« Je dirai maintenant comment est faite Octavie, ville-toile d'araignée. Il y a un précipice entre deux montagnes escarpées : la ville est au-dessus du vide, attachée aux deux crêtes par des cordes, des chaînes et des passerelles. (…) Telle est la base de la ville : un filet qui sert de lieu de passage et de support. Tout le reste, au lieu de s'élever par-dessus, est pendu en dessous : échelles de corde, hamacs, maisons en forme de sacs, portemanteaux, terrasses semblables à des nacelles, outres pour l'eau, becs de gaz, tournebroches, paniers suspendus à des ficelles, monte-charges, douches, pour les jeux trapèzes et anneaux, téléphériques, lampadaires, vases de plantes aux feuillages qui pendent. Suspendue au-dessus de l'abîme, la vie des habitants d'Octavie est moins incertaine que dans d'autres villes. Ils savent que la résistance de leur filet a une limite. » Italo Calvino, Les villes invisibles
Le labyrinthe revient en force, dans toutes les dimensions de notre société. Il revient comme modèle de pensée mais ce n'est plus celui qui présidait à une vision de l'espace sacré ou aux divertissements qui en conservaient le dessin. Le texte de M. Serres sur le jeu de l'oie le pressentait. Selon la classification d'Umberto Eco, le modèle qui nous gouverne est désormais celui du labyrinthe/ Rhizome.
A trop insister sur le contenu et le « sens « du labyrinthe qu'on pensait d'abord initiatique ou religieux, on avait omis de considérer ses caractères formels, comme outil de jonction de formes différentes ,dont ils assure la continuité par connexion. Dans le domaine physique, on rencontre ainsi fréquemment des labyrinthes à l'interface de formes différentes. Par exemple, les transitions de phase entre deux états de la matière, solide et liquide ou liquide et gazeux s'opèrent au moyen de structures labyrinthiques. L'intestin est un autre exemple d'une telle surface de transition. Penser ce labyrinthe c'est se situer dans l'entre deux.
Les mythes, les romans ont ainsi une structure labyrinthique traçant un chemin qui passe par les différentes situations à parcourir ; la connexion entre deux situations distinctes, comparables à deux formes différentes, est assurée par un tel labyrinthe structurel qui assume donc l'absence de dépendance causale entre scènes successives. Ce peut être, par exemple, l'errance sur une mer déchaînée entre deux étapes de l'Odyssée. Dans les romans de Kafka, la méthode est raffinée. Kafka, si ses récits ne s'achèvent pas, crée de véritables labyrinthes matériels entre les différentes situations qu'il juxtapose. Le héros passe d'une scène à la suivante par une série de détours dans lesquels il se croit perdu. Le labyrinthe ne distord pas seulement l'espace mais le temps. De même qu'il éloigne des lieux proches en y introduisant la distance de ses circonvolutions, il sépare des instants voisins en y intercalant des durées anormales. Il nous maintient dans une sorte de suspens illimité. Ainsi l'énigme du Procès ou la quête de « l'Arpenteur dans le Château. Le terme importe peu, s'il existe, seuls comptent les efforts des protagonistes, leur abnégation à chercher, à enquêter à questionner.
« La croyance au monde est inféodée au modèle d'une Création, création qui suit un ordre, l'orchestration d'une partition intégrale dont on retrouve encore des notes chez Leibniz ou Spinoza. Même si ce dernier n'est pas du tout créationniste, il ne s'en réfère pas moins à une Nature unique et sans faille. C'est cet univers qui, désormais, semble se dissoudre dans l'hétérogène. Où que l'on porte le regard, on pressent déjà une hostilité à l'ordre, à tel point que la raison ne cesse d'être invoquée en remède, prothèse bancale d'une méthode susceptible de nous arracher à l'erreur et à l'errance de l'imagination inquiète. Le monde, pour continuer d'y croire, exige une forme de mathématique sévère qui se montre capable de sortir de la dispersion infinie des sphères… Il y a toujours un passage entre les éléments du monde que la raison pourra construire. Mais, au sein de ces passages, on verra se diviser d'autres monstruosités encore, pour peu qu'on aille assez loin dans le détail. Le XXe siècle montre des aberrations, une horreur quantique au terme de laquelle il ne nous sera plus loisible de faire la différence entre le même et l'autre, entre onde et corpuscule. C'est du sein de la raison elle-même et non de son sommeil ou de sa mise en veille que monte une indécision infinie, une contradiction que le paradoxe de Russell va dramatiser jusqu'à la folie, découvrant les discordances de la logique dans son fonctionnement le plus rigoureux. Le passage à la limite qui pouvait venir à bout des contraires, la tangence touchant à l'unité des opposés, avec l'illusion d'un contact qui fasse un monde sont irrémédiablement perdues depuis que la modernité est en crise, en passe de dissiper en même temps que son Dieu, son univers avec le sujet supposé s'y abriter…
L'infini moderne cède alors le pas au chaos de notre siècle déboussolé. À la jointure de tous les temps, dans la bifurcation de ses labyrinthes, le contemporain est le nom des mondes qui se superposent mis en dehors les uns des autres, parcourus par des outsiders qui seront comme des héros de la science-fiction devant des matières dont la mémoire ouvre des nanomondes immenses au sein de villes et d'appartements de plus en plus rétrécis…..J.Clet Martin. Plurivers.Puf
Pour l'anatomie, la physiologie, tout est déjà labyrinthe.
Au XIIe siècle, le vieux français resel désignait un « petit filet utilisé pour la chasse et la pêche .L'idée de réseau s'est tout naturellement appliquée à la physiologie et aux tissus biologiques. Les réseaux corporels, tels ceux de l'appareil sanguin et nerveux, servent à transmettre des flux et les tissus sont vus comme des maillages. Le réseau permet de concilier la fixité et la fluidité par sa nodalité (les nœuds sont des points fixes essentiels car c'est là que se croisent les flux) – c'est une « machine circulatoire »,
Voici bien longtemps qu'on a remarqué que l'empreinte digitale peut être perçue comme un système de méandres spécifique à chaque individu; la meilleure représentation actuelle du cerveau est aussi un labyrinthe où circulent des informations complexes; on retrouve la spirale dans certaines plantes (volubilis, liseron, tournesol, ananas, etc.) ; l'ADN lui-même est évidemment hélice, spirale et tresse à la fois, source de vie labyrinthique
L'électricité a délocalisé à l'extrême la distribution de la puissance, puis les télécommunications ont fluidifié l'espace-temps – le monde pouvait désormais être conçu comme un ensemble de sites susceptibles d'établir entre eux des liens de communication.
Le type de pression sociale qui se met en place dès l'aube de la civilisation industrielle contraint l'individu moderne à ne plus pouvoir vivre que connecté à des réseaux. . Nous sommes ainsi partie prenante, d'une infrastructure faite de filets à plus grosses mailles interconnectées qui rend l'individu complètement dépendant des choix techniques (ceux économiques ou financiers rentrent évidemment dans ce cadre), opérés en des lieux mystérieux et pour des raisons que personne ne connaît. Mais en ces lieux mystérieux opère tout le pouvoir de la technoscience .
Dans certains réseaux/filets nous sommes totalement guidés. Par exemple, une fois composé un numéro de téléphone, avant que la communication ne s'établisse, elle traverse un labyrinthe sans impasses où les bifurcations sont toutes programmées dès le départ, chaque chiffre en ordonnant une : pays, puis ville , puis quartier, puis correspondant. Dans la numérotation des « portables », les bifurcations classent des personnes et non plus des lieux.
Dans d'autres, en revanche, chacun risque de se perdre : prendre le métro, changer de bus, marcher d'un quartier à un autre, rechercher un service sur Internet, faire des achats dans les rayons d'une grande surface, déambuler dans une gare, un aéroport, un parc d'attractions, un musée, suivre un cursus scolaire, chercher un emploi et même, on le verra, danser, jouer aux échecs, au football, aux jeux vidéo... Apprendre, jouer, rêver, voyager, travailler, consommer, danser, se distraire, découvrir, se soigner, sont, d'une façon ou d'une autre, des occupations labyrinthiques.
Divers futurs sont désormais possibles dans le temps, devenu lui-même un labyrinthe mathématique. La découverte des ondes électromagnétiques a bouleversé les principes de la géométrie : un réseau n'a plus besoin d'être rectiligne pour être efficace .quelle que soit sa forme, le temps nécessaire pour le parcourir est pratiquement constant. Depuis lors, le labyrinthe ne quitte plus les sciences : les nouvelles géométries non euclidiennes sont, par essence, labyrinthiques ; les théories modernes des catastrophes, des fractales, des oscillations, renvoient, elles aussi, au labyrinthe ; la physique des particules utilise les mêmes mathématiques que celles de la théorie des nœuds ; la probabilité envahit la matière elle-même, qui n'est plus représentée comme un ensemble de cristaux alignés, mais comme un assemblage en spirales de labyrinthes fractals aux positions incertaines, où tout est réseau complexe, ensemble de chemins critiques et d'impasses. La physique nucléaire et même l'optique - pourtant science par excellence de la ligne droite -» l'informatique, utilisent le labyrinthe comme métaphore ou comme support réel. Par exemple, rien de plus labyrinthique qu'une puce électronique où s'entrecroisent des connexions qui n'auraient pu être conçues sans l'interaction de découvertes antérieures, du transistor au silicium, du pentium aux algorithmes - ceux-ci eux-mêmes labyrinthes de signes, successions de bifurcations que généralise ensuite le codage des sons et des images. Avec le numérique, chaque son, chaque image est un point d'aboutissement dans un labyrinthe, une adresse dans un réseau de bifurcations.
« Les médias développent des espaces virtuels. Expérimentant moins qu'elles ne simulent et s'occupant du possible plus que du réel, les sciences, aujourd'hui, se développent dans des espaces virtuels, aussi bien. Le droit règle, enfin, les conduites possibles. Or tout pouvoir politique est depuis toujours, l'art et la capacité du possible et du virtuel. Donc, le pouvoir tend à tomber dans les réseaux des médias, dans les possibles de la science et les règles du droit.
En touchant, localement, chaque individu et en traçant des chemins nombreux, directs et inverses, du local au global, nos réseaux, technologiques, tendent, donc, peu à peu, à remplacer les anciennes grandes instances ou institutions chargées du global, Etats, Droits, Eglises, Banques et Bourses, Ecoles et Universités. Passé la révolution industrielle, la nouvelle révolution technologique porte, en effet, exactement, sur la construction d'un univers. L'innovation touche moins le travail, la production, ou même, peut-être, le commerce, que l'ensemble des liens entre le local et 1e global. Ce qui restait aveugle et caché, dans les institutions, d'où la représentation, se matérialise, devient présent e visible, en temps réel. Cette réalité du temps double et renforce tout ce qui reste virtuel dans les espaces.
. Désormais, visible, construit, fascinant, le réseau s'installe parmi nous, mieux, nous habitons en lui
Qu'a-t-il à faire des autres institutions, D'où la capacité de détruire ou remplacer, pour le pire et le meilleur, le politique, le religieux, le droit, la culture et le savoir ; les rapports de violence et de force ; le commerce et l'argent ; trois instances chargées, depuis l'aurore de l'histoire, de faire apparaître et forger le lien social. Car ces institutions et les personnes qui les hantaient détenaient, jadis, leurs fonctions et leurs pouvoirs de ce que nous ne savions pas tracer les chemins du local au global et que nous ignorions même ce que ce dernier signifie. Or, nous les traçons chaque jour et nous en suivons, en temps réel, les câblages. Tel qui tient ce réseau, qui va du local au global, ayant tous les pouvoirs, remplace le politique ; ayant tous les droits, remplace le judiciaire ; parce qu'il sait tout, remplace le savant ; faisant fonctionner sa machine à fabriquer des dieux, détient, enfin, le sacré ; choisit les lieux de la violence ; fait flamber ou non le commerce et l'échange ».M.SERRES.ATLAS.CHAMPS FLAMMARION.
Notre expérience ne peut plus être celle d'un seul chemin pré tracé quel que soit ses méandres.
Au Moyen Âge, l'espace était vécu comme un ensemble hiérarchisé de lieux (lieux sacrés et lieux profanes, lieux urbains et campagnards, lieux célestes et terrestres), un espace très codé de localisations. Redisons le, le labyrinthe était cet espace fermé, de type cnossien ou maniériste, sinueux certes, retardant la marche , mais qui restait rassurant par son enveloppe extérieure et parce que comportant un centre. ….il symbolisait les contraintes de l'existence à d'autres époques de la culture que la nôtre. Un fil d'Ariane ou les cailloux du Petit Poucet permettait de le maitriser. Ulysse finissait par sortir du labyrinthe méditerranéen et le pèlerin atteignait Jérusalem, grâce aux dessins des cathédrales.
Cet espace fermé et hiérarchisé s'ouvrira d'abord avec Galilée et Descartes, qui introduisent un espace infini et infiniment ouvert, passage du monde clos à l'univers infini, selon le titre célèbre d'Alexandre Koyré :
l'étendue se substitue à la localisation. Mais de nos jours, nous vivons, selon Marc Auge dans un espace de la surmodernité qui relativise et déborde l'organisation de l'espace familier, espace que nous n'avons pas encore appris à regarder et à comprendre, un labyrinthe paradoxal qui ne requiert plus le même fil d'Ariane parce qu'y prolifèrent les « non-lieux »
« Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu. L'hypothèse ici défendue est que la surmodernité est productrice de non-lieux, c'est-à-dire d'espaces qui ne sont pas eux-mêmes des lieux anthropologiques et qui, contrairement à la modernité baudelairienne, n'intègrent pas les lieux anciens : ceux-ci, répertoriés, classés et promus « lieux de mémoire », y occupent une place circonscrite et spécifique. Un monde où l'on naît en clinique et où l'on meurt à l'hôpital, où se multiplient, en des modalités luxueuses ou inhumaines, les points de transit et les occupations provisoires (les chaînes d'hôtels et les squats, les clubs de vacances, les camps de réfugiés, les bidonvilles promis à la casse ou à la pérennité pourrissante), où se développe un réseau serré de moyens de transport qui sont aussi des espaces habités, où l'habitué des grandes surfaces, des distributeurs automatiques et des cartes de crédit renoue avec les gestes du commerce « à la muette », un monde ainsi promis à l'individualité solitaire, au passage, au provisoire et à l'éphémère, propose à l'anthropologue comme aux autres un objet nouveau dont il convient de mesurer les dimensions inédites avant de se demander de quel regard il est justiciable… »Marc Auge.Non Lieux.Seuil
Un tel monde labyrinthique peut être qualifié de « chaos », à condition de ne pas comprendre celui-ci comme inerte, simple mélange d'éléments dus aux hasards mais comme ce qui défait toute consistance dans l'infini. Physique il est aussi mental : Il guette toute pensée prise entre la fermeture et la menace inverse d'inconsistance ; nous sommes submergés par des « données » de toutes sortes, par un afflux incessant de ponctualités de tous ordres, perceptives, affectives, intellectuelles, dont le seul caractère commun est d'être non lié. (régime de notre information médiatique). « Décodage généralisé » selon Deleuze. Nos schèmes intellectuels et perceptifs traditionnels, nos habitus deviennent impuissants face à cette démesure des données. l'existence d'un tel chaos exige une toute autre pensée, une nouvelle forme de liens et de déchiffrement que celle de schèmes interprétatifs et de codes tout faits.
« De cette demi-maîtrise naissent nos angoisses, devant lesquelles nous érigeons le principe de précaution; il décide au préalable. S'il reste un principe, précédant tout commencement, il risque d'étrangler l'œuvre. Préformationniste, il devient prétexte d'immobilité, une sorte de sophisme paresseux. Laissons donc ce prin- et ce pré-, faux et inutiles. Comme tout bouge et se négocie à la contingence, mieux vaut qu'il varie comme le font la maîtrise et le principe de raison.
Inventons alors une éthique à la mode cybernétique. Gouvernons des productions dont nous ne décidons jamais, une fois pour toutes et avant tout, du comportement. Suivant les enseignements obtenus au cours de leur évolution, infléchissons en temps réel nos décisions, en pratiquant la prudence du pilote. À la barre, il gouverne le vaisseau suivant ses intentions ou celles de la collectivité dont il exécute le dessein, mais en tenant compte sans cesse des réactions de la houle, du vent, de la tenue du bâtiment, de sa danse avec la lame, de l'humeur de l'équipage, de l'âge du capitaine... têtu, tient le cap, sans muser vers les quatre vents de la rosé, mais change de route s'il le faut, fait escale, met en panne ou à la cape, revient sur ses pas, contourne les cyclones et les parages de bonace... bref gouverne. Avertie de la contingence du monde, la prudence agit selon la logique des modalités. »Michel Serres. Rameaux Le Pommier.
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Penser le bouleversement contemporain implique donc une révolution de la pensée, réinterrogeant nos catégories, ce que Deleuze appelle une « pensée du dehors », ou « pensée nomade » qui épouse le modèle du rhizome. »: « La pensée, écrit Deleuze, s'installe ainsi en dehors de la conscience, dans un monde de conjonctions et de rencontres à chaque fois singulières et imprévisibles, et le dehors s'installe dans la pensée à travers l'extériorité des espaces et des lieux. »
Dans la classification d'Umberto Eco, le rhizome s'oppose au labyrinthe « maniériste » qui peut se dérouler en une arborescence : le rhizome est donc l'image de la pensée destinée à combattre le privilège séculaire de l'arbre « Il est flagrant que « beaucoup de gens ont un arbre planté dans la tête », écrit Deleuze. Qu'il s'agisse de se chercher des racines ou des ancêtres, de situer la clé d'une existence dans l'enfance la plus reculée, ou encore de vouer la pensée au culte de l'origine, de la naissance, de l'apparaître en général. Le modèle arborescent soumet la pensée à une progression « droite » de principe à conséquence, tantôt la conduisant du général au particulier, tantôt cherchant à la fonder, à l'ancrer pour toujours sur un sol .Notre sol est pourtant désespérément chaotique. Le rhizome désigne désormais ce qui est premier dans l'expérience « réelle » : pas de point d'origine ou de principe premier commandant à toute la pensée ; pas d'avancée significative qui ne se fasse donc par bifurcation, rencontre imprévisible, réévaluation de l'ensemble depuis un angle inédit. La pensée doit s'en remettre à l'expérimentation, sans rapport avec une origine. Toute rencontre sera possible au sens où l'on n'a pas de raison de disqualifier a priori certains chemins plutôt que d'autres) ; on commence au milieu. Ce qui ne signifie pas faire n'importe quoi. Il y a un « tact », une sensibilité de la pensée aux signes labyrinthiques des rencontres qui justement forcent à penser : ainsi chez Proust, la curiosité des signes mondains conduira le narrateur à l'indifférence déçue ; à l'inverse, l'énigme des signes sensibles et de la mémoire involontaire (la madeleine, le rêche d'une serviette,les pavées disjoints ) tracera le chemin du Temps Perdu(au sens de perdre son temps ) au Temps Retrouvé. Dans L'homme Sans Qualité de Musil, roman qui se veut « expérimental », le protagoniste Ulrich est celui qui « pense une chose et en même temps qu'elle pourrait aussi bien être autre » .s'il ne méconnait en aucune façon le réel ,il le traite comme une invention perpétuelle.
« A la différence des arbres ou de leurs racines, le rhizome connecte un point quelconque avec un autre point quelconque, et chacun de ses traits ne renvoie pas nécessairement à des traits de même nature, il met en jeu des régimes de signes très différents et même des états de non-signes. Le rhizome ne se laisse ramener ni à l'Un ni au multiple… Il n'est pas fait d'unités, mais de dimensions, ou plutôt de directions mouvantes. Il n'a pas de commencement ni de fin, mais toujours un milieu, par lequel il pousse et déborde.. Une telle multiplicité ne varie pas ses dimensions sans changer de nature en elle-même et se métamorphoser. A l'opposé d'une structure qui se définit par un ensemble de points et de positions, de rapports binaires entre ces points et de relations biunivoques entre ces positions, le rhizome n'est fait que de lignes :
lignes de segmentarité, de stratification, comme dimensions, mais aussi ligne de fuite ou de déterritorialisation comme dimension maximale d'après laquelle, en la suivant, la multiplicité se métamorphose en changeant de nature. On ne confondra pas de telles lignes, ou linéaments, avec les lignées de type arborescent, qui sont seulement des liaisons localisables entre points et positions... … Contre les systèmes centrés (même polycentrés), à communication hiérarchique et liaisons préétablies, le rhizome est un système acentré, non hiérarchique et non signifiant, sans Général, sans mémoire » organisatrice ou automate central, uniquement défini par une circulation d'états.
Ce qui est en question dans le rhizome, c'est un rapport avec la sexualité, mais aussi avec l'animal, avec le végétal, avec le monde, avec la politique, avec le livre, avec les choses de la nature et de l'artifice, tout différent du rapport arborescent : toutes sortes de "devenirs »…G.DELEUZE ET F.GUATARRI.MILLE PLATEAUX. Minuit.
La pensée du labyrinthe contemporain serait ainsi une pensée nomade. Concept topologique qui désigne chez Deleuze une distribution dans l'espace, un espace ouvert sans repères, sans frontières déterminées. Pour le philosophe il faut toujours « parler en géographe ». La pensée à une inscription dans le sol. L'espace n'est pas un récipient mais un ensemble de règles de production. Ainsi nomade et nomos (la « loi ») dérivent de la même racine grecque nem (« partager » ou « attribuer à un troupeau
« Tout autre est une distribution qu'il faut appeler nomadique, un nomos nomade, sans propriété, enclos, ni mesure.» Ceci a-t-il un lien avec le mode de vie chez les nomades ? Oui, bien entendu. Mais à condition de concevoir la vie nomade selon la conception deleuzienne du voyage comme un aspect de l'espace ou un rapport avec l'espace dans lequel l'espace perd son organisation rigide. Le nomade est, à l'origine, celui qui fait paître. Si nous définissons la particularité de la vie nomade, c'est principalement le déplacement et l'instabilité, mais ce n'est pas cela qui intéresse Deleuze, c'est plutôt la manière de distribuer et de peupler l'espace, floue de l'espace, l'absence de l'ordre statique, étatique ».
« Dans ce terme (contrairement à ce que l'on a l'habitude de penser), ce n'est pas l'idée d'extrême mobilité ou d'errance (d'ailleurs il ne cesse de nous rappeler que les circuits coutumiers les des nomades sont beaucoup plus fixes qu'on ne le pense, que vrais nomades ne bougent pas beaucoup), mais surtout la forme de distribution dans l'espace, qui devient dans sa philosophie espace mental, espace social, espace politique. Il ne faut pas comprendre le nomadisme dans le sens du voyage comme déplacement dans l'espace. Car comme disait Deleuze, les grands voyageurs ce sont ceux qui ne se déplacent pas. Les nomades sont toujours au milieu, n'ont ni passé avenir, ils ont seulement des devenirs, devenir-femme, devenir-animal, devenircheval. Les nomades n'ont pas d'histoire, ils ont seulement la géographie : « C'est à propos de ces nomades qu'on peut dire, comme le suggère Toynbee : ils ne bougent pa ».
« Ce qui veut dire que le mot, au départ, ne désigne pas le déplacement mais une manière particulière d'occuper l'espace. L'espace nomade est un espace illimité, dans lequel tout change : « les orientations n'ont pas de constante, mais changent d'après les végétations, les occupations, les précipitations temporaires. » Il ne faut pas interpréter le nomadisme comme un déplacement mais comme un devenir perpétuel et un changement, même sur place, en espace en mouvement. Le nomadisme est une distribution « rhizomatique » sans modèle, selon les besoins immédiats. L'espace nomade est donc d'abord un lieu d'occupation sans limites précises (par exemple, l'étendue autour d'une ville). Le nomade se meut dans un espace sans repères (le désert, la mer, l'espace glacial), il ne connaît pas les lieux fixes, les Etats et les empires. L'essentiel dans cette vie de nomade, c'est le devenir perpétuel et la haine de l'organisation rigide et distribution ferme de l'espace. Non seulement le nomadisme est une distribution sans propriété et sans mesure, mais Deleuze va lier le nomadisme avec le devenir pour en faire une ligne de fuite. Avec sa machine de guerre, le nomade s'oppose au despote avec sa machine administrative ; l'unité nomadique extrinsèque s'oppose à l'unité despotique intrinsèque. Outre le fait que ce n'est pas le déplacement qui détermine le nomadisme mais l'absence de limites, le devenir perpétuel ; il y a aussi le fait que le nomadisme n'a pas d'objectif précis ou de finalité dans le devenir,sinon chercher sans cesse les prairies, poursuivent des itinéraires déterminés ».Nouri Ismail.Thèse De Doctorat.Esthétique Nomade.La Ligne.Deleuze Et Klee.
Le philosophe distingue deux types d'espaces, le lisse et le strié. Le second est espace de capture et d'enfermement, tel le labyrinthe classique, rapporté des coordonnées précises selon le système de référence approprié, c'est l'ensemble des lieux de coercition... C'est par exemple l'espace du travail ou l'humain est confronté à l'inhumain, moderne Minotaure. Il n'en est pas de même du premier, d'une tout autre nature, Un espace où tout procède par devenir, dont le modèle est l'itinération et qui se définit par son horizon, son ouverture d'un champ de mouvement et de déploiement...Deleuze introduit le concept de « déterritorialisation »qui n'est pas le départ du territoire mais sa mise en mouvement,la constitution d'un espace déplaçable
Une telle pensée donne le privilège à la ligne qui se définit d'abord par son caractère dynamique ;elle exprime la fonction, le processus, l'opération et le chemin. La voie de la création prend la supériorité sur les formes créées. Alors que la forme a un caractère statique, figé, qui peut devenir mortel la ligne est toujours vivante, en promenade permanente, comme l'acte de parcourir.
J'ai déjà cité la nouvelle de Borges sur les deux labyrinthes, celui du prince qui multiplie les murs et les constructions dures pour enfermer le nomade arabe dans un labyrinthe dont il sort pourtant ; à l'inverse, le labyrinthe du nomade ne comporte aucun mur aucun espace clos, c'est en un mot le désert. Le prince y meurt faute de savoir s'y orienter et être prêt à y survivre.
« Dans l'espace strié on se déplace d'un point à un autre et les lignes et les trajets n'ont de sens que dans cette dimension réglée : toute "errance", toute "dérive", tout mouvement sans but évident sont considérés comme inutiles, nuisibles, menaçants, illégitimes. Dans l'espace lisse il y a un mouvement inverse : subordination de l'habitat au parcours, de l'espace du dedans à l'espace du dehors[
Si l'espace sédentaire est strié par des murs, des clôtures, des chemins et des répartitions fixes, l'espace nomade des steppes, des déserts, des glaces ou de la mer est lisse et marqué par des traits qui s'effacent et se déplacent avec le trajet. Les nomades ne s'orientent pas en fonction de l'astronomie, mais à partir de qualités tactiles et sonores, de traces et d'empreintes variables (le vent, le sable, la glace ou l'étendue liquide de la mer). Il n'existe pas seulement une opposition entre nomades et sédentaires, mais aussi une différence entre nomades et migrants : le migrant est essentiellement celui qui va d'un point à un autre où il se reterritorialise, le nomade ne va d'un point à un autre qu'à l'intérieur d'un parcours, d'un trajet incessant, même si ses déplacements peuvent suivre des rythmes relativement réguliers.(Deleuze parle de ritournelle sur laquelle on reviendra) Le nomade ne s'approprie pas l'espace qu'il traverse, et son habitat lui-même n'est pas lié à un territoire, puisque son environnement se reconfigure suivant les étapes de son itinéraire » M.Antonioli. Géophilosophie de Deleuze et Guattari, Paris, L'Harmattan.
C'est par le mouvement, la mobilité, que la pensée nomade produit un autre point de vue, souvent critique sur le monde, une vision mise en forme par et dans le mouvement. L'hétérogénéité qui la caractérise s'oppose au stable à l'éternel, à l'identique au constant ». Dans la pensée nomade, le point sédentaire n'existe que pour repartir, support, relais du mouvement, relais d'inspiration .aussi pourrait-on qualifier cette pensée de tourbillonnaire , non plus rectiligne, mais ouverte sur des espaces non-fermés et indéfinis.
Je voudrais donner un exemple de cette pensée nomade que nous redécouvrons ;un exemple qui est un paradoxe .Comme nous le montrent le travail des ethnologues, comme aussi le beau livre de Bruce Chatwin, le Chant Des Pistes., cette pensée existe de manière ancestrale chez des peuples dont on a simplement nié l'existence(terra nullius) ou considéré comme l'exemple même de la primitivité, à savoir les aborigènes d'Australie.(pour plus d'informations cliquer sur la catégorie aborigènes)
Dans ses travaux, l'anthropologue Barbara Glowczewski a montré l'existence d'une pensée réticulaire, multidimensionnelle chez les tribus aborigènes d'Australie, dont le système cognitif spatialisé et la cosmogonie reposent sur une vision traditionnelle de l'univers qu'elle qualifie de « connexionniste » dans le sens où tout y est virtuellement connectable et interdépendant : il est à noter que dans certaines régions, les aborigènes gravaient des coquilles perlières de nacre, les lonka-lonka, dont les motifs étaient souvent en formes de labyrinthes. Ces objets étaient des objets d'échange et circulaient de groupes en groupes, jusque dans le désert où ils servaient à faire tomber la pluie. Ils étaient associés à des êtres dits anthropomorphes, les Wanji venus de la mer et dont le voyage ressemblait aux lignes labyrinthique des coquilles.
« L'interprétation dynamique de traces visuelles et la projection de savoirs spéculatifs dans l'espace sont la clef de la pensée aborigène. Ce système cognitif spatialisé repose sur une vision de l'univers qui pourrait être qualifiée de « connexionniste », car tout y est virtuellement connectable et interdépendant : toute connexion entre deux éléments a des effets sur d'autres éléments de ce réseau. Que ce soit les hommes et les femmes, le règne animal, végétal ou minéral, la terre, le souterrain ou le ciel, l'infiniment petit et l'infiniment grand, la vie actualisée et les rêves, tout interagit. Ces connexions sont mises en œuvre par les rites, les rêves, et par le lien spirituel et physique qui unit chaque humain à certains éléments de son environnement, lien qu'on a coutume en anthropologie de qualifier de « totémique".barbara glowczewski. reve en colere.terre humaine.plon.
Selon la présentation qu'en fait B.Chatwin, l'Australie aborigène est traversée de lignes, invisibles par tout autre que les aborigènes. Pour l'expliquer, ces derniers pensent que des êtres ancestraux et totémiques suscitèrent le monde, au « Temps du Rêve », « en chantant le nom de tout ce qu'ils avaient croisé en chemin - oiseaux, animaux, plantes, rochers, trous d'eau ». Chaque ancêtre avait ainsi balisé une « piste de rêve » composée de mots et de notes de musique, un sillage sacré que ses descendants s'efforceraient d'emprunter. Ces lignes sont invisibles sauf à en retrouver les empreintes qu'ont laissé les « Etres du Rêve dans les sites et détails du paysage : un chasseur cueilleur sait lire le virtuel dans l'actuel, chaque empreinte ouvre donc sur un monde multiple faisant d'ailleurs appel à d'autres sens que la vue.
Mal chanter serait alors abolir la création, menace constante étant donné l'équilibre précaire de l'environnement culturel et politique des Aborigènes. Mal chanter c'est omettre que l'identité (d'abord clanique) se construit par ces lignes et ses chants qui marquent l'appartenance à un paysage, à un territoire. (Un aborigène appartient à la terre et non l'inverse). Ce parcours peut être sinueux ; la ligne droite ne peut plus être la plus courte qu'en théorie, le point d'eau exigeant un détour sauf à en périr. Pour les aborigènes se déplacer était vital, d'où l'abolition des frontières ,à l'encontre des fils barbelés et des barrières matérialisant et clôturant l'espace des blanc colonisateurs. Le pays d'un aborigène était sans doute l'endroit seul où il n'avait pas à demander, mais il devait le quitter bientôt pour survivre. Il fallait à tout prix entretenir des relations de bon voisinage, car chaque lieu n'était rien d'autre qu'un point d'inflexion dans une vie que l'intelligence et l'instinct de conservation rendaient nomade.
Les lignes de chants, lieu de parcours, d'échange et d'alliance (on échangeait des chants avec le groupe voisin dont il fallait en retour apprendre le chant) renvoient précisément à ce que Deleuze appelle » « ritournelle ». la ritournelle est un agencement sonore mais il peut y en avoir d'autres( (des ritournelles motrices, gestuelles, optiques, etc.).Ritournelle serait l'expression même du nomadisme et de ses dynamisme, une logique de l'existence : Chercher à rejoindre le territoire, pour conjurer le chaos ; tracer et habiter le territoire qui filtre le chaos, S'élancer hors du territoire ou se déterritorialiser vers un cosmos (l'univers de sens qu'est le temps du Rêve et ses dimensions multiples.)qui se distingue du chaos.
Les Aborigènes ne sont donc pas enracinés dans un territoire ou dans une représentation qui calque celui-ci sur un mètre conventionnel, une norme stable. Ils occupent un seuil; ils illustrent le principe de « transgressivité », un entre-deux permanent figure contemporaine du labyrinthe. Un tiers espace pénétré de toutes les forces qui naissent et s'expriment à la charnière entre les mondes
Pour conclure je voudrais citer un texte de Bertrand Westphal, un des fondateurs de la géocritique, texte qui n'est pas sans rapport avec la pensée nomade et son échappée des lieux. Il résume d'une certaine façon « l'homme dans le labyrinthe », sa confrontation avec l'espace du réel. Il évoque le philosophe Clément Rosset pour qui le réel est « idiot », c'est à dire qu'il est simplement ce qu'il est, et donc on ne peut que le suivre (au lieu de s'évader dans un monde d'illusion.) .Extravaguant pourtant selon Sophocle, l'homme du moins a la capacité d'en explorer les virtualités.
« Ayant tous les chemins, sans chemin il marche vers rien quoiqu'il puisse arriver » Antigone.
« Après avoir cité Lucrèce et Dante se plaignant l'un des incertitudes du temps et du lieu et l'autre des tracas que lui inspire la voie droite sujette à l'égarement, Rosset s'intéresse au personnage de Geoffrey Firmin dans Au-dessous du volcan (1947) de Malcolm Lowry. Geoffrey Firmin, ancien consul démis de ses fonctions, tente sans y parvenir d'échapper à l'emprise de l'alcool au fond d'une petite ville du Mexique. L'histoire est connue et il n'est pas nécessaire d'y revenir. Ce qui retient l'attention de Rosset, c'est la démarche claudicante du diplomate: as somehow, anyhow, they moved on ; ils avancent « de toute façon d'une certaine façon». La progression cahin-caha de l'alcoolique Geoffrey Firmin accompagné d'Yvonne devient symptomatique de ce que pourrait être l'inscription dans l'espace de l'ensemble de l'humanité, fût-elle sobre. C'est qu'elle aussi, face à la ligne droite que les cartes idéalisent, clopin-clopine de part et d'autre du repère, dans un Bei-Spiel permanent. Comme dit Rosset, « il n'est pas de "n'importe quelle façon" (anyhow) qui ne débouche sur "une certaine façon" (somehow), c'est-à-dire précisément sur quelque chose qui n'est pas du tout n'importe quoi, n'importe quelle façon, mais au contraire cette réalité-là. et nulle autre, cette façon qu'elle a d'être et aucune autre façon. Indétermination totale et détermination totale sont à jamais confondues l'une avec l'autre ». Cette réalité-là caractérise le lieu dans l'espace. Certes, elle n'est pas celle qu'une norme globalisatrice, déterminante, isole. Elle est plutôt celle qui accompagne les mille et une déclinaisons possibles de l'espace, la multitude d'incartades que la ligne droite qui pourtant devrait faire de l'espace un lieu global suscite...
L'espace n'est jamais vraiment là, il est au-delà, en deçà, à côté. Là est simplement le lieu, qui jamais ne coïncide avec l'espace. Il y a bien un espace vide, il est inqualifiable. As somehow anyhow, il est dans la transgression permanente, dans la trans-gressivité. Pour Rosset, il pourrait s'agir d'une extra-vagance, celle qui, selon lui, affecte l'Antigone de Sophocle aussi bien que le consul de Lowry. L'extra-vagance fait de l'un et de l'autre, et virtuellement de tout individu, un être pantoporos, « capable d'emprunter tous les chemins, y compris les voies interdites ». Ce faisant, il brave la monotonie du réel et les restrictions du lieu. Il s'ouvre un chemin dans l'espace et rouvre un espace que de toute façon rien ne saurait entraver. L'attitude pantoporos consacre l'approximation et l'approche relative au détriment de la permanence et de la station absolue. Elle est peut-être la seule plausible, qui arracherait l'individu moderne ou postmoderne à la sensation de clôture que lui inspire l'espace localisé, l'espace que les cartes, les lignes et les stries enferment dans le lieu. ».
Pour plus ample iconographie , les VILLES LABYRINTHES du peintre néerlandais ESCHER ET LES CORPS FRACTALS DE JEAN CLAUDE MEYNARD, reproduits ici.
http://www.jeanclaudemeynard.fr/TAE17.html
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