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L'association Le Musée Vivant des Arts et des Civilisations d'Afrique à Nantes (MUVACAN) organise avec L'Afrique et la Nature sa cinquième exposition itinérante, après Le Pouvoir en Afrique, des traditions à nos jours, hélas interrompue en 2020 par la crise sanitaire avant de se refaire une santé à l'Abbaye de Saint-Jacut-de-la-Mer et de revenir à Nantes dans notre université.
L'exposition de 2012 Insolites poupées d'Afrique s'est déplacée dans diverses villes depuis Nantes (Lyon, Montélimar). Celle sur Les Arts de guérir en Afrique traditionnelle en 2014-2015 a suivi le même chemin depuis sa base nantaise pour rejoindre Louvain en Belgique, Tours et Quimper. L'exposition Naître et Être en Afrique, entre traditions et temps présents a eu lieu en 2017 à l'Espace International Cosmopolis grâce à la ville et l'agglomération de Nantes puis s'est déplacée à Bruxelles et enfin au Musée de Fontenay Le Comte en 2019.
Toutes ces manifestations font la promotion des civilisations africaines. Nos valeurs sont le dialogue interculturel et la lutte contre les préjugés. Outre sa dimension culturelle, notre démarche est sociale dans l'esprit de ce que pouvaient être les «musées d'éducation populaire». C'est pourquoi, en partenariat avec des associations africaines, nous recherchons un impact à long terme, donc à capitaliser nos opérations concrètes notamment grâce à la virtualisation. Un souhait fort : un musée africain à Nantes, ville consciente de son passé, et pourquoi pas une antenne du Musée Branly-Jacques Chirac ?
Jacques Barrier Président du MUVACAN
PRÉSENTATION
L'exposition met en évidence la différence fondamentale entre la vision occidentale et la vision animiste du monde et montre comment cette dernière, loin d'être passéiste, est le point de départ d'une pensée écologique moderne.
Il ne faut cependant pas penser une Afrique sub-saharienne restée « figée » dans cette pensée traditionnelle animiste, même si elle en est toujours profondément et structurellement imprégnée. Celle-ci a évolué au fil du temps et des interpénétrations culturelles et industrielles venues d'Europe et du Proche-Orient, via les processus de colonisation. En revanche, au regard du pillage des ressources auquel on assiste partout sur la planète, dû à l'appétit d'une économie avide de gains immédiats, on doit constater que l'exploitation des milieux naturels conforme à la tradition, permettait d'assurer au mieux la pérennité de ces ressources. Une leçon qu'il est certainement urgent d'écouter aujourd'hui !
« Depuis Descartes, nous pensons contre nature, assurés que notre mission est de la dominer, la maîtriser, la conquérir. Le christianisme est la religion d'un homme dont la mort surnaturelle échappe au destin commun des créatures vivantes ; l'humanisme est la philosophie d'un homme dont la vie surnaturelle échappe à ce destin : il est sujet dans un monde d'objets, souverain sur un monde de sujets… » Edgar Morin, Le paradigme perdu : la nature humaine, 1973, Ed. Points
La planète est face au double enjeu du réchauffement climatique et de l'effondrement de la biodiversité, deux conséquences des activités humaines. L'Afrique subit de plein fouet ces dérèglements avec leur lot de problèmes mettant en péril les populations et provoquant des migrations humaines en masse. Les atteintes au vivant en Afrique, faune et flore, aggravent la situation. C'est sur ces constats d'actualité que le MUVACAN, fidèle à ses objectifs de faire dialoguer les cultures, a bâti son exposition. Comme dans ses précédentes manifestations, l'association visite les concepts traditionnels en explorant, ici, les relations entre humain et non humain en Afrique éclairées par la pensée animiste, mais aussi les mutations contemporaines qui affectent ces relations.
Pour illustrer ce propos traditionnel, l'exposition va à la rencontre d'une douzaine de peuples différents .
En descendant la navigation » fait découvrir de nombreux objets des deux grands fleuves que sont le Niger et le Congo, objets de «grandes valeurs symboliques", issus de collections privées partenaires. Ce voyage permet également d'explorer les rapports particuliers de ces peuples avec leurs milieux naturels (le fleuve, bien évidemment, la savane, la forêt…) et leurs pratiques traditionnelles qui y sont liées.
« II faut retrouver des dimensions plus modestes et plus proches de la nature, sortir de la folie qui nous fait vouloir toujours plus grand. C'est cela, la philosophie animiste : comprendre qu'il faut revenir aux fondamentaux avant de vouloir percer tous les secrets de l'univers. » Jean Malaurie Juin 2016
A chaque fois, une thématique est dégagée, offrant l'occasion de faire un pont avec l'actualité des problèmes écologiques de l'Afrique en tentant d'en analyser les principales causes : croissance démographique, monocultures industrielles face aux cultures vivrières, déforestation, conflits autour des usages de l'eau, braconnage massif de certaines espèces sur commandes de l'Asie, exploitation des ressources minières ou pétrolières.
Face à ces enjeux pour l'avenir, des initiatives locales se font jour, comme partout ailleurs, avec des objectifs de préservation de la nature et d'amélioration de la qualité de vie des gens.
PHILIPPE DE GRISSAC COMMISSAIRE DE L'EXPOSITION
BOIS SACRE SENOUFO
LE DUALISME OCCIDENTAL
NATURE : le mot n'existe que dans la pensée occidentale avec un triple héritage : les Grecs à partir d'Aristote et des stoïciens, le christianisme, la pensée scientifique à partir du 17ème siècle et de l'évolutionnisme du 19ème. Une nature universelle composée d'éléments physico-chimiques s'opposera à la diversité des représentations humaines (cultures). La pensée occidentale reposera dès lors sur un système binaire d'oppositions : nature/culture, primitif/civilisé, humain/non humain , esprit/corps. On parle de « Dualisme » ou de « Grand Partage ».
À partir du 17ème siècle et jusqu'à sa mise en question à notre époque, le vieux modèle du cosmos antique et médiéval fit place l'idée d'un univers/machine qui ne sera plus que de la matière, se mouvant dans l'obéissance aux lois mathématiques. Tous les savants mécanistes conçoivent la Nature comme un immense jouet (à l'image des automates) dont on cherchera à découvrir les ressorts (lois de la nature).
Paradoxalement, l'homme, s'il est un corps-machine (autre aspect du dualisme), garde un rôle prépondérant par son intériorité (âme ou psychisme) : par la science, il pénétrera les composantes de la nature ; par la technique, issue de la science, il deviendra < maître et possesseur de la nature ».
À l'inverse, les animaux seront des automates pareils à des horloges, capables de comportements complexes (instinct), mais dénué d'âme.
YVAN ETIEMBRE ET PHILIPPE DE GRISSAC / VISITES GUIDEES
LE COSMOS ANIMISTE
Les pensées traditionnelles n'ont pas l'équivalent du mot nature mais postulent un COSMOS : COLLECTIFS HUMAINS/NON HUMAINS, totalités englobant animaux, végétaux, minéraux. Un collectif est beaucoup plus qu'un groupe humain : il comporte aussi des plantes, des animaux, des esprits du lieu et bien d'autres choses. Il inclut des ancêtres totémiques, animaux fondateurs, les animaux de l'espèce-totem sont des parents protégés par des interdits alimentaires.
Il y a les invisibles protecteurs, génies de l'eau, maîtres des animaux, vaudou, qui participent à la vie collective par leurs avatars (masques et statues ou les rites).
- il y a les ancêtres (d'où une absence d'idée de la mort naturelle) présents aussi par leurs autels et les rituels.
Dans le mode de pensée animiste, une même force vitale émanant d'un principe supérieur (dieu et divinité), irrigue la totalité du cosmos à des degrés différents de puissance. L'humain reçoit cette force tout au cours de son existence de la part des autres êtres (visibles et invisibles), au moyen des rites de passages (initiation, ancestralisation) et autres rituels. Plus qu'un être autonome il est un faisceau de relations avec l'ensemble du cosmos.
ANIMALITÉ ET TOTÉMISME
Le « Grand Partage » de la pensée occidentale a séparé, au XVIème siècle, la culture de la nature et donc l'homme de l'animal. Les mythes des sociétés traditionnelles, au contraire, parlent d'une origine indifférenciée qui fait que l'animal reste toujours parent de l'humain. L'organisation de ces sociétés repose en fait sur des COLLECTIFS HUMAINS/ NON HUMAINS, dont le TOTÉMISME est un aspect.
Le totémisme est l'idée d'un ancêtre animal fondateur (serpent, antilope, caméléon, calao, etc...) d'un clan ou d'une collectivité et qui lui donne son nom. Il permet de situer ces clans parfois dans une hiérarchie.
On peut le ramener à quelques éléments :
- UN ELEMENT SOCIAL : connexion entre une espèce animale, végétale, et un groupe, un clan dans un système de parenté exogamique.
- UN ELEMENT PSYCHOLOGIQUE : croyance en une relation de parenté entre les membres du groupe et l'animal, plante ou objet.
- UN ELEMENT RITUEL : le respect témoigné au totem se manifestant par l'interdiction de manger ou d'utiliser l'animal.
L'énergie cosmique qu'on prête aux animaux est utilisée dans la composition des masques, des parures (plumes, peaux), des fétiches ou « objets forts ». Les animaux prennent également la forme de génies ou divinités incarnant les puissances des éléments, En Afrique traditionnelle, le totémisme n'est qu'un des aspects de la relation des groupes humains avec l'animalité. Peut aussi s'instaurer une alliance entre les hommes et l'animal, voire une quasi-parenté d'ordre mythique.
YVAN ETIEMBRE
CONFERENCE YVAN ETIEMBRE
DIAPORAMA CONFERENCE CI-JOINT:
DÉFIS ET ESPOIRS QUELQUES EXEMPLES EN BREF
LA DÉMOGRAPHIE
Avec la croissance démographique actuelle, en 2050, il y aura 2,4 milliards d'habitants en Afrique, soit un quasi doublement de population actuelle. Ceci représente près de 60% de la croissance démographique mondiale durant cette période. C'est un vrai défi pour l'Afrique qui aura à répondre à cette croissance en termes de santé, d'éducation, d'emploi, de sécurité...mais aussi de dégradation des écosystèmes et de la faune et de la flore associées.
LE CHANGEMENT CLIMATIQUE
L'Afrique, qui n'émet que 4% des de gaz à effet de serre, subit pourtant intensément les répercussions du réchauffement climatique. L'élévation de la température en Afrique de l'Ouest, plus rapide que celle des eaux du Golfe de Guinée, provoque des moussons de plus en plus intenses, notamment au Sahel. Épisodes dévastateurs comme en septembre 2020 avec la crue du Niger qui a fait 200 morts et 1 million de déplacés.
Dans les régions tropicales humides, les épisodes de précipitations deviendront très probablement plus intenses et plus fréquents, à mesure de l'augmentation de la température moyenne à la surface du globe. L'Afrique Australe devrait, elle, subir des périodes de sécheresse.
Le massif forestier du bassin du Congo est le deuxième plus étendu après l'Amazonie. En l'espace de quinze ans (2000-2014), il a perdu 16,5 millions d'hectares de forêts.
Deux causes principales :
- L'agriculture
Ce recul est dû principalement aux cultures sur brûlis par les petits paysans qui pratiquent une agriculture itinérante, et aux prélèvements de bois de chauffe pour la cuisine surtout en périphérie des agglomérations, en forte augmentation avec la croissance démographique.
Les défrichements mécaniques réalisés par l'agro-industrie, avec des plantations en monoculture et ouverture de pâtures pour le bétail, ne seraient responsables que de 1 % de la perte de forêts, mais, depuis 2014, l'accélération est très forte.
- L'exploitation forestière légale ou illégale, s'appuyant sur des réseaux de corruption
Cameroun, ou le choix impossible :
Pour son économie, le Cameroun a dû faire appel à des financements internationaux. Or les bailleurs, soucieux de se faire rembourser ont obligé le pays à augmenter son exploitation forestière mais, dans le même temps, le Cameroun a signé les accords de Kyoto et s'est engagé à réduire sa déforestation !
Nigeria : du pétrole dans le Delta
« Du brut, du brut, du brut ! Il y en a partout ! Avant, tout ce que vous voyez là était plein de végétation et d'eau, on se baignait et on péchait ici. On utilisait même l'eau pour boire. Aujourd'hui, il ne reste plus rien » clame Koba Erabanabari du village de K-Ndere (delta du Niger)
LA CRÉATION / GESTION DES PARCS NATIONAUX,
Dans la forêt quasi intacte du Congo, les Baka, peuple autochtone, vivent en symbiose avec la forêt d'où ils tirent nourriture et pharmacopée. Ils sont chassés par l'installation du Parc Naturel de Messok Dja : « Cela fait des années et des années que des écogardes financés par le WWF sont arrivés chez nous. Ils nous interdisent de chasser pour nourrir nos familles. Ils nous interdisent d'entrer dans notre forêt. [...] Ils nous ont parlé de la limite du parc. Mais personne n'est venu nous demander notre consentement »
LE PILLAGE DES RESSOURCES NATURELLES
Dans son sous-sol, l'Afrique possède d'énormes réserves de minerais divers (cuivre, coltan, cobalt, or, fer, uranium et phosphates.) sans parler du diamant, du gaz, du pétrole et des terres rares ! Les populations ont sous leurs pieds un trésor qu'elles ne peuvent exploiter, victimes d'un pillage organisé et systématique par des multinationales extérieures au continent.
LE BRACONNAGE
De 2006 à 2018, plus de 1,3 million d'animaux vivants et plantes, 1,5 million de peaux, 2 000 tonnes de viande ont été exportées d'Afrique vers l'Asie de l'Est et l'Asie du Sud-Est. Le trafic d'animaux sauvages se situerait en 3ème position parmi les 4 activités illicites les plus lucratives au monde avec les trafics de drogue, d'armes. Mais sans les commanditaires importateurs qui surfent sur la pauvreté, plus de braconnage !
LA SOCIÉTÉ CIVILE EN MOUVEMENT,
En République Démocratique du Congo les communautés riveraines des parcs de Virunga et Salonga s'opposent au projet d'exploitation du pétrole dans ces zones remarquables, classées au patrimoine mondial de l'UNESCO, pour la flore et la faune. Elles demandent au gouvernement d'appliquer ses propres lois et de respecter les conventions internationales en matière de protection de la nature.
LES SŒURS DE GRETA THUNBERG
VANESSA NAKATE (Ouganda) fonde, en 2018, le mouvement pour le climat.
LEAH NAMUGERWA (Ouganda) sensibilisée par les menaces contre les forêts plante 200 arbres.
HILDA FLAVIA NAKABUYE (Ouganda) fonde le mouvement « Fridays for future »
ADENIKE TITILOPE OLADOSU (Nigeria) prend la parole à la COP 25 de Madrid.
ELIZABETH WATHUTI (Kenya) concrétise un projet de plantation de 30 000 arbres.
PHILIPPE DE GRISSAC
REGARDS CROISÉS :
« Depuis la nuit des temps, les relations entre les hommes et les animaux nourrissent la créativité des artistes africains (Christiane Falgayrettes-Leveau)
Les mythes d'origine des différents peuples donnent un statut à l'animalité : d'abord indifférenciés, humains et animaux se séparent mais restent parents. Ainsi beaucoup de clans ont un ancêtre animal comme fondateur préservés par des interdits. Les sculpteurs africains ont donc créé des "objets forts", masques et statues, représentant les animaux de façon soit réaliste, soit imaginaire, parfois zoo -anthropomorphes ou composites, selon des critères traditionnels propres à leurs communautés. Généralement conservés à l'abri des regards en un lieu sacré (grottes, cases dédiées.), les masques étaient exhibés lors de manifestations rituelles telles que les retraites d'initiation ou la fin de ces retraites quand les nouveaux initiés réintégraient le village, lors d'activités communautaires comme les travaux agricoles (semailles, récoltes) ou les expéditions de chasse, ou encore pour des cérémonies de commémoration d'ancêtres.
Le danseur - ou mime - porteur de masque perd son identité d'homme. Il est métamorphosé en esprit-animal. Il fait revivre le mythe ancestral auquel le clan est attaché. Esprits de la brousse, bienveillants ou menaçants, totems protecteurs du groupe ou parfois incarnations d'ancêtres primordiaux, les masques animaliers sont toujours signifiants.
Notre regard occidental a tendance à les considérer comme des œuvres d'art, mais il faut dépasser la simple vision esthétique pour les remettre dans leur contexte social et religieux.
FRANCOIS PERRIER
Photos N/B CHRISTIAN SAINTVANNE(droits réservés)
CIDESSOUS/ superbe video de regards croisées animaliers de CHRISTIAN SAINTVANNE
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