La formule est de CL.LEVI-STRAUSS
« Qui s'intéresse aujourd'hui au totémisme ? Depuis l'ouvrage magistral de Lévi-Strauss en 1962 qui réduisait cette « illusion » à un rigoureux système de classification corrélant les domaines de la nature et de la culture, plus précisément en établissant entre les écarts différentiels des classes d'êtres naturels et ceux des groupements sociaux des rapports de stricte homologie, l'intérêt général pour le totémisme paraît relever au mieux de préoccupations historiographiques et passéistes, malgré l'utilisation occasionnelle de cette notion par l'ethnographie » (« Totémismes », in Systèmes de pensée en Afrique noire, 15, 1998).
Animisme, chamanisme, totémisme ont longtemps constitués les modèles en fait de religion « primitive », aucun d'eux n'a prévalu. La plupart ont été délaissé mais renaissent sous une autre forme dans la pensée contemporaine. C'est le cas de l'animisme, voire du totémisme. Il fut pourtant une époque (napoléon III et la IIIème République) où l'on chercha l'origine de l'humain, à partir d'une mise en relief de certaines composantes, jugées plus primitives, dans ce qu'on appelait pour cette raison les sociétés primitives. Ce fut aussi l'idéologie qui présida à la colonisation.
Le texte fondateur fut celui de Tylor (Primitive Culture) : il estimait que tous les types de représentations surnaturelles des sociétés anciennes ou les plus civilisées, trouvaient leur origine dans un cadre mental primitif et préhistorique et leur pendant chez des populations dont l'état général de culture était, grosso modo, jugé plus archaïque. (survivance des temps anciens).
Ce cadre primitif était pour l'auteur l'animisme, fondé sur la notion universelle d'âme, principe vital et animateur, détachable du corps et qui expliquait certains phénomènes, tels que le sommeil et le rêve, la maladie et la mort. Une fois ce principe établi Tylor le généralisait à l'ensemble du patrimoine culturel des sociétés dites « sauvages » , les objets extérieurs ,les fétiches. « Chez les peuples sauvages, comme chez les peuples civilisés, la base de toute philosophie religieuse, c'est l'animisme ».
« L'âme, depuis l'origine, a continué d'être définie comme une entité animante, séparable et survivante, d'être conçue comme le véhicule de l'existence personnelle individuelle. La théorie de l'âme est une des parties essentielles d'un système de philosophie religieuse qui unit par une chaîne non interrompue le sauvage adorateur de fétiches au chrétien civilisé. »
Tout reposait sur le concept de survivance.
« La persistance d'une idée, dont le sens s'est perdu avec le temps, mais qui ne subsiste plus que par la simple raison qu'elle avait existé. [...] L'on peut affirmer, une fois pour toutes, que les usages n'ayant pas de sens sont des survivances, qu'ils ont eu un objet pratique, tout au moins le caractère d'une cérémonie, au moment et là où ils se sont originairement établis, et qu'ils ont fini par n'être que d'absurdes observances, parce qu'ils ont été transportés dans un nouvel état social où leur signification primitive s'est totalement perdue ».Primitive Culture
La pensée animiste repose en définitive sur l'idée que « l'être est force » qu'une énergie vitale irrigue vivants et choses du principe premier aux fétiches. M. Griaule écrit ainsi dans Masque Dogons.
« Le nyama est une énergie en instance, impersonnelle, inconsciente, répartie dans tous les hommes, animaux, végétaux, dans les êtres surnaturels, dans les choses, dans la nature, et qui tend à faire persévérer dans son être le support auquel elle est affectée temporairement (être mortel) ou éternellement (être immortel) : c'est ainsi que le ciel, les morts, les génies, les autels, le fumier, les arbres, la graine, la pierre, les bêtes, la couleur rouge, les hommes ont du nyama.
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Le mot « totem » provient de la langue ojibwa, une des langues algonquines de l'Amérique du Nord, où il signifie une relation de parenté entre germains et désigne, plus généralement, le clan ou groupe exogame. Pour les Ojibwa, en effet, il existe une relation métaphorique entre chacun des clans patrilinéaires et patrilocaux et un animal totémique. Mais, en plus de cette relation entre un groupe de parenté et un animal, les Ojibwa connaissent des esprits gardiens individuels, un animal devenant le protecteur attitré de telle personne . Il convient donc de distinguer entre la relation collective et la relation individuelle, comme entre deux systèmes totémiques ordonnés différemment.
En ce qui concerne le totémisme comme système, le concept est d'origine britannique, occasion d'un grand débat théorique au 19ème siecle, et au début du XXème autour de la pensée évolutionniste (Frédéric Rosas, l'Age D'or Du Totémisme, Histoire D'un Débat Anthropologique au XIXème.). Le principal thème de réflexion était le rapport entre les croyances totémiques et l'organisation sociale, d'autant plus que l'ethnographie australienne était au centre du débat.
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Australie :Le "Temps du Rêve" : Epoque où les ancêtres totémiques ont façonné l'environnement, conçu les lois et créé les individus à qui ils allaient léguer la terre, Ils ont créé l'ensemble des composants du monde naturel. Ces ancêtres qui se comportaient comme des êtres humains, ont donc intentionnellement laissé des traces de leurs passages, sur des pistes et des paysages. leurs esprits subsistent sous forme de forces éternelles et « d'esprits enfants. L'énergie de chaque ancêtre souffle sur le chemin qu'il a parcouru au "Temps du Rêve" et atteint sa puissance maximale aux endroits où restent les signes de l'activité de son propriétaire : Un arbre, une colline … Ces témoins sont des sites sacrés. Les sites sacrés font en permanence l'objet d'un débat surtout lorsque leur présence interfère avec l'aménagement du territoire.
Suite surtout à l'œuvre de Radcliffe-Brown puis de Lévi-Strauss , « Le Totémisme Aujourd'hui », l'idée totémique tomba en désuétude quant à son contenu premier ; mais avait contribué fortement à la naissance de l'anthropologie. Celle-ci devait faire face à un puzzle intellectuel, rechercher une unité dans la diversité des études ethnographiques. Elle est pourtant en train de renaitre, comme on le verra surtout sous sa forme animiste et d'un point de vue écologique à notre époque.
Les véritable textes fondateurs du débat totémique furent MacLennan et James Frazer le premier a été responsable de la première étude systématique par son article « The worship of animals and plants », publié entre 1869 et 1870. Son objectif était de montrer que le totémisme existant de façon prépondérante en Amérique du Nord et en Australie permettait d'expliquer certains aspects inintelligibles des panthéons anciens, et en particulier le rapport que maintes divinités grecques ou égyptiennes entretenaient avec tel animal ou telle plante.. Le totémisme représentait un stade nettement caractérisé par l'existence d'une organisation tribale formée de matriclans exogamiques portant le nom de bêtes ou de plantes sacrées. Celles-ci étaient respectées en tant que parents respectifs de chaque groupe de filiation,
Dans Totemism, un petit livre publié en 1887 Frazer se proposait d'y rassembler pour la première fois un maximum de situations ethnographiques de nature dite totémique, provenant de plusieurs régions de la planète et non exclusivement de l'Amérique du Nord et de l'Australie et il donnait une définition.
« Un totem est une classe d'objets matériels que le sauvage considère avec un respect superstitieux, croyant qu'il existe entre lui et chacun des membres de la classe une relation intime et tout-à-fait spéciale. » (Frazer, 1887 .1
il ajoutait que le totem était « généralement une espèce animale ou végétale »,
Dans son livre Frazer reliait côté social et côté religieux. Le côté religieux se manifestait par le respect envers le totem. L'interdiction de tuer et de manger le totem était en tête d'une longue liste de tabous concernant son bien-être et provenant des régions les plus diverses. Ce critère fut presque unanimement retenu du totémisme en général mais se révéla trop large certaines sociétés ne pratiquant pas ces tabous et se servant du totem comme simple emblème ; d'où le fait de relier le totem au système clanique et à l'exogamie
« Le problème du totémisme n'est pas exploré dans toutes ses implications, mais plutôt en rapport avec deux questions centrales qui ont traversé tout le débat, comme nous l'avons déjà mentionné : d'une part, celle de l'unité conceptuelle et de la diversité ethnographique, et d'autre part celle du rapport entre l'aspect social et l'aspect religieux de l'institution. La première question est liée au fait qu'on a placé sous la rubrique du totémisme une série de manifestations assez diverses du point de vue du contenu mais on peut dire que le concept est toujours demeuré en phase de construction, marquée par des tentatives successives de démarcation de ses contours….Quant à la deuxième question centrale du débat, celle du rapport entre l'aspect social et l'aspect religieux du totémisme, elle est étroitement liée à la première. En effet, la délimitation conceptuelle du phénomène, avec ou sans la reconstitution des origines, était en même temps le moyen de préciser si le lien religieux entre l'homme et le totem était ou non solidaire d'un certain type d'organisation sociale, et tout particulièrement s'il affectait ou non les règles du mariage. » Rosa, Frederico. L'âge d'or du totémisme: Histoire d'un débat anthropologique (1887-1929) (Chemins de l'ethnologie).
Le fonctionnalisme ethnologique apportait ses précisions avec Malinowski : celui-ci insistait notamment sur le fait que les animaux étaient l'une des cibles préférentielles de l'attitude religieuse en raison de leur importance au niveau des besoins les plus élémentaires de l'humanité en général et sauvage en particulier. Il donnait aussi comme exemple, entre autres, les pratiques rituelles liées aux moyens de subsistance des peuples chasseurs-cueilleurs, mais l'interprétation proposée concernait l'idée même de survie par rapport à l'environnement naturel, d'où la place considérable des espèces dangereuses, à côté des espèces utiles :
[…] les normes, les idées et les pratiques religieuses se cristallisent autour d'objets qui possèdent une valeur vitale pour l'homme et qui, du même coup, focalisent sa vie émotionnelle. Dans les conditions de vie primitives, ces objets sont d'abord des animaux et des plantes en tant que source de nourriture, et ensuite des animaux en tant qu'agents d'une lutte dangereuse ou comme dépouille tant désirée d'une expédition de chasse.
Quels que soin les diverses conceptions et explications on peut ramener le totémisme à quelques éléments :un élément social, connexion entre une espèce animal, végétale ou une classe d'objets, avec un groupe ,un clan dans un système exogamique .un éléments psychologique :croyance en une relation de parenté entre les membres du groupe et l'animal , plante ou objet. Un élément rituel : le respect témoigné au totem se manifestant par l'interdiction de manger ou d'utiliser
Le fait de ramener la pluralité à une unité factice amena d'une certaine façon à clore le débat dès 1920 (avant Lévi-Strauss donc) grâce à Reginald Radcliffe-Brown»
"Jadis, les discussions théoriques sur le totémisme consistaient presque uniquement en spéculations sur son origine. Si ce mot signifie le processus d'apparition historique d'une institution, d'une coutume ou d'un état de culture, il est alors évident que les formes très variées de totémisme qui existent dans le monde ont des origines très diverses. Sinon, une origine unique du totémisme présupposerait que toutes les institutions si diverses d'une forme unique classées sous cette rubrique générale en dériveraient par des modifications successives. Il n'y a pas me semble-t-il, la moindre preuve, qui justifie une telle affirmation."
D'après lui, les manifestations plus ou moins hétéroclites que l'on faisait entrer dans la catégorie du totémisme n'étaient qu'une partie d'un ensemble encore plus large. Pour comprendre le totémisme, il fallait donc aller au-delà du totémisme. Radcliffe-Brown ira jusqu'à suggérer que le concept était peut-être devenu une simple survivance :
"Une partie de ma thèse consistera à dire que, pour aussi large ou restreinte que soit la définition du totémisme, le seul moyen de parvenir à comprendre les phénomènes ainsi désignés consiste à étudier systématiquement un ensemble beaucoup plus vaste de manifestations, notamment les relations générales entre l'homme et les espèces naturelles dans le mythe et dans le rite. On peut bel et bien se demander si le "totémisme", en tant que terme technique, ne fait pas que survivre, après avoir perdu toute utilité»"
L'auteur englobait et élargissait le totémisme en l'intégrant dans le concept de « relation rituelle :quand une société exige de ses membres une attitude précise à l'égard de tel ou tel objet, notamment une attitude qui suppose une certaine dose de respect, exprimée par des modes de comportement traditionnels vis-à-vis de cet objet
Par conséquent, et avant de s'occuper du totémisme proprement dit, Radcliffe-Brown se demandait justement pourquoi la majorité des peuples dits primitifs incorporait les animaux et les plantes dans leurs pratiques et dans leurs représentations magico-religieuses. Radcliffe-Brown n'hésitait pas à dire que tous ou presque tous les peuples de chasseurs-cueilleurs développaient une attitude rituelle – y compris mythologique – vis-à-vis des espèces sauvages sur lesquelles était basée leur propre subsistance, indépendamment d'un éventuel encadrement de type totémique. Le statut particulier de chaque animal ou de chaque plante pouvait affecter et très souvent affectait l'ensemble de la communauté et non pas ses subdivisions
En 1929, il avançait l'idée importante selon laquelle le parallélisme entre les espèces naturelles et les subdivisions tribales représentait une construction idéologique par le biais de laquelle les premières étaient intégrées dans la société des hommes. Les animaux et les plantes, peut-être bien parce qu'ils servaient de nourriture mais surtout parce qu'ils étaient omniprésents dans la vie du groupe d'une façon ou d'une autre, finissaient par faire partie d'une sorte de supra-société aux contours cosmologiques.
Au sens strict du terme, la structure sociale d'un peuple consiste dans le système de groupement formel à travers lequel sont déterminées les relations sociales entre les individus […]. Mais il y a aussi une structure plus large qui rapproche la société et la Nature environnante et qui établit, à travers les mythes et les rites, un système de rapports organisés entre les êtres humains et les espèces ou les phénomènes naturels »
Le projet de Levi Strauss,( Le Totémisme Aujourd'hui Et La Pensée Sauvage 1962) était, on le sait de fonder un système théorique global ,une anthropologie générale (modèle épistémologique qui expliquait la genèse du sens et de l'ordre social, contre le chaos et l'indétermination symbolique. )
D'où une théorie générative de la culture et de l'intégration, du discontinu et du continu, dans la pensée humaine depuis que l'homme est homme, (c'est-à-dire, un être culturel doté d'un intellect).Celui-ci mettait de l'ordre par les structures logiques inconscientes qui régissent son fonctionnement. la question du totémisme lui permettait de critiquer évolutionnismes et fonctionnalisme. Aussi la notion même de totémisme lui parait-elle suspecte, illusoire et ethnocentrique : « le totémisme est une unité artificielle qui existe seulement dans la pensée de l'ethnologue » .L'auteur fustigeait l'intérêt de ses prédécesseurs ethnologues pour le totémisme qui aurait relevé d'« un certain goût de l'obscène et du grotesque », une sorte de « maladie infantile de la science religieuse »
Lévi-Strauss contestait l'amalgame entre les trois ingrédients retenus pour désigner le totémisme : organisation clanique, dénomination clanique (végétale ou animale), croyance en une généalogie mythique de l'objet totem.
Et, d'auteur en auteur, de théorie en théorie, il s'ingénie à montrer qu'aucune des combinaisons théoriques possibles, avancées par les défenseurs de la thèse totémique pour trouver une unité à des formes n'était viable : l'exogamie n'est pas systématique du totémisme . les totems ne sont pas tous frappés d'interdits, ou pas tous par les mêmes personnes et de la même manière ; toutes les prohibitions ne sont pas totémiques ; une organisation dualiste n'est pas nécessairement totémique, pas plus qu'une société « en moitié » n'est systématiquement exogame ; le totémisme est loin d'assumer une seule fonction sociale : (de réglementation des mariages ; psychologique : de protection contre l'anxiété, selon Malinowski) Celui de l'interprétation psychanalytique de l'origine de la civilisation d'un Freud, qui fait dériver les principes sociaux et institutionnels du totémisme, sur le postulat d'une matrice psychoaffective universelle (Freud 1965 [1913]), et d'un processus psychologique (refoulement) issu d'un traumatisme initial (le meurtre du père).
La thèse de Levi strauss est que le totémisme est un aspect d'une pensée classificatoire « sauvage »,système de différentiation qui repose sur le sensible(,les formes de l'ordre culturel reflétant les lois sous-jacentes, générales, de l'esprit humain et sans doute du cerveau pour l'auteur) afin de penser les relations humaines en particulier de parenté. Il illustre ainsi le dualisme et le passage de la nature à la culture. Cette pensée sauvage est parente du bricolage comme du poétique et de l'art. Le totémisme que garde Lévi Strauss s'inscrit alors dans une anthropologie structurale :
« Chaque chose sacrée doit être à sa place », notait avec profondeur un penseur indigène On pourrait même dire que c'est cela qui la rend sacrée, puisqu'en la supprimant, fut-ce par la pensée, l'ordre entier de l'univers se trouverait détruit ; elle contribue donc à le maintenir en occupant la place qui lui revient. Les raffinements du rituel qui peuvent paraître oiseux quand on les examine superficiellement et du dehors, s'expliquent par le souci de ce qu'on pourrait appeler une« micro-péréquation» : ne laisser échapper aucun être, objet ou aspect, afin de lui assigner une place au sein d'une classe. c'est qu'il existe deux modes distincts de pensée scientifique, l'un et l'autre fonction, non pas certes de stades inégaux du développement de l'esprit humain, mais des deux niveaux stratégiques où la nature se laisse attaquer par la connaissance scientifique : l'un approximativement ajusté à celui de la perception et de l'imagination, et l'autre décalé ; comme si les rapports nécessaires, qui font l'objet de toute science — qu'elle soit néolithique ou moderne — pouvaient être atteints par deux voies différentes : l'une très proche de l'intuition sensible, l'autre plus éloignée. Tout classement est supérieur au chaos ; et même un classement au niveau des propriétés sensibles est une étape vers un ordre rationnel.
Si l'on demande de classer une collection de fruits variés en corps relativement plus lourds et relativement plus légers, il sera légitime de commencer par séparer les poires des pommes, bien que la forme, la couleur et la saveur soient sans rapport avec le poids et le volume ; mais parce que les plus grosses, parmi les pommes, sont plus faciles à distinguer des moins grosses, que si les pommes demeurent mélangées avec des fruits d'aspect différent. On voit déjà par cet exemple que, même au niveau de la perception esthétique, le classement a sa vertu.
Or, le propre de la pensée mythique est de s'exprimer à l'aide d'un répertoire dont la composition est hétéroclite et qui, bien qu'étendu, reste tout de même limité ; pourtant, il faut qu'elle s'en serve, quelle que soit la tâche qu'elle s'assigne, car elle n'a rien d'autre sous la main. Elle apparaît ainsi comme une sorte de bricolage intellectuel, ce qui explique les relations qu'on observe entre les deux
La comparaison vaut d'être approfondie, car elle fait mieux accéder aux rapports réels entre les deux types de connaissance scientifique que nous avons distingués. Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l'ingénieur, il ne subordonne pas chacune d'elles à l'obtention de matières premières et d'outils, conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s'arranger avec les « moyens du bord », c'est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d'outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l'ensemble n'est pas en rapport avec le projet du moment, ni d'ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d'enrichir le stock, ou de l'entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures. pour employer le langage même du bricoleur, parce que les éléments sont recueillis ou conservés en vertu du principe que « ça peut toujours servir ».
le propre de la pensée mythique, comme du bricolage sur le plan pratique, est d'élaborer des ensembles structurés, non pas directement avec d'autres ensembles structurés , mais en utilisant des résidus et des débris d'événements : « odds and ends », dirait l'anglais, ou, en français, des bribes et des morceaux, témoins fossiles de l'histoire d'un individu ou d'une société. CL.LEVI-STRAUSS. LA PENSEE SAUVAGE
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