« Tu veux savoir d'où vient le nom que nous portons, Shipibo ? Eh bien, ce sont les Gens du dehors, les Nahuabo, qui nous appellent ainsi, à cause de l'ancienne coutume de notre peuple qui consiste à nous peindre le visage. Le jus que l'on extrait du fruit du genipayer — le nane — donne une teinture foncée bleu-noir. Autrefois nous l'appliquions sur le front, le menton et autour de la bouche, tandis que le reste du visage restait blanc. Cela nous distinguait des autres peuples forestiers et, c'est ce que disent les « autres », cela nous faisait ressembler au shipi, petit singe agile et léger, que nous capturons volontiers, au même titre qu'un perroquet, pour le domestiquer, nous en distraire et amuser les enfants.
On dit aussi qu'autrefois, lorsque l'Inca, venu des profondeurs de la forêt, apparaissait dans l'un de nos villages, nous fuyions promptement sous le couvert des frondaisons de peur d'être transformés par la force de son pouvoir. D'un seul son de sa flûte magique il nous métamorphosait en une chose de son choix animal ou plante quelconque, et parce que nous étions aussi rapides et craintifs que des shipi, l'Inca nomma ainsi, les Gens de notre peuple : Shipibo31. Dès lors, même les Blancs nous attribuent ce nom. Nous-mêmes ne rejetons pas cette appellation-là, mais ce n'est pas ainsi que nous nous désignons. Johibo — les hommes — c'est le nom que nous nous donnons. C'est là notre nom véritable. » Pierrette Bertrand-Ricoveri : Mythes De l'Amazonie. Une Traversée De L'imaginaire Shipibo, l'Harmattan.
Les Shipibo, vivent dans le bassin de l'Ucayali, en Amazonie Péruvienne, sur les rives de la partie centrale d'un fleuve qu'ils nomment Paró. Ils sont voisins des Conibo au sud et des Shetebo au nord. Par leur langue, les Shipibo appartiennent à la famille ethnolinguistique Pano (le tatou)qui constitue une des quatre principales souches linguistiques de la forêt tropicale amazonienne avec le Tupi, le Carib, l'Arawak. La famille pano occupe une aire qui s'étend sur tout l'Est du Pérou, sur une grande partie de l'Ouest du Brésil et sur la Bolivie.
photos N.B ci-dessus. Les Shipibo d'Albert Maroto. Belle galerie de photos: www.albertmaroto.com
Dans la région de Haute-Amazonie, le fleuve Ucayali structure deux aires distinctes qui renvoient à l'opposition fondamentale entre les ethnies riveraines et celles de l'intérieur . Les Shipibo-Conibo occupent un territoire riverain bordant l'Ucayali et se distinguent des peuples de l'intérieur des terres, en ce qu'ils sont fondamentalement des navigateurs, des pêcheurs, tandis que ceux des autres zones interfluviales restent surtout chasseurs. Ils constituent le plus connu et le plus nombreux, des groupes pano. En dépit d'un contact pluriséculaire avec la société péruvienne, ils ont conservé de nombreux traits traditionnels et jusqu'à une époque récente dominaient la plaine alluviale ucayalienne.
« D'après les relations des missionnaires franciscains, les premiers contacts Blancs-Shipibo remontent à la seconde moitié du XVIIe siècle. Les premiers témoignages connus relèvent déjà leur attitude guerrière, leur farouche opposition aux travaux de pacification, ainsi que le souci de constituer un vaste réseau d'alliances matrimoniales et politiques entre chefs, pour la défense de leurs terres. Leur obstination à s'opposer à l'entrée des Blancs, mais aussi leur suprématie sur leurs alliés pano ou leurs ennemis, fit écrire à nombre d'ecclésiastiques, aventuriers puis historiens, qu'ils dominaient tout le bassin de l'Ucayali, tels de véritables corsaires, et ne cessèrent de résister aux « réductions » que le zèle apostolique des Ordres jésuites ou franciscains, tenteront d'établir jusqu'à l'indépendance du Pérou en 1821. À propos de cette domination de fait, qu'ils exercèrent jusqu' au XIXe siècle, tous les auteurs s'accordent à reconnaître la vaillance, les qualités de navigateurs et de commerçants des Shipibo ; maisà l'époque du caoutchouc (1840-1920), cette qualité de corsaire et ce mode de relation traditionnellement exercés sur leurs semblables des régions interfluviales, et même sur certains riverains, vont s'adapter au nouveau contexte historique, et de « Seigneurs de l'Ucayali » qu'ils étaient, contraints de pactiser cette fois, avec l'envahisseur blanc, les Shipibo vont se muer en complices de celui-ci, afin de survivre. Attaquer les peuples voisins, y faire des captifs progressivement intégrés au groupe des vainqueurs, cela s'inscrit traditionnellement dans le schème des relations guerrières de la culture ; ce type de relation va se trouver réactivé au service de l'exploitation blanche, lorsqu'à la servitude dans les grandes exploitations forestières, les Shipibo préféreront le rôle de rabatteurs d'esclaves, mené dans les ethnies voisines moins puissantes ». Pierrette Bertrand-Ricoveri : Mythes De l'Amazonie. Une Traversée De L'imaginaire Shipibo, l'Harmattan.
Ces données géographiques proviennent du livre de Pierrette Bertrand-Ricoveri : Mythes De l'Amazonie. Une Traversée De L'imaginaire Shipibo, l'Harmattan. Anthologie d'éléments de la littérature orale nous invitant selon l'auteur à « cheminer au cœur de l'imaginaire des Indiens Shipibo du Pérou ». Le livre présente d'abord des données ethnologiques et historiques mettant en valeur la capacité du peuple indien de composer avec « l'Autre » qui a abouti à un pacte avec les Blancs dont la présence apparait dans les récits .
L'histoire shipibo comporte en effet selon l'auteur deux traits saillants : d'une part, elle est d'abord celle d'une opposition avec l'étranger le plus radical tant par la culture, la distance géographique, la technologie, les traits physiques ; d'autre part, quelle qu'ait été leur capacité de résistance à l'envahisseur, elle est aussi, celle d'une suite de compromis et de transactions traduite par un jeu d'alliances, qui, contrairement au destin de multiples ethnies amérindiennes anéanties, ont sans doute contribué à la survie du groupe. Cette capacité à « composer avec l'autre », manifeste dans la confrontation historique avec l'extérieur, est à l'œuvre également, dans l'organisation et le contenu de leur mythologie où l'on trouvera incluses des thématiques narratives exogènes, telles l'influence de l'Inca ou les prémisses de la christianisation.
CHANTS CHAMANIQUES
La population shipibo est répartie en une centaine de villages implantés sur une partie de la vallée du Rio Ucayali et de ses principaux affluents : région centrale du Pérou appelée Selva ou Selva Baja. Shipibo, Conibo et Shetebo constituent en fait des populations mixtes dont il est difficile de cerner les limites de territoires. . Ils représentent 8% de la population amazonienne pour l'ensemble environ 16.000 âmes dont 12.000 Shipibo, pour un territoire de 15.000 kilomètres carrés, Parmi les diverses populations de l'Amazonie péruvienne, les Shipibo restent donc aujourd'hui encore, le groupe le plus important par le nombre et l'influence qu'ils exercent dans la région. ils ont réussi à imposer de nombreux traits culturels et même parfois leur langue, aux autres groupes moins puissants
« Le fleuve reste la principale voie de communication et d'échanges entre les communautés voisines, c'est aussi une réserve de pêche. Le travail agricole est traditionnellement familial, la possession des terres est communale, et chaque unité familiale gère une superficie de terrain déterminée par un dispositif légal plus ou moins bien appliqué. Les Shipibo occupent des « terres hautes » constituées par des dépôts alluviaux anciens rarement inondés, et des « terres basses» que les grands fleuves découvrent lors de la décrue et qui sont d'une productivité considérable. Découvertes en période sèche durant trois à cinq mois, ces dernières permettent la culture saisonnière de légumes dont le cycle végétatif est court. Le riz, le maïs, l'arachide, les haricots sont cultivés sur ces « terres basses ». Les champs des cultures permanentes à cycle végétatif long sont en majorité les bananeraies et le manioc ; les papayes, les oranges et citrons occupent également une place remarquable dans l'alimentation de la famille, avec à un moindre degré l'avocat, la canne à sucre, la mandarine. Comme la plupart des groupes de la forêt amazonienne, les Shipibo pratiquent une agiculture sur brûlis. Y dominent le maïs, les bananes et le manioc, cultures traditionnelles, mais aujourd'hui on plante aussi des patates douces, des tomates, des pastèques, des cacahuètes, des calebasses, des piments rouges.
En général l'homme brûle, défriche, nettoie et parfois récolte. C'est la femme qui plante et entretient les essarts — binage, sarclage — récolte les fruits et les racines. Depuis que le gouvernement péruvien a promulgué la loi qui fixe un code juridique à la propriété terrienne des communautés natives, les Shipibo ont obtenu aussi l'usufruit des plages qui bordent l'Ucayali ; les cultures saisonnières comme le riz et les haricots y sont pratiquées pendant la saison sèche et progressivement adoptées sans que la consommation de ces produits soit généralisée. » Pierrette Bertrand-Ricoveri .op.cité
Les Shipibo mêlent ainsi des qualités de pêcheur, de chasseur et d'agriculteur dans un milieu d'eau et de forêts entremêlées. En particulier l'obligation de s'adapter au régime des fleuves et à leurs variations aléatoires. La modification des cours d'eau impose au Shipibo le changement périodique des lieux de culture, leur dispersion même, et lors d'inondations imprévues qui ruinent la récolte, le recours plus fréquent aux activités fondamentales de chasse et de pêche. La chasse se pratique durant les mois de fortes pluies où les crues de rivière ne facilitent pas la pêche à savoir, entre octobre et décembre, et entre mars et mai.mais le gibier se fait rare et la chasse laisse ainsi une plus grande part à la pêche qui fournit la plus grande partie des protéines nécessaires à l'alimentation.
Si la banane, le maïs, le manioc et la pêche restent la base principale de cette civilisation , les Shipibo développent en outre une remarquable production artisanale qui leur permet d'acquérir par la commercialisation les produits qui leur font défaut . ils excellent ainsi dans la production de céramiques et de textiles qu'ils vendent aux touristes.
L'organisation sociale en pleine mutation, mêle les vestiges du passé et des modèles contemporains dans les formes architecturales, les règles de résidence, de mariage et de filiation. Le village shipibo n'est plus aujourd'hui l'unité résidentielle traditionnelle commune aux différents groupes de la famille Pano. Aux grandes maisons multifamiliales, foyers des parents de même lignage, ont succédé les constructions actuelles, plus petites, abritant chacune la famille nucléaire et rassemblées de plus en plus selon les caractéristiques des villages avec des rues, une place, des services, des autorités locales, une école le cas échéant avec des instituteurs indigènes. La filiation aujourd'hui est patrilinéaire et impose aux Indiens, de se doter d'un nom espagnol mais la parentèle constitue toujours une structure dynamique autour de laquelle s'organise la vie quotidienne Il s'y perpétuent les valeurs traditionnelles d'échanges, de conseil, de solidarité, , notamment à l'occasion de l'ouverture d'un terrain de culture ou de la construction d'une nouvelle maison, par exemple. La vie sociale du Shipibo réalise de la sorte, un compromis original entre d'une part, l'exigence d'indépendance et l'exigence d'appartenance au groupe, d'autre part, entre leur attachement à un mode de vie propre et leur aptitude à se modeler sous les contraintes externes et à intégrer les événements et apports extérieurs.
« De fait, le Shipibo pratique largement la cohésion horizontale — échanges de services — bien plus que la cohésion verticale — hiérarchie absolue —. Fortement socialisé, le maintien de ses valeurs : la moralité publique, la solidarité, le partage, la participation aux rites collectifs à finalité ludique ou utilitaire, va de pair avec sa revendication de liberté. Au sein de la famille il détient l'autorité officielle ; dans le contexte de la communauté celle-ci est exercée par un chef de village dont le rôle en pleine mutation, s'avère de plus en plus réduit par la présence d'autres autorités civiles, officiellement élues et légitimées par la reconnaissance de charges que le gouvernement aprécisées. Il s'agit de l'Agent Municipal chargé de la planification du travail communal et du Lieutenant-Gouverneur, représentant politique du pouvoir central de Lima. La distinction entre l'autorité traditionnelle et celle du gouvernement central s'en trouve précisée. Le chef de village, plus généralement un Ancien, dont la maturité et les qualités morales sont reconnues par le groupe, convoque et organise des sessions qu'il préside et où sont discutées les affaires de la communauté. De concert avec lui exercent le pouvoir, le Lieutenant-Gouverneur et l'Agent Municipal. Grâce aux contacts noués avec leurs collègues des autres groupes ethniques, ce sont les instituteurs indigènes qui, par le biais de leur formation sont devenus les artisans privilégiés de la communication interethnique et les initiateurs d'une réflexion politique. Hormis la place de la parentèle, celle du pouvoir détenu par la chefferie coutumière et les institutions nouvelles, il importe de relever la présence d'une troisième structure fondamentale dans l'organisation de la vie quotidienne des Shipibo : c'est le chamanisme. Inséparable d'une somme de concepts, croyances, attitudes et comportements, la pratique chamanique constitue un ensemble idéologique où le chamane — muëraya — est le pivot idéal et fonctionnelfonctionnel de la société. » Pierrette Bertrand-Ricoveri .op.cité
L'ouvrage, outre ces données ethnologiques, comporte surtout quarante-cinq récits, recueillis entre 1977 et 1985 et répartis en deux sections intitulées l'une « Le temps des Ancêtres », l'autre « Le temps des Incas .La première partie est celle des récits d'origine évoquent un temps primordial. L'auteur y retrace, en 34 mythes, la création du monde comme vision cosmologique des Shipibo, l'origine du peuplement, l'apprentissage des connaissances primordiales, l'existence d'êtres forts et dangereux ainsi que les relations amoureuses entre humains et animaux. Dans ces récits on retrouve quelques thèmes pan amérindiens classiques : la recherche de la bonne distance pour Soleil, la mère enceinte dévorée par Jaguar et la naissance des jumeaux, l'arbre qui grandit pour perdre ou sauver le héros, etc. Dominent dans les récits l'importance des animaux primordiaux et de leurs relations avec les humains. Les grands prédateurs de l'homme, tels que le jaguar (ino), l'anaconda (ronin), le dauphin (koshoshka) reconnu pour ses pouvoirs chamaniques ou encore la mère des aigles (tëtekan ewa), reçoivent un traitement mythologique où l'on perçoit une crainte des hommes à leur égard. Cette période est marquée par un environnement (la forêt, la rivière) dangereux où animaux et êtres mangeurs d'hommes (l'ogresse Itan tanta ou le géant Nishobo) évoluent.
Ci-dessus peinture chamanique sous le psychotrope AYAHUASCA
L'intérêt du livre est d'offrir ainsi toute une réflexion sur la mythologie différente en cela de la tradition occidentale où le rationalisme a rejeté le mythe du côté de la fiction ou même du récit illusoire et mensonger. Dans une perspective anthropologique et propre aux sociétés traditionnelles ,le mythique (J.P.Vernant) désigne une « histoire vraie », sacrée, exemplaire et significative » et qui fournit des modèles au monde et à l'existence humaine. L'auteur fait référence ainsi à une définition de Pierre Clastres selon laquelle « Le mythe, comme récit de la geste fondatrice de la société par les ancêtres, constitue le fondement de la société, le recueil de ses maximes, de ses normes et de ses lois, l'ensemble même du savoir transmis aux jeunes gens dans le rituel d'initiation ».
Dans la seconde partie, moins fournie en termes de mythes (11 textes), est celui de l'arrivée de la civilisation inca dans la vie des Shipibo.le contenu est donc plus social ou historiquement marqué. Le rôle d'un Inca mythique et celui de l'évangélisation, ainsi que le thème de la recherche de la « Terre sans mal » y nourrissent des récits pseudo-historiques. Les textes mythiques font apparaître la figure de l'Inca comme référence primordiale, porteuse d'ordre, de morale et de transmissions culturelles importantes, au nombre desquelles on compte les dessins géométriques exécutés traditionnellement par les femmes et donnés par la fille de l'Inca.
Dans ces mythes, l'accent est mis sur certaines règles morales et sociales (« les règles de sagesse », la sobriété par exemple) dictées par l'Inca aux gens de la forêt, qui n'auraient été alors qu' un groupe de langue pano encore indifférencié. Ceux qui n'ont pas suivi ces règles ont été envoyés sur des territoires disparates et sont devenus des peuples distincts (les Shipibo, les Conibo, les Shetebo et les Cashibo). L'Inca et les siens sont allés vivre sur « la terre sans mal », espace idéalisé où tous mèneraient une existence harmonieuse et paisible. Certains peuples de la forêt, les Chaiconi,les élus restés fidèles aux préceptes de l'Inca ont pu accéder à cet endroit où ils vivent heureux. Grâce à l'usage d'une plante magique, ils demeurent, aujourd'hui, invisibles aux yeux des humains ordinaires. Le temps de l'Inca est marqué par de grandes transformations sociales dans la société shipibo. En effet, l'arrivée de la civilisation inca, puis espagnole, apporte des changements quant à l'autorité en vigueur. Au temps des Ancêtres, les jonibo (les humains) semblent se référer à l'astre principal, bari, le soleil, et aux êtres peuplant l'environnement naturel ; mais, à son arrivée, l'Inca (le bon Inca puisqu'exista aussi YOASHICO,le mauvais Inca) devient une sorte de messie et de guide suprême.
La mythologie, shipibo , rapporte à la fois la genèse , l'ordre archaïque du monde , mais elle ouvre pareillement à une réflexion sur la modernité , en intégrant une suite chronologique d'événements historiques et l'inattendu qu'introduit le réel .Elle relate ainsi les luttes qui ont marqué la résistance aux Blancs , les étapes du contact , le rôle des Métis. le mythe et sa signification se transforment ainsi , s'historicisent par venue de l'Inca
En final Pierrette Bertrand-Ricoveri développe toute une réflexion sur les oppositions qui structurent vie et pensée des Indiens : entre le « dehors » de la forêt profonde et le « dedans » du village, entre l'univers des hommes et celui des femmes et entre celui des femmes mythiques du dehors et des femmes Quinquin du dedans, modèles de la femme idéale.
« Les mythes shipibo, désignés génériquement du terme « moatian Jonibo joi », paroles des ancêtres (littéralement paroles des hommes du temps passé) englobent, différents types de récits. Cette expression orale renvoie aussi bien à des histoires de vampires, d'ogres et d'ogresses, de génies, de revenants, à des fables sans référence religieuse et racontées par pure diversion, qu'à des histoires « vraies » qui disent l'origine du monde et mettent en scène les dieux et les héros fondateurs pré-humains ou humains. Pénétrer cet univers, c'est avoir accès à un système symboliquement exprimé par la tradition orale, dans lequel on peut saisir quelque chose de l'histoire culturelle d'un peuple, de sa conception du monde, des rapports de l'homme au monde, et des hommes aux autres hommes. Chercher à comprendre cette mythologie, c'est d'abord mettre de l'ordre dans un fouillis de matériaux étourdissants, analogue à l'espace sauvage où les lianes croisées, d'arbre en arbre, enchevêtrées, interminablement proliférantes, inextricables, nous cachent autant le ciel, que la peau de la terre. C'est aussi apprendre à distinguer sous les paroles libres qui se développent en surface, se répètent, se recoupent, s'entremêlent, foisonnent ce qui reste enfoui, retenu, qui constitue le fond de la tradition orale, c'est-à-dire ce qui approche de la sacralité des origines et s'oppose à la contingence fluctuante des vérités apparentes. Parler pour distraire, certes, les Shipibo y excellent ; les nombreuses histoires de chasse, de pêche où interviennent les esprits — yoshin — des eaux et de la sylve, les fables, les anecdotes humoristiques ou grivoises faites pour provoquer les femmes en témoignent ; mais, il existe au-delà de ce que l'on raconte par pure diversion, des récits faits pour entrouvrir, alimenter, transmettre une connaissance plus profonde qui rapproche de la « source des choses. » Pierrette Bertrand-Ricoveri .op.cité
. Ci-dessus peinture chamanique sous le psychotrope AYAHUASCA
Ainsi les mythes shipibo , par le truchement de la parole des Anciens,mettent en scène en tant que modèles exemplaires, des « entités suprêmes « tels Lune (Oshe), Soleil (Barí), Eclair (Caná) ou encore des Incas et par delà, les différents éléments de leur culture de tradition orale. Ces entités participent de ce qu'on peut nommer « l'Ailleurs « l'au-delà de la société, et d'un temps primordial, aussi bien comme ordre de la nature (Soleil, Jaguar, Eclair par exemple ), que ce qui fonde la culture tels les Incas) à l'origine d'une civilisation nouvelle. S'instaure ainsi et se continue une savoir immanent à une société qu'il s'agit pour les indiens de répéter et de transmettre afin de garantir la pérennité de leur existence.
Mais ce savoir est loin d'êre figé : c'est toujours un bricolage au sens de CL.Levi-Straus ,un travail de synthèse qui combine résistance et ouverture à ce qui vient de « l'autre »comme la survenue des Incas.
Le Mythe embrasse ainsi les réalités les plus diverses comme les : théogonies, cosmogonies mais aussi les fables, ou les aphorismes traditionnels, réflétant la la pensée des autochtones, leur spéculation sur le monde physique, social, culturel, et la réalité de ce monde.il s'inscrit dans une tradition orale de mémoire collective qui se transmet de génération en génération par la répétition.
Il parle de l'environnement naturel ou immatériel avec lequel les sociétés traditionnelles bâtissent des « collectifs. Il y a le « dehors » La forêt — nii mëran —, la rivière — paró —, le village — jema —, les essarts — huai . La foret n'est pas seulement le domaine d'une flore et d'une faune nourricière, elle est aussi comme la rivière, l'habitat privilégié des Ibo, des Yoshin, des ogres et des ogresses aussi réels pour les Indiens animistes que les arbres et les jaguars. Le village, bien distinct de la forêt c'est le dedans, l'espace de l'humanité où se trouvent les animaux domestiques, les espèces végétales domestiquées, outre manguiers ou goyaviers. L'espace du village gagné sur la forêt par la hache et le feu est l'espace social par excellence , qui ne se réduit pas au bâti seulement , car , les plantations ( Huai ) le prolongent jusqu'à la terre autour des points d'eau à proximité du village et en général le long du fleuve ( paró ) ,
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