ESPACES DE CULTURES ,ANTHROPOLOGIE,PHILOSOPHIE,VOYAGES...
SUIVEURS DE PISTES,DE SAISONS ,LEVEURS DE CAMPEMENTS DANS LE PETIT VENT DE L'AUBE ; Ô CHERCHEURS DE POINTS D'EAU SUR L'ECORCE DU MONDE. Ô CHERCHEURS,Ô TROUVEURS DE RAISONS POUR S'EN ALLER AILLEURS"...
SAINT JOHN PERSE .ANABASE.
Salon de lecture Jacques Kerchache. Le vendredi 03 avril 2020 de 17:00 à 18:30
Rencontre avec Dominique Sewane, Philippe Charlier et Grégory Berthier- Gabrièle à l'occasion de la nouvelle édition du 'Souffle du mort" publiée chez PLON, collection "Terre Humaine".
Un livre essentiel sur la pensée spirituelle de l'un des peuples les plus méconnus de l'Afrique subsaharienne : les Batammariba, au nord des Républiques du Togo et du Bénin. Peuple fier, aux traditions de guerre et de chasse, il se reconnaît dans l'acte de construire des forteresses de terre pétrie disséminées dans des montagnes d'une saisissante beauté. La nuit appartient aux forces de la terre qui s'incarnent dans certains arbres, pierres, sources avec lesquelles se lient les défunts. Lors d'un rite de deuil, chacun se met à l'écoute du silence de la nuit, comme le Voyant aux sens en éveil. La mort est conjurée, détournée, afin que le souffle du défunt acquière la force de former un nouvel enfant. C'est à de tels instants que les Batammariba puisent leur vitalité. Dominique Sewane a eu le privilège d'assister à leurs cérémonies en compagnie des Maîtres du savoir et de bénéficier de leur parole. Le lecteur participe à ses doutes, ses appréhensions, mais aussi à la révélation qu'est pour un Occidental une réflexion d'une rare profondeur sur le mystère de la mort, donnant raison à cette pensée du grand philosophe russe Léon Chestov : «Tout ce qui a été créé de meilleur et de plus fort, de plus important et de plus profond dans tous les domaines de la création, prend sa source dans la méditation sur la mort et dans la frayeur qu'elle inspire.»
Dominique Sewane, anthropologue, historienne et philosophe de formation, est accueillie depuis les années 1980 chez les Batammariba qui peuplent la vallée et la montagne de l'Atakora, au nord des Républiques du Togo et du Bénin. Au Togo, leur territoire, le Koutammakou, a été inscrit en 2004 au Patrimoine mondial de l'Unesco. Partageant leur existence dans des conditions extrêmes au cours de huit missions en solitaire, elle a eu le privilège d'assister à des rituels initiatiques et funéraires d'une haute spiritualité.
Responsable jusqu'en 2018 d'une chaire Unesco, unique en son genre, concernant la préservation du patrimoine culturel africain dans l'esprit de Terre Humaine, ses enseignements aux Hautes études commerciales (HEC) et à l'Institut d'études politiques (Sciences Pô) ont été centrés sur le patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Sur les pas d'une lignée d'éminents chercheurs, elle témoigne dans ce livre d'une pensée complexe et subtile, emblématique de la millénaire sagesse africaine.
On peut lire sur le site de nombreux articles consacrés aux Batammariba et à DOMINIQUE SEWANE cliquer sur son nom dans les catégories à droite.
Un court extrait de la préface de la seconde édition montre combien une pensée traditionnelle est soucieuse du milieu pour elle vivant ,qu'on doit donc respecter et non dominer ou détruire à volonté.
L'attention et le soin que portent les Batâmmariba à leur territoire, la manière d'être à son écoute par l'intermédiaire des Voyants, les rituels qui, périodiquement célèbrent les rencontres avec les Grands Morts alliés de puissances chtoniennes, contribuent à le maintenir vivant. Les notions de « distance » et de « limite » sont pour eux fondamentales. Les habitations et champs cultivés ne sont si distants les uns des autres que pour respecter les parcelles réservées aux dibo : bosquets, cascades, cours d'eau, qu'il est interdit d'empiéter sinon pendant un rituel. Limites clairement dessinées sur le sol. Vis-à-vis de ces forces, tout habitant du Koutammakou, quel qu'il soit, d'où qu'il vienne, doit faire preuve d'humilité afin de bénéficier de leurs bienfaits. Il lui est demandé de se souvenir que les humains, tardivement arrivés, sont des intrus tolérés sur une terre qui ne leur appartient pas. Or, l'alliance sacrée est susceptible de se rompre à tout instant, pour peu que les règles de chasse et d'agriculture, interprétées par les Voyants, soient négligées par imprudence ou cupidité. Conséquences : tornades, ouragans, sécheresses sur l'ensemble du territoire. Au cours du grandiose rituel agraire qu'est le difwani, auquel sont initiés les jeunes garçons, l'eau et la boue sont magnifiées. Que ces éléments viennent à se raréfier, la survie des habitants sera compromise. « Je ne suis qu'un hôte de passage sur cette terre1 » pourrait dire comme le psalmiste l'Otâmmari, dont le devoir est de veiller à l'intégrité de son lieu pour le bien des générations futures."
Le Koutammakou est la région du Togo et du Bénin, en Afrique de l'Ouest, qui abrite les Batammariba. Cette région est inscrite, depuis 2004, au patrimoine mondial de l'UNESCO.
Notre contact avec le monde se fait donc d'abord par des sensations et des perceptions auxquelles s'ajoutent toutes les représentations mémorielles et conceptuelles qui nous permettent de connaitre et de reconnaitre les objets. Ce monde, pourtant, serait bien « pâle », si nous ne le colorions affectivement par l'imagination. Ainsi un paysage, n'est-il pas un simple espace perceptif ; il est fait aussi de toutes les images, de tous les symboles, des significations analogiques, voire des mythes que nous projetons sur les lieux. L'imaginaire, donneur de sens est d'abord celui des formes, (nous avons tous vu des visages dans les nuages ou les rochers) mais il est aussi et plus profondément celui des matières et, comme l'a montré Bachelard, des matières fondamentales, sources essentielles de l'onirisme et des poétiques, l'eau, la terre, le feu et l'air. Des alchimistes aux Philosophes Allemands De La Nature, de Novalis à Jung et plus proche de nous, de Mallarmé ou Valery aux surréalistes comme Breton et Artaud, des courants de pensée ,des poétiques diverses ont ainsi mis en valeur l'existence d'une cosmopoétique, où l'homme imaginant entrait en résonnance avec son milieu, la nature, ou le Cosmos rejoignant ainsi la pensée méconnue des Peuples premiers, Aborigènes australiens, Bushmen ou Inuit, ici Batammariba, pour qui le monde, le Cosmos n'était pas d'abord un spectacle, mais un Grand Vivant auquel chaque être participe .
De ce qui était d'abord une fluidité des frontières et constitution de « collectifs »englobant humains et non humains ,l'évolutionnisme occidental a fait péjorativement une sorte de religiosité primitive. Pourtant l'objet « animisme » ne correspond à aucune réalité religieuse se revendiquant comme telle. Il n'est qu'un objet créé historiquement par l'occident pour distinguer des croyances et des pratiques n'entrant pas dans le modèle des religions dites universalistes , les trois religions du livre surtout .
(Dominique Sewane(@)copyright
On a ainsi beaucoup glosé sur l'animisme ; comme symbole de l'archaïsme des sociétés traditionnelles qui le pratiquaient. Dans une vision évolutionniste linéaire, on l'a situé dans un stade infantile de l'humanité. Le premier théoricien en fut Edward Burnett Taylor dans « Primitive Culture »(1871) pour qui les « primitifs » peupleraient les êtres et des choses « d'Âmes » .Ce serait le stade premier de la religiosité suivi par le fétichisme , le poly puis le monothéisme ,chaque étape étant conçue comme un progrès de la spiritualité et de la civilisation. L'animisme, en outre, ajouterait au monde quantité d'entités intermédiaires, quoique invisibles, objets des cultes et des rites, « ancêtres, esprits de la nature, génies , vodun etc, et serait lié à l'existence de médiateurs , devins et guérisseurs, par exemple les Nganga d'une partie de l'Afrique et bien sur les Chamans très présents chez les peuples sibériens, asiatiques, et amérindiens (on en discute l'existence en Afrique) )et chez les peuples de l'Arctique ,Inuit et Sâmes. A noter qu'animistes et chamans furent férocement combattus par les missionnaires chrétiens qui y voyaient des « diableries » et des cultes sataniques.
Pourtant tout un courant de la pensée contemporaine revisite aujourd'hui l'animisme , comme fournissant des cadres de pensée à une écologie « profonde » qui va beaucoup plus loin que la simple défense de l'environnement. il s'agit comme l'a dit Pierre Montebello (Métaphysiques Cosmophores), « de retisser les multiples fils coupés, de la matière à la vie, des vivants aux hommes, des choses aux hybrides, en s'écriant d'une seule voix « fidélité à la Terre », au repeuplement de la terre. Vaste chantier. » Donner voix à la pluralité des êtres, et dire comment ils sont nécessairement apparentés. Réhabiliter des mondes de connaissances centrées sur l'altérité comme l'intuition, la sympathie, la participation, la résonance, la relation. : « Où l'homme n'a plus le statut d'exception mais entre en résonance avec les figures autres, dans une secrète parenté avec le monde. »
( L'équipe du livre.Dominique Sewane(@)copyright)
Si ce courant est surtout anglo-saxon (Graham Harvey, David Abram, Nurit Bird- David ou Donna Haraway ), et peu traduit chez nous, il ne faudrait pas oublier toute l'œuvre de Jean Malaurie qui en eut la « prescience », (ce qu'illustre sa préface du livre)au point de gagner, chez ses compagnons Inuit, le nom de « celui qui parlait avec les pierres ».Des ouvrages de la collection Terre Humaine ,outre ceux de Jean Malaurie ,lui-même , en témoignent : Le Souffle Du Mort de Dominique Sewane, de Mémoire Indienne où parle le shaman sioux Tahca Uhste, la Chute Du Ciel avec Davi Kopenawa, shaman Yanomani ,sans oublier Les Lances Du Crépuscule de Philippe Descola , qui a revalorisé, dans notre culture, cette pensée animiste et « l'écologie des autres » ; ou encore jacques Brosse et ses Mémoires D'un Naturaliste Zen.
« Koutammakou, Lieux Sacrés », participe de ce courant de pensée avec le mérite supplémentaire d'être le fait d'auteurs africains qui font revivre leurs racines , en montrant l'actualité pour une culture occidentale, en mal de repères ,à l'heure de l'Anthropocène. Grace à eux nous comprenons mieux la pensée animiste ,loin des préjugés historiques qui ont eu cours dans notre histoire coloniale :le regard animiste s'avère plus proche de l'expérience vivante du non humain, alors que nous l'avons conçu comme une conception irrationnelle d'une nature peuplée d'esprits malveillants. L'immersion dans cette culture « autre » nous fait retrouver une relation perdue avec le non humain, le vent ,l'herbe , les roches ou la forêt, expériences pendant laquelle le sentiment de dichotomie entre l'homme et son environnement se dissout totalement dans la perception d'un tout ; la « Terre parle ». Elle n'est plus ainsi pas un simple sol, confondu avec un décor extérieur, mais un terrain mouvant, multiple et intime. Elle est aussi bien l'air que nous respirons, ce souffle à la composition duquel tous les êtres (roches, plantes, marais, mammifères…) contribuent, chacun actif à sa manière dans un « pluralisme radical et irréductible ». L'animisme peuplait le monde d'Ames, a-t-on dit, mais c'est oublier que le mot a un autre sens dans les sociétés traditionnelles, un sens que nous avons oublié ,quoique présent dans l'étymologie du mot :Ame d'abord le souffle vital, l'énergie qui irrigue à la manière du sang ,les êtres et les choses.
(Dominique Sewane(@)copyright
La signification profonde de l'animisme est de nous rappeler, qu'avant le monde des constructions intellectuelles et de la raison, avant la culture de notre intériorité individualiste, notre monde primordial est celui de la vie : un champ commun où elle s'entrelace avec d'autres vies ,humaines bien sûr mais aussi animales et végétales ; ce champ commun constitue l'ensemble de ce que nous appelons nature et qui n'est donc pas simplement physico- chimique. Et jean Malaurie de rappeler la question de Goethe : « qu'est ce que commercer avec la nature ? »… . « En scrutant les canalicules de la pierre, à l'œil puis à la loupe, en portant les pierres jusqu'à mon oreille, comme pour entrer physiologiquement dans leur univers, en dressant la carte en 1951, en peignant avec mes craies des pastels de la nuit polaire en 1967, j'ai cru percevoir des ondes sonores, des forces vives incluses ».
L'homme peut et doit s'accomplir dans une observation participante et aussi intime que possible avec la nature. En ce sens, la perception, activité concertée de tous les sens du corps, est un "accordage" ou une synchronisation entre mes propres rythmes et les rythmes des choses elles-mêmes, leurs tonalités propres, leurs textures. Animistes ! nous ne sommes pas si différent de l'araignée attentive aux moindres vibrations de sa toile.« comme une araignée fait avec ses fils, chaque sujet file ses relations en propriétes déterminées des choses et les entretisse en une solide toile qui porte son existence » écrit Von Uexküll dans Milieu Animal Et Milieu Humain
C'est ainsi, par le territoire, que s'incarne la relation symbolique qui existe entre la culture et l'espace. Le territoire devient dès lors un "géo symbole", c'est-à-dire un lieu, un itinéraire, un espace, qui prend aux yeux des peuples et des groupes ethniques, une dimension symbolique et culturelle, où s'enracinent leurs valeurs et se conforte leur identité.Le territoire est tout à la fois « espace physique », "espace social" et "espace culturel." "...il fait appel à tout ce qui dans l'homme se dérobe au discours scientifique: il est vécu, affectivité, subjectivité, et bien souvent le nœud d'une religiosité, terrienne, païenne ( pagus, le « lieu » a donné pays, paysan et paganisme ). Le territoire naît ainsi de points et de marques sur le sol : autour de lui, s'ordonne le milieu de vie et s'enracine le groupe social, tandis qu'à sa périphérie et de façon variable, le territoire, il s'atténue progressivement en espaces secondaires aux contours plus ou moins nets.
LES BATAMMARIBA :
Sans doute à l'origine éleveurs semi-nomades, les Batâmmariba, se seraient installés par vagues successives entre le XVIe et le XIXe siècle dans le massif et la vallée de l'Atakora, au nord du Bénin et du Togo, zone refuge pour de petites sociétés sans chefferie centralisée et fuyant l'emprise des grands royaumes, notamment Mossi et Mampursi de l'actuel Burkina Faso. Appelés Somba au Bénin, où ils sont les plus nombreux (250000 habitants), Tamberma au Togo (environ 20000 habitants), ils forment une société clanique d'éleveurs agriculteurs. Les Batâmmariba se définissent par l'acte d'édifier des forteresses ou TAKYIENTA, à l'architecture raffinée. D'où leur nom Batâmmariba, (au singulier, Otâmmari) qui signifie « Ceux Qui Malaxent La Peau Fine De La Terre ». Reste pourtant énigmatique le lieu de leur origine, Dinaba, « situé vers le nord», qu'ils se refusent à divulguer .
Le territoire villageois des Somba et Tamberma est complexe à définir, tant ses limites matérielles et immatérielles sont entremêlées. Il comprend ses habitations, ses champs, ses puits, sa fontaine ses cimetières claniques, son sanctuaire initiatique et ses lieux sacrés. Il n'a pas de limites fixes ni matérialisées. Le village est d'abord le lieu où se déroulent les activités quotidiennes , dont les plus importantes sont celles qui sont en rapport avec la production et la cohésion sociale du groupe. Ce sont en l'occurrence les travaux collectifs de construction, les activités agricoles, les fêtes et les cérémonies rituelles. Les habitants y sont en général unis par des liens qu'ils qualifient eux-mêmes de familiaux, car ils descendent d'un même ancêtre. Le village est considéré à ce titre comme le lieu par excellence où l'individu peut vivre et évoluer. Il est également le cadre de tout le système de valeurs propres à la société. S'en éloigner revient à s'éloigne
Le territoire villageois comporte des "lieux sacrés" considérés comme le domaine réservé des « esprits », essentiels dans le système de représentation. Ils peuvent être situés dans le village, mais aussi en périphérie. Dans la pratique, la périphérie correspond à des espaces physiques, invisibles depuis l'habitation. Ces espaces regroupent principalement les terres de culture et aussi les réserves foncières villageoises. Les lieux sacrés qui s'y trouvent sont facilement reconnaissables dans les champs. Ils se présentent comme des îlots de végétation sauvage qui ont été épargnés par les cultures.
DOSSIER DE PRESSE :
LES AUTEURS DU LIVRE.
BANTEE N'KOUÉ, habitant du canton de Warengo (Koutammakou, Togo), est un Otammari par excellence, spécialiste de la construction des takyenta, habitat traditionnel des Batammariba. Dès 1980, il fut le traducteur interprète de Dominique Sewane pendant ses diverses missions.
BAKOUKALÉBÉ KPAKOU, habitant du canton de Nadoba (Koutammakou, Togo), est historien, diplômé de l'université de Kara, auteur d'un remarquable mémoire de maîtrise retraçant l'histoire de Koutougou, l'un des trois cantons du Koutammakou au Togo.
DOMINIQUE SEWANE (texte préliminaire de présentation), anthropologue, accueillie chez les Batammariba dès 1980, dont elle a étudié la vie cérémonielle, a contribué en 2008 au programme favorisant la transmission de leurs savoirs. Elle est jusqu'en 2018 titulaire de la chaire Unesco « Rayonnement de la pensée africaine - Préservation du patrimoine culturel africain
JEAN MALAURIE (préface), géomorphologue et ethnohistorien de renommée internationale, spécialiste du Grand Nord inuit et sibérien, est — entre autre — Ambassadeur de Bonne Volonté à l'Unesco pour les régions arctiques. Il est fondateur de la prestigieuse collection Terre Humaine aux éditions Pion, auteur de nombreux ouvrages de référence sur les Inuit du nord du Groenland, président d'honneur de l'Académie des peuples autochtones à Saint-Pétersbourg.
MARCUS BONI TEIGÀ (postface), originaire de Tanguiéta, dans le nord du Bénin, est journaliste, cofondateur du magazine panafricain en ligne Courrier des Afriques, écrivain, et historien spécialiste de la Nubie.
JACQUES HESSE, éditeur, a découvert le Koutammakou en 2011 et rencontré fortuitement Bantéé N'Koué à Warengo en 2013, rencontre qui a donné naissance à cet ouvrage. Les Éditions Hesse ont publié Koutammarikou — Portraits somba — Nord Bénin de Marie et Philippe Fluet (2012).
EXTRAITS DU DOSSIER DE PRESSE :
Tels des explorateurs, BANTÉÉ N'KOUÉ et BAKOUKALÉBÉ KPAKOU, Togolais originaires du Koutammakou, situé au nord du Togo et du Bénin, sont partis à la découverte des lieux sacrés de leur territoire investis par une force souterraine, appelée dïbo : bosquets, sources, cascades portant la trace des défunts devenus jadis leurs alliés.
À une époque où nous prenons conscience des ravages irréversibles infligés à la nature, le Koutammakou apparaît comme un exemple de respect dû à la Terre, dont les habitants, les Batammariba, se considèrent comme les simples gestionnaires. Ces lieux préservés, qui lui confèrent par endroits l'aspect d'un monde originel, lui ont valu d'être inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco en tant que « paysage culturel vivant ».
Pour cet ouvrage, tous deux ont été accompagnés — de loin — par Dominique Sewane, anthropologue, accueillie au Koutammakou depuis les années 1980, auteur d'ouvrages de référence sur la vie cérémonielle des Batammariba.
« Dans ce livre sur la pensée millénaire qui anime le Koutammakou, et dans le sillage de deux Batammariba en quête des lieux sacrés de leur territoire, lieux protégés depuis des siècles, nous découvrons la valeur d'une éthique transmise au cours des générations, dans laquelle prédomine le respect que doivent les humains aux forces de la nature afin de préserver l'intégrité de la Terre.»
L'équipe du livre et un ancien.(Dominique Sewane(@)copyright
Jean Malaurie (préface)
« Durant plusieurs mois, Bantéé et Bakoukalébé ont parcouru vallées et collines des trois cantons : Warengo, Nadoba, Koutougou. Longues marches sous une chaleur accablante, sur un sol détrempé par les pluies ou pierreux à flanc de montagne, rien n'a pu affaiblir l'élan des deux explorateurs partis à la découverte de lieux investis par un esprit souterrain appelé dïbo : sources, cascades, arbres, termitières, roches, entourés de leurs « amis », des arbres formant des bosquets touffus, sortes de petites forêts interdites d'accès en dehors des cérémonies. »
Dominique Sewane
« Au Koutammakou, les lieux sacrés sont d'autant plus élevés symboliquement qu'ils constituent les piliers soutenant le ciel et la terre... Bref, ces lieux symboliquement et hautement sacrés représentent les fondements de la nécessaire harmonie qui devrait exister entre l'homme et son univers afin de maintenir le perpétuel équilibre des choses et des êtres. Il s'agit en effet, tels que les Batammariba conçoivent leur vision du monde, d'un équilibre. S'il venait à se rompre, la survie humaine serait compromise. »
Marcus Boni Teiga (posface)
Naissance Du Livre et Présentation : Dominique Sewane
(Dominique Sewane(@)copyright
« Dès mon premier séjour au Koutammakou, Bantéé N'Koué a été mon « compagnon de route ». « II montre le chemin à l'Ope (Blanche) », disaient les anciens de Warengo, nous voyant aller de takyenta en takyenta. Il était pareil à celui qui, en tête de file, éclaire un sentier avec son flambeau. Il m'accompagnait dans les takyenta de Maîtres du savoir, titre donné à tout okwoti ou ancien considéré comme porteur d'un savoir transmis par ses aïeux. Il traduisait sur un cahier d'écolier leurs énigmatiques tinanti (sentences et paraboles), chants entendus à un tibenti (rite de deuil), la parole 'formulée à mi-voix devant les autels d'ancêtres d'une takyenta. Alors âgé de dix-neuf ans, Bantéé venait de quitter le collège qu'il fréquentait au sud du Togo pour s'occuper de sa famille après le décès de son père. Passionné de lecture, il me demandait de lui rapporter des ouvrages de philosophie à chacun de mes retours, jusque dans les années 2000, lorsqu'il fut question d'inscrire le Koutammakou sur la liste des sites classés du Patrimoine mondial de l'Unesco en tant que « Paysage culturel vivant ». « Pas à pas », simpara simpara, j'ai abordé une pensée millénaire dont je suis loin d'avoir sondé la profondeur. Obscure au début des années 1980, elle s'est éclairée au fur à mesure de mes nombreux « aller-revenir », mais par instants, comme illuminée de brefs éclairs. Elle conserve ses zones d'ombre, aussi inaccessibles pour une Européenne qu'à la plupart des Batammariba s'ils n'ont pas été les dahila, ou « aspirants au savoir » d'un okwoti. Quelle pensée de quelque profondeur ne reste pas en deçà d'une dimension qui échappera toujours aux mots qui tentent de la cerner ? D'autant plus aux concepts forgés par l'Occident.
Alors que je participais au mois de mai 2014 au colloque international de l'université de Kara, je proposai à Bantéé N'Koué d'entreprendre clés recherches sur les lieux sacrés du Koutammakou, exemple du respect que porte une société animiste à son environnement. Les jours suivants, je fis la connaissance de Bakoukalébé Kpakou, originaire du canton de Nadoba, jeune homme réservé d'une grande courtoisie comme savent l'être les Batammariba. Fils d'un ohoya (responsable de rituels), il venait de soutenir un remarquable mémoire de maîtrise : Histoire du peuple tammari de Koutougou du XVIIIe siècle à 1899- II appartient à cette nouvelle génération d'Africains qui consacrent leurs recherches à l'histoire, la préhistoire, la langue, l'architecture de leurs sociétés. Nombreux sont ceux qui, comme lui, désirent comprendre leur passé ou étudier les subtilités de leur langue maternelle.
Une sympathie immédiate rapprocha Bantéé et Bakoukalébé. Ils convinrent de cheminer ensemble. Tout est allé très vite, comme l'a noté Jacques Hesse. Dans un premier temps, nous reprîmes contact avec les chefs de canton et de village qui s'étaient impliqués en 2008 dans le « Programme de préservation du patrimoine culturel immatériel des Batammariba.» En particulier, avec le chef du canton de Koutougou. Il nous confia à un jeune villageois qui nous guida vers des lieux difficiles d'accès. Qu'il en soit à nouveau remercié. Durant plusieurs mois, Bantéé et Bakoukalébé ont parcouru vallées et collines des trois cantons : Warengo, Nadoba, Koutougou. Longues marches sous une chaleur accablante, sur un sol détrempé par les pluies ou pierreux à flanc de montagne, rien n'a pu affaiblir l'élan des deux explorateurs partis à la découverte de lieux investis par un esprit souterrain appelé dibo : sources, cascades, arbres, termitières, roches, entourés de leurs « amis », des arbres formant des bosquets touffus, sortes de petites forêts interdites d'accès en dehors des cérémonies. Grâce au réseau wifi couvrant depuis peu la région, nous avons pu communiquer tous trois jusqu'en 2017. Textes et images furent envoyés à Paris, témoignages d'exception recueillis à l'aide d'un simple appareil de photo à piles et d'un petit clictaphone. Bakoukalébé s'est révélé photographe de talent. Et peu à peu, simpara, simpara, le livre a pris forme. ».
(Dominique Sewane(@)copyright
Le Voyant A L'écoute De La Terre
Veiller à l'intégrité de la Terre, signifie rester à l'écoute des dibo,(esprits, force de la nature) en comprendre les messages. L'intervention de quelques rares individus, les voyants, est déterminante, vitale pour tous. Un uwété (voyant) vient au monde avec-dés « affaires de destin » qui le maintiennent en constant éveil, le conduisent à explorer des régions inconnues. Les plus puissants d'entre eux sont dotés d'une acuité des sens qui les rendent aptes à percevoir les mouvements les plus infimes de la nature. Ils sont capables de prévoir, plusieurs jours - voire plusieurs mois - à l'avance, un changement climatique : une sécheresse, ou au contraire de fortes pluies. Précieuses informations pour les agriculteurs aux sens « ordinaires ». Un owété aime à marcher seul dans la brousse. À l'affût comme peut l'être un chasseur, il est enclin à s'interroger sur des détails sans intérêt pour un homme ordinaire : un arbre à la forme singulière, une termitière subitement apparue sur le chemin, une levée de terre surgie sans cause apparente. Il s'arrête, examine, s'interroge. Le monde considéré comme invisible ne l'est que pour des humains à la « vue » déficiente, c'est-à-dire incapables de déceler les courants de forces dont un owété ressent les manifestations. Ses sens exacerbés lui permettent de se lier avec un dibo. Bien qu'un dibo se complaise à la solitude, il lui arrive clé jeter son dévolu sur un promeneur qu'il tente de séduire. Encore faut-il que ce dernier sache le reconnaître pour tel. « Pourquoi cet animal ne s'enfuit-il pas à mon approche ? » « D'où provient cette lueur, cette brise soudaine ? » Le promeneur s'arrête, intrigué. En lui-même, grâce à son « ouïe intérieure », il perçoit une voix - une vibration - inaudible pour tout autre que lui. Dissimulant à ses proches sa découverte, il revient au même endroit, se familiarise avec son nouvel ami. Bientôt, ils ne peuvent plus se passer l'un de l'autre. Un jour, le dibo lui octroie une part de ses pouvoirs, lui donnant accès à son propre univers.
Extraits de la Préface de Jean Malaurie :
« je soutiens que notre univers de pierres , de plantes, nos mers ,nos océans ne peuvent être considérés comme un métalogisme abstrait dont on a éliminé toute portée métaphysique. Une modeste question ,et comme en passant, qui est au cœur de l'histoire de l'homme quand il a accepté un divorce avec le peuple animal : l'ours blanc, frère l'ours, a-t-il une âme et la conscience de la mort, après les temps vécus d'hybridation avec son frère utérin, l'homme, avant que celui-ci ne se dégage de ce fœtus et s'affirmant alors bipède ? Dans une réflexion silencieuse, en méditant, les hommes renaturent en permanence la culture et reculturent la nature, ainsi que nous l'enseignent l'éminent philosophe japonais Tetsurô Wasuji et mon collègue inspiré, le géographe philosophe Augustin Berque. Écologie et spiritualité sont liées. Il y a un « ailleurs ». Tout mortel est amené à s'interroger sur les temps obscurs qui l'attendent. Les hommes, de longue date, en faisant le vide en eux-mêmes, ont appris à percevoir le murmure de l'espace et le message assourdi de certains minéraux, du sol et des plantes qui communiquent entre elles, des hummocks de la banquise. Interrogeons-nous avec le regretté botaniste Jean-Marie Pelt : « Les plantes ne dialogueraient-elles pas entre elles ? » Ainsi les couleurs : le vert, aux hautes latitudes, serait jugé dépourvu de force, tout comme le jaune ; le noir, porteur d'un message d'éternité, et le brun-rouge viril des roches ordoviciennes qui sexualise les couleurs. Il est en effet une anthropologie sensorielle de la couleur, mais aussi des sons et des odeurs, qui déterminent, chez les Inuit, les lieux d'inspiration des animistes, et particulièrement des chamans, dans le vécu de leurs transes. L'univers est habité par des forces qui se contrecarrent, voire s'opposent ou se conjuguent. Une psychologie intime influence la pensée et les rêves orientent ou s'opposent à un animisme collectif….
….La pensée des peuples dits primitifs a une profondeur que nous commençons tout juste à découvrir. Ainsi de Koutammakou, Lieux sacrés, où transparaissent une quête spirituelle et une pensée de l'au-delà difficile à saisir dans sa subtilité. La pierre, l'arbre, l'animal parlent, si nous savons comme un chaman inuit ou un voyant africain l'écouter, la courtiser, la séduire - comme savait aussi le faire, mais d'une autre manière, le grand botaniste Jean Marie Pelt. Car le livre véritable, celui qui dispense un enseignement fondamental, est celui de la Terre. Alors que pendant soixante ans, je m'efforçais d'exprimer ma pensée, dans une Sorbonne résolument sourde à cette nouvelle science d'écologie humaine, c'est en compagnie de ces peuples « premiers » - Inuit, Indiens, Africains... - que j'ai enfin compris que ce que je cherchais à saisir me restera à jamais inaccessible ; ainsi que le ressentait Jean-Jacques Rousseau dans ses Rêveries d'un promeneur solitaire. Je sais désormais que la vérité est de l'ordre de l'indicible. Il n'y a pas de pensée sauvage, mais une prescience sauvage. Jean Malaurie
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Deux Lieux Sacrés : Exemples Extraits Du Livre : « La Roche Porte Moi Je Vais Voir »…
« La roche de Kouyakougou ou « Porte-moi je vais voir », se trouve dans une forêt sacrée, au pied de la montagne,où sont conduits les garçons lors du difwani, le rituel initiatique des jeunes garçons. On ne peut s'en approcher que le matin. On dirait qu'elle est posée en équilibre sur une pierre. L'une et l'autre sont aussi sombres que les pierres de la rivière. Quand on l'aperçoit pour la première fois, on est effrayé par ses dimensions. Elle est gigantesque : au moins huit mètres de long ! Large et plate d'un côté, elle s'amincit comme la pointe d'une flèche.
Les anciens rapportent l'histoire que voici : deux frères cheminaient dans la forêt. Le plus petit dit à l'aîné : « Porte-moi sur ton épaule, je vais voir la vallée. » Perché sur l'épaule de son frère, il voit combien la vallée est belle et refuse de redescendre. Plus tard, ils sont changés en pierres. De fait, l'endroit où la pierre du bas se relie celle du haut ressemble à un pied, comme si on l'avait soulevée du côté sud pour qu'elle se tende vers le nord. Lorsqu'on reste à côté de la roche, il ne faut pas s'exprimer dans une autre langue que le ditammari sinon elle se mettrait à trembler et jetterait un mauvais sort à l'imprudent.
…
Rivière sacrée.(Dominique Sewane(@)copyright
L'appel Venu De La Forêt.
"En parcourant les sentiers du Koutammakou, un Otammari entend parfois une voix l'appeler doucement par son nom. L'appel provient d'une forêt ou d'un bosquet. Elle a l'intonation d'un ami cher, d'un frère aimé, d'une sœur ou d'une mère partis vers « Là-Où-Vont-les-Morts ». Troublé, il répond, mais regardant autour de lui, constate qu'il est seul. D'où est venue la voix ? D'un esprit ? D'un être humain sous la terre ? Que lui veut-il ? Qui peut le savoir ? Or, l'être mystérieux qui l'a appelé désire que son diyuani (souffle, âme) le rejoigne dans les profondeurs de la forêt où l'attend sa mort. Pour avoir eu l'imprudence de répondre à l'appel, le promeneur se rend compte trop tard de son erreur : il aurait dû rester silencieux. De retour chez eux, certains dépérissent au souvenir de l'appel. D'autres succombent dans la journée. Leur diyuani se hâte de retourner vers la forêt d'où est venu l'appel. Ces esprits sévissent un peu partout sur le Koutammakou. En causant avec les uns et les autres, on arrive à situer les endroits ombreux d'où sont entendues les voix. Un étranger de passage aura soin de se renseigner sur de tels lieux afin que, s'il s'entend appeler par son nom avec douceur, il prenne garde à ne pas répondre…. "
L'enfant naissait ainsi avec des « signes », une personnalité, une vie antérieure, l'influence d'un ancêtre, etc. Il avait déjà son être propre. Il fallait donc, lui laisser le temps de se manifester, de se révéler, de livrer son message et de laisser entrevoir le destin qui était le sien. On allait donc chercher à reconnaitre ce passé encore enveloppé et à le faire éclore, (ce pouvait être la résurgence d'un proche disparu ou une puissance plus mystérieuse). L'éducation n'était plus un modelage mais toute une pédagogie ayant pour but de faire surgir cet être potentiel présent en lui. A la base de l'éducation allait se trouver un processus d'identification. L'enfant devait devenir sur le plan visible et social ce qu'il avait toujours été au fin fond de son être. La société espérait le retour des mêmes personnalités, des mêmes caractères, des mêmes noms, mais aussi des mêmes rôles et des mêmes fonctions, réapparaissant nt d'une génération à l'autre. En ce sens ces composantes présentes chez l'enfant mais implicites allaient devenir une sorte de guide ,de modèle éthique de vie, le passé anticipant le futur à être : « il devait devenir ce qu'il était». Si donc la question qu'on se posait d'abord, n'était pas de se demander ce que le nouveau-né allait devenir mais QUI il était , il fallait comprendre cette identité existante par diverses voies. Il était nécessaire d' être attentif aux moindres ressemblances physiques, marques corporelles et traits de comportement, en scrutant les rêves et en consultant voyants et devins.
Un terme va donc régir le devenir humain : la vie est à concevoir en termes de passage : passage d'un monde à l'autre, c'est la naissance et aussi la mort, passage d'un état à l'autre, le défunt accèdera à l'état d'ancêtre par exemple. Les rites de passage scanderont l'existence. L'enfant ne grandit pas au sens propre (hormis la maturation biologique): il passera aussi d'un état à l'autre , recevant plusieurs noms(chacun comportant une puissance) il sera initié, acquerra plusieurs rôles ou statuts. S'il est doté d'un être propre à sa naissance (qui doit se révéler comme dit), la reconnaissance ne peut être que sociale. Au plan de l'être, du cosmos, si l'enfant qui vient au monde est d'emblée quelqu'un, socialement il n'est encore personne. C'est "un étranger", "un hôte", "un voyageur de passage" qui a peut-être fait fausse route et n'a pas envie de rester. L'enfant, nommé « enfant-eau » ou « enfant de l'eau » chez les Bantous, est lié à l'élément liquide .( on ne célèbre souvent sa naissance qu'après que le cordon ombilical coupé ,ait séché. L'élément liquide indique l'élément fluide de la personnalité, encore virtuelle et son origine cosmique
Les rites de passage ont justement la fonction de reconnaissance et de socialisation. Le moi peut intégrer des éléments par les rites de naissance, la dation du nom, le sevrage, l'initiation, voire la possessions ou même des épisodes pathologiques, surtout dans l'ordre de la folie, il en reçoit même par la mort. (Ancestralisation). Inversement des parcelles du moi peuvent se localiser en dehors de lui ou passer à d'autres
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« Si quitter l'au-delà c'est « descendre >, tomber à terre comme l'enfant dont on accouche, c'est aussi émerger de l'eau originelle, s'assécher, se solidifier, s'affermir, se durcir. La naissance est l'abandon d'une condition aquatique de mollusque ou de poisson pour passer à une existence aérienne et terrestre. Grandir et se développer, c'est quitter l'indistinction et la mollesse de la glaise imbibée d'eau, devenir consistant puis dur à la manière de la poterie qui s'assèche à l'air libre puis que l'on passe au four. La marche vers la condition adulte équivaut à une solidification, à un affermissement. Les principales étapes en sont l'accouchement, quand l'enfant quitte les eaux de la matrice, la dessicadon et la chute du cordon ombilical, la station debout qui témoigne de la consistance qu'ont pris les os, et la dentition qui représente mieux que tout le reste l'apparition de ce qui est dur comme une perle ou un coquillage là où il n'y avait que du mou. L'apparition des dents équivaut donc à la cuisson dans le four, qui rend la poterie utilisable par la collectivité. Par le sevrage enfin on arrête l'alimentation liquide : l'enfant a pour de bon passé du côté du monde solide et dur.
Venir au monde, c'est enfin passer d'un état de fraîcheur aquatique à la chaleur de l'air et du feu, c'est passer par une « cuisson >.
Tant qu'elle reste à l'état d'enfance, enfermée dans ces catégories du petit, du mou, de l'aquatique, du frais, en somme de l'informel, de l'indistinct et du fragile, la personne demeure dans une certaine mesure purement virtuelle. Certes, à chacun des grands moments de sa croissance, elle s'actualise un peu plus, devenant apte à une intégration sociale plus complète ; mais le passage ne s'effectue définitivement qu'avec l'accession à la chaleur de l'âge adulte, quand marié et fécond, l'individu se hisse au cœur même de la communauté des vivants. Pierre Erny. L'enfant Dans La Pensée Traditionnelle De l'Afrique Noire
Le groupe se dote, par exemple, d'un moyen pour fixer le nouvel arrivé en lui conférant un nom. En un sens le nom fortifie l'être, mais en même temps il le rend vulnérable, l'exposant à l'emprise des autres, le rendant dépendant de son groupe. ". En Afrique, les noms (du moins certains) sont lestés d'un poids ontologique. Il y a une connexion entre l'homme et son nom. On peut blesser quelqu'un au travers de son nom. Agir sur lui, c'est provoquer et contraindre « l'âme »
Comme pour une même personne il y a souvent pluralité de noms, il en est qui ont des implications fortes, d'autres des implications faibles selon les croyances animistes. ; il en est qui n'ont qu'un impact superficiel, d'autres touchent et définissent la personne au plus profond d'elle-même. Cela oblige à en maintenir certains dans le secret. Cette pluralité est le reflet des différentes appartenances (parenté paternelle, parenté maternelle, classe ou fraternité d'âge, société d'initiation, etc.), mais aussi des grands moments de l'édification de la personne et des changements de statut. Le rapport entre dation du nom et croyances en la réincarnation est généralement mis en lumière par les intéressés eux-mêmes quand un des noms donnés au nouveau-né est celui de l'ascendant qui est censé "revenir" en lui. Grâce à l'enfant, le nom du parent survit, voire revit. Nommer l'enfant, c'est nommer le parent et perpétuer, non seulement son souvenir, mais aussi, mystérieusement, sa présence. Et en participant au dynamisme de ce nom, l'enfant vivra sous la protection et l'influence vitale du défunt en question.
En éveillant l'être naissant à la vie individuelle, le nom devient une partie intégrante de sa personnalité. Là où le nouveau-né est censé apporter avec lui de l'autre monde celui de ses noms qui va le définir en profondeur, il s'agit évidemment pour l'entourage de découvrir celui-ci, nullement de l'inventer, tâche délicate s'il en est. La dation du nom trace à l'enfant tout un programme de vie, mais impose aussi à l'entourage certains devoirs à son égard.
Dominique Sewane a ainsi marqué chez les Batammariba du Togo,(Le Souffle Du Mort , Terre Humaine) l'importance des noms d'ancêtres et de leur transmission.
Merci à Dominique Sewane du témoignage d'amitié que constitue l'envoi de photos originales.
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Dès lors, le benjamin, acquiert le statut de « maître de takyienta »( l'habitat très particulier et symbolique,remarquable dans son architecture en « forme de chateaux »). De lui dépendra la survie des siens. « Lourde charge réservée à notre petit frère » disent ses aînés. Ils le surnomment d'ailleurs « celui qui porte un fardeau sur la tête ».
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Pourquoi « survie » ?
Le sens de la tombe liée à la tour centrale de la takyiènta - à la fois abri des souffles des morts et abri des vivants - trouve son prolongement dans la connaissance des noms secrets des ancêtres de la famille et du clan, que révèle un père au « fils qu'il aime » (plus que les autres) : le benjamin. Il lui apprend en même temps à distinguer les autels d'ancêtres qui se trouvent dans la pièce du bas ou kunamunku, ; chacun d'eux correspondant à une tombe du cimetière. L'enseignement se poursuit donc dans cette même pièce, à l'écart de la famille, de préférence pendant la nuit.
Ces noms représentent pour un Otammari(singulier de Batammariba dont les Tamberma du Togo et les Somba du Bénin) les tinanti - paroles ou savoir - par excellence.
En tout vivant, pensent les Batammariba, revit le souffle d'un mort qui a désiré sa naissance, appelé yembota. Un Otammari ne doit jamais connaître son vrai nom. Interpellé à l'improviste par ce nom, il s'effondre dans un état proche de la mort. Le nom l'atteint en son centre ou diba, où interfèrent son souffle de vivant et le souffle de son yembota. En raison du danger que recèle la formulation de ces noms, ils ne doivent être transmis qu'à des « hommes sûrs », dont on sait qu'ils se refuseront à les divulguer, serait-ce sous la menace d'un couteau, tout en s'interdisant eux-mêmes de porter un coup mortel à autrui.
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Ces noms doivent pourtant être transmis, car c'est en identifiant le nom de l'ancêtre formateur d'un nouveau-né, que les parents sauront guider l'enfant sur son propre chemin, c'est à dire le destin que lui a tracé son yembota en lui attribuant des tinenti ou « affaires » spécifiques. Dans le cas contraire, si le nom est mal identifié ou ne l'est pas du tout, l'enfant risque d'éprouver un malaise qui en fera un être instable, incapable de s'intégrer à la société.
Nuit après nuit, quand le benjamin est « passé par difwani »,(l'initiation)son père lui transmet donc les noms des morts susceptibles de former des enfants dans les maisons de ses frères et plus tard, dans la sienne. Il doit également connaître le nom de leur tombe, les noms des yembota qui les ont eux-mêmes formés, les détails concernant leur existence etc… Seul est capable de le lui apprendre un okwoti (sage )qui, depuis sa jeunesse, a emmagasiné un prodigieux savoir généalogique. Les plus respectés d'entre eux se sont rendus sur les sites de takyiènta ou de sépultures abandonnées. Un okwoti fait œuvre d'archéologue en retrouvant les vestiges d'anciennes tombes (bien qu'il n'entreprenne pas de fouilles), d'historien en « cheminant » à l'étranger avec d'autres okwoti afin de glaner de précieux renseignements sur le passé de ces ancêtres. Retrouver les traces d'une tombe quasi oubliée, par conséquent le nom de son propriétaire dûment « couché » sous terre dans la position adéquate, c'est donner toute chance de survie à un enfant formé par ce très ancien mort.
On saisit alors l'importance que peut avoir le « vrai nom » d'une personne, particulièrement d'un aïeul enterré selon le rite du tibènti, (rite mortuaire)pour lequel, par conséquent, fut creusée une tombe, elle-même désignée sous son « vrai nom ». Le souffle du défunt, son nom et sa tombe ne font plus qu'un.
Une des conséquences paradoxales de la nature préalablement cosmique de l'enfance traditionnelle est son rapport à la mort. L'individualité, comme développé plus haut, n'est pas créé ex nihilo au moment de la conception puis de la gestation. Elle préexiste et attend dans l'au-delà le moment de s'incarner. Elle a séjourné dans la familiarité » des « puissances »forces cosmiques incarnées, dieux, esprits, génies, ancêtres,,. Le plus souvent, elle est elle-même un de ces êtres spirituels qui désire refaire l'expérience de la vie humaine ou revivre parmi les siens. .
copyright Jose Ortega VIOTA
« Parmi les êtres qui peuplent l'autre monde, les ancêtres jouent un rôle de premier plan, leurs relations avec les vivants étant particulièrement étroites. Il arrive qu'on se les représente comme habitant un village dans l'au-delà structuré lui aussi en lignages et en familles. Ils y mènent une existence en tout point similaire à celle qu'ils ont connue dans leur village d'ici-bas, ils y mangent, y boivent, y dorment, y cultivent leurs champs, y vont à la chasse, voire s'y reproduisent. On leur parle, on les prie, on les consulte, on leur adresse des offrandes, et on attend d'eux en échange des conseils, des bénédictions, des protections et un écoulement du trop-plein de ce réservoir de vie qu'ils représentent. Les deux faces du monde vivent en symbiose comme si elles étaient reliées par un système de vases communicants.
Le respect dû aux ancêtres est le fondement même de la solidarité familiale et de la soumission à l'autorité. Car ce sont eux qui ont mis en place les lois et les coutumes, et ils continuent à surveiller leur application et donc à se mêler des affaires de leurs descendants. Ils sont d'autant plus puissants qu'ils sont plus anciens et par le fait même plus proches de Dieu, à condition que leur mémoire demeure vivante sur terre. Ils se sentent directement concernés par la vie qui se perpétue dans leur lignée, car si celle-ci venait à s'éteindre, eux-mêmes n'auraient plus d'existence aux yeux des vivants, voire plus d'existence du tout. » Pierre Erny. L'idée De Réincarnation En Afrique Noire. L'Harmattan.
L'enfant va ainsi se situer dans une tradition, terme qui prend souvent chez nous un sens péjoratif du fait de notre conception linéaire du temps. Or la tradition en Afrique, avant les bouleversements dus à la colonisation, puis à la mondialisation revêtait une importance particulière. Elle n'avait rien de statique parce qu'elle signifiait l'accumulation des connaissances et symbolisait la sagesse d'une société. Le groupe des ancêtres était ainsi conçu comme une assemblée en perpétuel accroissement et en perpétuelle évolution : il formait donc une sorte de « capital spirituel »du fait des expériences passées ,au profit des vivants. La tradition représentant la paroles des ancêtres , établissait. un réseau de communication entre les vivants et les morts, visible et invisibles , englobant invocations, sacrifices et que fondaient les mythes.la parole de la tradition était parfois directe(par la possession par exemple ou les rêves) elle pouvait être indirecte par les calamités ou les maladies qu'il fallait alors interpréter comme signes.
On voit donc que tradition et ancestralisation étaient liées. Celle-ci constituait une sorte d'idéal éthique et de perfection .Aussi faut –il comprendre que les morts n'étaient pas automatiquement ancêtres mais que l'état nécessitait au contraire certaines conditions.En faire l'analyse, montre que dans nombre de sociétés africaines l'ancestralisation était au carrefour de plusieurs idées concernant la personne humaine, la société, le temps, la divinité. L'ancêtre était d'abord, un homme parvenu à un grand âge, ayant accumulé avec la longévité une profonde expérience des hommes et des choses. On l'opposait ainsi aux personnes peu avancées en âge, à celles que la crédulité et l'inexpérience de la vie classaient dans la catégorie des enfants ou des jeunes En second lieu, était définitivement rayé de la liste des ancêtre,s l'individu qui mourait d'une maladie « infamante ». Incompatible avec la considération, le rayonnement et la gloire des ancêtres. Etaient exclus ainsi du cycle de renaissance, tous ceux qui ne correspondaient pas au canon social : ainsi les morts trop jeunes ou morts de "mauvaise mort" - les noyés, les foudroyés, les femmes mortes en couches, ceux qui sont décédaient durant les rites d'initiation ou qui n'avaient pas bénéficié de rites funéraires normaux. Mais aussi les lépreux, les albinos, les fous, et enfin les personnes qui avaient eu une « mauvaise vie », en particulier celles qui se seraient livrées à la sorcellerie
chambre des ancêtres lobi: copyright Jose Ortega.
L'ancêtre était toujours et partout sur le continent un membre « organique » de la communauté des vivants ; il en était un des chaînons. Aussi, l'étranger, même adopté et intégré dans une société donnée, ne pouvait pas prétendre au titre d'ancêtre: il lui manquait la participation et la communion à la vie du groupe dans sa continuité spatiale et temporelle.
L'ensemble des normes qui présidaient à l'élaboration et à la conservation de la notion d'ancêtre semblait reposer sur deux idées maîtresses : d'une part, la pureté d'un type d'homme, conçu par le groupement humain comme le modèle social et religieux auquel les individus se doivent de se conformer afin d'éviter leur déperdition ; d'autre part, le souci de continuité et d'identité du groupement humain avec lui-même à travers le temps et en dépit des vicissitudes de l'existence. Ainsi, les éléments qui permettaient de caractériser l'ancêtre : la sagesse, l'intégrité physique et morale, le passage dans la vie sans entorse à son cours normal, ainsi que l'identification au groupe étaient ceux d'un idéal éthique d'achèvement et de perfection de l'humain. Ce qui faisait que l'ancêtre apparaissait comme le modèle du groupement humain, et donc comme intermédiaire tout indiqué entre le visible et l'invisible ou « divin ». (Les saints catholiques remplissent cette fonction et ils ne le deviennent également que par des rituels d'ancestralisation ou canonisation).
« En tout état de cause, l'ancêtre ne peut jouer pleinement son rôle dans la vie spirituelle de la société des vivants qu'à condition de s'en éloigner dans une certaine mesure. Parfois cette séparation est plus symbolique que réelle. Pour les Bantou du Sud-Est africain, les vieillards esseulés sont, par anticipation, assimilés aux disparus de leur promotion d'âge, c'est-à-dire aux ancêtres . Normalement cependant, les sages ne « jouissent » de cette qualité qu'après leur mort et, surtout, après leur éloignement net de la société des vivants, marqué par les secondes funérailles (levée de deuil), ou par des modifications apportées à leur sépulture.
Bien que, en principe, tous les morts ayant satisfait aux exigences sociales et religieuses dont nous venons de parler soient considérés comme étant des ancêtres, en réalité peu d'entre eux sont invoqués, à ce titre, par leurs descendants. Dans la masse totale de ses « élus » chaque société semble ainsi discerner une portion « utile », disposée en palier dans la série des générations et qui seule est avantageusement mise au service des vivants. Le reste, s'estompant dans la mémoire de ceux-ci, constitue les battitures de l'au-delà dont le souvenir est rappelé sans référence précise à l'occasion des rites de commencement d'année, en particulier. Ainsi, de même qu'une partie des vivants constitue, au moment du départ pour l'au-delà, le lot des morts inutiles, les défunts eux-mêmes deviennent partiellement inutilisables par la faiblesse des vivants. » Pierre Erny. L'idée De Réincarnation En Afrique Noire. L'Harmattan.
ancêtre Moba:copyright Jose Ortega.
Il y a ainsi une sorte de symétrie inversée entre l'enfant qui se construit et le vieillard qui se déconstruit, l'un qui s'achemine vers la plénitude personnelle et sociale, l'autre qui aspire à endosser le statut d'ancêtre. De même que la personne qui vient de mourir n'est pas encore entièrement morte et intégrée dans l'au-delà, de même l'enfant qui vient de naître n'est pas encore tout à fait né et intégré dans le monde des hommes. Le défunt franchit une première étape de cette intégration grâce au rite d'inhumation ; le nouveau-né fait le premier pas dans la société grâce au rite de première sortie et d'imposition du nom qui l'agrège à une famille, à un lignage, à un clan. Mais le défunt ne peut accéder au statut définitif d'ancêtre tant que son corps n'est pas décomposé, liquéfié, et que ses principes spirituels ne sont pas libérés de toute attache avec lui ; le nourrisson ne peut accéder au statut d'enfant tant que son corps est encore "de l'eau", ne s'est pas affermi, n'a pas durci, ce qui est attesté par l'acquisition des dents de lait, et par le fait même par l'accès à la nourriture solide et au sevrage.
Le vieillard qui meurt n'est pas encore un ancêtre, mais un defunctus, quelqu'un qui durant la période de transition où se dissout son cadavre n'a plus de fonction dans la société. Son statut est provisoire : c'est un être "en état de carence sociale", disait Maurice Leenhardt, "un vivant négatif, placé dans des conditions de contraste". Ce sont les rites de "secondes funérailles" ou de "levée de deuil" qui vont marquer son agrégation au monde des ancêtres s'il en est jugé digne.
Nulle n'a montré le rapport des vivants et des morts, autant que D. Sewane dans le « SOUFFLE DU MORT » consacré aux Batammariba du Togo, rapport tragique puisque le début du livre montre les femmes qui « tombent », sorte de catalepsie, état intermédiaire entre vie et mort ; cet évènement survenant, au moment où meurt celui qui lui avait donné le souffle vital. L'ensemble du livre reste une réflexion sur le sens aigu du tragique dans cette société que d'aucuns considéraient (y compris le gouvernement togolais) comme particulièrement primitifs. Toute une métaphysique complexe où il faut conjurer la mort par des rites funéraires « sophistiqués » pour éviter que la force retourne à la nuit, à la brousse environnante. Mais aussi l'existence chez des « voyants » et des sages de tout un savoir généalogique afin de conserver la mémoire des ancêtres qui redonneront leur souffle à un vivant.
(dominique.sewane(@)copyright
« Si un vivant doit sa vie à « celui qui l'aime » — le yembota (l'ancêtre) qui l'a formé —, le désir d'un mort de recommencer une nouvelle vie dépend de la mémoire des vivants. Qui viendra le tirer de la tombe si son nom est oublié ? Si, en célébrant un sacrifice devant son autel, personne ne dit plus son nom de l'intérieur de son foie, son nom pourrira au cimetière. Son souffle aussi, puisque l'un s'identifie à l'autre. Pour former une nouvelle vie, il a besoin de l'intervention de ses descendants. Il a besoin de /'okwoti qui garde la mémoire de son nom et de ses traces, celle, principalement, qui concerne sa tombe : combien de jeunes défunts y furent enterrés ? Quel est leur nom ? A quelle date ? En quel lieu ? Avec l'aide de quels autres morts de même cimetière forment-ils des enfants ?
Son savoir est d'abord celui des tombes….
(dominique.sewane(@)copyright
…Un okwoti (vieillard ayant accumulé de la sagesse) doit avoir en tête toutes les traces des morts de son clan susceptibles déformer un enfant. Un prodigieux savoir généalogique régulièrement mis à jour dans la fréquentation d'autres vénérables okwoti. Mais la place tenue par le devin est aussi indispensable que celle de l'okwoti ; si un okwoti a en tête toute, une liste de noms quand il vient consulter le devin, c'est au devin, en dernier ressort, de donner son aval. Du savoir de l'okwoti, validé par le bâton du devin, dépend la survie d'une takyiènta, et d'un clan. De la confrontation de /'okwoti et du devin, émergera une certitude quant à l'identité du mort, à condition que L'okwoti sache poser la « bonne question ». Faute de quoi, le nouveau-né dépérira. Se tromper sur le nom du mort revient à compromettre le destin de l'enfant : malaises, faiblesse de constitution, pour finir, mort précoce. L'oubli d'un nom prend vite les dimensions d'une faute dont pâtiront les descendants. Le nombre des vivants se raréfiera. Le cours des générations sera interrompu. C'est donc le devoir de l'okwoti de commencer les recherches auprès des devins « dès la deuxième ou troisième lune de grossesse, sinon le mort peut se cacher et un autre prendra sa place »…..
(dominique.sewane(@)copyright
…Un même yembota (ancêtre formateur) peut former plusieurs enfants : chacun recevra des tinènti ou affaires de destin différentes, lui permettant d'exceller dans une activité particulière — bâtisseur, forgeron, guerrier, chasseur... ou séducteur de femmes. Bien qu'entre eux, ces enfants soient considérés comme des Pareils puisque leur vie dépend d'un même souffle d'ancêtre, ils auront tous une destinée singulière. Chacun a son chemin, chacun doit laisser sa trace.
Bien qu'un vivant ne sache pas quel genre de tinènti lui ont été attribuées par son mort, elles se manifestent comme des aiguillons qui ne le laissent pas en paix tant qu' 'il ne les a pas réalisées. Le plus souvent, un yembota revient dans sa nouvelle vie à l'inverse de ce qu' 'il était auparavant. A l'origine de l'inversion : une souffrance.
Les souffrances endurées par les défunts dans leur vie antérieure constituent un savoir lentement emmagasiné par les okwoti. Ils ont le devoir de ne pas oublier les « malheureux » marqués par les échecs, les offenses, les deuils répétés. Pourquoi ? Pour favoriser au mieux le destin des enfants en lesquels ils reviennent, et dont le comportement, de prime abord, peut indisposer ou surprendre. » Dominique Sewane. Le Souffle Du Mort. Terre Humaine. Plon.
On peut lire mes articles : « L'HOMME QUI PARLAIT AVEC LES PIERRES ».CLIQUER SUR LA CATEGORIE JEAN MALAURIE
BIOGRAPHIE EXTRAITE DU SITE DE JEAN MALAURIE :http://jean-malaurie.com/
NÉ LE 22 décembre 1922 à Mayence (Allemagne)
ÉTUDES Lycée Hoche à Saint-Cloud, lycée Condorcet, Henri IV et Faculté des lettres de Paris.
DIPLÔMES Docteur d'État ès lettres, le 9 avril 1962 à la Sorbonne.
CARRIÈRE consacrée à des études de géomorphologie, météorisation, structures dynamiques d'éboulis, d'anthropogéographie arctiques et d'étude de développement des populations esquimaudes et nord-sibériennes, Attaché puis Chargé de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) (1948-57), Directeur d'études de géographie arctique à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) (1957), Première chaire polaire de l'histoire de l'université française. Directeur-fondateur du Centre d'études arctiques au CNRS et à l'EHESS à Paris (1957-2007), Président de la Fondation française d'études nordiques (1964-75) et de la Société arctique française (1980-1989), Directeur-fondateur de la collection Terre Humaine aux éditions Plon (depuis 1955), de la revue Inter-Nord au CNRS-EHESS (depuis 1963), Président de la Commission nationale de géographie polaire (1974-89), Directeur de recherche (1979-92) puis Directeur de recherche émérite (depuis 1992) au CNRS, Président du Centre de formation des cadres autochtones du nord de la Sibérie et de l'Extrême-Orient, du Cercle polaire à Saint-Pétersbourg (Russie) (1992-94), Président du Comité de défense des peuples arctiques de la Russie au Fonds de la culture à Moscou (Russie) (1990), Doyen d'honneur de la faculté des peuples du Nord de l'université d'État Herzen à Saint-Pétersbourg (Russie) (1991), Président (1994) puis Président d'honneur de l'Académie polaire à Saint-Pétersbourg devenue (1997) Académie polaire d'État, Membre titulaire de l'Académie des sciences humaines de Russie (1996), Président du Fonds polaire Jean Malaurie du Muséum national d'histoire naturelle de Paris (depuis 1992) et de l'institut arctique Jean Malaurie à Saint-Pétersbourg (depuis 2011).
TRAVAUX 31 missions arctiques, explorations géomorphologiques et cartographiques dans le Groenland-nord occidental (depuis 1948), études écologiques, géomorphologiques et paléoclimatiques, particulièrement dans le nord du Groenland, études des problèmes de développement et d'identité culturelle des minorités circumpolaires, études socio-économiques, ethnographiques et historiques, notamment sur la côte ouest du Groenland, dans l'Arctique central et oriental canadien, dans le Nouveau Québec, sur les littoraux du détroit de Béring et en Sibérie orientale ; Premier homme avec l'Inuit Kutsikitsoq au pôle géomagnétique Nord en 2 traineaux à chiens (29 mai 1951).
DÉCORATIONS Grand officier de la Légion d'honneur, Commandeur de l'ordre national du Mérite et des Arts et des Lettres ; Commandeur de l'Ordre du Dannebrog (Danemark), Officier de l'ordre de l'Amitié (Moscou).
DISTINCTIONS Médaille d'exploration polaire de la Société de géographie de Paris (1953,1961), Lauréat de l'Académie des sciences (1958), de l'Académie française (prix Jean-Walter, 1968), Médaille d'or de la Société arctique française (1990), Médaille du CNRS (1992), Grande médaille d'or de la Société de géographie de Paris (1996), Citoyen d'honneur de la ville de Fermo (institut polaire) (Italie) (1998), Grand prix de la Ville de Paris Sola-Cabiati (1999), Ours blanc remis par le premier ministre du Groenland venu à Paris, Jonathan Motzfeldt (1999), Grand Prix Jules Verne (2000), Docteur honoris causa de l'Université d'État de Saint-Pétersbourg (2001), Médaille d'or Grand Duc Constantin de la Société de géographie de Russie (2003), Grande médaille d'or de la ville de Saint-Pétersbourg (2004), Patron's medal de la Royal Geographical Society de Londres (2005), Mungo Park Medal de la Royal Scottish Geographical Society (2005), Ambassadeur Unesco de bonne volonté pour les régions polaires arctiques (domaine des sciences et de la culture) (2007), Docteur honoris causa de la State University of New York (Suny) (2008), Nersornaat, Médaille d'or du parlement groenlandais (2009), Grande médaille de la ville de Strasbourg (2013).
Comptoir le plus septentrional de la Terre, situé sur la côte occidentale du Groenland, Thulé, contrée la plus reculée au monde, fut pendant très longtemps une source de mystères. À la fois terrible et fantastique, Ultima Thulé revient sur l'histoire des illustres explorateurs qui, depuis le XVIIIe, ont précédé Jean Malaurie sur la route du pôle Nord. S'appuyant sur des extraits des journaux de bords des explorateurs, mais aussi sur les témoignages des Inuit, des photographies anciennes et contemporaines, gravures, objets, ou encore dessins d'esquimau, cet ouvrage constitue une galerie fabuleuse sur des hommes hors du commun.
ULTIMA THULE de Jean Malaurie – éditions Chêne – novembre 2016. Paris
Je tiens à remercier Dominique Sewane, pour la publication, ici ,d'un texte analysant "Artica" de J Malaurie. Ce livre, publié récemment, est un recueil exhaustif d'articles exposant l'ensemble de l' activité scientifique et des engagements de ce dernier .Ce texte figure également sur le site de J.Malaurie:
« Que signifie « commercer avec la nature, si nous n’avons affaire, par la voie analytique, qu’à ses parties matérielles, si nous ne percevons pas la respiration de l’esprit qui donne un sens à chaque partie et corrige ou sanctionne chaque écart par une voie tout intérieure » ? Goethe
L’interrogation de Goethe donne sa tonalité au très beau Arctica1 de Jean Malaurie. Soulignons tout de suite la somptueuse publication que lui ont réservée les éditions du CNRS : qualité du papier et de l’impression, splendides illustrations, en particulier la cartographie. Une présentation amplement méritée par l’œuvre géologique et anthropologique d’un chercheur associant rigueur scientifique – plus de cinquante missions dans les régions du Grand Nord – et engagement à l’égard des peuples autochtones vivant en isolat. Parmi ces peuples vulnérables, victimes des actions délétères de multinationales aveuglées par leur course au profit immédiat, celui, emblématique des Inuit du nord du Groenland. Depuis la fonte des glaces due au réchauffement climatique, le tourisme et les compagnies pétrolières pillent leurs territoires. Le suicide des jeunes, en nombre croissant, devrait nous alerter, insiste Jean Malaurie, soulignant que si l'Occident est avancé sur le plan technique, il n’a plus de pensée. « Nos sociétés n'ont rien à dire ou proposer aux nouvelles générations, hormis toujours développer et produire davantage. et les jeunes Inuit déculturés ne se reconnaissent pas dans nos modèles de société. »[1]
Sur ce point, sa position est claire : les errements auxquels nous assistons sont dus principalement à une crise spirituelle de l’Occident. Une crise sans précédent. «La terre est outragée et les premières victimes sont les plus faibles ». L’accaparement des ressources vitales par les multinationales et l’absence d’un projet élevé qui mobiliserait les énergies, conduisent au désespoir des populations entières tandis que, dans l’indifférence générale, espèces végétales et animales disparaissent massivement. Nous le constatons chaque jour : la raréfaction des ressources entraîne conflits, tensions, mouvements massifs de migration climatique.[2]
Or, rappelle Jean Malaurie, la relation à la nature des « sentinelles de notre planète » que sont ces petits peuples, fondée sur une éthique visant à préserver les ressources, devrait s’imposer comme un modèle pour l’Occident. La « Déclaration sur les droits des peuples autochtones » de 2007 ne tient pas un autre discours : « Le respect des savoirs, des cultures et des pratiques autochtones contribue à une mise en valeur durable et équitable de l’environnement et à sa bonne gestion »[3].
De nos jours, l’enjeu est pourtant rien moins que la survie de l’espèce humaine, avertit l’astrophysicien Stephen Hawkins[4]. Il prévoit qu’elle disparaîtra d‘ici mille ans si aucune mesure n’est prise pour réduire l’effet de serre du aux actions délétères des multinationales. « L’augmentation de la température et le dégel sont la conséquence de l’excès d’énergie dans le monde, d’une part produit par la communauté humaine, et d’autre part, qui ne peut pas s’échapper ans l’espace à cause de l’effet de serre que l’humanité a créé. » rappelle Jaime, pour qui la fonte totale des glaces due à l’émission d’une énergie qui ne peut plus s’évaporer provoquerait une brutale augmentation de température, bien supérieure aux 2 ou trois degrés Celsius prévus généralement, fatale aux humains, entre autres. A moins que l’exploration spatiale ne nous permette d’emménager sur une autre planète ! C’est avec le plus grand sérieux que Stephen Hawkins conseille de « continuer à explorer l'espace pour le futur de l'humanité ». Nous suivons avec admiration le voyage intersidéral de Thomas Pesquet qui restera six mois dans l’espace avec ses compagnons.
Récemment, Laurent Fabius s’est décidé à lancer l’alarme. Au mois de novembre 2016, des décisions ont été – difficilement – votées au Maroc pendant la COP 22, faisant suite aux engagements pris à Paris pendant la COP 21, notamment celui de renoncer à exploiter les ressources gazières, pétrolifères et carbonifères, tout au moins de prévoir un plan visant à les réduire dans les prochaines années, pour les remplacer par d’autres sources d’énergie non polluantes. Seraient-ils déjà caducs depuis l’élection du nouveau président des Etats Unis ? Il est à craindre que ce « climato-sceptique », se désolidarise d’un projet qui inciterait les USA à organiser son économie sur des bases totalement nouvelles. Autant dire que le combat pour des conditions viables à long terme, c’est à dire pour les générations futures, est loin d’être gagné. Quoiqu’il en soit, déclare pour sa part Valérie Cabanès[5], il nous revient de « faire confiance aux meilleures sciences internationales et interdisciplinaires pour nous rappeler les limites à nos ambitions sur Terre ».
C’est à un tel savoir que nous invite Arctica I, dont les recherches concernent principalement les adaptations de la pierre et de la glace aux changements de climat, dont l’accélération est due à un ensemble de causes associées à l’effet de serre, dont la responsabilité incombe aux activités humaines. Les mot « adaptation », « malléabilité », « évolution », sont récurrents dans Arctica I. Si « rien n’est fait » d’ici dix ans, l’impact de la fonte des glaces sur l’existence de l’homme, de l’animal et du règne végétal, risque d’être dramatique à brève échéance
Ordre de la Nature
« La nature n’est pas l’expression d’un chaos mais d’un ordre visant à l’organisation conservatoire d’un tout, chacune des partie étant fonction de ce tout. De ce principe, le chasseur boréal est convaincu après 10 000 ans d’expérience » écrit Jean Malaurie, ajoutant que « sa pensée est inspirée par la crainte que les principes régulateurs de l’ordre des choses ne soient pas respectés ». D’où alersuit ou tabous des Inuit devant être compris à la fois comme des règles de survie et des règles sociales : ratio des naissance (maintenu grâce à des structures parentales interdisant les alliances jusqu’à la sixième génération), coutumes diététiques visant à protéger certaines espèces animales[6]. Tels étaient les fiers Utkuhikhalingmiut de Back River que Jean Malaurie rencontra en 1963 dans l’Arctique central canadien : ils s’interdisaient, eux, hommes du continent, de chasser le phoque, animal de la mer, alors qu’ils vivaient dans un dénuement quasi absolu. « Ces règles avaient pour but de s’aligner sur les complexes lois d’équilibre de la nature qui régentent la vie minérale des plantes et de la faune, et que nous, Occidentaux appelons écosystème »[7]
Cependant, loin d’être statique, l’ordre de la nature est en constante évolution et les règles des Inuit, précise Jean Malaurie, sont associées à une surprenante adaptation aux périodes caractérisées par un écart climatique. C’est à de telles périodes que sont liés des interdits spécifiques. Fait étonnant : ils étaient adoptés plusieurs années avant l’apparition d’un changement de climat, par conséquent en prévision de la pénurie qu’il allait générer. Comment expliquer un phénomène aussi étrange ? A partir d’observations conduites sur quatre générations a partir de 1951, Jean Malaurie formule l’hypothèse suivante : il ne s’agirait pas d’adaptation au milieu, mais d’adaptation à reconnaître des mouvements globaux grâce à une acuité sensorielle développée dès l’enfance. « Les signes perçus seraient transmis et appris à chaque génération. La sociologie de la chasse a déterminé une psychologie du comportement, par les observations aigues qu’elle suscite et une exceptionnelle faculté de mémorisation sensorielle due à l’acuité des cinq sens. » lls sont aptes à réagir rapidement au moindre signe annonciateur d’une catastrophe, et à s’y préparer, bien que dans leur dénuement, ils paraissent d’une vulnérabilité extrême. «Désormais leur savoir est pris en compte et respecté ».
En même temps, insiste-t-il, les Inuit, et plus largement les sociétés de culture chamanique ou animiste, ont pris bien avant nous une conscience aigue de la précarité de l’espèce humaine, qui les maintient en état de constant éveil. La hantise de l’Inuit est de retourner à l’état d’animal humain « homme non erectus ». Les récits effrayants à propos du monstrueux tupilak exprimeraient l’angoisse sourde, ressentie depuis des millénaires, de la disparition de l’espèce humaine.
Réchauffement climatique
Si les chasseurs boréals ont appris à s’adapter aux changements de la planète, cette faculté d’adaptation est partagée par un élément qui, à priori, peut nous sembler d’une stabilité immuable : la pierre. Elle est vivante, en constante évolution, affirme Jean Malaurie, résumant des recherches géomorphologiques de plusieurs décennies sur les éboulis, sa spécialité. « J’ai cherché les limites dans les univers minéraux des déserts froids et chauds les limites tendancielles de fragmentation des pierres au cours de leur chute de la falaise jusqu’en bas des éboulis, à mieux dire les seuls d’érosion des pierres lors de leur fragmentation. »[8]
Dès 1969, au deuxième congrès international de Rouen[9], Jean Malaurie s’alignait sur les prévisions les plus sombres des experts internationaux : élévation de la température de la planète et ses conséquences tragiques, entre autres, des mouvements sismiques d'ampleur démesurée, auxquels nous assistons depuis l’an 2000.
Plusieurs articles d’Arctica I, écrits par des géologues et physiciens – notamment le regretté Jean Marie Pelt - analysent en détail les conséquences d’un réchauffement climatique intensifié par l’effet de serre, et leurs conséquences sur notre planète. La notion d’énergie, concluent-ils, est l’élément premier à prendre compte. Il est antérieur à l’augmentation de température, car, ayant provoqué la fonte des glaces, il donne libre cours à une drastique augmentation de la température. Ainsi l’analyse de Jaime Aguirre-Puente [10]:
« Si la température météorologique augmente, cela signifie que la température de l’atmosphère et de son voisinage augmente, mais pas seulement car en même temps, l’eau à l’état solide, c’est adire la glace, disparaît également… J‘affirme que c’est grâce à la glace que la température n’a pas augmenté plus rapidement. Autrement dit, la glace « fait tampon », de manière cruciale, à la montée de la température météorologique adoptée comme paramètre de contrôle. Or, la quantité de glace n’est pas infinie. Tôt ou tard, elle disparaîtra, si nous ne changeons pas de comportement. La glace disparaissant, la température, adoptée comme paramètre de contrôle, augmentera plus dizaine de fois plus rapidement. » Glaçant. Dans le contexte actuel, il nous est difficile de concevoir une augmentation de température de 10 à 20 degrés. C’est donc avec ce paramètre fondamental, le concept d’énergie, que nous devons réfléchir, c’est à dire l’énergie calorifique reçue par le soleil et augmentée par le confinement due à l’effet de serre : « Si elle est excédentaire, elle se dirige prioritairement vers les régions de basse température : les pôles, le grand Nord. Résultat : dégel, écoulement d’eau, ensuite : augmentation de la température… quand toute la glace aura fondue, on atteindra très rapidement des températures élevées, des dizaines de fois plus rapidement que lorsque la glace n’avait pas fondu. » [11]
Actuellement, 100km3 par an de fonte des glaces ! Notre terre est en train de transformer sa glace en eau. Que faire ? Aborder ce problème avec courage, conclut Arctica I.
Pour accéder au savoir concernant notre planète, la pluralité des disciplines est indispensable, insiste Jean Malaurie. Parallèlement à ses recherches géologiques, il a encouragé et fait connaître les témoignages et analyses de spécialistes de toutes disciplines et de tous horizons : d’une part, à son Centre d’Etudes Arctiques (CNRS), d’autre part, au travers de la prestigieuses collections Terre Humaine, dont il est le fondateur et le directeur aux éditions Plon.
Le choix, pour une société, de ses orientation, tant économiques qu’intellectuelles, lui apparaît comme une urgence. En nous avertissant de l’immense menace pour la paix que représente la destruction des écosystèmes de notre planète – détruits à une échelle sans précédent – Arctica I nous invite à nous mobiliser « ensemble », c’est à dire à taire nos haine et ressentiments pour faire preuve, enfin, de solidarité : il y va de notre survie. En tant qu’Ambassadeur de bonne volonté pour les régions polaires depuis 2007, l’œuvre scientifique de Jean Malaurie, dont rend compte Arctica I, est désormais inséparable des combats qu’il mène sous l’égide de l’Unesco.
Dominique Sewane
Maître de Conférence à Sciences Po Paris
Titulaire de la Chaire Unesco « Rayonnement de la pensée africaine – Préservation du patrimoine culturel africain » (Université de Lomé, Togo)
Photo ci -dessus:Dominique Sewane devant une takienta(architecture originale des Tamberma du Togo) en 1981, l'un de ses nombreux séjours auprès de ce peuple encore mal connu à l'époque.
[1] Jean Malaurie, Lettre à un Inuit de 2002, Fayard, 2015
[2] Communiqué de presse du Réseau Action Climat France : « Un milliard de réfugiés climatiques en 2050 »
[3] Il leur est reconnu un droit fondamental « le droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisé ou acquis ». (Voir aussi Article 26.1)
Les populations autochtones représentent 370 millions d’individus, regroupés dans plus de 70 plus sur 5 continents : 5000 groupes différents et parlent plus de 4000 langues.
[4] Le physicien théoricien et cosmologiste Stephen Hawking participait à une conférence à l’Oxford Union le 14 novembre.
[5] Valérie Cabanès : Un nouveau droit pour la terre - Pour en finir avec l’écocide collection Anthropocène, Le Seuil, octobre 2016
[9] Le deuxième Congrès international du Havre-Rouen (24-27 novembre 1969) a été particulièrement extraordinaire : « Développement économique de l’Arctique et avenir des sociétés esquimaudes ». C’est la première fois dans l’histoire que les Inuit de Sibérie, de l’Alaska, du Groenland et du Canada se sont retrouvés après avoir été dispersés pendant dix mille ans. Les travaux de quatre congrès bilatéraux franco-soviétiques ont paru dans le cadre de cette série. L’ensemble de ces travaux des quatre Congrès internationaux est diffusé par les Éditions du CNRS
« Dans leurs chants de deuil, les Batâmmariba comparent à des termitières leurs takyiènta, ces maisons-forteresses dont l'unique ouverture regarde vers l'ouest, direction prise par leurs défunts. De couleur ocre, balayées par l'harmattan en saison sèche, elles semblent avoir surgi de terre. Personne sur les sentiers aux heures brûlantes du milieu du jour : les habitants auraient-ils déserté le village ? Du haut des terrasses, à l'abri des parapets, des centaines d'yeux regardent arriver l'étranger. S'il s'adresse à un enfant resté dans la cour de l'une de ces takyiènta : « Ton père est-il là ? - Je ne sais pas ! » Dès que l'on a passé la rivière de la Kéran, qui délimite au Togo le pays des Batâmmariba, une vibration semble traverser montagne et vallée, perceptible surtout à la tombée de la nuit et au lever du jour. C'est alors que les esprits de la Terre, «premiers du lieu», reprennent possession de leur territoire sous forme de vents rasant les herbes ou de rapides cavales blanches qu'un voyageur matinal peut voir se faufiler entre les arbres. À ces heures qui appartiennent aux «vrais maîtres du territoire », il est interdit aux humains - ces intrus tard venus, ces hôtes que l'on tolère - de crier, marcher d'un pas pesant, se quereller. Les voix de sous terre sont ténues. Il faut se taire, comme se taisent les membres d'un clan au lever de la lune quand est célébré un rite, pour entendre une sourde rumeur où se mêlent froissement d'herbes, fins cris d'insectes... longs soupirs dont on ne sait s'ils viennent du vent qui s'élève, ou du regret de morts pour des vivants dont ils ne se résignent pas à se séparer. Voix inaudibles pour les « gens ordinaires », perçues par les «puissants » :
les Voyants aux sens exacerbés qui les entendent « du fond de leur foie ». Ils y répondent non avec les mots crus de la parole du jour, mais intérieurement. Un Voyant naît avec la faculté de se rendre sensible aux présences qui parcourent l'univers. Son ouïe d'une exceptionnelle finesse sait capter la parole tacite des forces souterraines, une parole qui n'est, selon le mot de Milosz, « ni son ni silence ». L'ouïe du Voyant est pareille à celle que les Grecs attribuaient aux devins. L'Apollon de l'Iliade, à lafois voyant et devin, était doté « non pas tant de voyance, précise Georges Dumézil dans Apollon sonore, que de perception merveilleuse des paroles inaudibles des dieux». Grâce à l'acuité sensorielle du Voyant, les Batâmmariba, qui privilégient la nuit et les sons de la nuit, sont à l'écoute de l'univers. DOMINIQUE SEWANE.LES BATAMMARIBA.LE PEUPLE VOYANT.
C'est ici qu'il faudrait , pour quitter la simple description et saisir le sens et l'originalité de la maison Tamberma , pour comprendre en profondeur ce qu'est l'Habiter, qui ne se réduit pas à l'habitation, faire un détour par les analyses d'A.Berque,concenant l'ecoumène, le milieu humain : « ce en quoi,la terre est humaine et terrestre l'humanité».Un détour qui n'est pas une digression mais qui permet en outre certains rapprochements avec Michel Serres ,par exemple,Bachelard évidemment,comme déjà dit , mais surtout, les Aborigènes d'Australie sur les Pistes du Rêve.
« Ici. Le paysage assemble des lieux. Une localité se dessine comme un point singulier entouré d'un voisinage : source, puits, dent de cap qui se lance hors du rivage, île, petit lac, longue ganse de ruisseau, étranglement au sommet du col, guichet obligé par la rive du fleuve léchant le pied de la colline, clairière, gué, port, événement topographique, obstacle, limite ou catastrophe ; quelqu'un choisit de vivre auprès de la singularité déjà là et la charge de la sienne propre. Qui n'a pas rêvé de s'arrêter ici, au milieu du cirque de montagnes sèches, sous le soleil, d'y monter sa tente et d'y attendre la mort?
Habitat ou niche, place du lit et de la table, autour de laquelle les traces de pas font mille festons et rinceaux, guirlandes locales de la vie courante. Ici quelqu'un vit, mange, dort, vaque à ses usages, aime, travaille, souffre et meurt. Qui passe sait aussitôt qu'il transite par un lieu, s'arrête sur le site ou devant la pierre qui le marque : ci-gît l'inconnu qui fit des taches sur le paysage et dont la dalle tombale perpétue l'occupation. Il a chargé le point singulier de son odeur, de ses déchets, de sa propriété stercoraire, travaux, goûts et couleurs, maïs et vigne, bâtisses, lignées enfantines, puis de sa dernière ordure, les cendres de son cadavre, marbre gravé du tombeau. Le passant s'incline, visite le dieu du lieu. Où vas-tu? En ce lieu. D'où viens-tu? De mon site. Où passes-tu? Par ici même. A chaque question, il faudrait un récit infini détaillé pour servir de réponse, qui ne remplirait pas le lieu, occupé par le génie d'ici, ses tons et baumes, son tact et son silence, ses dépouilles ou restes qui n'ont de nom dans aucune langue. »MICHEL SERRES.LES CINQ SENS. GALLIMARD.
Partant des étymologies grecques, se fondant sur le mythe de Platon, le Timée, et pour qualifier l'écoumène, A.Berque distingue et oppose deux termes : Topos et Chora.
Topos est précis (toponyme), un être, une chose, s'y situent et le toponyme nous dit où ; mais topos est aussi abstrait (être et chose pourraient aussi bien être ailleurs).topos est donc définissable indépendamment de ce qui s'y trouve : c'est le lieu de notre géométrie cartésienne avec ses coordonnées ou le système des méridiens et des latitudes. Sur le GPS se trace ainsi précisément le lieu géométrique de ma maison et de mon nom. C'est aussi le règne de la ligne droite qui a permis l'architecture et l'urbanisme modernes(Berque cite en particulier Le Corbusier) et qu'on pourrait opposer justement à celle vernaculaire.
Chora est beaucoup plus complexe à définir. Le vocable ne se dit finalement que par métaphore. Berque y évoque une toute autre géographie, qu'il appelle le « chemin des ânes », le cheminement à travers le paysage et ce qu'est donc un paysage : ainsi la Crète.
« Éclat blanc sur la montagne fauve, Chôra se détache dans les souvenirs. On y est monté au fil des siècles en sinuant par le chemin des ânes, dont les sabots ont usé les pierres. Soleil, réverbération; les odeurs de l'été... Plus on monte, et plus grandit la mer. Peu à peu se dessine le rivage où, désormais sûr de son cap,Thésée se défit d'Ariane - du moins selon une version insulaire, personnelle peut-être, de la légende. Ailleurs, on dit que c'était à Naxos. »
On commence à saisir que, dans l'écoumène, on peut ainsi définir des lieux cartographiables(ceux de notre modernité) et des lieux existentiels.(chora),chargés d'imaginaires de souvenirs et de mythes, à l'instar de la maison bachelardienne ou de celle des Tamberma
.On pourrait aussi y distinguer deux savoirs correspondants, l'un rationnel, géométrique, cartographique et aussi urbanistique ,l'autre empirique(en ôtant la nuance péjorative) , ensemble de savoirs faire acquis par l'usage et appris des anciens. En un mot la « pensée sauvage » de Levi-Strauss. M.Serres dans Les Cinq Sens évoque ainsi ces patrons pécheurs hauturiers qui oubliaient les cartes dans un tiroir pour sinuer à la recherche des bancs de poissons, selon la couleur de la mer ou la rencontre avec tel type d'algues. Ils faisaient corps avec le milieu. Ainsi sans doute les constructeurs de latakyiènta. D.Sewane dans le texte suivant n'utilise pas explicitement ces concepts mais nous donne pourtant une vision de la chora.
« C'est sur la « peau fine » de Terre que les humains construisent leurs habitations, défrichent, cultivent. Une peau hérissée de cailloux, craquelée par le feu du soleil pendant la saison sèche, recouverte de pousses d'un vert lumineux dès le début de la saison des pluies. Elle n'a rien de commun avec l'argile résistante, exempte de cailloux et de couleur claire tirant sur le blanc, recueillie dans une carrière avec la pointe d'une houe, utilisée par les potières, également consommée par les femmes enceintes. Elle est différente d'une autre espèce de teinte rosée, prélevée dans un bas-fond, avec laquelle un Otâmmari façonne des greniers semblables à d'immenses poteries. Et d'une autre argile encore, rare et précieuse, prélevée sur une termitière. Gluante, car imprégnée de la salive des termites, elle est utilisée pour renouveler un autel. Les Batâmmariba font preuve d'une grande minutie pour reconnaître les différentes couches de la «peau fine», qu'ils ne confondent jamais.
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"La «peau épaisse» est la chair interne de Terre. C'est une terre «noire», en réalité d'un ocre dense, qu'atteignent les fossoyeurs en creusant une tombe. Elle est le domaine des « gens de la peau épaisse », ces forces souterraines nées avec Terre. Elles serpentent entre ses replis avant de sourdre dans l'eau d'un marigot ou d'une source, émerger sous forme d'arbres, s'élever vers le ciel en violents tourbillons au début de la saison des pluies. Tous les quatre ans, elles s'incarnent dans Fawaafa, le gigantesque Serpent femelle qui se meut silencieusement dans le sous-sol de Terre et se réveille à l'époque du dijwani, le rite initiatique des garçons.
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« Les Batâmmariba se reconnaissent comme « gens de la terre ». Dans le nom qu'ils se donnent, Batâmmariba, le modeste radical tan - de mute-tan, peau fine - évoque une peau souple à laquelle la main de l'homme imprime une forme. Une peau préparée, arrosée par une main féminine. Le maître d'œuvre trace les fondations, dirige les travaux. Pendant les quatre à six mois que dure l'édification d'une takyiènta, différents corps de métiers se succèdent : abatteurs d'arbres au bois dur poussant sur la montagne, utilisés comme troncs piliers et poutres (labeur éprouvant), lanceurs de boules de terre - des petits garçons -à leurs aînés assis à califourchon sur les murs. De ces boules, ils font des rangées de boudins de terre superposés. Il faut attendre que chaque couche soit complètement sèche avant de poser la couche supérieure. Débutée en novembre, quand la terre, assouplie par les pluies de mai à septembre, est suffisamment ferme sans être durcie par le soleil, la construction se termine vers le mois de février ou de mars. Bref, la construction fait appel à une main-d'œuvre spécialisée, exclusivement masculine. Au lieu de souligner cet aspect, les Batâmmariba ont la courtoisie d'insister sur la collaboration féminine, selon eux, indispensable : « Sans la femme qui va puiser l'eau pour mouiller la terre, sans elle qui dame la terrasse avec un galet, elle qui enduit les murs d'une décoction de néré, comment pourrions-nous construire nos takyiènta ? » La peau fine ne peut être travaillée par les hommes, luisants de terre mouillée, que grâce au bon vouloir des femmes. De plus, un homme n'entreprend un tel oeuvre que s'il est sûr qu'une épouse viendra l'habiter. Autrefois, la fiancée dotée par son père depuis près de dix ans. Aujourd'hui, la jeune fille « enlevée » avec son consentement. La takyiènta porte donc le nom de «takyiènta de l'épouse », et s'il s'agit de la Vieille Takyiènta d'un père, héritée par le fils benjamin, celui de « mère ». «Je rentre chez ma mère », dit le soir un ancien en quittant ses amis. »DOMINIQUE SEWANE.LES BATAMMARIBA.LE PEUPLE VOYANT
Mais ce qui vient d'être dit n'épuise pourtant pas le sens du mot CHORA, d'après À. Berque ; d'où sa référence au texte mythique et cosmogonique de Platon,le Timée. Platon Y distingue trois réalités : le monde intelligible,(les Idées ou formes),éternel, absolu « divin » que l'esprit peut concevoir par une ascèse intellectuelle(theoria) mais qu'enfermé dans notre caverne nous ne pouvons pas percevoir par les sens… Le monde physique d'autre part , sensible et mouvant, au devenir incessant(genesis) et donc voué sans fin à la naissance et à la mort .Enfin la Chora, un milieu intermédiaire,non saisissable par le savoir rationnel mais par un discours qui, dit Platon, reste « difficilement croyable »donc par le mythe). Difficile donc de concevoir la chora, sauf pour dire qu'elle est à la fois porteur d'empreintes(des Idées, qui lui donnent signification et valeur), mais aussi nourrice et matrice des choses. Une réalité intermédiaire, idéelle et matérielle à la fois, intelligible et sensible, voire sacré et profane pour ceux qui y croient.. Berque, pour sa part, précise alors que c'est le lieu géniteur, sans limite à partir duquel, par une opération d'engendrement (chaos, c'est-à-dire une béance, une ouverture comme celle d'une huitre ) s'ouvre et se déploie L'existence , notre existence et celle des êtres dans le monde et il ajoute simplement que c'est le paysage.
Pour concrétiser cette idée qui pourrait rester obscure, l'auteur prend comme exemple la pensée des Aborigènes australiens. Le Rêve et le temps du Rêve, mais ce pourrait l'être aussi bien, par le texte précédent, celui de D.Sewane parlant de la terre et du serpent femelle Fawaafa qui a couvé les œufs dont sont issus les premiers êtres ; comme des Batâmmariba, ouvrant et malaxant la peau de la terre.
Les habitants du Désert de l'Ouest australien ont un terme propre, Tjukurrpa,(que nous traduisons par Dreamtime, Le Temps Du Reve) .Il désigne un ensemble de structures et pratiques sociales . Le Tjukurrpa, inclut les catégories du mythe, du rituel, de la cosmologie et des origines des manières de faire et de penser;il est celui par lequel l'essence des choses est présentée et définie par leur existence. De ce fait, il n'est pas seulement histoire et cosmogonie, mais s'implante aussi dans le contemporain, car aucune structure ou technique nouvelle ne peut échapper à son prisme. Cette pensée-paysage a faili se perdre.Entassés dans des lieux de concentration,sans justement les règles d'usages entre tribus, les Aborigènes du Désert central se mourraient (entre autres persécutions) d'acculturation.G.Bardon, instituteur à Papunya eut l'idée de convaincre les "anciens" de peindre les Rêves sur les murs de l'école puis sur des toiles à l'acrylique.ce fut le
début de l'art aborigène qui emplit nos musées et expositions
Les Aborigènes australiens, lisent la terre comme nous lisons un livre, interprétant tous les traits du paysage comme les TRACES vivantes d'êtres fantastiques. Venus d'ailleurs, de la mer, du ciel ou des entrailles de la terre, ces " grands ancêtres " et héros nomades, sillonnèrent le continent et le balisèrent d'empreintes de leurs corps ou de métamorphoses de leurs organes.
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Au commencement, la terre était plate et vide. Les ancêtres émergèrent du sein de la terre et commencèrent à façonner le kangourou, l'émeu, l'opossum, la chenille ou la larve ; pour d'autres, ce furent les choses inanimées comme les arbres ou rochers ; pour d'autres encore, des compositions complexes comme feu de broussailles ou la ruche et le miel.
Chaque action des ancêtres eut des répercussions sur la configuration du paysage. Les lieux d'où ils émergèrent du sol devinrent des points d'eau ou des entrées de grottes ; là où ils marchèrent, s'écoulèrent des cours d'eau ; et les arbres se mirent à pousser là où ils avaient enfoncé leur bâton à fouir dans le sol.
De formidables batailles opposèrent des clans d'ancêtres : des collines ayant la forme de leur corps apparurent là où ils étaient morts et leur sang donna naissance à des lacs. Au fil du temps, le paysage se modela et se métamorphosa,aussi longtemps que les ancêtres vécurent à la surface de la terre. Quand ils abattaient des arbres, cela dessinait une cicatrice sur le flanc des collines ; quand ils traversaient une rivière, ils laissaient derrière eux une barre rocheuse ; et quand ils lançaient leur boomerang, ils creusaient un trou dans une colline. Chaque détail du paysage s'explique de façon analogue. Le paysage n'est pas seulement la conséquence des actions des ancêtres : c'est aussi le résultat de la transformation de leur corps ou de leurs substances corporelles. En Terre d'Arnhem, les sources d'ocre se sont formées à partir de leur sang ou de leur graisse. D'autres mettront en forme la société, lui fournissant son organisation sociale définitive, la divisant en classes matrimoniales. Dans tous les cas, qu'il s'agisse des corps, de la terre, de la collectivité qu'il convenait d'organiser, la matière première était déjà là .L'action des grands transformateurs primordiaux s'attache aux surfaces : surface des corps ou surface de la terre que l'on incise profondément. Art du ciselage et aussi art de la coupure
Topos et Chora :Bruce Chatwin, dans une comparaison savoureuse du Chant Des Pistes, conte les tribulations d' un arpenteur(on pense à Kafka) chargé du tracé rectilligne du chemin de fer,confronté à deux « anciens » qui le refusent chaque fois au profit de sinuosités des Pistes du Rêve parce que telle colline, tel arbre ou rocher est un lieu sacré où l'ancêtre est apparu et où il a laissé des empreintes (esprits enfants),servant d'identité clanique aux nouveaux-nés .Telle une takyiènta Chez les Tamberma, ils ont émergé de la boue.
"La boue tomba de leurs cuisses, comme le placenta d'un bébé. Puis, tel le nouveau-né qui pousse son premier vagissement, chaque ancêtre ouvrit la bouche et cria : «JE SUIS!» «Je suis... Serpent... Cacatoès... Fourmi à miel... Chèvrefeuille...». Et ce premier «Je suis», cet acte primordial de nomination, fut considéré, alors et pour toujours, comme la strophe la plus secrète du chant de l'ancêtre, la plus sacrée. Chacun de ces anciens (baignant alors dans la lumière du soleil) avança son pied gauche et nomma une chose. Il avança son pied droit et en nomma une autre. Il nomma les points d'eau, les roselières, les gommiers. donnant des noms de tous côtés, appelant à la vie toutes choses et tissant leurs noms dans des strophes."
"Les anciens s'ouvrirent un chemin dans le monde entier par leur chant. Ils chantèrent les rivières et les montagnes, les lacs salés et les dunes de sable. Ils chassèrent, mangèrent, firent l'amour, dansèrent, tuèrent : partout où les portaient leurs pas, ils laissèrent un sillage de musique.
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"Ils enveloppèrent le monde entier dans un réseau de chants ; et, enfin, lorsque la Terre fut chantée, la fatigue les envahit. De nouveau ils ressentirent l'immobilité glacée des temps. Certains s'enfoncèrent dans le sol là où ils se trouvaient. D'autres se glissèrent dans des cavernes. D'autres encore regagnèrent en rampant leur «demeure éternelle », .le point d'eau ancestral où ils étaient venus au jour. Et tous s'en retournèrent sous terre" .BRUCE CHATWIN.LE CHANT DES PISTES
Ci-dessus la piste du Rêve"FOURMI à MIEL et sa rerésentation sur toile
Pourtant cet engendrement n'est pas terminé ;chaque enfant reçoit son nom(totem) de la fréquentation du site par sa mère, là où sont déposées les empreintes, les esprits enfants, qu'ont laissés derrière eux les ancêtres fondateurs.Cet engendrement se poursuit encore de nos jours. Une portion de territoire appartient à un clan par l'intermédiaire d'un chant,celui justement qu'a chanté l' ancêtre engendrant les choses. Or les aborigènes font revivre ces chants et par là réengendrent et gardent vivant le paysage.
« Avant que les Blancs ne viennent, continua-t-il, personne en Australie n'était sans terre, puisque chacun recevait en héritage un tronçon du chant de l'ancêtre et un tronçon du pays où passait ce chant. Les strophes que possédait un homme constituaient ses titres de propriété. Il pouvait les prêter à d'autres. Il pouvait en emprunter à d'autres en retour. Mais, par contre, il lui était impossible de les vendre ou de s'en débarrasser.
Lorsque, par exemple, les anciens du clan du Python décidaient qu'il était temps de chanter leur cycle de chants du début à la fin, des messages étaient envoyés, tout au long de la piste, pour convoquer les propriétaires des chants au lieu du grand conseil. L'un après l'autre, chaque « propriétaire » chantait son tronçon d'empreintes de pas de l'ancêtre. Toujours dans l'ordre correct !
« Chanter une strophe dans le désordre, dit Flynn d'un air sombre, était considéré comme un crime. Généralement le coupable était condamné à la peine capitale.
- Je vois, dis-je. Cela équivalait, sur le mode musical, à un tremblement de terre.
— Pire, dit-il d'un air sombre. C'était abolir la création. »
A chaque réunion du grand conseil, poursuivit-il, il était très possible que d'autres rêves convergent. Ainsi à l'un de vos corroborées, vous pouviez avoir quatre clans totémiques différents, provenant d'un nombre indéfini de tribus. Tous y échangeaient les chants, les danses, les fils et les filles, et s'accordaient réciproquement des « droits de passage ».
« Quand vous serez resté un peu plus longtemps, dit-il en se tournant vers moi, vous entendrez l'expression "acquérir la connaissance rituelle". »
Cela signifiait que l'homme augmentait sa carte de chants. Il élargissait ses choix, explorait le monde par le chant. »BRUCE CHATWIN.LE CHANT DES PISTES
Nous pouvons maintenant revenir aux Tamberma. A l'instar des Aborigènes dans leur rapport au paysage , tout dans la maison n'est pas conçu pour le simple utilitaire, mais D.Sewane ,y sent surtout la présence des ancêtres. Et elle le vit d'aiileurs comme un engendrement, une naissance..
« C'est parce que les souvenirs des anciennes demeures sont revécus comme des rêveries que les demeures du passé sont en nous impérissables », écrit Gaston Bachelard. Il me semble être née dans l'une de ces puissantes takyiènta tant, selon le mot de Rilke, elle est « fondue et répartie en moi». Combien de fois ai-je, comme tout Otâmmari, escaladé les encoches vernissées de la branche-escalier conduisant à la terrasse, lieu de l'intimité des vivants où, pour dormir, ils se coulent comme des serpents dans les trous des cases construites sur le pourtour, et au centre ? Rien, à l'intérieur de cette étrange demeure, n'est conçu pour éviter gestes ou fatigue inutiles. Au contraire, ce sont des flexions du corps, sauts, reptations dans les renfoncements exigus, que suscite cette takyiènta aveugle, dont le rez-de-chaussée est en permanence plongé dans l'ombre. Le sens et la finalité de ses détours évoquent les circonvolutions d'une oreille immense. Mais la takyiènta n'est-elle pas avant tout le lieu où, dans la pièce du bas, les hommes murmurent le nom des morts avant de célébrer un sacrifice sur un autel ?
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"Quand je pense à une takyiènta, c'est le kunamunku qui s'impose à mon esprit : la pièce du bas où les habitants disent ne pas vouloir rester. Surtout la nuit : les souffles qui résident dans ces autels coniques élevés sur le pourtour de la tour centrale, font trop sentir leur présence. La tour elle-même est appelée « maison des ancêtres » parce que, sur la paroi de l'ouest, sont modelés les autels des morts les plus anciens de la famille. Ces autels, sorte d'excroissances de forme allongée, sont surmontés d'une pierre, dans laquelle s'incarne la « force » d'un père, retrouvée sur le sol la nuit de son enterrement. La nuit où il est appelé par son vrai nom, tenu secret. À cet appel, qu'elle ressent comme une injure, son ombre «se redresse». Elle «jette sa force» sous forme de pierre.
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"Énumérer autels, crânes d'animaux suspendus aux poutres, poteries à pointes calées entre les autels - des poteries noircies par le temps contenant une « force de brousse » trouvée par un Voyant, et incluse dans un galet ou une racine -, le collier de cauris ou le sac de peau de chèvre accroché au mur... donnerait une image bien vaine d'un lieu que l'on n'a jamais fini d'explorer. De même que dans Une histoire d'amour et de ténèbres, Amos Oz espérait trouver dans la maison de son oncle « ses entrailles secrètes, intérieures, invisibles, une issue dissimulée dans un mur creux, dans le dédale du labyrinthe, ou au-dessous, dans les fondations», on n'a jamais fini de suivre les ramifications souterraines de la tûkyiènta, qui la relient, à travers ces autels, au cimetière et à la brousse.
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"Après avoir assisté au renouvellement du vieil autel de la Grande d'un père, on se rend mieux compte de la prodigieuse force de vie que contient un tel autel. Tout d'abord, on casse sa « tête » : on l'ouvre. Apparaît alors la cheminée qui le creuse dans toute sa longueur. Le conduit s'enfonce idéalement dans la terre. À travers lui circulent les souffles des morts, de leur tombe à la takyiènta. Avant que l'autel ne soit refermé, les enfants de la famille - du bébé porté sur le bras aux aînés déjà mariés - tous posent sur l'autel leur main gauche. De même, les enfants d'une famille posent leur main sur l'épaule de leur père (ou mère) étendu sur la terrasse, avant qu'on le porte au cimetière. Puis, à tour de rôle, chacun d'eux regarde longuement à l'intérieur de l'autel : ils y mettent leurs pensées, qui se mêleront aux souffles.
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"La vocation d'une takyiènta n'est pas de protéger ses habitants du vent ni de la brûlure du soleil. Elle se veut gardienne des souffles de ses morts et des forces de brousse alliées à la famille. S'ils la désertaient, elle ne tarderait pas à tomber en ruine : maladies, morts prématurées, champs ravagés, épouses stériles. C'est pourquoi l'épaisseur de ses murs maintient en permanence l'obscurité et le silence auxquels aspirent ces présences."DOMINIQUE SEWANE.LES BATAMMARIBA.LE PEUPLE VOYANT.
Les maisons-forteresses témoignent donc de la complexité et de la vivacité d'une culture qui a su se préserver et s'exprimer dans une production très codifiée, à la fois vernaculaire et savante. Les Batâmmariba méritent bien le sens qu'ils donnent à leur nom : «les vrais architectes qui construisent en pétrissant la terre ». De son côté le mot tékyêntè (ou Takyiènta )signifie « ce qui garde ».comme le dit l'extrait précedent. La fonction première n'est pas d'abriter ses habitants, mais d'être le gardien du souffle des morts et des forces de la brousse alliées à la famille, c'est-à-dire, d'être l'élément de mise en communication entre les trois mondes, celui des vivants, des morts et des forces divines.(presque la trilogie du Timée ) . La signification de la maison résume et assume les rapports entre l'homme et l'univers, entre la société et le monde surnaturel et immatériel. La maison ancestrale est à la fois une habitation familiale, un temple et un monument.L'idéel et le matériel y sont étroitement imbriqués, depuis son édification matérielle et symbolique, jusqu'à l'organisation des espaces, des modes de vie, des statuts et des rites. Chez les Tamberma, la personne fait partie d'un univers à la fois sociologique, physique et naturel, cosmogonique et cosmologique qu'ils ont ainsi inscrite dans la conception de leur habitat.
On ne peut donc pas en traiter en traiter comme simple architecture .s'y intègrent donc l'histoire, les rapports sociaux le cycle de la vie et de la mort,le masculin et le féminin, les mythes et rites. On ne peut non plus négliger la matérialité de la production,les agencements spatiaux et volumétriques,l'ordonnancement, les techniques et règles de construction .Elle n'est pas comme déjà dit séparable de son environnement, du contexte spatial et territorial villageois.
La maison forteresse Tamberma est à elle seule un monde..On pourrait en douter pour qui a des idées premières d'illimité. Forteresse elle est au premier regard contraire fermée, repliée dans ses murs.A. Berque fournit l'explication du paradoxe..il cite la vision japonaise du monde , enclose dans une insularité étroite et qui se conçoit cependant incommensurable, « racine du soleil » à l'opposé de la « petitesse du scientisme chinois(Norinaga) qui prétend mesurer. Comment le relatif pourrait il ainsi s'égaler à l'absolu ?
II nous est facile de sourire de ces insularités, en nous disant que ce sont là des mondes bien relatifs... de notre point de vue! Ce qui n'est que déplacer la question. Car la question, c'est qu'il est dans la nature du monde, quelle qu'en soit l'échelle métrique, de n'être jamais commensurable à quoi que ce soit d'autre : c'est toujours le Monde, parce qu'on est toujours enclos dedans et qu'il est donc toujours singulier. Autrement dit, parce que le relatif y équivaut toujours à l'absolu. Dans la condition mondaine qui est la nôtre, la partie (suivant le cas ce sera mon clocher ou ma patrie, mon ou mes amours, mon job, ma vie ou ma conscience...) égale pareillement le tout; du moins, nous ne l'échangerions pour rien au monde, car elle est incomparable. Incommensurable. En effet, sa valeur morale est immense (immensa : sans limites), bien que nous sachions que sa grandeur physique est limitée. C'est pourquoi justement l'être moral que nous sommes, nanti de ces attributs infinis, ne se comptabilise
Cependant, mundus a aussi, directement, le sens de foyer cosmogénétique dans l'usage que l'urbanisme romain hérita des Étrusques : celui de trou circulaire (comme la ville étrusque et comme le disque terrestre, orbis terrarum, homologie que rappella locution pontificale urbi et orbi, « à la ville [Rome] et à l'univers») creusé dans le sol, recouvert d'une pierre dite lapis manalis (gardant les âmes des morts, Mânes, de remonter sur terre), et conduisant à un ou deux hypogées (sans doute à coupole, comme le ciel). Ce mundus, de connotation féminine, symbolise, dans la ville, à la fois le centre du monde (dans l'espace) et son origine (dans le temps). La ville - ce fut notamment le cas de Rome - se trouve ainsi assurée dans un ordre cosmique, celui-là même dont elle est à la fois la source et la garante. AUGUSTIN BERQUE..ECOUMENE.
Le modèle de l'habitation Tamberma est justtement la forme circulaire. Ce qui traduirait par la forme, l'idée d'un centre d'univers. Elle est composée d'une série de cercles, concentriques en ce qui concerne le rapport entre la chambre circulaire des ancêtres au centre et le grand cercle englobant, ou non concentriques en ce qui concerne le chaînon d'assemblage des autres pièces, elles-mêmes rondes Chez les Tamberma, comme dans de nombreuses traditions, la création du monde débute par un centre, c'est pourquoi elle se développe autour de la chambre appelée aussi « maison » des ancêtres..
L'habitation Tamberma revêt un caractère cosmogonique puisqu'elle représente symboliquement l'univers tout entier : chaque étage correspond à un niveau cosmique, les terrasses supérieures étant identifiées aux deux. Le symbolisme du centre y est très marqué. Toute l'habitation est ainsi une reconstruction du monde.
Dans la Poétique De L'espace, Bachelard rêve et médite sur le « rond, citant Jaspers : « l'être est rond ».il ne s'agit pas pour lui de géométrie « la sphère du géomètre est la sphère vide ; il ne traite que des surfaces qui limitent » ;Mais de ce que suscite l'image de la rondeur. Et il cite Rilke et les Poèmes Français dans sa « voyance » de l'arbre et de sa rondeur.
Mais le poète reprend le rêve de plus haut. Il sait que ce qui s'isole s'arrondit, prend la figure de l'être qui se concentre sur soi. Dans les Poèmes français de Rilke, tel vit et s'impose le noyer. Là encore autour de l'arbre seul, milieu d'un monde, la coupole du ciel va s'arrondir suivant la règle de la poésie cosmique. Page 169, on lit :
"Arbre, toujours au milieu
De tout ce qui l'entoure
Arbre qui savoure
La voûte entière des cieux."
Bien entendu, le poète n'a sous les yeux qu'un arbre de la plaine ; il ne songe pas à un ygdrasil légendaire qui serait à lui seul tout le cosmos en unissant la terre et le ciel. Mais l'imagination de l'être rond suit sa loi : puisque le noyer est, comme dit le poète, « fièrement arrondi », il peut savourer « la voûte entière des cieux ». Le monde est rond autour de l'être rond.
Et de vers en vers, le poème grandit, augmente son être. L'arbre est vivant, pensant, tendu vers Dieu
« C'est seulement pour autant que l'homme de cette manière mesure et aménage son habitation qu'il peut être la mesure de son être [...] car l'homme habite en mesurant d'un bout à l'autre le "sur la terre" et le "sous le ciel". » HEIDEGGER.ESSAIS ET CONFERENCES.
« Or l'être humain est un être géographique. S'il ouvre à l'absolu, ce dont les diverses cultures ont des visions différentes, il est d'abord, et nécessairement, déterminé par une certaine relation à ce qui fait l'objet de la géographie : la disposition des choses et du genre humain sur la terre, sous le ciel. Cela qui constitue le là et l'il-y-a sans lesquels il ne saurait y avoir d'ontologie ; faute, pour commencer, d'êtres humains pour en jaser. »…
…« J'appelle cela l'écoumène, en rendant au vieux terme grec oikoumenê son genre féminin, qui en fait à la fois de la terre et de l'humanité : ce en quoi la terre est humaine, et terrestre l'humanité.
. Oikoumenê vient d'oikeô, habiter. Cette étymologie est la même que celle d'écologie et d'économie. Les auteurs grecs emploient le terme soit seul, comme substantif, soit comme qualifiant dans le même sens fondamental de «terre habitée», par opposition aux déserts; Pour la géographie moderne, écoumène signifie «partie de la terre occupée par l'humanité» (. .. Ma propre conception de l'écoumène dérive de la notion de milieu (humain), celle-ci étant définie comme la relation d'un groupe humain à l'étendue terrestre.
L'écoumène, c'est l'ensemble et la condition des milieux humains, en ce qu'ils ont proprement d'humain, mais non moins d'écologique et de physique.
C'est cela, l'écoumène, qui est pleinement la demeure (oikos) de l'être de l'humain. La prendre en considération, comme on le voit, c'est s'opposer à la philosophie qui a pu prétendre localiser la demeure de l'être dans le langage ; ainsi que s'opposer aux sciences trop étroitement humaines qui, à leur manière, ont assumé ce parti, et ce faisant ont sevré la culture de la nature... alors même qu'elles ne pouvaient nier l'inhérente animalité de notre corps ! - l'effet de cette contradiction coupant derechef l'être de l'humain en deux, comme le dualisme l'avait déjà coupé des choses de l'existence.
Répétons ici que l'écoumène est une relation : la relation à la fois écologique, technique et symbolique de l'humanité à l'étendue terrestre. Elle ne se borne donc pas à la matérialité de l'étant physique ni à celle de sa population humaine - toutes choses que nous savons mesurer depuis belle lurette. L'écoumène, c'est nécessairement cela, mais c'est aussi, et non moins nécessairement, le déploiement existentiel qui se poursuit en chaque être humain, et qui de ce fait a toujours excédé la définition géométrique des corps. L'écoumène est donc à la fois mesurable et incommensurable. Tout comme la terre, à l'horizon, se conjoint au ciel, notre être s'étend au delà du bout de nos doigts, pour atteindre les antipodes, la planète Mars, et toujours plus loin encore, jusqu'aux confins de l'Univers. »AUGUSTIN BERQUE .ECOUMENE..INTRODUCTION A L'ETUDE DES MILIEUX HUMAINS.BELIN
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« L'espace habité est évidemment une construction sociale. Étudier celui dans lequel vivaient les peuples de la forêt amazonienne révèle comment il était organisé en cohérence avec leur économie mais aussi leurs relations de parenté, la répartition des tâches selon les sexes et plus généralement leur rapport au cosmos. Sans aller aussi loin dans l'espace et dans le temps, et sans être anthropologue, on observe que l'organisation traditionnelle du logement dans les pays arabo-musulmans ou asiatiques pour ne citer qu'eux, diffère de celle de la France, de même que les comportements dans l'espace public sont très différents.
Qu'est-ce qui préside à la distribution des pièces dans un logement, à l'orientation d'une entrée à l'est, au fait de laisser ses chaussures à l'entrée ? Qu'est-ce qui guide le tracé d'une ville nouvelle ou le décor d'un balcon ?
C'est ce que met en évidence une démarche anthropologique qui derrière la banalité trompeuse de configurations apparemment proches, fait ressurgir des univers entiers qui participent des identités collectives. Les dimensions qui les composent (ouvert/fermé, dehors/dedans, devant/derrière, haut/bas, clair/obscur, proche/lointain mais aussi propre/sale, pur/impur, public/ privé...) ont des significations qui n'en finissent pas de se décliner selon les cultures.MARION SEGAUD. ANTHROPOLOGIE DE L'ESPACE.ARMAND COLIN
Nous habitons tous quelque part, mais la localisation n'est jamais neutre, dans aucune société. Il n'est pas indifférent de parler d'une demeure ou d'un logis, d'une résidence ou d'une maison, d'un logement ou d'une habitation et que les mots forment autant de repères pour situer spatialement et socialement les occupants. À travers ces mots ce sont les multiples dimensions de l'habiter qui défilent. Ainsi que le souligne C. Levi-Strauss, ,une société ou une culture n'est pas faite de pièces et de morceaux, elle constitue un univers de règles gui se répondent dans des domaines et à des niveaux différents « le mot culture désigne non seulement les traditions artistiques, scientifiques, religieuses et philosophiques d'une société, mais encore des techniques propres, ses coutumes politiques et les mille usages qui caractérisent sa vie quotidienne ». « Le fond intime de la vie sociale est un ensemble de représentations collectives ». Celles-ci symbolisent la structure d'un groupe social, la manière dont il réagit en face de tel ou tel événement, le sentiment qu'il a de lui-même, des autres ou de ses intérêts
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« Le nommer, comme nous le faisons quotidiennement en puisant dans le lexique disponible ou en nous risquant à détourner ou inventer un terme (un "petit nom"), c'est non seulement reconnaître un lieu, mais se l'approprier, lui donner consistance en le faisant sien, lui prêter un sens, le produire en quelque sorte. C'est réactiver une signification, en réitérant celle, largement partagée, que la société a fixée ou s'en écarter pour une nouvelle, voire pour une plus ancienne maintenue à contre-courant de l'évolution des usages Une cuisine n'est pas une salle à manger. Un mot peut indiquer une fonction (à quoi cela sert : cuisiner, manger), un type d'activité ou de relation sociale (manger avec des invités, en famille). Et il le fait soit explicitement - dans une "salle à manger" on est censé manger (sans que soit précisée en quelle compagnie) -, soit par associations, par superpositions de couches diverses de signification, en impliquant une ou plusieurs affectations possibles, voire préférentielles, comme c'est le cas pour des termes plus génériques : à l'âge classique, "salle" et "cabinet" s'appliquent à des pièces dont non seulement la taille mais l'usage social diffèrent. ».J.CH.Depaule Manières D'habiter .Communications.
L'habitation, entendue comme construction, est bien sûr l'objet de nombreuses études à caractère scientifique : (traités, relevés ethnographiques, etc.), elle figure aussi dans les récits et description de voyages mais au XXème siècle on commence à s'interesser à une notion tout autre : L'HABITER .Cette notion plus phénomènologique est un fait anthropologique qui consiste à tracer un rapport à un territoire, dans l'espace et le temps de manière à pouvoir s'y identifier. Il s'exprime à travers les activités pratiques dans des objets meubles et immeubles ; il se saisit par l'observation et par le langage (la parole de l'habitant comme dit précedemment ). Habiter ne se conçoit pas pas de la même manière selon les époques, les cultures, les genres, les âges de la vie ; il y a donc un phénomène général l'habiter mais de multiples manières d'habiter (nos sociétés y voient le lien entre un individu et un lieu ; les sociétés traditionnelles , celui entre le groupe et le lieu.
Puisque qu'habiter dépasse la description fonctionnaliste de l'habitation (on pourrait dire de l'objet maison) ,il faut ici de nouveau entendre G.BACHELARD et sa Poétique De L'Espace..
Le philosophe recherche lui « l'essence» de la maison ,il y voit comme une sorte de « topographie » de l'être intime et profond de chacun qu'il dégage à travers le souvenir toutes les maisons que nous avons habités, ou de celles qui ont hantés nos rêves.il s'agit donc surtout de saisir un espace vital et comment « nous nous enracinons dans un coin du monde. »
« Nous verrons, dans le cours de notre ouvrage, comment l'imagination travaille dans ce sens quand l'être a trouvé le moindre abri : nous verrons l'imagination construire des « murs » avec des ombres impalpables, se réconforter avec des illusions de protection — ou, inversement trembler derrière des murs épais, douter des plus solides remparts. Bref, dans la plus interminable des dialectiques, l'être abrité sensibilise les limites de son abri. Il vit la maison dans sa réalité et dans sa virtualité, par la pensée et les songes.
« La maison est une des plus grandes puissances d'intégration pour les pensées, les souvenirs et les rêves de l'homme [...] Dans cette intégration le principe liant, c'est la rêverie. Le passé, le présent et l'avenir donnent à la maison des dynamismes différents, des dynamismes qui souvent interfèrent... La maison dans la vie de l'homme évince les contingences, elle multiplie ses conseils de continuité. Sans elle l'homme serait un être dispersé. Elle maintient l'homme à travers les orages du ciel et les orages de la vie. Elle est corps et âme. Elle est le premier monde de l'être humain. »G.Bachelard op.cité
La maison apparaît comme un « microcosme social », un monde culturel, un véritable conservatoire des pratiques symboliques. Dans ce domaine, il y a évidemment les travaux de Pierre Bourdieu notamment son analyse de la maison kabyle.où la maison est prise comme un cosmos en miniature qui permet de reconstruire le système socialement constitué et qui organise la perception du monde et l'action, à un moment donné.
« L'espace habité - - et au premier chef la maison — est le lieu privilégié de 'l'objectivation des schèmes générateurs et, par l'intermédiaire des divisions et des hiérarchies qu'il établit entre les choses, entre les personnes et entre les pratiques, ce système de classement fait chose, inculque et renforce continûment les principes du classement constitutif de l'arbitraire culturel. Ainsi, l'opposition entre le sacré droit et le sacré gauche, entre le nif et le h'aram, entre l'homme, investi de vertus protectrices et fécondantes, et la femme, à la fois sacrée et chargée de vertus maléfiques, se trouve matérialisée dans la division spatiale entre l'espace masculin, avec le lieu d'assemblée,
le marché ou les champs, et l'espace féminin, la maison et son jardin, refuges du h'aram ; et, secondairement, dans l'opposition qui, à l'intérieur de la maison elle-même, distingue les régions de l'espace, les objets et les activités selon leur appartenance à l'univers masculin du sec, du feu, du haut, du cuit ou du jour ou à l'univers féminin de l'humide, de l'eau, du bas, du cru ou de la nuit. Le monde des objets, cette sorte de livre où toute chose parle métaphoriquement de toutes les autres et dans lequel les enfants apprennent à lire le monde, se lit avec tout le corps, dans et par les mouvements et les déplacements qui font l'espace des objets autant qu'ils sont faits par lui.. Les structures qui contribuent à Ja construction du monde des objets se construisent dans la pratique d'un monde d'objets construits selon les mêmes structuresL'habitus est une métaphore du monde des objets qui n'est lui-même qu'un cercle infini de métaphores se répondant mutuellement ». P.BOURDIEU .LE SENS PRATIQUE. MINUIT.
L'exemple ici développé concernera l'architecture des Batâmmariba et plus exactement ceux du Togo, les Tamberma.(cf. article précédent).On a qualifié cette architecture de vernaculaire (populaire) puisqu'elle se définit comme un art (au sens ancien de talent ) du groupe social et de certains individus membres , de concevoir et de construire son environnement vital. Cette singularité s'exprime dans la multiplicité et la complexité des rapports qu'entretient la société avec le milieu physique dans lequel elle vit. Les Tamberma extraient de leur environnement la majeure partie des ressources vitales qui leurs sont nécessaires.
« Après avoir connu une existence d'éleveurs semi-nomades dont il est impossible d'évaluer la durée, les Batâmmariba, estime l'anthropologue Paul Mercier, se sont installés par vagues successives entre le XVIe et le XVIIIou XIXe siècle dans le massif et la vallée de l'Atakora, au nord du Bénin et du Togo, zone refuge pour de petites sociétés sans chefferie centralisée, fuyant l'emprise des grands royaumes, notamment Mossi et Mampursi de l'actuel Burkina Faso.
Appelés Somba au Bénin, où ils sont les plus nombreux (250000 habitants), Tamberma au Togo (environ 20000 habitants), ils forment une société clanique d'éleveurs agriculteurs, composée de sous-groupes, nuancés au niveau rituel ou linguistique, ce qu'avaient déjà remarqué en 1950 Paul Mercier et Albert Maurice, militaire à Natitingou, et dans une moindre mesure dès 1909, l'ethnologue allemand Léo Frobenius au Togo. Les Batâmmariba se définissent par l'acte d'édifier des forteresses ou takyiènta à l'architecture raffinée. Leur mode de construction, dont on ne trouve nulle part l'équivalent, continue d'intriguer les observateurs. De même reste énigmatique le lieu de leur origine, Dinaba, « situé vers le nord», qu'ils se refusent à divulguer. «À Dinaba nos ancêtres construisaient déjà des takyiènta », affirment les anciens. Pendant les longues années ou siècles de leurs migrations, les Batâmmariba, dont le nom (au singulier, Otâmmari) signifie « ceux qui malaxent la peau fine de la terre pour façonner un contenant épousant le contenu», auraient conservé le plan de leurs takyiènta dans leur tête. Des jeunes gens de Warengo me l'ont confirmé en me donnant cet exemple : « Si l'un de nous émigrait en France, ses descendants oublieraient-ils comment construire une takyiènta?» L'Atakora, arrosée par des sources, protégée par de hautes gorges et précipices, apparut à leurs ancêtres comme un havre de paix. Là, ils pourraient à nouveau construire leurs takyiènta, et en toute liberté, vivre selon leur « manière d'être ». Ne donnèrent-ils pas le nom de Dinaba au premier lieu de leur installation, situé au Bénin, avant que les différents sous-groupes ne se dispersent vers l'est et le sud ? DOMINIQUE SEWANE.LES BATAMMARIBA.LE PEUPLE VOYANT.
Ils ont ainsi développé au fil du temps une architecture fortement territorialisée, en relation intime avec le sol, le climat, construite avec des matériaux extraits de l'environnement, et fortifiée par les êtres invisibles qui peuplent leur univers de croyances et de traditions. Elle garde encore de nos jours un caractère vivant (quoiqu'en régression), parce que facteur de stabilité dans le temps.Cependant, malgré l'inertie relative des formes de pensée et des productions bâties, la société Tamberma est bien sûr le lieu de l'affrontement entre les facteurs de maintien et les facteurs de changement qui secoue l'Afrique. La maison concentre sans doute les principaux facteurs de résistance d'une cohésion antérieure de cette société. Mais elle doit lutter contre la dégradation et tout ce qui, dans un monde en marche, remet en cause le modèle primordial. À l'opposé, les facteurs de changement exogène proviennent de la scolarisation des jeunes et du développement récent du tourisme, tous deux porteurs d'aspirations nouvelles,et d'ouverture sur l'extérieur. Seulement, ces jeunes générations n'ont guère pour leur malheur que le choix de l'exode à la ville et ses bidonvilles.
Le territoire villageois des Tamberma est complexe à définir, tant ses limites matérielles et immatérielles sont entremêlées. Il comprend ses habitations, ses champs, ses puits, sa fontaine ses cimetières claniques, son sanctuaire initiatique et ses lieux sacrés. Il n'a pas de limites fixes ni matérialisées. Le village est d'abord le lieu où se déroulent les activités quotidiennes des Tamberma, dont les plus importantes sont celles qui sont en rapport avec la production et la cohésion sociale du groupe. Ce sont en l'occurrence les travaux collectifs de construction, les activités agricoles, les fêtes et les cérémonies rituelles. Les habitants y sont en général unis par des liens qu'ils qualifient eux-mêmes de familiaux, car ils descendent d'un même ancêtre. Le village est considéré à ce titre comme le lieu par excellence où l'individu peut vivre et évoluer. Il est également le cadre de tout le système de valeurs propres à la société. S'en éloigner revient à s'éloigner non seulement de ses proches, mais aussi de ses protecteurs.
Le territoire villageois comporte des lieux sacrés considérés comme le domaine réservé des esprits, essentiels dans le système de représentation des Tamberma. Ils peuvent être situés dans le village, mais aussi en périphérie. Dans la pratique des Tamberma, la périphérie correspond à des espaces physiques, invisibles depuis l'habitation. Ces espaces regroupent principalement les terres de culture et aussi les réserves foncières villageoises. Les lieux sacrés qui s'y trouvent sont facilement reconnaissables dans les champs. Ils se présentent comme des îlots de végétation sauvage qui ont été épargnés par les cultures
Ce paysage d'habitat dispersé, de sikyièn( pluriel de tékyênté) distantes de 100 à 400 mètres, séparées de petites brousses, n'est pas la conséquence d'un individualisme exacerbé, mais d'espaces incultes dévolus aux dibo, esprits souterrains, abrités dans des autels construits à leur intention. Le territoire de cette communauté est marqué par ces esprits qui se manifestent dans ns des sites naturels - source, arbuste, pierre, termitière - qu'il faut savoir décrypter. Ces manifestations appartiennent la peau profonde, épaisse de la terre, qui s'oppose à la peau fine, asséchée par le vent ou le soleil : ce sont le derme et l'épiderme de la terre. Ainsi, les Tamberma ou Batâmmariba, ceux qui construisent en pétrissant la terre humide, sont associés par leur nom même à la terre qu'ils pétrissent. L'architecture des sikyièn est très élaborée ; de hauts greniers tournés vers l'ouest encadrent le corps principal du bâtiment. Les Batâmmariba sont les seuls à construire de telles habitations dans l'Atakora.
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L'organisation et sa configuration du village repose en fait sur deux clans, « clan noir », et de l'autre un « clan rouge ». dont l'origine est exposée dans les mythes de création. Kuiyé, l'être solaire , a créé le monde à Dinaba (article précédent). Dans ce village, il créa également les deux premiers hommes, qui devinrent ses fils. L'aîné est le «fils noir », et le cadet le « fils rouge ». Afin de pouvoir garder un œil sur ses enfants dans le but de les protéger, Kuiyé leur fit construire leurs maisons devant la sienne, respectivement l'aîné à gauche et le cadet à droite. Ces maisons sont distantes d'une cinquantaine de mètres l'une de l'autre, et également de celle du créateur.
L'ethnologue P. Mercier lie cette configuration avec les données historiques relatives à la direction qui a caractérisé les dernières migrations des Bétammariba (du couchant vers le levant). Ce mouvement migratoire serait devenu selon lui un modèle historique pour ce peuple, et aussi pour ceux qui - par la même occasion - se sont fait refouler par les nouveaux venus. C'est pour cette! raison qu'il souligne que « l'axe ouest-est ne pose pas seulement une divisiom entre deux moitiés de l'espace, il est aussi un axe de marche, le pays se fait dansl une expansion continue ». Comme dit par le mythe .chaque village Tamberma est considéré comme la reproduction du village mythique originel de Dinaba, et par conséquent l'évocation de l'installation des premiers hommes sur la terre. Et, à l'instar de Dinaba, la maison-clanique, c'est-à-dire celle qui recèle les biens considérés comme faisant partie du patrimoine clanique, est souvent implantée la première, à l'endroit que l'on pourrait considérer comme étant la limite est ou arrière du village.
Les autres maisons, celles des descendants de l'ancêtre du sous-groupe clanique, sont construites à l'ouest de celle-ci (c'est-à-dire devant, plutôt qu'en face, si l'on se réfère toujours au mythe de la création de Dinaba par Kuiyé et ses enfants). Une hiérarchie dans l'organisation du village est respectée. On pourrait la comparer à celle qui gère le statut social, qui ne serait que le reflet de l'organisation du village. Le plan du village tamberma serait ainsi le symbole de la mise en ordre sociale de la communauté villageoise.
L'habitat tamberma, takyenta ou tékyênté condense toutes les formes de l'habiter,réel, technique et symbolique à la fois.
« L'habitat du groupe familial Tamberma se compose d'un groupe de maisons correspondant aux différentes unités domestiques qui s'y rattachent. Elles sont situées les unes par rapport aux autres dans un ordonnancement spatial codifié par la localisation du tèkyêntè ancestral, la maison-mère pourrait-on dire, celle qui détient les attributs et le patrimoine rituel du groupe, la maison clanique.
Le terme de tèkyêntè sert à nommer la maison tamberma, en tant qu'édifice construit habité par un groupe domestique mononucléaire dans la majorité des cas, mais aussi l'ensemble des éléments qui participent au fonctionnement du groupe familial. Il se compose d'un agencement d'espaces différents qui composent l'habitat tamberma. Ils peuvent être classés en trois catégories. La première représente l'édifice construit (nommé tèkyêntè). La seconde est l'espace compris entre les différentes maisons et l'espace directement environnant, qu'ils appellent « cour » même s'il s'agit d'un espace ouvert sans délimitation autre que l'aire des pratiques domestiques. C'est là que se déroulent la plupart des activités et des relations quotidiennes caractérisant la vie du groupe familial.
La troisième enfin est l'espace constitué par les champs cultivés par les femmes, dits « de proximités », car ils s'étendent en forme de deuxième ceinture autour de la cour et des maisons. L'habitat tamberma, le tèkyêntè, se réfère donc à la fois au groupe domestique qui habite la maison, à la maison d'habitation elle-même, et au groupe d'habitations correspondant aux maisons et aux espaces directement environnants nécessaires à la vie du groupe familial élargi. Il comporte des lieux de vie, des lieux de production et des lieux rituels et sacrés.
Parmi toutes les composantes de l'espace tamberma, le tèkyêntè, en tant qu'édifice construit, est l'élément de très loin le plus important et aussi le plus intéressant à analyser, tant la complexité de ses multiples dimensions est extrême. Sur le plan architectural, il constitue la construction domestique vernaculaire la plus élaborée de tout le Togo et même l'une des plus remarquable de l'Afrique de l'Ouest. Réalisé en terre, en bois et en paille, des matériaux provenant de son environnement immédiat, il se présente comme un édifice assez compact, qui s'organise sur un plan circulaire ou elliptique. 11 comporte un ensemble de tourelles reliées les unes aux autres par des murs curvilignes. L'ensemble constitue un bloc à entrée unique qui s'organise sur deux niveaux, ce qui lui donne l'allure d'une forteresse. »G.H. PADENOU.M.BARRUE-PASTOR ARCHITECTURE SOCIETE PAYSAGE BETAMMARIBE DU TOGO.PRESSE UNIVERSITAIRE DU MIRAIL
Le nom de l'ethnie, comme nous l'avons déjà vu, porte en lui-même la caractéristique principale du peuple Tamberma. mot composé du préfixe Ba (Bé), désignant le peuple. Ta évoque titati, la terre humide utilisée pour construire. Ma vient de kama qui signifie créer, construire ou délimiter. Et enfin est un qualificatif signifiant beaucoup ou vrai. Ce qui confirme la traduction qui est habituellement faite du vocable, « les vrais maçons ».
La maison tamberma va ainsi constituer un modèle réduit du monde,un espace à la fois quotidien et sacré, total au sens du phénomène total de M.Mauss, mettant en relationl'homme la nature ,la culture et enfin la cosmogonie..Y coexistent l'utilitaire et le symbolique, le féminin et le masculin, les vivants et les morts. Elle se situe ainsi au centre de l'univers Tamberma.
« La maison bétammaribé est une construction qui a la particularité d'être caractérisée par un statut social et rituel. Ce statut est signalé par quelques indicateurs visibles de l'extérieur, tels que la taille et les autels situés devant la porte d'entrée. En effet, parmi le groupe de maisons associées à une même famille, une seule est considérée comme la première maison de la famille (la maison ancestrale), sa taille est plus importante ainsi que le nombre de ses autels. Elle abrite les objets de culte familiaux, et centralise les cérémonies qui regroupent la famille entière.
Les greniers et les autels font partie des éléments remarquables permettant de différencier les maisons d'un même groupe d'habitations. Nous avons identifié trois types de greniers, qui ont été classés en fonction de leur forme, de leur disposition et de leur utilisation. Ainsi pouvons-nous distinguer les greniers intégrés à l'édifice lui-même, qui sont les deux greniers caractéristiques de la maison tamberma. Ils contiennent les cultures les plus importantes soit le fonio et le sorgho. Ensuite, des greniers indépendants de la maison, disposés au sol autour du tèkyêntè. Ils contiennent des cultures moins prisées et cependant nécessaires dans l'alimentation, telles que le haricot (Vigna unguiculata), l'arachide (Arachis hypo-gaea L), le voandzou (Voandzeia subterranea Thu.). Ces cultures y sont conservées dans de la cendre. Comme ces greniers sont installés au sol, le mélange des produits de la récolte à la cendre permet de limiter et même de circonscrire le risque d'attaque par les rongeurs et les insectes. Enfin les greniers abrités dans la maison qui sont des sortes de jarres de forme allongée, hautes d'à peu près quatre-vingts centimètres. En forme de fuseau, ces greniers contiennent les cultures que l'on consomme le plus fréquemment, en l'occurrence le maïs et le riz. Les greniers les plus importants sont, du point de vue de la forme et de la contenance, ceux disposés sur la toiture-terrasse du tèkyêntè. Leur importance leur vient aussi des pratiques rituelles codifiées qui leur sont consacrées.
Les autels se présentent comme des monticules en terre de forme galbée, de différentes hauteurs, placés devant l'entrée des maisons. La plupart de ces autels portent les traces des offrandes faites pour honorer les êtres qu'ils représentent.
Il existe plusieurs types d'autels. Les autels personnels dédiés aux membres encore en vie du groupe domestique, ce sont ceux que l'on trouve systématiquement devant toutes les maisons habitées. Les autels des esprits ou des divinités, ainsi que les autels des ancêtres, caractérisent seulement quelques-unes des maisons, notamment la maison ancestrale. Les différents types d'autels se différencient par leur fonction spirituelle, ainsi que leur spatialisation par rapport au tèkyêntè.
La cour du tèkyêntè est un espace ouvert, ou plutôt un ensemble d'espaces organisés autour de la maison, et dont les fonctions sont multiples. Ces espaces, qui accueillent les activités liées à la vie du groupe familial, sont ponctuellement mis en relation avec l'activité de production. C'est dans la cour que se localise le koufikou. C'est un abri, la plupart du temps fait de branchages posés sur des poteaux en bois dur (boussi, boukoutikon, bsam), ouvert et de faible hauteur. Cette construction offre un coin d'ombre où se repose la famille pendant les heures les plus chaudes de la journée. Le koufikou ressemble assez au togouna des
construit de la même manière, avec des poteaux fourchus. Un adulte ne peut pas s'y tenir debout. Des troncs, portés par d'autres troncs disposés transversalement ou par des têtes de poteaux fourchus, sont arrangés en bancs et permettent de s'y asseoir et même de s'y prélasser allongé. Le toit plat de koufikou offre un lieu supplémentaire pour le séchage. Y sont disposés la plupart du temps les cabosses de fruits de baobab, de même que la paille fraîchement coupée »G.H. PADENOU.M.BARRUE-PASTOR.op.cite.
L'anthropologie de l'espace (topologie sociale) n'est pas la une simple description des lieux.Elle se penche au contraire sur les faits d'organisation de l'espace, là où les cultures produisent des « lieux » porteurs de sens et des arrangements topologiques, signes d'une très grande créativité. L'objet de cette science humaine est donc de s'interroger sur la manière dont les diverses cultures envisagent leur relation avec leur milieu. Comment par exemple, ces relations se traduisent par divers dispositifs architecturaux.
« Le géographe, l'ethnographe, peuvent bien nous décrire des types très variés d'habitation. Sous cette variété, le phénoménologue fait l'effort qu'il faut pour saisir le germe du bonheur central, sûr, immédiat. Dans toute demeure, dans le château même, trouver la coquille initiale, voilà la tâche première du phénoménologue.
. Il faut donc dire comment nous habitons notre espace vital en accord avec toutes les dialectiques de la vie, comment nous nous enracinons, jour par jour, dans un « coin du monde ». Car la maison est notre coin du monde. Elle est — on l'a souvent dit — notre premier univers. Elle est vraiment un cosmos. Un cosmos dans toute l'acception du terme. Vue intimement, la plus humble demeure n'est-elle pas belle ? Les écrivains de « l'humble logis » évoquent souvent cet élément de la poétique de l'espace. Mais cette évocation est bien trop succincte. Ayant peu à décrire dans l'humble logis, ils n'y séjournent guère. Ils caractérisent l'humble logis en son actualité, sans en vivre vraiment la primitivité, une primitivité qui appartient à tous, riches ou pauvres, s'ils acceptent de rêver.
Ici, en effet, nous touchons une réciproque dont nous devrons explorer les images : tout espace vraiment habité porte l'essence de la notion de maison. Nous verrons, comment l'imagination travaille dans ce sens quand l'être a trouvé le moindre abri : nous verrons l'imagination construire des « murs » avec des ombres impalpables, se réconforter avec des illusions de protection — ou, inversement trembler derrière des murs épais, douter des plus solides remparts. Bref, dans la plus interminable des dialectiques, l'être abrité sensibilise les limites de son abri. Il vit la maison dans sa réalité et dans sa virtualité, par la pensée et les songes.
Dès lors, tous les abris, tous les refuges, toutes les chambres ont des valeurs d'onirisme consonnantes. Ce n'est plus dans sa positivité que la maison est véritablement « vécue », ce n'est pas seulement dans l'heure qui sonne qu'on en reconnaît les bienfaits. Les vrais bien-êtres ont un passé. Tout un passé vient vivre, par le songe dans une maison nouvelle. La vieille locution : « On y transporte ses dieux lares » a mille variantes.. Ainsi la maison ne se vit pas seulement au jour le jour, sur le fil d'une histoire, dans le récit de notre histoire. Par les songes, les diverses demeures de notre vie se compénètrent et gardent les trésors des jours anciens.» G.BACHELARD LA POETIQUE DE L'ESPACE.PUF.
Divers travaux concernent à cet effet les Ba-tammariba(ou Batammariba), tribu jusqu'ici préservée du Togo et du Benin. Il faut citer en particulier ceux de l'ethnologue DOMINIQUE SEWANE. Depuis l'âge de 20ans elle a accompli huit missions solitaires chez les TAMBERMA, (nom de l'ethnie au Togo) et leur a consacré de multiples publications. On peut citer, les « BATAMMARIBA, PEUPLE VOYANT », Carnets D'une Ethnologue, La Martinière. « LE SOUFFLE DU MORT », Terre Humaine Plon. « LA NUIT DES GRANDS MORTS ». L'initiée et l'épouse chez les Tamberma du Togo.
Elle fut en effet la seule femme à assister aux cérémonies les plus occultes (rituels funéraires dont elle a tiré un film, aussi l'initiation des garçons et des filles).En 2002, suite à son rapport, KOUTAMMAKOU, le pays des batammariba au Togo fut classé site du patrimoine de l'Unesco et Dominique Sewane devint, dans cette institution, titulaire de la chaire « Du Rayonnement De La Pensée Africaine ». Elle participe également à des travaux du « Cercle D'études Arctiques de JEAN MALAURIE .
« Mon illustre prédécesseur, Paul Mercier avait révélé en 1950 l'originalité de leur organisation sociale, modèle de démocratie et de tolérance. Je rencontrais un peuple fier, d'une extrême prudence quant à l'expression de la parole. Comme en toute société africaine, un maître du savoir ne dit pas tout, à n'importe qui, n'importe quand. « Comment, après quelques mois passés chez un peuple dont vous soulignez la réserve, avoir l'ambition de saisir une pensée aux racines millénaires? » m'avait demandé Jean Malaurie. Je devais retourner chez eux et m'astreindre à tenir un journal de terrain, lequel, tout en reflétant la personnalité de l'observateur, permet d'éviter l'écueil de la généralisation abusive….
Pourquoi une ethnologue africaniste, accueillie depuis les années 1980 par les Tamberma du Togo, qui arpente les sentiers des monts et de la vallée de l'Atakora sous des températures voisines de 40 ou 45°, a-t-elle rejoint au Centre d'Études Arctiques des chercheurs œuvrant sur les glaces du nord canadien, sibérien ou du Groenland, sous des températures de - 50, parfois -70° ? Pourquoi suis-je revenue, depuis 1985, suivre les séminaires que dirige Jean Malaurie en compagnie d'autres scientifiques venant des horizons les plus divers : médecine, droit, philosophie, préhistoire, archéologie, géographie ? Car, selon le vœu de Jean Malaurie, le Centre est essentiellement interdisciplinaire, il multiplie les regards croisés. L'enseignement centré sur l'anthropogéographie a donné une impulsion imprévue à mes propres recherches.
Essayer d'atteindre au plus près le sens des mots ou métaphores utilisés par une société pour faire allusion à une expérience rare, de type religieux : œuvre de longue haleine qui appelle à l'humilité, la constante révision de ses notes, une observation renouvelée des faits, rappelle Jean Malaurie. C'est cela que j'ai essayé de mettre en pratique à chacune de mes missions chez les Tamberma, prenant conscience de l'importance du détail, par conséquent du soin et de la précision apportée au carnet de terrain, point d'appui d'une réflexion ultérieure et garde-fou contre les extrapolations auxquelles se laissent trop souvent entraîner un ethnologue.
Cette approche tranche avec un esprit de système, né dans les années soixante, qui s'impose au sein de l'Université et des organismes de recherche. Ne voulant reconnaître comme fiable qu'une science à sens unique, prioritairement théoricienne, il éradique par la raillerie ou la calomnie des auteurs ou chercheurs situés en dehors de la ligne : Gaston Bachelard, Roger Bastide, Philippe Ariès… et pour finir, étouffe tout esprit créatif, induisant l'asservissement de la pensée. Exemples les plus récents : structuralisme, marxisme, voire freudisme, à présent déconstructionnisme : ainsi vont systèmes et théories. Un ethnologue s'intéressant au fait religieux, unique témoin de scènes rituelles dont, jusqu'ici, il n'a trouvé l'équivalent dans une autre société connue - je pense ici à mes propres recherches sur le rituel féminin des Tamberma - peut-il encore montrer l'assurance de ses aînés, prompts à construire des modèles théoriques à partir de faits partiellement observés, recueillis au cours de quelques mois ou années de terrain ? Le Centre m'a appris l'humilité du chercheur et, avant d'avancer une hypothèse, l'observation renouvelée, sans relâche des faits, tout en proposant ses interprétations à la libre discussion de spécialistes » .DOMINIQUE SEWANE.CERCLE D'ETUDES ARCTIQUES
L'administration coloniale qualifiait de Somba(les habiles maçons) un groupe socioculturel occupant la montagne et le pied de la châine de l'Atakora. au nord du Bénin et du Togo et d'une superficie totale d'environ 5 000 km. On distinguait ainsi les Betiabe, Batammariba, (singulier Otommari) et les Besorbe.. Bien que peu élevée (1000 m) la chaîne de l'Atakora a représenté une « zone-refuge » pour une mosaïque de peuples de langue voltaïque. Alors qu'au Bénin les ba-tammariba, (à peu près 250000), sont désignés sous le vocable « Somba », ils sont appelés Tamberma au Togo (au nombre de 20000). Le mot Tamberma est une déformation de «Ba- Tammariba » ou « Ceux qui construisent en pétrissant la terre humide ».
« ils forment une société clanique d'éleveurs agriculteurs, composée de sous-groupes, nuancés au niveau rituel ou linguistique, ce qu'avaient déjà remarqué en 1950 Paul Mercier et Albert Maurice, militaire à Natitingou, et dans une moindre mesure dès 1909, l'ethnologue allemand Léo Frobenius au Togo. Les Batâmmariba se définissent par l'acte d'édifier des forteresses ou takyiènta à l'architecture raffinée. Leur mode de construction, dont on ne trouve nulle part l'équivalent, continue d'intriguer les observateurs. De même reste énigmatique le lieu de leur origine, Dinaba, « situé vers le nord », qu'ils se refusent à divulguer. « À Dinaba nos ancêtres construisaient déjà des takyiènta », affirment les anciens. Pendant les longues années ou siècles de leurs migrations, les Batâmmariba, dont le nom (au singulier, Otâmmari) signifie «ceux qui malaxent la peau fine de la terre pour façonner un contenant épousant le contenu», auraient conservé le plan de leurs takyiènta dans leur tête. Des jeunes gens de Warengo me l'ont confirmé en me donnant cet exemple : « Si l'un de nous émigrait en France, ses descendants oublieraient-ils comment construire une takyiènta?» L'Atakora, arrosée par des sources, protégée par de hautes gorges et précipices, apparut à leurs ancêtres comme un havre de paix. Là, ils pourraient à nouveau construire leurs takyiènta, et en toute liberté, vivre selon leur « manière d'être ». Ne donnèrent-ils pas le nom de Dinaba au premier lieu de leur installation, situé au Bénin, avant que les différents sous-groupes ne se dispersent vers l'est et le sud ? Si les Batâmmariba refusent de situer Dinaba - révéler ce secret, disent les anciens, serait provoquer la mort de tous les Batâmmariba, et même de l'ensemble du genre humain - ni dire pourquoi et à quelle époque les ancêtres le quittèrent, aucun Otâmmari n'ignore comment leurs ancêtres faillirent être ensevelis dans « une matière molle » avant de mettre le pied dans l'Atakora. « Les Forgerons allumèrent leurs feux, durcirent la terre et nos ancêtres purent continuer leur route. » Dans ce récit, où se mêlent légende et réalité historique, il semble, estiment des historiens du Bénin tels que Koumba Koussey ou Emmanuel Tiando, que les Forgerons désignent ces peuples métallurgistes de haut niveau culturel qui ont précédé les Batâmmariba et peut-être d'autres populations de cette partie de l'Afrique. Ici, il s'agirait des Waba et de leurs sous-groupes, dont les uns savaient extraire le fer à l'aide de hauts fourneaux, d'autres le forger ».D. SEWANE.les BATAMMARIBA,PEUPLE VOYANT.
Tous ces peuples ont en commun la forme architecturale des « châteaux » ou TAKYENTA : des tourelles réunies par un haut mur d'enceinte, donnant un aspect de bâtiment fortifié. . Les takyiènta dotées d'un grenier sont caractérisées par une forme quasi sphérique surmontant une base cylindrique. Certaines possèdent des toits plats, d'autres des toits de chaume coniques . On les nomme aussi TATA vocable désignant en Afrique de l'ouest, un ouvrage architectural de nature défensive. On parle ainsi de Tata Somba ou T. Tamberma. Peut être à l'origine, un habitat de guerriers contre les animaux ou les invasions tribales, En fait cette architecture dépasse de loin cette vision simplement utilitaire. C'est un univers en miniature, un « lieu de sens », symbolique et religieux.. Les takyiènta sont regroupées en villages comprenant des espaces cérémoniels, des sources, des rochers et des sites réservés aux cérémonies d'initiation. Il y a donc une association étroite et spirituelle, une authentique harmonie entre la population et le paysage naturel.
La cellule de base est la petite takyiènta, réunissant un couple généralement monogame et deux à six enfants occupant l'habitation fortifiée portant, elle aussi, le nom de takyiènta. Le prestige du maître d'une petite takyiènta dépend de la quantité de ses récoltes de sorgho, mais aussi de fonio3. Le statut privilégié de ces deux céréales se lit dans l'espace qu'elles occupent dans la takyiènta. Une takyiènta à étage est remarquable par la symétrie de sa construction. Tournée vers l'ouest, formée de tours reliées par des pans de murs, les deux tours maîtresses sont les tours de support de deux greniers, gigantesques poteries d'argile recouvertes de chaume qui s'élèvent à chaque extrémité de la terrasse.
Au sud, le grenier masculin dans lequel, après l'unique récolte de l'année, sont engrangés sorgho, fonio et mil blanc4. Au nord, le grenier féminin où sont gardés condiments, fromages, céréales glanées par l'épouse. Dans la pièce du bas, toujours plongée dans l'ombre car réservée aux autels d'ancêtres, est (était) gardé pour la nuit le troupeau de vaches. Un autre lieu, tout aussi important, précède cette pièce : le vestibule, séparé en deux parties distinctes de part et d'autre de l'étroit couloir d'entrée, pans la partie nord, une table de terre supportant une meule dormante sur laquelle l'épouse écrase à sec les grains de sorgho (et de mil blanc) à l'aide d'une molette. Dans la partie sud, le trou à piler le fonio '. Il apparaît alors que la symétrie de la takyiènta et l'harmonie de ses formes sont dues à l'équilibre d'une architecture qui favorise aussi bien la protection des vivants et des souffles des morts, que la préservation et le traitement du fonio et du sorgho (et du mil blanc).D.SEWANE LE SOUFFLE DU MORT. TERRE HUMAINE.
Au Togo Les Tambermas, sont chasseurs, agriculteurs, éleveurs et vivent dans la région de la Kara (Préfecture de la Kéran), au nord-est. Leur territoire est limitée à l'est par la frontière bénino-togolaise et les monts Losso-Kabyè (monts du Togo), et à l'ouest par la plaine du fleuve Oti (encore appelée plaine de la Kara). Dans la région domine la savane de type soudanien, qui se développe sur des sols ferrugineux. Le climat est de type tropical sec caractérisé par une saison sèche et une saison pluvieuse. Parmi les plantes vivrières, les cultures prioritaires au niveau social et symbolique restent le sorgho,le , gros mil » et le fonio, une place particulière étant réservée au mil blanc ou « petit mil » .Les cultures secondaires, plus récentes, sont l'igname, le manioc, le riz, puis le haricot, la tomate, le gombo, les plantes à condiments, le tabac, enfin les produits de cueillette tels que noix de néré et de karité, mangues, fruits et feuilles de baobab.
Le peuple Tamberma vit en symbiose avec son environnement, son territoire, dont il tire toutes ses ressources vitales. Celui-ci est habité par les hommes, mais aussi leur âme, ainsi que leurs ancêtres et défunts, puis enfin les esprits protecteurs ou nuisibles. Sur le territoire tamberma, les lieux possèdent donc une force matérielle, et aussi une force vitale immatérielle.
La base de la société est le kunadakua, qui regroupe les takyiènta (maisons, familles) de plusieurs frères rassemblées autour de la takyiènta d'un père. La maison paternelle porte le titre de Vieille Takyiènta parce qu'elle possède l'autel d'une aïeule qui fait l'unité du kunadakua. A la mort du père, la maison est héritée par le fils benjamin1. Un village est formé de deux ou plusieurs clans, chacun subdivisé en un nombre variable de kunadakua. Un kunadakua, lieu mouvant reflète l'ambivalence de la société otâmmari, partagée entre un individualisme exacerbé et la volonté de maintenir la cohésion des « liens de maison » dont est garant l'autel de l'aïeule. Par la souplesse de leurs articulations, les kunadakua assurent la mobilité du groupe et sa faculté d'adaptation En principe, les maisons d'un kunadakua sont construites dans un même quartier, mais l'éloignement étant le garant d'une entente à long terme, les frères évitent souvent un voisinage trop étroit en bâtissant leur takyiènta à une certaine distance de la takyiènta paternelle. Que les maisons d'un même kunadakua soient ou non éloignées les unes des autres, l'entente des frères se cristallise autour d'un troupeau de bœufs.
Traditionnellement les villages n'avaient pas de chefs. Les vieux, les bèkotibè (pluriel de okoti) formaient le conseil (dieye )des anciens Il est vraisemblable que cette assemblée résultait de l'entente entre les diverses tribus ou les divers clans peuplant le village. Ces anciens étaient chargés de régler les affaires litigieuses qui survenaient au sujet des champs et des cultures, de l'installation des étrangers, des bagarres surgissant au cours des fêtes, des enlèvements de femmes, des histoires de bétail, etc. Un fait important est le grand âge des dignitaires en question, gage d'expérience et de connaissances, mais leur pouvoir dépend quand même étroitement de la cohésion socioreligieuse du groupe Cette manière de gérontocratie excluait les jeunes des délibérations. Il est difficile de distinguer l'étendue des pouvoirs des anciens et leur interpénétration réciproque du village au clan.. Certainement quelques-uns par leur courage et leur énergie réussissaient parfois à se créer de petits fiefs où leur autorité pouvait être à peu près respectée. Dans ce sens il est possible de parler de chefs et même de familles de chefs, mais pas de classes sociales bien tranchées ; la société est certainement en fait une des plus démocratiques qui soient. A cet égard, les soucis de prestige et d'hospitalité interviennent fortement pour rétablir quelque peu les inégalités de fait, d'autres fonctions sont religieuses : le rôle de « l'uboya » ( ou wadakônto) peut y être considéré comme ayant gardé ses caractères anciens. Chef religieux du clan, il garde certainement une grande autorité pour tout ce qui concerne les cérémonies religieuses et les coutumes de la collectivité, mais son pouvoir s'arrête là ; ce pouvoir étant, du reste, surtout visible lors des périodes de fête. L'uboya exerce les fonctions de gardien suprême du bosquet du difwani, lieu du rituel d'initiation des garçons. Il préside aux fêtes de la récolte, aux fêtes d'initiation et à celles de réparation et de purification
« La société tammari, dite sans État, sans chefferie, ne reconnaît que l'autorité religieuse des responsables des rituels initiatiques, choisis sur des critères éthiques, notamment discrétion et maîtrise de soi. La réputation « d'anarchique » ou « d'individualiste » que lui a faite à tort l'administration coloniale allemande, puis française, au début du siècle, vient de la méfiance quasi viscérale des Tammariba à l'égard de tout pouvoir centralisé, sans qu'ils remettent en cause une stricte hiérarchie entre Aînés et cadets basée sur le respect, et non sur une domination économique. Le kunadakua, cellule de base de la société, capable à tout moment d'éclatement et de refonte, est l'élément moteur qui empêche toute. sclérose ou stratificatio »n .D.S. OP.CITE
La question de l'origine des Ba-tammariba est un mystère qu'ils entretiennent soigneusement. D'un point de vue mythique, « ils sont les enfants du serpent» un python souterrain FEWAAFE qui a couvé les œufs d'où sortirent leurs premiers ancêtres. D'un point de vue historique aussi bien que mythique, ils se disent originaire de « DINABA » au Bénin, (le mot évoque le nom d'un roi Mossi). Mais ils se taisent résolument sur l'emplacement exact de ce lieu, sur l'histoire et même la signification exacte du nom. les Batammariba se seraient ainsi réfugiés dans la zone actuelle, venus du nord ou du nord-est du Burkina Faso pour mieux se protéger de la domination que cherchaient à imposer les royaumes des Mossis ou Gourmantché .Ils affirment avoir été jadis des éleveurs nomades, ou semi-nomades.
Il existe des mythes aux formes variées qui évoquent leur migration, ou se mêlent récits traditionnels et géographie. Ils racontent en gros que les batiatiba,un groupe maitrisant la technique de la métallurgie les auraient accueillis avec amitié et qu'il en serait résulté des mélanges ethniques. . On retrouve à travers ces mythes la trace d'une croyance au Déluge. La terre, à une époque, aurait été couverte d'eau et l'étendue liquide s'opposait à la progression des peuples en marche. Heureusement les « forgerons », allumant leurs feux et soufflant avec leurs soufflets, parvinrent à assécher la terre devant eux et permirent la suite du voyage . D'autres se trouvèrent bloqués dans une gorge de la montagne . Avec une corde, certains clans réussirent à franchir l'obstacle et à se hisser sur le plateau, ne permettant pas à leurs successeurs ; les uns et les autres sont demeurés ennemis traditionnels. Les derniers restèrent donc en bas et pour gagner leur habitat actuel ils auraient fait un détour, empruntant une autre route. L'ethnologue Paul Mercier un des précurseur de l'étude de ces peuples établit, dans Études Dahoméennes, que ces mythes traduisent en fait le mouvement réeel des migrations. Certains clans auraient ainsi franchi des chaines en des endroits abrupts,d'autres auraient suivi des vallées et traversés des marais.
On ne doit pas approcher des « fins dernières » : le lieu d'origine des premiers ancêtres, Dinaba « D'où sont sortis les Batàmmariba ? demanda à un okwoti l'historien béninois Noël Koussey. — De Dinaba, situé quelque part vers le nord. — Où se trouve Dinaba ? — Ces choses-là ne se disent pas, mon fils, si tu veux vivre longtemps ! »
« Sur Dinaba ne filtrent que ces informations : là virent le jour les premiers ancêtres, éclos d'oeufs, couvés dans la boue par le Serpent, lequel a non pas favorisé leur naissance, mais entouré de soins leurs premiers jours, leur permettant de survivre. C'est pourquoi les Batàmmariba se disent « enfants du Serpent ». Un Serpent femelle souterrain, invisible, dont l'élément est la terre humide. Dinaba est lié au nord, au Serpent, à la boue. La boue dans laquelle tout se décompose, se liquéfie et se régénère. La boue dans laquelle naquirent les premiers ancêtres, et où ils faillirent périr après leur départ de Dinaba. « En ce temps-là, ils portaient une peau de bœuf nouée à la taille et marchaient à la suite de leurs troupeaux, me racontait Yambuane. Quand ils quittèrent Dinaba, ils allèrent droit devant eux. Après avoir longé un couloir encadré de très hautes montagnes, ils débouchèrent dans une vallée recouverte d'une matière molle, où ils commencèrent à s'enliser. Alors les Forgerons allumèrent leurs feux, durcirent la terre et les ancêtres purent continuer leur route. » D.SEWANE LE SOUFFLE DU MORT.
« Lorsque, suivant leurs troupeaux, les ancêtres des Batâmmariba du Togo arrivèrent dans la vallée de l'Atakora, la région était faiblement occupée par les Babiatiba, peuple de forgerons. Ces derniers, quelque temps après avoir accueilli comme des amis les nouveaux arrivants, se déplacèrent vers le nord-ouest, dans la région de Mango, laissant derrière eux trois clans, dont les descendants habitent le canton de Nadoba. Ils ne s'en allèrent pas sans avoir présenté leurs hôtes aux esprits qu'eux-mêmes avaient reconnus, afin qu'ils continuent à leur célébrer un culte. Sinon, tourmentés par des rêves terrifiants, ils auraient été contraints de quitter les lieux. En cela, les Batâmmariba se conformaient à une tradition sans doute universelle. « Toute installation sur un territoire semble avoir été précédée par une présentation aux esprits de la terre. Platon ne conseillait-il pas aux fondateurs d'une colonie de reconnaître d'abord les sanctuaires des divinités locales, et de les consacrer à nouveau dans leur propre religion en instituant des fêtes aux jours dus ? » écrit John Michell dans l'Esprit de la terre et ïe génie du lieu. Dans la plaine, les Batâmmariba se regroupèrent à l'est, au pied de la montagne, à l'endroit que leur désignèrent les Babiatiba. Il était envahi par la forêt et les broussailles. Ce qui allait devenir leur pays correspondait à ce que l'on définit sous le terme de «savane arborée». Non pas une forêt dense comme la forêt tropicale, mais, sur cette terre latéritique de couleur ocre, des arbres centenaires au tronc épais - baobabs -, aux racines solides - karités, nérés, caïcedrats. Le pays était le domaine d'une faune aujourd'huidisparue, dont le souvenir reste vivace dans les récits de chasse : antilopes, lions, girafes, phacochères, buffles, léopards. Les Batâmmariba n'auraient pu survivre - construire des habitations, cultiver et chasser - sans l'intervention des Voyants. L'acte de défricher une terre vierge comporte un danger mortel. « Déraciner réclame une provocation, une violence, des cris », écrit Gaston Bachelard dans La Terre et les Rêveries du repos. Arracher des arbres revient à déloger les forces qui les ont fait naître, il constitue le principal méfait des agriculteurs. Le premier défrichage aurait été ressenti par les «premiers du lieu » comme un acte d'agression inouïe, si certains de ces puissants n'avaient pris le risque d'aller à leur rencontre. Un Voyant vient au monde avec une qualité à laquelle sont immédiatement sensibles les humains comme le sont les forces de l'invisible : le pouvoir de séduire. « Ceux de sous terre » furent-ils séduits par le chant des Voyants, d'une incomparable douceur? De même, c'est en chantant qu'un Voyant apprivoise la redoutable force de brousse qu'il découvre à l'intérieur d'une petite corne, destinée à devenir la « chose » du di'fcùntri, l'initiation féminine. Cependant, le Voyant sait que son geste aura pour conséquence sa mort prématurée. « II donne sa vie pour le bien des générations futures. » Les villageois élèvent un autel à l'endroit de la rencontre. Un autel discret : une pierre ou des branchages adossés aux racines d'un arbre. L'arbre en lequel s'est incarnée la force et dont il sera interdit, désormais, de soustraire la moindre branche... sinon la vengeance ne se ferait pas attendre : lèpre pour l'imprudent, tornades sur l'ensemble des cultures. De même seront respectés les autres arbres et végétaux poussant à proximité, « aimés » de la force. Ainsi se multiplient sources, bosquets, marigots, rochers, « petites brousses » insérées entre les champs et les habitations, qui confèrent à leur pays une incomparable sensation de liberté et par endroits, l'apparence d'un monde originel. En échange de parcelles qu'ils s'engagent à laisser intactes, les Batâmmariba ont acquis le droit de faire fructifier une terre qu'ils ont comme premier devoir de transmettre à leurs descendants dans l'état où elle leur a été confiée. Il n'est pas de sacrifice qui ne débute par ces paroles : « Cette terre, nous ne l'avons pas volée. Elle appartient aux premiers du lieu.» D. SEWANE.les BATAMMARIBA,PEUPLE VOYANT.
Les carnavals masqués , continuent à rendre hommage aux mythes anciens un peu partout . Habillé sous forme de chèvre, de diable, d’ours ou de monstre avec mâchoire en acier, « l’homme sauvage » appartient au monde de ces mythes.
Le photographe Français Charles Freger découvre le Krampus ) à Salzburg lors d’une mascarade. - créature démoniaque, née dans des pays comme l’Autriche, la Bulgarie ou la Slovénie. Fasciné par la rencontre, il se mit à la recherche des divers figures du mythe dans une chasse photographique à travers, ce qu’il appelle « l’Europe tribale ».
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