"Interrogé dans les dernières années de sa vie sur la destinée, Wifredo Lam répondit par deux formules. La première du prince de Piana : «L'homme est un fruit qui mûrit jusqu'à la mort », la seconde de Calderon de la Barca : «La vie est un songe.»
Il était inévitable que Lam emprunte à la première son arme favorite, la métaphore, pour associer l'homme et la nature dans un même combat. Surgi dans une société aux racines multiples, produit de déracinement, Lam est de la nature greffée : fruit de cultures dissemblables, son mûrissement va de pair avec son œuvre. Sa vie a été faite d'expériences, de voyages, de rencontres qui ont forgé l'homme et sa création ; projetée sur la toile de l'imaginaire, celle-ci est devenue la «vraie vie» : parcours du peintre, du poète, du militant qui tenta de créer la conciliation de cultures qui s'opposent, au service du tiers-monde. Premier artiste de la Caraïbe à être reconnu par l'Occident, Lam est un métis comme lui-même le revendiqua.
Sa maturité s'est réalisée en va-et-vient dans l'espace et les cultures ; telle l'araignée, il a tissé une toile pour y piéger la liberté - contradiction militante - de l'individu et du rêve.
De Cuba à l'Europe, de Picasso et Breton à Césaire, la destinée pendulaire de Lam a engendré une œuvre entre blanc, jaune et noir, entre nature et culture, entre dictature et liberté, entre le rêve et la réalité." JACQUES DUBANTON LES TROPIQUES FANTOMES DE WIFREDO LAM DANS LAM METIS. (c'est moi qui souligne!!)
Wifredo Lam posa le pied sur le sol de Cuba, sept mois apres avoir quitté Marseille.(cinq mois de plus que Colomb pour y parvenir faisait il remarquer ironiquement). Cette odyssée, fut néanmoins une expérience fertilisante par les rencontres dont elle fut jalonnée.. Le long cheminement par l'Espagne et la France devait le mener à cet instant et fondateur, où ce qui a été laissé derrière soi pourra faire l'objet d'une véritable reprise. C'est le détour par l'Europe qui lui donnera la distance à partir de laquelle replacer, grâce à une vision plus juste, son héritage, et le contexte dans lequel son histoire a pris forme ; une spirale qui le ramène au point de départ, mais décalé.
"C'était dans la Caraïbe, sur l'épaule gauche des dieux.
Nous halions nos souffles au bord du monde, les mers comme toujours tourmentaient leurs mufles à cet endroit même où nous étions nés, - la Caraïbe est un confluent de houles venues de partout, de soleils rouges pris en cyclones -, nous ne devinions pourtant pas que d'autres hautes ordalies déjà nous charroyaient, dévalaient avec nous, et c'était au plus dense de la Deuxième Guerre mondiale, les bombes des flottes américaines et allemandes explosaient au
large indécis des phares insulaires, nous ramassions sur nos bords de mer les débris de cette apocalypse, et les porteurs de parole venus de l'est, Breton, Masson, Loeb, Lévi-Strauss et tant d'autres, nous avaient rendu visite, puis cette Caraïbe s'était engourdie, nous ne connaissions pas alors que Wifredo Lam travaillait là,
Qu'il avait encouru Espagne martyrisée puis France terrassée, qu'il était (passant lui aussi par la Martinique en 1941, ou bien c'était une illusion que nous avions rêvée) revenu à Cuba sa terre dont nous n'évoquions quant à nous que La Havane, baroque hispanique et bodegos créoles, nous ignorions Sagua la Grande où les palmiers royaux paressent sur les Bas-Plateaux tout autant qu'ils pointent sur les crêtes, et que lui Wifredo Lam fondait dans cette matière et cet effort à l'entour, faisant entrer la peinture, en tant que telle, dans ce drame,
C'est-à-dire, dans la résistance des jungles à tous les prés carrés de l'oppression et de la démission. EDOUARD GLISSANT.L’ART PRIMORDIAL DE WIFREDO LAM.LAM METIS.
Pour Lam, La défaite de la France en juin 1940 a marqué la fin d’une époque. Il avait abandonne Paris et gagné Marseille où s’étaient réfugiés tous les intellectuels hostiles au nazisme et nombre de surréalistes regroupés autour d’ Andre Breton. Après quelques mois d'attente anxieuse, l’Emergency Rescue Commitee , leur permet de quitter le territoire sur le Capitaine Paul Lemerle. Une fois arrivés en Martinique à la fin avril 1941, et après la quarantaine obligatoire(il furent traités en paria comme le raconte Levi Strauss dans Tristes Tropiques)Wifredo, Helena, Breton et les autres se rendent en Guadeloupe, à Saint Thomas et finalement à Saint-Domingue où ils se séparent. Lam souhaitait se rendre au Mexique, alors que Breton se dirigeait vers New York. Mais il n'obtiendra pas son visa et choisira donc finalement de rentrer à Cuba, après dix-huit ans d'absence.
Ce retour sera précédé, à l'étape martiniquaise, par la rencontre fondamentale avec Aimé Césaire. Elle eut lieu, en ce printemps 1941, alors que Lam est encore consigné au Lazaret de Fort-de- France. Breton avait acquis par hasard, dans une mercerie, un exemplaire d'une revue publiée à la Martinique sous le titre TROPIQUES . Elle était dirigée par deux hommes, René Ménil et Aimé Césaire, (Nègre, nègre, nègre, depuis le fond du ciel immémorial) qui l'avaient fondée en 1940. La qualité de leurs écrits, le courage qu'ils manifestaient dans leurs prises de position incitèrent Breton à les connaître. Une amitié en résulta, qui s'étendit jusqu'à Lam. Le poète Césaire a déjà effectué son retour au pays après ses années d'apprentissage et de maturation en France, dont l'écriture du Cahier constitue le point d'orgue. Pour Lam, qui rappelle ce fait, cela signifie que Césaire a déjà pu " découvrir " son île, l'aborder à nouveau comme une terre de conquête, alors que lui-même est encore à la veille de cette récupération indispensable.
Aimé Césaire et sa femme Suzanne, tous deux professeurs au lycée de Fort-de-France, tenaient le surréalisme pour la force de révolte par excellence. A ce propos, Suzanne Césaire écrivait dans le numéro 8-9 de Tropiques: «: une société tarée en ses origines par le crime, appuyée en son présent sur l'injustice et l'hypocrisie, rendue par sa mauvaise conscience peureuse de son devenir, doit moralement, historiquement, nécessairement disparaître. Et parmi les puissantes machines de guerre que le monde moderne met à notre disposition, notre audace a choisi le surréalisme qui lui offre naturellement les chances les plus sûres de succès. » Pour sa part Breton lorsqu’il découvrit à la Martinique, LE CAHIER D'UN RETOUR AU PAYS NATAL ne s'y trompe pas: «Rien moins que le plus grand monument lyrique de notre temps», déclare-t-il. Ce chant manifestait la dignité du « nègre », sa non-infériorité culturelle et vitale, son génie propre. Alors que des peuples, depuis des générations, subissaient le mépris ou la condescendance, trois poètes Césaire, Léon Dumas et Léopold Senghor avaient défini leur lutte avant la guerre, dans un journal publié à Paris, L'ETUDIANT AFRICAIN, au rôle historique décisif. Il s'agissait pour eux de dénoncer l'aliénation de l'Afrique par ses colonisateurs, de la "désaliéner", de lui rendre son vrai visage. En cela se trouvaient exprimés les prolégomènes indispensables à la revendication essentielle de l'indépendance. «Tout en moi, écrivait Léon G. Damas, n'aspire qu'à être nègre, comme mon Afrique qu'ils ont cambriolée» Et le Martiniquais Césaire :
« Ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité
ruée contre la clameur du jour
ma négritude n'est pas une taie d'eau morte ruée contre la clameur du jour
ma négritude n'est pas une taie d'eau morte
sur l'œil mort de la terre
ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale
elle plonge dans la chair rouge du sol
elle plonge dans la chair ardente du ciel
elle troue l'accablement opaque de sa droite patience. »
Cahier d'un Retour au Pays Natal.
Ainsi s’était forgé la NEGRITUDE un concept comme arme de combat. Elle excluait les concessions d'un colonialisme amélioré, mais exigeait la reconnaissance immédiate de l'autonomie, sans réserves ni restrictions. Césaire proclamera : « II n'y a pas dans le monde un pauvre type lynché, un pauvre homme torturé, en qui je ne sois assassiné et humilié »
Dès les premières rencontres de ce printemps caraïbe, Lam sentit que Césaire et lui avaient une communauté de destin que Césaire exprimera ". Les pays roulent bord sur bord leur destin de misère. Depuis des siècles. Bord sur bord leur cargaison de bêtes, hagardes ou lasses. Depuis des siècles. Au grand soleil. À grande lame Atlantique. À grandes lames de terre fruitée et d'air jeune. Et la peinture de Wifredo Lam roule bord sur bord sa cargaison de révolte : hommes pleins de feuilles, de sexes germes, poussés à contresens, hiératiques et tropicaux : des dieux. "
La rencontre entre Lam et Césaire est de celles qui s'enrichissent au cours du temps et durent toute la vie. Dès 1943, sur une traduction de Lydia Cabrera, l’artiste va illustrer la publication en espagnol du Cahier d'un Retour au Pays NATAL. Engagés dans leurs vies comme ils le furent dans leur art, ils avaient, l'un et l'autre, trouvé une réponse humaniste et universelle au besoin de sursaut de l'humanité. Et cette réponse, en quelque manière commune, s'ancre dans un terroir historique et culturel partagé.
"Et trouvant comme d'un coup la manière qu'il aurait désormais de dresser ces jungles pour y deviner ensuite les formes de son réel vrai, non pas seulement celles de Sagua la Grande ou de Santiago en Oriente mais, tangentes et fraternelles, d'Haïti aussi, l'initiatrice, et de tout ce tourment amérindien, aussi de l'Egypte où déboucle la Nubie, et de l'Océanie noire et rouge, et de tout ce qui bourgeonnait si obscurément dans l'effrayante clarté du monde,
Rencontrant et accomplissant comme par nature ce que les meilleurs artistes de l'Occident contemporain avaient porté à bout de leurs recherches et de leurs conceptions : La vision directe d'un sous et d'un surréel plus révélateurs que toutes les perfections de la mimesis, le trait qui coupe droit et ne vacille en rien, la couleur qui ne reproduit que sa seule masse,
Parce qu'il avait enfin et à son tour vu, pour une première fois vu l'en dessous de son pays, qu'il avait vu la jungle et ses profonds,
Attentif à débusquer la Trace.
Et il est vrai que pour nous, antillais et caribéens (c'est tout un), le pan de végétation, la montée inextricable des racines et des palmes, revient infiniment dans nos songes. C'est que nos profonds se révèlent en branches et lianes et fougères surgies d'un seul élan, d'un seul balan. Si je dessine un arbre, je dessine une brousse. Notre imaginaire s'ensouche près de cet arbre, augurai ou sacré, malfaisant ou merveilleux, ou Flamboyant ou Figuier-maudit, mais c'est parce que le tronc solitaire fait tout de suite jungle et refuge, ou qu'il fait mangrove, et que nous nous souvenons de la tragédie des Nègres marrons, qui fouillèrent dans ces brousses et y marquèrent cette Trace." EDOUARD GLISSANT.op.cite.
A la mi-juillet 1941, Wifredo Lam retrouvera, après dix-huit années d'absence, son île natale et sa famille. Il se sent dépaysé dans son propre pays - « ce que je voyais à mon retour ressemblait à l’enfer » - révolté par la misère des Noirs sous le régime de Fulgencio Batista. «Parce que j'avais tout laissé derrière moi, à Paris, j'étais au point zéro, je ne savais plus où placer mon sentiment. J'éprouvais de l'angoisse. Au fond, je me trouvais dans une situation semblable à celle d'avant mon départ, lorsque je n'avais pas un grand horizon devant moi. Tu veux connaître ma première impression de retour à La Havane? Une tristesse terrible…Tout le drame colonial de ma jeunesse revivait en moi.» Il insiste: «Trafiquer de la dignité d'un peuple, c'est, pour moi, l'enfer. Alors j’ai commencé à fabriquer des tableaux dans la direction africaine."
Wifredo Lam a renoué avec l'esprit afro-cubain peu après son retour au pays natal. Pour explorer des thèmes américains, et plus particulièrement afro-cubains, il s'est servi des expériences cubistes et surréalistes qui avaient renouvelé radicalement l'art du XXe siècle dans l'entre-deux-guerres. Il suivait une voie parallèle à celle des surréalistes en Europe ou à celle des Américains fascinés par les mythes des populations indigènes des États-Unis et du reste du Nouveau Monde. Quand il s'est penché sur ses racines afro-cubaines dans sa quête d'un vocabulaire visuel et d'un cadre théorique, il connaissait bien l'intérêt des surréalistes pour l'art et la culture des peuples non occidentaux, y compris le sien. Sa sensibilisation au «primitivisme» s’était déjà manifestée dans ses œuvres parisiennes et marseillaises, où il avait incorporé des motifs d'inspiration africaine, qui reviennent ensuite dans ses premières œuvres havanaises. L'art africain lui a fourni les moyens plastiques nécessaires pour donner d'autres bases à la figuration occidentale traditionnelle. Il lui a permis également de participer au dialogue moderniste avec le «primitivisme», dialogue qui le touchait d'autant plus que sa mère avait des ancêtres kongo. Pour Wifredo Lam, il s'agissait alors de trouver un langage visuel capable de transmettre les croyances religieuses d'un peuple syncrétiste d'origine africaine qui avait survécu au déracinement, à l'esclavage et au colonialisme. C'est dans son héritage afro-cubain qu'il a trouvé l'iconographie adéquate.
La religion, à Cuba, emprunte à l'Afrique les cultes et traditions importés par les esclaves, et opère par assimilation réciproque avec les pratiques et les images chrétiennes. Cet apport africain provient pour une large part des Yoruba du Nigeria et des Fon de l'ancien Dahomey, qui payèrent un lourd tribut à la traite.
La tradition religieuse est celle du culte des Orishas (loa dans le vaudou), ancêtres divinisés ,devenus biens familiaux et esprits de tutelle ; Organisés en panthéon hiérarchisé, les Orishas ont la même importance bénéfique pour chaque individu, malgré leurs différences dans le mythe.
Chaque Orisha trouve son correspondant parmi les représentations de l'Église catholique. Ainsi en est-il de Shangô, l'esprit de l'éclair et de la foudre, associé à sainte Barbe, patronne des artilleurs, mineurs et autres artificiers ; d'Ogûn, divinité du fer et de la guerre, confondu avec saint Jean-Baptiste et avec saint Pierre ; de Yemayâ, déesse des fleuves et de la mer, identifiée à la Sainte Vierge de Régla, protectrice des marins cubains ; d'Eleguâ, le puissant maître des chemins et des carrefours, assimilé au Diable.
"Fils de Lam-Yam le Chinois, épris du rationalisme de Sun Yat-Sen, Wifredo Lam voudra toujours concilier le ferment vénéneux de la révolte, dont il a senti la lumière ambiguë vibrer dans la magie et le fantastique, et l'horizon humaniste d'une histoire libératrice. Jamais il n'acceptera de céder sur l'un ou l'autre de ces points, sachant qu'il est essentiel de maintenir l'espoir au cœur de l'homme pour animer et affermir sa révolte. Le cynisme des vendeurs d'opium pour le peuple, que cette drogue s'appelle consommation et facilité vénale ou qu'elle se pare des faux-semblants des diverses religions, le dégoûtera toujours. Mais, de ce rejet, il ne tirera aucune morgue hautaine et construira son chemin ; comme la revendication même du droit à l'insurrection de la conscience artistique. La question de la nature des rapports que la peinture de Wifredo Lam entretient avec le monde imaginaire africain est d'une extrême difficulté et implique fondamentalement la médiation caribéenne. Elle suppose en particulier que l'on soit au clair, pour n'en plus parler, sur un hypothétique rapport personnel de l'artiste à la terre africaine. Non, Lam ne s'est jamais senti attiré par cette terre où c'est à peine s'il y fit un voyage touristique. Et pourtant, immédiatement apparaît le complément de cette attitude : oui, l'Afrique est immensément présente, comme un trésor perdu partiellement retrouvé à travers les cultures populaires répandues dans l'espace caraïbe. . Fernando ortiz, l’anthropologue cubain ecrivait qu’on avait beau évoquer l'Afrique et ses mystères, le vaudou haïtien ou la santeria cubaine, il n'y avait rien dans les toiles de Lam qui vaille comme figuration du pittoresque de ces cultes : ni tambours, ni maracas, ni fétiches, ni idoles. Cette absence paradoxale renvoie au fait que, dans ces mêmes toiles, on ne rencontre pas des corps d'hommes ou de femmes mais des symboles de la féminité, de la violence, de l'angoisse. La présence de l'Afrique y est décalée, métaphore vivante d'une douleur originelle. Ses " visions " sont des instruments de vision ; comme les chauves-souris qui voient dans la nuit, elles sont des milliers d'yeux attentifs et clairvoyants. JACQUES LEENHARDT. LAM.c'est moi qui souligne!!)
À son retour à Cuba, Wifredo Lam va entrer en relation avec un petit groupe d'intellectuels cubains d'avant-garde qui s'intéressent aux apports afro-cubains dans les domaines de la musique, de la danse, de la littérature, de l'ethnologie et du folklore.c’étaient de plus des hommes et des femmes issus de mariages interraciaux, signe d'un progrès remarquable pour n'importe quel pays des Amériques à l'époque. Dans ce cercle, deux personnalités de premier plan : l'ethnographe et folkloriste LYDIA CABRERA, et le journaliste et critique ALEJO CARPENTIER.
Ces deux Cubains appartiennent à la même génération que lui, et, comme lui, ils ont passé de nombreuses années en Europe. Lors de son premier séjour à Paris, Lydia Cabrera a étudié l'art. La curiosité des Européens pour l'art africain l'a encouragée à recueillir les contes et légendes de la tradition orale auprès des Afro-Cubains. en 1938, elle avait déjà publié en France ses CONTES NEGRES DE CUBA, le premier d'une longue série de livres appelés à asseoir sa réputation de spécialiste de la culture afro-cubaine. Wifredo Lam la rencontre vers la fin de 19443, à une date où elle effectuait une grande enquête de terrain sur les mythes, les croyances, les pratiques religieuses et les coutumes des Afro-Cubains de différentes ascendances, notamment lucumi, abakuâ et kongo. Wifredo Lam a tissé avec elle des liens intimes, qui allaient durer jusqu'à la fin de ses jours malgré l'éloignement géographique. Ces amitiés ont largement favorisé les nouvelles recherches poursuivies par Wifredo Lam dans les années 1940/46 et l'ont aidé à traverser la période de transition difficile où il se trouvait alors. C’est Lydia Cabrera qui présentera le peintre au public cubain, alors qu’il était encore largement inconnu. dans un premier article, elle signala que ses ascendances asiatiques et africaines s'exprimaient dans son art, tout en précisant que «son œuvre n'est pas "exotique" ni "populaire" au sens habituel de ces termes, car Wifredo Lam est un artiste professionnel dont le travail ne saurait se confondre avec l'art de pacotille ]».
Dans son deuxième article, en janvier 1944, Lydia Cabrera s’étendit plus longuement sur le contenu afro-cubain des œuvres de Wifredo Lam. « Les vieilles divinités ancestrales, qui étaient en retrait sous le doux éclairage enveloppant de l'Europe, se mettent à le hanter. Ici [à Cuba], elles semblent tangibles dans la lumière éclatante d'un perpétuel été. Ici, elles se manifestent clairement et superbement dans chaque coin de paysage, dans chaque arbre divin, dans chaque herbe fabuleuse de son jardin de Buen Retire.
Usant de toutes les ressources de l'artiste qui possède parfaitement son métier, il peint sur ses toiles les prodiges fantastiques de la nature cubaine. Nul ne s'y entend mieux que Wifredo Lam [...] pour franchir le seuil mystérieux de l'art primitif sans se perdre. »
Pour sa part, C'est en juillet 1944 qu'Alejo Carpentier publia un texte dont l'importance est reconnue par tous les spécialistes actuels de Wifredo Lam. L'écrivain évoque l'iconographie de l'artiste et son mélange entre l'humain, l'animal et le végétal. Pour établir sa portée historique, il parle d'«un univers des mythes primitifs à dimension antillaise œcuménique, des mythes qui n'appartiennent pas seulement à la terre de Cuba, mais à tout le chapelet d'îles». Alejo Carpentier considère Wifredo Lam comme un artiste bien plus panaméricain qu'européen estimant qu'un artiste européen n'aurait jamais pu appréhender ni exprimer l'univers antillais comme Wifredo Lam le fait. Sa façon d'envisager Wifredo Lam dans le contexte panaméricain aura des répercussions considérables sur la production et les discours des artistes contemporains latino-américains établis dans leur pays ou ailleurs.
"Wifredo Lam, artiste formé à la tradition académique occidentale, pour qui les langages modernes du surréalisme et du cubisme n'avaient plus de secret, a créé une symbolique personnelle afin de traduire l'héritage afro-cubain. C'est pourquoi beaucoup considèrent aujourd'hui qu'il a frayé la voie à des artistes de différents horizons, soucieux d'exprimer leur identité culturelle dans leur œuvre. Tout en participant au dialogue moderniste international de son temps, il s'est placé en dehors pour mieux affirmer une identité culturelle sous-tendue par une vision du monde autour de laquelle se rassemblent des millions d'hommes et de femmes qui habitent le continent américain. Wifredo Lam a joué un rôle exemplaire en devenant le porte-parole des Afro-Cubains et, par extension, des Panaméricains d'ascendance africaine, restés en marge de l'histoire de l'art. JULIA P. HERZBERG.NAISSANCE D’UN STYLE ET D’UNE VISION DU MONDE.dans LAM METIS.c'est moi qui souligne!!)
Le séjour à La Havane va donc représenter un jalon essentiel dans sa trajectoire artistique . le peintre a manifestement changé de rythme en 1942, année où il s'est montré particulièrement prolifique. Son installation dans une vaste demeure du quartier de Marianao en février 1942 et l'espoir d'une exposition aux Etats-Unis que lui promet André Breton s'avèrent propices à la reprise de son activité créatrice et, en 1942, il ne réalisera pas moins de cent vingt peintures. En novembre s’ouvre à New York la première des six expositions individuelles de l'œuvre de Lam qui se tiendront dans la galerie de Pierre Matisse. Il y envoie une cinquantaine de gouaches, qui ne sont qu'une partie de sa production. Ces gouaches signalent ces nouvelles orientations et montrent qu'il explore simultanément plusieurs voies thématiques et plastiques. Elles se caractérisent par la présence de formes hybrides où se mêlent des éléments humains, animaux et végétaux. Cette hybridation restera, par-delà ses variations infinies, le motif le plus important dans les œuvres ultérieures de Wifredo Lam.
En décidant, après son retour au pays natal, «d'exprimer à fond l'esprit des nègres», Il ne s'agissait pas, en effet pour lui, de représenter, de manière réaliste la misère de son peuple. Le réalisme (c’était l’époque du réalisme soviétique) peut toujours tomber dans l’anecdote, le banal le circonstanciel.
« De toute façon, peindre "objectivement" le drame cubain ne correspondait pas au tempérament de Lam, animé d'intenses forces subjectives. Ce qu'il lui fallait traduire, c'est larencontre du réel avec les énergies depuis longtemps étouffées, brimées, asservies, celles d'une race écartée de sa mythologie première, de confond mythique. Lam ne va pas peindre l'esclave noir sous le fouet du négrier, ni le prolétaire cubain sous la coupe du capitaliste. Il confiera le message à de grandes figures vengeresses et dénonciatrices, surgissant de l'inconscient malheureux, s'imposant comme des revenants pour travailler à la ruine des édifices cellulaires et des gargotes du mépris.
Ses images, issues du lointain intérieur, agissent dans la proximité immédiate. Nées de l'accouplement du rêve et de la réalité, elles appartiennent à une vérité plus complète que la vérité simple. Elles sont sur-réelles, c'est-à-dire supérieurement réelles, plus que réelles.MAX POL FOUCHET.op cite.(c'est moi qui souligne!!)
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