Ce texte de w.benjamin : « L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproduction mécanisée », n’est pas consacré aux arts premiers mais il fournit cependant certains outils intellectuels pour à la fois, comprendre l’origine et la signification de ces objets (ce qui fait leur aura) et leur détournement en tant que valeur d’exposition.
Le hic et nunc de l'original forme le contenu de la notion de l'authenticité, et sur cette dernière repose la représentation d'une tradition qui a transmis jusqu'à nos jours cet objet comme étant resté identique à lui-même. Les composantes de l'authenticité se refusent à toute reproduction, non pas seulement à la reproduction mécanisée. L'original, en regard de la reproduction manuelle, dont il faisait aisément apparaître le produit comme faux, conservait toute son autorité
De nos jours, les conditions d'une recherche correspondante sont plus favorables et, si les transformations dans le médium de la perception contemporaine peuvent se comprendre comme la déchéance de l'aura, il est possible d'en indiquer les causes sociales.
Qu'est-ce en somme que l'aura ? Une singulière trame de temps et d'espace : apparition unique d'un lointain, si proche soit-il. L'homme qui, un après-midi d'été, s'abandonne à suivre du regard le profil d'un horizon de montagnes ou la ligne d'une branche qui jette sur lui son ombre - cet homme respire l'aura de ces montagnes, de cette branche. Cette expérience nous permettra de comprendre la détermination sociale de l'actuelle déchéance de l'aura.
L'unicité de l'oeuvre d'art ne fait qu'un avec son intégration dans la tradition. Par ailleurs, cette tradition elle-même est sans doute quelque chose de fort vivant, d'extraordinairement changeant en soi. Une antique statue de Vénus était autrement située, par rapport à la tradition, chez les Grecs qui en faisaient l'objet d'un culte, que chez les clercs du Moyenâ-ge qui voyaient en elle une idole malfaisante. Mais aux premiers comme aux seconds elle apparaissait dans tout son caractère d'unicité, en un mot dans son aura. La forme originelle d'intégration de l'oeuvre d'art dans la tradition se réalisait dans le culte. Nous savons que les oeuvres d'art les plus anciennes s'élaborèrent au service d'un rituel d'abord magique, puis religieux. Or, il est de la plus haute signification que le mode d'existence de l'oeuvre d'art déterminé par l'aura ne se sépare jamais absolument de sa fonction rituelle. En d'autres termes : la valeur unique de l'oeuvre d'art authentique a sa base dans le rituel. Ce fond rituel, si reculé soit-il, transparaît encore dans les formes les plus profanes du culte de la beauté. Ce culte, qui se développe au cours de la Renaissance, reste en honneur pendant trois siècles - au bout desquels le premier ébranlement sérieux qu'il subit décèle ce fond. Lorsqu'à l'avènement du premier mode de reproduction vraiment révolutionnaire, la l'art éprouve l'approche de la crise, devenue évidente un siècle plus tard, il réagit par la doctrine de l'art pour l'art, qui n'est qu'une théologie de l'art. C'est d'elle qu'est ultérieurement issue une théologie négative sous forme de l'idée de l'art pur, qui refuse non seulement toute fonction sociale, mais encore toute détermination par n'importe quel sujet concret. (En poésie, Mallarmé fut le premier à atteindre cette position.)
Il serait possible de représenter l'histoire de l'art comme l'opposition de deux pôles de l'oeuvre d'art même, et de retracer la courbe de son évolution en suivant les déplacements du centre de gravité d'un pôle à l'autre. Ces deux pôles sont sa valeur rituelle et sa valeur d'exposition. La production artistique commence par des images au service de la magie. Leur importance tient au fait même d'exister, non au fait d'être vues. L'élan que l'homme de l'âge de la pierre dessine sur les murs de sa grotte est un instrument de magie, qu'il n'expose que par hasard à la vue d'autrui ; l'important serait tout au plus que les esprits voient cette image. La valeur rituelle exige presque que l'oeuvre d'art demeure cachée : certaines statues de dieux ne sont accessibles qu'au prêtre, certaines images de la Vierge restent voilées durant presque toute l'année, certaines sculptures des cathédrales gothiques sont invisibles au spectateur au niveau du sol. Avec l'émancipation des différents procédés d'art au sein du rituel se multiplient pour l'oeuvre d'art les occasions de s'exposer. Un buste, que l'on peut envoyer à tel ou tel endroit, est plus susceptible d'être exposé qu'une statue de dieu qui a sa place fixée dans l'enceinte du temple. Le tableau surpasse à cet égard la mosaïque ou la fresque qui le précédèrent.
Avec les différentes méthodes de reproduction de l'oeuvre d'art, son caractère d'exposabilité s'est accru dans de telles proportions que le déplacement quantitatif entre les deux pôles se renverse, comme aux âges préhistoriques, en transformation qualitative de son essence. De même qu'aux âges préhistoriques, l'oeuvre d'art, par le poids absolu de sa valeur rituelle, fut en premier lieu un instrument de magie dont on n'admit que plus tard le caractère artistique, de même de nos jours, par le poids absolu de sa valeur d'exposition, elle devient une création à fonctions entièrement nouvelles - parmi lesquelles la fonction pour nous la plus familière, la fonction artistique, se distingue en ce qu'elle sera sans doute reconnue plus tard accessoire.
J'aime beaucoup le texte de Walter Benjamin mais malheureusement force est de constater que cette notion d'aura qui constitue le nœud de ce texte a perdu de sa valeur. Ca n'est plus quelque chose d'efficace pour apprécier et surtout pour évaluer l'impact d'une œuvre d'art. Il suffit de considérer la moindre photographie (il s'agit bien d'un multiple) de Diane Arbus, par exemple, ou de Walker Evans et d'être devant elle, en sa présence, et l'on verra si "l'aura" n'existe plus...
Rédigé par : holb | jeudi 24 mai 2007 à 18h15