ESPACES DE CULTURES ,ANTHROPOLOGIE,PHILOSOPHIE,VOYAGES...
SUIVEURS DE PISTES,DE SAISONS ,LEVEURS DE CAMPEMENTS DANS LE PETIT VENT DE L'AUBE ; Ô CHERCHEURS DE POINTS D'EAU SUR L'ECORCE DU MONDE. Ô CHERCHEURS,Ô TROUVEURS DE RAISONS POUR S'EN ALLER AILLEURS"...
SAINT JOHN PERSE .ANABASE.
Une exposition organisée par le MUVACAN est prévue à Nantes du 8 décembre 2014 au 5 janvier 2015.
Ce sera l'itinéraire d'un malade d'Afrique Noire à la recherche du soulagement : la première étape montrera les forces et les équilibres en jeu dans le village, la famille, la brousse, les ancêtres et les esprits (comment le mal naît d'un déséquilibre malgré toutes les protections) ; la deuxième est le diagnostic (tous les arts de la divination) ; la troisième concerne les pratiques rituelles des guérisseurs et les médicaments, essentiellement les plantes. Enfin ce sera une immersion dans les pratiques traditionnelles actuelles là-bas et en même en Europe: quelle modernité des tradi-praticiens ? Quels risques de déviances ? Les documents audiovisuels, les installations et objets - parfois de véritables oeuvres d'art- sont surtout des prêts de collectionneurs nantais. Sont prévues des visites guidées notamment pour les scolaires et des mini-conférences-débats dans le Forum. Sont associées à ce projet MUVACAN - Ville de Nantes -notamment l'Université de Nantes, l'Association Détours des Mondes, des associations africaines - citons la Route des Chefferies, le Musée de la Médecine Bruxelles, le Musée Dobrée de Loire Atlantique...
Le MUVACAN est le Musée Virtuel des Arts et des Civiisations Africaines de Nantes. Cette initiative est née sous la houlette du Dr Jacques Barrier et l'association a déjà réalisé une première exposition Insolites Poupées d'Afrique en 2012.
Pour l'anthropologue Jean Duvignaud, la fête est une « un don du rien » parce que toute existence humaine n'est jamais achevée et donc doit s'interdire toute fermeture. Les fêtes, les rites, les cultes, la création artistique, sont des manières rituelles pour les sociétés humaines de laisser place au jaillissement d'un « surplus», d'une " dépense", arrachement » au banal du quotidien ; un moment d'effervescence où les hommes débordent leur existence habituelle pour s'ouvrir à d'autres univers de liens et de sens inattendus. La reproduction de la société est alors mise en défaut. La transmission est rompue au profit de l'invention. L'imprévisible règne, la jubilation s'empare des rues. Temps de la perte, de la dissipation, dans un monde prévisible, elle trace un chemin de traverse, brise la monotonie de l'existence régulière pour y introduire l'incandescence.
« La fête me fascinait moins par ses répétitions que par la rupture qu'elle entraîne dans la durée ; au contraire de la doctrine classique, prolongée par les essais de Caillois ou de Bataille, j'ai insisté sur la cassure qu'elle provoque dans l'enchaînement des déterminismes : ne s'agit-il pas d'une action collective au cours de laquelle, d'une manière imprévisible et que ne réglemente pas la répétition des anniversaires, l'homme, pour un bref instant, découvre que tout est devenu possible ? »
Ainsi s'opposeraient fondamentalement pour jean Duvignaud la cité, monde de l'ordre, du logos et de la rationalité à celui de la « nature » réservoir chaotique d'énergie et de forces. Cette antinomie introduit une tension dans toutes les formes de nos cultures, en particulier dans les mythes, tension entre l'ordre rationnel et une pensée « nomade. » refoulée, mais qui fait retour de manière imprévisible
À côté de cet espace d'aventures, la ville est une niche protégée contre la nature, conçue peut-être justement afin d'échapper à l'angoisse qu'inspiré une matière incontrôlée avec ses forces disséminées. Contre cette nature inhumaine ou transhumaine, la cité construit son étendue et son univers. Dans la ville se déploient la philosophie, l'histoire, la littérature, la tragédie, la politique. La ville est un discours construit. Dans la ville s'élabore le système mythique.
« Le mythe, écrit Marcel Détienne, entretient certes une relation avec l'environnement, avec le donné écologique, avec le social et l'histoire d'un groupe, mais c'est une relation directe et médiate, celle qui convient à un discours autonome prélevant dans la réalité les éléments dont il dispose souverainement. » On ne peut mieux dire que la structure des mythes s'édifie avec des éléments arrachés à la pensée errante, et que l'élaboration des systèmes est corrélatif de la composition des lieux clos où ces systèmes se concentrent. La ville compose ses mythes avec des fragments de représentations collectives empruntés à un univers différent, univers nomade.On voit que la ville ne peut traiter la narration des aventures et les récits nomades qu'à travers une nostalgie, et sans doute beaucoup de dédain de la part de ceux qui s'installent dans le discours institué et les « beaux-arts ». Elle est là, pourtant, cette parole errante, dans les ports et dans les rues ; elle envahit la pensée des enfants ou des femmes dans une civilisation où l'homme seul dispose du privilège de la pensée et de la création. Elle émerge à travers les contes.
Une masse de figures imaginaires peuple également la vie subconsciente de l'Europe. Parole errante, elle aussi, et qui prendra, sans doute arbitrairement, pour thème les aventures des chevaliers, liant attachement à l'ordre féodal au nomadisme perdu(ce serait le sens profond de la quête). Là se mêlent des figures empruntées à l'Islam, à l'Orient plus lointain, aux restes des narrations hellénistiques, à ce courant souterrain dont parle Erwin Rhode. Où survivent des rêves normands, celtes, germains ou saxons. Où le chamanisme de la steppe se confond avec les obsessions chrétiennes. (C'est moi qui souligne).JEAN DUVIGNAUD LE DON DU RIEN. TERAEDRE
Ainsi la fête (pour l'auteur elle se structure à la Renaissance, parce que liée à l'essor des villes) comporte bien des rituels cérémoniels qui répondent à une action sociale précise et animent une vie commune qu'ils exaltent sans la mettre en cause, apparemment.». Mais, au-delà du rituel institué et de la concertation qui « construit » ces manifestations comme on le ferait d'une action politique, la fête émerge. Elle surgit avec l'art de la métamorphose, qu'on appelle travestissement et dans lequel se mêlent les connotations chevaleresques et les figures antiques, romano-hellénistiques qui toutes les deux renvoient au monde imaginaire de la parole errante. Elle apparaît avec l'envahissement surprenant de la ville par des figures du cosmos, prudemment toutefois émasculées, transposées.
Le déguisé s'empare d'un paquet de significations qui renvoient à une toute autre image du monde qui n'a plus rien de l'ordre réel ; image du monde où le possible et l'imaginaire dominent le réel .
« Cette fête - les fêtes de la Renaissance - est un piège . Mais tendu par qui, et contre qui ? Démêler, dans le jeu des mentalités, des tendances dominantes, c'est souvent prêter nos idées à des hommes qui ne les avaient pas. Reste cela : ces manifestations, parce qu'elles jettent dans une profusion de métaphores l'image sauvage dans la ville, créent un moment d'hésitation, suscitent une sorte de subversion. Tout devient possible. Là se manifeste le caractère de cette activité délirante : elle restaure le hasard, l'éventuel dans le cours des choses, jette l'inopiné dans le réel. Fissure dans ce que l'on nomme aujourd'hui l'histoire, la fête ouvre un monde de virtualités infinies : l'image sauvage d'une nature pleine d'énergie pénètre la niche écologique de la ville. Tout peut être détruit.
Image sauvage dans la fête de la Renaissance. Symbole, désormais sur la scène du théâtre à l'italienne et de l'opéra, mais à quel prix...
Tout se passe comme si la mentalité européenne, au moment de la révolution technologique dont les effets bouleversent son image du monde, fuyait les conséquences de la vision qu'impliquait la machine, afin d'asservir cette machine à représenter des figures qui désignent et restaurent un monde sauvage, perdu. . (C'est moi qui souligne). JEAN DUVIGNAUD LE DON DU RIEN. TERAEDRE
On l'a vu dans les articles précédents, cette profusion de métaphores, résultat d'un bricolage historique se concrétise en particulier dans la fête carnavalesque, ses syncrétismes et ses traditions »inventées. Le carnaval se situe justement aux confins du rationnel et de l'irrationnel, entre chaos et ordre avec d'une part la volonté de réduire le désordre dans des cycles temporels organisés mais qu'inversement le chaos ressurgit par l'imaginaire culturel et ses figures « surréalistes ».
Ainsi, dans de nombreuses régions d'Europe, des Balkans à l'Europe du nord et du sud, des figures archaïques, mystérieuses hantent régulièrement les rites carnavalesques et ce depuis le Moyen Age (mais renvoyant selon certains à une lointaine antiquité chamanique et néolithique). Ce sont des masques (le mot comme en Afrique ne désigne pas seulement ce qui déguise le visage mais tout un ensemble) parés de peaux animales, de végétaux et de paille, entourés de cloches et d'os, souvent couronnés de cornes et de bois. : ainsi surgit l'homme sauvage au sein du carnaval, comme pour symboliser la renaissance de la nature émergeant de l'hiver (comme fait l'ours lié à l'origine du carnaval).Ces mascarades commencent généralement autour de Noël, allant jusqu'à Pâques. Les figures sont essentiellement ambiguës comme à la croisée de la nature et de la culture. Les masques parlent toujours des mystères de l'existence : dans des sociétés traditionnelles, ils étaient ou sont encore la figure des ancêtres et des esprits des morts, celles des esprits protecteurs ou malins(le christianisme en a fait la figure du diable). Il fut un temps ou ces créatures étaient les garants du village, les gardes des esprits malins, ils libéraient l'esprit des morts et assuraient la protection du bétail et des hommes.
Se masquer c'est toujours reconnaitre l'altérité en soi et une capacité de métamorphose présente dans les mythologies, altérité qui bouleverse les identités et transcende les limites entre nature et culture. Les créatures carnavalesques marquent ainsi par leur déguisement mi- humain, mi- animal, par la prolifération des attributs, leurs appartenance mouvante à plusieurs mondes et le passage entre ceux-ci.
Ce figures ne sont pas seulement carnavalesques mais renvoient à un mythe présent depuis les temps archaïques, présent dans toute l'Europe mais qu'on peut retrouver en Perse, Chine ou Japon, celui de L'homme Sauvage.
Souvent liés chez nous à une mythologie de l'ours ,(on le retrouve dans le conte de Jean de l'ours , ceux des frères Grimm ou plus contemporain dans ceux d'Italo Calvino(Orco). l'homme sauvage est un « archétype » de nombreuses mythologies , de la littérature ou des contes populaires(Peau d'Ane, la Belle et la Bête )depuis Hercule en passant par Merlin ou le roi Arthur jusqu'à Victor de l'Aveyron , Mowgli, et plus récemment Tarzan ou Tintin au Tibet et le fameux Yeti. Il apparait ainsi dans les livres, les cathédrales, les gravures, les tapisseries, les monnaies ou encore dans les blasons(de nombreuses familles nobles le considéraient comme ancêtre fondateur). Les saint Sylvestre, saint Loup, saint Biaise, saint Ursin et autres saints sauvages velus occupent une place importante dans la chrétienté occidentale.La figure la plus connue est celle du Baptiste, Saint Jean, ermite du désert (on évoquera aussi les ermites ou Anachorètes de christianisme primitif vite combattus par l'institution cléricales).Le « repentante » Marie Madeleine est aussi représentée velue.
Pour retrouver toutes les représentations de l'homme sauvage sans diverses cultures et à divers époques consulter le très riche site de Michèle d'Aqueron :
http://www.michele-aquaron.com/index.php
Il porte divers noms chez nous, L'homme Vert, L'homme Pelu ou le Feuillu ; c'est qu'on le représente le plus souvent couvert de poils ou de feuillage de la tête aux pieds, nu ou portant des peaux de bêtes.(d'où l'étymologie d'hirsutus, hirsute) Il vit hors du milieu humain(sauvage vient de l'étymologie de sylvestris, forêt). Homme des bois ou homo ferus(animal).Soit qu'il en sort ou qu'il y est retourné par acculturation, c'est souvent un être hybride(croisé d'ours ou élevé par des animaux, comme l'ours ou le loup) il n'aurait pas de langage articulé, La vie dans la nature l'a doté de qualités physiques extraordinaires : il est fort, agile, rapide et sa seule arme est la plupart du temps une massue ou un bâton de fer qu'il a lui-même fabriqué c'est d'ailleurs sa seule forme de technique : il est chasseur/cueilleur mais ne connait pas le feu, ni l'agriculture.
Au Cuit de la culture, il oppose le Cru de la nature (il serait souvent cannibale) et participe alors à toute une mythologie de la chasse, (le héros civilisateur tue des cerfs enchantés ou des monstres) tel le thème de la horde ou « chasse sauvage ». Sa mythologie est donc liée à celle de la forêt dans son image duale. Celle-ci est à la fois le lieu sacré de ressourcement et de refuge et le lieu inquiétant du retour à la sauvagerie. Le héros médiéval accomplit ses prouesses initiatrices (le Graal est au cœur d'un bois touffu) dans ce milieu ou s'y réfugie comme Tristan et Yseut ; il entretient une sorte de symbiose avec le milieu nature l(ainsi Siegfried a connaissance du langage des oiseaux ),aussi Lancelot, ou Robin Hood ,tout de vert vêtu.
« L'homme sauvage n'a eu de cesse, au fil du temps, de s'effacer et de réapparaître. Il s'est déformé, métamorphosé, a grandi, rapetissé, ici chevelu, là chauve, il est le Bien, il est le Mal. La mythification et le didactisme classiques ont fait qu'il a pu être tour à tour réel ou figuré, en dehors de nous ou en nous. Au Moyen Age, la religion chrétienne l'a assaisonné à la sauce obscure et prude ; il devient alors intime et dramatique. Même alors pourtant, l'homme sauvage incarne la sombre doublure, le reflet inversé de la plus sacrée des figures, l'ermite: partageant l'espace à l'extérieur du groupe, partageant l'espace dans les esprits du groupe. Une contradiction.
Cette figure atavique traverse l'œuvre et la vision de Jonathan Swift tel un point de bâti sombre et fécond. Rousseau l'analyse avec l'intelligence et la fausse naïveté qui le caractérisent. La fusion entre l'homme sauvage et le père fouettard, entre l'homme sauvage et le bogie man, esi longtemps restée latente, et il aura fallu attendre l'invention du romanesque pour que l'alliage se solidifie. En lui accordant un peu de réflexion quelques sentiments et un moralisme étonnamment protestant, Mat) Shelley permit à des milliers de Frankenstein de voir le jour.
Sans jamais disparaître, la figure de l'homme sauvage a souvent, e radicalement, changé de tonalité et de personnalité. Ici emblème non de l'atavisme et de la peur, là grotesque vaguement comique, là encore symbole de licence sexuelle et comportementale. Héraut du printempsune forme lui est donnée qui la détermine. Tel un cirque donnant à voir la part d'ombre de l'être humain, la représentation de cette figure rejoue les espoirs, les peurs et les pulsions que nous ne comprenons comme nôtres que lorsque nous les partageons collectivement. » ROBERT MC LIAM WILSON. LA BETEHUMAINE .préface au livre de CHARLES FREGER .WILDER MANN THAMES&HUSON
Si donc l'homme sauvage hante les représentations collectives européennes (S'explique peut-être ainsi la tendance à privilégier le chasseur cueilleur dans toute une tradition ethnologique ou chez les folkloristes )et surgit dans les rituels cycliques comme le carnaval, si on est tenté de parler d'archétype du rapport nature/ culture ,c'est à condition de bien comprendre ce qu'est une tradition. Autour du mythe et de son image, chaque époque entrecroise des contenus différents ;on est ainsi passé du « diabolique ou démoniaque » au « bon sauvage » par exemple ou au « primitif » de la colonisation, comme au primitivisme dans l'art moderne, selon les finalités et valeurs sociales dominantes. « La vraie protection d'une tradition c'est le fait qu'il y ait des gens qui pratiquent la tradition, qui se l'approprient et la fassent évoluer. Ce n'est pas parce qu'une tradition est répertoriée au patrimoine de L'Unesco qu'elle est protégée » dira le photographe Charles Freger dans WILDER MANN, à propos des mascarades ou apparaissent diverses formes de l'homme sauvage. L'homme sauvage prend souvent la forme illusoire de la nostalgie des origines et du retour à l'état rousseauiste de nature (on oublie toujours que pour Rousseau c'était un mythe opératoire et non une réalité). Mais il permet aussi de saisir les malaises d'une civilisation et comme tout imaginaire il entraine l'apparition de des formes nouvelles.
« Partout des groupes et des réseaux cherchent à faire revivre le passé. Traditions et savoir-faire anciens, survivalisme amateur, tutoriels d'historicisme... Mais ce phénomène ne se cantonne pas à Internet et à ses reconstitutions carton-pâte de l'art, de l'artisanat et des croyances de l'ère pré-industrielle. Une des surprises les plus estomaquantes de la dernière décennie a été la renaissance cinématographique et télévisuelle du fantastique en tant que genre (et qu'est-ce que ce genre, au juste, si ce n'est une version réchauffée des archétypes primitifs rattachés à quelques mythes pré-chrétiens à moitié oubliés ?). Tolkien a reconquis le monde avec ses ersatz de demi-hommes, d'hommes-arbres, d'hommes-animaux. Soudain, il n'est plus question que de dragons et de sorcellerie. Et voilà Christian Baie qui esquive les cracheurs de feu, Jeremy Irons qui les chevauche et Brad Pitt qui apprend à jouer de l'épée. Ils sont des millions à regarder ce genre de choses et à sentir leur cœur battre aussi vite que celui d'un paysan du xiic siècle écoutant au coin du feu des histoires de démons, de sorcières, de forces obscures, mystérieuses et sauvages.
Dans cette quête court, tel un fil sombre et étincelant, la figure de l'homme sauvage,, du wilder mann. Emblème de l'altérité, ce véritable outsider fait partie de notre conscience depuis que nous avons pour la première fois constitué des groupes nomades et des communautés agricoles sédentaires. Sans doute même avant. Il s'agit d'un mythe presque fondateur. Pour qu'existé un nous, il faut un non nous. C'est là un élément constitutif de notre compréhension de nous-mêmes. Nous devons définir qui nous sommes en définissant tout d'abord qui nous ne sommes pas. Nous sommes Homme sage parce que nous ne sommes pas Homme sauvage.( ou plutôt pourrait –on dire quand on le reconnait comme partie de nous-même pouvant toujours ressurgir chez le plus paisible d'entre nous : c'est moi qui commente ici !)) Nous savons en quoi nous avons confiance parce que nous savons de quoi nous avons peur. Nous nous sentons inclus grâce à ce qui est exclu. » » ROBERT MC LIAM WILSON. LA BETE HUMAINE.op.cité
Le WILDER MANN est donc une figure majeure des rituels autour du carnaval, comme déjà dit ; il est vêtu d'un costume en matières naturelles ou en peaux animales ; son visage est rendu méconnaissable, soit par un masque, un costume qui le recouvre intégralement ou encore un grimage noir. Il porte souvent des cornes majestueuses Un accessoire -massue ou autre — et une ou plusieurs cloches complètent sa tenue et soulignent ses mouvements,( Leur poids, pouvant atteindre les 40 kilos, montrant la virilité et la force du personnage). Symbole du passage et de l'hybridation son costume est donc ambigu, comme son comportement : il incarne le diable ( qui pourtant fait rire) et joue pleinement son rôle d'intercesseur entre vivants et morts. Il incarne l'étranger, symbole du « différent », le mendiant, le fou, le grotesque. Il met en scène la mort ou des états limites entre deux états civils, deux valeurs etc.
Le photographe français CHARLES FREGER s'est lancé dans toute une quête de l'homme sauvage européen d'où il a tiré un beau livre WILDER MANN OU LA FIGURE DU SAUVAGE de 150 photographies ; des sortes d'arrêt sur images ou se confrontent nature et culture. On dit qu'il fut captivé par la figure du KRAMPUS à Salzburg, et qu'il en tira une vision de « l'Europe Tribale ».l'auteur a une sorte d'œil très anthropologique et cherche à construire une archive sociologique de différents style de vie. Il s'est ainsi toujours intéressé aux tenues et costumes un peu partout dans le monde, avec ses séries consacrés à des groupes de sportifs, de militaires ou d'étudiants. Son art est toujours la confrontation du photographe et du modèle avec une sorte de distance (aspect documentaire uniforme et statique) dans la prise qui , paradoxalement ,souligne l'étrangeté, la force de la présence et du corps et l'altérité d'un personnage qui participe à un ensemble de codes.« Je m'intéresse à des communautés ou il y a des tenues, des costumes particuliers mais aussi une forme de rituel ». Pour traquer le wilder mann Freger traversa dix-neuf pays pendant deux ans dans une cinquantaine de communautés rurales de l'Espagne à la Finlande, pour qui l'art de la mascarade faisait partie encore partie intégrante de la culture afin d'y déchiffrer les codes des mascarades. « Au-delà des carnavals et du folklore, c'était la communauté des hommes bruts que je voulais représenter », précise-t-il avec la volonté de laisser transparaître la part d'animalité entretenue par l'homme, ainsi que son rapport au monde naturel."On participe à ces mascarades pour convoquer la lumière et le retour du printemps. On ne sait pas trop comment pensait l'homme, il y a 5000 ans mais c'est l'idée qu'on en a. D'ailleurs, on ne pense pas si différemment des hommes d'il y a 5000 ans ».
« Les figures dans ces belles et troublantes images de Charles Fréger s'adressent à quelque chose de profondément enraciné en nous, archaïque et jamais totalement oublié. Je n'arrête pas de croiser des figures qui me rappellent ces photographies. Des hommes sauvages surgissent, sans cesse, ici ou là, costumés de pied en cap, plastron de paille ou long manteau, montés sur échasses ou chaussés de talons, chapeautés d'un crâne, de cornes ou de bois. J'en ai vu dans des festivals de rock et des fêtes techno, dans des films de M. Night Shyamalan, lors de manifs alter-mondialistes et d'émeutes anti-G8. J'en ai même vu un en novembre 2008 à Limerick lors d'un match de rugby opposant Munster à La Nouvelle-Zélande sans oublier, pas plus tard que cet été à Londres, ce supporter indien qui, déguisé de la sorte, pleurait une nouvelle défaite de son équipe de cricket. »» ROBERT MC LIAM WILSON. LA BETE HUMAINE. Op. Cité
A insi dans toute la région autrichienne et bavaroise, lors de la période de l'Avent, ou accompagnant le personnage de St Nicolas, surgissent PERCHTEN et KRAMPUS dont l'étymologie du nom « évoque le démoniaque et la mort(différenciés à l'origine ils ont fusionné dans les défiles contemporains) dans des cortèges terrifiants(plusieurs milliers à Salzburg) : ils chassent l'hiver à coups de fouets ou de cloches. On les retrouve en particulier dans trois nuits d'hiver spécifiques, appelés les "nuits bruts», c'est la veille de Saint-Nicolas (6 décembre), avant le solstice d'hiver (21 Décembre) et avant l'Epiphanie (6 Janvier.. le Krampus sorte de Père Fouettard porte un costume en poils de chèvres, un masque autrefois en bois et des cornes, comme un bélier. Perchten est le nom des masques d'animaux portés dans les défilés .il évoquent la déesse païenne PERCHTA (le nom renvoie au lumineux et à l'épiphanie). PERCHTA et sa cousine HOLDA étaient gardienne des troupeaux.
Des diables des sorcières, des ours émergent dans le sud-ouest de l'Allemagne pour le carnaval souabe-alémanique, la 'FASTNACHT'. Lors des défilés, plusieurs milliers de personnages masqués paradent à travers les villes et les villages avec force tintamarre au son des tambourins et des tambours, souvent même la nuit.Dans le nord de la Hesse, plusieurs villages ont gardé la tradition huguenote de 'la journée de l'ours en paille', durant laquelle les jeunes hommes couverts de paille sont paradés à travers le village. La paille est ensuite brûlée pour faire fuir l'hiver. Anciennement, L'HOMME DE PAILLE ET L'OURS DE PAILLE étaient largement répandus dans la campagne allemande. Ils font l'objet d'interprétations diverses: symboles de l'hiver, Hommes sauvages, personnifications de la luxure et même du Diable, héritiers des spectacles de montreurs d'ours d'antan. Les costumes des Ours et des Hommes de paille(matériaux du monde rural) sont fabriqués à partir de paille de seigle ou d'avoine de paille de pois ou de brindilles de sapin.
Dans cette même catégorie ,on peut évoquer PELUCHES Et EMPAILLES d'Evolène en Suisse:les Peluches sortent le 6 janvier vêtues d'un costume fait de peaux de moutons, de chamois, de bouc, de renard et même parfois de blaireau, le tout non tanné.(d'où une odeur fauve caractéristique) poursuivant les passants qu'ils rencontrent en agitant une cloche ; les Empaillés dans un costume de jute empli de paille(jusqu'à trente kilos) trois jours avant le Mardi Gras menacent les passants de leur balais de riz : ils annoncent la fin du carnaval où l'on brule le Bonhomme Hiver.
En suisse toujours les masques du Lötschental, appelés les TSCHÄGGÄTTÄ font leur apparition entre le 2 et le mercredi des Cendres. Pour autant que l'on s'en tienne à la tradition, ils ne doivent pas être vus avant la mi-journée et jusqu'à la tombée du jour. ils symboliseraient des ancêtres revenus juger et punir les vivants mais pour d'autres seraient les vestiges d'un théâtre populaire, ou d'anciennes bandes de brigands. Par petits groupes ils poursuivent ceux qu'ils rencontrent comme si c'étaient de mauvais esprits. Leurs noms viennent des vêtements qu'ils portent . Deux peaux de moutons ou de chèvre sont posées tantôt sur le dos tantôt sur la poitrine et retenues par une ceinture de cuir à laquelle est suspendue une clochette de vache. Très souvent les pieds sont recouverts de sacs qui gainent la jambe de façon à renforcer encore l'aspect sauvage mais aussi pour qu'on ne puisse pas reconnaître les chaussures et les traces qu'elles laissent dans la neige.leurs gants enduis de suie servent à noircir le visage des Un masque énorme, surdimensionné, sculpté dans du bois d'arolle, de laine de mouton ou de chèvre, et un bâton viennent compléter le costume.
Les MACINULA polonais appartiennent à la catégorie des hommes-chiffons qu'on rencontre partout. Chez nous ils dessinent la figure du PETASSOU ,cévenol qui survit à travers la figure de l'ARLEQUIN de la Commedia Del Arte.
En Sardaigne (carnaval D'Ulla Tirso) subsistent de nombreux rituels masqués mettant en scènes des personnages zoomorphes et anthropomorphes qui là encore devaient réveiller la nature et maintenir la fertilité des troupeaux et des terres. Un temps d'inversion où l'animal remplace l'homme .Ainsi s'affrontent cycliquement BOAS et MERDULES. Les Merdules poursuivant les premier et les mettent à mort ; ils renaitront pour une nouvelle poursuite : l'hiver cède ainsi sa place et le cycle de vie et de mort recommence. À la St Antoine, on allume des feux de quartier : tournent autour, dans un rite de bénédiction, les MAMUTHONES prêtres du renouveau, mi-homme, mi animal.
Certaines figures sont plus surréalistes : ainsi les SCHNAPPVIECHER bêtes à cornes sans oreille ,sèment la terreur tous les deux ans au Mardi Gras. Ils peuvent atteindre une taille imposante, jusqu'à trois mètres de haut. Leur mâchoire inférieure est mobile et s'actionne à l'aide d'une corde, les dents en bois produisant alors un claquement bruyant. L'origine de ces personnages est incertaine. Leur physionomie pourrait les relier aux dragons de l'imaginaire religieux ou des épopées et mythes médiévaux.
Les CARETOS portugais se mêlent à la foule et s'animent au son d'instruments rythmiques de cornemuses. Leurs masques, tous différents, en bois d'aulne, sont sculptés à la main chaque année par des artisans locaux. Ce sont souvent des animaux, des diables, des visages d'homme moustachus… Le masque de Careto se porte avec un costume réalisé dans des matériaux très divers : paille, peaux de bêtes, feuilles, languettes de bois, bandes de tissu, etc. (…) »les BABUGERI bulgares portent des costumes en long poil de chevres et une cagoule de la même matière : ils participaient aux rites de fertilité .ils croisent les SOURVAKARI (de sourva nouvel an) dans le carnaval de la région de Pernik et ceux-ci arborent un costume de raphia surmonté d'une coiffe ornés d'ailes d'oiseaux. Ils offraient la bonne année aux habitants en apportant la prospérité. Le carnaval de Pernik, désormais un festivals de masques de toutes les régions fut rétabli en 1966 après des années d'interdiction.On dit que la tradition de ces masques remonterait à l'époque thrace.
Dès la moitié du XIXème, on faisait déjà référence au carnaval hongrois de Mohacs. Une légende fait remonter les masques BUSO (diables) à l'époque où il s'agissait d'effrayer l'occupant turc par des figures animalières. Un costume de Buso est brulé pour marquer la fin de la fête(encore une fois la fin d l'hiver).
Des mascarades sauvages existent encore en Navarre et au pays basque espagnol, ainsi que dans la région de Burgos(ZEZENGORRI , MOMOTXORROS,ZARRAMACOS et TRAPAJONES).Ainsi le Zezengorri(taureau rouge) serait un élément de la mythologie basque comme gardien des mondes souterrains. Le Momtoxorro est une figure violente et sexuellement chargée. Le visage dissimulé, il porte une peau de mouton et une chemise sanglante. Rétablie en 1990 sa figure renvoie à des récits de brigandages et d'agressions sexuelles. il attaque ceux qu'il rencontre et entre dans les demeures pour saccager.Son mythe renverrait aux sacrifices anciens et aux luttes de clans .
« Il est évident que le carnaval dépasse le phénomène purement ludique et exutoire qu'il semblait a priori le représenter. Il est en effet bien davantage puisqu'il épouse au plus près la dialectique de l'ordre et du désordre et entend même comme normal le désordre dont la théâtralité des comportements obéit à une stricte codification symbolique.
Il s'inscrit comme une réponse face aux aléas de la vie quotidienne, et sort de tout dogmatisme dominant. Il érige l'anormalité et l'extranéité comme mode de vie périodique et la transgression et ses cortèges de déviance, tant sociale que sexuelle, comme pratiques standardisées. »
…
« Ces manifestations grotesques, démesurées et surréalistes font aussi ressurgir les héros locaux, les démons et les divinités, tant symboliques que figurés, de la mémoire culturelle et sociale à travers des rites singuliers et spécifiques à chaque localité. Elles renversent également les hiérarchies sociales, se posent en intermédiaire entre ordre et désordre, entre contrainte et révolte, et nous l'avons exposé plus précisément dans l'historiographie, opposent le rire à la servitude….
Le masque rend anonyme la notion même de personne. Or, selon l'étymologie traditionnelle, « personne » vient du latin persona, terme lui-même dérivé du verbe personare, qui veut dire « résonner », « retentir », et désigne le masque de théâtre, le masque équipé d'un dispositif spécial pour servir de porte-voix. Persona signifiait donc « masque » mais ce masque était, du moins à certaines époques un amplificateur, et persona apparaissait ainsi comme un terme descriptif et expressif. Persona, qui était le masque de scène, est devenu peu à peu le porteur de masque, l'acteur, puis le personnage joué par l'acteur, le rôle.
Du théâtre, il est passé de l'autre coté de la scène, c'est-à-dire à un rôle social, joué par un personnage social. Ce personnage et son rôle pouvaient être alors considérés soit selon un sens purement sociologique, le rang, la richesse ou la responsabilité par exemple, soit selon la conscience apportée à remplir les devoirs de la charge, à assumer la dignité requise par la fonction ou le statut.
La persona latine constitue donc le rôle social que joue un individu qui est positionné sociologiquement. Le masque, dans cette terminologie, permet ainsi de jouer un rôle, mais un rôle reconnu par le reste de la société.
Loin d'être naturelle et univoque, l'idée judéo-chrétienne et dogmatique de la personne s'est donc progressivement révélée n'être qu'une forme particulière parmi d'autres de la représentation de l'être humain, tant pour les éléments constitutifs de celui-ci que pour son fonctionnement et son insertion dans l'organisation sociale d'un groupe donné.
C'est pourquoi le masque, ou le fait de masquer le visage, symbolise la métaphysique de la présence, et devient ainsi l'outil d'anonymat le plus fonctionnel et le plus usité dans les fêtes carnavalesques. Il bouleverse, en ce sens, un certain ordre, une hiérarchie sociale établie et reconnue.
Porter le masque est donc une expression et un acte politique subversif, en déréglant les références d'une structure admise de la vie sociale et de la notion établie de personne, en s'opposant à son essence même, c'est-à-dire l'ordre politique.
L'étymologie même du terme masque reste équivoque.
Cependant, une voie historique prétend que le mot serait issu du latin larva, dont le sens se rapporterait à un être de l'au-delà ou plus précisément au spectre du à une mort violente, mais reste néanmoins l'expression courante pour désigner le masque.
L'usage s'étant progressivement imposé dans le registre théâtral pour assurer la non identification des acteurs, et par extension dans le monde profane et quotidien pour protéger l'anonymat du porteur occasionnel.
Sorcière, spectre, mort, revenant, fantôme, le mot larva, en latin conserva son sens premier et fut, pour ces acceptions, très rapidement négativement connoté par la hiérarchie de l'Église, comme la présence néfaste et précisément incontrôlée du démon, mêlant sacré et profane, vie et mort.
Le masque est donc, par son essence même, subversion.
C'est précisément pour son aptitude à mélanger réalités matérielles et manifestations libres des présences impénétrables que le masque a pris sa place dans le monde profane comme manifestation populaire et phénomène païen d'affranchissement du joug religieux » .. .NICOLAS JEROME.LE CARNAVAL UN IMAGINAIRE POLITIQUE UNIVERSITE LUMIERE. LYON2
Les carnavals masqués , continuent à rendre hommage aux mythes anciens un peu partout . Habillé sous forme de chèvre, de diable, d’ours ou de monstre avec mâchoire en acier, « l’homme sauvage » appartient au monde de ces mythes.
Le photographe Français Charles Freger découvre le Krampus ) à Salzburg lors d’une mascarade. - créature démoniaque, née dans des pays comme l’Autriche, la Bulgarie ou la Slovénie. Fasciné par la rencontre, il se mit à la recherche des divers figures du mythe dans une chasse photographique à travers, ce qu’il appelle « l’Europe tribale ».
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