Grand Nord Grand Sud :
artistes inuit et aborigènes
Exposition présentée
à l'Abbaye de Daoulas (Finistère)
du 11 mai au 28 novembre 2010.
L’exposition « Grand Nord Grand Sud artistes inuit et aborigènes », conçue en coproduction avec le musée des Confluences à Lyon et présentée à l’Abbaye de Daoulas en 2010, interroge, au travers de la création artistique de ces deux peuples, la vitalité des identités culturelles autochtones, en même temps qu’elle nous renvoie à notre propre identité.
L’exposition réunit plus de 160 oeuvres d’artistes contemporains inuit et aborigènes, sculptures, peintures, photographies et vidéos, issues des collections du musée des Confluences et de collections publiques et privées.
A priori rien de plus éloignés que les Inuit du Canada et les Aborigènes d’Australie. Aux antipodes l’une de l’autre, les terres qu’ils habitent connaissent des climats, des paysages et des faunes rigoureusement différents. Pourtant l’histoire de la rencontre de ces cultures avec les européens présente des points communs.
L’histoire récente des deux communautés inuit et aborigène aboutit à la reconnaissance de leur autonomie dans la seconde moitié du 20e siècle. Des circonstances de cette confrontation à la civilisation moderne résulte un même sentiment identitaire chez ces deux communautés. Il s’agit pour elles de maintenir les traditions constitutives de leur culture propre, tout en participant à des échanges économiques et culturels internationaux parfois conflictuels. Le domaine de la création contemporaine permet de saisir ces convergences autour des questionnements essentiels : en quoi la production artistique peut-elle précéder, épauler ou suivre l’affirmation de l’identité culturelle des peuples autochtones ? Comment la création artistique s’affranchit-elle de son assignation à une culture précise ?
"Rencontre improbable que celle d'artistes inuit d'Arctique et d'artistes aborigènes d'Australie. Aux antipodes les unes des autres, leurs terres abritent des histoires et des cultures très différentes. Cependant, depuis une cinquantaine d'années, leurs deux pratiques artistiques se sont développées en interaction avec la modernité occidentale. Comment l'art peut-il accompagner l'affirmation d'identités culturelles spécifiques ou s'en détourner ? En quoi l'émergence de modernités autochtones amène-t-elle à repenser les traditions ? Les artistes, à travers leurs œuvres, offrent des réponses diverses qui manifestent un lien profond au territoire et à des mythologies singulières, tout en témoignant de réflexions personnelles sur l'histoire et le monde contemporain….."
"…L'irruption de la modernité dans des pratiques traditionnelles est donc ici une donnée culturelle quotidienne. On imagine dès lors que le choix de se saisir de la création contemporaine des deux peuples-aborigène d'Australie et inuit du Canada - pour mieux en comprendre les convergences sert à poser la question essentielle de savoir en quoi des pratiques artistiques peuvent devancer, épauler ou suivre l'affirmation d'une identité culturelle. L’enracinement n'interdit pas l'innovation ni l'ouverture au monde ; l'expression individuelle rend compte aussi d'aventures collectives. Peut-être d'une manière plus limpide que d'autres, les sociétés autochtones nous rappellent ainsi cette évidence que l'art est une forme de connaissance……
…Avant tout, il est juste d'inscrire ces deux cultures via leur création dans un contexte politique et territorial. Ensuite, on peut se poser la question de l'expression d'une culture de résistance dans sa dimension identitaire et revendicatrice et s'interroger sur le rapport de stimulation ou de contrainte avec le processus de création lui-même. L'exposition invite le visiteur à s'emparer de ces créations pour appréhender des processus de constructions identitaires face à la mondialisation ». Extrait du catalogue"
« ON A RATÉ UNE RENCONTRE AVEC L'AUTRE »
« Les dichotomies artificielles, témoignent d'un temps où la culture savante s'opposait à la culture populaire. L'écrit à l'oralité. La culture dite universelle aux cultures dites locales. Une vieille histoire, qui prend sa source au siècle des Lumières et qui se développe tout au long du XIXe siècle….
…Écoutons Jean-Marie Gustave Le Clézio (Le Monde, le 6 octobre 2009) :« Ce qui est certain, c'est que le monde s'est mutilé de cette moitié amérindienne lors de la conquête. On ne peut incriminer une nation en particulier. En revanche, on peut incriminer ce monde de la Renaissance qui, d'un côté, a développé des idées humanistes et, de l'autre, a institué l'esclavage, le travail forcé dans les mines, le viol des populations... Avec l'acquiescement de forces religieuses et morales de l'époque...
On a raté une rencontre avec l'autre et il est possible que l'on vive aujourd'hui les conséquences de ce déséquilibre né au XVIe siècle. Je pense que les grands problèmes écologiques que nous avons aujourd'hui auraient pu être différents... ».
« Les états-nations se sont construits autour d'un universalisme abstrait qui portait en lui le meilleur, qui portait en lui le pire. …Les états-nations alors guident l'humanité et apportent au monde des valeurs qui se disent universelles. À quel prix ? Sous le dogme des empires, la visée de l'universel a été le tragique vecteur d'une assimilation de l'Autre...
Edouard Glissant s'élève contre cet universel-là : « En aucun cas nous ne saurions supposer une "littérature universelle", valeur indistincte pour tous... Ou bien ce serait une littérature abstraite et sans contenu, à force de se vouloir dégagée de tout terreau, de tout caractère (c'est-à-dire à force de vouloir récuser la présence des fructueuses intimités et des terribles assauts et antagonismes des lieux et des espèces entre eux et dans la totalité), ou au contraire ce deviendrait une littérature particulière au plus haut point, qui se serait d'elle-même érigée en « universel » et proclamée recevable pour tous, pour conférer à ses modes propres une dimension généralisante qui les imposerait, en cette décidée « valeur », aux autres formes d'expression des civilisations ou des cultures... »
Le poète et penseur caraïbe en appelle, en réponse, à « ce poème non pas universel mais valant pour chacun et pourtous ». Il rejoint en cela Edgar Morin qui refuse l'universel abstrait du Même et ses tentations intégristes. L'esprit de système. Les totalités opaques. La clôture de la pensée. Edgar Morin nous invite à dépasser les Lumières et l'humanisme abstrait pour construire « une raison métissée par l'affectivité ». Intégrant Montaigne et Lévi-Strauss, il souhaite « abandonner l'idée abstraite de l'humain qui se trouve dans l'humanisme... »
« La perte d'un universalisme abstrait apparaît à beaucoup comme la perte de l'universel, la perte d'un pseudo-rationalisme apparaît aux rationalisateurs comme une montée de l'irrationalisme. Il y a certes crise d'un universalisme progressiste abstrait mais, dans le processus même où tout devient mondial et où tout se situe dans l'univers singulier qui est le nôtre, il y a enfin émergence de l'universel concret ».
CONSTRUIRE UN NOUVEL UNIVERSEL
Car tout change maintenant. Les évolutions de nos civilisations, le mouvement mondialisé, la puissance des images, les écrans de nos vies, inventent le monde comme un tout, le « Tout-monde » cher à Edouard Glissant. Voici les réseaux, les identités composites, et Tailleurs qui est en nous. Nous sommes toujours de quelque part, bien sûr, mais nous construisons aussi une citoyenneté terrienne et, comme jamais dans l'histoire, nous bricolons nos identités. Le temps du monde fini est bel et bien venu. Jamais plus nous ne serons tout à fait d'un seul lieu, d'une seule appartenance, d'une seule naissance.
Les vertus du décentrement du monde renversent les anciennes perspectives identitaires. Il faut accepter l'idée que l'humanité a d'abord en commun ses différences. Et ce n'est qu'en les acceptant, en les accueillant, que l'on s'invente des unités, des égalités, des fraternités riches des diversités créatrices. Le monde est en nous, écoutons sa rumeur.
Ce temps nouveau doit être celui d'une identité-relation, en opposition aux identités à racine unique qui dorénavant se nécrosent. Une identité qui relève et du déplacement et de l'enracinement. Il nous faut apprendre à être d'ici et d'ailleurs. Apprendre à accepter l’ailleurs, ici. Et l'ici, ailleurs. Au-delà de la dialectique, il faut même envisager un véritable « ici-ailleurs ». Soi-même comme un autre. L'autre en soi. Et soi en l'autre. Oui, une identité-relation, sans précédent dans l'histoire.
L'universel à inventer est un universel concret, basé sur cette philosophie de la relation. Un universel de la rencontre, du respect et du partage. Car la relation, ce n'est pas la fusion. Entre les deux, un écart, une tension et donc, un dialogue.
Reprenons Glissant : « La pensée poétique la mieux partagée résume l'affaire dans cette formule recevable fragilement, que nous avons reprise ici et là : "Agis dans ton lieu, pense avec le monde". Ton lieu est incontournable (c'est peut-être là notre répétition la plus fructueuse), II n'est pas de lieu-dit qui ne signifie. Les continents et les archipels font archipel, et non pas un massif ni une éminence inébranlables, aux bords déchiquetés. La totalité vit de ses propres infimes détails, les saveurs s'y déposent comme laits de rosée ou de caïmite, il n'y a plus d'Empire généralisable du monde, malgré la terreur des armes et les morts par centaines de milliers ».
« Vivre le monde : éprouver d'abord son lieu, ses fragilités, ses énergies, ses intuitions, son pouvoir de changer, de demeurer. Ses politiques. Vivre le lieu : dire le monde, aussi bien ». Voilà le projet pour demain. L'utopie suprême de ce siècle de tous les dangers. La nouvelle alliance, si impérative : tisser les liens entre les cultures. Peut-être sommes-nous, à l'issue d'un pourtant bien long chemin, à la véritable Aube des peuples. Alors, foin de hiérarchie et surtout de mépris entre culture savante et culture populaire…. »jean michel le boulanger. extrait du catalogue.
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