a.bevort : Pour une democratie participative.
NOTE DE LECTURE
Une partie des débats actuels qui traversent la pensée de gauche (ainsi que la désignation de futurs candidats aux présidentielles) concerne l’opposition entre la démocratie représentative (et de partis) et la démocratie participative, appelée aussi expertise citoyenne (quand elle n’est pas fustigée par le vocable de démocratie d’opinion et assimilée au libéralisme.)
L’auteur A.Bevort clarifie d’abord le débat par un retour historique sur l’idée même de démocratie représentative et ses non-dits
La démocratie représentative
De nos jours, l'identification de la démocratie à la démocratie représentative va de soi alors qu’à l’origine elle constitue une transformation réductrice considérable de son sens. Comme l'observe Bernard Manin, à la fin du XVIIIe siècle, un gouvernement organisé selon les principes représentatifs était considéré comme radicalement différent de la démocratie alors qu'il passe aujourd'hui pour une de ses formes éminentes. Le choix de la démocratie représentative correspond historiquement au scepticisme à l'égard de la compétence du peuple. Montesquieu le formule sans ambages dans L'Esprit des lois : « Le grand avantage des représentants, c'est qu'ils sont capables de discuter des affaires. Le peuple n'y est point du tout propre [...]. Il ne doit entrer dans le gouvernement que pour choisir ses représentants ; ce qui est très à sa portée. »
Les fondateurs américains et français des principes représentatifs percevaient bien la différence. Ainsi, selon Madison, la véritable différence entre les démocraties anciennes et les républiques modernes tenait « à ce que celles-ci n'accordent absolument aucun rôle au peuple en corps, non à ce que celles-là n'accordent aucun rôle aux représentants du peuple ». Le choix de désigner les dirigeants par l'élection et non par tirage au sort illustre la vraie nature des débats. De nos jours, l'élection semble la procédure démocratique par excellence, la caractéristique fondamentale du gouvernement démocratique. En réalité, l'élection est un mode de sélection des gouvernants, et non pas une modalité de gouvernement par le peuple, sens premier de démocratie. C'est le tirage au sort qui était associé à la procédure démocratique. Selon de nombreux penseurs politiques, « il ne faisait aucun doute qu'à la différence du sort, l'élection sélectionnait des élites préexistantes » (Harrison), ce qui n'avait pas échappé à Montesquieu pour qui le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie ; le suffrage par choix est de celle de l'aristocratie ».
Les travaux de Hansen sur la démocratie athénienne permettent de bien comprendre l'intérêt de la procédure par tirage au sort, dont il établit avec précision le rôle et la procédure. Au IVe siècle avant J.-C., les jurés du tribunal du peuple et l'immense majorité des magistrats athéniens étaient tirés au sort et dans la mesure du possible tous l'étaient pour un an non renouvelable. Le tirage au sort était notamment appliqué pour désigner les membres du conseil des cinq cents, corps qui préparait et exécutait les décisions prises par l'assemblée. Les archontes, les neuf plus importants personnages de l'État, étaient notamment désignés de cette façon. Pour les Athéniens, l'élection semblait moins démocratique que le tirage au sort, qui ne reposait pas sur l'idée que tout le monde était égal mais que tout le monde devait avoir des chances égales d'être sélectionné. Le tirage au sort avait selon les athéniens l'avantage de sauvegarder la puissance du peuple, de prévenir les conflits et d'empêcher la corruption.
Les Athéniens étaient conscients que le tirage au sort soulevait de nombreuses difficultés, ce dont témoignent un certain nombre de modalités qui précisent la procédure de désignation par tirage au sort, ainsi que les pouvoirs et obligations des candidats sélectionnés. Le tirage au sort s'effectuait parmi des candidats volontaires. On faisait acte de candidature dans son dème ou sa tribu, chaque communauté disposant d'un même nombre de sièges. Un citoyen, adulte pouvait être candidat deux fois, pourvu que ce ne fût pas deux années consécutives. Le conseil était de loin le plus important des collèges de magistrats et, pour l'empêcher de devenir trop puissant, les Athéniens mirent d'étroites limites à son autorité.
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Le tirage au sort n'était pas la loterie, des mécanismes de contrôle rigoureux permettaient d'éviter les dérives qui viennent immédiatement à l'esprit de certains sceptiques.
Les citoyens disposaient ainsi de recours qui font rêver aujourd'hui. Les compétences judiciaires étaient limitées par le droit de chaque citoyen d'en appeler au tribunal du peuple. Un droit de poursuite par de nouvelles procédures, dont n'importe quel citoyen et pas seulement la partie lésée, pouvait se charger, était prévu à titre de recours. Après le tirage au sort, les candidats devaient tous se soumettre à la « docimasie ». Pour le tribunal du peuple, la docimasie était une procédure qui permettait aux tribunaux de corriger les effets les plus malheureux du tirage au sort et de contrôler, pour l'annuler si nécessaire, une élection votée par l'assemblée. Un citoyen hostile à la démocratie pouvait être démis.
Enfin, un contrôle financier sévère était organisé. Chaque année, un collège de dix auditeurs était tiré au sort parmi les membres du conseil des cinq cents avec pour tâche de vérifier la façon dont les magistrats administraient les fonds publics qui leur étaient confiés. Tout magistrat proprement dit mais aussi quiconque avait exercé une charge publique ou géré des fonds publics avait l'obligation de se soumettre à une reddition des comptes, Elle visait systématiquement les ambassadeurs, les prêtres, les triérarques et même les membres de l'aréopage,(sorte de « cours suprême ») mais c'était d'abord et avant tout une arme utilisée contre les 500 membres du conseil, les 700 et quelques magistrats, tant élus que tirés au sort.
Plus de deux siècles de démocratie représentative ont laissé tomber dans l'oubli ces pratiques et conforté un point de vue très réducteur de la démocratie. Désormais, on considère simplement un peu rapidement que la démocratie à l'athénienne est inapplicable dans nos sociétés modernes pour des raisons comme la taille ou la complexité des affaires publiques. Comme l'observe Hansen, en distinguant la démocratie représentative de la démocratie directe, on définit implicitement la première comme la forme indirecte du gouvernement par le peuple et l'on fait de la présence d'intermédiaires le critère séparant les deux variétés de la démocratie. Le gouvernement représentatif n'accorde aucun rôle institutionnel au peuple assemblé.(hormis le référendum) C'est par là qu'il se distingue le plus visiblement de la démocratie des cités antiques.
Dans une démocratie radicale, le peuple intervenait dans la préparation et l'exécution des décisions prises par l'assemblée. Dans cette démocratie d'assemblée, l'argumentation et le débat jouaient un rôle bien plus important que dans nos démocraties parlementaires. Avec ces difficultés , la procédure de tirage au sort permettait notamment de déconnecter la délibération des enjeux du pouvoir et de donner à la délibération le rôle primordial qu'elle devrait avoir. Dans un parlement moderne, les discours ne servent plus réellement à convaincre la majorité des présents, mais visent à influencer le grand public à travers les médias (en particulier à l'approche des élections). En réalité, derrière une conception très réductrice de la démocratie, c'est la conception de la citoyenneté qui est en cause.
Paradoxalement, (d’un point de vue des accusation de libéralisme faits parfois aux défenseurs de la démocratie radicale) ce sont les libéraux historiques qui ont opéré la rupture.
Ainsi B.Constant distingue-t-il la liberté des Anciens et celle des Modernes. « La liberté pour un Anglais, un Français : le droit de n'être soumis qu'aux lois, [...] de dire son opinion, de choisir son industrie et l'exercer ; de disposer de sa propriété, d'en abuser même... ». La liberté des Anciens est toute différente, celle « d'exercer collectivement, mais directement, plusieurs parties de la souveraineté tout entière, à délibérer sur la place publique, de la guerre et de la paix, etc. et en même temps ils admettaient comme compatible avec cette liberté collective l'assujettissement complet de l'individu à l'autorité de l'ensemble ».
Le but des Anciens était le partage du pouvoir social entre tous les citoyens d'une même patrie. C'était ce qu'ils nommaient liberté. Le but des Modernes est la sécurité dans les jouissances privées ; et ils nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ces jouissances. L'indépendance individuelle est le premier des besoins modernes. En conséquence, il ne faut jamais en demander le sacrifice pour établir la liberté politique.
Il s'ensuit qu'aucune des institutions nombreuses et trop vantées qui, dans les républiques anciennes, gênaient la liberté individuelle, n'est admissible dans les temps modernes. Le système représentatif n'est rien d'autre qu'une organisation à l'aide de laquelle une nation se décharge sur quelques individus de ce qu'elle ne peut ou ne veut pas faire elle-même.
Au XXe siècle, Schumpeter, dans Capitalisme, socialisme et démocratie, a théorisé la même chose avec plus de brutalité encore : « Le citoyen typique, dès qu'il se mêle de politique, régresse à un niveau inférieur de rendement mental [...]. Il redevient un primitif. Sa pensée devient associative et affective. » Sur ses prémisses psychosociologiques, il fonde son point de vue selon lequel « l'existence des partis et des agents électoraux correspond tout simplement au fait que la masse électorale est incapable d'agir autrement que les moutons de Panurge ». Il aboutit à la conclusion que « démocratie signifie seulement que le peuple est à même d'accepter ou d'écarter les hommes appelés à le gouverner ».
Les théoriciens de la démocratie représentative refusent souvent l'idée qu'il « se formerait une opinion précise et rationnelle sur chaque problème spécifique et donnerait - en démocratie - effet à cette opinion en désignant des "représentants" chargés de veiller à ce que ses volontés soient mises à exécution ».
Le peuple est seulement capable d'accepter ou d'écarter les hommes appelés à le gouverner. Pour un auteur libéral comme hayek,la méthode démocratique est le système institutionnel, aboutissant à des décisions politiques, dans lequel des individus acquièrent le pouvoir de statuer sur ces décisions à l'issue d'une lutte concurrentielle portant sur les votes du peuple. » Le seul problème est d'obtenir des hommes de qualité. Il faut « une "strate" sociale(sans doute les partis) elle-même formée par un processus de sélection sévère, dont les éléments s'orientent tout naturellement vers la politique ». La politique n'est pas l'affaire des citoyens. Le libéralisme et la démocratie représentative se contenteraient ainsi volontiers d’un homme providentiel « Une fois qu'ils ont élu un individu, l'action politique devient son affaire et non pas la leur.
Comme le souligne Hansen, « il est de bon ton parmi les historiens de l'Antiquité d'insister sur la différence radicale qui nous sépare des anciens Grecs ». Les valeurs modernes de liberté, de l'individu, de sphère privée, de citoyenneté, de souveraineté auxquelles nous identifions la démocratie moderne auraient été inconnues des Grecs.. L’historien danois estime que, sous réserve de quelques précautions méthodologiques, la notion de polis est plus moderne qu'il n'y paraît, qu'elle renvoie à des notions modernes comme Etat, souveraineté.
L’argument toujours cité selon lequel les esclaves, les femmes les étrangers ne bénéficiaient pas de la citoyenneté dans la démocrate athénienne est certes sans appel. Pourtant nos modernes démocraties représentatives sont elles sans défauts de ce point de vue ? Le déficit démocratique a longtemps affecté le suffrage universel qui date d’à peine un siècle et demi. Il a fallu de nombreuses années pour vaincre les tenants de la « démocratie capacitaire ou censitaire » (dont notre sénat est un vestige qu’aucun homme politique « sérieux » de droite ou de gauche ne songerait pourtant à supprimer).
Il en faudra probablement d'autres pour faire accepter l'idée de la participation plus active des citoyens aux affaires de la cité
Le parlement français actuel, les grands groupes économiques, la haute administration sont ils vraiment des modèles d’égalité hommes/femmes, radicalement en rupture avec les cités antiques ? Le cumul illimité des mandats toujours invoqué au nom de l’expérience, de la compétence ou du manque de volontaires chez les citoyens, ne recrée –t-il pas une véritable « oligarchie » détournant le suffrage universel au profit de sa reproduction ? Quant au droit de vote des étrangers !!!!!!
(a suivre) : des théoriciens en « rupture » : H. Arendt et C.Castoriadis.
cf. sur ce Blog mes articles :
presentationn du blog :agoras et polis
H Arendt.
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