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Roger Some dans « art africain et esthétique occidentale » développe une thèse unilatérale selon laquelle « ce que l'on appelle "art lobi", n'est pas perçu comme tel par les Lobi car il n'existe pas en lobiri un équivalent du concept d'art. Il est sans doute possible, à travers une étude linguistique approfondie, de trouver des expressions ou des groupes d'expressions capables de traduire, même approximativement, le terme art. Mais il reste que le terme d'art manque.
Ainsi le terme faire (mââlu), par exemple, peut signifier art. Mais ce terme exprime le fait d'accomplir une action de façon générale : je prépare le champ (/ mââls nââ pûô) ; je confectionne le couvercle du grenier (/' mââlsnââ bôô-piï) ; je fais la chose (/ mââls nââ bon). Il n'existe pas une utilisation spécifique de ce terme destinée à exprimer la production d'un objet susceptible d'être considéré comme œuvre d'art même si ce terme enveloppe l'idée de fabriquer.
Pour l’auteur, cette absence du concept atteste que l'art, tel qu'il est conçu en Occident, ne présente aucune réalité pour les populations lobi. D’où sa thèse :
« En effet, on voit mal comment et pourquoi devraient être qualifiés d'artistiques des objets produits par des hommes qui ne le désignent pas comme tels »
Cette thèse marquée par un une dénonciation méthodique de tout ethnocentrisme, peut apparaître cependant réductrice si on la compare aux analyses de M .Leiris, ( l Le Sentiment esthétique chez \ les Noirs africains) auteur d’une approche méthodologique trop peu reconnue mais qui avait le grand mérite de clarifier la problématique :
Dès l’abord Leiris souligne l’altérité des œuvres par rapport à notre tradition : Qu'il s'agisse d'objets d'usage rituel1, comme les masques et les statues appelées communément «fétiches», ou bien d'objets sans destination religieuse ou magique, par exemple les plaques de bronze provenant de l'ancienne cité de Bénin et certaines au moins des effigies royales bushong de l'ex-Congo belge [Zaïre], on observe que chez les Nègres africains l'art est généralement orienté vers des buts dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils ne sont pas strictement esthétiques. Masques de danse et fétiches sont des objets utilitaires dans la mesure où ils ont un rôle à remplir dans des rites liés à la marche de la vie. Reliefs de bronze et effigies royales, eux non plus, ne relèvent pas de l'«art pour l'art», si l'on entend par là un art dont les produits n'ont pas d'autre justification que leur existence même : qu'ils aient un rôle décoratif et tant soit peu historique comme les reliefs ou commémoratif comme les effigies, qu'ils contribuent à rehausser le prestige d'un palais ou donnent l'image de ce que fut un souverain, leur fonction, comme celle de nos propres sculptures destinées à enrichir une architecture ou à honorer la mémoire d'un grand homme, tous ces objets échappent par définition à ce qu'on peut tenir pour de l'art exempt de tout alliage avec autre chose que lui-même..
il n’y aurait donc pas d’art africain si l’on s’en tient çà une esthétique kantienne, distinguant le jugement esthétique de goût de celui de plaisir et d’intérêt, esthétique qui devait culminer dans « l’art pour l’art »
Leiris introduit à ce sujet plusieurs distinctions fondamentales(malheureusement remise en question récemment dans le passage du Musée de l’Homme au Quai Branly)
Loin de représenter l'art sous sa forme la plus typique, ce que l'Occident contemporain a nommé «l'art pour l’art» n'est rien de plus qu'un art conforme à une certaine esthétique, qui veut que l'art soit dégagé le plus possible de tout conditionnement circonstanciel. Etudier les arts de l'Afrique noire en se servant de cette notion pour fixer les limites du sujet, ce serait se baser sur une théorie dûment localisée et datée qui ne pourrait même pas être appliquée utilement à une étude générale de nos propres arts.
Cette localisation correspond d’ailleurs à une structuration économico/sociale/
À quelque complexité que leur civilisation ait atteint avant l'installation des Européens, aspects techniques, économiques, juridiques, religieux, esthétiques et autres aspects de la vie sociale des peuples négro-africains sont restés, du moins jusqu'à une époque récente, moins nettement différenciés que dans notre monde industrialisé, où une division du travail très poussée s'accompagne, au niveau de l'individu, non seulement d'une spécialisation professionnelle mais d'une répartition de ses activités sur le mode du «chaque chose en son temps».
D’où une problématique forte :
Toutefois, la question de la valeur esthétique de l'objet dans son contexte originel doit être examinée, car on ne saurait sans égocentrisme le considérer comme «objet d'art» s'il n'était tel que pour nos propres regards.
Cette problématique conduit à interroger la présence ou non d’un sentiment esthétique du beau dans les cultures africaines traditionnelles .
Leiris énumère des domaines ou quoique diffus, l’art n’est pas absent :
La valeur assignée à l'apparat et au cérémonial - attestée par le rôle important qu'à intervalles plus ou moins réguliers jouent les fêtes, toujours fastueuses au moins relativement et soumises à une ordonnance que n'entament pas les éventuels déchaînements. Par celui aussi que jouent même dans la vie de tous les jours la cosmétique et la parure, ainsi que l'étiquette et le bien-dire (). Du point de vue de l'esthétique au sens strict l'on sait, par ailleurs, que la musique et la danse occupent non seulement une grande part des loisirs, , mais interviennent largement dans les rites et souvent même dans le travail comme si, pour les membres de tels groupes, il n'était que peu d'actions qui puissent s'accomplir sans l'appui d'un certain rythme. Enfin, si masques et statues, que nous appréhendons comme objets d'art, apparaissent plutôt comme objets d'utilité dans leur contexte africain, maints objets, en revanche, que l'on peut estimer de stricte utilité (récipients, outils agraires, etc.) sont des manières d'objets d'art, même s'ils ne comportent aucune décoration . Faits à la main et sans que l'artisan ait songé à épargner sa peine et son temps pour confectionner une chose qui sera comme un prolongement de lui-même (une espèce d'organe supplémentaire que l'intervention de nulle machine n'aura rendu étranger à l'être humain qui le manie).
Ces objets montrent que les éléments de beauté que sont l'agencement harmonieux des formes et le fini d'exécution n'en ont été écartés ni par un souci trop étroit de convenance au but ni par le besoin d'une abondante production.
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