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« Si j'ai du goût, ce n'est guère que pour la terre et les pierres » RIMBAUD
« Penser se fait plutôt dans le rapport du territoire et de la terre ».DELEUZE
«La terre et ses nerfs, et ses préhistoriques solitudes, la terre aux géologies primitives, où se découvrent des pans du monde dans une ombre noire comme le charbon. »ARTAUD
« L'espace saisi par l'imagination ne peut rester l'espace indifférent livré à la mesure et à la réflexion du géomètre. Il est vécu. Et il est vécu, non pas dans sa positivité, mais avec toutes les partialités de l'imagination… Sans cesse l'imagination imagine et s'enrichit de nouvelles images.
Que chacun des « lecteurs » — des lecteurs qui lisent les signes — choisisse donc ici le minerai de son propre destin : le marbre, le jaspe, l'opale ; que chacun trouve la grotte où végète la pierre qui lui est conjointe ; que chacun ouvre la géode qui est le cœur secret caché sous la froideur unie du galet ! S'il sait choisir, s'il écoute les oracles de l'encre prophétique, il aura la révélation d'une étrange solidité des rêves. Baudelaire, après tant de cauchemars fuyants, aimait à trouver dans ses nuits ce qu'il appelait des rêves de pierre, « les beaux rêves de pierre ! ». José Corti nous donne lui aussi ses rêves de pierre, ses poèmes de pierre, sa poésie d'encre.
Pour dire cette lutte première, cette lutte essentielle, ce combat anthropocosmique, nous avons récemment proposé un mot : le cosmodrame, soit dit dans le sens où la psychanalyse met en œuvre des sociodrames pour analyser les rivalités humaines. Sans doute, c'est surtout dans la vie sociale, dans le commerce des passions, que l'homme se heurte aux contradictions de son destin. Mais la nature est là aussi qui nous heurte. Sa beauté même n'est pas placide. Pour qui s'engage dans un cosmodrame, le monde n'est plus un théâtre ouvert à tous les vents, le paysage n'est plus un décor pour promeneurs, un fond de photographe où le héros vient faire saillir son attitude. L'homme, s'il veut goûter à l'énorme fruit qu'est un univers, doit s'en rêver le maître. C'est là son drame cosmique. » G.BACHELARD.LE DROIT DE REVER
Selon Balandier, l'anthropologie nourrit une pratique du « détour » lui permettant de penser notre civilisation. Elle confronte ainsi notre culture de la coupure et de la séparation(homme /nature/psychisme corps, raison imagination, poésie et science, individu/société, visible et caché, surface et profondeur ) , avec celles de sociétés qui fonctionneraient plutôt comme des totalités, où les principaux domaines, économiques, sociaux, symboliques ne sont pas isolés et où l'homme vit en symbiose avec la nature .Cette interrogation a nourri la quête non seulement des ethnologues mais aussi celle des artistes. On peut ainsi retrouver toute la question du primitivisme aux sources de l'art moderne (Gauguin, les Fauves dont Matisse, Picasso ,Dada et le Surréalisme par exemple). Ce mouvement, fort chez les plasticiens, a trouvé son prolongement chez des poètes comme Artaud, Leiris ou Saint-John perse, Michaux, Cendrars , Segalen, ; il a animé les travaux du collège de sociologie autour de Bataille et Caillois. Plus récemment le poète Kenneth White inventait le concept de « géopoétique » pour dépasser la scission homme/monde. Ainsi pour lui le monde grec n'était pas seulement celui du « miracle de la raison », de la politique et de la philosophie, mais baignait dans la poétique homérique « poésie océanique et fondatrice ». De même la pensée chinoise ne serait rien sans le livre des Odes et le taoïsme sans les poètes errants. Toute cette école de pensée est donc un refus de la scission rationalité/imaginaire à ne pas confondre avec un ésotérisme où un primat quelconque de l'irrationalité. Il s'agit plutôt d'un surrationalisme selon le mot de Bachelard, une raison étendue, élargie ; d'un côté la raison ne doit pas être coupée de la sensation telle qu'elle a fondé, par exemple la culture des peuples chasseurs/ cueilleurs ou de l'expérience vécue de ces peuples ; de l'autre côté, le poétique reste informé par la réflexion philosophique voire par les sciences.Quand ce surrationalisme aura trouvé sa doctrine, il pourra être mis en rapport avec le surréalisme, car la sensibilité et la raison seront rendues, l'une et autre à la fluidité. Le monde physique sera expérimenté dans des voies nouvelles. On comprendra autrement et l'on sentira autrement. On établira une raison expérimentale susceptible d'organiser surrationnellement le réel comme le rêve expérimental de Tristan Tzara organise surréalistiquement la liberté poétique ». G.Bachelard. Surrationalisme.
Pour ce faire, s'imposerait la nécessité d'une nouvelle épistémologie que Kenneth White nomme une « activité nomade dérivante », où le déplacement est autant intellectuel que physique où le voyage et l'exploration modifieraient les schémas intellectuels et perceptifs et ouvriraient à d'autres énergies ou à d'autres métamorphoses du monde. Il s'agirait de retrouver chez d'autres peuples, d'autres réalités que nos cadres intellectuels et esthétiques (et non les réduire aux nôtres, comme ce fut par exemple, la tendance des « Arts Premiers ») .
Chez ces peuples « racines » (ainsi les Inuit de Malaurie), outre une lecture du réel par une sensorialité affinée qui nous est devenue étrangère par appauvrissement au fil du temps, , l'identification de ce monde ,tel le paysage, requiert tout un ensemble d'images, de symboles de mythes, un imaginaire qui paradoxalement n'est pas évasion mais qui se nourrit au contraire du corps à corps avec le réel, avec les matières et en particulier les fondamentales que sont l'eau, la terre, le feu et l'air. Les complications, les détours des mythes (à l'instar de l'archétype du labyrinthe) ne sont pas vains. Comme le montrera Proust dans la Recherche, le temps perdu n'en est pas un, mais laisse au contraire le champ ouvert pour diverses experiences. Les détours du mythe rendent familières des régions étranges et étrangères de l'existence. Le mythe, suivant la vision qu'en donne Hans Blumenberg, arrache ainsi des formes sensées à ce qui se donne d'abord comme sans raison et sans rapport à nous, il donne aux choses un visage. « Irruption du nom dans le chaos de l'innommé » Le mythe permet ainsi de fractionner ce que Blumenberg nommera « l'absolutisme du réel » désignant par là son opacité première, son indifférence aux vœux humains, sa «surpuissance» sans partage, mais aussi littéralement, son absence de « lien »avec nous ; le fait que rien« n'oblige » la réalité à répondre à nos souhaits ou nos demandes. Le mythe peuple la réalité de forces à propos desquelles on peut raconter des histoires. Face à l'opacité d'un monde éprouvé « en bloc » le polythéisme ou le paganisme,opèrent des divisions, ce qui est justement le propre de l'opération mythique . Contrairement à la science qui fournit des réponses mais chaque fois dans un domaine délimité de spécialisation, les grands impératifs anthropologiques posent des questions toujours ouvertes, peut être nécessairement sans réponses, mais qu'on ne peut justement ne pas poser. Elles concernent le tragique humain (l'origine, la limite essentielle de l'action individuelle ,le sens de la culture , la mort etc..). Le caractère structurel du mythe est selon Blumenberg de, justement reposer ces questions à l'infini. On se dispute et on reprend sans cesse par exemple les mythes d'Œdipe ou de Prométhée. « L'histoire de Prométhée ne répond à aucune question sur l'homme, mais elle paraît renfermer toutes les questions qu'on pourrait poser à son propos »
« Dans leurs légendes, dans leur dimension imaginaire, les Inuit restent pragmatiques. Leurs mythes de la genèse sont apparus à une époque très ancienne, il y a plusieurs millénaires, dans les deux grandes cultures yuit et inupiat. Ce qui concerne la création du monde est factuel, précis. Les deux cents légendes des Inuit du nord-ouest du Groenland témoignent d'une compréhension de ces temps de la genèse. Ils sont vécus comme un constat géologique. La terre à l'origine est une, et l'homme a assisté à sa fragmentation. Les aïeux des Inuit ont vu le Déluge : de grandes mers se sont avancées sur les bords des continents. Quand l'eau a été très très haute, les Anciens furent effrayés. Des coquillages ont été recueillis à la surface des hauts plateaux. Le ciel - le paradis - est en haut. Deux hommes ont tenté de s'y élever, l'un poussant l'autre, et celui qui y vit d'immenses troupeaux de caribous n'en revint pas.
Tous les peuples sont habités par des songes et les mythes renvoient à des métaphores dont seule notre ignorance nous interdit de comprendre la prodigieuse complexité philosophique. La grande intelligence d'un Claude Lévi-Strauss a permis de saisir la subtilité de la pensée sauvage des Indiens Nambikwara et Tupi-Kawahib. Dans l'Arctique, où les récents travaux des anthropologues ont permis de comprendre que les mythes fondateurs des civilisations inuit sont d'un puissant panthéisme dont l'inspiration plonge dans dix à quinze millénaires que notre système cognitif a du mal à saisir. Le chien géniteur des Inuitl, la crotte de chien, ne sont que des métaphores et du reste le chien n'est pas seulement géniteur des Inuit, mais d'autres races qui peuplent l'univers. Ainsi les Inughuit (nord du Groenland) construisent-ils leur histoire mythique. Ce panthéisme chamanique qui nous fait vivre ce temps fabuleux où l'homme et l'animal étaient cousins, est d'une nature telle que si la baleine franche est chassée par les Inuit de la mer et du détroit de Bering …….
…« Assurément, ces chasseurs hyperboréens, eux, n'avaient pas une connaissance rationnelle de ces équilibres géodynamiques que j'évoque, mais la dialectique Homme-Nature, ils la vivaient, la ressentaient. Par une approche cognitive différente de celle de l'Occidental, ces hommes de l'espace circumpolaire disposent par osmose, en effet, d'une appréhension compréhensive de l'ordre naturel et c'est elle que je traquais par l'observation de la géomorphologie d'abord, de leurs rites, leurs protocoles - si attentifs dans la chasse du gros gibier comme l'ours et surtout la baleine en mer de Béring -, leurs pensées cachées, leurs non-dits ensuite, au cours d'une vie commune intensément vécue. La chasse a fait l'homme et son groupe. C'est après des années d'écoute que j'ai saisi que ce peuple n'était pas « primitif », malgré les évidences de son état matériel souvent archaïque.
L'interaction entre les hommes, les astres, le vent, les pierres, les glaces, les bêtes et les plantes, chacun en est convaincu. La pierre et ses forces vives chthoniennes, jouent un rôle essentiel dans les toutes premières séances d'initiation chamaniques. Il est une énergie dans la pierre. La pierre pense, puisqu'elle conçoit une stratégie (forme, dimension) de défense de son identité, face aux forces de destructions et de mort : gel, érosion éolienne, dissolution chimique. Il est bien une pensée puisqu'elle s'adapte aux conditions de l'environnement afin de mieux résister à sa destruction. La noosphère et la biosphère se confondent dans la logique inuit. À l'origine du monde, il n'y a que de l'eau, puis la pierre avec Nuna. ». Pas A Pas Avec Les Inuit .Op.Cite
On pourrait rapprocher cette activité nomade et qu'illustre le texte ci-dessus de J.Malaurie, des fulgurances et du paysage mental d'un autre poète, Antonin Artaud. On sait que la recherche de celui-ci était un nouveau théâtre ,un « théâtre de la cruauté » , théâtre cathartique ,originel ,intégrant la vie, c'est-à-dire le corps, le cri ,les émotions viscérales, , les forces refoulées de l'inconscient, de leur alchimie pour retrouver le sens perdu par trop de rationalité de la spiritualité et de la métaphysique. Cette recherche prit la forme d'un détour, d'une recherche des origines, d'un retour à la pensée magique et au paganisme. Artaud évoquait le totémisme dans une liaison passionnée entre l'homme la société et la nature: « Le vieux totémisme des bêtes, des pierres, des objets chargés de foudre, des costumes bestialement imprégnés, tout ce qui sert en un mot à capter, à diriger, et à dériver des forces » .
Concrètement, cette recherche de l'origine prit la forme de son voyage au Mexique pour se rendre à cheval chez les indiens Tarahumaras. Ce sera pour lui, le pays des signes tels qu'il croit les découvrir dans la sierra, une terre aride, pierreuse, où il est difficile de pénétrer. Cette terre sera pour Artaud le lieu tangible, certain de la survivance des secrets perdus, mais qui se manifestes dans les formes naturelles des roches qu'il lit comme autant de signes .Il est clair « que la Nature obstinément manifeste la même idée, exprime une «philosophie…Nous sommes au milieu d'un monde qui signifie au sens où tout ce qui est visible manifeste réellement un invisible, sur une terre où le langage du monde coïncide avec le langage de l'homme. Aux signes de la Nature ou des dieux, les hommes, en effet, ont mêlé les leurs :cette Sierra habitée et qui souffle une pensée métaphysique dans ses rochers, les Tarahumaras l'ont semée de signes, de signes parfaitement conscients, intelligents et concertés.»
On pourrait ,évidemment, citer encore Bachelard . En lieu et place d'un dualisme entre homme et nature, entre sujet et monde, entre esprit et matière, Bachelard décrit et valide dans sa psychologie de l'imaginaire une dialectique entre l'extérieur et l'intérieur, entre le mécanique et le vivant qui sous-tend notre rapport vécu au monde. Bachelard renonce en effet, dans sa revalorisation de la poétique des matières, à côté des sciences de la matière, à prendre appui sur une Nature qui serait homogène, unidimensionnelle, construite par la seule rationalité. Qu'est-ce, en effet, que la Nature pour lui si ce n'est l'ensemble des éléments primordiaux, des lieux et des milieux, qui n'existent que dans un continuum entre le moi et le non-moi et ne se disent qu'au pluriel. Pour Bachelard chaque individu, groupe ou société ne vit et ne se développe que dans un milieu idiosyncrasique, un paysage de matières et de formes, qui devient aussi son pays, sa demeure, sa maison onirique, aussi
On pourrait citer enfinAugustin Berque pour qui les rapports entre l'homme et la nature se situent sur le plan d'une interface, d'une « médiance », d'un continuum dialectique d'objectivité et de subjectivité. « En matière de milieux, les trajets d'ordre phénoménal et d'ordre physique ne peuvent se dissocier absolument ». Mais cet environnement n'est pas le même pour tous, il ne se réduit pas à des déterminations objectivables par la science. « La nature est en effet ce qui en soi n'a de sens ni par ni pour l'homme ; mais qui a un sens dans l'homme et autour de l'homme. ». Une relation poético-écologique ne vient donc pas d'un même traitement de la Nature mais de ce que les êtres vivent dans une certaine « ambiance » (la Stimmung de Nietzsche), où l'homme et le milieu procèdent sans cesse à des échanges. Pour que les hommes puissent donc se sentir habitants d'un monde, il leur faut renoncer à une science abstraite qui les isolerait de l'histoire et de la vie. L'essentiel réside dans un art de percevoir et d'imaginer les éléments premiers du monde naturel, qui permettent de reconnaître un « monde », un milieu spécifique.
Jean Malaurie, pour sa part, a toujours existé « contre », comme il le dit dans Hummocks, au sens de se construire contre son milieu et les préjugés de celui-ci, ainsi que l'éducation universitaire. Il s'est voulu à l'école des Inuit qui lui enjoignaient de cesser d'être « le blanc » au cours d'un rude rééducation : sa rencontre avec l'Autre s'avéra pour lui processus déconstructeur de conventions sociales(il se nourrit comme ses hôtes de viande crue là où les expéditions anglaises mourraient du scorbut par utilisation de conserves)d'un psychisme occidental amputé de son versant sensoriel et imaginaire qui bridait la créativité.. Il y a gagné ce qu'il appelle son caractère double, métis, hybride ou coexistent « pensées sauvages et pensées blanches ». Mais il dut aller pour cela, jusqu'au bout de la solitude identitaire pour « renaitre », et retrouver ce qu'il appelle sa « primitivité », d'autres affects. Ainsi cette expérience initiatique qui le conduisit à se séparer de ses guides Inuit pour vivre seul, durant huit jours, sans chien ni traîneau, à 30 km de la base d'Etah en plein hiver. .
« Un géographe est d'abord un cartographe. [...] Je suis un grand marcheur... J'ai souvent dit qu'on pensait avec les mains, mais on,1 pense aussi avec les pieds. En mai, juin 1951, j'ai systématiquement dressé la carte de la côte de la terre déserte d'Inglefield, à l'extrême nord-ouest du Groenland, sur 300 kilomètres de front et trois kilomètres d'hinterland, au 1:100 000. Cette carte a été publiée par l'Imprimerie nationale en deux grandes feuilles et honorée par l'Académie des sciences. Ce sont des toundras peu connues, des déserts qui s'étendent du 79e jusqu'au 80e degré de latitude N. Dresser une carte, c'est prendre une planchette, chercher les angles, remonter en " traîneau de la banquise sur le plateau, thalweg après thalweg, après avoir fait le point 0 avec un baromètre anéroïde. Ce relevé est effectué à - 20", - 30° C. Quatre Inuit m'accompagnaient, deux chasseurs et leurs épouses. Avec trois traîneaux et quarante-trois chiens, ils patrouillaient et chassaient le phoque pour faire vivre le groupe. Nous n'avions pas d'autre subsistance. [...] je regarde ces vastes étendues avec une extrême attention cherchant à décoder l'architecture tectonique qui sous-tend l'unité morphologique façonnée par les processus d'érosion. Des millions d'années se déploient sous mes yeux.» (D'après Jean Malaurie, in Mauricette Berne et Pierrette Crouzet, 2005. Terre Humaine. Cinquante ans d'une collection. Entretien avec Jean Malaurie, op. cit., p. 80.)
D'un point de vue théorique, cela le conduisit à réinvestir le concept d'anthropogéographie issue de la pensée allemande et de Ratzel, un des auteurs à l'origine de la pensée écologique. Une pensée qui s'efforce de renouer les liens qui nous attachent à la terre, et qui, en étudiant l'homme, s'efforce de ne jamais perdre de vue la place qu'il occupe sur le globe, l'espace où il se meut, le cadre qui le limite .De même il s'inspira de l'œuvre du savant et explorateur allemand, Alexandre Von Humboldt. Celui-ci, botaniste et naturaliste, développa une démarche scientifique globalisante plaçant la géographie humaine au cœur de la perspective. Il pratiquait déjà ce que sera la méthode de jean Malaurie : l'observation et la mesure rigoureuses des phénomènes constatés, la consignation ponctuelle de l'observé, l'étude des sociétés humaines en les situant dans la spatialité, l'historicité et la culture.
« Chercher, s'attacher à une idée, l'explorer et ne l'abandonner qu'après avoir été au \terme de cette enquête. Poser le carnet. Vivre avec ses carnets de notes. Vivre, vieillir un peu et puis passer à une seconde idée, puis à une troisième ; et l'on découvre alors les années passant, la sagesse acquise, que la première idée a été insuffisamment explorée ; elle méritait davantage de subtilité et d'audace et a pris davantage de subtilité et d'audace dans la curiosité ; c'est ce qui m'arrive en réfléchissant sur des problèmes d'équilibre des sociétés qui me font revenir aux écosystèmes que j'avais étudiés à l'intérieur des pierres ; phénomènes de capillarité et de géocryologie. Et je me reporte à mes ouvrages, à mes carnets, en déplorant de ne pas être aller plus loin dans telle ou telle exploration.
Chercher, c'est telle Pénélope, tisser sa toile et en défaire sans cesse la trame jusqu'au temps où il vous semble avoir atteint ce temps singulier, où le texte paraît correspondre pleinement à votre vérité intérieure. » Pas A Pas Avec Les Inuit .Op. Cite
Jean Malaurie se méfie d'une science désincarnée et des abstractions généralisantes : il y substitue les notions de connaturalité, d'écosystème social, notions complexes qui nécessitent la pluridisciplinarité. ». On ne saurait étudier l'homme boréal autrement que dansson environnement : telle est son intime conviction, confirmée à la fois par ses propres recherches géomorphologiques, la pensée chamanique des peuples premiers et la « philosophie de la nature » héritage de la pensée allemande. L'anthropogéographie arctique demeure, « contextuelle et situationnelle ; le milieu (ainsi le rôle du climat) exerçant un impact significatif sur la morphologie sociale du groupe .Aussi faut-il saisir l'étroite interrelation entre le contexte géomorphologique et climatique du milieu et l'ethnohistoire des communautés humaines qui y vivent, réconcilier géographie, sociologie et histoire. Les éléments fondamentaux comme la terre et l'eau, la faune et la flore conditionnent les structures sociales et les structures mentales. Pour en saisir la complexité le scientifique doit se faire aussi Inuit, parce que se situer dans le milieu boréal, c'est devoir faire appel à tous ses sens .
Ainsi comment comprendre l'énigme que posent les Inuit : un peuple analphabète à l'époque où les rencontrait le chercheur, loin de nos concepts et sciences et pourtant dotés d'une compréhension intime de leur environnement, d'une capacité d'adaptation et surtout d'anticipation aux moindres variations de celui-ci. Ils manifestèrent ainsi leur « préscience » lorsqu'ils de modifièrent vers les années 1860 leurs habitudes collectives et leurs interdits ancestraux pour anticiper une période de réchauffement climatique qui durera plus de 50 ans, et ils le firent paradoxalement lors d'années les plus froides que connut l'arctique.
Les groupes arctiques ont construit au fil des temps, une représentation du monde visant à une intelligence de l'espace, du temps et de la conscience sociale. Jean Malaurie se réfère ici à la pensée d'un Jean Piaget. Ce dernier nous a fournis la genèse du développement intellectuel par les deux procédés qu'il nomme assimilation et accommodation : le premier consisté à appréhender le réel par nos schèmes cognitifs, perceptifs et conceptuels, le second à modifier ces mêmes schèmes, à les complexifier, dès lors qu'ils ne correspondent plus à la réalité. Ces structures se sont révélées opératoires développant intelligence , attention, mémoire, agressivité, imagination et ont permis de concevoir des systèmes de régulation liés au climat, la faune, et touchant à la démographie que résume J.Malaurie: sexe ratio modifié par euthanasie sociale en cas de pénurie, structures parentales rigoureuses interdisant le mariage jusqu'au sixième degré pour contrecarrer la consanguinité dans ces petits groupes (20 à 40 familles), règles alimentaires sévères dans le cadre d'une diététique harmonieuse ayant, de longue date, remédié aux dangers du scorbut, conservatisme technologique et règles cynégétiques.
Depuis l'aube des temps, comme les autres peuples chasseurs, les Inuit mémorisent grâce à leurs sens aiguisés ( (direction du vent, courants marins, observation du ciel) , des « cartes mentales, des tracés , des itinéraires parcourus, aussi bien par la vue que par les sons et les bruits, vibrant « par tous leurs pores » avec leur environnement naturel qu'ils perçoivent vivant.
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