note de lecture :
le pouvoir local ou la democratie improbable. michel koebel.
Problématique :
« Démocratie locale », « république des proximités », « démocratie participative » : la démocratie se décline aujourd'hui sous de multiples appellations censées renvoyer à des relations plus étroites entre élus et habitants que celles instaurées par la démocratie représentative. Sous cet angle, la « démocratie locale » est présentée comme celle qui associerait au mieux « proximité » et « participation » dans une sorte de démocratie directe quasi réalisée. C'est le sens, par exemple, donné à la deuxième vague des lois de décentralisation placée sous les auspices d'une proximité enfin renouée entre représentants et représentés locaux.
Cette prédilection politique pour une « démocratie rapprochée », supposée revenir au plus près des « gens » ou des citoyens, participe encore de ce que les institutions européennes appellent la « nouvelle gouvernance » censée impliquer toujours plus d'acteurs locaux dans les procédures de décision publique. La valorisation de l'échelon politique local consacrerait, en effet, le « retour au terrain » ou aux « interactions concrètes », l'alliance de la familiarité avec les citoyens et de la transparence des décisions, réconciliant enfin élus et citoyens en favorisant leur mobilisation sur le devant de la scène publique, l'ouverture de l'intervention, dans les espaces publics locaux, aux habitants de la cité et la démocratisation du processus de délibération politique et de son apprentissage (Blondiaux, 2002). Ces relations « immédiates » s'opposeraient à la distance et à l'opacité qui auraient déréglé et « atomisé » les citoyens, perdus dans une démocratie bureaucratisée et inefficace, éloignée de leurs attentes, leurs « malheurs » et leurs « souffrances » que les hommes politiques se doivent pourtant d'entendre et de comprendre pour pouvoir leur apporter de véritables remèdes.
Cette rhétorique de la proximité et d'une démocratie enfin retrouvée grâce à un rapprochement à la fois spatial, géographique et affectif avec les habitants d'un territoire local connaît aujourd'hui une fortune sans précédent. Les discours issus de tous les horizons politiques se multiplient en ce sens. Les débats sur la parité ont puisé dans cet argumentaire pour justifier une juste représentation des femmes dans les instances politiques au nom de leur pragmatisme plus soucieux du quotidien de la vie sociale que des querelles idéologiques, de leur dégoût de la politique politicienne et de leur meilleure écoute des problèmes sociaux. Mais on peut évoquer également les modifications qu'ont connues d'autres activités sociales, maintenant parées de ce nouveau label supposé attester leur « réinsertion dans le tissu social » : justice « de proximité », police « de proximité », journalisme « de proximité », etc. Des dispositifs nouveaux visant à associer les citoyens ordinaires à la formation des choix publics ou à la délibération politique ont été créés, ancrant dans le réel cette rhétorique et redonnant une forme de légitimité à des élus frappés par une « crise de confiance » (sans doute d'abord en eux-mêmes) : conseils de quartier, conseils consultatifs locaux, conseils visant un « public » ciblé (étrangers, jeunes, enfants, « anciens », « sages », etc.), comités consultatifs d'associations, mais aussi commissions extra-municipales, conseils municipaux interactifs, enquêtes publiques, réunions publiques, concertations publiques, référendums locaux, etc. On assiste ainsi à la mise en place d'une « démocratie locale à la carte » dont les expériences s'échangent entre pays européens et qui entend « rénover » une démocratie représentative qui serait « en crise » (Lacroix, 1994). C'est tout un marché de la démocratie locale qui s'est déployé de façon exponentielle, voyant la montée autour des collectivités locales de nouveaux auxiliaires de la politique remplaçant les militants politiques qui, autrefois, occupaient ces fonctions : conseillers en communication, agences spécialisées dans le conseil management, techniciens de l’aménagement du territoire etc…
L’auteur s’interroge sur ce qu’il appelle la rhétorique du « retour au local » et de la proximité remarquant qu’elle s’ancre mais est-ce un hasard ? - au moment du tournant néolibéral qui confère à l'État un rôle de simple gestionnaire de la pauvreté plutôt (que de promoteur de politiques publiques.
« L'Etat modeste », proche des usagers et désencombré de ses fonctionnaires, fait alors une apparition remarquée qui ne s'est pas démentie depuis. La logique managériale, habillée aux couleurs de l'idéologie démocratique, se substitue avec un certain succès aux choix politiques assumés. Elle tend en outre à occulter les conceptions de la démocratie et les expériences d'intéressement des citoyens à la vie publique autres que celles qui - sous couleur de « nouveauté » - prévalent actuellement : autogestion, coopératives ouvrières mais aussi militantisme associatif voire syndical. Plus précisément encore, les dispositifs de « participation locale » ne remettent pas en cause la séparation instituée entre élus et citoyens ; bien au contraire, ils la préservent en conservant la hiérarchie des positions qui sépare professionnels et profanes de la politique.
Pour l’auteur, dans le débat sur le cumul des mandats, les prises de position favorables à son maintien se sont affirmées au nom de la plus grande proximité des élus avec les citoyens. C'est au moment où les élus locaux brandissent leur plus grande familiarité avec les problèmes des habitants de leur ville que les élections locales se vident de leurs électeurs et que leur taux d'abstention avoisine ceux des élections législatives.
Des travaux qui cherchaient à confronter cet « idéal démocratique » à ses modalités concrètes de réalisation ont critiqué la vision enchantée qui entoure cette démocratie « rapprochée ». Loin d'apparaître comme de réels outils de participation, ces dispositifs « participationnistes » ne seraient, selon certains, que des de légitimation des hommes politiques en place, des technologies nouvelles de « management de la décision », voire de simples outils de communication de politique locale, n'impliquant qu'une fraction très limitée des habitants. D'autres soulignent, pourtant, les opportunités nouvelles de jeu (de contestation ou de proposition) que ces instances ouvrent à des acteurs sociaux qui ne réussissaient pas auparavant à se faire entendre, au prix, il est vrai, d'une transformation de leur mode d'action et de leur prise de parole. Ils n'en soulignent pas moins que tous les acteurs sociaux ne réussissent pas à s'adapter à cette nouvelle configuration de la participation : ici comme ailleurs, s'opère une sélection sociale et politique parmi ceux qui seraient susceptibles d'intervenir au détriment notamment des fractions populaires.
Le livre ne critique pas en eux-mêmes ces nouveaux dispositifs participatifs., « toutes les procédures qui multiplient l'offre de participation démocratique sont bonnes à prendre à un moment où l'offre politique resserre fortement l'éventail des choix possibles. L'ambition de cet ouvrage est plus simple. «
Le propos est de prendre au sérieux cette valorisation de la proximité des élus locaux par
rapport à leurs concitoyens et de l'examiner sous l'angle de leur recrutement social et politique.
Qui sont-ils ? Quel est leur itinéraire professionnel et partisan ? Quels types de préoccupations sont les leurs ?
l’auteur met ainsi en évidence un paradoxe : c'est au moment où l'écart social et politique est le plus grand entre représentants et représentés que la rhétorique de la proximité prend toute sa puissance.
En toile de fond de cette analyse, une idée sans doute un peu baroque pour « l'air du temps » : pour qui prétend rendre la démocratie plus « participative », il faudrait en rechercher les conditions de possibilité, non pas seulement dans l'instauration de dispositifs de concertation locale, que dans une réforme des règles implicites de sélection du personnel politique et dans une re-politisation des enjeux locaux (et nationaux), qui viendraient, en quelque sorte, ébranler la séparation de plus en plus stricte entre les professionnels et les profanes de la politique.
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