Les fétiches, se rencontrent à tous les niveaux de nombreuses religions d'Afrique noire. Ce sont bien des objets incontournables qu'on a, malgré tout, cherché à discréditer, à dévaloriser en leur attribuant des significations méprisantes ou en les jugeant indignes de toute considération scientifique. Le fétiche, dans notre monde occidental, effraie autant qu'il déchaîne les passions. C'est bien le vieux monde qui fut, nous l’avons vu, XVe siècle, à l'origine de ce terme.
Quand les Portugais entrèrent en contact, à la fin du quinzième siècle, avec les populations riveraines du Golfe de Guinée, ils y remarquèrent une grande variété d'objets protecteurs et de supports d'activité magique sur lesquels il semblait bien qu'un culte fut rendu et qu'ils appelèrent féitissos, d'un mot auquel étaient attachées les idées d'artificialité, de maîtrise du sort et de maléfice.
Traduit en français par fétiche, ce terme fut par la suite employé à tort et à travers, par des auteurs n'ayant pas de contact avec les objets en question ou répugnant à en avoir, pour désigner toutes sortes de pratiques et d'aberrations faussement attribuées aux Noirs puis, par extension, à d'autres prétendues "peuplades primitives".
Les dits fétiches étaient en effet de nature à bousculer les cadres de pensée de l'époque. Non seulement ils n'avaient pas pour but de mettre en rapport avec le Dieu unique, universel (catholique), mais ils ne servaient pas non plus à honorer une pluralité de dieux autonomes personnalisés, du genre de ceux attribués aux religions qualifiées de polythéistes L'appellation d'idoles leur convenait donc mal. Ils n'avaient d'ailleurs aucune prétention figurative et n'étaient pas traités en images d'autre chose. De plus, bien loin de tenir lieu d'instruments religieux d'une libération spirituelle du monde, ils se trouvaient adoptés dans des buts généralement très intéressés : l'obtention de la santé et de la prospérité, l'élimination d'adversaires, etc., au mieux en vue de l'harmonisation et de la fortification du corps social, bref dans une perspective apparemment dédaigneuse du salut de l'âme, privilégiant sans vergogne la production ou la jouissance de biens terrestres. Leur emploi fut donc jugé limité au domaine de la magie, de surcroît à une magie qui, en donnant lieu à des rites sacrificiels pour la satisfaction des plus vulgaires appétits humains, ne tarda pas à être dénoncée comme essentiellement soutenue par le Démon.
Les missionnaires chrétiens n'y virent donc qu'inventions diaboliques détournant les hommes de l'adoration de Dieu. Les prenant initialement très au sérieux, ils entrèrent en lutte contre eux et appelèrent à les détruire.
Au XVIIIème, le président de brosses, introduisit le concept de fétichisme et entreprit d'élargir le champ d'application du terme à toutes sortes d'objets respectés à l'occasion de nombreux rites. Il les fit correspondre au besoin de maîtriser une vive sensibilité à l'égard de la nature donnant lieu à des affections, des passions et des craintes partagées par toute l'humanité.
Au siècle suivant, s'amorça un rejet du fétichisme hors du domaine purement religieux, aux côtés de la superstition ou de la sorcellerie paysanne. Une théorie évolutionniste, notamment soutenue par Auguste Comte (Cours de philosophie positive, 1830-1842), en fit la toute première étape d'un développement religieux caractérisé par l'adoration des objets ou des phénomènes naturels. L’interprétation interprétation animiste proposée par Herbert Spencer puis Tylor (Primitive culture, 1871) lui donna concurremment pour fondement une croyance en des esprits venant habiter ou s'approprier des choses singulières. L'exécration religieuse initiale, qui avait du moins le mérite de prendre au sérieux les puissances contre lesquelles elle luttait, céda dès lors place à un mépris plus ou moins condescendant à l'égard de survivances présentées comme indignes d'êtres de raison. Le mot s'en trouva affecté pour longtemps d'un sens péjoratif..
Découvert en cet état d'abaissement par Marx et par Freud, il leur servit à dénoncer la dépendance incongrue de certains sujets à l'égard d'objets les aidant à entrer en rapport avec une réalité trop pénible pour être considérée en face. Pouvait être dite fétiche, car transformée arbitrairement en absolu, toute chose jugée nécessaire à la satisfaction de désirs, sans l'être pourtant objectivement en aucune manière. Un fétiche résultait de la projection déraisonnable sur quelque chose d'une force sociale ou psychique à laquelle était finalement prêtée une existence autonome illusoire et de laquelle on devenait abusivement Le fétiche n'apparaissait fonctionner ainsi qu'au bénéfice ou au détriment d'une humanité malade ou encore inconsciente d'elle-même, aliénée par des puissances sociales et des mécanismes psychiques, privée par conséquent de véritable jugement.
L'ethnologie, pour rompre avec ce genre de croyance, ce genre d'affirmation de la supériorité d'une civilisation jugée comme étant l'aboutissement de l'évolution, préféra s'abstenir d'user d'un tel terme. Le fétiche est désormais nié , « et furent niées avec lui tout autant de pratiques rituelles et d'institutions d'une importance considérable pour la compréhension des systèmes religieux en Afrique sub-saharienne …Le moment, dit A. de Surgy est venu de remettre en usage le terme de fétiche, mais à condition de le redéfinir sur la base d'informations ethnographiques précises, indépendamment des significations assez fantaisistes dont il a eu le malheur d'être affublé. .» NATURE ET FONCTION DES FETICHES EN AFRIQUE NOIRE. LE CAS DU SUD-TOGO.
L’auteur a été introduit en Afrique par Jean Rouch et Germaine Dieterlen. C'est en Côte d'Ivoire que son attention est retenue par les pratiques magiques et religieuses. Il se voue, dès lors, à l'étude des croyances justifiant ces pratiques et tente d'en saisir le sens. Il poursuivra son travail chez les Evhé (peuple côtier, établi principalement au Togo, dans le golfe du Bénin, après avoir passé quelques années au Nord du Togo (chez les Mwaba-Gurma). Il s'intéressera cette fois, à la religion de ce groupe au travers de la pratique des "fétiches".Le fétichisme, dans son travail reprend le sens que lui attribuent les féticheurs. Alors qu’il reste perçu pour nous, pour le sens commun comme pour la pensée savante, comme dépendant d'un registre de passions déviantes et malsaines et qui renvoie toujours à l'adoration et finalement au pathos .Le "fétichisme occidental" reste en marge de toute sagesse , dans une sorte de régression qualifiée de pathologique, dans un refoulement et un repli dans des activités sexuelles extrêmes en totale opposition avec l'idée de progression spirituelle proposée par le fétichisme Evhé .Celui ci est bien un cheminement qui fait passer le féticheur de l'ignorance à la sagesse. C’est moins une régression qu’un dynamisme.
« De nos jours, aucun progrès marquant dans la connaissance des religions africaines ne paraît plus pouvoir être accompli en continuant d'esquiver l'étude de pratiques que nous y trouvons focalisées sur une multitude d'objets dotés d'efficience, aussi bien employés pour témoigner de la puissance d'une divinité et inspirer à son égard une crainte sacrée que pour fournir à la population un certain nombre de protections et de services magiques répondant à ses désirs et opérant du même coup sur leur élaboration.
Dans l'esprit des intéressés, une élévation de la conscience au dessus des réalités terrestres ne présente aucun intérêt si ce n'est en vue d'accéder à des connaissances et à des pouvoirs supérieurs. ils n'envisagent aucune glorification réelle de Dieu qui puisse être indépendante du parachèvement de l'œuvre à laquelle il préside. Ils ne conçoivent l'existence posthume ou prénatale qu'en fonction du développement de la vie sur terre. Au ciel et au monde des idées, ils préfèrent celui de la réalisation des idées. Ils privilégient l'action au détriment du retrait contemplatif en soi-même, mais en cherchant à la provoquer ou à la soutenir par des voies occultes. »
Dans le chapitre de son livre appelé "objets à prendre en considération", l'auteur propose de commencer une définition générale des fétiches et des relations entretenues par les féticheurs envers eux. Il montre que ces objets ne sont pas destinés à rendre honneur à une divinité en s'effaçant donc devant lui, mais qu'ils consistent en la maîtrise de force subtiles et surnaturelles. De tels objets présentent quatre caractéristiques distinctes. 1/ Ils sont, tout d'abord, utilisés pour engendrer des catégories de phénomènes qui échappent à l'ordinaire. 2/ Ils sont donc pour les humains, des moyens d'action qui se distinguent des moyens habituels mobilisés pour agir directement sur des phénomènes ordinaires. En ce sens, ils forment des instruments d'action spécifiques qui permettent d'introduire des causes nouvelles au delà du monde humain afin de provoquer, en retour, des effets dans ce même monde. 3/ Ils doivent donc permettre d'obtenir des résultats qui soient en accord avec la volonté de leurs utilisateurs. 4/ Ils sont enfin, à la base d'une sorte de système d'échange où le divinité renonce à une partie de son pouvoir au profit d'humains renonçant à en abuser pour contrôler le monde. Ces objets, bien qu'ils constituent une part importante du champ du religieux, n'en occupent pas la totalité. Nombreux sont les objets qui ne sont pas des fétiches et qui, pourtant, viennent s'articuler avec eux dans leur usage (c'est notamment le cas des autels, des reliques ou encore de certaines statuettes).
On peut diviser les fétiches Evhé en deux grandes classes : les Vodu et les Bo.
Les vodu, terme que les evhé ont emprunté à leurs voisins ( fon, yoruba) seraient des objets de culte permettant à leur possesseur d'améliorer et d'harmoniser ses rapports avec son environnement matériel, social et spirituel.
Selon une première étymologie,le mot vodu, composé de la syllabe vo signifiant un état de liberté ou d'indépendance, et de la syllabe du signifiant pays, cité, territoire villageois, désignerait des objets de culte ayant pour fonction d'aider chacun à mieux vivre ou à vivre avec aisance dans son lieu. Tel est bien en effet ce qui motive l'acquisition d'un vodu. Il contribue à l'enrichissement et à l'harmonie des rapports de l'homme avec son environnement matériel, social et spirituel. Bien qu'on lui attribue de violentes réactions justicières, on estime qu'il agit habituellement avec prudence et réflexion, dans une perspective à long terme. On le distingue ainsi très nettement des simples opérateurs magiques se laissant actionner sans jugement et produisant immédiatement leurs effets.
Une autre étymologie a attiré l'attention sur le rapport entre la notion de vodu et celle de trou(ou de porte) entendu alors comme ouverture en direction de l'invisible ou de l'abîme des origines. » Dans le langage usuel, le terme de vodu désigne en effet toute sorte de trouée vers l'au-delà, naturellement insérée ou artificiellement aménagée dans l'enclosement sur lui-même du monde sensible (celui où les phénomènes dérivent de façon déterminée de leurs antécédents), à travers laquelle l'homme parvient à modifier à son profit les déterminations immatérielles de son existence. »
Certaines d'entre elles débouchent, à proximité immédiate, sur des esprits de la nature. Un grand nombre d'entre elles débouchent sur des âmes d'ancêtres ou sur des regroupements spécialisés d'âmes . vodu ancestraux qui se comportent en entités spirituelles autonomes, n'accordant de bienfaits que selon leur bon-vouloir ou leurs caprices, faisant elles-mêmes choix de leurs prêtres ou des personnes qui leur seront consacrées, que nul ne peut donc installer chez lui de sa propre initiative.
On les trouve installés à demeure dans des enceintes réservées ou dans des cours d'habitation, parfois à l'air libre, parfois sous abri, parfois dans des cases fermées à clef. Ce qui s'en laisse voir n'en est jamais que le signalement extérieur, souvent réduit à sa plus simple expression. Il peut s'agir d'un contenant soigneusement fermé et parfois même emballé : calebasse, poterie, cuvette..., déposé sur une estrade ou une étagère ou monté sur un piquet fourchu. Cependant il s agit le plus souvent d'un cône de terre battue élevé dans une bassine ou à même le sol, souvent alors de nos jours enduit de ciment. Ce cône est éventuellement décoré avec une assez grande fantaisie. Il lui arrive d'être rendu grossièrement figuratif d'une tête ou d'une silhouette humaine. Il lui arrive aussi d'être tronqué pour servir de support à un ou plusieurs objets usuels ou symboliques. L'essentiel du vodu est toujours enfoui à sa base ou dans sa masse et consiste en ingrédients, pour la plupart végétaux, déposés au fond d'un pot ou enveloppés dans quelque chose.
Alors qu'un vodu est une entité dont on ne devient jamais que le serviteur ou le responsable appelé hunô ou vodunô (le suffixe no, qui signifie mère, ayant le sens de celui qui reste auprès de, celui qui prend soin de), par laquelle il arrive qu'on soit 'saisi' et mystiquement épousé (en devenant alors vodusi\ un bo est une entité dont on devient au contraire propriétaire en ayant droit au titre de botô (le suffixe tô, qui signifie père, ayant le sens de maître ou patron).
Les bo n'ont pour but de placer personne sous l'autorité d'un principe directeur et mobilisateur adéquat, ni de lui communiquer des énergies spirituelles correspondantes. On en attend des résultats ponctuels immédiats, extrêmement précis et éventuellement agressifs, obtenus en agissant sur les dispositions et les attitudes des agents immatériels qui participent à l'engendre ment permanent des phénomènes. Ils n'opèrent ainsi que sur des esprits de créatures vivantes ou sur ceux qui, comme les mauvais morts, vagabondent dans l'espace atmosphérique intermédiaire entre le monde de dessus terre et celui depuis lequel tout y est envoyé prendre naissance. Les ancêtres, qui ont perdu tout attachement personnel aux affaires du monde, échappent totalement à leur emprise. On s'en sert pour éviter le mauvais sort, repousser de mauvais esprits, sortir vainqueur d'une querelle, obtenir la faveur d'une femme ou de son patron, s'attirer des clients, humilier un rival, blesser ou faire périr un ennemi, etc., ou pour s'opposer à des actions de ce genre dont un sujet est victime. Leur nom provient de celui du ficus (bo-ti ou arbre bo) dont l'écorce est utilisée pour fabriquer de solides cordelettes appelées bo-k'a (cordes de bo). Ils sont censés en effet subjuguer, saisir ou attacher comme en esclavage des esprits incarnés, mal désincarnés ou errants, humains ou non-humains, dont un état de santé, une situation ou un événement dépend !, ou en libérant au contraire des esprits ayant été immobilisés ou capturés par des liens de ce genre. On leur décerne aussi bien le nom de dzoka (corde de feu), et on décerne aussi bien à leurs propriétaires le nom de dzotô (propriétaires de feu), car ils fondent avec violence, comme l'éclair, sur leurs cibles et car leur actionnement, appelé dzosasa ou kasasa (envoyer, ou nouer ou attacher le feu ou la corde magique), exige un état d'excitation ou de colère ayant sur la puissance qu'ils rendent effective un effet détonateur. Au moment de les consacrer, de leur demander d'agir ou de les restaurer par un sacrifice, un tel état leur est rituellement communiqué en crachant dessus, tout en les nommant, des débris de grains de poivre de Guinée..
Pour A. de Surgy, dans sa volonté de déconstruire la notion de fétiches et de mieux en cerner la nature et la fonction, il importe de montrer ce qu'ils ne sont pas ; il y a urgence de purifier les fétiches « de toutes les projections dont on les a recouverts pour justifier de vaines tentatives de s'en débarrasser> ». Selon lui, on peut avoir à faire à trois catégories d'idées fausses. La première d'entre elles ne voit dans les fétiches, que de simples objets, soit rassurant ou survalorisés et fixateurs d'affects, soit adorés pour eux même. La deuxième catégorie les présente comme des objets qui renvoient à d'autres choses qu'à eux même, à notre monde extérieur, intérieur, au domaine des relations entre les hommes ou à l'au-delà. Enfin, une troisième catégorie traite les fétiches dans une opposition entre magie et religion. Selon cette manière de penser, une seule attitude conviendrait face à ces objets de magie ; le mépris. Les fétiches ne sont pourtant ni des mascottes, ni de objets chéris aliénants, ni des objets adorés pour eux-mêmes, ni des révélateurs d'objets de pulsion, ni des substituts du phallus de la mère, ni des matérialisation de forces psychiques ou sociales, ni de simples objets figurant des réalités immatérielles ; ils sont encore moins des réceptacles d'esprits indépendant, des adversaires des dieux, des objets de sorcellerie ou de culte plus artificiels que d'autres. Ils ne sont pas les seuls moyens de faire agir des puissances surnaturelles et surtout pas des reliques de religions archaïques ou dégénérées..
Les fetiches ont pourtant toujours une réalité objective et sont toujours caractérisés par des formes et des contenus matériels spécifiques. Pour autant, ils ne sont pas, que pure forme. Leur contenu est l'essentiel de leur efficacité et aussi de leur mystère. <<De tels ingrédients, dit A. de Surgy, sont des restes d'événements, d'objets ou de corps vivants>> qui sont choisis pour leur capacité à évoquer certaines énergies de réalisation et à provoquer les effets attendus par leurs utilisateurs. Ce sont par exemple, des dents de mauvais mort ou encore des plantes parasites. Le choix de tels ingrédients traduit autant de volontés, d'intérêts et d'usages qu'il y a de symboles et de représentations dans telle ou telle catégorie d'objets. Ainsi, une assiette brisée va être utilisée dans le but de briser et de réduire en miette, des noeuds vont servir à enrayer une action néfaste. <<De manière générale, dit l'auteur, toute plante à laquelle est reconnue une vertu quelconque, médicinale en particulier, une volonté de s'assimiler une vertu semblable, d'en profiter ou d'en faire profiter>> En ce sens, les composants d'un fétiche sont animés par un souffle (gbögbö). Il se crée alors un lien de sympathie dont la nature est d'unir le praticien à un registre de puissances supérieures et étrangères au monde matériel. <<Ce qui est fondamental dans un fétiche est bien le "souffle" qu'il possède, et ce "souffle" nous est présenté comme inhérent aux matériaux nécessaires à sa fabrication>>. Ainsi, les fétiches ont un aspect objectif qui prend deux formes. Ils sont d'une part des objet tangibles, concrets. Ils sont également des objets de représentation, de signification, qui renvoient à une cosmologie très élaborée où le souffle vital (énergie)constitue un lien fondamental entre le monde des formes et le monde objectif, entre le monde prénatal et le monde de la vie sur terre..
Les fétiches forment un lien entre le monde des hommes et d'autres. Ils sont donc un outil qui lient les hommes à une énergie spirituelle rendue accessible par l'objet (des énergies laissée par des âmes en cours de divinisation, ou encore des corps spirituels individuels ou collectifs). Cette liaison de l'objet à d’autres mondes suppose une liaison du sujet envers l'objet fétiche. A la différence du propriétaire d'une amulette qui peut rester passif, le féticheur, lui, ne peut demeurer passif vis-à-vis de l'objet qu'il s'est fabriqué. Il est obligé de "travailler" avec lui, de lui accorder des égards et de l'entretenir, sans pour autant en devenir dépendant. Ce sont, dit l'auteur, des "objets de préoccupation" envers lesquelles chaque acquéreur est lié.Soucieux de maîtriser eux même leur destinée, les « féticheurs » n’entendent pas se comporter en serviteurs dociles mais en utilisateurs de puissances qu’ils jugent bon de se ménager.
En aucun cas il ne s'agit donc d'un "dieu-objet" mais d'un objet désobjectivé, tout autant constitué de paroles que de matériaux, donnant prise sur une puissance subsistant indépendamment de ses utilisateurs et dont il a fallu qu'ils reçoivent révélation, non seulement de l'existence, mais encore de la façon d'en fabriquer le symbole.
« Bien qu'ils soient respectés à proportion de leur efficacité, les fétiches se distinguent des instruments qui viennent prolonger la puissance de notre main ou de notre cerveau. Ils ne servent pas à maîtriser objectivement une réalité extérieure continuant d'exister hors de notre présence, indépendamment de notre action et de l'intérêt que nous lui portons. Ils se présentent comme des objets artificiellement soustraits a une telle réalité et paraissent avoir pour effet de nous introduire en plein rêve, si ce n'est en pleine aberration, en nous détournant des causes immédiates, les plus évidentes, des phénomènes. Mais est-il permis de réduire l'univers au champ de ce que nous pouvons objectivement modifier, c'est-à-dire aux réalités matérielles en rapport direct ou indirect avec notre corps ? N'est-il pas plus réaliste d'y prendre aussi bien en considération des sources d'action et de sens que de simples leviers d'action ? Si nous le voyons rempli d'objets, il l'est assurément tout autant de causes efficientes et de sujets. En vérité ce dont les fétiches nous éloignent et nous purifient est une stérilisation de la réalité par coupure d'avec l'esprit qui s'applique à y injecter des significations. Ce à quoi ils s'opposent est avant tout une production d'objets morts ne parlant plus à personne et laissant cruellement l'homme face à face avec sa propre image
Les objets sacralisés avec lesquels il opère contribuent à délivrer les personnes souffrantes d'un sentiment accablant de soumission aux contraintes matérielles et sociales, au mauvais sort ou aux appétits d'autrui. En même temps qu'ils les sauvent d'une triste condition d'objet, ils ne subjectivisent nullement leurs problèmes. Ils les renvoient au contraire à des choses, à des forces et à des âmes extérieures, et impliquent dans leur traitement les principaux membres du groupe concerné par leur état. Mais surtout ce sont des moyens, arbitraires et méritant d'être abandonnés après usage, d'éliminer peu | à peu ce qui dissimule à quelqu'un l'expressivité merveilleuse du réel en lui permettant d'accéder à la connaissance, à la pratique et à l'amitié des puissances que toutes les parcelles du monde, étant le fruit de leur action, ont vocation de symboliser.
On ne rappellera jamais assez que pour des Africains comme les Evhé la plénitude de l'existence n'est pas à rechercher dans l'au-delà mais à réaliser de façon immanente au sein même du monde où nous prenons naissance, de la nature, en collaboration avec « les forces de l'au-delà ». La plénitude visée ne réside dans aucun des éléments particuliers, matériels ou spirituels. Elle n'est pas atteinte en récompense d'un retirement dans le plus élevé d'entre eux, dans un quelconque « arrière monde ». Elle résulte de leur coordination et de leur intégration.
Participer à une création toujours changeante est en effet l'occasion pour tous les êtres, tous les principes et toutes les forces de l'univers de coopérer et de vibrer en harmonie. Du point de vue adopté, qui est celui d'une unification active de la multiplicité et non d'une évasion hors de ses atteintes, il serait insensé pour un vivant de tenter de régresser vers son principe en se désengageant .
Le fétiche symbolise ce paradoxe et cette sagesse : il se définit en tout premier lieu par la matérialité' de ses ingrédients. La puissance qui y est investie ou attirée est finalement un objet (statue, lingam, simple stèle, vase...) elle est donc localisée sur ou dans une forme sensible. Quelle que soit la tradition en cause, une concrétisation minimale apparaît donc imposée
Le fétiche est ainsi un potentiel d'intelligibilité qui le rend attracteur et évocateur d'énergies spirituelles singulières, potentiel que l’on peut imaginer aussi bien uniquement attaché à des mots ou à de idées, et qui se trouve ici systématiquement ancré sur un support tangible.
A regarder la manière dont un artiste travaille, nous pouvons être frappé par le fait qu’il continue à demander au sensible le choc , le déclic qui va aimanter son voyage : « un mégot gisant dans un cendrier, un bouton de culotte, blanc, patient qui vous jette un coup d’œil dans sa flaque d’eau, dans la rue un petit morceau d’écorce fragile, qu’une fourmi serre dans ses mandibules….tout cela montrait son être intérieur, l’âme secrète qui se tait plus souvent qu’elle ne parle » kandinsky. regards sur le passé
L’énigme du fétiche (Son « souffle »), qui reste celle de tout objet/ sémiophore, réside dans le fait que ce support définit un troisième constituant médiateur du sens, tout aussi indispensable que les deux autres, qui malgré sa qualité d'élément de base le plus fruste est curieusement destiné à le rapporter au principe spirituel le plus éminent . .
la sagesse evhe ne réside t’elle pas en définitive dans une compréhension profonde de la nature et du pouvoir des objets ? DE TOUT OBJET ?
«
L'élaboration puis la mise en fonction d'un lien de solidarité avec ce curieux partenaire vital exigent de la part du sujet des efforts qui ont le mérite de garantir la profondeur de sa détermination à l'adopter. Ils représentent l'indispensable contribution de l'être humain à l'obtention de bénéfices ne pouvant lui parvenir que de l'extérieur de lui-même comme de la portion d'univers dont il contrôle l'évolution, à l'issue de démarches conséquentes devant lui coûter quelque chose »
RENEE STOUT. INSTALLATION
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