Quand un monde en rencontre un autre
la pensée occidentale contemporaine associe communément l'art à des notions de pureté et d'universalité. L'art s'affranchit des contraintes de temps et d'espace, existe par lui-même et s'adresse à des peuples de cultures très diverses. De ce fait, la plupart des expositions d'art non occidental se sont inspirées de ces schémas pour exclure de leur présentation — de façon presque systématique et pendant longtemps — toutes les « impuretés » qui font partie du travail ethnographique de collecte. Trouvant sa source dans la philosophie du XVIIIe siècle, renforcée par la vision de l'artiste héritée du XIXe et justifiée à notre époque par « l'œil du connaisseur » cette représentation romantique dissocie l'art de l'impur.
Mais l'art n'est ni pur ni isolé, il est même fortement conditionné par les priorités et les discriminations propres à chaque époque : le statut de l'art et les valeurs qui lui sont attachées et, de ce fait, n'importe quel objet collectionné évolue en permanence, de même que la création, la collection et l'exposition d'objets d'art.
« Que les créations des sociétés sans écriture "méritent" d'être traitées à l'égal de celles des autres sociétés, voilà qui doit constituer un acquis hors de question. Il paraît alors cohérent de leur faire place dans le musée français le plus prestigieux,(le Louvre en l’occurrence avant le quai Branly), sorte de réparation vis-à-vis de cultures longtemps humiliées et méconnues. Mais ces œuvres sont susceptibles d'une double appréhension : l'une esthétique au sens exact du terme, selon une approche purement formelle qui les considère "en soi", d'après des critères qui se veulent universels ; l'autre, sémiologique ou technicienne, qui vise à les comprendre dans leur contexte, selon leur finalité dans la société qui les produit et le sens que leur donnent leurs auteurs ou utilisateurs. Passions et intérêts opposent les tenants de ces deux manières de voir »philipe laburthe toLRa
notons en passant que musée est en un sens ambigu : ainsi l’anglais distingue quant à lui la gallery, qui est un lieu d’exposition de belles choses, par exemple de tableaux, c’est un musée d’art – il y a à Londres la prestigieuse Tate Gallery –, et le museum, qui est un musée savant, axé sur l’exposition d’objets intéressants, la beauté étant indifférente, et lieu pédagogique, puisque les objets sont réunis en fonction de l’intérêt qu’ils présentent pour l’histoire ou pour la science – il y a à Londres le British Museum, qui réunit en gros notre Louvre (sans la peinture européenne, qui est à la Tate Gallery, mais avec l’histoire ancienne) et notre Muséum d’Histoire naturelle. Le Musée de l’Homme est, en anglais, un museum. le quai Branly, de par la volonté de ses concepteurs, expliquée ci-dessous, reste une gallery.
La création du Musée du Quai Branly, à Paris, a ainsi donné lieu à diverses polémiques liées à la redistribution des collections existantes et à la suppression des collections ethnologiques du musée de l’homme, mais aussi à son objet même : les « arts premiers ». Le développement d'un débat autour de la notion d'« arts premiers » opposait une initiative venue du monde des collectionneurs et des marchands à une autre tradition, celle des musées d'ethnographie
Une partie de La communauté scientifique, en particulier celle des anthropologues, a condamné le terme (finalement abandonné pour le nom du nouveau musée) en raison de son ambiguïté sémantique et de son arrière-plan évolutionniste, mais pour j kerchache l’inspirateur du projet de musée, il s'agissait de montrer au contraire les « empreintes laissées par les artistes » issus de cultures disparues. C'est dire que si les arts premiers dénotent une dimension temporelle, tout comme l'art primitif, ils renvoient aussi à un art des origines autant qu'aux origines de l'art. En ce sens, la désignation s'inscrit dans une certaine filiation, celle qui va d'André Malraux et de sa notion d'« arts primordiaux » à J. Kerchache en passant par Claude Roy, auteur de Arts premiers, arts sauvages"
La notion d’art, qu’il s’agisse de l’art nègre, de l’art crétois ou de l’art impressionniste, reste à la fois imprécise, ineffable et irritante. L’art, c’est ce qui maintient vivante l’idole morte en tant qu’idole. L’art c’est ce qui dans un objet continue à servir quand il ne sert plus à rien". Claude Roy, L’art à la source. Arts premiers, arts sauvages.
Un musée des arts premiers ou leur entrée au Louvre témoignerait d'une « évolution du regard », « connaissance intuitive qualitative des "arts premiers" qui aille nettement au-delà de ces analyses morphologiques, quantitatives et aussi mathématiques que pratiquent les chercheurs et se voudrait le lieu d'une reconnaissance légitime des arts non occidentaux.
A l'approche ethnographique centrée sur le contexte culturel des objets et les critères de beauté de ceux qui les ont produits, le regard des arts premiers substitue un jugement universel de beauté. On peut ainsi par un « parti pris » ou un geste arbitraire mettre cote à cote des objets africains fabriqués entre le XVIIe et le XIXe siècle avec des objets provenant des sociétés sans écriture de Roumanie, de Yougoslavie et de la Grèce archaïque. Ce rapprochement voulu entre des productions artistiques séparées dans le temps et l'espace présuppose un caractère « fruste » des premiers âges de l'humanité, décelable dans la plastique des œuvres. A partir du moment où ces objets non occidentaux, issus de sociétés sans écriture, incarnent les prémices de l'expression artistique de l'humanité, on ne les saisira vraiment que sous l'angle de l'émotion esthétique. Ils sont censés véhiculer une vérité profonde, impénétrable au discours rationnel et par conséquent uniquement accessible par la voie du sensible. C'est en ce sens que ces objets exigent, selon J. Kerchache, « du spectateur une déculturation pour se plonger dans un monde qui n'existe plus, et dont il nous manque des éléments majeurs ». En d'autres termes, les arts premiers seraient avant tout les arts vestigiels de cultures éteintes.
Le rôle joué par les musées d'ethnographie au XXe siècle pour la représentation de l'altérité culturelle (succédant eux-mêmes au cabinets de curiosités puis d’histoire naturelle)) serait, au XXIe siècle, par là même dévolu aux musées d'art offrant des« formes originaires proposant les solutions plastiques fondamentales et offrant un champ inépuisable aux commentaires ultérieurs ».
« Sans méthode préalable, la passion de l'Afrique m'a propulsé au cœur du Gabon, m'a porté du Congo en Guinée équatoriale, de la Côte-d'Ivoire au Libéria, m'a conduit du Burkina Faso au Mali, de l'Éthiopie au Bénin, du Nigeria au Cameroun et de la Tanzanie au Zaïre. (il s’agissait entre autres d’expéditions de collectes d’objets) ces expériences parfois difficiles, physiques certes, mais surtout intellectuelles et spirituelles, de ma participation à certaines cérémonies et à diverses manipulations d'objets, de mon immersion temporaire mais effective dans les cultes de l'ancienne Côte des Esclaves, je ne puis restituer aujourd'hui que des sensations, des impressions et je me garderai de toute affirmation.
Cependant, devant la sculpture africaine, il faut cesser d'avoir peur d'être profane et se laisser envahir par elle ; il faut s'en approcher, la fréquenter, se l'approprier, l'aimer. Lui offrir son temps, lui ouvrir sa sexualité, ses rêves, lui livrer sa mort, ses inhibitions, redécouvrir autre chose en soi. Sans lâcheté, ne pas hésiter à désacraliser, sans les rejeter, ses sources culturelles. Ne plus avoir cette taie sur l'œil et se laisser aller à la jouissance, se laisser gagner par la magie.
Même si nous ne pouvons contempler cette sculpture que par fragments, ceux-ci sont encore assez riches pour exprimer cet alphabet de signes-mères, de matrices auquel l'homme d'aujourd'hui, dans sa quête nécessaire d'universalité, peut et doit puiser. Car, en cette fin du XXe siècle, il y aurait danger à négliger l'apport de tous les " arts premiers " et en même temps ultimes ; ce sont là les ancêtres du futur. Les arts africains n'ont pas pour but de nous enseigner une certaine idéologie, mais de nous apprendre à regarder autrement. Il faut se garder du racisme subtil, c'est-à-dire penser qu'il faut être africain pour comprendre cette sculpture, attitude exotique qui n'est plus de mise. De même, nous ne pouvons continuer à traîner le boulet des événements historiques qui marginalisent dans des ghettos - les laboratoires, (quel mot pour parler d'une culture ! ) des musées d'Histoire naturelle - des œuvres majeures, de qualité universelle, qui voisinent avec des crânes, des fœtus, des vêtements, des chaussures... (Accepteriez-vous de regarder les œuvres de Michel-Ange, de Léonard de Vinci, de Goya, de Matisse, exposées avec leurs pantoufles et leurs chapeaux?)j.Kerchache « points de vue »
Peut on justement dire qu’une œuvre est belle en soi -ce qui signifierait donc et ce serait à démontrer de façon plus probante que le recours à l’émotion esthétique(celle-ci est elle si pure de tout exotisme ?) qu’elle est indépendante de nos propres critères esthétiques et de nos institutions muséales ?(il ne devrait y avoir alors aucune scénographie, aucune volonté de mystère appuyée sur des procédés de théatralisation.)
Dans le cas contraire ce serait un geste de plus d’appropriation ethnocentrique de cultures dont nous savons d’autre part qu’elles ont été pillées de leurs objets. S’il est vrai d’autre part qu’il serait ridicule de ‘contextualiser « la Joconde » c’est en grande partie parce que le public possède déjà les références culturelles propres à sa civilisation.
L’émotion esthétique par ailleurs ne relève t’elle pas de ce que sally price a appelé une mystique du connaisseur » celui ci serait doté d’une qualité rare, le goût (l’œil selon les collectionneurs) indépendant de toute mode et de tout pattern culturel informant la perception. En quelque sorte le gourmet « fin connaisseur » opposé au gastronome ( sorte de pédant). Pourtant écrit Bourdieu qui souligne que l’amour de l’art répugne à connaître ses origines et ses conditionnements communs :
Le monde de l’art s’oppose au monde de la vie quotidienne comme le sacré au profane : l’intouchabilité des objets, le silence religieux qui s’impose au visiteurs, le refus quasi systématique de toute didactique, la solennité grandiose du décor (la pénombre mystèrieuse du quai Branly) tout semble fait pour rappeler que le passage suppose une véritable métamorphose ». Le paradoxe de cette métamorphose réside, dans le cas des arts premiers, qu’originellement les lobjets sont justement sacrés et religieux mais qu’ils perdent leur valeur cultuelle pour accéder à un autre sacré celui de notre art, valeur d’exposition et plus simplement d’échange et donc marchande.
Intemporel ou généalogie ?
On peut donc interroger l’expression d’art premier (inusitée jusque récemment en français) et estimer qu’elle pose toutes sortes de problèmes qu’il est nécessaire de clarifier
L’idée d’arts « premiers » consiste-t-elle seulement à rebaptiser ce qu’on appelait autrefois les arts « primitifs », dans un contexte évolutionniste et ethnocentriste ? Un art peut-il être dit premier ? le mot désigne-t-il un genre ou une espèce d’arts particuliers historiquement et géographiquement identifiables ? Cette expression a-t-elle seulement un sens au regard des questions que pose l’histoire des arts, voire du concept d’art.( l’usage de cette expression impliquant une conception conjointe et implicite de l’histoire et de l’art lui-même.) Où commence d’ailleurs l’art si, comme on le dit souvent, il en est aujourd’hui à sa « fin » ?
Dans la « passion de l’origine, le philosophe Francois Wautrin retrace la « généalogie des ARTS PREMIERS (on pourrait tout autant parler de nostalgie de l’archaïque) et donc restitue la genèse de ces derniers. Le concept de généalogie emprunté à Nietzsche ne signifie pas justement un simple devenir linéaire : toute histoire selon n. est tout aussi bien celle des rapports de forces qui en ont constitués les diverses péripéties et tout aussi bien celle des diverses interprétations qui les ont accompagnées : »il n’y a pas de faits ,il n’y a que des interprétations ; en ce sens aucune dénomination n’est neutre et bien sur pas celle d’arts premiers ; de plus l’histoire des concepts et des objets correspondants n’est pas une évolution linéaire
À l'idée d'une genèse linéaire à partir d'une origine, recel d'une essence et d'une identité immobiles, la généalogie substitue une tout autre histoire : elle montre que toute essence est construite pièce à pièce à partir de figures contingentes ou accidentelles qui lui étaient étrangères (Foucault, 1971). Les origines n'expliquent pas l'essence d'un peuple, il n'y a pas de peuple souche (Fichte) mais une ethnogénèse continuée qui prend du temps et qui ne cesse de se reprendre et de se raconter. La généalogie ne cherche pas à fonder; elle inquiète au contraire tout fondement, elle mobilise ce qui apparaissait immobile, fragmente ce qui était uni, montre dans le simple le bâtard, le mêlé, le mélangé, l'essentiellement impur.
Faire la généalogie de ce qu'on a appelé successivement, « art primitif», « art nègre », «art premier», «art tribal», «art africain» ou «art exotique» c'est montrer que ces syntagmes ne vont pas de soi, que ces expressions ne renvoient pas à une réalité objective préexistante, que ce sont des interprétations solidaires de périodes historiques déterminées, celle de la colonisation, de la décolonisation, celle de l'âge post-colonial et postmoderne…... À chaque appellation, la «réalité» est recomposée en fonction d'un regard pilote (Malraux), les objets récoltés sont introduits dans un nouveau champ de visibilité, pris dans un nouveau régime de discours qui les métamorphose de fond en comble.
Si l’on pense avec francois wautrin qu’une dénomination est aussi une appropriation dominatrice, on peut restituer et évaluer l’histoire des concepts et des objets correspondants: Un concept en effet n'a jamais un seul sens, il n'a que le sens que lui donnent les forces qui s'en emparent, il est lié au jeu hasardeux des dominations, il est toujours solidaire de la perspective de ceux qui forgent ou fictionnent l'interprétation de la réalité que ce concept constitue ou construit. .
Francois wautrin rejoint ici la réflexion provocatrice et fondamentale d’Arthur Danto : le philosophe analytique (et humoriste) rompt avec la question traditionnelle de l’esthétique classique « qu’est ce que l’art » pour en poser une autre à le suite des « performances » de Duchamp et de Warhol : Quand y a-t-il art ? quand un objet fonctionne-t-il comme oeuvre d'art ?
Suivant Borges qui montrait que deux textes littéralement indiscernables pouvaient constituer deux œuvres différentes, voire antithétiques, Danto dans la transfiguration du banal interroge le fait que le même objet peut être une simple roue de bicyclette, ou la roue de bicyclette de Duchamp, cotée haut dans le « monde de l’art » et encore plus haut dans le marché du même nom..(le masque ngil, originellement objet de justice destiné à punir les « sorciers peut ainsi se transfigurer en chef d’œuvre « universel » par le « geste » des conservateurs, des collectionneurs ou des marchands d’art et atteindre 1M5€ lors de la vente de la collection Vérite)
Alors que Duchamp montre avec sa fontaine qu’une qualité esthétique peut être prêtée à un objet quotidien, Warhol montre que l’art ne peut se définir par des critères visuels, l’objet et l’œuvre étant exactement semblables , mais ce n’est pas tout. L’objet choisi n’a en soi aucune valeur esthétique. Exactement semblable à un objet quotidien auquel on n’attribue aucune valeur esthétique, l’œuvre interpelle. Pourquoi la considère-t-on immédiatement comme de l’art ?
Pour l’auteur, L'œuvre d'art n'a d'existence qu'à l'intérieur d'un horizon artistique global, d'un monde de l'art) qui prédétermine les possibilités qui s'offrent aux artistes d'une époque historique donnée: si quelqu'un avait peint, au xixe siècle, des tableaux perceptuellement identiques à ceux de Picasso, ils n'auraient pas été acceptés comme des oeuvres d'art, puisque les outils conceptuels (la théorie de l'art moderne) permettant de les interpréter comme œuvres d'art n'existaient pas encore( qu’on se rappelle des rires qui ont accueilli la première exposition impressionniste)s. Une œuvre d’art n’est pas un objet qui est donné à voir de manière neutre ; bien plus, les qualités esthétiques (c’est beau, brillant, harmonieux) ne font pas à elles seules l’œuvre d’art puisqu’elles qualifient aussi certains objets naturels ou certains artefacts : le même brillant et le poli d’un vulgaire urinoir ne font pas fontaine de duchamp. une œuvre d’art n’existe qu’interprétée : « l’œuvre et l’interprétation naissent ensemble dans la concience esthétique. » « L'interprétation est une procédure de transformation : elle ressemble à un baptême, non pas en tant qu'il confère un nom, mais en tant qu'il confère une nouvelle identité qui fait accéder le baptisé à la communauté des élus »
S'interroger sur le véritable contenu de l'expression, arts premiers ce n'est pas seulement tenter de la définir et circonscrire son domaine, c'est aussi se pencher sur son histoire. D'autres termes, moins fréquemment usités, l'ont précédée. De nouvelles locutions, motivées, semble-t-il, par un souci de plus de précision tendent à lui succéder.
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Dans un horizon darwinien, les artefacts recueillis, quand ils n'ont pas été considérés comme les marques de superstitions diaboliques ou comme de simples curiosités apparaissent comme des survivances fossiles d'un stade archaïque de l'évolution de l'humanité. Le renversement de cette hiérarchie dépréciative ou à l’inverse la transvaluation romantique du mot «primitif» marquent cependant encore aujourd'hui ce terme qui continue en France, faute de mieux, à être utilisé. Le mot « nègre » qui eut les faveurs de grands artistes, étant devenu aujourd'hui péjoratif, a été quant à lui abandonné.
«Art premier» est un syntagme très équivoque puisqu'il dénote à la fois une préséance chronologique qui n'a ici aucun sens —seul l'art préhistorique peut à la rigueur, selon l'acception de C. Roy qui le distinguait des «arts sauvages», être dit «premier » — et une excellence, celle que l'on accorde à ce qui est primordial, une expression du fond de la psyché collective.
Dans arts primitifs regards civilisés, sally price en propose quelques définitions qui pour être humoristiques n’en sont pas moins indéniables au sens d’Arthur Danto
Toute tradition d'arts visuels produits par des humains adultes, mentalement équilibrés, et qui est régulièrement comparée à des dessins de singes, d'enfants, de malades mentaux.(ce fut le cas de l’art brut)
Toute forme d'art évoquant chez des observateurs occidentaux des images de rites païens - en particulier le cannibalisme, la possession par des esprits, les rites de fertilité et les formes de divination fondées sur la superstition.
Toute tradition artistique où la valeur marchande d'un objet est automatiquement multipliée par dix ou davantage dès que cet objet est détaché de son contexte culturel d'origine pour être exporté.( C’est ce que sally price appelle le pedigree)
« Art africain » (ou oceanien) est un terme à la fois trop large et pas assez générique. Y aurait-il un sens à parler d'un «art européen» ou d'un «art blanc» comme on a parlé longtemps, en ressassant toujours les mêmes généralités, d'un « art nègre », avant de se rabattre sur la seule expression —toujours au singulier— d'«art africain
« Art exotique», écrit f wautrin, l’expression serait admissible si l'exotisme était entendu comme la reconnaissance de l'autre, du différent, du divers, de l’ailleurs. C'est ainsi qu'en 1912 Apollinaire demandait « un grand musée d'art exotique qui serait à cet art ce que le Louvre est à l'art européen ». Mais, malgré cette occurrence et la défense et illustration de Segalen dans son admirable Essai sur l'exotisme, l'expression reste marquée par l'épopée coloniale et la toute puissance européenne qui ne considéra jamais les cultures des peuples lointains que comme des décors de théâtre et des pointes de piment destinées à divertir et à stimuler une Europe décadente. »
L'histoire et la signification d'un objet ne s'arrêtent donc pas à ses premiers commencements ni à ses premiers usages. Car un objet, lorsqu'il sort de sa société d'origine revêt toujours des sens nouveaux projetés sur lui à différentes époques par différents publics qui se l'approprient à leur façon. On ne peut, écrit m.godelier contester, sans tomber dans le mysticisme, que les objets d'art possèdent une force et un secret. Le secret est simple à définir. Un objet, c'est du sens matérialisé dans une forme et attaché à elle dès sa naissance. un sémiophore pour reprendre la terminologie consacrée à propos des cabinets de curiosité. Mais le fait est - et c'est là le problème - qu'une forme peut toujours se détacher de son sens originaire et revêtir des sens nouveaux qui n'ont rien à voir avec les intentions qui lui ont donné naissance. C'est sur cette réalité que les conservateurs et les collectionneurs se sont appuyés pour tirer bénéfice de l'anonymat des artistes africains ou océaniens, le fait qu'un objet continue à avoir du sens pour des spectateurs qui n'ont aucune connexion culturelle ni historique avec ceux qui l'ont produit, avec la société qui en avait eu le besoin.
Présentant le livre de sally price , m.godelier résume les exigences quant à l’objet.
Car tout objet peut être abordé de quatre angles différents. Si l'objet est considéré comme un chef d'œuvre, on doit d'abord s'efforcer de justifier ce jugement en en cherchant les raisons dans le volume, la forme, les matériaux, la structure. Tout en ajoutant une explication plus difficile à formuler sur la « force » esthétique de l'objet. C'est là une première approche. Mais ensuite il faut informer le public sur les conditions dans lesquelles cet objet s'est détaché de sa terre natale pour se retrouver dans un musée d'Europe ou des États-Unis. A-t-il été acheté, volé, a-t-il été donné par un généreux donateur? L'objet, comme le dit Sally Price, dont les origines réelles en Afrique ou ailleurs sont souvent inconnues, acquiert pourtant un « pedigree » qui est la liste des collectionneurs qui l'ont possédé au cours de leur existence. Par exemple le masque ngil de la collection Verite? masque dont le prix de vente a été astronomique, serait l'un des dix exemplaires authentiques "ngil" de grandes dimensions répertoriés, et il figurait en 1984 dans la "mythique" exposition "Primitivisme" du MoMA à New York. Picasso aurait lui-même été influencé par cette représentation stylisée d'un visage humain au front haut, que l'on retrouve dans ses "Demoiselles d'Avignon". mais de quoi parle -ton au juste et que met-on en vente: le masque est il une pièce d'histoire de l'art, un document ou une "oeuvre d'art. la presse a cite sans remarque critique l'affirmation que c'était une merveille de géométrie mais n'est ce pas le cas de tous les ngil, (y compris des récents?) comme ceux exposés récemment à Dapper? et l'on sait par ailleurs que Picasso n'achetait que des pièces qui seraient jugés médiocres selon nos critères actuels.
C'est ainsi qu'un objet qui a été possédé par André Breton ou par Picasso a beaucoup plus de valeur qu'un objet de bien plus grande qualité esthétique qui aurait été acheté par un conservateur de musée ou un collectionneur dans une galerie d'art primitif. La troisième approche qui s'impose devant un objet, c'est évidemment de retrouver l'usage et le sens qu'il avait dans sa société d'origine. Même si la plupart du temps il est très difficile de savoir par qui il a été fait et même quand il a été fait, on sait souvent dans quel contexte social ce genre d'objet - masque, sculpture, etc. - était en usage. C'est dans ce contexte qu'il avait pris son sens originaire. Allant plus loin dans cette direction, il est dès lors indispensable de donner aux publics quelques informations sur la nature et l'histoire des sociétés qui avaient eu besoin de ces objets pour s'exprimer et se reproduire. À toutes ces questions doivent répondre les anthropologues, les historiens et d'autres spécialistes qui ont la charge de construire ces bases de données dans lesquelles le visiteur ira puiser des informations et des suggestions. Mais il est indispensable de ne jamais laisser croire à un visiteur qu'il voit un objet de la même façon que ceux qui l'ont fabriqué et utilisé à l'origine. On peut s'approcher de cette vision, on ne peut pas coïncider avec elle
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