ESPACES DE CULTURES ,ANTHROPOLOGIE,PHILOSOPHIE,VOYAGES...
SUIVEURS DE PISTES,DE SAISONS ,LEVEURS DE CAMPEMENTS DANS LE PETIT VENT DE L'AUBE ; Ô CHERCHEURS DE POINTS D'EAU SUR L'ECORCE DU MONDE. Ô CHERCHEURS,Ô TROUVEURS DE RAISONS POUR S'EN ALLER AILLEURS"...
SAINT JOHN PERSE .ANABASE.
L’exposition balise d’abord, à travers plus d’une centaine d’objets joints à des panneaux didactiques dans chaque salle, les deux types d’organisation qui ont prévalu dans l’Afrique traditionnelle, tout en prenant une grande diversité de formes historiques, les « sociétés sans état » ; « les chefferies et les royaumes ». Ces deux formes se juxtaposaient et s’équilibraient souvent. D’une part en tant que sociétés dites sans état ou contre l’état elles reposaient sur la parenté et l’organisation territoriale, clans, villages. Pas de pouvoir politique au sens que nous lui donnons : l’autorité appartenait à des chefs de lignage ou anciens qu’on appelait « Maîtres De La Terre ». Des confréries ou sociétés secrètes jouaient un rôle dans l’initiation des jeunes et l’administration de la justice par l’emploi de « fétiches » et de masques, qu’on pourra voir .Le don et la distribution de richesses, marques obligatoires du pouvoir, se matérialisaient à travers des « monnaies » de prestige présentes dans l’exposition. Des migrations et des conquêtes amenèrent une autre forme : les chefferies et les royaumes. Soit un véritable espace politique. Pouvoir centralisé, autour d’un palais vaste domaine social et économique. Les mythes posaient rois et chefs en personnages « sacrés » étrangers et séparés des autres ; ils étaient dispensateurs de biens et garants de la fertilité du sol , une puissance reçue des ancêtres lors de l’intronisation.. « Le roi était d’ailleurs », entouré d’interdits créant la distance mais les règles morales et sociales communes ne s’appliquaient pas à sa personne. Il pouvait pourtant subir un régicide rituel si on considérait que des catastrophes naturelles témoignaient d’un déficit de puissance . De multiples objets présents dans l’exposition, les « regalia » accompagnaient le « fétiche vivant » et manifestaient son prestige.
. Sera aussi abordé l’importance de la sorcellerie présente dans le fonctionnement des sociétés traditionnelles comme il le fut en Europe. De nombreux objets de contre-sorcellerie, dits « objets forts », sont présentés ici. Le pouvoir, déjà centralisé, se transforma peu à peu jusqu’à nos jours. La traite, entraina un déplacement massif et forcé de populations esclaves appauvrissant pour longtemps le continent. Elle amena aussi le commerce des armes, le mercantilisme européen, les échanges de biens en contrepartie d’esclaves. Mais c’est la colonisation qui transforma totalement le paysage politique. En ignorant l’histoire du continent, vu trop souvent comme simple réservoir de matières premières et au mépris de sa culture propre, elle créa des frontières inconnues de l’Afrique traditionnelle, regroupant des peuples différents, créant de ce fait les conflits à venir .Elle imposa de force l’administration de type européen là où elle n’avait jamais existé, rendant possible des despotismes futurs. Une place particulière sera dans cette histoire donné au rôle des femmes trop souvent occulté au sein d’un monde massivement patriarcal mais qui connut des reines et personnalités éminentes, figures par exemple de résistantes à la colonisation.
VERNISSAGE: J.BARRIER PRESIDENT MUVACAN
« LE ROI VIENT D’AILLEURS » REZ DE CHAUSSEE. SALLE 1
Selon le Rameau d’Or de James Frazer, le magicien primitif aurait donné naissance au roi. Il aurait été promu en raison de ses pouvoirs, au service de la prospérité collective, comme faire tomber la pluie, amener ou détourner les vents. Ce chef politique africain, était ainsi qualifié généralement de « roi sacré », « roi/prêtre » ou « fétiche vivant ». Chef héréditaire d’un lignage royal, il recevait un autre statut par un rituel (l’intronisation) qui le séparait de la population et l’arrachait à l’ordre familial Il devenait responsable de la prospérité, comme des catastrophes majeures qui affectaient son peuple. Une fois intronisé, le nouveau roi souvent reclus dans son palais, centre politique et économique séparé, était soumis à des interdits nombreux qui commandaient ses rapports avec la population, et ses proches (serviteurs, épouses et parents.) On ne lui parlait pas directement, mangeait seul et ne sortait que pour les fêtes rituelles.
En cas de catastrophes répétées, il pouvait subir une mort rituelle pour empêcher que sa décrépitude physique n'affecte la force de la nature dont il était le garant La salle présente, des bronzes de cour du Bénin, statues et coiffe royale yoruba ; un ensemble d’objets Kuba dont les masques royaux qui dansaient au palais ou un tambour cérémoniel. Des trônes, sièges et masques des Grassland (Cameroun) autour de la personne du Fon, chef sacré. Enfin une importante série de tissus, d’armes de prestige et d’objets d’apparats.
TABLE RONDE SUR LE POUVOIR: YVAN ETIEMBRE.PHILIPPE DE GRISSAC.DOMINIQUE SEWANE.
« LES FILS DE LA TERRE » SOCIETES SANS ETAT.COULOIR
L’anthropologie contemporaine parle plutôt de sociétés « contre l’état » pour caractériser des sociétés qui n’ont pas de pouvoir politique nettement différencié et visible à l’opposé des chefferies et royaumes. Elles sont dites « segmentaires « ou lignagères. Si chef il y a, c’est celui d’une communauté familiale et territoriale. Les préjugés colonisateurs les voyaient « sauvages » ou anarchiques ; elles ne sont pas pourtant dépourvues d’organisation et de contrôle social. • Système de parenté élargie donnant à chacun une identité et un rôle, les anciens contrôlant les cadets. • Structuration plus large en clans, villages voire classe d’Age. • Totémisme : Culte d’ancêtres communs à un clan qui peuvent être non humains comme le python arc en ciel. La structure la plus fréquente sera celle d’une unité territoriale comprenant plusieurs groupes de descendance autour d’un lignage dominant vu comme fondateur (ainsi les Chokwe), dont le chef prendra le titre de Maitre De La Terre. • Une forme d’organisation « démocratique », le Palabre où les problèmes de la communauté se résolvaient par le pouvoir de la parole.
Présentation du héros Chibinda Ilunga, fondateur mythique des Chokwe (Angola) par statues, sièges, objets liés au tabac. Siège pende, ensemble de cannes de dignitaires et diverses statues ou objets d’apparat de notables ou grands ancêtres.
L’EXERCICE DU POUVOIR ET LES MONNAIES .SALLE DU FOND
Dans les sociétés africaines, des sociétés secrètes et des confréries jouaient un rôle de contrôle social dans l’initiation des jeunes et dans l’administration de la justice. Elles accompagnaient et renforçaient le pouvoir des chefs. Elles utilisaient en particulier des masques, incarnations redoutables de forces cosmiques ou venues des ancêtres. Les masques surgissaient lors de l’initiation et traquaient les coupables de déviance en particulier les sorciers. Dans ce rôle une des confréries les plus connues était la société Ngil des Fang, interdites par la colonisation en raison de sa violence et dont les masques surgissaient la nuit dans les villages à la lueur des torches pour faire avouer, voire exécuter les coupables. Présentation de masques de justice, Fang, (Gabon) Songye,(RDC) Bete et Dan(C. Ivoire) Pende (RDC) ;objets Dogon et Bambara (Mali)
LE POUVOIR DES MONNAIES
Les monnaies d'échange en Afrique étaient diverses: les cauris porcelaine-monnaie (monetaria moneta) sont des petits coquillages qui ont été répandus par les marins arabes et européens en provenance de l’est, essentiellement les iles Maldives. Les cauris ont historiquement été utilisés comme monnaies avant les colonisateurs. Il s'agissait d'une monnaie très fiable car inimitable. Utilisés par ailleurs dans la divination, ils étaient et restent symboles de richesse et de pouvoir, ornant les vêtements, les masques et divers objets dont les bijoux. En tant que monnaies d’échange il y a eu aussi les perles, la poudre d'or et un peu partout les produits d’usage, le bleu de Reckitt, les pierres, les étoffes, le sel, les noix de cola. Tout s’échangeait. La dot, la compensation matrimoniale n’est qu’un exemple. La richesse n’avait pas le même sens que dans les sociétés occidentales surtout à partir du 16ème siècle. Elle reposait en partie sur la capacité du Don (donner, recevoir, rendre.) le roi ou chef devant distribuer des richesses comme marque de pouvoir
Seront présentes de très nombreux objets métalliques de forme très diverses selon les régions. Il s‘agit surtout de fers noirs, plus rarement de monnaies en cuivre, laiton, argent qui reflétaient autant symboliquement la puissance de leurs possesseurs que leurs capacités pratiques d’achat et de don. Les lingots de métal ont pu être transformés en manilles (bracelets). Il en venait aussi d’Europe, fabriquées en Angleterre (Birmingham et Liverpool) et à Nantes, utilisés pour divers trafics dont la traite négrière.
« IL FAUT BIEN VIVRE AVEC SON « SORCIER « LA SORCELLERIE EN AFRIQUE TRADITIONNELLE. ET LES OBJETS FORTS
YVAN ETIEMBRE COMMISSAIRE EXPOSITION
C’est un « appareil de croyances » pratiquement universel : l’Europe l’a connu au 16eme et 17éme et a multiplié les buchers de prétendus sorciers (souvent des femmes guérisseuses.) Il a subsisté jusqu’à notre époque dans les pays de bocage. Le sorcier « diseur de sorts » est censé pratiquer une magie à l'origine du malheur, de la maladie ou de la mort. Thérapies et sanctions constituent alors l’autre versant du système. Historiquement présente à l’intérieur de la parenté, du clan ou du village, l’évolution contemporaine de la sorcellerie touche désormais l’ensemble des pouvoirs économiques et politiques.
Le sorcier « mangeurs d’Ames » dévorerait par « jalousie » la force vitale de ses victimes et anéantirait famille et solidarité. Il disposerait d’un « pouvoir » héréditaire matérialisé par une entité logée dans son organisme (evu, djembé). La protection contre les sorciers donne lieu d’amulettes, de charmes divers qu’animent des spécialistes, tels les Nganga..Ils utilisent en particulier les « objets forts » qu’on nomme « fétiches ».
Objets de pouvoir et pouvoir des objets/
Leur nom est Boliw (boli), Nkishi (pluriel Minkishi) ou Vodun, ce sont de puissants objets de pouvoir dont l’aspect devait susciter la crainte. Les portugais au 16ème siècle les ont vus comme des idoles diaboliques et leur ont donné le nom de « festigio », fétiches, (objets fabriqués et maléfiques). Vaguement anthropomorphes, à figures animales ou totalement informes ils sont enduits d’épaisses patines sacrificielles, hérissés de clous et chargés de matières diverses provenant des trois règnes. Ils ne sont en fait l’image d’aucune divinité mais par les rituels condensent une énergie cosmique ou issue des ancêtres qui va servir à la protection d’une communauté ou des individus. Ils sont l’apanage des prêtres (Nganga) qui les animent, des chefs et des rois. Ceux-ci détenaient souvent leur puissance de la somme de ces objets en leur possession.
La salle présente des boliw : les grands marquaient les évènements par leurs sacrifices rituels ou marchaient à la tête des guerriers. Les petits servaient de protection individuelle. il en est de même des « fétiches Songye d’une grande variété stylistique. Chaque village en possédait des grands communautaires. Enfin les Minkisi Kongo dit « fétiches à clous » étaient l’instrument de vengeance contre les sorciers ou renforçaient les décisions collectives.
LES TRADITIONS SE TRANSFORMENT 1er étage couloir
L’évolution des systèmes de pouvoirs en Afrique est l’occasion de montrer la complexité des forces en présence, la difficulté des instaurations démocratiques, d’autant que ce continent est l désormais ’objet de convoitises des états et firmes étrangères. La traite négrière verra le transfert forcé de 12 à 20 millions d'Africains en Amérique entre le XVIe et le XIXe siècle. Appauvrissant pour longtemps le continent, elle développera en outre le mercantilisme, le trafic de marchandises dont les armes .Selon l’historien Africain TIDANE DIAKITE les effets cultuels et psychologiques, ce qu’il nomme la « culture de traite » seront les plus marquants jusqu’à nos jour « abandon de sa culture, tentation du gain facile pour des produits matériels en provenance de l’occident »
La colonisation européenne devait transformer et figer les rapports de pouvoir : elle fut souvent violente (génocide des Herrero, annexion du Congo comme simple patrimoine privé par le roi Léopold II.
L’État colonial devait associer la notion de tradition à celle de chefferie, avec l’idée d’une Afrique sauvage ou despotique. : d’abord hostile aux autorités traditionnelles, les pouvoirs centralisés lui sont vite apparues utiles pour la gestion des vastes territoires conquis - la collecte des impôts, le recensement, l’organisation des corvées ;le contrôle politique local leur ont ainsi été déléguées. On assista à un véritable tournant autoritaire des pouvoirs traditionnels, en interaction avec le pouvoir militaro-administratif des administrateurs coloniaux, supprimant les contre-pouvoirs traditionnels qui équilibraient pourtant les systèmes politiques anciens . Les conditions de l’échec des fondateurs des Indépendances à instaurer des pouvoirs démocratiques étaient déjà réunies.
L’exposition prend des exemples
Transformation des confréries : l’exemple des chasseurs.
La confrérie des chasseurs mandingues est une société traditionnelle de type maçonnique qui existait de longue date en Afrique de l’ouest (XIIIème siècle). Ils avaient un rôle mythique et social important (défense des villages, soutien des pauvres, des veuves et des orphelins) qui a évolué. La perte d’influence a été progressive avec la possibilité de dérives nationalistes dans certains des états les plus faibles. A partir d’un exemple (royaume du Ndongo au XVIème siécle dans l’actuel Angola) il est possible de montrer le rôle de la traite. Les esclaves étaient traditionnellement une couche sociale constituée soit des prisonniers de guerre (qui appartiennent au roi), soit des étrangers, soit des villageois libres condamnés pour des infractions religieuses ou des actes de désobéissance. Les portugais en ont profité pour la traite vers le Brésil à une grande échelle (environ 12000 par an).
La propriété foncière : il n’y avait pas de propriété foncière individuelle dans l’Afrique traditionnelle, au sud du Sahara. Outre ses prérogatives religieuses, le chef de terre affectait les terrains selon les besoins. Les colonisateurs ont considéré ces terres(les matières premières en particulier) comme vacantes et sans maîtres donc à disposition . Parfois, les chefs de terre ont pu retrouver un rôle traditionnel lors des indépendances, mais l’administration centrale et la propriété foncière se sont installées, sources de conflits. . L’exposition montre une série exceptionnelle d’une dizaine de pagnes représentants les Pères Fondateurs des indépendances (citons Senghor, Houphouet-Boigny…) dont les destins ont été contrastés.
D’autre part est souligné la confrontation d’un animisme traditionnel avec l’islam et le christianisme : quelques objets soulignent ces rapports conflictuels.
: Femmes De Pouvoir. Salle Du Fond
A partir du XIV siècle, , l'histoire documentée par les chercheurs de l'UNESCO, décrit des femmes exceptionnelles ,le plus souvent des reines, prenant le relai de pouvoirs ébranlés pour relancer la lutte contre les envahisseurs.Elles se trouvaient au milieu des combats, à la tête de leurs armées, chefs reconnues par leurs . Elles avaient appris le maniement des armes depuis leur jeune âge, ce qui éclaire la condition féminine de ce continent à cette époque. Elles exaltèrent le courage de leurs troupes, avec des succès divers mais parfois réels. Quand aux Minos, elles ont constitué pendant 2 siècles les troupes d'élite des rois du Dahomey. Elles ne furent battues que par les troupes coloniales françaises, après leur avoir fait subir de lourdes pertes.
De nos jours, le rôle majeur des femmes est reconnu dans les entreprises du secteur commercial. L’exposition souligne l'histoire des Signares du Sénégal, des Nana Benz du Togo qui illustre le dynamisme ancien des femmes dans ce secteur. Surtout une pratique ancestrale, la Tontine ou banque des femmes, qui leur offrait un espace de liberté et d'autonomie, connait grâce à la numérisation des perspectives ambitieuses.
> Le G7 réuni à Biarritz en août 2019 a souligné ce fait en leur réservant plusieurs millions de dollars. Se crée ainsi un mouvement d'entraînement qui permettra le véritable développement économique de l'Afrique, apparu comme moyen de compenser les mouvements de migrations et de radicalisations. Le contenu de la salle est fait de panneaux et de photos racontant cette histoire comme Njinga une reine guerrière du XVIIème, la reine Sarraounia Mangou qui résista aux Peuls et aux français, l’impératrice éthiopienne Taitu Betul qui fonda Addis-Abeba et s’opposa avec succès aux colonisateurs. Un autre panneau développe ce qu’est la Tontine. En outre quelques objets seront montrés comme une robe de princesse Kotoko du Nord Cameroun ou une statue de princesse yombe (Kongo)
ESPACE COSMOPOLIS NANTES MUVACAN MUSEE VIVANT DES ARTS ET CIVILISATIONS A NANTES
INFOS PRATIQUES MUsée Vivant des Arts et Civilisations Africaines de Nantes (MUVACAN) 33, route de Vertou 44200 Nantes http://muvacan.org
JACQUES BARRIER. Président du Muvacan
MUVACAN
L’association « Le Musée Vivant des Arts et des Civilisations d’Afrique à Nantes » (MUVACAN) organise sa quatrième exposition itinérante, Le Pouvoir en Afrique, des traditions à nos jours. L’exposition de 2012 Insolites poupées d’Afrique s’est déplacée dans de nombreuses villes depuis Nantes. Celle sur Les Arts de guérir en Afrique traditionnelle en 2014-2015 a suivi le même type de chemin depuis sa base nantaise pour rejoindre l’Université Catholique de Louvain en Belgique, l’Université de Tours et récemment Quimper. L’exposition «Naître et être en Afrique, entre traditions et temps présents» a eu lieu également en 2017 à l'Espace International Cosmopolis grâce à la ville et l'agglomération de Nantes puis s'est déplacée à Bruxelles avant le Musée de Fontenay Le Comte en 2019. Toutes ces manifestations font la promotion des civilisations africaines. Nos valeurs sont le dialogue inter-culturel et la lutte contre les préjugés. Outre sa dimension culturelle, notre démarche est sociale dans l’esprit de ce que pouvaient être les «musées d’éducation populaire». Dans ce sens, en partenariat avec des associations africaines, nous recherchons un impact à long terme, donc à capitaliser nos opérations concrètes. Une action en cours: un musée virtuel qui reprend nos expositions et les pérennise, muvacan.org. Un souhait fort: un musée africain à Nantes, ville consciente de son passé, et pourquoi pas une antenne du Musée Branly-Jacques Chirac? JACQUES BARRIER, PRESIDENT DU MUVACAN
Yvan ETIEMBRE. Commissaire de l'exposition.
Présentation de l’exposition
L’exposition balise à travers plus d’une centaine d’objets, joints à des panneaux didactiques, les deux types d’organisation qui ont prévalu dans l’Afrique traditionnelle, tout en prenant une grande diversité de formes historiques, les « sociétés sans état » ; « les chefferies et les royaumes ». Ces deux formes se juxtaposaient et s’équilibraient souvent. D’une part en tant que sociétés dites sans état ou contre l’état elles reposaient sur la parenté et l’organisation territoriale, clans, villages. Pas de pouvoir politique au sens que nous lui donnons : l’autorité appartenait à des chefs de lignage ou anciens qu’on appelait « Maîtres De La Terre ». Des confréries ou sociétés secrètes jouaient un rôle dans l’initiation des jeunes et l’administration de la justice par l’emploi de « fétiches » et de masques, qu’on pourra voir .Le don et la distribution de richesses, marques obligatoires du pouvoir, se matérialisaient à travers des « monnaies » de prestige présentes dans l’exposition. Des migrations et des conquêtes amenèrent une autre forme : les chefferies et les royaumes. Soit un véritable espace politique. Pouvoir centralisé, autour d’un palais vaste domaine social et économique. Les mythes posaient rois et chefs en personnages « sacrés » étrangers et séparés des autres ; ils étaient dispensateurs de biens et garants de la fertilité du sol , une puissance reçue des ancêtres lors de l’intronisation.. « Le roi était d’ailleurs », entouré d’interdits créant la distance mais les règles morales et sociales communes ne s’appliquaient pas à sa personne. Il pouvait pourtant subir un régicide rituel si on considérait que des catastrophes naturelles témoignaient d’un déficit de puissance . De multiples objets présents dans l’exposition. les « regalia » accompagnaient le « fétiche vivant » et manifestaient son prestige..
Ce pouvoir, déjà centralisé, se transforma peu à peu jusqu’à nos jours. La traite, entraina un déplacement massif et forcé de populations esclaves appauvrissant pour longtemps le continent,. Elle amena aussi le commerce des armes, le mercantilisme européen, les échanges de biens en contrepartie d’esclaves. Mais c’est la colonisation qui transforma totalement le paysage politique. En ignorant l’histoire du continent, vu trop souvent comme simple réservoir de matières premières et au mépris de sa culture propre, elle créa des frontières inconnues de l’Afrique traditionnelle, regroupant des peuples différents, créant de ce fait les conflits à venir .Elle imposa de force l’administration de type européen là où elle n’avait jamais existé, rendant possible des despotismes futurs. Sera aussi abordé l’importance de la sorcellerie présente dans le fonctionnement des sociétés traditionnelles comme il le fut en Europe. De nombreux objets de contre-sorcellerie, dits « objets forts », sont présentés ici. Une place particulière sera dans cette histoire donné au rôle des femmes trop souvent occulté au sein d’un monde massivement patriarcal mais qui connut des reines et personnalités éminentes, figures par exemple de résistantes à la colonisation. Yvan Etiembre, vice –président du Muvacan ; Commissaire de l’exposition
Yvan Etiembre
« Le roi vient d’ailleurs »
Selon le Rameau d’Or de James Frazer, le magicien primitif aurait donné naissance au roi. Il aurait été promu en raison de ses pouvoirs, au service de la prospérité collective, comme faire tomber la pluie, amener ou détourner les vents. Ce chef politique africain, était ainsi qualifié généralement de « roi sacré », « roi/prêtre » ou « fétiche vivant ». Chef héréditaire d’un lignage royal , il recevait un autre statut par un rituel (l’intronisation) qui le séparait de la population et l’arrachait à l’ordre familial Il devenait responsable de la prospérité, comme des catastrophes majeures qui affectaient son peuple. Une fois intronisé, le nouveau roi souvent reclus dans son palais, centre politique et économique séparé, était soumis à des interdits nombreux qui commandaient ses rapports avec la population, et ses proches (serviteurs, épouses et parents.) On ne lui parlait pas directement, mangeait seul et ne sortait que pour les fêtes rituelles. En cas de catastrophes répétées, il pouvait subir une mort rituelle pour empêcher que sa décrépitude physique n'affecte la force de la nature dont il était le garant.
La salle présente, des bronzes de cour du Bénin , statues et coiffe royale yoruba ; un ensemble d’objets Kuba dont les masques royaux qui dansaient au palais ou un tambour cérémoniel.Des trônes, sièges et masques des Grassland (Cameroun) autour de la personne du Fon ,chef sacré. Enfin une importante série de tissus, d’armes de prestige et d’objets d’apparat.
« LES FILS DE LA TERRE » SOCIETES SANS ETAT.
Batammariba.(Togo) rituel de deuil Tibenti(copyright D.Sevane.)
L’anthropologie contemporaine parle plutôt de sociétés « contre l’état » pour caractériser des sociétés qui n’ont pas de pouvoir politique nettement différencié et visible à l’opposé des chefferies et royaumes . Elles sont dites « segmentaires « ou lignagères. Si chef il y a, c’est celui d’une communauté familiale et territoriale. Les préjugés colonisateurs les voyaient « sauvages » ou anarchiques ; elles ne sont pas pourtant dépourvues d’organisation et de contrôle social. • Système de parenté élargie donnant à chacun une identité et un rôle, les anciens contrôlant les cadets. • Structuration plus large en clans, villages voire classe d’Age. • Totémisme : Culte d’ancêtres communs à un clan qui peuvent être non humains comme le python arc en ciel. La structure la plus fréquente sera celle d’une unité territoriale comprenant plusieurs groupes de descendance autour d’un lignage dominant vu comme fondateur (ainsi les Chokwe), dont le chef prendra le titre de Maitre De La Terre. • Une forme d’organisation « démocratique », le Palabre où les problèmes de la communauté se résolvaient par le pouvoir de la parole.
Présentation du héros Chibinda Ilunga, fondateur mythique des Chokwe (Angola) par statues ,sièges, objets liés au tabac. Siège pende, ensemble de cannes de dignitaires et diverses statues ou objets d’apparat de notables ou grands ancêtres
. L’EXERCICE DU POUVOIR ET LES MONNAIES .
Dans les sociétés africaines, des sociétés secrètes et des confréries jouaient un rôle de contrôle social dans l’initiation des jeunes et dans l’administration de la justice. Elles accompagnaient et renforçaient le pouvoir des chefs. Elles utilisaient en particulier des masques, incarnations redoutables de forces cosmiques ou venues des ancêtres. Les masques surgissaient lors de l’initiation et traquaient les coupables de déviance en particulier les sorciers. Dans ce rôle une des confréries les plus connues était la société Ngil des Fang, interdites par la colonisation en raison de sa violence et dont les masques surgissaient la nuit dans les villages à la lueur des torches pour faire avouer, voire exécuter les coupables.
Présentation de masques de justice, Fang, (Gabon) Songye,(RDC) Bete et Dan(C.Ivoire) Pende (RDC) ;objets Dogon et Bambara (Mali)
Le pouvoir des monnaies.
Les monnaies d'échange en Afrique sont diverses: les cauris porcelaine-monnaie (monetaria moneta) sont des petits coquillages qui ont été répandus par les marins arabes et européens en provenance de l’est, essentiellement les iles Maldives. Les cauris ont historiquement été utilisés comme monnaies avant les colonisateurs. Il s'agissait d'une monnaie très fiable car inimitable. Utilisés par ailleurs dans la divination, Ils étaient et restent symboles de richesse et de pouvoir, ornant les vêtements, les masques et divers objets dont les bijoux. En tant que monnaies d’échange il y a eu aussi les perles, la poudre d'or et un peu partout les produits d’usage, le bleu de Reckitt, les pierres, les étoffes, le sel, les noix de cola. Tout s’échangeait. La dot, la compensation matrimoniale n’est qu’un exemple. La richesse n’avait pas le même sens que dans les sociétés occidentales surtout à partir du 16ème siècle.Elle reposait en partie sur la capacité du Don (donner, recevoir, rendre.) le roi ou chef devant distribuer des richesses comme marque de pouvoir
Seront présentes de très nombreux objets métalliques de forme très diverses selon les régions. Il s‘agit surtout de fers noirs, plus rarement de monnaies en cuivre, laiton, argent qui reflétaient autant symboliquement la puissance de leurs possesseurs que leurs capacités pratiques d’achat et de don. Les lingots de métal ont pu être transformés en manilles (bracelets). Il en venait aussi d’Europe, fabriquées en Angleterre (Birmingham et Liverpool) et à Nantes, utilisés pour divers trafics dont la traite négrière.
« IL FAUT BIEN VIVRE AVEC SON « SORCIER « LA SORCELLERIE EN AFRIQUE TRADITIONNELLE. ET LES OBJETS FORTS
C’est un « appareil de croyances » pratiquement universel : l’Europe l’a connu au 16eme et 17éme et a multiplié les buchers de prétendus sorciers (souvent des femmes guérisseuses.) Il a subsisté jusqu’à notre époque dans les pays de bocage. Le sorcier « diseur de sorts » est censé pratiquer une magie à l'origine du malheur, de la maladie ou de la mort. Thérapies et sanctions constituent alors l’autre versant du système. Historiquement présente à l’intérieur de la parenté, du clan ou du village, l’évolution contemporaine de la sorcellerie touche désormais l’ensemble des pouvoirs économiques et politiques.
Le sorcier « mangeurs d’Ames » dévorerait par « jalousie » la force vitale de ses victimes et anéantirait famille et solidarité. Il disposerait d’un « pouvoir » héréditaire matérialisé par une entité logée dans son organisme (evu, djembé). La protection contre les sorciers donne lieu d’amulettes, de charmes divers qu’animent des spécialistes, tels les Nganga..Ils utilisent en particulier les « objets forts » qu’on nomme « fétiches ».
Objets de pouvoir et pouvoir des objets Leur nom est Boliw (boli), Nkishi (pluriel Minkishi) ou Vodun, ce sont de puissants objets de pouvoir dont l’aspect devait susciter la crainte. Les portugais au 16ème siècle les ont vus comme des idoles diaboliques et leur ont donné le nom de « festigio », fétiches, (objets fabriqués et maléfiques). Vaguement anthropomorphes, à figures animales ou totalement informes ils sont enduits d’épaisses patines sacrificielles, hérissés de clous et chargés de matières diverses provenant des trois règnes.
Ils ne sont en fait l’image d’aucune divinité mais par les rituels condensent une énergie cosmique ou issue des ancêtres qui va servir à la protection d’une communauté ou des individus. Ils sont l’apanage des prêtres (Nganga) qui les animent, des chefs et des rois. Ceux-ci détenaient souvent leur puissance de la somme de ces objets en leur possession. La salle présente des boliw : les grands marquaient les évènements par leurs sacrifices rituels ou marchaient à la tête des guerriers. Les petits servaient de protection individuelle. il en est de même des « fétiches Songye d’une grande variété stylistique. Chaque village en possédait des grands communautaires. Enfin les Minkisi Kongo dit « fétiches à clous » étaient l’instrument de vengeance contre les sorciers ou renforçaient les décisions collectives.
ANIMALITE ET POUVOIR
Le « Grand Partage » de la pensée occidentale a séparé, au 16ème siècle, la culture de la nature et donc l’homme de l’animal. Les mythes des sociétés traditionnelles, au contraire, parlent d’une origine indifférenciée qui fait que l’animal reste toujours parent de l’humain,
• Le totémisme est l’idée d’un ancêtre animal fondateur d’un clan ou d’une collectivité, et lui donne son nom. .Ce totémisme clanique sert donc à la fois d’identification et de marque des rapports de pouvoir des clans entre eux. Le rapport à « l'esprit animal » est présent dans la sorcellerie :le sorcier , est dit prendre une forme animale(souvent le serpent) pour perpétrer ses agressions. • Ce pouvoir de métamorphose est attribué à certaines catégories d'initiés, de confréries ou de sociétés secrètes, tels les fameux hommes-léopards de Côte d’ivoire ou du Nigeria. • La force et la prudence du léopard donnent sens au politique .La peau de léopard est la marque des chefs et des rois Présentation de ciwara masque des cultes de fertilité et pangolin animal totémique
LES TRADITIONS SE TRANSFORMENT
L’évolution des systèmes de pouvoirs en Afrique est l’occasion de montrer la complexité des forces en présence, la difficulté des instaurations démocratiques, d’autant que ce continent est l désormais ’objet de convoitises des états et firmes étrangères. La traite négrière verra le transfert forcé de 12 à 20 millions d'Africains en Amérique entre le XVIe et le XIXe siècle. Appauvrissant pour longtemps le continent, elle développera en outre le mercantilisme, le trafic de marchandises dont les armes .Selon l’historien Africain TIDANE DIAKITE les effets cultuels et psychologiques, ce qu’il nomme la « culture de traite » seront les plus marquants jusqu’à nos jour « abandon de sa culture, tentation du gain facile pour des produits matériels en provenance de l’occident »
La colonisation européenne devait transformer et figer les rapports de pouvoir : elle fut souvent violente (génocide des Herrero, annexion du Congo comme simple patrimoine privé par le roi Léopold II. L’État colonial devait associer la notion de tradition à celle de chefferie, avec l’idée d’une Afrique sauvage ou despotique. : d’abord hostile aux autorités traditionnelles, les pouvoirs centralisés lui sont vite apparues utiles pour la gestion des vastes territoires conquis - la collecte des impôts, le recensement, l’organisation des corvées ;le contrôle politique local leur ont ainsi été déléguées. On assista à un véritable tournant autoritaire des pouvoirs traditionnels, en interaction avec le pouvoir militaro-administratif des administrateurs coloniaux, supprimant les contre-pouvoirs traditionnels qui équilibraient pourtant les systèmes politiques anciens . Les conditions de l’échec des fondateurs des Indépendances à instaurer des pouvoirs démocratiques étaient déjà réunies.
L’exposition prend des exemples Transformation des confréries : l’exemple des chasseurs.
chasseurs mandingues centerblog
La confrérie des chasseurs mandingues est une société traditionnelle de type maçonnique qui existait de longue date en Afrique de l’ouest (XIIIème siècle). Ils avaient un rôle mythique et social important (défense des villages, soutien des pauvres, des veuves et des orphelins) qui a évolué. La perte d’influence a été progressive avec la possibilité de dérives nationalistes dans certains des états les plus faibles. A partir d’un exemple (royaume du Ndongo au XVIème siécle dans l’actuel Angola) il est possible de montrer le rôle de la traite. Les esclaves étaient traditionnellement une couche sociale constituée soit des prisonniers de guerre (qui appartiennent au roi), soit des étrangers, soit des villageois libres condamnés pour des infractions religieuses ou des actes de désobéissance. Les portugais en ont profité pour la traite vers le Brésil à une grande échelle (environ 12000 par an).
La propriété foncière : il n’y avait pas de propriété foncière individuelle dans l’Afrique traditionnelle, au sud du Sahara. Outre ses prérogatives religieuses, le chef de terre affectait les terrains selon les besoins. Les colonisateurs ont considéré ces terres(les matières premières en particulier) comme vacantes et sans maîtres donc à disposition . Parfois, les chefs de terre ont pu retrouver un rôle traditionnel lors des indépendances, mais l’administration centrale et la propriété foncière se sont installées, sources de conflits. . L’exposition montre une série exceptionnelle d’une dizaine de pagnes représentants les Pères Fondateurs des indépendances (citons Senghor, Houphouet-Boigny…) dont les destins ont été contrastés. D’autre part est souligné la confrontation d’un animisme traditionnel avec l’islam et le christianisme : quelques objets soulignent ces rapports conflictuels.
Femmes De Pouvoir
A partir du XIV siècle, , l'histoire documentée par les chercheurs de l'UNESCO, décrit des femmes exceptionnelles ,le plus souvent des reines, prenant le relai de pouvoirs ébranlés pour relancer la lutte contre les envahisseurs. > elles se trouvaient au milieu des combats, à la tête de leurs armées, chefs reconnues par leurs . Elles avaient appris le maniement des armes depuis leur jeune âge, ce qui éclaire la condition féminine de ce continent à cette époque. Elles exaltèrent le courage de leurs troupes, avec des succès divers mais parfois réels. Quand aux Minos, elles ont constitué pendant 2 siècles les troupes d'élite des rois du Dahomey. Elles ne furent battues que par les troupes coloniales françaises, après leur avoir fait subir de lourdes pertes.
De nos jours, le rôle majeur des femmes est reconnu dans les entreprises du secteur commercial. L’exposition souligne l'histoire des Signares du Sénégal, des Nana Benz du Togo qui illustre le dynamisme ancien des femmes dans ce secteur. Surtout une pratique ancestrale, la Tontine ou banque des femmes, qui leur offrait un espace de liberté et d'autonomie, connait grâce à la numérisation des perspectives ambitieuses. Le G7 réuni à Biarritz en août 2019 a souligné ce fait en leur réservant plusieurs millions de dollars. Se crée ainsi un mouvement d'entraînement qui permettra le véritable développement économique de l'Afrique, apparu comme moyen de compenser les mouvements de migrations et de radicalisations.
Le contenu de la salle est fait de panneaux et de photos racontant cette histoire comme Njinga une reine guerrière du XVIIème, la reine Sarraounia Mangou qui résista aux Peuls et aux francais, l’impératrice éthiopienne Taitu Betul qui fonda Addis-Abeba et s’opposa avec succès aux colonisateurs. Un autre panneau développe ce qu’est la Tontine. En outre quelques objets seront montrés tels robe de princesse Kotoko du Nord Cameroun ou une statue de princesse yombe (Kongo)
Un autre aspect du pouvoir sacré, faisant du chef un être à part de la société ,était ce que Luc de Heusch appelle son rapport aux « monstres ». Chez les Kongo, le roi était entouré de nains et d’albinos qui devaient faire contraste avec la perfection supposée de son corps, tout prince pouvant aspirer au trône à condition qu'il fût de haute taille, sans infirmité corporelle, en parfaite santé et en pleine possession de sa puissance virile. Mais ce n’était pas la seule raison de la présence des nains,selon l’exemple du roi Vili de Loango (Congo-Brazzaville ) royauté qui existe toujours). La royauté Vili se situait par essence, en dehors de l'univers humain, à l'intersection du monde divin (surnaturel) et du monde sauvage parce qu’il était lui-même issu ,du moins selon le mythe d’un mariage avec une femme pygmée venue de la mer. Sa mère mythique pygmée appartenait ainsi au domaine « sauvage » la forêt (espace non cultivé) et son père était le grand prêtre( nthomi,) d’une puissante divinité, Bunzi ,dispensatrice de la vie et de la pluie.
Ces nains et albinos (monstres sacrés) qui entouraient le trône pouvaient prétendre à la prêtrise de la terre, la pensée commune dotant d’une grande puissance mystique, ceux qui, à un titre quelconque, était considérés par la tradition comme des corps monstrueux. Tout individu présentant une difformité physique ou des troubles mentaux était appelé nthomi, comme le prêtre de Bunzi et ses représentants locaux : c’étaient des émissaires des esprits de la terre. La mythologie Kongo mettait aussi en scène des êtres incomplets, fendus en long, (Nzondo) ou boiteux. Celui qui n'avait qu'une jambe possédait dans la mythologie des forces magiques et procréatives. La terre n’appartenait pas au roi mais aux clans autochtones et au esprits correspondants dont « les monstres sacrés » étaient les médiateurs. L’intronisation qui sacralisait le roi était précédée d’un voyage initiatique auprès de ces clans jusqu’au sanctuaire de Bunzi (en territoire étranger.)
"Ce système dualiste se construit donc sur la complémentarité de l'ordre religieux, dont le grand prêtre de Bunzi est la clé de voûte, bien qu'il vive en terre étrangère, et de l'ordre politique. Le roi dépend rituellement du premier, qui vit loin de lui. Ce pontife se trouve à l'origine même de la nouvelle dynastie puisque l'un de ses lointains prédécesseurs est censé s'être uni à une femme pygmée qui aurait mis au monde le roi fondateur. Nains et albinos qui entourent le souverain sont en quelque sorte les intermédiaires entre celui-ci et les esprits de la terre. Car la terre n'appartient pas au roi. Les notables de Diosso déclarèrent vigoureusement à Hagenbucher-Sacripanti : « Le roi ne possède pas de terre et ne peut disposer de celle d'autrui » . On notera aussi qu'à Diosso les chefs des vingt-sept clans autochtones avaient le pouvoir de détrôner le souverain s'il ne leur donnait pas satisfaction . La terre, morcelée en divers territoires, est la propriété des esprits de la nature. Le roi tient son autorité de leurs représentants, nains et albinos, comme du grand prêhttps://www.youtube.com/watch?v=fz8tXdtK6MMtre de Bunzi.." Luc De Heusch ,Ecrit Sur La Royauté Sacre. Editions De L’université De Bruxelles.
Au cours de son périple initiatique le roi dormait en compagnie d'une vierge avec laquelle il ne pouvait s'accoupler, comme s'il était encore étranger à l'ordre de la fécondité. Dans chaque province il fait des offrandes de vin de palme dans le sanctuaire le plus prestigieux. Sur le chemin du retour, il devait faire faire à cloche-pied le tour d'un bosquet sacré, puis « grimper au sommet d'un palmier particulièrement élevé, en ne s'aidant que de ses deux bras et d'une seule jambe » , comme le de mi-corps ou boiteux Nzondo. La présence des Pygmées, détenteurs de pouvoirs magico-religieux, aux côtés du roi n'est pas seulement, en Afrique centrale, l'apanage de l'ancien Loango. Les Kuba considèrent que leur souverain devient à sa mort un esprit de la nature. La royauté est d’autre part liée étroitement à l’institution de certains masques: Le roi recoit une force dévastatrice lorsqu’il revêt ,le plus important, Mosh a mbooy. Le second masque en importance, Bwoom, aurait été sculpté par un Pygmée (Cwa), et certains affirment que son visage ressemble à celui de l'un de ces petits hommes. Le peuple pygmée aurait, selon les mythes accompagné au cours de leurs migrations les ancêtres des Bushong, qui forment la chefferie dominante de la fédération kuba. Ils auraient fabriqué le masque Bwoom pour soulager le roi qui fut brusquement pris de folie alors qu'il revêtait Mosh a mbooy;les deux masques ensemble équilibrent la force.
Dans un article ",Moitiés d'hommes, pieds déchaussés et sauteurs à cloche-pied" (1992), Françoise Héritier introduit justement une nouvelle catégorie symbolique, l'image universelle d'une humanité formée de demi-corps, généralement masculins, coupés verticalement. Dans le mythe, l’androgyne primordial donne naissance aux êtres sexués ; c'est l'âge d'or de l'humanité auquel met fin la brusque apparition d'un puissant magicien dont l'extraordinaire force est concentrée dans un demi-corps. On retrouve le mythe en Afrique australe, en Australie, chez les amérindiens ou Inuit et en Europe, (on pense aux androgynes du Banquet de Platon ou à Œdipe « pied enflé »). Les Lovedu professaient que leur dynastie se rattachait lointainement à des génies au corps coupé en deux dans le sens longitudinal. Les Venda connaissaient l'existence de ces créatures monstrueuses au corps incomplet mais en faisaient des génies de la montagne. Selon l’auteur les mythes seraient une symbolisation d e la puissance fécondatrice et virile liées aux puissances de la terre.
« Cette moitié d'homme que l'on trouve dans les mythes, les contes, les représentations graphiques qui n'a qu'un œil, un bras, une jambe, est une forme stable, quel que soit le contexte. Homme ou personnage mythique, il est représenté prêt à se mettre en mouvement, bras étendu, jambe légèrement fléchie, prêt à sauter ou à glisser sur sa jambe unique. Ces formes stables, sans nécessité biologique apparente, renverraient donc à l'inconscient collectif, à des constantes d'ordre psychique, qu'il s'agirait de débusquer… Prend son sens ici l'idée de cet excès de force virile concentrée dans un seul membre, selon, dont l'extrême chaleur n'est pas supportable par les faibles ou les inférieurs : les enfants, les animaux, mais aussi le conjoint (c'est-à-dire dans ce cas, la conjointe puisque le passant déchaussé est un homme), ou les vieillards ayant dépassé l'âge actif de la maturité. Conjoint et vieux parents peuvent en mourir. Chaleur intense de la virilité condensée dans un seul membre, qui peut être selon les cas positive ou négative. Négative en Allemagne, selon les croyances rapportées, elle est positive au Pérou où, lors de la fête de l'agriculture, les hommes mettent en pièces un bœuf que conduit un jeune garçon qui n'a qu'une chaussure. Raisons rituelles donc, de différentes natures. Les hommes de l'Antiquité grecque qui ne portaient qu'une sandale, qu'une jambière ou qu'une cnémide, allaient au-devant de la mort, ou se vouaient aux puissances infernales ou officiaient, tel Jason, des rites chthoniens…"
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Selon la pensée africaine, parmi les êtres ambivalents, voire monstrueux, figuraient les jumeaux. Leur statut présentait de multiples nuances. Symboles de l’unité harmonieuse primordiale chez, les Dogons et les Bambara, ils étaient accueillis avec joie et ferveur. Mais derrière ces attitudes, on trouve tres vite des sentiments mélangés. On les entoure d’autant mieux qu’ils sont jugés dangereux ; ce qui est manifeste ailleurs comme chez les Mossi où ils sont associés à la brousse non cultivée, domaine des animaux sauvages ». Une dissociation va s’opérer entre bons et mauvais jumeaux susceptibles de provoquer la mort du père ou de la mère. Un test permettait de les identifier : aspergés d'eau froide, les « jumeaux de brousse » ne réagissent pas. Alors on les laissait retourner dans leur lieu d'origine ; on n'intervenait pas pour leur permettre de survivre Dans le monde bantou, la royauté était associée plus fréquemment aux jumeaux. On rassemblait ceux-ci à la cour du souverain kuba, où la royauté était conçue comme un corps gémellaire , expression d’une l'unité primordiale de deux divinités qui finirent par se disputer et se séparer : Mboom, maître du ciel, et Ngaan, maître des eaux terrestres. Ils formaient jadis un corps indivis représenté par des jumeaux siamois. À la cour, un des jumeaux est le Porte-parole officiel du souverain, dont il est censé être le Jumeau même. Alors que le roi représente Mboom, la part céleste et solaire de la divinité gémellaire originelle, l’autre représentait la part chtonienne et aquatique. En Afrique australe, le roi des Swazi était considéré comme le jumeau de sa propre mère, qui régnait avec lui. Le mythe d'origine présentait les premiers souverains comme un couple de jumeaux incestueux, Soleil et Lune.
« C'est bien, en effet, du règne animal que relèvent les naissances gémellaires aux yeux des Moundang puisqu'on invective la mère en lui disant : « Est-ce qu'une femme est une souris pour mettre au monde deux enfants en même temps ? » Cette surabondance de vie est proprement monstrueuse dans le règne humain et elle constitue une menace de vie brève pour les jumeaux, aussi bien qu'une menace de mort pour leurs parents. Or le roi-jumeau, ce formidable réservoir de force vitale, sera rituellement tué après un certain nombre d'années de règne. Les jumeaux appartiennent de par leur naissance à cet ordre naturel que le roi contrôle au prix d'une vie abrégée. Dire que le roi est un jumeau signifie qu'il est un être ambivalent, une bénédiction et une malédiction, car ce responsable de la pluie et de la fertilité possède aussi le pouvoir de faire régner la sécheresse ». Luc De Heusch ,Ecrits Sur La Royauté Sacre. Editions De L’université De Bruxelles.
Enfin chez les peuples bantous en particulier, la royauté a un rapport étroit avec la sorcellerie. .Dans « Rois Sorciers Et Mère Sorcière », Alfred Adler indique le paradoxe qu’il y a à parler de roi sorcier pour nos systèmes de pensée. Un paradoxe étonnant mais éclairant : le garant de l’ordre cosmique serait doté de pouvoir de lui nuire. On serait dans le domaine ambiguë des frontières du sens commun ou de la raison du moins occidentale (une logique de l’impossible ).L’intronisation, l’alliance avec les forces de la terre, la possession de fétiches puissants, feraient l’ambivalence due à la surpuissance du sacré dont serait doté le roi..
C’est qu’en Afrique la sorcellerie n’aurait pas le sens purement négatif qui caractérise le mot dans notre propre histoire. L’auteur souligne combien le désordre peut être une composante de l’ordre, comment l’ordre (royal) peut relever d’un désordre , la transgression d’un tabou de l’inceste et du sang .. Denise Paulme à propos des Baga société acéphale, remarque que le doyen du lignage ne combat les sorciers et n’a l’autorité morale et religieuse que parce qu’il était lui-même un ancien « mangeurs d’hommes » dans de monstrueux festins. On trouve en fait dans la personnalité du sorcier cette ambivalence qui caractérise le roi ou chef « sacré »et c’est aussi en ce sens que les guérisseurs ,devins ou Nganga peuvent à tout moment être accusés de sorcellerie. La pensée chrétienne a connu les mêmes difficultés à déterminer la mince barrière qui séparait le saint, l’hérétique et le sorcier. Le fait que la sorcellerie soit toujours présente ,voire omniprésente dans l’afrique contemporaine, est à la source de bien des problèmes dans les tribunaux africains qui ont adoptés nos appareils judiciaires et qui jugent selon certains de nos critères comme par exemple l’intention. Difficulté parce que la sorcellerie est considérée en partie comme innée et que la différence entre un nganga et un sorcier peut être simplement une différence de « génies » ,à la source de leur pouvoir ,un génie maléfique ou un génie de l’eau,les deux présentant par ailleurs les mêmes pouvoirs extrasensoriels.Dans son œuvre majeure sur la sorcellerie chez les Azandé, Evans-Pritchard la qualifiait de witchcraft, soit une force invisible enfouie dans l’être.
« …. Les diverses infortunes qu’un individu provoque: pertes de biens (vol de bêtes du troupeau, sorts jetés sur les cultures, par exemple), maladies, mort de la victime ou morts en série de proches (d'enfants notamment) ne peuvent pas être considérées par la société, par le pouvoir, comme des méfaits tombant sous le coup des sanctions appliquées ordinairement au fautif en conformité avec un code et des procédures judiciaires et rituelles prévues par la coutume. Les actes d'agression contre autrui qui peuvent être imputés à la sorcellerie constituent une catégorie à part. La définition de cette catégorie varie selon les cultures ou plutôt, selon les aires culturelles, mais on peut dire que partout elle inclut l'idée que les choses se passent dans le domaine de l'invisible, c'est-à-dire dans une autre dimension de l'espace et du temps - disons, pour faire image, une quatrième dimension. Mais ce qui caractérise les actes de sorcellerie, c'est qu'ils ont pour origine une force cachée dont l'existence, jusqu'à ce qu'elle se manifeste, peut avoir été ignorée de l'intéressé comme des autres qui vont être ses accusateurs), cachée dans la personne de celui qui les accompli ou bien en dehors d'elle et qu'elle s'est appropriée. Cette force enfouie dans les profondeurs mêmes de la personne, personne physique, c'est, pour prendre une référence terminologique qui est familière aux africanistes, la witchcraft, mot par lequel Evans-Pritchard ) traduit la notion que les Zandé désignent du nom de mangu. Sa nature est telle, nous explique t-il, qu'une consultation de l'oracle et, si l'accusé est mort, une autopsie pratiquée sur son cadavre doivent permettre d'en déceler la substance matérielle, par exemple, sous la forme d'une boule logée dans l'intestin grêle. Nous avons vu plus haut qu'il en alla ainsi chez les Wuli du Cameroun. Evans-Pritchard définit cette force comme « un phénomène organique et héréditaire ». Elle est donc involontaire et peut-être faut-il dire inconsciente ". Alfred Adler. Roi Sorcier, Mère Sorcière Les Marches Du Temps.
Pour la pensée africaine il existe bien un ordre du monde, idée qui implique la reconnaissance d'une certaine régularité des phénomènes, renvoyant à un enchaînement plus ou moins prévisible des causes et des effets (c'est ce que reflètent, notamment, les calendriers soli-lunaires relevés dans la plupart des sociétés paysannes africaines). Mais l’ordre laisse aussi la place à la perplexité, et à l’angoisse devant la contingence de l'événement qui semble renvoyer à un genre de causalité autre pour ne pas rester inexplicable .Comment l’irruption du mal ou malheur peut-il s’accorder avec l'ordre social et permettre ainsi aux hommes de raisonner et d'agir en conséquence ? Ce qui caractérise ainsi les actes de sorcellerie dans la pensée africaine, c'est qu'ils ont pour origine une force, sans limites et cachée (et dont l'existence, jusqu'à ce qu'elle se manifeste, peut avoir été ignorée de l'intéressé comme des autres qui vont être ses accusateurs), mais qui a des conséquences par son hybris(ainsi un chasseur qui ne maitrise pas son désir et tue en conséquence, peut provoquer la vengeance des esprits animaux de la foret.). La société est contrainte de recourir pour la contrer, la contenir ou, si possible, l'anéantir, à une force d'égale puissance sinon de même nature, conformément à la règle qui veut que, l'on combatte le mal par le mal. C'est ce qui explique que dans certaines sociétés, à côté de personnages qu'on peut qualifier de contre-sorciers « professionnels » (dans le monde bantou, ce sera une catégorie de nganga), le roi ou le chef, en vertu du statut qui est le sien et afin d'exercer efficacement sa fonction, soit lui-même pourvu d'une telle force.
Diverses situations se présentent : celles où les rois ou les chefs sont expressément désignés comme sorciers, soit qu'ils le deviennent du fait même de leur investiture (par l'existence tenue secrète d'un rituel spécifique d'initiation accompagnant leur intronisation), soit qu'il leur ait fallu le devenir pour réussir à accéder au pouvoir et à le conserver face à des rivaux usant des mêmes moyens. Il existait donc des rois qui étaient, en même temps et en vertu de leur statut et fonction, des sorciers :ainsi disent les Abron de leurs chefs : il n'a rien à craindre des menaces des sorciers, c'est qu'en réalité il est sorcier lui-même, et le plus fort de tous. Divers travaux ethnologiques ont ainsi montré les rapports de différents royaumes ou chefferies avec les pouvoirs sorciers : en particulier, Jan Vansina chez les Batéké et chez les Kuba, Pierre Bonnafé chez les Kukuya et surtout Luc de Heusch sur une grande partie de la région du bassin du fleuve Congo.
Ainsi les Bolia une population bantoue du Congo(RDC). Le royaume Bolia comprenait jadis quatre provinces, placées sous l'autorité d'un lignage particulier. Chacun de ces lignages assumait à tour de rôle le pouvoir central, dont le titulaire portait le titre d'Ilanga. Selon la tradition, le prétendant au trône qui se manifestait dans le lignage qualifié devait affronter un certain nombre d'épreuves magiques pour être désigné. Les ancêtres l'entraînaient durant son sommeil auprès du plus puissant des esprits de la nature avec qui il concluait un pacte, source de son pouvoir. Mais ce pacte l’entrainait en fait dans la zone dangereuse de la sorcellerie puisqu’il devait livrer en échange un certain nombre de victimes humaines choisies dans sa parenté .Si, durant son investiture le candidat rendait visite à divers génies au cours d'un long périple ; il devait livrer une femme à l'un de ceux-ci, en échange du pouvoir de contrôler la pluie
Proche voisin des Bolia les Bushong ont bâti le royaume kuba. Le roi kuba, dispensateur de la fertilité et de la fécondité, ne pouvait l’ acquérir qu’au prix de l’inceste l’unissant à sa sœur ! il était dès lors considéré comme sorcier , capable de se changer en léopard ,celui-ci étant justement à la fois le symbole de la royauté et de la sorcellerie .
La tradition du pouvoir sacré repose , on l’a vu , sur l'idée que le roi n'acquiert son statut privilégié qu'en s'affirmant au prix d'une transgression qui rend manifeste son extériorité absolue par rapport à la société où il est appelé à exercer un pouvoir cela seul lui permet d’articuler ordre naturel et culturel. Les transgression étaient essentiellement l’inceste et l’anthropophagie, deux manifestations par excellence de la sorcellerie. «On ne saurait mieux dire, que le pouvoir royal prend sa source dans l'univers naturel au prix d'une transgression de la loi familiale qui interdit de disposer de la vie des siens. De ce point de vue le pouvoir magique du roi sacré bolia s'apparente paradoxalement à celui de cet être éminemment dangereux et néfaste qu'est le sorcier, destructeur de vies humaines. ). On pourrait même dire que la royauté est ici une forme spécialisée et supérieure de la sorcellerie. Le même terme, tioki, s'applique en effet à l'une et à l'autre. Le pouvoir royal est littéralement la « sorcellerie du pouvoir» . Luc De Heusch ,Ecrits Sur La Royauté Sacre. Editions De L’université De Bruxelles.
Comme dit plus haut, on peut privilégier l’exemple des Maka du Cameroun parce comme symbolisant la transition (imposée par la colonisation ) entre société traditionnelle et société contemporaine Or chez les Maka , la sorcellerie « djambe » était et reste omniprésente. Dans son étude : "Sorcellerie Et Politique ", l’auteur Peter Geschiere fait ainsi remarquer qu’il est impossible de parler du pouvoir sans parler du Djambe.La sorcellerie apparait comme le revers de toute institution qu’elle soit ancienne ou nouvelle ;mais en même temps, comme dit plus haut, sans manichéisme ; ce qui est mauvais d’un côté peut apparaitre comme bon d’un autre parce que participant à la même force.
« Qu'est-ce que ce djambe dont les Maka parlent tant ? Lorsque je demandais à mes informateurs de le décrire, leurs réponses étaient souvent évasives. Après tout, il n'est pas sans danger de montrer ouvertement qu'on en sait trop sur ce sujet - cela pourrait signifier que l'on est soi-même un sorcier. Tout le monde était d'accord pour dire que le djambe est un petit être qui vit dans le ventre de son détenteur. Quelques-uns le comparaient à une souris grise, d'autres à un crabe. La réponse la plus détaillée vint de notre amie Mendouga, la grande guérisseuse (nkong) déjà mentionnée. Apparemment, elle devait à son statut d'en savoir plus que les autres. Elle regretta que je ne sois pas venu la questionner plus tôt, parce qu'elle avait eu une « photo » du djambe, qu'elle avait malheureusement perdue. Elle se souvenait précisément à quelle occasion elle avait vu le djambe. Dans l'hôpital presbytérien, les Blancs avaient opéré une femme et avaient fait sortir le djambe de son ventre. Ils avaient ensuite enfermé ce djambe dans une cage : c'était une petite bête féroce avec des dents méchantes, qui essayait de gober les mouches volant autour de sa cage. » ..Peter Geschiere. Sorcellerie Et Politique En Afrique .Karthala
Le mythe du djambe parle d’un chasseur qui le rencontra dans la forêt à plusieurs reprises et qui reçut chaque fois de celui-ci des dons de gibier importants. Sa femme par jalousie s’unit sexuellement au djambe qui la posséda désormais et donc elle le ramena au village. C’est le djambe qui exigea désormais qu’elle le nourrisse à son tour et toujours plus . Pour le satisfaire, la femme dut tuer toute sa parenté. Force sauvage de la forêt, Djambe donne biens et richesses mais devient source de catastrophes dans le village, parce qu’introduit par la convoitise et la jalousie. Le Djambe est d’abord lié à la parenté et à la famille dans la société traditionnelle .Tout malheur est ainsi attribué à une attaque venant de l’intérieur du groupe. Il y a un tragique familial qui concerne l’inégalité (et donc la jalousie) à l’intérieur de son groupe avec qui il faut pourtant bien vivre, puisque seul allié de la vie.. En meme temps cet allié peut nourrir les pires complots. « Il faut vivre avec son sorcier » est un proverbe marka
Mais de la convoitise familiale le soupçon s’étendit désormais aux pouvoirs et aux nouvelles élites nées de la colonisation et des indépendances : élite urbaine et scolarisée qui occupa les anciens postes coloniaux au sein d’un parti unique. Les formes d’équilibre qui existaient au village pour régler les conflits ,y compris de sorcellerie ,comme le palabre n’eurent plus cours. Mais le Djambe ne disparut pas bien au contraire. Les pouvoirs ne manquèrent pas non plus de l’invoquer ,soit parce que l'équipe de foot d'un sous-préfet perdait, soit pour stigmatiser leurs opposants ou à l’inverse ,pour se glorifier de leur propre " blindage " sorcier.
« Et c'est surtout cette perception de la « sorcellerie » comme force « accumulatrice » qui joue dans la politique moderne. Pour les villageois marka, il était évident que l'essor de l'élite nouvelle de fonctionnaires était lié, d'une façon ou d'une autre, aux forces secrètes du djambe (une notion que les Maka traduisent maintenant par « sorcellerie »). Dans les années soixante-dix, par exemple, une opinion géné¬rale parmi mes informateurs voulait que tous les efforts des autres politiciens pour écarter le député en exercice fussent voués à l'échec — pas tellement parce que ce dernier avait le soutien du sommet du parti unique, mais plutôt parce qu'il était « blindé » par le meilleur nganga (« guérisseur ») de la région. Les membres de l'élite eux-mêmes sont souvent prêts à renforcer de telles rumeurs : le député en question ne manquait aucune occasion de faire allusion aux forces extraordinaires de son nganga. Cette association avec la « sorcellerie » était en outre renforcée par le climat politique instauré à l'indépendance (1960) par le nouveau président Ahidjo et son parti unique. L'idéologie nationale mettait en effet lourdement l'accent sur la nécessité d'être « vigilant » contre la « subver¬sion » omniprésente. La compétition féroce entre politiciens se déroulait à l'intérieur du parti et devait être arbitrée à huis clos. Tout se réglait au sommet du parti, mais les décisions de celui-ci demeuraient imprévisibles. Aussi les rumeurs relatives à ce qui se passait dans la « grande politique » furent-elles souvent difficiles à distinguer des histoires courant sur les confrontations nocturnes des sorciers…..Peter Geschiere. Sorcellerie Et Politique En Afrique .Karthala
Cette émergence de l’ordre symbolique est souvent conceptualisée à partir des travaux de James Frazer et de son œuvre monumentale, le Rameau D’or. S’appuyant sur un ensemble d'observations dispersées à travers le monde entier et concernant plus particulièrement l'Afrique noire, celui-ci introduit le concept de royauté divine ou sacrée. Il fait du pouvoir originel dans les sociétés traditionnelles, un usage de capacités magiques à des fins d’intérêt général. les rois « divins » seraient des magiciens qui auraient réussi à s'imposer à leur peuple par la ruse et les richesses accumulées dans l'exercice de leur art ; ils marqueraient ainsi le passage d'un hypothétique âge magique de l'humanité à celui de la religion, Le magicien primitif aurait ainsi donné naissance au roi . Le roi qu’il qualifie de « divin » aurait été capable d'exercer une influence sur le temps atmosphérique, faire tomber la pluie ou l'empêcher, arrêter la course du soleil, amener ou détourner les vents, etc. C'est parce qu'il serait cause ou garant de la prospérité collective qu'il serait promu à la dignité royale Ainsi le roi divin selon Frazer détiendrait un pouvoir sur la nature et de sa conduite dépendrait la fertilité du sol, l'abondance des récoltes et la reproduction des hommes. Il serait le centre dynamique de l'univers d’où la nécessité de conformer rigoureusement ses actes et le cours de son existence à l’ordre du monde et donc aux différents rituels. Il devrait être mis à mort ou invité à se suicider à l'approche de la sénescence ou après un certain nombre d'années de règne le pouvoir sur la nature est commandé par la santé et la force du roi. Aussi, lorsqu'elles risquent de décliner, le monarque doit-il être éliminé et remplacé afin que soit sauvegardée la communauté politique
LE DERNIERE REINE DE LA PLUIE LOVEDU
Si le schéma évolutionniste du Rameau d’or ,passage d’un thaumaturge primitif à un roi divin, donc de la magie première à la religion est désormais critiqué et a valu à Frazer un oubli temporaire , on garde désormais comme outil problématique la description qu’il fait de ce personnage et de l’ordre symbolique qu’il soutient à savoir les caractéristiques du sacré. L'emploi du mot « sacré » reste à préciser : l’acception habituelle est religieuse .Le « sacré » est une notion large, désignant « tout ce qui est en relation avec la religion dans une opposition à profane. Toutefois le terme n’a pas d’abord que ce sens. E. Benveniste dans le vocabulaire indo européen et chez les latins en soulignait le caractère ambigu ; il décrivait l'homme « sacré » comme « hors de la société des hommes ». Le sacré serait donc d’abord un domaine distinct. Ce que confirme d’ailleurs, à l’inverse, profane (pro-fanun- ce qui est devant ou à l’extérieur du temple).
Frazer avait en ce sens dégagé plusieurs caractères qui font le paradoxe du chef sacré: Régner pour le « roi divin » primitif ne consiste pas à gouverner ni à donner des ordres, mais à garantir l’ordre du monde et de la société en observant des prescriptions rituelles. Comme personnage sacré, le chef ou roi n’est pas maître mais bien captif de l’institution, enfermé dans le rituel. Assigné à résidence et reclus dans son palais, il est soumis au même type de restrictions que les êtres en état d’impureté : femmes indisposées, guerriers ayant donné la mort, criminels. Il y a une alliance intime entre le pouvoir et l’interdit sur lequel il faudra revenir.. Surtout Frazer mène une réflexion à partir de l’antiquité romaine, sur les « rois-prêtres » du culte de Diane, dans le bois sacré de Nemi. Il y dégage l’idée d’un régicide rituel inhérent à l’institution.
Pour devenir Roi du Bois, tout esclave fugitif qui trouvait refuge dans l'enclos du sanctuaire devait mettre à mort le prêtre en place, non sans avoir au préalable cassé une branche d'un rameau situé à l'intérieur de l'enceinte sacrée ; rappel du geste mythique d'Énée, invité à cueillir un rameau d'or avant d'entreprendre son voyage au pays des morts. Le » régicide » aurait une double finalité. à la fois lorsque les forces vitales du souverain sont atteintes par la maladie et la vieillesse et donc menacent fertilité et renouveau de l’ordre naturel, qu’elles ne peuvent plus soutenir ;aussi ,parce que si on attribue de ce fait au chef la responsabilité des catastrophes naturelles et des maux qui accablent une société ,il va servir de « bouc émissaire » prenant en charge tous les maux qui peuvent atteindre le groupe et sacrifié pour cette raison.: il doit être mis à mort pour purifier la collectivité dès que le salut de celle-ci paraît l’exiger.
Frazer s’appuie en particulier sur l’exemple des Shilluk du Sud Soudan , où le souverain, appelé Reth, était étranglé quand ses forces physiques le trahissaient ou en cas d’impuissance sexuelle interprétée comme le signe d'un danger menaçant la fécondité de la nature , les humains , les animaux domestiques et les plantes cultivées. Frazer pensait que ce type de régicide était lié à la religion, le culte national de l'esprit Nyikang, ancêtre historico-légendaire fondateur de la dynastie royale », C'est parce que les Reth étaient considérés, une fois intronisés, comme des réincarnations de l'Esprit Nyikang, garant de toute fertilité, qu'ils étaient mis à mort dès qu'ils montraient des signes de faiblesse et de déclin. De cette façon était assuré l'éternelle vigueur et le pouvoir incorruptible de l'Esprit Nyikang périodiquement réinstallé dans un corps en pleine force. .A l’image du prêtre roi de Nemi perpétuellement aux aguets dans le bois sacré, le titulaire de la fonction royale vit donc dans la menace….. « A la jouissance de cette tenure précaire s’attachait le titre de roi ; mais jamais tête couronnée n’a dû dormir d’un sommeil aussi fiévreux, hanté de rêves aussi sanguinaires, car d’un bout de l’année à l’autre, hiver, été, sous la pluie ou par le soleil, il avait à monter sa garde solitaire. Fermer, pour quelques brèves secondes, sa paupière lassée, c’était mettre sa vie en jeu ; la moindre trêve de vigilance lui créait un danger ; un minime déclin de ses forces corporelles, une imperceptible maladresse sur le terrain, un seul cheveu blanc visible sur son front, auraient suffi pour sceller son arrêt de mort. » [Frazer, 1981, p. 19]. ROI SILLUK
« L’idée que les royaumes primitifs sont des États despotiques, où le peuple n’existe que pour le souverain, est entièrement inapplicable aux monarchies que nous étudions. Au contraire, le souverain, ici, n’existe que pour ses sujets; sa vie n’a de valeur qu’autant qu’il s’acquitte des fonctions que comporte sa position, en ordonnant le cours de la nature pour le bien de son peuple. Dès qu’il manque à ses devoirs, les soins, le dévouement, les hommages religieux qu’on lui prodiguait auparavant s’évanouissent pour faire place à la haine et au mépris; on chasse ignominieusement le monarque déchu, et il peut se féliciter s’il en échappe avec la vie. Adoré comme un dieu la veille, il est tué comme criminel le lendemain. Mais il n’y a rien là de capricieux ou d’illogique de la part de ses sujets. Leur conduite est, au contraire, très conséquente. Si le roi est leur dieu, il est, ou devrait être, aussi celui qui les préserve; et s’il a échoué, il doit céder la place à un autre qui n’échouera pas. Tant qu’il répond à leur attente, ils prennent de leur souverain des soins infinis, et le forcent à prendre de lui-même ces mêmes soins. Un roi de ce genre vit emprisonné dans un protocole, un réseau d’interdictions et d’observances, dont le but n’est pas de contribuer à sa dignité, encore moins à son bien-être, mais de l’empêcher d’agir d’une façon qui, en dérangeant l’harmonie de la nature, pourrait l’entraîner, lui, son peuple et l’univers, dans une commune catastrophe. Loin d’augmenter ses aises, ces règles, en embarrassant chacun de ses actes, annihilent sa liberté; et, tout en cherchant à préserver sa vie, lui en font souvent une peine et un fardeau » Frazer, Le Rameau D’or Bouquins P. 489-490].
Plusieurs anthropologues contemporains ont réactivé les thèses de Frazer tout en les débarrassant des scories évolutionnistes (passage d’une magie « sympathique » avec la nature à la religion et au divin) qui avaient un temps fait oublier l’auteur du Rameau D’or. Ainsi Luc de Heusch voit plutôt, dans ce que pointe la notion de roi sacré, un phénomène d’ordre structural permanent et particulier au continent africain mais qui réapparait sous des formes diverses en fonction d‘une histoire contingente.
IL y a bien sûr le plus souvent migration et conquête , violence qui fonde telle forme de royauté mais ces formes violentes ne feraient que détourner au profit d’un clan, d’un groupe d’envahisseurs ou de la colonisation un ordre rituel traditionnel qui persiste donc toujours à travers ces configurations particulières. Il est d’ailleurs des cas dit l’auteur où cette sacralité est indépendante de l’ordre politique lui-même. Ainsi la reine des Lovedu, peuple d’Afrique australe, est considérée comme la terre elle-même sur laquelle elle agit par des médecines de pluie, fétiches associés aux corps des reines précédentes dont on aurait prélevé des fragments. Son propre corps doit être intact et ses émotions agiraient sur le climat. .mais par ailleurs cette reine n’a qu’une fonction d’ordre rituel : ce sont ces parents qui gouvernent effectivement en son nom.
Jeanne-Francoise Vincent retrouve cet ordre structural chez les Mofu « Le souverain peut aussi être lui-même prêtre, et rendre un culte à un esprit protecteur distinct ;. Les récits relatant les origines de ces cultes montrent souvent leur caractère factice. Cette sacralisation du pouvoir est particulièrement évidente là où l'apparition des chefferies résulte de circonstances historiques, liées à l'installation d'immigrants devenus maîtres du pays. Toutefois elle s'inscrit dans la logique de la situation représentée chez les Mofu par les petites « montagnes » du nord, où le desservant de l'unique culte à un « esprit de la montagne » est le chef du groupe. Son pouvoir est uniquement religieux : ce chef ne prétend à aucune prestation en nature ou en travail ; il ne prend aucune décision en matière de justice ou de guerre. Le pouvoir religieux apparait ici comme la forme première du pouvoir, son « noyau dur », autour duquel viennent ailleurs s'agréger d'autres manifestations d'autorité, et c'est leur ensemble qui constitue le pouvoir politique proprement dit. « Est-ce en raison des responsabilités religieuses du souverain ? Ou plutôt de l'étendue de son pouvoir ? Il apparaît comme un être ostensiblement placé à part, différent des autres hommes, personnifiant sa chefferie.» Jeanne-Françoise Vincent, « Des Rois Sacrés Montagnards », Systèmes De Pensée En Afrique Noire
reunion des chefs traditionnels
Sacré prend ici le sens qu’avait dégagé E. Benveniste : ce qui est hors de la société des hommes. . Le chef peut être héréditaire mais il acquiert d’abord son statut par un rituel (l’intronisation )qui le sépare de la population et lui confère la souveraineté, rituel qui s'accompagne parfois d'obligations aussi remarquables que celle de s'unir, une fois intronisé, par un acte réel ou symbolique à une sœur réelle ou classificatoire .Il échappe ainsi au tabou commun de l’inceste n’obtenant véritablement son statut sacré qu'au prix de cette transgression (inceste royal) qui transforme radicalement son être. C'est alors qu'il devient « responsable de la prospérité comme des catastrophes majeures qui affectent son peuple ».Ces transgressions arrachent le souverain lors de l'intronisation à l'ordre familial pour le situer dans une zone ambiguë où il fait parfois figure de monstre sacré, de dangereux sorcier. Mais comme dit Alfred Adler," la mort est le masque du roi". Dans l’essence de la royauté existe aussi le régicide rituel réel ou symbolique, comme fondement ,au deux sens qu’avait dégagé Frazer : Tantôt le roi est mis à mort parce que son affaiblissement physique menace l'univers et la société, tantôt il est tué en tant que bouc émissaire.
Ainsi chez les Moundang qu’étudie Alfred Adler, le pouvoir cosmique du roi avait pour corollaire sa mort. Le régicide était la conséquence de l'usure du pouvoir et c'est le crâne du père qui tuait le fils. » II suffisait, pensaient les Moudang , au fossoyeur de passer non loin du Go-Léré avec le crâne du prédécesseur pour que le roi succombe. En fait, cette démarche s'accompagnait de l'administration d'un poison. Être à part de son vivant, le roi mort subissait un traitement hors du commun . Son cadavre stérilisant la terre, il fallait le faire disparaître, mais non sans avoir prélevé la tête, symbole de la dynastie. Le corps était ébouillanté afin d'activer son pourrissement, puis enfermé dans une urne ; les os ensuite jetés dans une rivière en crue afin qu'ils soient évacués le plus loin possible. Officiellement, le roi était enterré dans le bois sacré des masques et c’est là qu’on criait :"la mort est le masque du roi".
Les Jukun du Nigeria mettaient l'accent sur la première fonction de la royauté sacrée, celle qui correspondait à la première thèse de Frazer. Ils identifiaient leur roi aux plantes cultivées. S’Ils limitaient théoriquement le règne de leur souverain à une durée de sept ans, au terme de cette période, ils le soumettaient à un rituel de régénération, au cours duquel il était invité à tuer de ses propres mains un esclave. Il renaissait alors symboliquement et était autorisé à entreprendre un nouveau septennat. Il risquait cependant d’être étranglé secrètement en période de sécheresses successives ou de mauvaise récolte. Ces catastrophes étaient attribuées à la négligence du souverain ou à un affaiblissement de sa force mystique. Les Rukuba au contraire considéraient essentiellement le chef sacré comme un bouc émissaire, mais mettaient à la place du roi une victime humaine substitutive un vieillard qu’on avait expulsé de la société celui-ci prenait en charge pour une durée maximale de sept an sla part maudite de la royauté, il fait figure de bouc émissaire. « Une tentative toute récente d'explication du problème des royautés divines africaines est plus radicale. Elle est due à René Girard qui place ces royautés « parmi les systèmes certainement les plus indéchiffrables de la planète ». La thèse peut se résumer brièvement : les membres d'une société, pour se purger et faire échec à leur violence intrinsèque qui risque de désintégrer la société elle-même si on lui laisse libre cours, font l'unanimité entre eux en sacrifiant d'un commun accord un bouc émissaire, ce qui rétablit l'ordre et la prospérité. Le bouc émissaire est vu comme un fauteur de troubles en même temps qu'il est, de par sa disparition, le garant de l'ordre. C'est donc de la violence incontrôlée que découlent, paradoxalement, paix et prospérité. Pour éviter de retomber dans le chaos, on va tout simplement répéter le sacrifice du bouc émissaire, mais en l'institutionnalisant . On se fabrique une victime pour l'avoir toujours sous la main, victime que l'on pourra sacrifier, elle ou son substitut, d'une manière moins « sauvage » qu'originellement, lorsque les circonstances l'exigent, ou encore à date fixe. Pour ce faire, dans les royautés africaines, on fait en sorte que le roi divin — la victime sacrificielle — transgresse la normalité, afin d'avoir des justifications pour le mettre à mort en vue de restaurer, ou de conserver, la prospérité. Le roi est donc bon et mauvais à la fois. On se trouve alors devant une ambiguïté qu'il faut surmonter : le roi est un criminel, un transgresseur de tabous et comme tel il doit être puni, bien qu'il faille en même temps essayer de le conserver sous son aspect bénéfique. Pour garder en vie un personnage aussi précieux, on peut à meilleur compte sacrifier à sa place des doubles, afin de purger la communauté de la violence qui ne demande qu'à s'extérioriser ; et on met ainsi le roi en réserve, si l'on peut dire, pour ne le tuer qu'après une période fixe ou encore pour ne le sacrifier que lorsque vraiment tout va maL.. Muller Jean-Claude. La Royauté divine chez les Rukuba (Benue-Plateau State, Nigeria). In: L'Homme, 1975, tome 15 n°1. Pp
Un être à part ne serait-ce que par la résidence et l’économie productive : Ainsi le roi Moundang de Léré : La résidence royale, au même titre que la filiation et l'alliance, échappe elle aussi aux normes communes et se singularise par l'ap-parition d'espaces et de fonctions spécifiques: En apparence le roi a tout simplement une maison, une « concession ;il y vit avec ses épouses et ses enfants ainsi que tous ses animaux domestiques, comme tout un chacun,. Pourtant une illustration du caractère hors normes reste le départ précoce des garçons dont aucun, à l'exception du successeur, ne reviendra avec une épouse pour y fonder un foyer. La masse de jeunes serviteurs et l'importance numérique du gynécée (le roi en place au moment de l'arrivée des Français avait environ 300 femmes) font de la maison royale autre chose qu'une habitation au milieu des autres du village. Il s'agit d'une sorte de « méga-Machine de production» alimentant en denrées sacrificielles un centre de culte où se rassemble la population entière de Léré à laquelle viennent se joindre des délégations venues des quatre coins du royaume. Dans cet espace sanctuarisé, les règles découlant de la parenté lignagère et clanique n'ont plus cours ; tout fuyard, homme ou femme, peut, quant à lui, y trouver refuge et se remettre lui-même comme captif entre les mains du roi. Une fois intronisé, le nouveau roi est soumis à des règles diverses et nombreuses qui commandent ses rapports avec la population, avec ses proches (serviteurs, épouses et parents), avec son corps et avec ses ancêtres ; ces interdits le protègent mais figent une partie de ses comportements et sont la marque même de la sacralité.
Néanmoins, quelle que soit l'étendue de son pouvoir, la liberté de mouvement du souverain est le plus souvent soigneusement contrôlée : le roi sacré est toujours, d'une manière ou d'une autre, le prisonnier du groupe qui l'investit. Son comportement est entravé par une série d'interdits. » Les interdits vont justement le placer au-dedans et au dehors du corps social . Le roi est « hors clan » dit Alfred Adler, « il vient d’ailleurs » selon Luc de Heusch. Dans la royauté Kongo , il était voilé et dissimulé derrière une tenture, au cours des audiences publiques. Dissimuler le visage est symbolique de la logique implicite de la figure du souverain.. Exhiber tout en cachant, montrer sans révéler.Le roi est soit dissimulé, quoique présent, dans une fiction cérémonielle ou encore on lui suppose un double corps, visible et invisible, mystique. Quel que soit la fiction, le chef ne devait pas tout à fait être fait un semblable puisqu’il servait de référence à l’identité de tous. Cette conception d’un double corps a existé également à propos des souverains européens.
Ce que décrit JCL.Muller chez Les Rukuba « Nous n'avons pas encore indiqué ce qui distingue le roi rukuba de ses concitoyens. Rien ici des fastes et des pompes entourant ceux de ses homologues qui disposent d'importants surplus économiques. C'est au niveau des conceptions cosmologiques qu'il les rejoint. La royauté et la personne du roi sont dangereuses ; on ne peut ni boire ni manger après le roi dans le même récipient sous peine d'être infecté par ses pouvoirs mystiques qui, finalement, se retourneront contre l'imprudent et le feront mourir ou, à tout le moins, tomber gravement malade. Le roi ne peut, pour les mêmes raisons, frapper un de ses administrés sans risquer de le tuer. La réciproque — un sujet élevant la main sur le roi — aurait le même effet. Le cadavre du roi ne doit pas être vu et, après avoir été « préparé », il ne peut toucher terre pendant son transport au cimetière, sous peine de catastrophes. Les rois divins sont souvent soumis à de multiples prohibitions, alors que les Rukuba n'ont presque rien à dire sur ce point : il ne faut pas que le roi entre en contact avec, ni ne mange, deux sortes de feuilles utilisées pour rehausser certaines sauces, et c'est à peu près tout. Le roi se distingue surtout du reste de ses sujets en ce que c'est à lui que le village s'identifie. Une épidémie, plusieurs morts violentes et subites, une sécheresse persistante et, autrefois, des revers à la guerre ainsi que des invasions de sauterelles, et voilà le roi en grand danger d'être déposé pour incompétence mystique. Son « sang » n'est pas assez fort, sa chance — sa « blancheur » — n'est pas assez puissante aux yeux de Dieu, les sept « âmes » qui sont l'apanage d'un roi et que les Rukuba décrivent quelquefois comme ses gardes du corps, sont trop faibles et n'ont pas pu l'aider à prévenir les désastres. Il faut donc se débarrasser de lui le plus vite possible en le déposant. Muller Jean-Claude. La Royauté divine chez les Rukuba (Benue-Plateau State, Nigeria). In: L'Homme, 1975, tome
Il faut ici examiner le rapport précis de l’interdit des tabous avec le pouvoir . Alfred Adler fait justement remarquer que les tabous entourant la personne royale sont identiques à tous ceux qui concernent la vue du sang et le danger que le sang représente : femmes menstruantes ou accouchées, jeunes filles à la puberté, blessés portant des plaies ouvertes, meurtriers, etc. Dans ces sociétés, les personnes qui constituent une source de contagion sanglante — soit qu'elles saignent elles-mêmes, soit qu'elles soient venues en contact avec le sang, soit encore qu'elles aient enfreint, volontairement ou non, le tabou du sang — sont soumises au même ensemble d'interdits de contact et d'interdits sexuels et alimentaires, qui représentent autant de mesures de protection contre le danger. et l’auteur de présumer que si le chef sacré est soumis à ces interdits c’est qu’il a dû violer d’une certaine manière le tabou du sang.
. « A la question de savoir quelle est la violation qu'il commet, la réponse se présente immédiatement, car elle fait partie des données du problème : c'est la violation du tabou de l'inceste. Il est notoire, en effet, que les chefs et les rois des sociétés barbares ou archaïques, que Frazer a appelés « rois divins », descendent de familles incestueuses et commettent rituellement l'inceste . L'inceste fait partie des coutumes royales. Il est souvent pratiqué, ouvertement ou sous quelque forme déguisée, lors des cérémonies d'investiture, et trouve des références dans les mythes d'origine des dynasties. » Alfred Adler .OP. Cite
De l’inceste royal Luc de Heusch a révélé beaucoup de données et d’exemples montrant qu’il était fondé par les mythes : Ainsi le Reth, roi des Shilluk du Soudan Nilotique était considéré comme l'incarnation du héros mythique Nyikang et de son fils Dak ; Dak aurait épousé sa demi-sœur et Nyikang aurait imposé cette règle à ses successeurs . Le Reth était « prié » d'épouser une de ses demi-sœurs non utérines. Chez les Yoruba, le roi (Alafin) était le descendant mythique du dieu Schango, né de l'union incestueuse de l'ancêtre Ourangan avec sa mère elle-même issue d'un inceste. Selon Frobenius, la série des épouses du roi s'ouvrait par une « première femme » reconnue comme telle par le protocole, qui partageait probablement la couche du souverain, et qui était toujours sa sœur, issue du même père et de la même mère. Chez les Bushong du Kasaï le roi, une fois intronisé devait avoir des relations sexuelles avec sa sœur ou sa demi-sœur et par la suite se marier à une des petites-filles de ses sœurs. C’est qu’il incarnait Woot, le premier ancêtre, héros civilisateur, dispensateur de la fertilité, dont les neufs fils nés de l’union incestueuse avec sa sœur, ont créé le monde. L’intronisation du roi luba comportait un enfermement dans la « case des malheurs, sans aucune ouverture dans laquelle, dans laquelle il accomplissait l'union sexuelle avec sa nièce. Si l’inceste royale est la violation des tabous par excellence c’est qu'il enfreint l'interdit qui, en prohibant l'union entre consanguins, impose le système exogame régissant l'ordre social. ».le roi est « devenu un danger et pour lui-même et pour les autres » et en même temps, il est devenu apte à obtenir magiquement des résultats favorables tels que le maintien et l'accroissement de la fertilité des champs, de la fécondité du bétail et de tout ce qui est propre à assurer la prospérité des sujets ..
"Nous avons eu l'occasion d'indiquer, au sujet du forgeron d'Afrique et du trickster amérindien, océanien et africain, que les violations délibérées du tabou du sang (manipulations sanglantes, meurtres, et en particulier meurtres consanguins, inceste) sont censées déclencher un pouvoir magique de haute efficacité. Au pouvoir du sang, conçu comme une force dangereuse et malfaisante, utile parce que apte à éloigner ce qui est nuisible (on met, par exemple, des linges menstruels au cou des enfants pour tenir à distance les maladies), on prête ensuite la vertu de dispenser, non seulement ces biens négatifs que sont la protection contre le mal ou la défaite des ennemis, mais aussi des biens positifs, la chance, la richesse, des conquêtes, la prospérité. Le pouvoir du sang subit donc une surdétermination, mais, parce que cette élaboration psychologique est oubliée, ou bien n'a pas affleuré à la conscience, le pouvoir magique du sang — qui est le pouvoir magique tout court — s'empreint d'une ambivalence aiguë : il donne, indifféremment, tout le mal et tout le bien, restant dangereux à l'extrême dans l'un comme dans l'autre cas.» Luc De Heusch ,Ecrit Sur La Royauté Sacre. Editions De L’université De Bruxelles.
Cete ambivalence née de la violation des tabous du sang caractérisait la personne royale. Selon Alfred Adler, le roi des Jukun (Nigeria), par exemple,était accueilli par ses sujets, prosternés devant lui, aux cris de « Nos récoltes ! », « Notre blé ! », « Nos fèves ! », « Nos noix ! », « Notre pluie ! », « Notre richesse ! », « Notre santé ! ». Cependant, on ne lui permettait pas de visiter les champs au début de la pousse du blé, parce que les Jukun étaient persuadés que les récoltes en seraient ravagées par la force émanant de sa personne. Le roi apparaissait comme un dispensateur de médécines et il était entouré de fétiches qui présentaient le même caractère à la fois bénéfique et destructeur.Chefs et souverains s'identifiaient à ces objets, à ces médecines, qui étaient censés assurer la victoire sur l'ennemi et la prospérité et le bonheur du royaume, et qui représentaient en même temps les insignes de leur statut, les symboles de leur puissance magique.
Le roi des Makalaka du Béchuana , Mambo, prophète réputé, chef de tous les magiciens du territoire, était « l'homme capable de procurer toutes les médecine pour la chance et tous les charmes importants » La plus « grande » de ces médecines nyakyusa ,associée aux sang et aux excréments » et composée,du sang d'un python, était employée exclusivement par le chef. Le pouvoir de cette drogue terrible ressemblait à celui des sorciers. « une chose qui tue les gens » .Les pouvoirs du roi des Bushong étaient dus, dans la croyance de leurs sujets, aux charmes et aux médecines qu'il possédait . « S'il les porte sur lui, il ne traverse pas un champ par le milieu, car s'il passe, les récoltes périront toutes. ». Dans le cas d'autres objets magiques de la royauté, insignes, emblèmes ou amulettes, les matières d'origine humaine dont ils étaient t faits, ou le sang dont ils étaient oints ou inondés, constituaient à la fois la source de leur puissance magique et la raison de leur apparentement avec le roi qui possédait un pouvoir de même nature.
Le phénomène de l’intronisation et la violation des tabous du sang conféraient une propriété unique au chef ou roi et en le transformant lui-même dit Luc de Heusch en un « corps-fétiche » au service de l'ensemble d'une communauté . L’action du corps –fétiche pouvait renvoyer à l’activité sexuelle du roi qui répandait par celle-ci sa force germinative sur tout le pays. Les maladies qui frappaient le roi affectaient, à l’inverse, la vie de l’ensemble au même titre que ses souffrances, ses chagrins, ses rêves ou ses écarts de conduite. Lorsque le roi était en bonne santé, il communiquait donc la « vie » Celui qui reçevait le pouvoir devenait d’abord responsable de la fertilité des hommes et des bêtes ainsi que de la prospérité du pays ;la fonction violente représentée par la guerre étant du ressort d’un autre personnage (chef de guerre).le chef ou le roi n’ont rien à voir avec elle. La plupart du temps, le roi se tenait à l’écart de la violence, un double inversé le représente.. . Pour illustrer ce « fétiche vivant »Luc de Heusch cite les Nyakyusa de Tanzanie, dont le Lwembe, autorité morale et ritualiste suprême vivait reclus, parce que censé par son corps garantir la prospérité du pays ; « pouvoir de faire tomber la pluie, de procurer la nourriture, le lait et les enfants». Il reprend à ce propos le thème du régicide. le Lwebe était en effet rituellement étranglé peu avant sa mort ou enterré vivant lorsqu'il tombait gravement malade, pour éviter que les esprits, dont l'influence bénéfique s'étendait sur l'ensemble du pays, ne quittent le corps du roi à son der¬nier souffle. Avant l'exécution, l'on arrachait du corps vivant du Lwembe les ongles et des mèches de che¬veux et on enterrait ces précieux fragments de sa personne dans la boue pour maintenir la prospérité du pays . Il s’agissait ici ,parce que la que la personne royale est précisément le lieu où s'articulent l’ordre naturel et l’ordre culturel. de « devancer la fin naturelle du roi, de lui imposer une fin culturelle, comme si la société entendait se réapproprier le contrôle des forces cosmiques qu'abrité son enveloppe corporelle.
Un exemple singulier était celui du prêtre roi Evhe du sud, relaté par Albert de Surgy.: IL vivait confiné dans une forêt sacrée, en compagnie d'une promotion de jeunes épouses rituelles, d'une compagne, d'un gardien de sa personne et d'un gérant de ses biens. Il lui était interdit de travailler et d'avoir le moindre rapport sexuel. Sa fonction essentielle n'était pas de commander mais de prier. Toutes les décisions politiques étaient prises par ceux et celles qui vivaient dans son entourage. Il y lieu de penser qu'il était autrefois mis à mort au bout de 77 lunaisons. Comme la durée des règnes était inférieure à celle des interrègnes, ce prêtre-roi ne semblait intronisé que pour être en état d'exercer après sa mort un rôle d'éminent intermédiaire dans l'au-delà. Il ne disposait d'aucun palais mais était tenu de vivre dans une portion aménagée d'un reste de forêt primaire d'où tout signe de modernité était exclu. On ne s'y asseyait que sur des nattes. On ne devait pas y allumer de lampe-torche et y installer l'électricité. Il ne fallait y porter ni chaussures, ni bracelet-montre, ni chemise, ni pantalon. Les visiteurs ne pouvaient y pénétrer que la poitrine dénudée, les reins ceints d'un petit pagne.
Réclusion définitive, interdiction de travailler, interdiction d'avoir des rapports sexuels, en bref séparation complète d'avec le monde de la production, ne rendaient pas séduisantes aux yeux d'éventuels candidats la fonction de prêtre-roi. N’étaient guère disposés à l'assumer, et effectivement choisis pour l'assumer, que des hommes âgés ayant déjà été jusqu'au bout de l'expérience normale de la vie.(le dernier fut intronisé en 1967 jusqu’en 73).
Si l’on veut continuer à parcourir les éléments ambivalents fondant et légitimant le pouvoir sacré, outre le régicide, l’inceste royal et le rapport au sang, intervient le système du Don.. On a vu, à propos des Moundang et du mythe de Damba, que le phénomène du don présent dans les sociétés traditionnelles amérindiennes et océaniennes était aussi prégnant dans le rapport au pouvoir en Afrique. Damba avait reçu le pouvoir de la part des clans parce qu’à la place du chef autochtone, il distribuait de la viande en abondance. Ce phénomène du Don, que "L’essai Sur Le Don" de M.Mauss qualifie de" phénomène social total" , n’est pas notre conception comme acte libre et désintéressé . Il s’agit paradoxalement d’une forme d’obligation, à chaque étape d’une triade « donner, recevoir, rendre ».Le don n’est pas l’échange exogamique ni l’échange économique. Il peut être agonistique (ex les sociétés amérindiennes): on donne alors pour que l’autre n’ait pas les moyens de rendre et y perde prestige et pouvoir.
Les clans Moundang ont confié le pouvoir à un étranger Damba lequel était pourvoyeur de viandes . Ce qu’ils avaient reçu de lui ,ils lui ont « rendu » en lui donnant leurs filles sans dot , en lui conférant une maitrise cosmique ,(don de pierres de pluie ) ;il l’ont institué maitre des sacrifices et propriétaires des masques..
Ainsi les Mongo du sud-ouest du Zaïre où Luc de Heusch y souligne l’émergence , de chefs sacrés (nkumu) en marge de l’organisation lignagère. Ce pouvoir sacré était désigné du terme ekopo, qui renvoyait à la peau de léopard. Il contribuait au contrôle de l’ordre social et de l’ordre naturel. La société se composait de familles étendues placées sous l’autorité de patriarches, maîtres du sol. L’institution politique de l’ekopo était en rupture avec ce système patriarcal car le nkumu, choisi par un village ou un quartier, était toujours un étranger riche, capable d’effectuer les nombreux paiements liés à l’acquisition de sa charge. Le nkumu cumulait les fonctions de juge et de magicien-guérisseur ; par son intermédiaire les hommes communiquaient avec les ancêtres et les esprits de la nature (elima) surtout lorsqu’un fléau menaçait le territoire.. A ce titre, il présidait aux destinées du groupe, désignant l’emplacement des nouveaux villages et dirigeant les cérémonies funéraires au cours desquelles des libations de vin de palme étaient répandues sur les tombes « L’insigne principal de sa fonction est un chapeau de vannerie, orné de deux grands disques de cuivre. Curieusement, lorsque ce couvre-chef est présenté au nouveau nkumu, l’on assiste à un véritable marchandage. Le candidat commence par offrir un nombre dérisoire de barres de cuivre ; on le presse alors d’en donner davantage et la scène se répète jusqu’à ce qu’une centaine d’unités aient été livrées. Le poids économique de la charge est donc considérable. Comme le chef de lignage tetela, le nkumu ntomba accède à sa dignité par un véritable potlatch. A cet égard les deux institutions sont structurellement apparentées, bien que la seconde se sépare radicalement de la première par la nature même de la fonction.
Ces pouvoirs considérables s’acquièrent par des dépenses ostentatoires suivies d’une initiation qui porte la marque de la rupture. Le nkumu est véritablement un big-man investi d’un pouvoir rituel. Le candidat, le corps barbouillé de noir de charbon, commence par rendre visite à l’ensemble de sa parenté pour rassembler les nombreuses monnaies de cuivre qu’il devra distribuer pour acquérir la dignité de nkumu : celle-ci s’acquiert donc par une démonstration de générosité
Etrange marché à vrai dire. Il ne s’agit évidemment pas d’un acte de pure réciprocité car le potlatch, fût-il exorbitant, ne compense évidemment pas la créance perpétuelle que le nkumu détient sur le groupe. En fait, le nouveau chef est censé apporter par la voie des rites d’immenses bénéfices à la société. Et ce pouvoir est d’un ordre particulier, il ne prend pas sa source dans l’ordre familial. Au contraire, il lui est extérieur, il est d’ordre transcendant. » Luc De Heusch ,Ecrit Sur La Royauté Sacre. Editions De L’université De Bruxelles.
Entre 1988 à 1991, Daniel Lainé, journaliste et photographe de presse français, a passé 12 mois en Afrique. Au cours de ses séjours, il a parcouru le continent pour retrouver et photographier des figures royales et chefs de royaume. Toutes ces photos sont compilées dans un beau livre : Les Rois d’Afrique. on peut en voir sur le site: https://www.paperblog.fr/992841/rois-d-afrique/
On peut voir les magnifiques photos d'Alfred WEIDINGER SUR/https://vernaculaire.com/derniers-rois-dafrique-alfred-weidinger/
« Pourquoi en Afrique noire le pouvoir politique s'accompagne-t-il toujours de fonctions rituelles ? Ce lien entre pouvoir et sacré a été souvent souligné par les théoriciens de l'anthropologie politique, que ce soit pour tenter d'élucider « la nature sacrée du politique » ou de bâtir une « typologie de la sacralité du: pouvoir » De leur côté, les chercheurs de terrain ont montré comment s'interpénétraient responsabilités religieuses, et pouvoir politique. Les études se sont succédé, mais on ne peut dire que la réflexion théorique sur les raisons qui sous-tendent cette imbrication ait beaucoup progressé, peut-être parce qu'on établit un champ du politique, puis un champ du « religieux, qu'ensuite on cherche à mettre en relation. Ne vaudrait-il pas mieux oublier cette distinction si \ naturelle à un esprit occidental en décidant de se préoccuper « du pouvoir », tout simplement? Jeanne –Françoise Vincent .Princes Montagnards Du Nord Cameroun. L’Harmattan.
Les faits anthropologiques, tels qu’ils relèvent d’une constatation empirique des sociétés africaines, permettent d’élargir notre réflexion sur les faits politiques et enrichissent une théorie générale du politique. Ils nous obligent en retour à analyser nos propres concepts liés à notre propre histoire : l’État, la royauté, la nation, le politique, l’histoire linéaire , etc. La multiplicité des formes, complexes et hybrides du pouvoir, en Afrique traditionnelle, l’existence d’un pouvoir sacré voir magique ou sorcier, qu’on retrouve à la fois dans les sociétés « acéphales » et dans celles où le pouvoir est centralisé, interrogent notre conception d’une opposition binaire Etat /non Etat qui fonde la pensée politique « moderne à partir de Hobbes, soit la fondation de l’institution politique échappant à l’anarchie d’un état de nature. Ils interrogent aussi notre vision de l’histoire comme succession chronologique et linéaire en présence d’autres conception du temps de ces sociétés comme une histoire cyclique, des temporalités rituelles, l’organisation de la vie politique autour de calendriers. etc.)
« Frazer fut le seul, à notre connaissance, à inclure dans ce champ de réflexion la question de l'origine du pouvoir, et partant de l'institution politique. Du même coup il apportait, à une ques¬tion que lui-même ne s'était pas posée sur la nature du politique dans les sociétés primitives, un début de réponse consistant à lui refuser toute spécificité autre que celle d'un usage à des fins publiques, à des fins d'intérêt général, de pouvoirs magiques. C'est ainsi que « le roi divin » est censé capable d'exercer une influence sur le temps atmosphérique, faire tomber la pluie ou l'empêcher, arrêter la course du soleil, amener ou détourner les vents, etc., et, c'est parce qu'il est cause ou garant de la prospérité collective qu'il est promu à la dignité royale. Quoi qu'il en soit, tout expert en recettes, techniques et rites magiques, même si ceux-ci sont de la plus grande utilité publique, n'est pas pour autant un roi. S'il y a, pour certains magiciens et seulement pour certains, un devenir-roi, qu'en est-il donc de leur statut ? Un tel statut, lié nécessairement à une hiérarchie sociale, fût-elle réduite au simple dualisme du souverain et de son peuple, suppose que son possesseur ne se montre pas seulement capable d'exercer un pouvoir sur la nature, ce qui se réduirait à un acquis d'un apprentissage réussi, mais qu'il ait avec ce pouvoir un rapport si intime qu'on puisse le considérer comme une partie intégrante de sa personne et de celle-ci exclusivement. Et du même coup, un tel personnage se trouverait radicalement séparé du reste du corps social. », Alfred Adler .Le Pouvoir Et L’interdit .Albin Michel
Classiquement, on distinguait deux types d’organisation sociale dans les sociétés africaines traditionnelles, soit séparés, soit coexistant dans des formes diverses selon les aleas de l’histoire : Sociétés dites « acéphales », concept qui résultait de l’opposition traditionnelle, héritage de nos schémas de pensée en anthropologie entre sociétés sans Etat et sociétés avec Etat. Les sociétés acéphales seraient des sociétés qui ne seraient pas organisées sous une forme étatique, avec un pouvoir politique bien différencié. Elles sont aussi dites, soit segmentaires, soit lignagères. On a même parlé à leur propos d'« anarchies», pour les discréditer par ignorance et parce que la société coloniale privilégiait les sociétés disposant d'un pouvoir centralisé ; avec lesquelles on pouvait discuter et qui se chargeaient du prélèvement des impots par exemple. Le pouvoir colonial a, très tôt, affublé ces sociétés acéphales de chefs supérieurs et de chefs de village, pour les faire entrer dans une administration territoriale extérieure discréditant les chefs coutumiers. Avec les indépendances, la tendance ne s'est pas inversée, bien au contraire.
Les sociétés acéphales étant celles dépourvues d'Etat, au sens où nous l’entendons, ignorent le commandement politique d'un « chef » autre que celui de la communauté familiale et territoriale . L’organisation concerne les lignages, les clans, les villages, voire les classes d’âges (l’Est africain). Le territoire doit son identité à l’autorité sous laquelle il est placé et dont la légitimité est reconnue par tous ses occupants ou, à tout le moins, s’impose à tous quelle que soit la forme qu’elle revêt : instance réunissant les aînés de lignage et/ou des dignitaires détenteurs de fonctions rituelles éminentes (gérontocratie et/ou hiérocratie)
Un exemple les Kikuyu du Kenya où l'ensemble des pouvoirs était partagé par les "Anciens», les "guerriers" et quelques experts religieux, leaders de guerre ou "faiseurs de pluie". Ou encore conseils d’anciens superposés chez les Igbo du Nigéria. Un autre exemple type: la société Tiv, (Nigeria Et Cameroun) classique, société segmentaire, où le seul chef est l'Ancien de chacune des maisonnées. Dans une telle structure, chaque groupe de descendance occupe son territoire ; les unités familiales et politiques sont aussi multiples qu'égales entre elles.
En fait, la structure la plus commune sera celle, où l'unité territoriale comprendra plusieurs groupes de descendance, dont l'un, celui du fondateur, donnera souvent. la lignée de ceux qu'on appellera les "chefs" ou les « maitres de la terre » Le fondement sacré est alors celui des ancêtres, dont l’ancêtre du clan fondateur qui peut être un animal totémique comme le python arc en ciel.)
Dans un texte suggestif sur les Tetela du nord Kasaï, Luc de Heusch décrit le fonctionnement de ces sociétés segmentaires, où tout pouvait se régler lors de palabres, y compris du temps de l’administration belge. Le pouvoir était investi d’ordre familial chez les Tetela ; il n’était que l’extension au niveau du lignage (plus ou moins étendu) du pouvoir du père. Il n’impliquait aucune mainmise sur les hommes et les produits de leur travail. Il se monnayait dans une économie de potlatch où il importait de se dépenser sans arrêt. Tout était simple affaire de prestige . Maître théorique de la terre le chef de tribu, pas plus que le chef de lignage, ne détenait de pouvoir magico-religieux. Seuls les devins-guérisseurs, regroupés dans la même association que les forgerons, avaient la faculté d’entrer en rapport avec les esprits errants de la nature (edimu) qui constituaient l’une des sources majeures du malheur et de l’infortune.
« Tranquillement, sans aucune solennité mais avec fermeté, les Tetela rendaient la justice à l’ombre d’un palmier, devant le vieux chef Kokolomami étendu dans son transatlantique, très digne et comme détaché, tandis que les femmes indifférentes vaquaient à leurs travaux. Quelques badauds se rassemblaient autour des juges, chefs de lignage ou simplement hommes à la sagesse reconnue. Le plaignant, généralement, se plaignait de sa femme ou de son gendre. Ou une femme de son mari. Beaucoup de palabres se déroulaient ainsi au village, bien que l’Administration coloniale eût mis sur pied un appareil judiciaire formalisé. Si les juges à la façon ancienne n’avaient rien de magistrats, les chefs ne répondaient pas précisément à l’idée bureaucratique que s’en faisait le colonisateur. J’ai mis bien du temps à comprendre ce qu’était, aux yeux de quelques milliers de Yenge, cet horizon sociopolitique, fondé sur l’autorité de ceux que l’on considérait comme des Aînés (enundu), c’est-à-dire, idéalement, les aînés de la branche aînée d’un lignage patrilinéaire. La société yenge se définit elle-même comme un ensemble de groupes de descendance emboîtés, issus de père en fils du même ancêtre. Kokolomami, chef du lignage aîné issu de l’ancêtre Yenge, était désigné comme le maître de la terre (owandji wa nkete), mais, singulièrement, les cultivateurs, qui choisissaient librement leurs champs, ne devaient aucun tribut agricole. Kokolomami recevait seulement, à titre d’hommage, une part du grand gibier abattu et tous les léopards. Qui plus est, dans chaque lignage, celui qui se trouvait en position généalogique d’Aîné était en droit de réclamer le même privilège ; assisté des Aînés des divers segments composant son lignage, il présidait le tribunal informel chargé de trancher les palabres concernant l’un des siens.
La société yenge est de type segmentaire, comme l’ensemble du groupe linguistique tetela auquel les Yenge appartiennent : il est composé traditionnellement d’une multitude de communautés familiales autonomes, organisées sur le même modèle décentralisé. Chacune d’elles est désignée du nom de celui qui est censé être l’ancêtre fondateur. Pas de pouvoir central, pas de coercition physique, sinon en cas de meurtre. Nous sommes habitués à ce que le pouvoir réclame le tribut ou exige l’impôt : c’est là l’assise même de l’autorité politique. Eh bien, c’est exactement le contraire dans la société tetela traditionnelle. Les Aînés de lignage, à qui la qualification de « chefs » s’applique à vrai dire fort mal, sont tenus d’entretenir constamment leur prestige par des dons ostentatoires. Loin d’être autoritaire et accapareur de biens, l’Aîné doit se montrer généreux, dispenser nourriture et biens matrimoniaux, notamment à l’occasion des cérémonies de deuil qu’il organise en l’honneur d’un proche défunt. Mais surtout lors du grand potlatch d’investiture, qui lui donne le droit de danser une fois dans sa vie avec la peau de léopard. Les formes du pouvoir traditionnel en Afrique équatoriale. Luc de Heusch
Evans Pritchard dans son étude sur les Nuers du Soudan a pour sa part caractérisé« l’anarchie » de la société nuer. Celle-ci était segmentée à l’intérieur d’une tribu( notion toute relative et n’existant de fait qu’en cas de conflit avec des ennemis étrangers comme les Dinka.) en unité autour d’un lignage dominant et son territoire, segments eux-mêmes divisées à leur tour et habituellement éloignées des autres, voire en conflit avec eux .Chaque segment ne s’unissait à certains autres que pour guerroyer contre des tiers .les Nuers semblaient ainsi en état intérieur de guerre perpétuelle en raison de l’institution de la vendetta entre lignages, raison de vider querelle à propos d’une vache ou d’une chèvre .La seule instance « transcendante aux lignages et aux segments étant une sorte d’arbitre des vendettas : « le chef à peau de léopard » qui appartenait à des lignages particuliers et pas des plus importants . Son pouvoir apparaissait bien mince et le titre de chef pas très évident . Outre son intervention dans les vendettas pour arbitrer et proposer des dédommagements, il avait une association mystique avec la terre et en tirait quelques possibilités de malédiction utiles comme menace dans les négociations mais qu’il n’employait jamais en réalité et quelques pouvoirs de faiseurs de pluie dont les Nuers ne faisaient pas grand cas. Outre ce personnages, d’autres jouissaient d’une certaine autorité sans caractère politique mais fondée sur des aptitudes rituelles voire particulières. Ainsi « l’homme du Bétail » qui appartenait à des lignages possédant des aptitudes rituelles à soigner les bêtes malades, ou ceux qui entretenaient des rapports particuliers avec l’esprit du totem ou les possesseurs de fétiches puissants. Il en était de même des guérisseurs et des devins. Si l’on veut voir où résidait l’autorité réelle , elle appartenait aux anciens des lignages importants « les enfants du taureau », quoique sans statut exact ni pouvoir institué .Comptaient seuls le lignage , l’âge, la famille et le nombre d’enfants comme les alliances matrimoniales, la richesse en bétail ,les prouesses guerrières ou le talent oratoire
« On apaise donc les conflits grâce au chef à peau de léopard, qui joue un rôle mineur dans le règlement d'autres affaires que celles d'homicide. On pourrait croire que ce fonctionnaire jouit d'une grande autorité, mais il n'en est rien . En vérité, on peut dire des Nuer qu'ils n'ont pas de gouvernement, comme nous avons vu qu'ils n'ont pas de lois, et pour les mêmes raisons. Voyons d'abord, en quelques lignes, quelles sont les qualifications rituelles du chef à peau de léopard; nous évaluerons ensuite le rôle qu'il joue dans les conflits et disputes. Si l'on s'en rapporte aux quelques notations que les premiers voyageurs nous ont laissées sur ce point, il n'apparaît pas que les Nuer aient connu des personnages de grande autorité 1. Les premiers officiers britanniques qui pénétrèrent chez eux exposent en termes très nets cette absence de personnalités investies d'une autorité suffisante, ou (à l'exception de quelques prophètes) assez influentes pour qu'on pût appuyer sur elles un système administratif. Ces tout premiers rapports 2 nous décrivent des « sheikhs » sans grand ascendant, en qui nous pouvons sans doute reconnaître les chefs à peau de léopard, comme les Européens les appelèrent par la suite.
Je soutiens que voir dans le chef à peau de léopard un agent politique ou une autorité judiciaire, c'est mal comprendre la constitution de la société nuer, c'est s'aveugler sur ses principes fondamentaux : il me faut donc rendre raison du rôle que le chef joue dans le règlement des différends. Nous avons vu qu'il ne détient aucune autorité judiciaire ni exécutive. Connaissant d'un homicide, « n'est pas chargé de décider du bien-fondé de la cause. Il ne viendrait jamais à l'idée d'un Nuer qu'on réclame là un jugement. De même il n'a aucun moyen de contraindre les gens à livrer ou accepter le bétail de sang. Il n'est pas épaulé par des parents puissants, ni par une populeuse' communauté. Médiateur il est, sans plus, dans une situation particulière, et médiateur heureux pour la seule raison que l'une et l'autre partie reconnaît les liens communautaires du moins pour l’heure et souhaite éviter l’aggravation des hostilités. Evans-Pritchard .les Nuers tel. Gallimard.
Les Dinka, voisins des Nuers, peuple nilotique d'agriculteurs-pasteurs du Sud Soudan n’avaient de même aucune organisation politique constituée mais des médiateurs de conflits à l’intérieur des clans. Il existait cependant deux catégories de clans et une hiérarchie entre elles : les bany, ceux qui exercent des fonctions rituelles particulières, une sorte de prêtrise, et dont le symbole était la lance sacrée de pêche, et les kic , les clans du commun, ceux qui fournissaient aussi les guerriers. Un sous clan des premiers avait pour prérogative la maîtrise de la terre et un autre celle de détenir la fonction de « maître de la lance de pêche ». Ces deux dignitaires tribaux étaient dans un rapport d'oncle à neveu utérin, la position aînée et donc prééminente étant évidemment dévolue au « maître de la lance de pêche ».Parmi les clans guerriers, l’un des sous clans détenait la fonction de maître de la guerre.
De très belles photos des Dinka sur: jean-marc.killian.overblog.com/2015/05/les-dinka-un-groupe-ethnique-nilotique-merveilleux-du-soudan.html
Un dernier exemple concerne les Maka de l’est de Cameroun étudié par Peter Geschieredu point de vue de la sorcellerie. Les Maka présentent l’intérêt du passage entre deux formes d’organisation :une forme profondément égalisatrice et rebelle(ils opposèrent une résistance farouche aux Allemands, premiers colonisateurs du Cameroun), jusqu'à leur soumission et l’imposition de l’ordre colonial centralisé. L’ordre traditionnel des Maka présentait tous les traits d’une « société segmentaire », « tribale », constituée de petits villages de familles (probablement une centaine d'habitants) complètement autonomes. Entre ces villages, il y avait bien sur toutes sortes d'échanges —-entre villages apparentés, mais sans aucune autorité. Chaque village était formé autour d'un segment patrilinéaire où les ainés regroupaient femme et enfants dans une case des ainés et exerçaient leur autorité sur eux. Ils formaient un conseil des ainés pour gérer les affaires du village.
Les colonisateurs allemands puis français les considéraient comme primitifs : « manque de sens pour former des états » disaient les premiers. Pour les soumettre et mieux les forcer à produire (exploitation du caoutchouc), ils les forcèrent à une toute autre organisation. Les familles qui constituaient autrefois des villages autonomes furent obligées de sortir de la forêt et de s'établir avec d'autres groupes, sou¬vent non apparentés, dans des villages plus vastes le long des pistes nouvelles. Ainsi, la population serait mieux « encadrée ». Le gouvernement créa en outre un nouveau type de chef, dont l'autorité s'étendait sur des dizaines de villages ; des chefs nommés bizarrement « chefs coutumiers » alors que c’était une grande nouveauté pour les Maka. A l’époque des « indépendances », le pouvoir politique nouveau se moula sur cette organisation en s’appuyant sur le parti unique et une élite scolarisée et urbanisée. Une administration toujours plus centralisée (ministres, préfets, sous-préfets, chefs de canton etc., issue du parti unique ,va alors anéantir toujours plus le pouvoir des anciens et monopolisa les marques de prestige traditionnel (la polygamie) et contemporain (la Mercedes)
Il semble donc qu'on ne puisse pas parler de "chefferie" lorsque chaque « chef » n'est que le représentant de son groupe et de quelques éléments étrangers sur son territoire ancestral . Il n’y a véritable chefferie que lorsqu'un groupe de parenté étend sa domination à l'extérieur de son territoire d'origine. Il y a alors recherche d'un monopole du pouvoir sur l'ensemble des communautés territoriales du groupe ethnique. Qu’est-ce donc qui va constituer une chefferie ou un royaume ?(celui-ci n’étant qu’une extension du premier type et un degré supplémentaire de centralisation. ? Quel élément nouveau donne au chef ou roi son véritable statut? On peut énumérer plusieurs caractères :
Le caractère héréditaire et permanent mais à situer à l’échelle du lignage royal , (parce que celui d’un chef ou roi particulier reste temporaire, fragile, voire épisodique, avec des interrègnes qui peuvent être très longs). Une première condition nécessaire mais qui n'est pas suffisante, car tout chef de famille ou de clan, certains experts religieux, comme "l'homme à peau de léopard" des Nuer, ont des fonctions présentant ce caractère. Le second caractère d'une chefferie sera sa dynamique spatiale, c'est-à-dire le mouvement d'expansion d'un groupe(conquête ou migration) à l'extérieur de son territoire ancestral. On voit que la question du pouvoir centralisé concerne en premier lieu la maitrise de l’espace. Au maitre premier et producteur de la terre vont se superposer les « gens du pouvoir », maitres d’un espace politique par la centralisation.
Les évolutionnistes ont théorisé cet avènement comme le passage d’une organisation sociale fondée sur les liens de parenté (ou du sang, comme on disait communément) à des chefferies ou royauté, accompagnée ou non d’une administration à caractère étatique, dotées de prérogatives impliquant une certaine capacité d’exercer des contraintes sur la population aux fins de maintien de l’ordre. La domination d’un roi est souvent, à l’origine, le fait d’une migration (Abomey, Moundang ) ou d'une conquête (les Moose ou Mossi) qui s'imposent par la force ou par le prestige, de la part d'un groupe étranger. Le groupe conquérant ou dominant contrôle les rouages, de l'appareil de domination: appareil militaire, fonctionnaires royaux, commandement des villages dépendants,(les enfants du roi sont chefs de village), associations et conseils, sans pour autant que ce contrôle soit absolu et n'autorise pas l'existence de contre-pouvoirs, celui des maitres de la terre , par exemple. En réalité le système est plus complexe que la simple domination de conquérants. Les lignages et clans coexistent avec ce pouvoir étranger, dans des syncrétismes divers qui font que le despotisme reste absent. Ainsi le roi d’Abomey s’il impose un culte d’Etat et le vodun (panthère) de son lignage ,intègre dans le panthéon , les vodun des ethnies soumises.
Des envahisseurs guerriers, les Moose,(Mossi) ont constitué au Burkina Faso un ensemble de royaumes dont l'un des plus importants est celui du Yatenga. Le roi du Yatenga disposait d'un nombre considérable de serviteurs et d'officiers du palais à sa dévotion ; il régnait effectivement sur un ensemble de villages où le pouvoir était aux mains des gens de son lignage, détenteurs comme lui de l'autorité naam ,de nature héréditaire. Pourtant, pour être légitime et dispensateur de bienfaits, pour n’être pas seulement chef mais roi (rima),il était censé posséder la « puissance » (panga) qui sacralisait son pouvoir et qui n’était reçue que lors de l’intronisation .Celle-ci ne s’obtenait qu'au terme de l’alliance avec les maîtres de la terre appartenant dans chaque village, à des groupe autochtones, jamais à celui des « gens du pouvoir »
« Le sacre (l’intronisation du rima ,du roi ) est la manifestation culminante d’un voyage qui conduit le souverain de la localité royale où résidait son prédécesseur (et où il a été intronisé naaba (chef ) à celle où il a choisi de résider, en passant par la localité résidentielle du fondateur de la dynastie, Tangazugu, où se déroule la cérémonie qui transforme le naaba en rima. L’ensemble de ce périple est appelé ringu, mot dont on vient de voir qu’il signifie « royaume ». Le ringu comprend deux parties. La première, qui conduit le roi de la localité royale où il a été nommé à Tangazugu, revêt un double aspect : 1) par le moyen d’une suite de sacrifices qui sont effectués sur des autels de la terre des localités royales, actuelles et anciennes, qui constituent le « domaine royal » le nouveau roi renouvelle l’alliance du pouvoir et de la terre ; 2) dans le même temps, d’étape en étape, il acquiert toute une série de signes de souveraineté : interdits alimentaires, ustensiles individuels, premier cheval cérémoniel, porteurs de regalia, etc. Le roi arrive à Tangazugu en situation de pouvoir être intronisé rima. Au départ de Tangazugu commence la seconde partie du ringu, qui fait systématiquement contraste avec la première : le futur roi en quête de l’onction de la terre est devenu pleinement roi, celui qui, pendant la première partie de son voyage, a « donné » (des cadeaux en nature, des femmes, dont les destinataires sont principalement les maîtres de la terre ordonnateurs des sacrifices faits sur les autels de la terre), commence à « recevoir »….. A suivre notre hypothèse, ce serait pendant la première partie du ringu que le futur rima se rendrait progressivement maître de la « force », par la médiation de la « terre » Le pouvoir et la terre fondent ensemble la légitimité du pouvoir du roi, que valident à la fois l’ancestralité du pouvoir – la suite des rois – et l’autochtonie liée au monde de la terre »…Michel Izard, « De Quelques Paramètres De La Souveraineté », Systèmes de pensée en Afrique noire
Autre exemple, celui des Moundang du Tchad .Etre Moundang ,c’était d’abord être membre d’un clan autochtone mais au 18ème siècle apparait un état royal autour de la ville de Léré. Il fut, d’après certains historiens, le résultat d’éléments migrants suite à l’éclatement d’un empire central. Le mythe fondateur raconte une toute autre histoire. Celle d’un pays où le chef de terre, peu efficace et pingre , se voit supplanté par Damba,héros fondateur étranger, prince fugitif d’un autre royaume et chasseur performant à qui les clans confient délibérément le pouvoir en échange de dons abondants de viande ; il devint ainsi chef de Leré (Gö-Lere) sous le nom de Daba et sa lignée (Gö-Daba)règne encore. On trouve assez fréquemment en Afrique, dit Alfred Adler, des mythes d'origine qui sont à la fois des récits de création de la terre et de l'humanité primitive qui l'a peuplée ou des récits qui décrivent le passage d'un mode de vie à un autre considéré comme supérieur. L'histoire de Damba correspond à cette fonction. Le héros ne crée point ex nihilo mais donne forme — une forme supérieure, plus achevée — à ce qui existe déjà. Damba devient le roi d'une population jusqu’ici organisée en clans patrilinéaires et porteurs de noms de type « totémique » mais numériquement faible, pauvre en ressources et dotée d'une organisation politique rudimentaire, c'est-à-dire seulement clanique. Lui succéda ainsi un royaume fort capable de tenir tête aux Peuls, desquels il emprunta par ailleurs nombre de modes de vie.
La conquête ou la migration sont remplacées symboliquement et légitimée dans le mythe par un système de contre/don (le don de viande par Damba symbole d’abondance) où le détenteur du pouvoir doit d’entrée être un dispensateur de fertilité et de prospérité. Dans « La Mort Est Le Masque Du Roi », Alfred Adler montre comment la royauté moundang s’articule au système des clans. Face au roi, seul personnage hors clan mais aussi, en tant qu'étranger, hors terre, les Moundang, maîtres du sol, sont organisés en clans patrilinéaires et exogames. Pour ne pas risquer de déstabiliser « l'alliance inaugurale » entre les anciens et Damba, aucun clan ne doit se lier de manière privilégiée au roi. D’autre part le clan royal d’origine va subir un processus de roturisation. Au bout de trois générations, les descendants des fils de roi se perdent dans le peuple. Les princes obtiennent la chefferie d'un village mais les fils qui leur succèdent n'ont que le simple titre de « chef de lance » ; et les fils de ces derniers seront supplantés par l'arrivée de nouveaux princes aux postes de commandement. Ce processus d'extinction des lignées de souche royale empêche la constitution d'une aristocratie qui déséquilibrerait l'harmonie duelle du système. Les clans eux sont strictement sans ordre hiérarchique, à part quelques fonctions rituelles. Le système est continuellement en tension centrifuge et centripète :Comme exemple entre ces deux pouvoirs, l'auteur expose les manières divergentes dont ils administrent la justice. La loi clanique affirme le droit à la vengeance, comme chez les Nuers, elle produit des scissions. le pouvoir royal a une action centripète et unificatrice. C’est pour cette raison que le roi est « hors clan.
Ainsi les Mofu du nord Cameroun, étudiés par Jeanne-Françoise Vincent : un peuple montagnard, de moyenne altitude et d’environ 40000 personnes, cultivant le mil et implantés en « massifs » ; le terme désignant à la fois la situation géographique et les diverses chefferies. On distingue les Mofu du nord où le pouvoir politique est peu apparent, dispersé en quartiers , des Mofu « des chefferies », au sud et à l'est, où règnent de vrais souverains, les « princes montagnards .Tous y reconnaissent l’autorité du prince en suivant ses ordres religieux. Il a en effet le pouvoir de décider seul des sacrifices aux ancêtres et aux « esprits de la montagne » que ces sacrifices soient menés par les « chefs de quartier » ou par lui-même pour agir sur la pluie ou la sècheresse. Pour les montagnards mofu, le pouvoir d'accorder ou de refuser l'eau était le signe du pouvoir politique traditionnel. Leurs princes étaient doublement liés à l'eau : ils avaient jadis l'exclusivité du creusement des puits, faisant jaillir pour leurs sujets l'eau sur les montagnes. Ils étaient aussi et surtout les maîtres des pluies, qu’ils devaient savoir faire tomber ou retenir. Ce pouvoir du prince et des chefs de nature magique et religieuse était intimement lié à diverses « pierres de pluie qu’un chef devait absolument posséder en grand nombre ,marque symbolique de sa puissance.Il y avait donc une étroite association entre la pratique religieuse (magique accessoirement) et l'autorité politique, pouvoir qui s’est affaibli désormais avec la conversion au Christianisme des Mofu.
« L'exemple mofu invite à considérer politique et religieux comme les visages différents d'une même réalité . ….« Dans les grandes chefferies, être prince c'est se doter d'un surplus de sacralité en affirmant le caractère supérieur de son » esprit de la montagne » (mbolom). ..« Sans lui, pas de fêtes religieuses sur l'ensemble de la chefferie. Ses responsabilités ne s'arrêtent pas là. Il offre lui aussi des sacrifices, valables cette fois pour toute l'unité politique qu'il commande. Seul, en particulier, il peut se charger des sacrifices amenant : les pluies et, inversement, des rites pouvant les arrêter. C'est là seulement, en s 'affirmant comme « maître de la sécheresse » — bienfait parfois, fléau le plus souvent — qu'il agit véritablement en prince. Non seulement chez les Mofu le pouvoir a partie liée avec le sacrifice mais une dimension symbolique lui est indispensable. Le prince de Wazang, interrogé sur son rôle, commençait par- rappeler; la nature de son pouvoir. « Je commande ma montagne », expliquait-il. Mewey, « commander » signifiant littéralement « mesurer largement », le prince est celui qui maintient son groupe dans un cadre, dans des normes, en compensant cette rigueur, par une générosité qui est sa marque distinctive. Et le prince de Wazang illustrait ses explications sur ce « commandement » en poursuivant : « Je suis chef des sacrifices; Personne ne peut commencer à célébrer une fête si je ne l'ai pas dit;.» Il n'est pas indifférent' de constater, qu'entre toutes les responsabilités d'un prince — agricole et économique, judiciaire ou guerrière — le prince de Wazang choisissait de parler d'abord de son: pouvoir en matière religieuse. » Vincent Jeanne-Françoise. Le prince et le sacrifice : pouvoir, religion et magie dans les montagnes du Nord-Cameroun. In: Journal des africanistes, 1986, tome 56, fascicule 2
Les mythes fondateurs vont ainsi à la fois légitimer et sacraliser la conquête ou la migration mais lui mettre de fait des limites dont il ne pourra s’abstraire sans perdre son caractère sacré. Le pouvoir effectif ne durera que le temps que le roi pourra remplir cette obligation .Ainsi à côté de l’histoire réelle ,conquête ou migration , on trouve donc la tradition orale mythique des fondements qui va faire du détenteur du pouvoir, quel que soit la forme précise que prend celui-ci, un personnage sacré. Les mythes de la puissance royale, fondent un ordre symbolique nouveau. Celui-ci se construit en théorie,(en pratique toutes les formes et tous les syncrétismes sont possibles), en rupture avec l'ordre symbolique premier tel que l'anthropologie (Levi-Strauss)l’a étudié , celui des rapports de parenté et des règles de mariage exogamique ;rupture aussi avec les principes de l'organisation territoriale autour des groupes de descendance, familles domestiques ou étendues , lignages et clans. Cette symbolique du pouvoir comme sacré est donc à distinguer de l’étendue et de la nature réelle de ce pouvoir : despote régnant sur des multitudes ou chef spirituel veillant seulement sur une petite communauté ne comprenant que quelques villages. Un tel pouvoir sacré peut émerger, y compris chez les Nuers, lorsque des envahisseurs menacent. Des prophètes, personnages en contact avec les ancêtres et le monde des forces invisibles réalisent alors l’union de plusieurs tribus pour les combattre .
. « Penser la royauté, c'est-à-dire penser l'imbrication de la structure symbolique qui sous-tend le statut de souverain - lequel relève simultanément de l'ordre de la magie et de celui de la religion - avec les structures sociales, implique donc de rechercher les conditions de possibilité de l'émergence, non pas de tel régime politique ou de tel type d'Etat, mais d'un ordre politique à proprement parler L'instauration d'un tel statut est concomitante de ce que nous désignions comme un « ordre symbolique nouveau », un ordre du second degré résultant d'un retournement de l'ordre symbolique premier. Nous sommes ainsi poussé vers un raisonnement analogique qui semble s'imposer : de même que toute analyse d'un système particulier de rôles et d'attitudes de parenté exige que l'on remonte à la règle de prohibition de l'inceste qui est au principe de l'échange matrimonial, les règles spéciales qui sont appliquées à la personne du souverain — le meurtre rituel au terme d'une période donnée et, bien sûr, l'union incestueuse et toute autre forme de transgression ou d'interdit — trouvent leur fondement dans un retournement ou un certain brouillage (d'où, par exemple, la grande fréquence de l'assimilation du roi à un jumeau) de l'ordre symbolique premier. Dès lors, si nous cherchons à mettre au jour ce que nous appellerons les composantes élémentaires de la puissance royale, nous dirons que celles-ci nous sont données en négatif avec les éléments relevant d'un ordre symbolique nouveau. Celui-ci, en effet, se construit en rupture avec l'ordre symbolique premier tel que l'anthropologie nous permet de le concevoir". Alfred Adler .Le Pouvoir Et L’interdit .Albin Michel
Les carnavals masqués , continuent à rendre hommage aux mythes anciens un peu partout . Habillé sous forme de chèvre, de diable, d’ours ou de monstre avec mâchoire en acier, « l’homme sauvage » appartient au monde de ces mythes.
Le photographe Français Charles Freger découvre le Krampus ) à Salzburg lors d’une mascarade. - créature démoniaque, née dans des pays comme l’Autriche, la Bulgarie ou la Slovénie. Fasciné par la rencontre, il se mit à la recherche des divers figures du mythe dans une chasse photographique à travers, ce qu’il appelle « l’Europe tribale ».
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