Avant d’être séduite par Zeus sous la forme d’un serpent et de concevoir Dionysos, Perséphone avait commence un tissage sur lequel serait représenté l’univers (récits orphiques)
Filer le coton, tisser le vêtement l’homme et la femme qui rentrent à la maison pour procréer c’est tout un…les fils de coton des tisserands, les nombreux hommes de ce monde, c’est tout un….(ogotemmêli à m.griaule ..dieu d’eau)
Nous tisserons le linceul du vieux monde (chants des canuts)
Notre tradition veut que la vérité soit un dévoilement. Une chose, un ensemble de choses couvertes d'un voile, à découvrir, tâche des sciences et de la philosophie
Pourtant le réel, l’état des choses s'enchevêtrent, mêlé comme un fil, un long câble, un écheveau. Les connexions n'ont pas toujours leur dénouement. L'état des choses paraît une multiplicité croisée de voilages, dont l'entrelacs figure une projection. « L'état des choses écrit Michel Serres se chiffonne, se froisse, replié, parcouru de fronces et de volants, de franges, de mailles, de laçages. » les cinq sens….Grasset
« Non, la chose ne gît pas sous voile, ni la femme ne danse sous ses sept voiles, la danseuse est elle-même un complexe de tissus. La nudité révèle encore plis ou replis. Arlequin ne parviendra jamais à son dernier costume, il se déshabille infiniment. Rest ent toujours ocelles et tatouages…
Dévoiler ne consiste point à ôter un obstacle, enlever un décor, écarter une couverture, sous lesquels gît la chose nue, mais à suivre patiemment, avec un respectueux doigté, la disposition délicate des voiles, les zones, les espaces voisins, la profondeur de leur entassement, le talweg de leurs coutures, à les déployer quand il se peut, comme une queue de paon ou une jupe de dentelles. »
et M.Serres, de proposer ce qui pourrait fonder en effet une nouvelle anthropologie : que le tissu, le textile, l'étoffe donnent d'excellents modèles de la connaissance, d'excellents objets quasi abstraits.
« Le tisserand, la fileuse, Pénélope ou autre, m'étaient jadis apparus comme les premiers géomètres, parce que leur art ou leur artisanat explore ou exploite l'espace par nœuds, voisinages et continuités, sans nulle intervention de la mesure, parce que leurs manipulations tactiles anticipent la topologie. Le maçon ou l'arpenteur devancent les géomètres au sens étroit de la métrique, mais celle ou celui qui tisse ou file les précède dans l'art, dans l'idée, sans doute dans l'histoire. On a dû s'habiller avant de bâtir, se vêtir flou avant de construire en dur. »
. La Méditerranée, cultures et peuples non linéaires, a laissé place à l'Atlantique nouvelle et à la linéarité. La méthode passe la forêt en tenant les arbres pour nuls ; elle traverse la grande mer. Ainsi l'agriculteur laboure pour tuer toute plante ou racine et solliciter pour la culture d'une seule une réaction du champ qui la fait régner sans partage ; il méprise pour sauvage l'homme des bois, connaisseur d'arbres et de lianes, lieu par lieu et temps par temps, pouvant se repérer dans la forêt sans chemin ni boussole, par repères si instruits qu'ils deviennent instinctifs. Sortir du bois par le chemin droit sans rien voir équivalait à se délivrer de la sauvagerie. Ces deux rapports aux lieux et à l'espace marquent encore aujourd'hui la distance entre un homme de science et celui qu'on appelle, par mépris, littéraire ou poète, sauvage, distance entre le paysage et le panorama.
L'ethnologie s'est longtemps préoccupée de « dévoiler » dans le monde des espaces signifiants « durs », des sociétés identifiées à des cultures ( univers de sens à l'intérieur desquels les individus et les groupes se définiraient) conçues elles-mêmes comme des totalités s’ordonnant par ailleurs dans le temps selon un évolutionnisme linéaire et ethnocentrique. Dans ce modèle, le vécu autochtone était d’une certaine façon disqualifié parce que postulé inconscient de son sens réel que seul l’ethnologie pouvait dégager ,l’indigène pour sa part étant au mieux « élevé » au statut d’informateur.
On avait par exemple, un panorama de la société dogon, totalité pure, miraculeusement préservée du métissage culturel et de l’islam environnant( c’est un choix des films de jean Rouch),et régie par des mythes et des rites auxquels s’initie l’ethnologue. Une altérité fascinante (le temps d’un voyage ,d’une danse des masques,d’une visite au quai Branly,) qui nourrit notre nostalgie de l’origine, mais qui reste heureusement suffisamment autre pour ne pas « altérer » notre propre identité.
Pour les anthropologues contemporains, l'espace de la modernité déborde et relativise ce modèle. Marc Augé décrit notre surabondance spatiale qui tisse « lieux » (, villes centres, terroirs et territoires lieux de mémoires, hauts lieux), et « non lieux » : les points de transit et les occupations provisoires où se développe un réseau serré de moyens de transport qui sont aussi des espaces habités les aéroports, les gares et les stations aérospatiales, les grandes chaînes hôtelières, les parcs de loisir, et les grandes surfaces de la distribution, L’écheveau complexe, enfin, des réseaux câblés ou sans fil qui mobilisent l'espace extra-terrestre aux fins d'une communication si étrange qu'elle ne met souvent en contact l'individu qu'avec une autre image de lui-même.
Cette nouvelle anthropologie n’a-t-elle pas une conséquence paradoxale. Auparavant l’anthropologue décodait le bricolage sauvage, il l’interprétait sans l’écouter. En extrapolant le modèle issu de la linguistique il négligeait le tissu flou de la parole indigène pour en explorer la langue, les structures inconscientes.
Ainsi le primitif pouvait nous informer mais rien nous apprendre (sinon son altérité) qui puisse nourrir des modèles de compréhension de notre réalité, opposition de sociétés sans écriture, froides, horlogères, soucieuses de reconnaissance par les systèmes de parenté et les mythes, et des sociétés chaudes, historiques, productrices de techniques et de connaissances.
Il faut encore une fois lire michel serres (hermes 1) réduisant la raison classique( pour qui l’ailleurs est déraison incommunicable) à une simple raison régionalisée pour saisir la nouveauté du changement de perspectives :
A voyager sur terre ou plonger dans le courant du sens,communiquer c’est voyager, traduire, échanger : passer au site de l’Autre, assumer sa parole comme version transverse d’objets gagés ; faire commerce réciproque: voici hermes dieu des chemins, et carrefours, des messages et des marchands…
Ce site de l’autre, Serres le rencontrait dans les voyages pour enfants, les contes pour amoureuses, les légendes populaires et rêves d’alchimistes, on pourrait aussi bien le rencontrer dans le vaudou fon ou haïtien. Le discours du vodouisant n’est pas pur mensonge, pure errance ou illusion : l’appartenance au tissu cosmique ou social , consiste pour lui à se mettre à l’écoute des loas qui parlent ,dans les arbres : il s’inserre ainsi dans un réseau de significations, dans une plénitude de sens, parole du monde qui interpelle l’homme et dont la signification est inépuisable. Voici legba, fon ou haïtien, maître dieu des routes et des sentiers, des croisées et des chemins, « maitre carrefour » : « papa legba ouvre moi la barrierre pour que je passe »
Dans un autre texte(hermes ii) m Serres écrivait encore définissant la pensée scientifique contemporaine
« de l’élément atomique ou isotopique, à la molécule, de celle-ci au cristal, puis à l’étoile, l’invariant est sans contexte la forme même du réseau, les choses sont saisies dans les mailles d’un treillis législatif à deux ou trois dimensions ou entrées…peu à peu les régions autochtones disparaissent, des carrefours se connectent , ou se jettent des savoirs qui sont eux-mêmes des carrefours, des nœuds cde connexion…les domaines singuliers sont des échangeurs ; la coordination croisée , l’intersection rendent impensable un ordre irréversible ou linéaire ».
paradoxes : certains mythes dogons, certains récits de « rêves » aborigènes, font écho à ces propos :
ogotemmêli dans dieu d’eau, déroule ainsi le mythe de création : le génie nommo tisse l’univers et ce tissage est en même temps parole originaire :
Délivré de sa condition terrestre l'ancêtre fut pris en charge par le couple régénérateur. Le mâle le conduisit au fond de la terre, dans les eaux matricielles de sa compagne. Il se replia comme un fœtus, se réduisit comme un germe, atteignit la qualité d'eau, semence de Dieu, essence des deux génies. Les nommo
Et tout ce labour était de verbe : le mâle accompagnait de la voix la femelle qui se parlait à elle-même, qui parlait à son propre sexe. Le verbe entrait en elle, s'enroulait autour de la matrice en une hélice à huit spires. Et de même que la bande hélicoïdale de cuivre entourant le soleil lui donne son mouvement diurne, de même la spirale de verbe donnait à la matrice le mouvement régénérateur.
— Les paroles que le Nommo femelle se parlait à lui-même, dit Ogotemmêli, se tournaient en hélice et entraient dans son sexe. Le Nommo mâle l'aidait. Ce sont ces paroles qu'apprenait l'ancêtre septième à l'intérieur du ventre.
Le jour venu, à la lumière du soleil, le Septième génie expectora quatre-vingts fils de coton qu'il répartit entre ses dents supérieures utilisées comme celles d'un peigne de métier à tisser. Il forma ainsi la plage impaire de la chaîne. Il fit de même avec les dents inférieures pour constituer le plan des fils pairs. En ouvrant et refermant ses mâchoires, le génie imprimait à la chaîne les mouvements que lui imposent les lices du métier. Et comme tout son visage participait au labeur, ses ornements de nez représentaient la poulie sur laquelle ces dernières basculent ; la navette n'était autre que l'ornement de la lèvre inférieure.
Tandis que les fils se croisaient et se décroisaient, les deux pointes de la langue fourchue du génie poussaient alternativement le fil de trame et la bande se formait hors de la bouche, dans le souffle de la deuxième parole révélée.
En effet, le génie parlait. Comme avait fait le Nommo lors de la première divulgation, il octroyait son verbe au travers d'une technique, afin qu'il fut à la portée des hommes. Il montrait ainsi l'identité des gestes matériels et des forces spirituelles ou plutôt la nécessité de leur coopération.
Le génie déclamait et ses paroles colmataient tous les interstices de l'étoffe ; elles étaient tissées dans les fils et faisaient corps avec la bande. Elles étaient le tissu lui-même et le tissu était le verbe. Et c'est pourquoi étoffe se dit soy, qui signifie « c'est la parole ». Et ce mot veut dire aussi 7, rang de celui qui parla en tissant.
Durant l'accomplissement du travail, la fourmi allait et venait sur les bords de l'orifice, dans le souffle du génie, entendant et retenant les paroles. Nantie de cette nouvelle instruction, elle la communiqua aux hommes qui hantaient les parages et qui avaient déjà suivi la transformation du sexe de la terre.
ainsi les entrecroisements de la chaîne et de la trame enserrent les mêmes paroles, héritage des hommes que les tisserands transmettent de génération en génération, aux claquements de la navette et un bruit aigre de la poulie du métier » dites « grincement de la parole ».
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