Ces textes sont à mettre en rapport avec l’ensemble des notes qui concernent le tissage, les entrelacs, les labyrinthes comme paradigmes de l’anthropologie. Ils font suite aux notes qui concernent la transe et le chamanisme qui introduisaient une problématique du corps.
Le corps semble aller de soi mais rien finalement n'est plus insaisissable. Il n'est jamais une donnée indiscutable, La conception la plus couramment admise dans les sociétés occidentales trouve sa formulation dans l'anatomo-physiologie, c'est-à-dire dans le savoir biomédical. Elle repose sur une conception particulière de la personne, celle qui fait dire à l'acteur social : « mon corps » sur le modèle de la possession. Cette représentation est née de l'émergence et du développement de l'individualisme au sein des sociétés occidentales à partir de la Renaissance. Chez nous, le corps est le signe de l'individu, le lieu de sa différence, de sa distinction, en même temps paradoxalement, il est souvent dissocié de lui, du fait de l'héritage dualiste qui pèse toujours sur sa caractérisation occidentale. On parle ainsi, à la manière d'un cliché, de « la libération du corps », formulation typiquement dualiste qui oublie que la condition humaine est corporelle, que l'homme est indiscernable du corps qui lui donne l'épaisseur et la sensibilité de son être au monde. dlebreton anthropologie du corps et modernité
"Le sensible, écrit pourtant Levinas, – maternité, vulnérabilité, appréhension – noue le nœud de l’incarnation dans une intrigue plus large que l’aperception de soi ; intrigue où je suis noué aux autres avant d’être noué à mon corps.
La condition humaine est corporelle. Le monde ne se donne que sous la forme du sensible. Il n'est rien dans l'esprit qui n'ait d'abord séjourné dans les sens. "Mon corps est la même chair que le monde", dit Merleau-Ponty .Les perceptions sensorielles jettent physiquement l'homme dans le monde, et par là même au sein d'un monde de significations, elles ne le limitent pas, elles le suscitent.
A partir d’une phénoménologie du corps et de sa perception, merleau ponty a jeté les bases d’une toute autre anthropologie du corps comme « chair du monde »
. nietzsche observait déja que l’homme entretient avec son corps une relation comparable à celle de l'araignée avec sa toile. "Mon œil, écrit-il, qu'il soit perçant ou faible, ne voit pas au-delà d'un certain espace, et dans cet espace je vis et j'agis, cette ligne d'horizon est mon plus proche destin, grand ou petit, auquel je ne peux échapper. Mais la complexion physique n'est qu'un élément du fonctionnement des sens. La première limite est moins la chair en elle-même que ce que la culture en fait.
Le corps est du monde…. le corps propre est l’entrelacement (chiasme )entre sentir et senti, « il y a correspondance entre son dedans et mon dehors « Toute scission entre sujet et objet, sentir et senti est surmontée au profit d’un entrelacement originaire : dans la mesure où le corps est appartenance au monde, l’événement du sentir n’est autre que l’avènement d’un monde senti… MERLEAU-PONTY. Visible et Invisible
Les limites du corps, comme celles de l'univers de l'homme, sont celles fournies par les systèmes symboliques dont il est tributaire. Comme la langue, il fait office de mesure du monde, un filet jeté sur la foule des stimulations qui assaillent l'individu au long de sa vie quotidienne et qui ne retient dans ses mailles que celles qui lui paraissent les plus signifiantes. A chaque instant à travers sa chair, l'individu interprète son environnement et agit sur lui en fonction des orientations intériorisées par l'éducation ou l'habitude
Mais, simultanément, la chair est le chemin de l'ouverture au monde. En s'éprouvant, l'individu éprouve l'événement du monde. Sentir, c'est à la fois se déployer comme sujet et accueillir la profusion de l'extérieur. . Même si l'individu n'en possède qu'une infime lucidité, il ne cesse de trier parmi la profusion de stimulations qui le traversent. Face au monde, l'homme n'est jamais un œil, une oreille, une main, une bouche ou un nez, mais un regard, une écoute, un toucher, une gustation ou une olfaction, c'est-à-dire une activité.
Il y a une « conceptualité du corps », de même qu'il y a un enracinement charnel de la pensée. Tout dualisme s'efface devant cette constatation fondée sur l'expérience courante. Le corps est "projet sur le monde", écrit M. Merleau-Ponty, La perception, l'intention et le geste s'enchevêtrent dans les actions ordinaires dans une sorte d'évidence qui ne doit pas faire oublier l'éducation qui est à sa source et la familiarité qui les guide. "Mon corps, écrit-il, est la texture commune de tous les objets et il est, au moins à l'égard du monde perçu, l'instrument général de ma 'compréhension'" Le corps n'est pas une matière passive, soumise au contrôle de la volonté, par ses mécanismes propres, il est d'emblée une intelligence du monde, une « théorie vivante » appliquée à son environnement.
La dimension du sens évite le chaos. Les perceptions sont justement la conséquence du tri effectué sur l'écoulement sensoriel sans fin qui baigne l'homme. Elles glissent sur les choses familières sans leur prêter attention tant qu'elles ne déparent pas le tableau, elles s'absorbent dans l'évidence même si l'individu est parfois en peine de les nommer avec précision, mais il sait que d'autres sont en mesure de tenir un discours à leur propos. On se satisfait de voir un "oiseau" ou un "arbre", mais l'amateur pourrait identifier la mésange et la saison des amours, ou un peuplier.
Il y a donc un cercle du touché et du touchant, le touché saisit le touchant; il y a un cercle du visible et du voyant, le voyant n'est pas sans existence visible * ; il y a même inscription du touchant au visible, du voyant au tangible, et réciproquement, enfin il y a propagation de ces échanges à tous les corps de même type et de même style que je vois et touche,
Dès que nous voyons d'autres voyants, nous n'avons plus seulement devant nous le regard sans prunelle, la glace sans tain des choses, ce faible reflet, ce fantôme de nous-mêmes, qu'elles évoquent en désignant une place parmi elles d'où nous les voyons : désormais, par d'autres yeux nous sommes à nous-mêmes pleinement visibles; cette lacune où se trouvent nos yeux, notre dos, elle est comblée, comblée par du visible encore, mais dont nous ne sommes pas titulaires;. Mais le propre du visible, disions-nous, est d'être superficie d'une profondeur inépuisable : c'est ce qui fait qu'il peut être ouvert d'autres visions que la nôtre.
En se réalisant donc, elles accusent les limites de notre vision de fait, elles soulignent l'illusion solipsiste qui est de croire que tout dépassement est dépassement par soi. Pour la première fois, le voyant que je suis m'est vraiment visible; pour la première fois, je m'apparais retourné jusqu'au fond sous mes propres yeux., pour la première fois, par l'autre corps, je vois que, dans son accouplement avec la chair du monde, le corps apporte plus qu'il ne reçoit, ajoutant au monde que je vois le trésor nécessaire de ce qu'il voit, lui.
Une conséquence que l’on peut tirer de ces analyses est que, nous sommes non seulement un corps sensoriel, mais encore tissu corporel porteur de techniques, de styles, de conduites auxquels il correspond toute une couche supérieure d'objets : objets culturels que les modalités de notre style corporel affectent d'une certaine physionomie. La notion d'objet culturel, presque pas considérée dans les theories classiques de la perception, prend aujourd'hui une importance extrême
« Un tableau manifeste d'un certain rapport culturel au monde ; celui qui le perçoit, perçoit en même temps un certain type de civilisation. Dans les cas où l'art a cherché à se faire aussi peu subjectif que possible (peinture italienne de la Renaissance), dans cette volonté même, cet art est l'expression d'une certaine manière d'être homme….Or, ainsi comprise ; elle exprime une certaine attitude objectivante a l'égard du monde ».( Cf. Panofsky, La perspective comme forme symbolique, Editions de Minuit, 1975)
Le peintre fait ainsi partie d’un monde pictural. Dans un tableau nous lisons une histoire silencieuse dans la mesure où le problème n'est pas explicite. La perspective planimétrique est une des formes symboliques par laquelle les hommes ont essayé de conquérir le monde. Le monde nous renvoie notre image ; nous percevons dans les objets culturels une certaine atmosphère humaine, un rapport à la vie de l'extérieur et de l'intérieur. Leur signification anthropologique n'est pas un état d'âme, mais une certaine articulation de l'intérieur sur l'extérieur d'une culture, d'un individu.
De ce fait,le corps est une réalité changeante d’une société à une autre d’une époque à une autre, les images qui le définissent, les systèmes de connaissance qui cherchent à en élucider la nature, les rites qui le mettent socialement en scène, les performances qu’il accomplit sont étonnamment variées, contradictoires même, pour notre logique du tiers exclu
Selon les sociétés l’homme est ainsi créature de chair et d’os, régie par les lois anatomo-physiologiques ; lacis de formes végétales comme dans la culture Canaque ; réseau d’énergie comme dans la médecine chinoise qui rattache l’homme à la manière d’un microcosme à l’univers qui l’englobe ; bestiaire qui retrouve en son sein toutes les menaces de la jungle ; parcelle de cosmos en lien étroit avec les effluves de son environnement, etc... Autant de sociétés, autant de représentations et d’actions différentes reposant sur ces savoirs. Le corps est structure symbolique.
L'usage qu'un homme fera de son corps est transcendant à l'égard de ce corps comme être simplement biologique. Il n'est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère ou d'embrasser dans l'amour que d'appeler table une table. Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. Même ceux qui, comme la paternité, paraissent inscrits dans le corps humain sont en réalité des institutions. Il est impossible de superposer chez l'homme une première couche de comportements que l'on appellerait"naturels" et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l'homme, comme on voudra… Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception
Selon D. LE BRETON ,Les Aiviliks (communauté du grand Nord) recourent à une sensorialité multiple au cours de leur déplacement, jamais ils ne sont perdus malgré les transformations parfois rapides des conditions atmosphériques. Le bruit, les odeurs, la direction et la force du vent leur fournissent des informations précieuses. Ils établissent leur chemin à travers maints éléments d'orientation. "Ces repères ne sont pas constitués d'objets ou de lieux concrets, mais de relations; relations entre, par exemple, des contours, la qualité de la neige et du vent, la teneur de l'air en sel, la taille des craquements de la glace. Je peux rendre plus clair ce propos avec une illustration. J'étais avec deux chasseurs qui suivaient une piste que je ne pouvais pas voir, même quand je me penchais au plus près pour essayer de la discerner. Ils ne s'agenouillaient pas pour la voir, mais debout, ils l'examinaient à distance" (Une piste est faite d'odeurs diffuses, elle se goûte, se tâte, se sent, appelle l'attention de signes discrets que ne dispense pas seulement la vue.
Les Aiviliks disposent d'un vocabulaire d'une douzaine de termes pour désigner les divers souffles du vent ou la contexture de la neige. Et ils développent un vocabulaire étendu en matière d'audition et d'olfaction. La vue est pour eux un sens secondaire en terme d'orientation. "Un homme d'Anaktuvuk Pass, à qui je demandais ce qu'il faisait quand il se trouvait dans un lieu nouveau, me répondit: 'J'écoute.' C'est tout. 'J'écoute', voulait-il dire, ce que ce lieu me dit. Je le parcours, tous mes sens aux aguets, pour l'apprécier, bien avant de prononcer une parole »
Les représentations sociales assignent au corps une position déterminée au sein du symbolisme général de la société. Elles nomment les différentes parties qui le composent et les fonctions qu'elles remplissent, elles en explicitent les relations, elles pénètrent l'intérieur invisible du corps pour y déposer des images précises, elles situent sa place au sein du cosmos ou de l'écologie de la communauté humaine. Ce savoir appliqué au corps est d'emblée culturel. Même s'il est ressaisi sur un mode rudimentaire par le sujet, il permet à celui-ci de donner un sens à l'épaisseur de sa chair, de savoir de quoi il est fait, de rattacher ses maladies ou ses souffrances à des causes précises et conformes à la vision du monde de sa société, il permet enfin de connaître sa position face à la nature et aux autres hommes, à travers un système de valeur.
On pourrait, écrit p.Bourdieu, déformant le mot de Proust, dire que les jambes, les bras sont pleins d'impératifs engourdis. Et l’on n'en finirait pas d'énumérer les valeurs faites corps, par la transsubstantiation qu'opéré la persuasion clandestine d'une pédagogie implicite, capable d'inculquer toute une cosmologie, une éthique, une métaphysique, une politique, à travers des injonctions aussi insignifiantes que « tiens-toi droit » ou « ne tiens pas ton couteau de la main gauche » et d'inscrire dans les détails en apparence les plus insignifiants de la tenue, du maintien ou des manières corporelles et verbales les principes fondamentaux de l'arbitraire culturel, ainsi placés hors des prises de la conscience et de l’explicitation
Pour P.bourdieu, tous les ordres sociaux tirent systématiquement parti de la disposition du corps et du langage à fonctionner comme dépôts de pensées différées, qui pourront être déclenchées à distance et à retardement, par le simple fait de replacer le corps dans une posture globale propre à évoquer les sentiments et les pensées qui lui sont associés, dans un de ces états inducteurs du corps qui, comme le savent les comédiens, font surgir des états d'âme. C'est ainsi que l'attention portée à la mise en scène dans les grandes cérémonies collectives s'inspire non seulement du souci (évident par exemple dans l'appareil des fêtes baroques) de donner une représentation solennelle du groupe mais aussi, comme le montrent tant d'usages de la danse et du chant, de l'intention sans doute plus obscure d'ordonner les pensées et de suggérer les sentiments à travers l'ordonnance rigoureuse des pratiques, la disposition réglée des corps, et en particulier de l'expression corporelle de l'affection, rires ou larmes. « L'efficacité symbolique pourrait trouver son principe dans le pouvoir que donne sur les autres, et spécialement sur leur corps et leur croyance, la capacité collectivement reconnue d'agir, par des moyens très divers, sur les montages verbo-moteurs les plus profondément enfouis, soit pour les neutraliser, soit pour les réactiver en les faisant fonctionner mimétiquement. »
La formulation du mot corps comme fragment en quelque sorte autonome de l'homme dont il porte le visage présuppose une distinction étrangère à nombre de communautés humaines. Le corps comme élément isolable de l'homme auquel il prête son visage n'est pensable que dans les structures sociales de type individualiste où les hommes sont séparés les uns des autres, relativement autonomes dans leurs initiatives, leurs valeurs. Le corps fonctionne à la façon d'une borne frontière pour délimiter en face des autres la présence du sujet. Il est facteur d'individuation. Le vocabulaire anatomique strictement indépendant de toute autre référence marque bien également la rupture de solidarité avec le cosmos. Dans les sociétés de type communautaire, où le sens de l'existence de l'homme marque une allégeance au groupe, au cosmos, à la nature, le corps n'existe pas comme élément d'individuation puisque l'individu lui-même ne se distingue pas du groupe, tout au plus est-il une singularité dans l'harmonie différentielle du groupe. . » L'image du corps est une image de soi, nourrie des matières premières qui composent la nature, le cosmos dans une sorte d'indistinction. Ces conceptions imposent le sentiment d'une parenté, d'une participation active de l'homme à la totalité du vivant et nous trouvons d'ailleurs encore des traces actives de ces représentations dans les traditions populaires du « guerissage » d.le breton.A l'inverse, l'isolement du corps au sein des sociétés occidentales (cf. infra) témoigne d'une trame sociale où l'homme est coupé du cosmos, coupé des autres et coupé de lui-même
La totalité de l'existence est ainsi ritualisée, en Afrique, comme dans beaucoup de sociétés holistes. Le rite, dans sa forme réglée, vise en effet à intégrer l'être humain à l'originaire et au divin à l'occasion de la naissance, du mariage, de la mort, mais aussi à chaque fois qu'il y a échange, commerce, repas, repos... de telle sorte que chaque objet, même le plus domestique, même le plus utilitaire, est une sorte de condensé de symboles (Lévi-Strauss).
Pour les Africains comme pour les Grecs, il n'y a qu'un seul monde qui est à la fois celui des hommes et des « dieux ». Le ciel et la terre, dans leur évidence massive, sont « symboles » l'un de l'autre au sens étymologique du terme : ils sont moins des signes que des compléments imbriqués l'un dans l'autre sur le modèle d'une calebasse fermée. Le ciel couvre la terre et le paysan en ensemençant son champ réitère le geste et la geste du commencement.
C 'est ainsi écrit francois warin aussi qu'on pourrait interpréter la fréquence des figures de Janus en Afrique: elles attestent de l'agencement contrasté que constitue la figure du Monde. Comme dans le paganisme antique où les dieux se définissent par la complémentarité de leurs oppositions, l'ambiguïté de leur qualité et la plasticité de leur identité, ces sculptures bicéphales sont le symbole de l'ambivalence universelle représentant à la fois le mal et le bien, la guerre et la paix, la nuit et le jour, le masculin et le féminin. Cette dualité, le christianisme s'est ingénié à la cliver et lorsque le s prêtres catholiques ont cherché un équivalent chrétien du dieu Yoruba païen Eshu par exemple, orisha imprévisible et sensuel, médiateur entre les contraires, ils n'ont pu le faire qu'en l'amputant de sa riche ambivalence et en l'identifiant au diable.(la passion de l’origine)
L'homme, africain dans l'immense foule des esprits errants omniprésents dans l'univers des vivants, est d'abord, lui-même, un être d'appartenance, l'anneau d'une chaîne serrée qui unit les ancêtres à sa descendance. Quelles que soient l'importance et la supériorité du dieu, l'Africain n'a pas de rapport personnel avec lui et ne représente pas celui qui, selon toute apparence, a oublié le monde après la création. La religion est d'abord un mode d'existence collectif, et l'au-delà où s'en vont les morts, où vivent les esprits ou les dieux sont vécu comme absolument immanent au monde des vivants. Dans la pratique rituelle, c'est d'abord aux ancêtres, qu'ils soient réels ou mythiques, que l'on s'adresse chaque fois que la société est menacée par la maladie, la disette, l'adversité. il faut encourager les interventions bénéfiques ou empêcher l'influence néfaste; en confectionnant, par exemple, des représentations sculptées pour fixer leur âme errante. Selon f.warin, le nombril protubérant au pourtour scarifié qui caractérise certaines statuettes est l'expression physique de ce rapport prégnant et déterminant aux ancêtres.
La personne humaine est conçue en effet comme un être composite fait de plusieurs éléments qui entretiennent eux-mêmes des correspondances avec certaines parties du cosmos. Elle est soumise à d'incessantes métamorphoses, ne serait-ce que celles que représentent la mort et la renaissance initiatique. Alors que certains éléments disparaissent à la mort de l'individu, d'autres lui préexistent et lui survivront, demeurant disponibles pour de nouvelles unions (avec les animaux comme avec certains objets qui sont leurs prolongements). Chacun peut donc être ici et ailleurs, jamais tout à fait mort ni tout à fait vivant. Plus l'individualité se complexifie, plus l'identité se relativise.
Ainsi en Afrique traditionnelle, aucune barrière réelle ne sépare les vivants, et les alliances que l'homme peut nouer avec les animaux qui lui sont apparentés peuvent accroître sa puissance d'exister. C'est particulièrement le cas quand, possédé par lui ou par l'esprit qui l'habite, il en porte le masque et mime son comportement. Les masques animaliers ou zoomorphes sont les plus fréquents, ils sont mêmes exclusifs chez certaines ethnies. Et ces animaux ne sont pas ceux des parcs africains mais ceux qui, en raison de leur morphologie ou de leur comportement, habitent les frontières entre les règnes comme le crocodile ou l'oiseau qui circule entre le pays des ancêtres et celui des vivants. Car l'homme en général est par excellence l'être des confins toujours susceptible de franchir limites et frontières : celles qui séparent la vie de la mort, comme celles qui opposent le village et la brousse. La brousse en effet, toute sauvage et dangereuse qu'elle soit, est aussi féconde et nourricière, elle est la source qui régénère et qu'il faut capter au profit de la communauté. D'où l'importance déterminante des agents de médiations, de ces passeurs profondément ambigus qui habitent entre les mondes, qui se déplacent sur la frontière qui les sépare et qui ont, de ce fait même, un statut d'exception Le forgeron entre les paysans et les guerriers, le souverain qui maintient l'ordre cosmique ou le chasseur ; la prêtresse Vaudou, comme ailleurs le chamane.
Merci à Holbein pour sa contribution par deux "images" d'entrelacement du corps et du monde
Rédigé par : Yvan | dimanche 28 jan 2007 à 15h01