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(...) Je crois qu'il a été dit sur mon compte tout ce qu'on devait dire et tout ce qu'on devait ne pas dire. Je désire uniquement le silence, le silence, et encore le silence. Qu'on me laisse mourir tranquille, oublié, et si je dois vivre, qu'on me laisse encore plus tranquille et oublié : Qu'importé que je sois élève de Bernard ou de Sérusier! Si j'ai fait de belles choses, rien ne les ternira ; et si j'ai fait de la merde, pourquoi aller la dorer, tromper les gens sur la qualité de la marchandise ? En tout i cas, la société ne pourra pas me reprocher de lui avoir pris beaucoup d'argent dans sa poche, au moyen de mensonges. (...)A Monfreid novembre 1897 Tahiti
« Violence, monotonie des tons, couleurs arbitraires, etc. Oui, tout cela doit exister, existe. Parfois, cependant, volontaires. Ces répétitions de tons, d'accords monotones, au sens musical de la couleur, n'auraient-elles pas une analogie avec ces mélopées orientales chantées d'une voix aigre, accompagnement des notes vibrantes qui les avoisinent, les enrichissant par opposition ? Beethoven en use fréquemment (j'ai cru le comprendre) dans la Sonate pathétique, par exemple. Delacroix avec ses accords répétés de marron et de violets sourds, manteau sombre vous suggérant le drame. Vous allez souvent au Louvre : pensant à ce que je dis, regardez attentivement Cimabue. Pensez aussi à la part musicale que prendra désormais la couleur dans la peinture moderne. La couleur qui est vibration de même que la musique est à même d'atteindre ce qu'il y a de plus général et partant de plus vague dans la nature : sa force intérieure….
« Ici, près de ma case, en plein silence, je rêve à des harmonies violentes dans les parfums naturels qui me grisent. Délice relevé de je ne sais quelle horreur sacrée que je devine vers l'immémorial. Autrefois, odeur de joie que je respire dans le présent. Figures animales d'une rigidité statuaire : je ne sais quoi d'ancien, d'auguste, religieux dans le rythme de leur geste, dans leur immobilité rare. Dans des yeux qui rêvent, la surface trouble d'une énigme insondable. Et voilà la nuit -tout repose. Mes yeux se ferment pour voir sans comprendre le rêve dans l’espace infini qui fuit devant moi et j’ai la sensation de la marche dolente de mes espérances. » lettre a Andre Fontanas mars 1899 Tahiti
Gauguin a quitté Tahiti en avril 1893 pour arriver à Marseille trois mois après, plus pauvre et plus malade que lorsqu'il était parti. Le petit héritage d’un oncle lui permet de faire taire ses créanciers et de louer un atelier rue Vercingétorix. Pendant ce temps, ses rapports avec sa femme se sont encore envenimés (elle a vendu des tableaux de sa collection sans lui demander son avis). Quant à Mette, elle aurait voulu gérer personnellement l'héritage reçu par son mari. Sur les recommandations de Degas, qui admire toujours ses peintures, la galerie Durand-Ruel organise la première grande exposition consacrée à Gauguin. Ainsi, du 4 novembre au 1er décembre 1893, sont présentées plusieurs sculptures sur bois, et quarante-quatre toiles (trente-huit de Tahiti et six de Bretagne) qui font grand bruit. Malgré l'enthousiasme qu'elles provoquent chez les jeunes nabis et chez Mallarmé qui juge « extraordinaire qu'on puisse mettre tant de mystère dans tant d'éclat », la majorité du public ne comprend pas l'art de Gauguin,ni les titres maoris de ses œuvres. Onze toiles seulement seront vendues.
Gauguin cherchait à surprendre par son attitude et sa tenue excentrique et, espèrant un peu naïvement attirer l'attention.il y vit avec annah,une métisse javanaise de treize ans . Gauguin a transformé son atelier de la rue Vercingétorix en un lieu exotique, décoré de peintures, photographies, trophées, armes, sculptures sur bois, tissus et autres objets polynésiens. Sur la porte d'entrée, il a écrit Te faruru (Faire l'amour) et illustré cette inscription d'une série de peintures erotiques.Ces vingt-deux mois passés à Paris seront surtout consacrés à l'écriture de NoaNoa .
Gauguin retourne en Bretagne en compagnie d'Annah, mais tout a changé : il perd un procès intenté en vain pour récupérer des toiles laissés en gage à l’auberge du Pouldu. Annah est le prétexte d’une rixe avec des pécheurs au cours de laquelle il a une jambe cassée. Il tente de reprendre son rôle de mentor auprès des peintres de Pont-Aven, mais ceux-ci ont suivi leur propre voie et s'intéressent moins à ses leçons. Annah finit par disparaitre emportant les objets de valeurs. Déçu, triste, en très mauvaise santé, Gauguin rassemble tous ses tableaux et les fait vendre aux enchères à l'Hôtel Drouot, le 18 février 1895. C'est un véritable échec : seulement dix des quarante-neuf toiles trouvent alors preneur.
« Tous ces malheurs successifs, la difficulté de gagner régulièrement ma vie malgré ma réputation, mon goût pour l'exotique aidant, m'ont fait prendre une décision irrévocable. En décembre, je rentrerai et je travaillerai à vendre tout ce que je possède, soit en bloc, soit en partie. Une fois le capital en poche, je repars pour l'Océanie, et ce sera pour toujours. »
Le second séjour de Gauguin à Tahiti fut beaucoup plus dramatique que le premier.
On avait fait de nombreuses promesses au peintre ; des marchands, des amateurs s'étaient engagés à lui envoyer de l'argent en échange de toiles. Mais dès que l'artiste se trouva aux antipodes, on ne songea plus à lui. Seul, un homme lui apporta le réconfort de son amitié : Georges-Daniel de Monfreid. Correspondant en France de Gauguin, Monfreid s'entremit de mille pour lui procurer de l'argent et pour le réconforter dans ses moments de désespoir.
Le 28 juin 1895, Gauguin quitte Marseille pour Tahiti.son voyage, qui dure deux mois, est interrompu par deux étapes, l'une à Port-Saïd, et l'autre à Auckland, en Nouvelle-Zélande, où il peut étudier les collections d'art maori du Musée d'ethnologie. En septembre, il arrive à Tahiti. Il a quarante-sept ans, peu d'argent en poche, et malade. Il souffre des séquelles de sa fracture de la jambe, de problèmes cardiaques et d'éruptions cutanées. En outre, il abuse de l'alcool et a contracté la syphilis auprès d'une prostituée .
A l'heure où je reçois votre aimable lettre je n'ai pas encore touché un pinceau si ce n'est pour faire un vitrail dans mon atelier. Il m'a fallu rester à Papeete en camp volant, prendre une décision ; finalement me faire construire une grande case tahitienne dans la campagne. :' Par exemple c'est superbe comme exposition, à l'ombre, sur le bord de la route, et derrière moi une vue de la montagne épastrouillante. Figurez-vous une grande cage à moineaux grillée de bambous avec toit de chaume de cocotier, divisée en deux parties par les rideaux de mon ancien atelier. Une des deux parties forme chambre à coucher avec très peu de lumière pour avoir: de la fraîcheur. L'autre partie a une grande fenêtre en haut pour former atelier. Par terre, des nattes et mon ancien tapis persan : le tout décoré avec étoffes, bibelots et dessins.
Je vais cesser cette vie de patachon pour prendre une femme sérieuse à la maison(ce sera PAHURA qui lui donnera un fils Emile) et travailler d’arrache-pied, d'autant plus que je me sens en verve et je crois que je vais faire des travaux meilleurs qu'autrefois. A Monfreid novembre 1895
Les tableaux de Gauguin se vendent mal en métropole. Pour survivre, l'artiste doit se mettre à travailler pour le cadastre de Papeete; il dessine des plans et copie des documents pour six francs par jour, nécessaires au paiement de ses soins médicaux. En même temps, il se lance dans le journalisme (feuilles polycopiées de quelques pages :le SOURIRE ,les GUEPES)et mène une bataille personnelle contre les autorités civiles et religieuses locales qui n'aura du reste aucun effet, sauf celui de lui attirer l'hostilité générale. Par ailleurs, il rédige un pamphlet intitulé L'Esprit moderne et le Catholicisme dans lequel il accuse l'Église de l'époque de s'être écartée de l'authentique esprit évangélique. Malgré ces nombreuses hospitalisations, et ennuis matériels ces années sont caractérisées par une période de créativité avec des œuvres parmi les plus importantes :NAVE NAVE MAHANA,LA FEMME AUX MANGOS, NEVERMORE etc..
Gauguin avait emporté à Tahiti en 1895 le manuscrit illustré de Noa Noa que possède le Cabinet de dessins du Louvre. Il restait dans cet album de dessins de nombreuses pages blanches. Entre 1896 et janvier 1898 il y consigna au jour le jour ses réflexions et y développa une esthétique sous le titre de «DIVERSES CHOSES»
Mon Dieu, que de choses enfantines on pourra trouver en ces pages, écrites tant de délassement personnel, tant de classement d'idées aimées, quoique peut-être folles, en défiance de mauvaise mémoire, et tant de rayons jusqu'au centre vital de mon art. Or, si œuvre d'art était œuvre de hasard, toutes ces notes seraient presque inutiles….
(...) Vous trouverez toujours le lait nourricier dans les arts primitifs. (Dans les arts de pleine civilisation, rien, sinon répéter.) Quand j'ai étudié les Égyptiens, j'ai toujours trouvé dans mon cerveau un élément sain d'autre chose, tandis que l'étude du grec, surtout le grec décadent, m'a inspiré dégoût ou découragement, un vague sentiment de la mort sans espoir de renaître….. DIVERSES CHOSES
Il va y poursuivre toute une réflexion sur la couleur à partir de l’exemple de Delacroix dont il proclame qu’il n'hésitait pas, comme Raphaël, (et comme lui-même pense-il) à « fouler aux pieds les règles » .Surtout sa méditation sur la composition chromatique va associer celle-ci à une langue profonde et mystérieuse la langue du rêve.
L’artiste estime, qu'il serait indiqué d'assimiler la contemplation de la couleur à l'expérience d'écouter de la musique. Une impression résulte de tel arrangement de couleurs, de lumières, d'ombres. Il l’appelle la « musique du tableau.
Gauguin déplore l'application des théories scientifiques de la couleur —dans les travaux des impressionnistes et, plus encore peut-être, chez Seurat. Dans les œuvres de ces artistes, constatait Gauguin, « ces lumières s'indiquent dans le paysage d'une façon uniforme, mathématique, monotone, réglée par la loi du rayonnement [...], il s'ensuit que la richesse d'harmonies, d'effets, disparaît, est emprisonnée dans un moule uniforme. »
« J'ai observé que le jeu des ombres et des lumières ne formait nullement un équivalent coloré d'aucune lumière ; une lampe, la lune, le soleil donnent tout cela, c'est-à-dire un effet ; mais qu'est-ce qui distingue toutes ces lumières entre elles ? La couleur. La traduction picturale de ces lumières avec le jeu des ombres, les valeurs qu'elles comportent deviennent négatives : ce ne serait qu'une traduction littéraire (un écriteau pour indiquer que là réside la lumière, une forme de la lumière) . De plus, comme ces lumières s'indiquent dans le paysage d'une façon uniforme, mathématique, monotone, réglée par la loi du rayonnement, comme elles accaparent toutes les couleurs pour les remplacer par la sienne, il s'ensuit que la richesse d'harmonies, d'effets, disparaît, est emprisonnée dans un moule uniforme. Quel en serait donc l'équivalent ? La couleur pure! et il faut tout lui sacrifier. Un tronc d'arbre de couleur locale, gris bleuté, devient bleu pur, et de même pour toutes les teintes. L'intensité de la couleur indiquera la nature de chaque couleur : par exemple la mer bleue aura un bleu plus intense que le tronc d'arbre gris, devenu bleu pur, mais moins intense. Puis, comme un kilo de vert est plus vert qu'un demi-kilo, il faut pour faire l'équivalent (votre toile étant plus petite que la nature) mettre un vert plus vert que celui de la nature. Voilà la vérité du mensonge. De cette façon votre tableau illuminé d'après un subterfuge, un mensonge, sera vrai puisqu'il vous donnera la sensation d'une chose vraie (lumière, force et grandeur), aussi variée d'harmonies que vous pourrez le désirer…. »
« Il reste donc à parler de la couleur au point de vue unique d'art. De la couleur seule comme langage de l'oeil qui écoute, de sa vertu suggestive propre à aider l'essor imaginatif, décorant notre rêve, ouvrant une porte nouvelle sur l'infini et le mystère. . .
« il nous reste à parler de son âme, de ce fluide insaisissable qui par les moyens je l'intelligence et du cœur a tant créé, tant remué : de la couleur, propre à aider l'essor imaginatif, ouvrant une porte nouvelle sur l'infini et le mystère. Nous ne pouvons l'expliquer, mais nous pouvons peut-être suggérer par un détour, par une comparaison, son langage.
La couleur étant en elle-même énigmatique dans les sensations qu'elle nous donne , on ne peut logiquement l'employer qu'énigmatiquement, toutes les fois qu'on s'en sert, non pour dessiner, mais pour donner les sensations musicales qui découlent d'elle-même, de sa propre nature, de sa force intérieure, mystérieuse, énigmatique. Au moyen d'harmonies savantes on crée le symbole. La couleur qui est vibration comme la musique atteint ce qu'il y a de plus général et partant de plus vague dans la nature : sa force intérieure. (...)
Aussi sommairement indiqué, aussi énigmatiquement suggéré, ce problème de la couleur reste à résoudre, dira-t-on. Qui a dit qu'il serait résolu par une équation mathématique, expliqué par des moyens littéraires? Il ne peut être résolu que par une œuvre picturale, même si cette œuvre picturale est d'un ordre inférieur. Il suffit que l'être soit créé, qu'il ait une âme à l'état embryonnaire pour que la progression jusqu'à son état de perfection assure le triomphe de la doctrine.
La peinture par la couleur, ainsi formulée, doit forcément dès aujourd'hui entrer en lice, d'autant plus attachante qu'elle est difficile, qu'elle offre un champ infiniment vaste et vierge.
Entre tous autres, la peinture est l'art qui préparera les voies en résolvant l'antinomie du monde sensible et de l'intellectuel… DIVERSES CHOSES.(c’est moi qui souligne ici)
Au cours des derniers mois de 1897, On voit alterner, dans la correspondance que Gauguin rédige à cette époque, des passages, où le peintre assène plaintes et reproches à ses correspondants, et d'autres où il donne des conseils à ses amis, en les félicitant par ailleurs de tout ce qu'ils font pour lui. le rêve exotique s’est heurte une fois de plus à la cruelle réalité : il est abandonné par sa femme, qui ne songeait plus qu'à vendre les œuvres qu'il lui envoyait, sans jamais lui réserver une part de gain et frappé par la mort d'Aline, sa fille aimée, qu'il a apprise en avril 97; il dit être ruiné, hors d'état de rembourser ses emprunts de la même année à la Caisse agricole et donc menacé de saisie.il est malade, torturé par sa jambe, qui ne s'est jamais rétablie de l'accident de Concarneau et par l'eczéma qui le ronge, menacé dans sa vue par une double conjonctivite, par une syphilis mal soignée, épuisé par des vomissements de sang . Gauguin parle de se tuer depuis le mois de juin.
En février 1898, Gauguin écrit une nouvelle fois à Daniel de Monfreid et lui apprend avoir voulu se tuer et être allé à cette fin dans la montagne, « où mon cadavre aurait été dévoré par les fourmis ». Le poison ingurgité, de l'arsenic dont il avait fait provision « durant sa maladie d'eczéma », n'avait pas été efficace. « Est-ce la dose qui était trop forte ou bien le fait des vomissements qui ont annulé l'action du poison en le rejetant? Je ne sais. Enfin, après une nuit de terribles souffrances, je suis rentré au logis ». Le peintre poursuit alors sa lettre en décrivant dans le détail un grand tableau qu'il avait commencé en décembre, « D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? »
En effet dans ces moments où l’idée de mort avait semblé peu à peu s’imposer un projet avait pourtant vu le jour : résoudre par «une œuvre picturale», «l'antinomie du monde sensible et de l'intellectuel»? Dans un passage de Diverses Choses, Gauguin avait d’ailleurs dressé une sorte de manifeste pour un tableau qui devait être, une fois exécuté, l'œuvre la plus ambitieuse de toute sa carrière . ‘L'aspect du tableau doit être grave comme une évocation religieuse, mélancolique, et gai comme les enfants. [...] Pour être grave, les couleurs seront graves. Pour être gai, les couleurs chanteront comme les épis de blé, seront claires. Comment faire, peinture foncée et claire ? Il y a bien le "entre deux" qui satisfait le monde en général mais ne me réjouit guère."
Une sorte de toile testament donc, une somme de tout l'œuvre peinte et même sculptée de Gauguin avant 1897 et, par extension, de son esthétique. Plus directement, ce sont les six toiles grand format exécutées en 1896 et 1897 qui ont établi les principes thématiques et formels de la vaste composition, où l'on voit se combiner les allusions erotiques de Te ariï vahiné, la solennité primitive de Te nave nave mahana et le mystère mélancolique de Te rerioa. . La figure centrale est une version allégorique du nu d'homme aux bras levé, peint aux cours des premiers mois tahitien de Gauguin/ L'Homme à la hache de 1891.
Quant au sens ? Gauguin écrira par la suite : «Mon rêve ne se laisse pas saisir, ne comporte aucune allégorie ; poème musical, il se passe de libretto » ; puis il cite Mallarmé et ajoute que « l'essentiel dans une œuvre consiste justement dans "ce qui n'est pas exprimé : il en résulte implicitement des lignes, sans couleurs ou paroles, il n'en est pas matériellement constitué ».
« II faut vous dire que ma résolution était bien prise ! Pour le mois de décembre. Alors j'ai voulu avant de mourir peindre une grande toile que j'avais en tête, et durant tout le mois j'ai travaillé jour et nuit dans une fièvre inouïe. Dame, ce n'est pas une toile faite comme un Puvis de Chavannes, études d'après nature, puis carton préparatoire, etc. Tout cela est fait de chic, du bout de la brosse, sur une toile à sacs pleine de nœuds et rugosités ; aussi l'aspect en est terriblement fruste.
On dira que c'est lâché, pas fini. Il est vrai qu'on ne se juge pas bien soi-même, mais cependant je crois que, non seulement cette toile dépasse en valeur toutes les précédentes, mais encore que je n'en ferai jamais une meilleure ni une semblable. J'y ai mis là avant de mourir toute mon énergie, une telle passion douloureuse dans des circonstances terribles, et une vision tellement nette sans corrections, que le hâtif disparaît, et que la vie en surgit. Cela ne pue pas le modèle, le métier et les prêtendues règles, dont je me suis toujours affranchi, mais quelquefois avec peur.
C'est une toile de 4,50 m sur 1,70 m de haut. Les deux coins du haut sont jaune de chrome avec l'inscription à gauche et ma signature à droite telle une fresque abimée aux coins et appliquée sur un mur or. A droite et en bas, un bébé endormi, puis trois femmes accroupies. Deux figures habillées de pourpre se confient leurs réflexions ; une figure énorme volontairement et malgré la perspective, accroupie, lève les bras en l'air et regarde étonnée, ces deux personnages qui osent penser à leu» destinée. Une figure du milieu cueille un fruit. Deux chats près d'un enfant. Une chèvre blanche. L'idole les deux bras levés mystérieusement et avec rythme, semble indiquer l'au-delà. La figure accroupie semble écouter l'idole ; puis enfin une vieille près de la mort semble accepter, se résigner (...) ; à ses pieds, un étrange oiseau blanc tenant en sa patte un lézard, représente l'inutilité des vaines paroles. Tout se passe au bord d'un ruisseau sous bois. Dans le fond, la mer puis les montagnes de l'île voisine. Malgré les passages de ton, l'aspect du paysage est constamment d'un bout à l'autre bleu et vert Véronèse. Là-dessus toutes les figures nues se détachent en hardi orangé. Si on disait aux élèves des Beaux-Arts pour Je concours de Rome : Le tableau que vous avez à faire représentera : D'où venons-nous ? que sommes-nous ? où allons-nous ? que feraient-ils ? J'ai terminé un ouvrage philosophique sur ce thème comparé à l'Évangile : je crois que c'est bien : si j'ai la force de le recopier je vous l'enverrai. (...) fevrier 1898 tahiti
Au début de l'année 1901, la situation matérielle du peintre va beaucoup s’améliorer : le marchand Ambroise Vollard(qu’il dénonce pourtant comme un voleur ou un incapable à longueur de courrier) va passer avec Gauguin un contrat lui assurant 300 francs par mois en échange de vingt-cinq tableaux par an. En août, après avoir tiré profit de la vente de sa propriété, le peintre laisse Pahura et ses enfants, sa seconde famille(celle-ci refusant de partir chez les « sauvages »).À la recherche d'un nouvel élan artistique, il part alors pour les îles Marquises à quelque 1400 kilomètres au nord-est de Tahiti. Un archipel appelé par les indigènes Te henua enata, c'est-à-dire « la terre des hommes ». « Ici, disait-il, la poésie se dégage toute seule, et il suffit de se laisser aller au rêve en peignant pour la suggérer ».
Pourtant Gauguin était toujours malade : « C'est que je ne suis pas le Gauguin d'autrefois », En 1902, il fut même pris de la tentation de rentrer en France. Monfreid l'en dissuada :
« Vous êtes, lui écrivit-il, cet artiste légendaire qui du fond de l'Océanie envoie ses œuvres déconcertantes, inimitables, œuvres définitives d'un grand homme pour ainsi dire disparu du monde. Vos ennemis (et vous en avez bon nombre, comme tous ceux qui gênent les médiocres) ne disent rien, n'osent vous combattre, n'y pensent pas : vous êtes si loin !... Vous jouissez de l'immunité des grands morts, vous êtes passé dans l'histoire de l'art. »
(A SUIVRE)
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