« Dans la forêt, une geôle d'arbres épars, en cercle mobile, en vous accompagnant, vous égare donc ; un même disque de dunes ou de rocs, en vous suivant, vous enferme dans l'agoraphobie désertique ou le labyrinthe de la belle baie ; en ville, une couronne d'hommes vous enchante, vous étouffe et vous lie : voilà quatre paysages homogènes et austères, sans fissure par où voir dehors, où l'environnement, peu varié, répète ses éléments inertes, botaniques ou sociaux. De ces multiplicités toutes lisses vient une épouvante spéciale qui égare parce que le même, inépuisable, fait trembler de peur.
Au contraire de ces exemples trop simples, votre paysage d'existence, exceptionnel ou quotidien, compose et mélange sa sphère de troncs et de buissons inextricables, de roches et de dunes hautes, de tas de sable bas, d'hommes et de femmes divers, d'atomes, d'étoiles, de chemins, de ronds-points dont l'entrelacs mêlé tisse autour de vous ce qui se déplace avec vous par variations puissantes, mais sans changer notablement, au centre de quoi, mobile, allègre, ou bien en prison, égaré, perdu et enfermé dans ce paysage ordinaire que votre destin roule à mesure que vous avancez […].
D'un embarras au suivant, voilà, en tout, votre voie de vie. Locale et globale, cette sphère paysagère porte avec elle tous vos problèmes." [Michel Serres : Eloge De La Philosophie En Langue Française, Fayard,
Paysage : le même mot sert pour dire qu'un promeneur parcourant une forêt perçoit un « paysage » forestier ou pour désigner le « paysage » de montagnes que l'on peut découvrir de l'un de ces « points de vue » signalés par les guides touristiques. Dans les deux cas, le terme évoque la relation qui s'établit, en un lieu et à un moment donnés, entre un observateur et l'espace qu'il parcourt du regard. Au travers de ses propres filtres sensoriels et culturels, l'observateur appréhende ce qui devient pour lui un spectacle porteur de significations. Il met en œuvre toute une gamme de processus perceptifs et mobilise des valeurs, des images, des messages subliminaux et des souvenirs.
L'analyse des mécanismes perceptifs généraux du paysage n'est a priori pas du ressort de la géographie. Celle-ci ne peut cependant pas ignorer la composante perceptive. L'information paysagère émise par le monde qui nous entoure n'est pas prise en charge par un système perceptif mécaniste, indifférent aux données qu'il traite ; elle participe à sa structuration, aux trois échelles de l'espèce, de la société et de l'individu. Il importe de souligner ici le rôle que jouent les représentations dans la construction de notre vision du monde et dans les valeurs que nous attribuons aux paysages. Ces représentations constituent la mémoire d'un groupe ou d'une civilisation. Sédimentées au fil du temps, plus ou moins répandues dans l'ensemble du corps social, elles peuvent parfois se faire oublier, jusqu'à passer pour naturelles. Mais la société d'aujourd'hui en produit aussi dont nous sommes les acteurs autant que les instruments. Les paysages peints ou photographiés, mis en scène dans des œuvres littéraires ou qui ont été diffusés largement au travers des guides de voyage ou des cartes postales, influencent en effet le regard et participent à la mise en place d'une représentation collective du paysage. Ainsi, les caractéristiques esthétiques (comme par exemple l'aspect champêtre ou le pittoresque) que nous apprécions dans tel ou tel paysage, notre intérêt pour tel assemblage d'éléments plutôt que tel autre
Le paysage n'est pas le pays : celui-ci se constitua dans la longue durée par le travail du paysan ou l'urbanisation ;s'opposeront dans l'histoire du paysage ,on le verra ,l'utile et le contemplatif, le travail et l'art. La composition du pays agricole ou urbain n'est pas celle du paysage ,même si le langage confond ces réalités diverses dans le même mot.
« Comme si le monde ne différait pas, en sa surface apparente, de la peau : paysage-guenille qui s'habille par morceaux. Ci vulgaire, là superbe. Le pagus, canton, département, partition de sol ou d'espace, fait la pièce du pays, l'élément de paysage: carré de luzerne, vignoble, lopin, petite prairie, un jardin assez propre et le clos attenant, la place du hameau, le mail. Dans le pagus, tenure du paysan, quartier de sa noblesse vieille, se fixent de rustiques divinités. Là reposent les dieux: dans le creux de la haie, sous l'ombre de l'orme.
Le paysan cohabite avec son dieu païen dans l'élément de paysage.
Paysan païen, l'antique langue en a gardé souvenir: rappelez-vous les restanques d'avant le maquis, les champs clos d'avant les travaux connexes, le damier qu'on ne pouvait nommer panorama : topologie d'une carte assemblée par plaques disparates, diversement colorées, emboîtées bizarrement, pèlerine dépenaillée de vignes, prés, labours, bosquets, lieux-dits, ruines du polythéisme effacé dès la naissance du verbe. Si vous avez vu l'habit d'Arlequin de ma mère la Terre, vous connaissez l'Antiquité. Elle disparaît peu à peu, manteau blanc et redevenu virginal, champs ouverts où le maïs, monotone et consternant, occupe l'espace jusqu'à l'horizon, laid, verdâtre.. »
Le paysan voile-t-il ou viole-t-il ce corps? Ne demandez plus comment on voit un paysage, question d'enfant gâté qui n'a jamais travaillé, cherchez comment le jardinier l'a dessiné ; comment l'agriculteur, depuis des milliers d'années, l'a composé lentement pour le peintre qui le fait voir au philosophe, dans les musées ou les livres.
Il l'a composé pagus par pagus. Or ce même mot latin, de vieille langue agraire, ainsi que le verbe pango nous dictent ou donnent la page, celle que, ce matin, je laboure en sillons réguliers, au soc du style, petit découpage où se fixe, où se plante, où s'établit l'existence de qui écrit, où il la chante. Pré, hameau, luzerne, jardin ou bourgade, lieu-dit de ses travaux, heurs et habitat, où il n'a jamais pu vivre sans la compagnie d'un dieu…. »Michel Serres.Les Cinq Sens.Grasset
Pensée paysagère, pensée du paysage Il est couramment admis que la notion de paysage apparaît au IVe siècle en Chine, et en Europe à la Renaissance. Reconnaître cette réalité historique distingue la position des sciences humaines de celle des sciences de la nature (comme l'écologie du paysage), pour lesquelles il y a toujours et partout paysage, celui-ci n'étant que la morphologie objective d'une portion de la surface terrestre. Les chercheurs en écologie, ne font aucune référence aux phénomènes perceptifs et définissent un paysage comme un espace de plusieurs kilomètres carrés, où un assemblage particulier d'écosystèmes interactifs se répète à peu près à l'identique. La mosaïque des champs, des prés, des haies et des bois d'un bocage en donne un exemple,comme le dit le texte de M. Serres. Le paysage, comme une combinaison de traits physiques et humains qui donne à un territoire une physionomie propre a fourni un moyen de division des étendues terrestres en unités géographiques cohérentes. Cette position a longtemps été celle de la géographie. Toutefois, même dans les sciences humaines, les divergences sont aujourd'hui nombreuses quant à la présence ou à l'absence de la notion de paysage.
« Une révolution toutefois sépare les renonçants de "Inde ancienne, ou les anachorètes de la Thébaïde, des randonneurs d'aujourd'hui; c'est qu'entretemps le sens de « la nature » s'est pour ainsi dire inversé. Jadis, l'espace sauvage était négatif ; repoussant, effrayant, et de ce fait même propice à l'ascèse. Aujourd'hui, cet espace est positif : attrayant, agréable, bel à voir, source de plaisirs. En un mot, c'est un espace amène. Certes, il n'est pas impossible de trouver quelque parenté entre les exercices spirituels de l'anachorète et l'entraînement draconien, la vie ascétique même que s'imposent aujourd'hui certains amateurs de nature. Enchaîner les huit mille sans oxygène dans l'Himalaya, par exemple, c'est physiquement voire spirituellement de l'ordre de l'ascèse. De telles conduites restent effectivement l'exception. Davantage compte ce renversement de structure existentielle : alors qu'un ermite, autrefois, trouvait dans la nature l'envers des plaisirs du monde, aujourd'hui, au contraire, la nature est source de jouissance commune. Elle n'est plus l'autre du monde ; elle en est l'aménité la plus haute. L'espace sauvage est de nouveau civil. Cependant, il ne l'est pas au sens des Achuar ou (peut-on supposer) des Magdaléniens; car loin d'être censé domestique, il ne tire sa valeur que d'une virginité putative. »
« Ce renversement est de la plus grande importance historique, puisqu'il a bouleversé un motif écouménal, l'espace sauvage, qui s'était instauré avec la révolution néolithique. Cela ne s'est pas fait en un jour. Pour ce qui est de l'Europe, deux mille ans séparent la villégiature romaine de nos congés payés. Néanmoins, dans ce processus pluriséculaire, certains événements ont compté plus que d'autres. Le plus décisif, et de loin, aura été la découverte du paysage, » ».A.Berque op.cite
Le processus d'artialisation (cf. Alain Roger) montre comment le regard paysager est une construction culturelle, historiquement datable et explicable. Le développement, à partir du XVe siècle en Europe, d'un genre pictural paysager a modelé notre regard pour nous donner à voir le paysage, structure d'ensemble à usage de contemplation esthétique et non pas seulement juxtaposition d'éléments visuels épars, d'ordre utilitaire ou sacré. L'art pictural a donc fait éclore un modèle paysager qui doit beaucoup aux codes culturels de la civilisation occidentale. Un scénario similaire s'est déroulé en Chine plus dix siècles auparavant et a conduit, là aussi, à un modèle paysager, légèrement différent de l'occidental.
« À strictement parler, le paysage ne fait pas « partie » de l'environnement. Ce dernier est un concept récent, d'origine écologique, et justiciable, à ce titre, d'un traitement scientifique. Le paysage, quant à lui, est une notion plus ancienne, d'origine artistique (voir plus haut), et relevant, comme telle, d'une analyse essentiellement esthétique. Lorsque le biologiste Haeckel (1866) invente le mot Oekologie, c'est un concept scientifique qu'il veut produire. Lorsque Tansley (1935) celui d'écosystème, qui va bientôt féconder toutes les théories de l'environnement, ce sont des préoccupations scientifiques qui animent ces pionniers, et l'on ne voit pas comment de tels concepts seraient applicables au paysage, sinon par une réduction de ce dernier à son socle naturel. Il convient donc de distinguer systématiquement ce qui a trait au paysage et ce qui relève de l'environnement. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas articuler ces deux termes, bien au contraire ; mais cette articulation passe par leur dissociation préalable. ..
« Le paysage n'est pas un concept scientifique. En d'autres termes, il n'y a pas, il ne saurait y avoir de science du paysage, ce qui ne signifie pas, bien au contraire, qu'aucun discours cohérent ne peut être tenu à son sujet.
« Il ne suffit pas de dénoncer cette confusion réductrice, il faut se donner les moyens d'y remédier, et deux décennies de réflexion théorique m'ont convaincu qu'une généalogie des concepts était, en ce domaine, indispensable. Elle nous révèle en effet que le paysage et l'environnement ont des origines et des histoires différentes, qui devraient assurer leur autonomie respective. ..
Il convient d'abord de rappeler que le paysage, nos Paysages, sont des acquisitions relativement récentes. Je n'y reviendrai pas, puisqu'elles ont fait l'objet des précédents chapitres. Quelle que soit la modalité de l'artialisation, in situ ou in visu, le paysage est toujours une invention historique et essentiellement esthétique, comme l'attestent tous les dictionnaires..
.« Avant d'inventer des paysages, par le truchement de la peinture et de la poésie, l'humanité a créé des jardins, qui correspondent à ce que Pauline Cocheris, décrivant les techniques de tatouage et de scarification, appelait « les parures primitives ». Ils sont les vêtements, ornements et tourments que l'homme impose au « pays », le bariolant, le tatouant, le scarifiant en paysage, éprouvant, dès les commencements, ce « plaisir superbe de forcer la nature », dont parle Saint-Simon à propos de Versailles. »… » Alain Richard. Court Traite Du Paysage. Gallimard.
Le jardin serait né en Mésopotamie, il y a environ cinq mille ans, quand l'acclimatation du palmier rendit possible la création d'oasis, c'est-à-dire de zones de végétation permettant de limiter l'évaporation et de maintenir l'humidité constante nécessaire à la survie de plantes fragiles. Paradoxalement, ces conquêtes techniques ne servirent pas d'abord, ni surtout, à la production de plantes destinées à la nourriture des hommes, mais au luxe et au plaisir, aux cultures gratuites des fleurs et des arbustes d'ornement. Mais ces cultures s'adressent moins aux humains qu'aux divinités . Il faut apaiser les dieux en leur offrant la beauté. S'adjuger la faveur des dieux est une condition de survie dans un monde angoissant et imprévisible. Derrière ce premier objectif du jardinier s'en cache un second, plus mégalomaniaque : maîtriser la nature, voire prendre la place des dieux. Le jardin a l'ambition d'être une image du monde .
Le nom de Babylone a toujours évoqué les « jardins suspendus », c'est-à-dire établis sur des terrasses, selon une technique que certains archéologues ont pensé retrouver. Des plans superposés constituent autant de promenades, dont chacune est ombragée de palmiers ; le sol, rapporté, est formé de terre fertile, isolé par une feuille de plomb de la maçonnerie qui soutient la terrasse. L'eau, montée jusqu'à la terrasse supérieure par des chaînes sans fin, provenait de puits, toujours alimentés par la nappe issue du fleuve. Elle redescendait ensuite soit en s'infiltrant à travers le sol et en gagnant des conduites de drainage, soit en véritables ruisseaux et cascatelles, qui étaient l'un des charmes de ces cultures véritablement miraculeuses – ce que doit toujours être, et apparaître, un jardin, c'est-à-dire une nature merveilleusement féconde et belle –, une nature créée grâce au travail des hommes et à la bénédiction des dieux. Les jardins de Babylone sont en rapports évidents avec le culte de la déesse Ishtar, la Vénus babylonienne, divinité de l'Amour et de la Vie. Pierre Grimal .E.U
L e jardin s'offre au regard, tel un tableau vivace, contrastant avec la nature environnante. La nature, dans son ensemble, apparaît par cette distinction comme le domaine du désordre, du vide et de la peur ; la contempler conduit à mille pensées dangereuses. Mais, dans cet espace sauvage, on peut insérer un jardin. Étymologiquement, un jardin est un enclos, II s'agit, comme dans l'activité artistique, de délimiter un espace sacré, une sorte de templum, à l'intérieur duquel se trouve concentré et exalté tout ce qui, hors de l'enceinte, se dilue, livré à l'entropie naturelle. Le jardin, à l'instar du tableau, se veut monade, partie totale, îlot de quintessence et de délectation, paradis, paradigme. Le français paradis ou l'italien paradiso viennent du latin tardif paradisus "parc", terme issu du grec parádeisos lui-même venant de l'iranien ou perse pairi-dae:za qui signifie "lieu clôturé(Le terme de l'ancien perse est composé à partir de la racine indo-européenne dheig'h- "mur"). L'accent est bien mis sur l'enceinte, l'isolement, la séparation d'avec la nature hostile et incontrôlable – le désert. Paradeisos, attesté chez Xénophon, dans YAnabase, pour désigner un parc, un lieu planté d'arbres, où l'on entretient des animaux, sera repris à propos de l'Éden. Une autre racine indo-européenne, ghorto signifiant "enclos", sert de base de construction au latin hortus et au germanique gard dont le sens est "jardin clos".. La forme germanique gard se lit aujourd'hui dans l'allemand Garten et l'anglais garden..
Au moyen-âge, par exemple les jardins étaient clos de murs. Ils n'avaient aucun lien sur l'extérieur et le grand paysage. En effet, ils étaient une symbolisation du jardin d'Eden. Ils étaient contemplés de l'intérieur et offraient une multitude de symbolismes liés au paradis perdu. L'extérieur était vécu comme dangereux et voué à l'enfer. Ceci est aussi le cas avec les jardins musulmans. Les jardins dits zen sont un véritable art de vivre, notamment au Japon où ils représentent cette-fois-ci le paysage extérieur en miniature en l'interprétant et l'idéalisant. Le jardin zen propose un « paysage sec » composé essentiellement de rochers sur lesquels s'ajoute parfois de la mousse, et de sable blanc ou de graviers ratissés. Au moment de la création de ce nouveau style, l'école picturale dominée par l'emploi de l'encre, le suibokuga, suivant les principes de peinture de la Chine des Song, a joué un rôle important dans l'élaboration des jardins. D'origine chinoise, le suiboku permet d'exprimer toutes les couleurs de la nature au moyen des nuances de la couleur noire de l'encre; mais il ne cherche pas à produire des représentations réalistes, l'accent étant mis principalement sur l'esprit et les sentiments du peintre. Cet art va exercer une influence forte sur l'aspect épuré à l'extrême du jardin sec des monastères zen.
Depuis la « nature enclose » (pairie daeza, ce que les Grecs entendirent paradeisos : parc, lieu planté d'arbres où l'on entretient des animaux), il est avéré que l'on peut faire tenir dans les limites physiques d'un jardin bien plus que de la topographie. La clôture est justement là pour dire que cet espace-là ne se réduit pas aux mêmes termes que l'étendue où il s'insère matériellement. Le jardin en effet « spacie » (ràumt), comme Heidegger l'a dit de l'œuvre d'art : il déploie l'étendue. Pourtant, il n'est pas qu'œuvre d'art : quoi qu'en fassent l'architecture et la topiaire ', et même dans les « paysages secs » (kare senzui) du zen, il est nécessairement fait de terre, de pierres et de plantes - seraient-ce des lichens ou des mousses - qui le rattachent toujours à la nature. Il est justement, et par excellence, le lieu où s'allient la nature et l'art. Le lieu, peut-être, qui a vocation d'attester la réalité de cette alliance.
L'exemple ci-dessus nous persuadera qu'il est trop simple de s'en tenir à l'idée répandue que les lignes courbes et irrégulières, en matière de jardins, seraient plus « naturelles » que les lignes droites et l'orthogonalité. Les unes et les autres expriment des conceptions du monde, des cosmologies où « la nature » est une représentation (soit par exemple, dans l'ordre de l'être, celle de sa géométrie latente, soit encore, dans l'ordre du phénomène, celle de ses manifestations paysagères). De ce fait, et compte tenu que cette représentation doit nécessairement embrayer sur des réalités qui, elles, ne sont pas représentation - le fait par exemple que la verdure a besoin de lumière, ou qu'un jet d'eau ne peut que jouer avec mais non supprimer la pesanteur -, le jardin participe des systèmes symboliques, dont le propre est d'affranchir l'humain de l'étendue physique.
Cette règle vaut pour tous les jardins, mais tous ne l'ont pas forcément codifiée ni exploitée au même degré. Dans un parc de style anglais, abstraction faite des fabriques, la représentation tend à s'identifier à la dimension physique de la végétation ; autrement dit, « la nature » tend à coïncider avec l'échelle 1/1 de la topographie elle- même. À l'opposé, dans le kare senzui, « la nature » répudie très ouvertement cette dimension physique, pour se situer au delà ou, plus exactement, s'instaurer à partir de là. Cela n'est que systématiser un principe de l'esthétique d'Asie orientale, laquelle est en effet dominée par l'idée que l'appréciation ou le « goût » (ch.shang, ]shô) des choses ne saurait se borner à leur « forme extérieure » (ch.waixing, j.gaikei), autrement dit à leur topos au sens d'Aristote
l est clair ici que la matérialité (ch.zhi) ou la forme matérielle Q.katachi) des choses n'épuise pas leur réalité. Ce débordement du topos, reconnu dès l'origine de la notion de paysage, est d'autant plus manifeste dans le cas du jardin que celui-ci, au Japon en particulier, a souvent été dit tout uniment « paysage » (senzui), comme s'il allait de soi que sa topographie tînt lieu d'autre chose que ce qu'elle était matériellement (c'est de la même manière que nous pouvons parler, en français, d'un « paysage » de Corot, tout en sachant qu'il s'agit d'une représentation et non de la chose elle-même : un topos grandeur nature). …
Pour dresser les pierres [c'est-à-dire faire le jardin], l'on doit avant tout se pénétrer des principes. Premièrement, en accord avec le relief et en se conformant à l'aspect de la mare, pour chaque lieu comme il se présente, on examinera tous les aspects de son caractère, en gardant à l'esprit les paysages naturels et en tâchant d'en rendre au plus près les lieux divers. Item, on fera le jardin en prenant modèle sur la manière des maîtres du passé, tout en exprimant son propre goût et en tenant compte de la volonté du maître des lieux. Item, on fera le jardin en assimilant et en harmonisant aux conditions locales les traits essentiels de divers sites renommés, dont on aura fait siens les lieux intéressants, A. Berque.L'appareillage De L'ici Vers L'ailleurs Dans Les Jardins Japonais
Pour ces raisons, l'on peut dire que le jardin est une création opérée par l'homme à sa mesure. Il n'existe pas de jardin spontané. Celui-ci a l'ambition d'être une miniature du monde et aussi une mise en ordre du monde. Un jardin commence dès l'instant où une volonté humaine impose une fin immédiatement sensible aux « objets naturels », ( à ce qui naît, croît et meurt selon les lois de la nature.) Et cela entraîne une sorte de contradiction entre une matière libre et des formes asservies. L'art des jardins sera une conciliation entre ces deux termes, et ses styles seront le résultat des solutions diverses apportées à cette conciliation. Tantôt la matière l'emportera sur la discipline formelle – on approchera alors du paysage spontané, sans l'atteindre jamais –, tantôt la discipline limitera étroitement les forces naturelles, le jardin tendra vers la stabilité quasi minérale de l'architecture, et l'on aura le paysage immobile des ifs taillés, des charmilles, des bassins géométriques.
Ainsi Le « jardin à la Française » est un style de jardin,lié aux chateaux monarchiques ou aristocratiques et qui apparaît en France au milieu du XVIe siècle, inspiré du jardin italien. Les châteaux de France, se trouvant plus généralement en plaine, ne bénéficient pas des commodités italiennes de terrain permettant vols d'escaliers, cascades et rampes. Mais les dénivelés plus modestes n'empêchent pas l'aménagement de terrasses. Une singularité française est que la présence de cours d'eau sur le site a permis de doubler les allées de canaux (Anet) et de remplir des bassins (Fontainebleau) dont le dessin est axé sur le plan général du jardin.
Autre particularité : les dessins de parterres acquièrent en France une élégance toute particulière. Premier exemple de cette symbiose entre architecte et maître jardinier, qui caractérisera à l'avenir l'histoire des jardins, Claude Mollet, jardinier au service de Henri IV, réalise le premier parterre de broderie connu, dessiné par l'architecte du château d'Anet, Etienne du Péracsous, sous les fenêtres du château. Toujours à base de buis, sa conception est totalement dépendante du plan de l'implantation des bâtiments. Considéré comme une extension de l'architecture, il doit être admiré depuis l'étage noble. Le dessin doit être régulier, et chaque compartiment parfaitement équilibré.
Les parterres s'organisent de façon symétrique les uns par rapport aux autres. Ils sont construits à partir de figures géométriques (carrés, triangles, ronds, demi-cercles…) qui sont tracées et disposées de manière à corriger les perspectives, pour donner l'impression que le jardin est plus grand ou plus petit par exemple.
On l'oppose traditionnellement au «Jardin à l'Anglaise ». Celui-ci
Il apparaît au début du XVIIIe siècle. L'idée est d'imiter la nature. Le jardin à l'anglaise est en complète opposition au style de jardin à la française par son agencement et ses formes irrégulières. Il en prend le contre-pied, aussi bien esthétiquement que symboliquement, en se proclamant avant tout paysage et peinture. Par ce refus de la symétrie et donc des codes, il devint un symbole d'émancipation vis-à-vis de la monarchie et de ses représentants, notamment sous la Révolution française, alors que l'influence française prédominait jusque là. Une esthétique privilégiant la redécouverte de la nature sous son aspect sauvage et poétique fut alors la priorité des concepteurs de l'époque, l'objectif n'étant plus de contrôler la nature mais d'en jouir.
Cette conception allait submerger l'Europe ; ainsi à Versailles, un jardin à l'anglaise est réalisé au Petit Trianon pour la reine Marie-Antoinette. Vallonné de collines artificielles, il comprend un petit lac, une grotte et un belvédère.
Dès le début du XVIè siècle, les jardins à l'anglaise se caractérisent par des cheminements sinueux ouvrant sur des points de vue pittoresques, là où un peintre poserait volontiers son chevalet. Il n'est donc pas surprenant que leurs concepteurs soient le plus souvent des peintres, comme William Kent qui en fut le précurseur. Tout comme dans un tableau, on recherche l'équilibre des volumes, la variété et l'harmonie des couleurs et des matières végétales avec des arbres rares aux feuillages colorés, des troncs torturés, pelouse, ruisseau, étang, prairie ou précipice.
La perspective atmosphérique prime sur la perspective optique. Les imperfections de la nature y sont donc exploitées et non corrigées On trouve donc dans ces jardins à l'anglaise une association de diverses espèces ornementales de formes et de couleurs variés, des arbustes, des fourrés, des rochers, des statues, des bancs. L'itinéraire n'est pas balisé : la promenade dans un jardin à l'anglaise laisse une grande part à la surprise et à la découverte. Pas d'allées rectilignes guidant les pas du promeneur mais plutôt une sorte « d'errance poétique ».Le jardin à l'anglaise est en somme une peinture vivante.
« Chez William Kent, par exemple, le jardin est conçu à l'imitation des tableaux « romains » de Claude Lorrain et de Gaspard Dughet. Ainsi, à Stowe ou à Rousham, le jardin s'offre à l'amateur comme une succession de tableaux tridimensionnels, où l'artiste, travaillant sur nature, peut faire l'économie du trompe-l'œil. Même picturalisme à Stourhead, création de Hoare, grand admirateur de Claude et de Gaspard Dughet, et aux Leasowes de Shenstone, l'un des plus remarquables théoriciens du landscape gardening : « Je crois que le peintre de paysage est le meilleur dessinateur du jardinier. » D'où son utilisation du Claude glass, appareil d'optique à miroir ovale convexe permettant de découper dans le « pays » des « paysages » à contour claudien.
Horace Walpole, dans une page fameuse de ses Anecdotes on Painting, rend un hommage appuyé au « naturalisme » de Kent - - « Le coup de maître, le pas qui conduisit à tout ce qui a suivi, ce fut la destruction des enceintes murées et l'invention des fossés. [...] Il franchit la clôture (he leaped thé fence) et vit que toute la nature est un jardin » —, il s'empresse d'apporter un correctif artistique à cet apparent naturalisme : « Ainsi le pinceau de son imagination prodigua tous les artifices (arts) d'un beau paysage aux scènes qu'il dessina. Les grands principes sur lesquels il travaillait étaient la perspective et le clair-obscur (light and shade). C'est ainsi qu'il "réalisa les compositions des grands peintres" ».Alain Richard.Court Traité Du Paysage
A SUIVRE
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L'aménagement du paysage a donc toujours eu sa place tout au long de l'histoire humaine. Mais si cette place ne lui est pas redonnée à nouveau tout porte à croire que cet art perdra de sa place à l'air de la modernité. Il faut donc une prise de conscience collective, et qui se caractérisera par des efforts individuels, mis sur pieds dans nos domiciles respectif et progressivement le concept s'étendra donc. Pour des idées et suggestions sur comment aménager chez soit sont jardins qui constitue notre paysage le plus proche faite un tour http://architectesdejardins.fr
Rédigé par : Martins Bruno MELO | lundi 01 avr 2013 à 11h47