Kaapa Tjampitjinpa, Old Mick Tjakamarra et à plusieurs autres de peindre la première fresque. D'autres suivirent, mais toutes furent détruites en 1972, après le départ de Bardon, conformément aux règlements sur la propreté des bâtiments. !!!
Pierre Barrou et Bardon lui-même, ont raconté de manière vivante quoiqu’un peu théâtrale les débuts de l’école du désert :
« Et le miracle va se produire avec Kaapa Tjampitjinpa, de la tribu des Anmatyerres Arandas. Il a quarante-trois ans à l'époque.
C'est peut-être l'un des plus touchés physiquement par l'horreur, l'un des plus «hideux», comme si cette histoire pour rebondir avait eu besoin du plus caricatural des êtres vivant alors à Papunya. Kaapa n'a qu'un œil, l'autre a été touché par un glaucome; il boit, cherche la bagarre ; lors d'un combat fratricide, il a perdu un testicule, perforant, lui, d'un coup de couteau le poumon de son adversaire ! Mystérieux personnage dont Bardon nous révèle qu'il était « intimidé par les Blancs » et, cependant, cachait une extraordinaire détermination. J.p.barou op.cite
Un matin, Bardon proposa à ses élèves de peindre une fresque sur un des murs de l'école en mauvais état. Sur le mur, à sa grande déception, des cow-boys, des maisons surgirent, semblables aux images des magazines illustrés en vente à l'épicerie. Depuis sa guérite de jardinier, un Aborigène - Kaapa - a vu la scène. Il ne dit rien mais durant les jours qui suivent, plusieurs vieux initiés rendirent bizarrement visite à Bardon, «pour me sonder», pensera-t-il après. Ils lui firent part de leur intérêt concernant cette idée de peinture sur les murs de l'école.
Un soir, il y eut une sorte de visite au domicile de Bardon, d'un groupe d'Aborigènes dont certains lui étaient encore inconnus : les initiés entendaient peindre eux-mêmes !
« Je me souviens d'une façon extrêmement précise ils frappèrent à ma porte par une nuit froide et entrèrent les uns derrière les autres, en silence. Ils s'assirent avec leurs vêtements froissés, complètement usés. C'est alors que je vis pour la première fois Kaapa Tjampitjinpa, tel qu'il était vraiment. Subrepticement, il tendit un morceau de papier à Old Mick Tjakamarra tout en n'arrêtant pas de murmurer et de lui faire des signes pour qu'il me passe le papier à son tour. Je me souviens de gestes, de toux, de gorges qui s'éclaircissaient et enfin le papier me fut tendu. Je le dépliai et Kaapa désigna le papier depuis l'endroit où il se tenait et dit : "Dessin". J'approuvai de la tête et je regardai : c'était le canevas approximatif de la fresque murale qu'ils avaient l'intention de peindre sur le mur de l'école : une série de lignes qui semblaient être des arabesques mais qui en vérité étaient très simples et rudimentaires [...].Geoffrey Bardon. Papunya. a place made after the story
Ce canevas fut la première conceptualisation du panneau de La Grande Fourmi à miel; la première affirmation publique de la culture aborigène à Papunya. –il s’agissait ici non de la fourmi familière des australiens mais bien d’un totem incarnation de l’ancêtre, créateur de l’insecte, comme d’une portion d’itinéraire et de territoire. les initiés se proposaient donc de peindre le rêve de la fourmi à miel, et du même coup, en le réactualisant de donner naissance à la peinture de Papunya.
Ils s'y mirent à sept, quelques jours après, sur un mur de dix mètres sur trois rénové à cette occasion par un coup de badigeon. Parmi eux, Kaapa semblait avoir la responsabilité de l'opération; il ne peignait pas, mais guidait la main des six autres. Eux tenaient les bâtons, les brosses à répandre sur le mur les couleurs, mais pas comme Bardon l'espérait. Ce qu'il voit surgir ressemble un peu trop encore à une fourmi réelle, dessinée à la mode européenne.
Il hésita puis intervint : « Est-ce ainsi vraiment que les Aborigènes représentent la fourmi à miel ? »
« tout le travail s'arrêta soudain, et six autres peintres se pressaient autour de regarder les fourmis du miel, et Kaapa Tjampitjinpa s’avança avec sur son visage un air espiègle et entend. «Pas la nôtre», dit-il. «la votre». «.Et je me souviens, il m'a regardé pendant une seconde et se dirigea vers Bill Stockman Tjapaltjarri et Long Jack Phillipus Tjakamarra, et après avoir échangé quelques mots revint, prit son pinceau et peignit la figure de fourmi au miel, ou du moins son hiéroglyphe,.g.bardon op.cite
Une stylisation apparaît, cette fois semblable à celle du canevas. Bardon voit surgir trois grandes familles de cercles concentriques. Puis des formes en «U»; des sinusoïdes, faites de traits interrompus.
Ainsi naquit l'École du désert : sur le mur d'une école !
Les «U» symbolisent l'initié méditant ou se reposant près d'un site sacré représenté par les «cercles concentriques». Les «lignes en pointillés» reliant les groupes de cercles entre eux, c'est la fourmi originelle en train de voyager, de créer Papunya. Les couleurs de cette première étaient celles de la tradition : le blanc, le noir, l'ocre jaune et l'ocre rouge.
Cette peinture provoquera un réveil, comme si soudain le lit d'une rivière desséchée se trouvait ranimée par une tempête. Chaque initié veut peindre son «rêve», récupérer son totem, survivre, sauver son clan, en appeler au passé, préserver le futur. Car « celui qui perd son rêve est perdu», disent les Aborigènes. Fièvre des origines. Les nomades retournent dans la cité-dortoir qu'ils ont abandonnée, pénètrent dans les baraquements dont ils arrachent les carreaux en plastique des sols, dont ils démontent les cloisons en Placoplâtre : ils s'en serviront pour peindre ! Jusqu'ici, seules les peaux des danseurs, seules les roches plates du désert pouvaient porter les signes. Maintenant, ils utiliseront ces surfaces qui les retenaient prisonniers ! »
Il y eut, à Papunya, jusqu'à une maison des artistes : un grand hangar gris, de forme cylindrique, carapace de tôle, construit par l'armée. L'appartement de Bardon allait lui-même devenir un atelier permanent. Sa classe, dans l'école, une sorte de camp retranché. C'est là que Kaapa, Long Jack, Bill Stockman - ce dernier à la frimousse d'adolescent moqueur, à la tignasse roussie par le contact avec le sol, car il aime dormir à même le désert rouge -, s'installent pour peindre, dans le fond de la classe et après avoir dressé une barricade avec des tables, des chaises, pour être à l'abri du regard des élèves, trop jeunes, beaucoup trop, pour pouvoir voir les symboles immémoriaux.
Les autorités locales seront d'abord stupéfaites devant tant de motivation, de mobilisation, d'énergie - où sont passés les primitifs oisifs, les porteurs de râteaux, les ivrognes méprisables, les animaux alanguis ?j.p.barou.op.cité
A SUIVRE :
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