Exposition : LA CIVILISATION DU ZEBU du 31 Octobre au 7 Décembre 2014. Chateau de la Gobinière .Orvault 44.
« Madagasikara exploré, colonisé, exploité, dévasté, a développé une expression artistique insulaire et donc rare, dont les moteurs créatifs sont l'effroi et la sensualité.
Madagascar, électron libre, détaché du continent africain voilà deux cent quarante millions d'années repose sous l'équateur, entre le canal du Mozambique et l'océan Indien. Sa population est originaire du sud-est asiatique, puis elle s'est métissée au contact des bantous, des perses et des arabes à partir de la seconde moitié du premier millénaire ; métissages fondamentaux à la compréhension de sa culture. Ses contes (hainteny) et sa musique traditionnelle lui ont donné une voix. Madagascar est le sixième pays le plus pauvre au monde, en considération de son revenu journalier par habitant. Mais sa faune dominée par les lémuriens, sa flore, aux multiples espèces endémiques et ses ressources géologiques sont d'une richesse exceptionnelle, qui focalise l'attention de tous les chercheurs et de tous les aventuriers de la planète.
L'exposition : « La civilisation du zébu » invite à une rencontre avec l'art de « l'île rouge » où le geste créatif est organique, inné. Là, il participe pleinement à la vie communautaire mais aussi aux relations entre les vivants et les ancêtres défunts. Voilà bien tout le contraire d'une vision intellectuelle et préméditée de la création que ces arts magiques et décoratifs malgaches ! Les styles, formes, techniques et la diversité des matériaux utilisés illustrent la sensibilité pratique du concepteur, dans ses rapports parfois conflictuels ou fusionnels avec la nature et l'au-delà. L'artiste doit négocier avec les interdits (fady) aux marges de sa liberté individuelle.
Le zébu (Omby) domine le plus souvent l'aloalo, poteau funéraire sculpté des Mahafaly, l'une des dix-huit ethnies de Madagascar. Le zébu: nourriture essentielle avec le riz et le poisson. Le zébu figure tutélaire, symbole de prospérité et de richesse, voire de royauté nourrit le mythe et l'homme. L'animal est de tous les rituels de purification. Son sang représente le flux vital. Toute l'île rouge est là ! Il faut bien un remède à l'effroi : conséquence de la précarité climatique et économique. On fait appel au maître de la divination (ombiasy) pour confectionner des amulettes dont le corps principal, en corne de zébu, comme le réceptacle des remèdes sacrés (Ody), est habillé de perles multicolores. Mais il ne faut pas s'y tromper : les sculptures aux couples enlacés des enclos sakalava dédiés aux morts, les boîtes à miel, les remarquables pièces de tissus tissées en coton ou en soie sauvage d'Andibe appelées Lamba, sont toutes nées du même paradoxe : plaisir et effroi.
On dit chez les anciens que si la chair de zébu est servie au repas des vivants, l'ombre du zébu, revient aux ancêtres.
La Magie
La magie tient à Madagascar une place prépondérante. Les ancêtres ont légués les « Ody » : talismans, aux individus, appelés aussi « Sampy » lorsque les amulettes sont à destination de groupes sociaux. L' « Ombiasy » est le guérisseur, celui qui connaît l'usage des plantes médicinales. A charge pour lui : « L'homme aux grandes vertus » de confectionner les charmes selon la coutume.
Le « Sikidy » est l'art de la divination, notamment par la graine de tamarin, il est aussi un préalable à la fabrication des talismans. Cette pratique permet au magicien de lire l'avenir d'un individu ou d'une communauté, et aussi d'en guérir les maux. L' « Ombiasy » place diverses espèces végétales dans une corne de zébu. Essences végétales dont il faut rappeler qu'elles sont pour la plupart endémiques à l'île rouge, comme le sont les serpents à la morsure non mortelle, mais dont on se protège néanmoins par un simulacre magique, figé en plein mouvement, un rare exemplaire est visible dans l'exposition. Il faut également distinguer le « Mohara du type corne de zébu », dont un plus spécialement : dans un fourreau de bois sacré habillé de perles, ponctué de clous de tapissier, avec ce visage d'homme au regard aveugle sculpté dans la courbure de l'objet comme une figure de proue. Les espèces végétales peuvent aussi être contenues dans des crânes ou des dents de crocodiles. A ces réceptacles sont joints parfois des coquillages, des pièces de monnaie, une paire de ciseaux : symbole du couple.
Dans une série de trois cornes présentées au Château de la Gobinière et portées sur la poitrine par les Dahalos voleurs de zébus, on notera la présence de cartouches de fusils de chasse associés à l'amalgame du contenu. Sans jeu de mots, quoi de plus chargé en pouvoir magique qu'une cartouche vidée de sa poudre ? De cette expérience du feu, propre à épargner le voleur des foudres du propriétaire d'un troupeau qui le poursuit ?
Parmi les pièces emblématiques de cette exposition, il faut encore mettre en exergue une pagaie en bois fixé sur son talon métallique avec en partie sommitale un cavalier, au-dessus d'une cavité qui contenait à l'origine une charge magique. A Madagascar, la magie n'est jamais très loin.
Les « Talismans » présentés ici combattent la maladie, garantissent la fécondité des femmes, rassurent les paysans sur la prochaine récolte ou la communauté sur la sécurité du cheptel de zébus, gage de puissance.
Arts décoratifs
Les arts mobiliers et arts dits décoratifs se développent dans chaque groupe ethnique, l'affirmation de styles différents mais souvent non dénués d'un esprit commun est un moyen de se distinguer et de prendre visuellement l'avantage. Dans les maisons nobles on peut admirer des portes, des bois de lit, des piliers, mais aussi des volets aux décors géométriques et des boites à miel. Nous retiendrons ici l'exemple de l'art des Zafimaniry, tribu des massifs du centre-est de l'île rouge. Admirons un volet décoré de motifs géométriques : polylobe central rompu en son axe abritant des losanges incisés dans un encadrement de chevrons et de palmettes. Sans doute n'est- il pas faux de parler ici de confluence d'inspirations non seulement propre à l'art islamique, ces mêmes décors se retrouvent en effet sur les lampadaires à huile comoriens où sur les portes de l'Ile de Zanzibar, mais également dans une inspiration purement autochtone et donc propre à la tribu Zafimaniry. Pour leur part, les artisans Mahafaly marient la représentation stylisée au décor géométrique comme sur les pots à miel exposés. Là, des formes libérées de leur gangue de bois s'imposent en réserve : guerrier, frise ou cartouches présentant des zébus, eux-mêmes parfois surmontés du canard à bosse : ce dernier hautement symbolique du lien entre monde terrestre et au-delà, voilà pour l'iconographie de ces récipients cultuels ! L'ancrage au réel, comme l'abstraction géométrique sont parfaitement adaptés à la spiritualité et au positionnement des malgaches vis à vis du cosmos.
Avec la christianisation de l'Empire Merina, le rôle sacré du sculpteur tend à disparaitre afin d'honorer les commandes des colons devenus bientôt des touristes, l'ouvrage est plus rapide et souvent la facture s'en ressent, mais certaines créations sont encore remarquables.
Concernant la peinture, par décret du 11 décembre 1895 le Musée des Beaux-Arts de Tananarive est créé, en plein âge colonial, il servira d'exemple à plusieurs générations de peintres malgaches adeptes de l'académisme en vogue au Salon de Paris. Aussi, en un dernier et quelque peu tardif clin d'œil à la fascination exercée depuis cette île de l'océan indien, voilà l'oeuvre peinte du français Albert Dequene* en 1954 : d'une femme Sakalava, qui retient dans son seul regard, sans doute pour quelques siècles encore, tout ce qui, ici, ne saurait être dit.
*Albert Charles DEQUENE, peintre orientaliste, 1897-1973
L'Art funéraire est l'expression la plus emblématique de la civilisation malgache. Le sculpteur qu'il soit Sakalava au nord-ouest de la grande île ou Mahafaly au sud, demeure dans tous les cas un médiateur sacré qui par l'aménagement de l'enclos funéraire trouve un juste équilibre entre naturel et surnaturel.
Le tombeau est une construction astrologique sur laquelle l'artiste impose son pouvoir comme un roi sur son royaume. De fait, l'enclos funéraire est à la confluence du monde physique et du monde spirituel un royaume balisé en soit, un microcosme dédié aux ancêtres.
Chacune de ses sculptures en bois, méplat ou ronde bosse est un mythe incarné.
Les cimetières Sihanaka sont les plus anciens témoignages d'une société détruite par l'expansion Merina, situés près du lac Aloatra et datant d'avant 1800.
Là, sont transcendés les destins des hommes ensevelis, quel que soit leur statut social, les instruments de médiation avec le divin demeurant la prière et la possession.
Entre Tulear et Ampanihy les tombeaux Mahafaly sont de grands édifices de pierres en forme de "maison", construits à hauteur d'homme. Les Aloalos, ces poteaux de bois qui les précèdent mesurant de un mètre cinquante à un mètre quatre-vingt montrent des sculptures géométriques parfois ajourées et des figurines sculptées, peintes à l'origine, en relation avec la personnalité du défunt et son rang dans la société. On reconnaît, ici : le zébu tutélaire, présence du motif primitif et familier, mais aussi des scènes de la vie quotidienne apparues plus tardivement dans la genèse de cet art. Les oiseaux en couple symbolisent la passion, la fertilité et les canards à bosse la communication avec l'au-delà.
L'enceinte est plantée de bucranes et de cornes d'animaux sacrifiés lors des funérailles.
L'aloalo de la tribu des Antandroy sur le même modèle est plus récent.
Les scènes de la vie quotidienne Mahafaly témoignent de l'évolution de la société malgache au contact du monde extérieur.
Du point de vue stylistique, on ne pourra que souligner très justement la filiation entre l'art funéraire de la grande île et l'art Jaraï des montagnes de l'Asie du Sud-Est. »
Luc Vandenhende. Ancien Elève de l'Ecole du Louvre.
Photos objets expo :Copyright Antoine Violleau.
Les photos suivantes sont celles de l'exposition: CHATEAU DE LA GOBINIERE.ORVAULT(crédit photo.Y.E)
L'art Et Les Ancêtres
Le Dialogue Avec Les Morts
« Les morts, les ancêtres sont constamment présents dans le quotidien et leurs interventions pèsent sur le destin des vivants.
Autrefois, la communication avec les morts, qu'elle soit volontaire ou pas, était le moyen-terme indispensable pour l'interprétation des phénomènes naturels, des cataclysmes, des événements politiques aussi bien qu'individuels. Ainsi, les ancêtres des rois comme les ancêtres des lignages étaient les garants des institutions, assuraient l'unité des familles, la légitimité des pouvoirs. Le devin, en interrogeant le monde surnaturel, apportait sa signification à un événement particulier, donnait un nom et une cause à une maladie, prescrivait un traitement, préconisait un sacrifice pour calmer tel ancêtre ou tel autre.
Les morts sont dangereux tant qu'ils sont instables, tant qu'ils n'ont pas pris leur place dans le monde ordonné du Surnaturel, tant qu'une ambiguïté subsiste entre des êtres de chair et de sang et d'autres qui attendent d'être définitivement installés au creux de leurs tombeaux, à l'envers du Monde.
Aussi, prend-on mille précautions avec ses morts pour les convaincre de quitter leurs enfants, leur conjoint, leur famille ; pour les conduire, les accompagner jusqu'au tombeau où ils vont basculer.
Devenus ancêtres, ils vivront de la prière de leurs enfants, se nourriront de leurs rêves puisque les défunts honorés apportent le bonheur et la récompense, alors que le disparu, altéré par le silence ou l'absence des siens, sème la maladie et le malheur.
Du temps des royaumes, le dialogue avec les morts était « politique » car, il permettait de décider, en toute connaissance de cause, du cours des choses. Aujourd'hui, s'il reste encore, pour certains, un enjeu complexe du pouvoir, il est devenu plus personnel, plus intime et maintient un lien profond, cosmique entre le destin de chacun et l'histoire de cette terre.
L'art sakalava
La sculpture funéraire sakalava est sans nul doute une expression originale du fameux thème de l'Amour et de la Mort de l'Amour, du Sexe et de la Mort.
Pour l'artiste, ce thème n'est pas là le fruit d'une recherche personnelle mais un legs mystérieux de l'Histoire dont le souvenir s'est embué. Aucune légende, aucun mythe ne nous parle de ces tombeaux, sinon peut-être qu'un jour, un roi sakalava fabriqua et sculpta le premier reliquaire pour y déposer des ossements particulièrement choisis du fondateur de la dynastie.
Cet art funéraire qui touche aux convictions, aux émotions les plus fortes témoigne à sa manière d'une idée de la mort, d'une représentation de l'ordre du Monde mais aussi, à travers sa propre évolution, d'un regard aigu, vital , porté sur tout ce qui change, sur les différences, sur ce qui est venu de l'Etranger.
Les personnages et les styles
II nous faut d'abord distinguer les tombeaux récents qui apparaissent avec la période coloniale des tombeaux classiques et même des tombeaux « atypiques ».
Les tombeaux classiques opposent dans
la diagonale du rectangle, un homme et une femme, nus, les genoux légèrement fléchis, les bras dans le prolongement du corps. L'homme est ithyphallique, la femme écarte les lèvres de son sexe avec les doigts. Dans l'autre diagonale se trouvent des oiseaux dont certains sont un symbole de fécondité et d'autres une image des relations entre les vivants et les morts. Dans la direction Nord-Sud se dressent parfois des volyhety qui affirment le statut du lignage du défunt.
Les couples, présentés dans des positions amoureuses sont tout à fait caractéristiques des tombeaux bâtis pendant la première moitié du siècle. Il est bien difficile de les dater mais on peut raisonnablement penser que ce thème est directement lié à l'installation des Européens dans la région au cours de la période coloniale.
Le costume des personnages (casque colonial, uniforme) ne laisse aucun doute sur leur origine. De cette manière, les sépultures vont transcrire la rencontre de deux univers, l'oppression qui s'applique sur tout un peuple mais aussi les interrogations et les changements.
Les tombeaux « atypiques » sont construits « à la manière de » par ceux qui étaient exclus, du temps de la royauté, des jeux de l'honneur et du pouvoir et qui découvrent cette nouvelle possibilité avec la disparition de l'ancien système politique. Flambeaux, poteries et personnages divers remplacent alors les emblèmes de clan.
Pendant quelques décennies, une véritable création artistique va s'exprimer à travers cette architecture funéraire qui est maintenant déchargée de ses contraintes immédiates : l'expression d'un rang, d'un statut. Le tombeau est devenu un symbole de la réussite et les artistes sollicités, rivalisent d'audace et d'imagination... Cette évolution va trouver sa limite dans les vingt dernières années en raison de l'influence des Eglises qui voyaient là le symptôme flagrant du paganisme. Pourtant, la même raison va favoriser le développement de l'architecture funéraire mahafale dans le Sud sans doute parce que les expressions anecdotiques, images du quotidien des poteaux funéraires ou aloalo, étaient beaucoup plus innocentes.
Notons que l'on peut repérer cinq styles différents dans l'ensemble des cimetières avec une évolution très marquée vers un arrondi des formes pour les tombeaux les plus récents. Les sculptures ne sont rehaussées d'aucun ornement (verre, pierres semi-précieuses) et d'aucune parure (argent, or ou bijoux) ; par contre, elles étaient peintes pour la plupart, en trois couleurs, généralement, le rouge, le noir et le blanc.
Sexe et Mort
On peut dire que deux choses apparemment antinomiques sont très valorisées, à part égale, chez tous les Sakalava comme d'ailleurs chez tous les Malgaches. Les morts, les ancêtres d'une part, les enfants, la descendance, d'autre part.
Le sexe, l'amour, la procréation ne sont pas dissociables et chaque notion s'exprime indifféremment dans l'un de ces termes.
Ainsi, on peut dire qu'un sexe dressé, ou « ouvert », loin d'être une grossièreté, est bien au contraire une manière de prière, la manifestation la plus claire d'une ferveur.
De même, les funérailles qui autrefois pouvaient durer des jours et des jours sont l'occasion de chants particulièrement crus où encore une fois l'amour, la naissance, la vie sont célébrés avec les mots les plus précis, les expressions les plus osées... A cette occasion, les femmes surtout se laissent aller à ces manifestations verbales mais aussi gestuelles, évoquant, mimant l'amour, au bord de la tombe...
Ces tombeaux témoignent d'une idée de l'éternité qui n'est pas, en quelque sorte, garantie par un Dieu unique mais aussi et peut-être surtout par la famille prise dans son sens le plus large. La famille étendue, le lignage, est le point de rencontre des vivants et des morts mais aussi de tous les vivants à venir et la boucle se ferme grâce à la rencontre de tous ses ancêtres au plus haut qu'on puisse les imaginer, et donc jusqu'à Dieu avec tous ses enfants aussi loin qu'on puisse les imaginer, au cœur de l'avenir. Honorer ses ancêtres, se donner une descendance, c'est déjà prendre sa place dans l'éternité du monde.
Chacun doit justement se trouver à sa bonne place afin de pouvoir embrasser l'infini des choses. Les morts sont avec les morts et le tombeau achevé est la marque, la preuve que le défunt est définitivement débarrassé de son image, de son être physique qui le rendait présent, sensible aux regards, aux touchers, aux vivants. Il est maintenant tout-à-fait « autre », un ancêtre, une idée, un mythe au cœur de l'univers qui offre néanmoins une prise et dont on attend beaucoup pour panser les plaies des vivants.
Les principes de construction du tombeau obéissent aux mêmes règles que celles qui président au calcul des destins individuels (ou vintana) qui plongent chacun définitivement dans son monde, séparant le mari de la femme, le père de la fille, la mère de son fils, etc...
Nous avons vu que ces cimetières sont tout à la fois une image de la société saka-lava et du mouvement de sa propre histoire.
L'effondrement des royautés, l'éclatement des anciennes règles, le traumatisme colonial vont justement trouver leur lieu d'expression là où la société subtilement se réfléchissait.
Au fond, l'expression la plus « créative »,ces couples enlacés, ces scènes d'amour est celle d'une rencontre entre des règles, des manières de faire et de penser, différentes. Ainsi, cet art funéraire ne s'est pas verrouillé dans une « tradition » et on se prend à penser qu'il aurait pu évoluer d'une façon de plus en plus autonome. »
JACQUES LOMBARD : Madagascar. Arts De La Vie Et De La Survie. Cahiers De L'ADEIO.
-
L'art funéraire :
photos de tombeaux :crédit photos: L-C)
VOIR LE SITE ET SES PHOTOS/http://www.imagesdailleurs.com/fr/les-aloalos-lart-funeraire-des-mahafaly-madagascar
Les Mahafale, ces gens « qui vous rendent heureux », forment l'une des grandes sociétés du sud de Madagascar.
Aujourd'hui peut-être 400.000, ils occupent un territoire assez large, entre les fleuves Onilahy (au sud de la ville de Toliara), et Menarandra (frontière avec le pays antandroy) : soit, sur environ 43.000 km2, une partie de cet extrême sud, si aride, de Madagascar, pauvre en eau et en herbe, mais riche en épineux. Comme leurs voisins Bara et Antandroy, les Mahafale sont principalement des éleveurs semi-nomades de zébus. Ils ont aussi des troupeaux de chèvres et de moutons ; et s'adonnent de plus en plus à l'agriculture, élargissant de façon spectaculaire depuis une trentaine d'années, et avec quel mérite sur un sol ingrat, leurs champs de maïs, manioc, patates douces, haricots.
La signature des Mahafale, leur « griffe », ce sont leurs prestigieux Aloalo, ces hauts et minces mâts de bois, sculptés de motifs superposés, « géométriques » au milieu, figuratifs au sommet, qu'ils plantent dans leurs tombeaux, communément agencés actuellement en vastes plates-formes de pierres entassées.
Les Mahafale, leur tombe et leur art : raccourci d'histoire
1) Jusqu'au XVe siècle se mettent en place des proto-Mahafale, groupes mobiles de chasseurs-collecteurs, d'origines diverses, venus du nord ou de l'est de l'actuel pays mahafale. Leurs tombes sont soit de petits enclos de piquets, d'arbustes ou de pierres basses ; soit de simples tas de pierres. Elles ne mesurent pas plus de 3 m de long.
2) Le XVe siècle représente une charnière importante dans l'histoire des Mahafale : des étrangers, descendus du pays Bara au nord, venus plus lointainement de la côte est de Madagascar, s'installent en plein cœur du territoire occupé par les groupes « autochtones ». Ce sont les ancêtres de la dynastie des Maroseraña : cette importante dynastie qui, entre le XVIIe et la fin du XIXe siècle, organisa et étendit le système de la royauté, non seulement à travers le pays mahafale, mais jusqu'à l'extrême nord du pays sakalava. Ils dénomment Renetane, « mères du sol », et Mahafale, (vous qui« nous rendez heureux »), les premiers occupants du territoire, dont ils font leurs alliés ou leurs sujets.
3) Au XVIIe siècle, on note l'apparition du valavato, tombe à « clôture de pierres ». Architecturalement, il s'agit cette fois d'une tombe construite : un épais muret de pierres sèches entassées, de plan rectangulaire, délimite un espace vide central où affleure le sol, et sous lequel se trouve la fosse mortuaire. La tombe peut avoir par exemple 7 m de long sur 4 m de large, et le mur de pierres 80 cm de haut et 70 cm d'épaisseur. L'espace vide central est dit tranom-panane, « gîte dufanane », c'est-à-dire du serpent dans lequel est supposé se réincarner l'esprit d'un défunt très puissant, en particulier d'un roi. Deux hautes pierres levées sont érigées respectivement au milieu des côtés est et ouest : à l'est le vatolahy, « pierre mâle » ; à l'ouest le vatovavy, « pierre femelle ». Le valavato à tranompanane central, sera le tombeau aristocratique et honorifique, du début du XVIIe jusqu'au début du XXe siècle ; c'est-à-dire l'apanage des rois et grands du pays mahafale.
4) Le XVIIIe siècle est une période décisive pour le peuple, et pour l'art mahafale. Ce siècle est marqué en effet par le long règne du grand roi Tsimamandy, entre 1712 et 1772 et par l'apparition des premiers Aloalo, hauts mâts sculptés plantés dans les tombes. C'est Tsimamandy qui, le premier, au début du XVIIIe siècle, fit dresser des Aloalo sur le valavato de son père. Il semble qu'il n'y en eut que quatre. Puis, sur son propre tombeau, huit aloalo furent plantés. A partir de ce moment les Aloalo furent sur les tombeaux des ornements honorifiques, d'abord réservés aux rois, puis très rapidement aux chefs des grands clans privilégiés des rois.
5) De la fin du XIXe siècle au début du XXe, c'est la colonisation française, l'abolition générale du régime de royauté, et de l'esclavage- entre 1912 et 1920, meurent les derniers souverains maroserafia). En 1912 de l'un des plus célèbres d'entre eux, Tsiamponde, ami et collaborateur des Français, fut marquée par les funérailles plus somptueuses et la construction du valavato le plus grandiose de tous les tombes mahafale : vaste enceinte de pierre 40 m de côté, 1 m de haut, et une dizaine de mètres d'épaisseur, dans laquelle furent plantés 36 aloalo.
6) Depuis le début du XXe siècle, après la mort des derniers rois mahafale,\ les hommes de toutes conditions, même pour les descendants de rois, le tombeau prend l'aspect que nous lui voyons actuellement : celui d'une plate-forme ininterrompue de pierres accumulées. Cependant même son nom commun demeure valavato, en même temps l'usage des Aloalo se démocratise et par suite se répand. Les groupes socio-politiques, esclaves, roturiers qui temps de la royauté, n'avaient pas droit aux Aloalo, se mettent à en dresser sur les tombes de leurs patriarches. Toutefois Aloalo conservent leur valeur honorifique et jusqu'à maintenant, seuls les vieillards chefs de lignage, riches en bœufs, avec de nombreux enfants et petits-enfants, ont droit aux Aloalo sur leur tombe. Les hommes jeunes, les femmes (à de rares exceptions près), ne « méritent » pas d'Aloalo.
') Depuis le milieu de XXe siècle, avec leurs façades de ciment peintes et leurs Aloalo éclatants de couleur, les tombeaux des Mahafale se renouvellent avec une gaieté et une fantaisie créatrice sans bornes. Ainsi l'art funéraire des Mahafale, tout comme celui des Antandroy voisins, illuminent les campagnes de leur jeunesse et de leur vitalité.
Les christianisés se font construire soit des tombeaux de structure traditionnelle, marqués d'une croix, soit des tombes atypiques à l'occidentale.
Le tombeau mahafale « classique » du XXe siècle
Le tombeau mahafale « classique » du XXe siècle se présente donc désormais comme une plate-forme continue. Les pierres de ses façades sont régulièrement appareillées.
L'intérieur demeure un simple remplissage, dense, de blocs. Son plan apparemment carré, est en fait légèrement rectangle, les côtés nord et sud étant imperceptiblement plus longs que les côtés est et ouest. Il a entre 10 et 15 m de côté, et environ 1 m de haut. Il est symboliquement orienté est-ouest. Deux hautes dalles verticales, plantées en terre, dominent symétriquement le milieu de ses façades est et ouest : à l'est (nous le rappelons), le vatolahy, « pierre mâle », tourné vers le monde du sacré, des ancêtres ; à l'ouest, le varovavy, « pierre femelle », plus court, regardant vers le monde terrestre, profane.
En son centre se dresse une haie rectangulaire d'aloalo, toujours en nombre pair -les nombres impairs étant néfastes - par exemple dix à seize pour une tombe moyenne.
Entre le cadre vertical des aloalo et la bordure du tombeau se hérissent des paires de cornes de zébus, disposées également en un rectangle. Ce sont les cornes des bœufs (zébus) qui ont été abattus, soit en sacrifice, soit pour être consommés, pendant le temps plus ou moins long - de deux à six mois, ou même un an - séparant la mort de l'inhumation. Qu'il ait 10 ou 20 m de côté, qu'il supporte 8 ou 36 aloalo, ce tombeau est individuel, son imposante superstructure, construite en principe après l'enterrement, recouvrant très largement la fosse centrale, comblée de terre, où est déposé le cercueil.
Les aloalo, leur naissance, leur structure, leur évolution
Les aloalo sont « nés » au début du XVIIIe siècle, sous l'impulsion conjuguée des rois Maroseraña, et d'un clan de Renetane, roturiers « mères du sol » important :Les Faloanombe, installés sur les rives de la Menarandra, et en fait d'origine antandroy. Ces Faloanombe, riches éleveurs de bœufs, (zébus) forgerons, sculpteurs, ont été les premiers à sculpter des aloalo chez les Mahafale. Ensuite ils ont fait école.
L'aloalo, qui peut avoir de 2,20 m à 3 m de haut, est dégagé d'un seul tronc d'arbre : le menora, essence proche du palissandre, bois imputrescible, inattaquable par les termites, dans lequel sont également fabriqués les lourds et massifs cercueils des hauts et riches personnages.
L'aloalo est composé de bas en haut, de trois parties :
a) un pied lisse, qui fait le tiers ou la moitié de la hauteur, et qu'on enfonce dans l'amas de pierres ;
b) un fût sculpté, de 1,20 à 1,80 m de haut. Cette partie centrale est constituée le plus souvent d'une planche découpée de deux motifs « géométriques » alternés : hexagones aplatis, reproduisant la forme d'un bijou d'argent porté par les femmes ; deux croissants adossés, évoquant, paraît-il, l'un la lune naissante, l'autre la lune « mourante ». Et, vers le sommet, le cercle de la pleine lune.
L'alternance la plus fréquente est de trois doubles-croissants pour quatre hexagones.
Parfois un personnage, homme ou femme, soutient sur sa tête, la colonne de motifs géométriques.
c) Un sommet, de moins de 40 cm de haut, formé d'un petit plateau supportant des figurations en ronde-bosse variées : zébus, oiseaux, personnages, scènes de la vie quotidienne et moderne.
De rares mais intéressants aloalo, parmi les plus anciens, se terminent par le cercle de la pleine lune.
Depuis leur création jusqu'à nos jours, la structure des aloalo est restée d'une remarquable constance. Le fût, avec son alternance de motifs « géométriques », est resté immuable. Ce qui a évolué, ce sont les sommets, porteurs de thèmes figuratifs de plus en plus diversifiés ; ainsi que la hauteur des mâts qui depuis une trentaine d'années, diminue.
A l'origine les thèmes figuratifs se réduisaient à trois, mais pleins de signification symbolique :
- la femme à la base, en cariatide, portant parfois un enfant dans le dos — la femme, donneuse de vie, de postérité ;
- le bœuf, intermédiaire indispensable à tout échange « mystique » (animal de sacrifice), social (don, contre-don), ou économique (par exemple un bœuf en paiement de chaque aloalo sculpté, 10 bœufs pour le vatolahy, 10 à 20 pour le cercueil en mendoravy). Le bœuf est bien le thème dominant, au sommet des aloalo, jusqu'à nos jours.
- des oiseaux, au sommet également, iso- lés ou en couple : canards busqués, sarcelles, remarqués les uns et les autres pour leur attachement à leur lieu natal, où ils reviennent toujours. En couple, ils évoquent en outre l'amour, qui perpétue la vie.
Depuis la colonisation, les sculpteurs, selon leur inspiration ou selon la commande, ne cessent d'innover. Les trois thèmes figuratifs initiaux persistent, celui du bœuf domine toujours ; mais les sommets se prêtent à une prolifération de thèmes anecdotiques, pris dans la vie quotidienne et européanisée : militaires et gendarmes, cavaliers, autos, avions... Enfin, depuis une trentaine d'années, la mode est aux aloalo peints de couleurs simples et vives.
Mâts à fonction honorifique, autrefois aristocratique, les aloalo signalent jusqu'à nos jours le tombeau d'un homme âgé, important et riche.
Le terme « aloalo », duplicatif de la racine malgache commune « alo », qui signifie « intermédiaire », « intercesseur », n'est pas une création mahafale. Il est employé dans d'autres groupes culturels de Madagascar. Il désigne également des monuments funéraires, mais ayant des formes et des fonctions différentes des aloalo mahafale : le plus souvent des monuments isolés — en bois ou en pierres — érigés pour des défunts, soit dont on n'a pu ramener le corps, soit éteints sans descendance. »
Nicole Boulfroy.Madagascar.Art De La Vie Et De La Survie .Cahiers De L’adeaio.
Les commentaires récents