On distingue, dans le domaine pictural, plusieurs styles régionaux. Ces derniers se répartissent, en gros, en quatre grands groupes régionaux : les styles des populations de langues kunwinjku et kuninjku à l'ouest, ceux des Rembarrgna et des groupes qui s'y rattachent, au centre, ceux des populations Yolngu du centre et du nord-est, et enfin, les styles disparates des populations qui vivent sur la périphérie de la Terre d'Arnhem.
Ces différences de style ne se ramènent cependant pas à de simples divisions régionales :( le type de région où habite le peintre, par exemple, pays d'eau douce ou d'eau salée, environnement forestier ou rocheux), mais surtout, en fonction du thème de l'œuvre, du clan auquel appartient l'artiste et de son groupe linguistique. Dans la majeure partie de la Terre d'Arnhem,on appartient à une moitié connue sous les noms respectifs de Dhuwa et Yirritja. L'appartenance à une moitié, fixée par la succession patrilinéaire, détermine les droits qu'a l'artiste d'utiliser certains motifs et dessins particuliers.
« La composition des peintures de la Terre d'Arnhem renseigne sur l'identité clanique. Chaque clan a ses propres peintures, signalant ainsi sa relation spécifique aux ancêtres qui ont façonné le paysage. Parfois cela prend la forme d'une combinaison de motifs faisant référence à des mythes associés à telle ou telle région ou encore à des étapes du voyage entrepris par tel groupe d'ancêtres - l'endroit où le crocodile a brûlé ou celui où les sœurs Wagilak ont rencontré le serpent. La parenté est également indiquée par les motifs géométriques liés à des lieux particuliers.
En Terre d'Arnhem centrale et orientale, un système élaboré de motifs claniques géométriques différencie les lieux et les groupes. Les ancêtres de toute première importance, comme les sœurs Djang'kawu ou l'ancêtre « feu/miel sauvage », ont parcouru de grandes distances et mis ainsi en relation des clans différents. Sur l'itinéraire des ancêtres, les motifs sont semblables tout en possédant chacun une caractéristique unique qui les différencie les uns des autres.. Le voyage de l'ancêtre « feu/miel sauvage » de la moitié Yirritja est, indiqué par un losange dont le dessin varie d’un lieu à l’autre ,d’un clan à l’autre.. Le paysage est couvert d'un réseau de signes claniques, chacun représentant l'identité d'un lieu et d'une population.
En revanche, les peintures de la moitié Dhuwa ne comportent jamais de fond décoré de losanges, mais plutôt des bandes parallèles qui se croisent ou des motifs composés de lignes croisées .wally caruana.aboriginal art. thames & hudson
La Terre d'Arnhem occidentale s'étend à peu près de l'East Alligator River, qui la sépare du Parc national de Kakadu, à la ligne formée par le Liverpool River et par son tributaire le Mann River. Elle comprend également la presqu'île de Cobourg et quelques îles.
Comme dit précédemment, les deux formes d'art les plus répandues de nos jours dans la région, la peinture pariétale des escarpements de l’Arnhem et la peinture sur écorce, présentent de nombreuses caractéristiques communes et les artistes locaux reconnaissent qu'il y a une certaine parenté entre leurs œuvres et l'art des parois. Le style figuratif, qui domine l'esthétique pariétale, apparaît aussi dans les écorces peintes ; en revanche, les motifs abstraits, généralement réservés aux cérémonies, apparaissent plus fréquemment dans les écorces.
Les figures sont généralement peintes sur un fond monochrome, qui, jusqu'aux alentours de 1970, consistait souvent d'une couche d'ocre rouge. On trouve, depuis quelques années, des fonds blancs ou jaunes et même, plus rarement, des fonds noirs. L'intérieur des images est parfois divisé en sections ornées de motifs semblables à ceux qui décorent les objets rituels et les corps des participants
La peinture de l'ouest de la Terre d'Arnhem, de sa bordure sud et de Groote Eylandt est une peinture figurative, mais hautement subjective, écho direct des sensations intimes du peintre. Bien qu'elle reproduise d'une façon compréhensible les formes naturelles, de préférence animales ou humaines, ce n'est pas une peinture réaliste, du moins dans le sens où nous l'entendons. La réalité vue compte moins pour l'artiste que la réalité connue ou sentie. Il n'a rien d'un portraitiste et il est plutôt désemparé devant un modèle, étant habitué à exprimer la réalité comme il la connaît, l'imagine ou la souhaite, et non comme il la voit.. Il recrée la forme et met en évidence les détails qui l'aident à traduire sa conception, il ajoute au besoin d'autres détails et des caractéristiques qui nous échappent, tandis qu'il omet sciemment ceux qui ne l'intéressent pas. Le peintre aborigène est inévitablement influencé par ses croyances. Dans cette région, les mythes lui fournissent ses sujets de prédilection. Ils lui inspirent des figures qu'il compose sur les nombreuses et vastes parois rocheuses de son pays. karel kupka. un art a l’état brut.
D'après la légende, les Esprits mimi auraient enseigné, aux ancêtres des peuples actuels, l’art de la peinture. N'étant pas considérés comme des êtres créateurs, les mimi sont des esprits qui peuvent être à la fois bienfaisants et malfaisants. C'est à eux que sont attribuées les plus anciennes peintures pariétales de la région.
Leurs personnages représentent surtout des « esprits » dont la famille est particulièrement nombreuse dans le Pays Rocheux; le mystère des cavernes et l'obscurité des crevasses y exercent leur influence comme dans des régions semblables d'autres continents. Les aborigènes interprètent les phénomènes de la nature comme la manifestation des esprits. L'orage, par exemple, est provoqué par un Esprit-Tonnerre qui apparaît dans leurs peintures encerclé par une ligne figurant le contour d'un nuage. Ses coudes et ses genoux sont nantis de hachettes en pierre qui symbolisent les éclairs et les décharges de la foudre. Des ornements de feuillages identifient les esprits diaboliques qui hantent les bois. Les plus populaires des esprits sont ceux des roches, appelés Mimi, dont la présence est caractéristique de cette région . Il s'agit de tout un peuple de fantômes, plutôt paisibles et timides. On ne les aperçoit que très rarement, non seulement à cause de cette timidité, mais en raison de leur fragilité physique. « Ils doivent se cacher et vivre dans les grottes et sous terre ; ils sont si faibles que le vent leur briserait tout de suite le cou » disent les aborigènes qui affirment les avoir rencontrés pendant leur enfance, mais jamais plus après comme adultes. «Les Mimi ont trop peur des grandes personnes. Ils se cachent et pourtant vivent comme tout le monde. Ils chassent aiment, dansent et organisent leurs corroborée. » karel kupka. op.cite
Les habitants de la région centrale et des régions plus à l'est se décrivent eux-mêmes comme des « Yolngu », ce qui signifie « Aborigène ». La peinture sur écorce y est tout autre que celle de l'ouest et du sud de la Terre d'Arnhem. Sans être réellement non figurative, elle en donne souvent l'apparence. La forme naturelle se perd dans la conception picturale du tableau. Le peintre traite en entier le format donné, le divise en plans précis, utilise la couleur sur toute la surface et crée des formes qui donnent à la peinture son caractère « abstrait ». la préférence est accordée aux sujets totémiques représentés par des symboles qui permettent en même temps d'imaginer des faits qui s'y rattachent. La peinture sur écorce est influencée par une autre technique, celle qui a la plus haute importance pour ses rites sacrés: la peinture totémique sur le corps humain, exécutée pour les danses rituelles et surtout sur la poitrine des adeptes lors des initiations. D’elle, le peintre apprend à utiliser l'espace dont il dispose, à le diviser avec précision et élaborer des signes pour s'exprimer en abrégé.
« Une peinture des plus répandues dans la région de Milingimbi est celle qui symbolise le miel sauvage, trahissant la gourmandise des aborigènes Il est représenté par des losanges enchaînés, dérivés de la forme naturelle des alvéoles d'une ruche par un simple rétrécissement de leur forme hexagonale. Les couleurs, enrichies par des hachures linéaires, désignent le contenu: le miel, la cire ou le vide. En réaliste méticuleux, le peintre n'oublie pas les excréments des abeilles, qu'il désigne par de petits points. Un signe explicite, lisible, mais en apparence seulement ! Ce motif a plusieurs variantes moins claires, dont une, très épurée, est utilisée pour la décoration du ranga sacré d'une des cérémonies d'initiation Nara : un grillage régulier de fines lignes blanches avec de petits points rouges à leur intersection, peint sur un fond jaune, ou en couleurs inversées si le fond est rouge. Une vraie confusion commence dès que nous nous éloignons de Milingimbi. A environ deux cents kilomètres vers l'est, dans la région de Yirkalla, un dessin pareil au symbole habituel du miel pourrait représenter le feu: les losanges enchaînés rouges figureraient des flammes, les noirs du bois carbonisé, les points et les lignes entrecroisées les étincelles et les cendres. Le dessin des algues, par exemple, peut aussi nous induire en erreur. Leur masse mouvante ne fournit pas au peintre une forme assez précise. Il essaie de rendre leurs longs rubans par des bandes alternativement élargies et rétrécies. Ces bandes ressembleront éventuellement aux losanges enchaînés, et le fait qu'elles sont remplies de hachures linéaires ajoutera à la confusion ». karel kupka. op cite
Selon karel kupka, ce symbolisme aborigène fournirait l'image d'une pictographie embryonnaire qui outre le rite aurait des fins pratiques.par exemple à la chasse. Par leur intermédiaire, ils pourraient laisser des messages sur les roches ou sur les arbres des campements qu’ils viennent de quitter, pour de leur identité, du genre d'animaux qu'ils pistent, du nombre de let chiens, de la direction qu'ils vont prendre, etc. de même les « bâtons de message », petits morceaux de bois sur lesquels sont incisés quelques signes des plus simples auraient une fonction mnémotechnique . Par exemple quatre lignes rappelleront au porteur de ce bâtonnet qu'il doit transmettre quatre messages différents. Parfois, les signes sont plus explicites. Une ligne sinueuse qui retrace cursivement la forme d'un serpent, signifiera que le message doit être remis à un homme dont cet animal est le totem. Ou encore de petits cercles indiqueront qu'on propose au destinataire d'échanger des boulettes d'ocre contre des boomerangs, représentés par des lignes
courbes. Ce bâton servirait en outre de sauf-conduit au porteur pour traverser un autre territoire tribal.
« L'usage pratique que font les Australoïdes du symbolisme ne fait que mettre mieux en évidence sa possibilité latente de devenir une véritable pictographie, mais c'est dans la vie rituelle qu'il joue un rôle capital. Il est manifeste que cette écriture par images ne peut être déchiffrée que par des initiés, aussi est-elle graduellement enseignée aux nouvelles générations. En dépit de son incohérence et de ses imperfections, elle leur ménage d'autres possibilités encore que celle de représenter leurs totems ou une action qui s'y rattache. C'est un moyen de noter les mythes, les histoires du « Temps des Rêves » ou des événements importants. Grâce à la ligne et à la couleur qui secondent la mémoire auditive, la « littérature orale » des aborigènes devient une « littérature peinte ».(c’est moi qui souligne !)
Certains de ces mythes peuvent apparaître, dans les versions ici relatées, comme des contes anodins, alors qu'ils recèlent une signification profonde. Ils sont le reflet même de la vie intérieure des aborigènes, vie qui nous est absolument étrangère et qu'ils désignent par cette expression poétique « le Temps des Rêves ». Les mythes s'enchaînent l'un à l'autre et se confondent avec les histoires totémiques pour raconter les événements qui se sont passés — qui se passent — dans cet univers autre. Ces hommes le recréent, le revivent continuellement par et dans leurs arts. Cela expliquera que des chorégraphes professionnels, juges compétents et sévères, aient été éblouis par leurs danses, moins à cause de la technique, certes admirable, des danseurs que de leur force d'expression. Ils assistaient non à une représentation, mais à une identification.
Les mythes aborigènes ne peuvent être communiqués en entier par les mots seuls. Parler ne suffira jamais pour les transmettre dans toute leur ampleur et avec toutes leurs nuances. Les arts doivent intervenir. La version orale, la meilleure et la plus détaillée, ne saurait en traduire toutes les particularités qui sont révélées conjointement par les chants, par l'action dramatique des multiples cérémonies et des danses rituelles, et par tous ces dessins, toutes ces peintures qui se rattachent à leurs différents épisodes….
Ils reconstituent parfois sur leurs écorces l'action compliquée de toute une histoire. Leurs signes et symboles s'y prêtent admirablement. Les peintres ne les organisent pas selon un ordre préétabli, ils les composent librement dans un tableau. Donc, si nous voulons connaître l'histoire peinte avec ces détails, telle qu'elle se déroule dans leurs versions personnelles, nous devons assister à leur travail pour les regarder et les écouter pendant qu'ils progressent pas à pas. Plus tard, lorsque l'ordre des signes utilisés s'estompera dans leur mémoire, ils se rappelleront difficilement la suite exacte de leur version de l'histoire, ayant dû nécessairement la peindre en abrégé. Comme tout résumé, cette « littérature peinte » reflète obligatoirement le point de vue de leurs auteurs. L'inspiration du moment décidera lesquels des multiples détails ils mettront en évidence ou abandonneront. D'où vient que leurs récits varient, gardant néanmoins une trame commune. » karel kupka. un art a l’état brut.
Comme exemple, on peut suivre karel kupka rapportant le mythe du « grand python sacré Wititj » et des sœurs wawilack, tel que lui narre le jeune chef djulwarack « par la parole et le pinceau ».Le récit compte parmi les récits mythiques les plus importants de la moitié Dhuwa. il relate les actes créateurs des sœurs mythiques au cours d'un voyage qui a commencé dans le sud-est de la Terre d'Arnhem et dont le point culminant est une rencontre épique avec wititj. ce mythe expose de façon poétique le peuplement de l’Australie, insiste sur le rôle de certaines cérémonies liées à la pluie et constitue une sorte d’élévation spirituelle et de transmission que symbolisent les ingestions et régurgitations du serpent fondateur.
Les deux sœurs wawilack, parce qu'elles avaient donné naissance à des enfants à la suite de relations incestueuses avec des membres de leur clan, ont été obligées de quitter leur pays et de se diriger, d'abord vers le nord, puis vers l'ouest, en direction de la mer. Tandis qu'elles avancent, elles rencontrent des animaux, des plantes et des pays qu'elles nomment et, ce faisant, à qui elles confèrent l'existence. Un jour, elles installent leur camp près du trou d'eau de Mirrarrmina, dans le pays des Liyagalawumirri, sans savoir que c'est la demeure sacrée du Python Wititj. Ce dernier, irrité par leur présence, aspire toute l'eau de l'étang, se dresse jusqu'au ciel et la recrache sous la forme des nuages de la première mousson. Les deux sœurs exécutent alors des chants et des danses pour détourner la pluie et le tonnerre, et se réfugient dans la hutte d'écorce qu'elles ont construite. Tout à coup, Wititj se précipite sur elles et les avale, elles, leurs enfants et toutes leurs possessions. Tandis qu'il s'élève à nouveau dans le ciel, les eaux couvrent la terre inondée.
Lorsque Wititj raconte ce qu'il a fait aux autres pythons sacrés, ils lui font comprendre l'erreur qu'il a commise en avalant des êtres appartenant à la même moitié que lui. Il en tombe malade et s'écroule à terre, laissant la forme de son corps imprimée dans le sol. Il vomit les femmes et les enfants puis, émettant un vent violent, force les eaux à refluer. Répétant ensuite son action, il avale et régurgite à nouveau ses victimes, mais, cette fois, il ne vomit que les femmes qui deviennent deux énormes rochers à Mirrarrmina.
« II y avait un temps où les animaux ressemblaient aux hommes et agissaient comme eux, et où les hommes se changeaient en animaux. Ils se changeaient en d'autres choses aussi, en arbres, même en pierres : c'était au « Temps des Rêves » où tout est possible.
» Les sœurs Wawilak, Garanggar l'aînée et Boaliri la cadette, ont dû quitter leur pays. Elles étaient des êtres du « Temps des Rêves », mais agissaient tout à fait comme les humains. Elles ont été punies parce qu'elles avaient commis un inceste; c'est pourcela qu'elles ont été obligées de quitter leur pays…..
Elles avaient, bien sûr, toujours faim. Alors elles ont envoyé leur chien attraper quelques animaux. Il en a tué plusieurs et les a apportés au camp. Les sœurs ont commencé à les cuire tout de suite. Mais les animaux tués sont revenus à la vie et se sont sauvés du feu. Ils ont couru vers un tronc d'arbre creux et se sont cachés dedans. Le chien les a poursuivis et a essayé de les attraper; il a fourré son museau dans l'arbre et cela a fait un bruit comme un tambour. A cause de cela le chien a compris que ce tronc creux est un objet sacré, marayen, et qui représente le Grand Serpent Python. Le chien, terrifié, a fait demi-tour et a couru vers le camp. Quand il est rentré et a raconté ce qui lui était arrivé, les sœurs n'ont pas su quoi faire. Elles ont regardé vers le ciel et ont aperçu un petit nuage noir juste au-dessus de leurs têtes. Et il a commencé à pleuvoir. Les sœurs ont pris les bâtons qui leur servaient à déterrer les racines mangeables, et se sont mises à danser. Elles ont dansé autour de leur maison et comme cela elles ont fait des petits trous avec leurs bâtons partout. La danse était pour arrêter la pluie, mais cela n'a pas donné de résultat; la pluie était trop forte pour se laisser arrêter.
Enfin la pluie a diminué d'elle-même. Les sœurs Wawilak ont regardé de nouveau vers le ciel et elles ont vu Tiririmun le soleil qui était en train de se coucher. En même temps elles ont vu Panditi la lune et Puyuyungulyungul l'étoile. Elles ont vu aussi qu'il pleuvait juste au-dessus d'elles et nulle part ailleurs. Cela les a fort effrayées et elles se sont demandé : « Pourquoi il pleut » juste sur nous et pas plus loin ? Comment pouvons-nous voir » en même temps le soleil, la lune et l'étoile ? Pourquoi nous » n'avons pas réussi à arrêter la pluie par la danse ? Quelque » chose ne va pas et c'est grave ! Il y a certainement quelqu'un» caché dans le trou d'eau et nous avons dû l'offenser ! Mais » comment ? Peut-être le sang de menstruation de Garanggar a » coulé dans l'eau et c'était une chose mauvaise : oui, c'est cela » qui a dû se passer ! Quelque chose de terrible nous arrivera ! » Elles ont couru se cacher dans leur maison. Elles avaient très peur, mais elles étaient si fatiguées! Elles se sont endormies.
» C'est vrai, quelque chose était caché dans le trou d'eau. C'était le Grand Serpent Turlungur. Il s'était réveillé en sentant le sang de Garanggar que l'eau avait apporté dans les profondeurs où il se reposait. Il sortit du trou d'eau et observa les sœurs. C'était bien lui qui avait envoyé la pluie. En voyant qu'elles s'étaient endormies, il alla dans leur camp. Il était si grand et si long que son corps s'était déjà enroulé tout autour de leur maison quand la queue était encore dans l'eau. Il a pénétré vite dans la maison et a avalé à la fois les deux sœurs et le petit garçon. Après cela il est rentré lentement dans son trou d'eau. Il est resté couché sous l'eau pendant très peu de temps: il s'est senti malade. Il allait de plus en plus mal et enfin il a dû sortir sa tête de l'eau et vomir les deux sœurs. Il a pu garder le petit garçon dans son ventre sans se sentir malade, parce que le garçon était un Yiritja. Il appartenait à un autre groupe de gens que le serpent, mais les sœurs, comme le serpent, étaient tous Dua, et c'est pourquoi il ne pouvait pas les garder dans son estomac: il avait commis un crime contre sa propre famille! » karel kupka. un art a l’état brut.
La peinture décrite par Kupka raconte les événements des sœurs mythiques survenus en un des sites de leur itinéraire.
« En bas au centre un trou d'eau près duquel pousse un eucalyptus ; entre les deux, la trace du sang placentaire perdu par une des sœurs (petit rectangle rouge) lorsqu'elle enlevait l'écorce de l'arbre pour en construire un abri. Le sang éveilla le serpent sacré Yurluriggur qui émerge du trou (à gauche). A sa deuxième sortie (au centre) il se love autour des deux sœurs et leurs enfants pour les avaler. Le triangle à droite est la forme donnée au terrain sur lequel est célébré le rite Ngulmark, inspiré par ce mythe ; ce triangle représente l'empreinte laissée au sol par le serpent, tombant de son haut après s'être élevé vers les cieux : le cercle en son centre indique le cœur du serpent et la pointe inférieure, peinte en jaune, son anus. Au-dessus, deux bâtons à fouir que les sœurs utilisèrent pour déterrer les ignames, dont deux apparaissent à droite de la peinture. Entre ces deux bâtons, la trompe rituelle (didjeridoo), avatar de Yurlunggur dans sa manifestation mâle : à gauche, après une paire de bâtons sonores, une autre apparence du serpent, femelle cette fois-ci, le résonateur creux ubar qui, touché par le chien des sœurs, émet un son. A sa gauche, de nouveau, un des bâtons à fouir : il fut utilisé par les femmes lorsqu'elles dansèrent afin d'arrêter la pluie provoquée par Yurlunggur. Les deux sœurs réapparaissent au-dessus d'une fourmilière (le cercle) parmi les fourmis dont les morsures les ont ramenées à la vie quand le serpent, ne pouvant les garder dans son estomac, les a recrachées (ce n'est qu'en les avalant pour la deuxième fois qu'il les a tuées pour de bon). Une autre paire de bâtons sonores de chaque côté de la fourmilière : ils étaient utilisés pour accompagner le chant et la danse des sœurs exécutés afin d'arrêter la pluie. Le fond de la peinture est couvert par des chenilles, les empreintes des pieds des deux sœurs et des pattes de leur chien. Chaque forme et chaque signe représentent ainsi un élément ou une situation du mythe, aidant à sa meilleure mémorisation ».L'un des principaux messages véhiculés par les peintures aborigènes est l'importance de la terre. Bien qu'elle se présente souvent comme sauvage, déserte, inhospitalière ou même menaçante par sa flore et sa faune, elle a offert une source inépuisable de subsistance à ses gardiens spirituels qui en connaissaient tous les secrets. Ni l'agriculture, ni le jardinage n'offraient
le moyen d'accéder à cette richesse. Les chasseurs-cueilleurs aborigènes se pensent comme les maillons d'une longue chaîne écologique où les vents transportent les semences, que la pluie arrose pour faire pousser les arbustes fertilisés par des insectes ou des oiseaux. Les abeilles produisent le miel sauvage des arbres. Les fourmis font les vendanges en empilant sur leur parcours des petits tas de graines que les femmes ramassent pour les moudre et cuire des galettes. La survie semi-nomade dépendait d'une collaboration intime entre les hommes et tout ce qui constituait leur foyer itinérant : les hommes du littoral s'accrochaient aux dauphins ou aux tortues pour traverser les estuaires infestés de crocodiles, les oiseaux du désert leur indiquaient les sources invisibles à la surface du sol, les chants rituels leur apprenaient à mémoriser des lieux et des parcours.
Pour profiter des ressources cachées sur ces pistes de Rêve, il fallait un savoir acquis depuis la prime enfance, par l'expérience de la chasse, de la cueillette, de marches saisonnières, de lecture des signes du sol et du ciel et bien sûr de certains rites. Une grande partie des ressources se cache sous terre : les ignames et racines diverses, des centaines d'espèces de lézards, de varans et de serpents, les petits marsupiaux, les fourmis à miel, ou encore les petites larves blanches des racines d'acacia, croquées crues ou grillées, si riches en protéines. Il y a aussi les galles d'insectes qui recèlent un nectar juteux, les feuilles à sucre, et les troncs d'arbres dont l'écorce taillée au bon endroit offre de l'eau comme une gourde.
Les pisteurs du désert, de la jungle ou des mangroves se sont donné des lois pour assurer la préservation de certaines espèces au moment de leur reproduction.
Il fallait laisser la femelle varan repartir quand elle était « grasse », ne jamais tuer une femelle kangourou quand elle portait un petit trop jeune dans sa poche, car il n'aurait pas survécu. Chaque groupe local devait s'abstenir de manger certaines nourritures liées à son Rêve à certains moments de l'année. Les jeunes garçons et les jeunes filles pubères devaient aussi respecter des tabous alimentaires. Dans la cosmologie du désert ou de la Terre d'Arnhem, tout est lié : l'hibernation des lézards et l'éclosion de certaines plantes ; l'arrivée de tel poisson et la germination de tel végétal ; ou encore la transgression d'un tabou et une sécheresse, un orage ou un incendie qui affecte la famille de la personne en cause. Tout est virtuellement lié, disent les Aborigènes, mais c'est aux humains de rendre active telle ou telle correspondance afin de s'assurer du bon équilibre de la circulation des flux de l'univers. . barbara glowczewski.pistes de reves ed.du chene.
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