Le Hain était une cérémonie composée de rites, de scènes, de danses, de chants, de jeux et de pantomimes, sans compter les visites des Shoort au campement des femmes pour les terroriser. L'ordre était variable parce que sujet aux décisions de « conseillers appartenant à différentes divisions ethniques symbolisées par des « ciels ». Certaines constantes existaient pourtant : ainsi, le rôle de l'esprit Shoort, lequel introduisait la cérémonie, apparaissait plusieurs fois par jour et se rendait au campement des femmes. Il clôturait aussi le Hain. Les femmes quant à elles, chantaient en principe tous les jours, un peu avant et au moment même de l'aurore. Le rite d'initiation des kloketen avait lieu le premier jour après qu'ils aient mené leurs expéditions de chasse durant plusieurs semaines .Un rite phallique devait aussi avoir lieu au début de la cérémonie, le seul que les femmes pouvaient voir. Les autres événements se présentaient sans se soucier des séquences et étaient répétés en fonction de l'inspiration des uns et des autres, sans qu'un modèle rigide ne soit imposé.
Pour Anne Chapman, la cérémonie du Hain devait être analysée à la fois comme un rituel et un théâtre mêlant deux catégories habituellement séparées : le sacré et le profane. Là où le rituel se définit comme l'ensemble des représentations symboliques à usage religieux ou sacré, et le théâtre comme l'ensemble des représentations symboliques à des fins laïques ou pratiques, le Hain en mélangeait les codes en « rejouant le mythe primordial. D'une part le surgissement venant d'un autre monde d'esprits mythiques parfois terrifiants ; des rites de passage et d'initiation dans une hutte sacrée aux dimensions cosmiques et reflétant l'ordre du monde et celui de la société .D'autre par un espace théâtral , comportant scène, spectateurs participants, protagonistes masqués dont on savait pourtant qu'ils étaient portes par des hommes puisqu'on les avaient peints auparavant mais dont personne ne contestait l'existence . Ainsi les symboles (dessins et couleurs) qui décoraient les esprits les identifiaient aux ancêtres mythologiques, de hoowin (le temps primordial) : les porter était un jeu dangereux. Si les règles n'étaient pas respectées, les vrais esprits pouvaient se venger sur les "acteurs". Les masques fabriqués et peints par la communauté étaient objets de vénération, parce que les hommes se sentaient par leur intermédiaire en contact avec les êtres de « l'inframonde ». Ainsi quand les esprits surgissaient du feu, tout le monde y croyait, même si on devait révéler plus tard aux initiés, qui était sous le masque. Des personnages pouvaient être craints par-dessus tout mais d'autres, objets d'amusement, et véritables clowns à qui l'on lançait des boules de neige, n'avaient d'autre fonction que de divertir (le No japonais a cette dichotomie). L'essentiel de la cérémonie d'initiation relevait de cette logique du double et tournait autour d'un secret mythologique. D'une part les initiés étaient torturés, morts de peur, par ceux qu'ils croyaient des esprits, les Soorts, mais au terme de leur passage à l'état d'homme on leur faisait reconnaitre l'un des voisins ou parents, tout en leur faisant jurer de ne pas réveler la supercherie aux femmes. Quant à celles-ci, mères éplorées, elles accompagnaient leur enfant jusqu'à la hutte, terrifiées par les cris et les bruits qu'elles y entendaient et n'étaient censées rien savoir du « secret » alors qu'elles fournissaient nourriture et peinture..
Shoort exprime bien cette dualité. Il est complètement théâtral lorsque, joliment décoré de peintures, il se présente pour faire plaisir aux femmes, en réponse à leurs chants. Mais il est plus rituel, car il joue son rôle de Soleil lorsqu'il représente les huit périodes du trajet du soleil et quand il entre dans le campement pour réprimander et châtier les femmes. Les autres esprits révèlent aussi un mélange de théâtre et de rituel. Matan "la ballerine" est gracieuse, Koshménk "le cocu" est ridicule, mais les deux ont une signification sacrée puisqu'ils portent des peintures symbolisant les cieux. Kulan, la femme de Koshménk, dans son rôle de "femme terrible" relève de la comédie bien qu'elle conteste les règles de la femme soumise défiant le patriarcat. Le "bouffon grotesque" Halahâches est aussi un ancêtre mythologique. Lui et les autres bouffons, les Haylfan, sont comiques et taquins. » Anne Chapman. Quand Le Soleil Voulait Tuer La Lune. Metailié
Comme dit dans l'article précédant , l'essentiel se déroulait dans une hutte conique (analogue aux tipis des indiens des plaines)du même nom que la cérémonie, La longueur des troncs d'arbre disponibles déterminait la hauteur et la circonférence de la hutte qu'on essayait de bâtir aussi grande que possible.
On a vu dans l'article précédent que les chasseurs cueilleurs introduisaient une organisation(les pistes virtuelles des aborigènes) et des cartes mentales dans le territoire exprimant l'ordre cosmique. Les rites consacraient cet ordre depuis des milliers d'années. Chez les Selk'nam, le symbolisaient les figures géométriques des peintures corporelles et surtout la manière de construire la grande hutte du Hain .Celle ci était circulaire et devait être placée toujours vers les points cardinaux, la porte d'entrée toujours face à l'Est, qui était le point principal, en relation directe avec le soleil. A l'intérieur l'ordre était d'une importance vitale, car la grande hutte était soutenue par sept piliers, (sept points cardinaux , « ciels » dont dépendait chacun mais aussi des animaux, des montagnes, des oiseaux, etc.) Chaque pilier représentait un ancêtre mythique ou Hoowin (des êtres mi-humains qui avaient le pouvoir de se transmuer en étoiles, montagnes, animaux ou autres êtres de la nature. le huitième était signalé par la porte d'entrée à la grande hutte du Hain, l'est en représentation du soleil
L'importance de la grande hutte du Hain résidait donc dans l'idée qu'elle était associée au ciel et au monde souterrain ;elle était considérée comme la représentation du cosmos à l'intérieur de la terre et l'organisation interne en pilier recouvrait les divisions claniques. A chaque fois que les hommes se réunissaient à l'intérieur, ils devaient occuper le lieu que leur avait été assigné depuis leur naissance. Ainsi au milieu était toujours placé un feu qui ne pouvait pas s'éteindre, car il était le symbole d'un puissant esprit et la porte d'entrée dans le monde souterrain. –, il faisait aussi comme un théâtre d'ombres se refléter dans la neige les corps stylisés des figures rougeâtres. La grande hutte était divisée en deux demi-cercles, coupée par une ligne invisible, personne ne pouvait la traverser, il était strictement interdit de transgresser cette fissure, car cette ligne imaginaire symbolisait une ouverture par laquelle les êtres humains tombaient dans les profondeurs de l'univers.
Les êtres représentés au Hain étaient des esprits cosmiques, venus des profondeurs de la terre ou descendants directement du ciel. Les esprits étaient aperçus par la communauté de nombreuses fois par jour, et ils accomplissaient différents rôles, car quelques-uns avaient la charge d'imposer l'ordre et de faire peur aux femmes, tandis que d'autres avaient la mission de divertir la communauté.(c'était aussi des farces avec des esprits clowns). La peinture du corps était indispensable pour les hommes et les femmes, symboles des récits mythologiques. Ces corps inscrivaient à la manière d'un langage écrit tous les codes cosmiques de leurs représentations.
« La forme et la construction de la hutte répondaient à des concepts cosmologiques: entrée face à l'est, lieu de Pémaulk. On érigeait d'abord les quatre grands poteaux aux points cardinaux, les quatre "cieux" (sho'on). Ces poteaux symbolisaient les "centres" (oishka) des cieux, et aussi les "matrices" (haiyen) des quatre cieux. Trois autres poteaux étaient intercalés pour former un cercle en position secondaire (shixka) par rapport aux quatre poteaux principaux. Ces sept poteaux formaient la structure de base, physique et symbolique, du Hain, comme on le verra plus loin.
Un feu, au centre, brûlait pendant toute la cérémonie, sauf lors du rite phallique. Un homme au moins était toujours de garde à l'intérieur de la hutte, au cas où par hasard les enfants se seraient approchés.
Les noms des sept poteaux reflètent la double origine de la cérémonie : haush et selk'nam. Trois avaient des nomshaush : Pâhuil, Wechiish et Joichik, dont le sens reste inconnu. Ceux des quatre autres poteaux sont des mots communs selk'nam : Télil (flamant), Shéit (hibou), Keyàishk (cormoran) et Shénu (vent)23. Le mythe du premier Hain masculin (voir Chapitre IIl) raconte que sept grands chamans taillèrent dans le roc ces poteaux auxquels leurs noms furent donnés. Trois d'entre eux furent transformés en oiseaux et le quatrième en vent. C'étaient les quatre Selk'nam. Par conséquent ces noms n'avaient pas de sens littéral; les poteaux n'étaient pas associés aux trois oiseaux réels ou au vent, mais aux quatre chamans de hoowin qui furent ainsi transformés.
D'après Angela, dans les quatre cieux du cosmos se dressent les quatre "cordillères invisibles de l'infini". Celle de l'Est, de Wintek, est la plus magnifique et la plus dangereuse de toutes. Elle est représentée par l'immense "Cordillère Glissante" (de l'île des États) comme entourée d'une mer en ébullition (voir Chapitre vil).
Au-delà de cette cordillère se trouve Pémaulk, la plus abstraite et la plus puissante des divinités, dont le nom signifie "l'infini céleste". La cordillère de l'Ouest, de Kenénik, belle aussi, est le centre, la matrice de Vent lui-même, dont le poteau de l'ouest du Hain porte le nom de Shénu. Soleil, le frère de Shénu, est associé au même ciel. Le mythe du Hain des femmes raconte comment Shénu aide Soleil à battre son épouse, la redoutable Lune. Dans la belle cordillère du Sud, de Kéikruk, matrice du Sud, vitShéit (Hibou). Son puissant frère Hosh (Neige), vit là avec leur sœur Kreeh (Lune). Et enfin se dresse la cordillère du Nord, de Kâmuk, le lieu du Nord et la matrice de Koxh (Mer), et de son frère Chalu (Pluie). C'est là que vit Télil (Flamant), honoré comme le poteau du nord.
Lola me dit un jour en espagnol : "Je suis Neige", car son territoire (celui de son père, Til) appartenait au ciel du Sud, le lieu d'origine de Neige. "Ma mère est Vent", puisque son territoire figurait au ciel de l'Ouest, où Vent avait sa demeure. "Mon mari est Pluie", voulant dire que le territoire d'Anik appartenait au ciel du Nord, domaine de Pluie. » Anne Chapman. Quand Le Soleil Voulait Tuer La Lune. Metailié
Tout le rituel et la scénographie tournaient autour du rôle de « l'esprit Shoort » et de son épouse Xalpen (il y avait en fait plusieurs Shoorts, qui jouaient des rôles différents, masqués , peints en rouge avec des lignes ou des points blancs) , au cœur du symbolisme des mythes, de l'observation du cosmos ; on le disait de pierre. Shoort et ses émanations devaient apparaître tous les jours à la même heure, pour marquer les différentes positions du soleil au zénith, pour cette raison, l'esprit était identifié au soleil. Tous les Selk'nam pouvaient s'identifier à l'un de ces Shoort correspondant aux différents poteaux de la hutte. Shoort avait surtout pour mission d'arriver au campement des femmes pour les effrayer et les obliger à faire de petits travaux. Esprit craint des femmes et des enfants, bourreau des kloketen pendant l'initiation, il surgissait soudain du feu, au centre de la hutte, pour participer au Hain (il était en fait dissimulé derrière les assistants), parce que censé habiter le monde souterrain avec son épouse, la redoutable Xalpen, symbole de la lune primitive au temps du matriarcat
« Chaque Shoort se distinguait par une combinaison de couleurs et de dessins sur le masque et sur le corps. Bridges décrit une grande variation de couleurs (rouge, noir et blanc) et de motifs sur le maquillage de cet esprit. Les bras et les jambes opposés étaient blancs ou rouges, avec des points ou des raies de couleurs différentes en surimpression, auxquels pouvait s'ajouter du duvet. Par ailleurs, en 1923, les Shoort portaient le masque capuchon (asl). On le préférait alors au masque conique, encombrant, parce que Shoort s'approchait très près des femmes dans le campement où il remuait beaucoup
Huit Shoort symbolisent la course du soleil à travers le firmament. Avant l'arrivée des blancs, les huit devaient probablement apparaître tous les jours. Le premier était appelé Kuan Koseca (ou Wankoshka), littéralement "marée basse de l'aurore". Il entrait dans le campement avant le lever du soleil, quand les femmes chantaient pour saluer l'aube. . C'est certainement le plus difficile de tous les rôles du Hain car la représentation ne doit jamais se relâcher au milieu des femmes et des enfants qui l'observent attentivement et de très près. Un faux mouvement de F "acteur" trahirait le "secret". Esteban Ishtôn, qui fut kloketen avec Federico, m'a dit qu'un jour un enfant avait reconnu un "acteur" Shoort à sa façon de marcher » Anne Chapman. Quand Le Soleil Voulait Tuer La Lune. Metailié
X alpen était de tous les esprits, la plus sacrée la plus rituelle, la plus redoutée ; la seule montrée en effigie, une effigie qui n'avait rien d'anthropomorphe alors que tous les autres esprits avaient certains traits humains. En fait une sorte de baleine faite de peaux de guanacos, peinte en rouge avec des lignes blanches transversales. Maitresse des autres esprits, elle était réputée irascible, cannibale, avide de sexe et de nourriture. Xalpen était censée avoir de frénétiques contacts sexuels avec les hommes de la hutte et surtout les kloketen ;mais aussi les tuer lors de ses crises furieuses , surtout si on ne lui fournissait pas ce qu'elle réclamait pour calmer ses appétits insatiables.
La hutte devenait alors, pour les femmes qui n'entendaient du dehors que des chants et des cris de kloketen, le lieu supposé d'orgies sexuelles ou de meurtres en série. Ces morts étaient entrecoupées de naissance. Xalpen mettait régulièrement au monde un bébé K'terrnen, annoncé comme charmant (un chaman venait informer de ce qui se passait dans la hutte, suscitant applaudissement et chants du « public »). L'enfant pouvait être garçon ou fille et était joué par un « acteur mince ». Il sortait alors de la hutte pour être exhibé ; mais comme le bébé ne savait pas encore bien marcher, quoique supposé de croissance rapide, il traversait seulement la scène soutenu et porté par des chamanes. Il incarnait le don de vie que pouvait dispenser sa mère à côté de la mort qu'elle donnait dans la hutte .Intervenaient aussi des « renaissance » et des guérisons parce que L'esprit-chaman bienfaisant Olum se manifestait à la fin pour soigner et ressusciter les kloketen, guérisons si rapides qu'elles ne laissaient aucune cicatrice.
« Si elle n'a pas eu son compte de viande, ou si les mères des kloketen ne chantent ni assez longtemps ni assez fort, ou encore si les hommes ne se soumettent pas à ses exigences sexuelles, elle risque de dévorer n'importe qui, à l'exception des conseillers et des chamans. Federico me disait qu'elle pouvait massacrer les hommes à tout moment, sauf les kloketen dont le tour arrive plus tard. Elle tue avec l'ongle de son index qui est long et effilé. Les cris wa wa wa de la victime sont perçus par les femmes qui les identifient et se lamentent: "Xalpen a tué Untel." Chaque femme chante alors son k'méyu pour calmer sa fureur. Et peu après, les femmes se réjouissent d'entendre le battement de mains étouffé par lequel les hommes annoncent l'arrivée d'Olum, le petit chaman qui rend la vie.
Les femmes s'approchent du Hain aussi près qu'elles l'osent, chantant encore "front de pierre". Elles implorent Xalpen de prendre les hommes en pitié, ou tout au moins d'épargner les kloketen. Devant les flammes qui sortent toujours du toit de la hutte, les hommes, nus, courent autour de la scène, leurs longues ombres se détachant sur la neige. Puis ils retournent au Hain. Mais, peu après, cinq d'entre eux en émergent, marchant très lentement. Nus, les bras repliés et se tenant les mains, ils forment un demi-cercle en face des femmes. L'homme au centre s'avance avec une grande difficulté, les jambes ^franchement écartées, un grand sac gonflé, en boyau d'animal, attaché à son sexe et pendant en dessous de ses genoux. Il se place devant les femmes, en hurlant comme s'il était en proie à une douleur insupportable. Les femmes constatent alors que Xalpen lui a rendu ses testicules si enflés qu'il peut à peine marcher.
Plus tard, ou le lendemain, plusieurs hommes se traînent jusqu'au campement, simulant une extrême fatigue d'avoir été "vidés" par Xalpen. Les femmes les entourent avec sollicitude. Parfois, cette scène se termine avec l'apparition de l'esprit masculin cornu, Halahâches, qui fait disparaître Xalpen sous terre. Alors elles entendent deux esprits féminins, compagnons de Xalpen, les Waash-Héuwan (renardsde Héuwan), aboyer . » Anne Chapman . Quand Le Soleil Voulait Tuer La Lune. Metailié
D'autres esprits intervenaient en effet lors des séances.
L'esprit masculin, appelé Halahâches par les femmes et Kataix par les hommes venait aussi de l'inframonde et avait seul le pouvoir d'y renvoyer Xalpen. On l'appelait en chantant son nom dès lors qu'elle avait un accès de rage. L'esprit était à la fois grotesque et effrayant. Il était le seul qui portait un capuchon blanc surmonté de cornes (rappelant un poisson qui lui avait donné son nom ),d'environ un mètre fabriquées avec des arcs et peintes en blanc avec de larges bandes rouges. Devant les femmes, il extrayait des kokleten de la hutte pour les tuer et les jeter en tas mais cette scène avait surtout un caractère de divertissement, les femmes lui jetant des boules de neige qu'il esquivait ou détournait avec un bâton.
Kulpush, esprit féminin de la terre, n'était jamais vue par le public. Elle n'existait que dans le domaine.des contes et des mythes. On racontait qu'elle se manifestait quatre fois dans la cérémonie et que célibataire. elle montait dans le Hain pour faire l'amour avec les hommes.sa signification symbolique n'était pas connue des ethnologues, ni ses caractères physiques. Elle était surtout le prétexte de trois scènes dansées, parce que son nom était répété dans les chants... la danse des sauts", la "danse des manchots" et le "jeu de compétition entre hommes et femmes". Tout le monde s'y amusait, surtout les jeunes qui les exécutaient. La première voyait des danseurs peints en rouge, le visage noirci sortir deux à deux de la hutte jusqu'au nombre de 18 et faire des sauts sur le pied droit tandis que les femmes chantaient le nom de l'esprit femme. La seconde voyait une file d'hommes peints imiter le mouvement des manchots. Enfin la troisième voyait hommes et femmes en deux files distinctes tourner l'une autour de l'autre et des femmes se détacher pour provoquer les hommes par des bourrades sans équivoque. Les hommes y répondaient et cherchaient par jeu à faire tomber les femmes
La connotation sexuelle était omniprésente dans le Hain surtout par la présence de certains esprits. Outre Xalpen et Kulpush, sévissait Kulan, esprit féminin du ciel et de la nuit incarné par un kloketen. Selon le mythe elle était toujours entourée d'amants qu'elle capturait et emmenait pour les garder une semaine. Elle faisait aussi l'amour dans le Hain ou dans la foret proche. Les femmes chantaient pour faire revenir leur mari qui étaient censés réapparaitre épuisés en ne se souvenant de rien. Kulan paradait des fois devant la hutte avec ses amants qu'elle avait peints et parés.c'était une sorte de modèle féminin , la femme triomphante et prédatrice contestataire de l'ordre patriarcal régnant
Le moment essentiel de la cérémonie était le rite de passage, l'initiation, où devait finalement se révéler le secret à savoir que tout était supercherie et illusion pour tromper les femmes. Ceci après bien des épreuves et des souffrances pour l'initié qui avait déjà subi des semaines préalables de chasse. Pour la cérémonie essentielle de l'initiation, le kloketen (le futur initié) accompagné de sa mère éplorée était conduit par des assistants jusqu'à la hutte cérémonielle :
« Accompagné de son K'pin,(son assistant,) le premier kloketen entre dans la hutte. Il scrute le visage des hommes qui sont debout, en cercle serré, fixant le feu, tout le corps peint, coiffés de leurs kochil, capes posées sur les épaules, et qui chantent "hô! hô! ho!". Ils ne le regardent pas, ils continuent de chanter, les yeux fixés sur le feu. Quand les femmes entendent ce chant, elles savent que le rite a commencé et elles courent se cacher dans leurs huttes. Le K'pin retire la cape du kloketen qui attend, nu, sans bouger, et le retient fermement pour éviter qu'il ne s'échappe. Soudain on entend des bruits sourds, comme si la terre tremblait. Derrière le cercle des hommes, c'est Shoort qui frappe le sol violemment, de toutes ses forces. Un conseiller crie au novice: "Regarde en l'air!"
A ce cri, le K'pin, toujours derrière son kloketen, lui saisit la tête, la tire brusquement vers le haut et la maintient dans cette position pour qu'il ne voie pas comment le Shoort bondit devant lui comme s'il avait jailli du feu. Le K'pin relâche la tête du kloketen qui commence à trembler, terrifié à la vue de cet être encapuchonné, tout rouge, taché de grands cercles blancs, accroupi devant lui, bras repliés vers le bas, poings serrés. Toute son enfance il a eu peur de cet esprit qui l'a probablement attaqué récemment dans les bois. Shoort serre les genoux du kloketen en s'y accrochant pour le faire tomber. Le kloketen essaie désespérément de garder son équilibre, les bras toujours serrés contre le corps, comme il en a reçu l'ordre. Un conseiller lui crie alors de se mettre les mains sur la tête en entrecroisant les doigts. Le kloketen obéit machinalement pendant que Shoort tourne autour de lui en grognant et en soufflant par le nez et par la bouche. Il halète comme pris d'une pulsion sexuelle, baisse la tête, la pousse en avant, et soudain saisît les parties génitales du kloketen, les presse violemment, en haletant toujours. Le kloketen endure la douleur aiguë sans résister, les mains sur la tête, tandis que le K'pin serre davantage. Les hommes crient alors au kloketen: "Bats-toi! Attrape Shoort » ! Anne Chapman. Quand Le Soleil Voulait Tuer La Lune. Metailié
Un vrai combat commence alors qui épuise le jeune homme (il peut s'évanouir plusieurs fois) jusqu'à ce qu'on ordonne l'arrêt du combat .On lui commande alors de toucher la tête de « l'être surnaturel » supposée être de pierre.
« Un conseiller lui crie: "Touche Shoort! Est-il fait de rocher ou de chair?" Shoort reste impassible, sans changer de position. Le kloketen l'approche prudemment et, le touchant avec appréhension, répond, étonné : "II est fait de chair!" Les hommes font semblant d'être incrédules; l'un se hasarde : "D'où peut venir un tel homme ?"
Federico racontait qu'encouragé par son K'pin, le kloketen passe ses doigts sur la tête et sur le cou du Shoort. Enfin, il saisit la tête, touche le capuchon et commence à l'enlever, en même temps que l'"acteur" se cache le visage dans les mains. Un conseiller ordonne au kloketen d'écarter les mains du visage de Shoort. Il obéit et fixe avec incrédulité le visage démasqué. L'un des aînés lui crie :
"Qui est-ce ? Peut-être un Airu ? Un Woo ? (Deux groupes voisins : les Alakaluf et les Yamana.) Peut-être un Joshe ? (L'esprit assassin de la forêt.)"
D'autres hommes l'interrogent: "Ne le connais-tu pas ? Dis son nom si tu le sais ! Ne reconnais-tu pas son visage ?"
Quelques minutes passent avant que le kloketen identifie l'imposteur, car il ne voit qu'un visage noirci, contracté, aux yeux serrés. Finalement, quand le kloketen crie le nom de l'"acteur", l'un des hommes ordonne: "Pousse-le!"
Le faux Shoort tombe par terre, les hommes hurlent de rire et le kloketen se détend, épuisé, soulagé, encore que quelques secondes plus tard il s'emporte et s'acharne sur l'"esprit". La crise passée, le kloketen saisit le masque de Shoort et l'appuie contre son nombril, en sautant de tous côtés, riant et criant: "Je n'ai plus peur de Shoort! Je sais maintenant qui c'est! Je suis si heureux!"
Plus tard, l'un des conseillers lui attache autour de la tête la coiffe triangulaire, le kochil, symbole de son passage à l'état d'homme.
Le rite a pris fin. Le K'pin, entourant de la cape les épaules du kloketen, reste derrière lui, pendant que les hommes s'asseyent par terre. Un conseiller se tourne vers le kloketen: "Tout ça était combiné pour t'effrayer. C'est comme ça que nous, les hommes, nous jouons. Les femmes ne doivent jamais découvrir ce qui se passe dans cette hutte31."
L'initié sait maintenant que les Shoort qui apparaissent pendant la cérémonie ne sont que des hommes, et il peut avoir deviné tout le "secret", à savoir que les autres "esprits" sont également des hommes. Garibaldi m'a dit que le but de ce rite est d'épuiser les kloketen pour qu'ils deviennent dociles et disposés à obéir aux aînés. » Anne Chapman. Quand Le Soleil Voulait Tuer La Lune. Metailié
En un mot tout était théâtre : Acteurs et « machinistes » étaient la pour créer et entretenir l'illusion. Ainsi à l'intérieur de la hutte les hommes développaient toute une mise en scène pour mimer, à destination des spectateurs femmes du campement, l'arrivée et les ravages de Xalpen.
« Quand Xalpen arrive de nuit, elle est dans un dangereux état de manque sexuel. Les hommes poussent d'épouvantables cris WA !! et les femmes entonnent le chant "front de pierre" (qui fait allusion à la partie supérieure de son corps fait de pierre). En entendant ces cris et ces chants, elle devient encore plus furieuse, Alors, les hommes secouent la charpente de la hutte comme si la terre tremblait, en même temps qu'ils frappent le sol de peaux de guanaco enroulées pour que le bruit figure les cris frénétiques de Xalpen. Au milieu de ce vacarme, ils glissent une baguette enflammée dans le trou du sommet de la hutte pour donner l'impression que le toit entier est en feu. Entre les cris assourdissants de Xalpen et le Hain qui brûle, des hommes sortent brusquement du Hain et s'enfuient sur la scène en brandissant des torches allumées. Le dernier d'entre eux porte sur son dos un homme, une victime de Xalpen qui étreint ses propres genoux et laisse sa tête ballotter comme s'il était évanoui. Ce groupe se précipite en larges cercles autour de la hutte tandis que le feu s'étend de plus en plus; Xalpen crie toujours, pendant que les hommes hurlent pitoyablement ». Anne Chapman. Quand Le Soleil Voulait Tuer La Lune. Metailié
L'origine mythique du Hain l'indiquait déjà : le Hain avait été inventé comme supercherie par les femmes , au temps primordial du matriarcat, pour assoir et proroger leur domination sur les hommes. Elles se déguisaient en esprits terrifiants censés dévorer qui n'obéirait pas. la supercherie découverte et les hommes ayant à leur tour pris le pouvoir, ils se contentèrent d'instaurer un « Hain des hommes » inversés ou Shoort ,l'esprit soleil intervenait en terrorisant les femmes et les futurs initiés qui eux découvraient le secret au cours d'une action à la fois dramatique et relevant de la farce. Secret qu'ils juraient de garder leur vie durant.
A SUIVRE
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