Pour un Africain, la nature est une sorte de champ magnétique où l’on puise la force. Une énergie unique anime la nature à des degrés d’intensité plus ou moins forts, une énergie répond à nos angoisses, à nos désirs, à nos espérances.
Le problème essentiel consiste à capter ces forces éparses et à former avec elles un noyau de réalité plus dense. Dans cet esprit, le masque agit en support visible des forces invisibles.
Le but à atteindre est de participer à une surréalité qui sous-tend l’univers.
L’art africain peut évoquer l’animal, l’ancêtre ou la divinité au moyen de la sculpture, de la musique ou de la danse - il s’agit d’un tout unique. Dans tous les cas, l’on assiste à une métamorphose de l’homme par le truchement d’une danse rituelle obéissant à des lois rythmiques, produisant une forte accumulation d’énergie.
Ce que nous considérons comme une œuvre d’art n’est qu’un objet défonctionnalisé. Il a perdu sa force. On le place dans un musée ou dans une collection... ou dans un coffre-fort à moins qu’il ne serve à un concert ou à un spectacle. Mais les œuvres africaines n’ont pas été créées pour la contemplation. Ce sont des objets de participation destinés à l’accomplissement de cérémonies rituelles. Détachés de leur contexte humain et sacré, ils perdent toute intelligibilité.
Malraux dit avec juste raison : « C’est le musée qui contraint le crucifix à devenir une sculpture ».
Il en va exactement de même avec les masques africains dont la fonction est de susciter une puissance surnaturelle.
Ce que nous appelons danse, musique, sculpture, ne sont que les composantes d’un même acte qui tend à capter et à transmettre une force dans le collectif qui l’invoque et qui l’évoque. On réactualise et on ranime la puissance d’un ancêtre ou d’un dieu en revivant le mythe par le rite.
Cette force recréée dépasse celle de chacun des membres de la Communauté. On atteint le surnaturel, au-delà de la simple addition des forces individuelles.
C’est le moment d’une action collective, mimique préparatoire où s’affirme, par une participation totale, la cohésion interne, religieuse, d’un groupe d’individus. Le groupe dépasse ses possibilités, aussi bien en matière de chasse, que de guerre, que d’agriculture ou de toute autre forme de création.
Aimé Césaire dit, en grand poète : « Ici, la vie captée et redistribuée selon la règle du chant et la justice de la danse ».
En sculptant le bois pour lui donner la forme d’un masque, le sculpteur ne cherche pas à imiter une apparence sensible mais à donner une forme visible à une présence invisible, surnaturelle - afin de s’en approprier le pouvoir.
Quel pouvoir ? Cela va de la vitesse de l’antilope -que recherchent certains « Ti wara » du Mali- à la puissance terrifiante de l’ancêtre -comme dans certains masques Guéré-Wobés de Côte d’Ivoire.
Les masques font abstraction de toute ressemblance physique, ils visent uniquement à évoquer la tension et la puissance de l’ancêtre au moyen d’un agencement rythmique des volumes.
L’apparence importe peu. Ce qui compte, c’est de créer une réalité qui suscite une puissance. La grandeur de la statuaire africaine repose sur ce principe.
La danse rituelle mime et résume par son rythme la marche du monde. En donnant un support visible à l’esprit des morts, la sculpture en rassemble les forces.
La signification de telles œuvres commande leur structure. Elle commence par se séparer du monde quotidien en refusant de l’imiter. Elle imagine une réalité nouvelle, comparable à celle d’une forme technique, ne cherchant pas à imiter une réalité existante.
L’objet est en bois. A le manipuler chacun le sait. Il est préférablement fait d’aubier pour être léger, facile à porter.
Il peut être un heaume à simple face (Mende) ou « bifrons », un masque facial régulier de vingt cinq à trente centimètres de long ou une miniature de trois centimètres, chacun ayant naturellement son sens et sa fonction. (Dan. Guéré-Wobé).
Il est généralement noir ou brun sombre (tatoué ou non de symboles en blanc ou en couleur) ; il peut être aussi violemment colorié (Ekoï).
Il peut s’arrêter au front ou se créer de quelque monumentale projection, (Bobo/Dogon).
Il est d’expression terrifiante ou suave. La fonction dicte l’expression.
Tous ces masques ont été faits par des artistes baignant dans la tradition
A chaque fonction correspond un certain type de masque tel que voulu par la tradition du clan. La fonction peut être là même ici et là, un « juge » Baoulé ne ressemble pas forcément à un juge Bambara ; le Dan marque la clairvoyance, comme son voisin Guéré-Wobé, en solidifiant le regard dans la projection de deux cylindres, le voisin Mano, pour marquer le même attribut, évide les yeux en deux larges cercles bordés peut-être de blanc.
Sans autrement connaître les fonctions, comment sait-on qu’un masque est Ibo, Gola ou Mossi ? Interviennent ici les marques façons d’écoles passées de maîtres à apprentis des nouvelles générations.
La sculpture du bois est née de la forge, les deux formes étant liées de tradition immémoriale. Les sculpteurs non forgerons des récentes générations, depuis que la forge a été dépassée par les articles d’importation, n’en sont pas moins les héritiers d’une discipline double, dont chaque aspect avait sa signification et son autorité particulières.
Le forgeron, redouté parce que maître du feu, et membre d’une caste parce que artisan, était dépositaire des traditions .Son ambivalence entre la caste et la qualité se compliquait encore du fait de son utilité. II était, en effet, inséparable du bien-être commun, étant le fabricant des instruments aratoires, de certains ustensiles ménagers, de certaines armes, des couteaux, des pinces et autres accessoires de l’initiation.
Son atelier était séparé du village autant par la distance que par la peur. Les enfants n’en approchaient pas, les femmes négociaient de l’extérieur leurs besoins domestiques, les hommes n’y entraient qu’en passant. D’entrée dans la vie, les descendants de cet homme important et redoutable assumaient leur mise à part, leurs mères étant aussi bien des potières ou autres artisanes .
Le sculpteur se sait inspiré et la communauté l’accepte comme tel par besoin d’un créateur « assiste » de simulacres divins. Favorisé par la position toujours en retrait de son hangar de travail, il y assume sa singularité par son comportement, tantôt rêveur et distant, tantôt fébrile.
Sa personnalité s’est trouvée affectée du fait de jouer un rôle de direction (sans être vraiment un pilote) et de voyant (sans entre vraiment prêtre ou sorcier). Détaché de la production agricole, s’abreuvant à des sources esthétiques ou spirituelles, il a son genre, ses manières, créant dans le cadre de la subsistance la notion étrange des « stéréotypes » de l’artiste. Personne n’approche de l’atelier sans avoir été annoncé ; personne ne s’adresse au maître tant qu’il travaille, (mais parfois il se laisse entourer d’un cercle admiratif pendant que sous l’hilaire volent les copeaux), et si la loi du silence est absolue quant aux apprentis, soudain le maître, peut à l’occasion, laisser tomber ses outils et de se mettre à discourir sur le passé, sur les vieux maîtres et l’ancienne gloire !!
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