PRIÈRE AUX MASQUES. L. s.senghor. chants d’ombre
Masques ! O masques !
Masque noir, masque rouge, vous masques blanc-et-noir. Ancêtre à la tête de lion.
Vous gardez le lieu forclos à tout rire de femme, à tout sourire qui se fane
Vous distillez cet air d’éternité où je respire l’air de mes pères
Masques aux visages sans masque, dépouillés de toute fossette comme de toute ride.
Qui avez composé ce portrait, ce visage mien penché sur l’autel de papier blanc. A votre image, écoutez-moi
Voici que meurt l’Afrique des empires - c’est l’agonie d’une princesse pitoyable
Et aussi l’Europe à qui nous sommes liés par le nombril.
Fixez vos yeux immuables sur vos enfants que l’on commande.
Qui donnent leur vie comme le pauvre son dernier vêtement.
Que nous répondions présents à la renaissance du Monde
Ainsi le levain qui est nécessaire à la farine blanche
Car qui apprendrait le rythme au monde défunt des machines et des canons ?
Qui pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à l’aurore
?
Dites, qui rendrait la mémoire de vie à l’homme aux espoirs éventrés.
Ils nous disent les hommes du coton du café de l’huile. Ils nous disent les hommes de la mort.
Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds reprennent vigueur en frappant le sol dur
LE MASQUE DANS LA SCULPTURE AFRICAINE
Aucune société humaine n’a ignoré le masque et celui-ci surgit dès le moment où l’homme accède à l’état de culture. De la Grèce antique à l’Amérique ancienne en passant par l’Asie et l’Océanie, les masques ont symbolisé les dieux, incarné la beauté et l’effroi, exprimé l’immanence et l’illusion mais aussi le calme, l’ordre et la sérénité. Gorgones dont parle Hésiode , masques d’initiation du Péloponèse, masques bugaku et nô du Japon, des masques barong de Java, masques des Eskirno et des Indiens d’Amérique du Nord, masques des Papou Orokolo de la Nouvelle-Guinée.
En Afrique Noire, continent célèbre depuis le début de ce siècle pour la richesse de son art, la sculpture des masques est une dominante majeure de l’art plastique. Le masque peut ici être considéré comme un phénomène artistique caractérisé par son ubiquité et la diversité de ses formes et styles.
On rencontre le masque dans les savanes des pays Soudanais et des pays Bantou comme on le rencontre dans les forêts du Golfe de Guinée et de la cuvette Congolaise. Or, ces régions recouvrent plusieurs types de civilisations : Les civilisations des clairières avec les Dan, le Vê et les Akan ;
Les civilisations des greniers avec les Dogon, les Sénoufo ;
Les civilisations des cités avec les Mandingues et les Yoruba.
Il s’agit là aussi de sociétés qui peuvent être patrilinéaires ou matrilinéaires, organisées en Etat ou organisées sur la simple base du village.
Ce qui frappe dans cette présence du masque, c’est son indifférence aux variations d’ordre géographique ou culturel, d’ordre social ou politique. Il y a des régions privilégiées dans cette distribution géographique et socio-culturelle des masques en Afrique.
- Le Soudan Occidental, et les peuples de la boucle du Niger (Bambara, Dogon, Mossi,bobo) ; Les régions côtières depuis la Casamance jusqu’à l’embouchure du Congo, en particulier les peuples du massif guinéo-libérien, de la Côte-d’Ivoire, du Nigéria,comme du Cameroun ou du Gabon ; Les contrées au Sud et au Sud-Est du Congo (le Congo, le Zaïre, l’Angola) ;
- Enfin, il semble que les sociétés politiques organisées en Etats fortement centralisées soient moins riches en masques que celles organisées en chefferies et communautés villageoises.
Les hauts plateaux situés entre le lac Nyassa et l’Océan Indien.
Une moindre importance des masques est attestée dans le Soudan Central, l’Oubangui Chari (l’actuelle République Centrafricaine) et le Nord du Congo.
Les masques sont taillés dans les matériaux les plus divers, mais avec une prépondérance manifeste du bois. Il y a une profusion des formes, mais trois tendances principales se dégagent de celles-ci.
Les masques à forme animale ou masques zoomorphes :
Ils sont la figuration des caractères dominants des animaux représentés, tels sont les masques Boli des Bambara qui figurent des lions, des hyènes et des antilopes. Notons ici l’importance des Tyi-Wara, masques antilopes qui conduisent les danses pendant les grands évènements. De même, la danse masquée djê des Gouro et des Baoulé, est un véritable déploiement de masques zoomorphes où apparaissent têtes de chien, cabri, gazelle, buffle et éléphant etc...
Les masques à figure humaine ou masque anthropomorphes :
Ils représentent des hommes ou des femmes. Chez les Dogon, les masques humains incarnent les anciens, les prêtres, les chasseurs et les sorciers. Il existe aussi chez les Mossi des masques à figure féminine à côté des masques à figure masculine. Enfin, de nombreux masques anthropomorphes existent chez d’autres peuples notamment chez les Dan et Gouro, où leurs traits sont finement ciselés. Qui ne se souvient de la célèbre Dje-La Lou-Zaouli, une des plus belles attractions des danses ivoiriennes !
Les masques anthropozoomorphes :
Ici s’associent traits animaux et traits humains, mais avec la prépondérance du visage humain. Le visage de l’homme est alors affecté d’une ornementation le plus souvent périphérique, composée d’éléments empruntés aux animaux (cornes, plumes, dents) et visant à souligner les caractéristiques fonctionnelles du masque. Ainsi en est-il des masques Zamblé chez les Gouro. Quant aux masques Wê (c’est-à-dire Guéré et Wobé) où cette ornementation est composée avec beaucoup de recherche, ils atteignent en ce domaine un haut degré d’expression symbolique.
ORIENTATIONS STYLISTIQUES
A travers les formes qu’ils donnent à la matière, les sculpteurs de masque s’efforcent de rendre visible l’invisible et d’exprimer des idées. L’union des éléments naturels et des éléments abstraits, des éléments expressionnistes et des éléments surréalistes, s’achève dans le surgissement d’une entité tout à fait nouvelle : le masque. Celui-ci avec une tête puissante, un oeil étincelant, des cornes de buffle, de bélier ou d’antilope, avec parfois une gueule de crocodile, doit dégager une impression de force et de puissance. L’équilibre statique, la symétrie et la frontalité doivent évoquer la grandeur supraterrestre dont le masque est le siège.
Deux styles apparaissent très nettement à travers le fatras des formes : « un style cubiste », où dominent les formes géométriques, caractérise les masques des Dogon, Bambara, Bobo et Wê (Guéré en particulier) ; « un style naturaliste », où domine au contraire la représentation du réel visible, se retrouve dans les masques des Gouro, Baoulé et peuples de la civilisation du Bénin.
Mais entre ces deux orientations existent des styles intermédiaires que l’on rencontre chez les sculpteurs de masques Dan et Sénoufo.
FONCTIONS DU MASQUE
En apparence, et pour le profane, le masque est un phénomène artistique et technique qui peut signifier, à travers l’ubiquité de cette sculpture en Afrique Noire, une unité d’expression artistique, un stade d’avancement technologique, une modalité de l’expression culturelle. William Fagg écrit à ce propos : « c’est par l’art qui lui est propre que nous pouvons acquérir la vue la plus pénétrante de la culture d’un peuple, et en particulier des peuples africains ». (Musée des Arts décoratifs, 1964). C’est dire que les sculptures ont un rôle de témoins, sont révélatrices de la civilisation d’un peuple.
Si en Occident, l’idée de sculpture est d’abord technique, dans la mesure où sculpter c’est « tailler avec le ciseau une figure, une image, dans la pierre, le bois, le marbre » (Littré), en Afrique la sculpture renvoie au sculpteur, c’est-à-dire à la société qui porte l’oeuvre et l’artiste. C’est pourquoi Ola Balogun a pu écrire : « l’un des principaux traits communs à l’ensemble de l’Afrique Noire, dans le domaine de la sculpture, est que les masques sculptés ne sont pas conçus pour être contemplés comme oeuvres d’art, mais pour être utilisés à l’occasion de cérémonies rituelles sociales ou religieuses ». (Introduction à la culture africaine, UNESCO, 10/18, p. 57).
En matière d’art africain, la question-clé est toujours la question des fonctions. Il faut donc aller au delà des apparences pour comprendre la sculpture des masques à travers les fonctions qui lui sont assignées.
LES DOMAINES D’INTERVENTION :
Le masque n’est pas en réalité cette figure sculptée que l’on a coutume de voir, il est un personnage, un être qui représente à la fois une divinité et une force de la société humaine. Au moment où il le porte, son porteur est investi des attributs reconnus à cette force divine et sociale.
Il en résulte une variété des domaines d’intervention du masque qui atteste de la variété de ses fonctions. on peut distinguer quatre domaines :
· Le masque intervient dans les cérémonies d’initiation, dans les rites liés à la naissance et dans les cérémonies funéraires ; il peut aussi diriger des rites d’adoration. Dans ce domaine strictement religieux, les masques servent de protection contre les esprits maléfiques mais jouent un rôle d’intermédiaires entre les dieux et les hommes.
· Le masque règle en dernier recours les litiges, les problèmes de la paix et de la guerre, ses décisions sont alors irrévocables ; au plan strictement politique les masques donnent des directives aux responsables politiques pour la gestion de la communauté ; enfin ils assurent la sécurité des villageois en organisant la police des villages ; ce sont encore les masques qui se chargent de l’information en cas de besoin.
· Le masque joue un rôle dans la vie économique parce qu’il doit veiller au bon déroulement des semailles et de la moisson, intervenir pour apaiser le courroux des dieux lors des calamités naturelles qui bouleversent les données de la vie agricole et menacent la survie de la communauté.
· Les réjouissances, les fêtes et les jeux voient encore les masques apporter leur concours aux hommes par la danse, le chant, les courses masquées.
Ces domaines d’intervention correspondent donc aux fonctions sociales importantes jouées par les masques. Mais chaque fonction nécessite un type de masque approprié et la hiérarchie des fonctions appelle la hiérarchie des masques.
Les types de masques
Les masques africains se différencient selon les domaines d’utilisation et l’importance des tâches qu’ils doivent assumer. Ces rôles expliquent aussi les différences dans la forme : taille, figure, accoutrement, démarche, etc...
Chez les Sénoufo, par exemple, il y a deux grandes classes de masques sous le rapport de la forme et huit classes sous celui de l’utilisation. Ainsi les masques d’initiation (poro) sont de grande taille et à figure animale. Il s’agit là de masques participant à l’éducation et à la formation des hommes, donc de masques ayant des fonctions positives. Au contraire, d’autres masques sont destinés aux techniques magiques agressives ou défensives. Ces derniers sont de petite taille et ont une figure humaine.
Chez les Wê et les Dan, pour nous en tenir encore à la superficie des choses, les grands masques se distinguent des petits masques. Sont considérés comme grands masques ceux qui ont la fonction de commandement, l’âge et le savoir ; tels sont les masques de sagesse, de justice, de guerre ; ils ont un accoutrement spécial, une démarche majestueuse et sortent à intervalles variant entre 1 ou, 20 ans.
En dessous se trouvent les masques mineurs eux-mêmes très hiérarchisés ; ceux-ci ont une fonction ludique très affirmée, et interviennent pendant les fêtes et autres jours de réjouissance. Mais en règle générale, les grands masques commandent aux petits, décident de la sortie annuelle ou périodique de tous les masques, arrivent les derniers sur la scène les jours de cérémonie, précédés évidemment de leurs annonciateurs que sont les petits masques. Un protocole, en somme qui rappelle les grandes parades politiques de l’Afrique ancienne et celles de l’Afrique actuelle.
C’est dire que, dans la plupart des régions, il y a plusieurs masques par village, en raison des fonctions diverses qui sont assignées aux masques, au regard des nécessités de la vie sociale. En somme, une espèce de gouvernement de la collectivité qui distribue les rôles à des ministères techniques sous la direction d’un chef de gouvernement. Dans ce village composé de deux grands quartiers, six types de masques exercent six fonctions bien déterminées. Nous sommes loin de la tradition d’anarchie (sauvage) que l’ethnographie coloniale avait cru déceler, pour les besoins du colonialisme, dans les sociétés forestières de l’Afrique Noire.
3°) LA FONCTION FONDAMENTALE EST LE MAINTIEN DE L’ORDRE
La fonction la plus significative des masques est le maintien de l’ordre. Le masque est chargé de maintenir l’ordre du monde, de la société et des familles.
Le masque intervient en effet pour régulariser l’ordre cosmique dérangé par les atteintes portées aux lois du monde. Surviennent des calamités naturelles et des catastrophes humaines, et les masques ordonnent des sacrifices pour réparer les effets des transgressions qui ont causé tous ces malheurs.
Ils doivent aussi veiller à la rectitude des moeurs en maintenant le respect des interdits qui fondent la structure des familles et des villages. Enfin les masques de sagesse ou grands masques décident en dernier ressort des affaires que la justice profane n’a pu régler. Leur intervention dans les problèmes de la guerre et de la paix vise aussi à préserver l’ordre social.
Mais une question vient à l’esprit : pourquoi a-t-on eu besoin de recourir au masque pour assurer le maintien de l’ordre social ?
Pour maintenir l’ordre dans la société et dans le monde, les hommes ont eu besoin de l’autorité des dieux, des esprits et des ancêtres. Les masques incarnent les dépositaires naturels et surnaturels de l’autorité. Ils fonctionnent donc comme les réceptacles du sacré et par conséquent comme les fondements de la loi, source de l’ordre et de la puissance. Ainsi la sacralisation de l’autorité à travers son investissement dans le masque, est-elle un moyen de lui assurer la légitimité et la puissance.
Les masques apparaissent donc, en dernière analyse, comme des appareils idéologiques de la société traditionnelle africaine qui assurent la conservation de l’ordre naturel par la recherche des équilibres et la lutte contre l’anarchie. Ils expriment ainsi la situation de sociétés qui n’ont pas cherché à rompre la continuité primordiale entre le monde des hommes et celui des dieux, entre la nature et la surnature.
DESTIN DES MASQUES DANS L’AFRIQUE D’Aujourd’hui
Si les masques gardent encore leurs attributs antiques dans les civilisations de l’Amérique indienne, de l’Océanie et de l’Afrique, ils semblent les avoir perdus en Europe et en Asie.
En effet, les masques ont connu en Europe comme en Asie une évolution qui les a fait passer du sacré au profane, de la religion au théâtre. Dès l’époque de Périclès le masque représentant de la divinité est déjà aux prises avec la raison dans le théâtre grec. Dans un espace théâtral et démocratique et lors de fetes civiques , il est traité avec horreur dans la tragédie et tourné en dérision dans la comédie, les masques ,les mythes et les dieux sont soumis au dur interrogatoire de la raison humaine.
Dans l’Occident chrétien, le masque est rejeté de la religion mais réapparaît dans la fête, le carnaval et les manifestations grotesques. Le masque est devenu expression du diable, du mal que le carnaval essaie de diluer â travers la grosse farce mystique. La cérémonie masquée est une cérémonie du mal qui se dégrade en une ronde des vices. Ici, le masque autorise la transgression des interdits et le carnaval est alors une vaste illusion comique qui contraste avec les rituels des fêtes masquées africaines.
Une évolution analogue quoique différente, s’observe en Asie où les masques sont de plus en plus associés aux jeux, au théâtre et aux fêtes. Ainsi les masques bugaku du Japon perdent leurs aspects rituels au profit de leurs aspects esthétiques ; les masques Nô, chefs-d’oeuvre religieux des 14 et 15e siècles, animent des forces qui sont maintenant purgées de toute référence rituelle.
Ainsi donc, avec le recul du sacré, le masque a été réduit à sa fonction ludique et esthétique. Les masques africains sont-ils appelés à suivre cette évolution constatée ailleurs ? La nouvelle économie de marché, l’urbanisation rapide et générale qui désagrège les campagnes, la nouvelle administration des collectivités rurales, bref tous les changements en cours ne sont-ils pas des menaces constantes qui pèsent sur la vie des masques ?
Deux dangers apparaissent très nettement à l’heure actuelle : l’autodestruction et la destruction extérieure. L’autodestruction est causée par les commerçants d’art qui soumettent les paysans à des pressions irrésistibles ; par le comportement indélicat de certaines autorités administratives ; par l’indifférence même des intellectuels modernes aux réalités de la culture traditionnelle. La destruction extérieure est liée aux influences religieuses importées (Islam, Christianisme), à l’absence parfois regrettable d’une politique culturelle susceptible de bloquer la fuite à l’étranger des structures matérielles de la civilisation des masques.
Au-delà de la disparition des supports matériels de la vie des masques, il y a des dangers qui menacent les fonctions. L’on peut se demander, en effet, si les masques ont encore un rôle à jouer dans la société d’aujourd’hui, en particulier dans le règlement de certains conflits pour lesquels le droit moderne, hérité de l’occident, paraît complètement incompétent.
Il y a donc des raisons objectives pour une résistance des masques africains en tant que forces sociales, mais le problème est de savoir comment sera articulée l’intégration des anciennes fonctions des masques à la gamme des fonctions que la société contemporaine est en train de développer.
Le Chat des labyrinthes
A l’œil narquois et au malin sourire
Met des masques
Pourquoi ?
- Les rats pourraient le mordre !
-Pourquoi ?
- Les chacals pourraient le souiller ! Pourquoi ?
- Les hommes pourraient le domestiquer !
Qu’est le Masque pour le Chat
Aux pensées d’Eternité ?
Qu’est le Masque pour le Chat
Au front d’inquiétude et d’Hystérie,
Qu’est le Masque pour le Chat
Au sourire de Bodhi,
Qu’est le Masque pour le Chat
A la Bouche d’Amen à la Vie ?
LE MASQUE EST la fenêtre qui s’ouvre...
OU SE FERME.
la maison de lourde pierre
OU DE VERRE...
Le Masque est Bouclier
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