« Je voudrais tomber malade à force de sincérité, donner l’exemple unique d’un homme qui, somme toute, s’est rarement illusionné sur lui-même et a su mieux que quiconque voir clair en lui »
"Pour moi, son oeuvre est non seulement un document qui contribue à enrichir notre connaissance de l’homme, mais aussi un témoignage personnel qui me touche profondément. Le désespoir côtoie ces moments d’éclaircie dont la chaîne compliquée se déroule tout au long de cette tragique et merveilleuse corde raide tendue de la naissance à la mort." Francis bacon
« Prise dans de souples vestons ou de tristes complets des meilleurs faiseurs, la silhouette mélancolique de Leiris, tête penchée, regard scrutateur, front taraudé de rides, s'enveloppait naguère aussi dans les plis d'une légende dorée. Peu auront, autant que cet écrivain enclin à la réserve, aussi exactement épousé les passions, les méandres, les avatars de son siècle. Mais une seule ligne de vie, même parallèle au siècle, n'a pu suffire à contenir les vies parallèles de Michel Leiris
L’œuvre, vaste et foisonnante, gêne tout effort de classification, bouleversant le cadre des genres. Elle s’impose comme un champ d’expériences. Leiris emprunte les voies de son siècle, les vide de leur propre conformisme, les contamine les unes les autres, détournant les sciences humaines en direction de la poésie ou introduisant les méthodes des sciences exactes dans son oeuvre poétique. L’écrivain devient l’ethnologue de lui-même, interrogeant le monde à partir de l’échantillon de catégorie humaine qu’il est, se faisant le témoin extérieur, en quelque sorte, de ce qui se déroule en lui. Un homme de nos jours qui se respecte se doit d’être lucide dans la mesure où il le peut. Il ne se tourne vers sa singularité que pour mieux déboucher sur l’universalité. L’ethnologie et la littérature sont pour Leiris les deux activités conjuguées qui sont comme les deux faces d’une recherche anthropologique au sens le plus complet du mot : accroître notre connaissance de l’homme, tant par la voie subjective de l’introspection et celle de l’expérience poétique, que par la voie moins personnelle de l’étude ethnologique
Michel Leiris est né en 1901 à Paris. Poète, ethnographe, écrivain et critique d’art, il a débuté son apprentissage en poésie sous l’impulsion de Max Jacob. En 1922 il côtoie le peintre André Masson qui l’encourage à écrire, et dont l’influence entraînera son adhésion au mouvement surréaliste. Proche du milieu artistique, il épouse Louise Godon dont le père est Daniel-Henry Kahnweiler(ami de c.Einstein), marchand de tableau de renom. Il collabore rapidement à la révolution surréaliste en écrivant un essai, « Glossaire, j’y serre mes choses », qui propose des définitions basées sur des jeux de mots et se distingue par une approche originale de la langue. Ce premier travail sur le langage illustre déjà les préoccupations essentielles de l’auteur qui deviendront l’objet même de son écriture.
D’autres textes surréalistes suivront, Le point cardinal (1927), et Aurora dont la publication n’aura lieu qu’en 1946. Surréaliste dissident, il devient le secrétaire de rédaction de la revue Documents, dirigée par Georges Bataille. Là, il fait la connaissance de Marcel Griaule avec lequel il sympathise. Cette nouvelle rencontre lui sera déterminante. En effet, ce dernier lui propose de participer à la plus grande expédition française d’ethnographie du XXe siècle, la mission Dakar-Djibouti qui se déroulera de mai 1931 à février 1933. Il en sera le secrétaire-archiviste, et ce travail lui fournira la matière de son premier grand livre : L’Afrique fantôme.
C’est ce même ouvrage qui témoignera de sa conversion au métier d’ethnographe, qu’il exercera jusqu’en 1971, en tant que directeur de recherche au C.N.R.S., rattaché au Musée de l’Homme de Paris. Bien que ses travaux précédents témoignent déjà d’une connotation autobiographique (il rédige un journal intime depuis de nombreuses années), c’est principalement L’Afrique fantôme qui fera date dans le mélange de l’ethnographie et de l’autobiographie. C’est la première fois que Michel Leiris se met à nu et expose ainsi ses sentiments les plus profonds.
L’apogée de ce regard autobiographique sera L’âge d’homme (1939), autoportrait dévalorisant et particulièrement dur rédigé sur un ton confessionnel. Si Michel Leiris se tourne vers sa singularité, ce n’est que pour mieux déboucher sur l’universalité. En étudiant d’autres sociétés humaines, il paraît impossible de faire abstraction de soi-même, de son passé et de sa culture. Il écrira des années plus tard dans la préface de Cinq études d’ethnologie (1951) alors qu’il cherche encore et toujours à « liquider » l’ethnocentrisme : « Tels qu’ils sont, il me semble du moins que ces textes indiquent, directement ou indirectement, ce qu’est à mon sens l’ethnologie : une science, certes, mais une science dans laquelle le chercheur se trouve engagé personnellement peut-être plus que dans toute autre. Son effort pour pénétrer une culture différente de la sienne grâce à un travail de terrain l’amène, en effet, à se détourner (fût-ce temporairement) de cette dernière, et par contraste, lui en montre les limites ainsi que les déficiences, même si déjà il n’avait pas adopté à son égard une attitude critique. D’autre part, au cours de son enquête qui porte généralement sur un groupe dont la vie a pour cadre ce que désigne le terme équivoque de « sous-développement », il noue avec les gens qu’il étudie des liens dont, s’il est loyal, il ne pourra faire abstraction par la suite»
Il va générer une autobiographie sans concession : aucune complaisance envers lui-même, des révélations douloureuses sur ses difficultés relationnelles, et surtout aucune trace du moindre héroïsme. En 1948 sera publié Biffures, premier tome de ce qui deviendra la plus grande œuvre de l’écrivain, une tétralogie nommée La règle du jeu. Frêle bruit, le dernier tome, ne paraîtra qu’en 1976 afin de clôturer cette règle du jeu que l’écrivain aura longtemps cherché. Les tomes deux et trois (Fourbis (1955) / Fibrilles (1966)) racontent successivement sa relation avec une prostituée alors qu’il est dans l’oranais algérien, et sa tentative de suicide aux barbituriques en 1957.
Intellectuel engagé, il sera l’un des premiers signataires de la « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie » publié en 1960. Michel Leiris continuera de voyager en Martinique, en Guadeloupe, en Chine, à Cuba, se consacrant à de nombreuses études ethnographiques ainsi qu’à des critiques d’art sur des figures incontournables de ce siècle : Pablo Picasso, Francis Bacon, Wilfredo Lam, Joan Miro…
Il est mort en 1990. Sa démarche restera celle d’un homme partagé entre poésie et ethnologie, subjectivité et objectivité, art et science, à la recherche d’une impossible vérité. Leiris a exploré les marges et fait converger des démarches originales, rarement associées. Entreprise passionnante, parce qu’elle sape les certitudes, ouvre des voies de recherches, interroge autrement. Le savoir peut jouer un rôle démystificateur, et c’est en cela que c’est intéressant. Leiris encore : « Ce n’est pas tellement la volonté de détruire qui m’anime, mais plutôt de démystifier afin de m’en tenir à quelque chose de vraiment éprouvé, de solide ».
L’afrique fantome
C’est donc en tant que secrétaire-archiviste que Michel Leiris s’embarque à bordeaux le 19 mai 1931, dans le cadre de la Mission ethnographique et linguistique Dakar-Djibouti qui s’achèvera après deux années de voyage à travers l’Afrique noire. La mission dont le but principal est de rapporter des collections au musée ethnographique du Trocadéro et de lancer un programme à long terme d’enquêtes ethnographiques, est dirigée par Marcel Griaule, futur grand spécialiste des Dogon du Mali et de l’Abyssinie et auteur du « mythique » dieu d’eau).elle traversera le continent à bord de deux Ford jusqu’au Soudan égyptien et conduira deux études principales sur les Dogon du Sangha et les Kirdi du Nord Cameroun. La majorité des enquêtes portera sur le totémisme, la circoncision, et les pratiques magiques. Elle achèvera les études dans la province de Gondar en détaillant avec soin les rites de possession zar, certaines coutumes des juifs Falacha de la région, et une enquête linguistique sur la langue amhara. Leiris est chargé par Marcel Griaule de tenir l'agenda de la Mission, d'enregistrer les objets collectés, de rédiger leurs fiches descriptives, de classer dossiers, cahiers, carnets et courriers, etc. Il se voit assigner une fonction de mémorialiste plutôt que d'enquêteur à part entière. L’Afrique fantôme va se substituer à son journal personnel qu’il rédige depuis 1922, et sera le résumé des 639 jours qu’il passera à parcourir le continent africain d’ouest en est. Ce livre revêt c une forme bien particulière, puisqu’il opère une synthèse entre l’approche autobiographique, et un travail scientifique de terrain dans le cadre d’une mission subventionnée par l’état. Ce sera le résumé de regards croisés entre les communautés africaines qu’il rencontre et sa vision de jeune ethnographe en formation. Le livre est à cet égard un journal intime troublant, unique, compte tenu de la façon dont son auteur mêle brutalement, sans distinction de genre, des notations ressortissant à sa vie intime (mouvements d'humeur, rêves, préoccupations personnelles, obsessions sexuelles, rapports aux Africains) à des observations strictement ethnographiques. il avait entrepris ce voyage sur les conseils d’un psychanalyste) : Depuis, je ne me suis soumis à la thérapeutique (psychanalyse) que deux fois, dont l'une pour un bref laps de temps. Ce que j'y ai appris surtout c'est que, même à travers les manifestations à première vue les plus hétéroclites, l'on se retrouve toujours identique à soi-même, qu'il y a une unité dans une vie et que tout se ramène, quoi qu'on fasse, à une petite constellation de choses qu'on tend à reproduire, sous des formes diverses. Ses notes seront donc prises au fur et à mesure de l’avancée de la mission, justifiant son choix de la manière suivante : « C’est en poussant à l’extrême le particulier que, bien souvent, on touche au général ; en exhibant le coefficient personnel au grand jour qu’on permet le calcul de l’erreur ; en portant la subjectivité à son comble qu’on atteint l’objectivité » Le livre constitue de fait d’une véritable expérience initiatique, origine de l'œuvre ethnographique( Leiris n’a qu’un mince bagage à son départ) et de l'œuvre autobiographique,(ethnographie de soi même) L'Afrique fantôme conjugue donc pour une seule et unique fois ce qu’il s’efforcera par la suite de séparer. On pourrait ainsi en résumer la trame : Las de la vie qu'il menait à Paris, un homme regarde le voyage comme une aventure poétique, une méthode de connaissance concrète, une épreuve, un moyen symbolique d'arrêter la vieillesse en parcourant espace pour nier le temps. Que trouve –t- il à l’issue du voyage ? Peu d'aventures, des études qui le passionnent d'abord mais se révèlent bientôt trop inhumaines pour le satisfaire, une obsession érotique croissante, un vide sentimental de plus en plus grand. Malgré son dégoût des civilisés et de la vie des métropoles, vers la fin du voyage, il aspire au retour. Sa tentative d'évasion n'a été qu'un échec et il ne croit plus, d'ailleurs, à la valeur de l'évasion Il apprendra une fois de plus, toutefois, qu'ici comme partout ailleurs l'homme ne peut échapper à son isolement; de sorte qu'il repartira, un jour ou l'autre, happé par de nouveaux fantômes - quoique sans illusions, cette fois ! Presque aussitôt, L'Afrique fantôme me parut s'imposer, allusion certes aux réponses apportées à mon goût du merveilleux par tels spectacles qui avaient capté mon regard ou telles institutions que j'avais étudiées, mais expression surtout de ma déception d'Occidental mal dans sa peau qui avait follement espéré que ce long voyage dans des contrées alors plus ou moins retirées et, à travers l'observation scientifique, un contact vrai avec leurs habitants feraient de lui un autre homme, plus ouvert et guéri de ses obsessions. Déception qui, en quelque sorte, amenait l'égocentriste que je n'avais Pas cessé d'être à refuser, par le truchement d'un titre, Ja plénitude d'existence à cette Afrique en laquelle J avais trouvé beaucoup mais non la délivrance….
Pour Leiris un livre est un acte au sens sartrien, comme dans l’âge d’homme , il tient le pari de tout « confesser » : «dire toute la vérité et rien que la vérité .dans ce journal « à double entrée » il scrute abondamment son moi , ses obsessions ou déceptions mais tourne aussi son regard sur l'enquête elle-même -sur ses sujets, sur ses protagonistes . il va apporter un scandaleux témoignage et jusqu'à ce jour unique sur les conditions d'exercice de l'ethnographie en situation coloniale. Deux épisodes sont les plus significatifs : le récit sans concession de son obsession érotique au cours de l’étude ethnographique sur le zar, pour Emawayish, Ethiopienne et prostituée sacrée « princesse au visage de cire...pâle comme la paille », la fille d’une possédée chez qui il enquêtait. L’impossible désir lui fait ressentir l’ethnologie comme « inhumaine ». Et surtout l’épisode célèbre du vol du kono(le kono ou boli est un objet rituel en terre crue et recouverte de couches sacrificielles il peut avoir la forme d’un cochon » ou d’un homme ou rester informe. Voir à ce sujet mes articles sur les fétiches et la note finale de ce texte.) L'un des buts principaux de l’expédition était en effet la collecte des objets : m. griaule écrit à ce propos : « les objets manquent pour certaines régions. Il importe de combler ces lacunes et de doter le premier musée ethnographique français de collections inégalables, qui continueront l'œuvre de l'Exposition coloniale.» La plupart des objets qui garnissaient la section africaine de la collection permanente du Musée de l'Homme (au quai Branly désormais) sont ceux-là mêmes qui constituent le « butin « (selon l’expression de Leiris) de la Mission Dakar-Djibouti « Ainsi nos œuvres d’art ont droit de cité là où nous sommes, dans l’ensemble, interdits de séjour écrira aminata traore». Or la collecte d'objets a été accompagnée de certaines pratiques qu'il aurait mieux valu taire au regard de l'image de marque de la Mission. Ces pratiques, Leiris va pourtant les dénoncer tout en s'y prêtant: « Nos amis Apama et Ambara ont apporté hier subrepticement des costumes de fibres pour masques que nous leur avions demandés... . Pas de doute : nos procédés ont fait école... (…)Le carnet d'inventaire s'emplit. Il ne nous est pas encore arrivé d'acheter à un homme ou une femme tous ses vêtements et de le laisser nu sur la route, mais cela viendra certainement… "Toute la journée s'est passée à dissimuler des peintures(en Abyssinie) : un triptyque a été simplement revêtu de papier portant, dessinés et coloriés par Roux, les motifs mêmes de ses propres panneaux ; cela passera pour une copie. D'un diptyque également recouvert de papier, Griaule s'est fait un joli portefeuille dans lequel il a rangé des timbres et différents papiers. Un grand tableau, enfin, a été caché (sous du papier d'emballage collé) au fond d'une caisse qui contiendra des oiseaux empaillés.»
Les ethnologues ressentiront ces révélations comme une trahison. L'amitié de Michel Leiris avec Marcel Griaule va en pâtir. Dans sa préface de l'édition de L'Afrique fantôme en 1951, Leiris écrit dans ce sens: «le non-spécialiste que j'étais avait pu faire partie [de la Mission Dakar-Djibouti] en qualité de secrétaire-archiviste et d'enquêteur ethnographique grâce à M. Marcel Griaule, qui en était le chef et avec qui me liait alors une amitié à laquelle le premier coup devait être porté par la publication même de ce livre, inopportun m'opposa-t-on, et de nature à desservir les ethnographes auprès des Européens établis dans les territoires coloniaux».
Vint ainsi l'épisode des vols des kono. Ces « fétiches » bambara ou banama sont utilisé par la société du Komo, dont le chef, membre de la caste des forgerons, joue aussi le rôle de juge. Ce sont des « objets forts » auxquels on prête d’immenses pouvoirs. Leur vol par les membres de la Mission a donc constitué aux yeux des bambara un geste hautement sacrilège. La célébrité de ce « butin » du musée de l’homme lui valut d’être exposé, au début des années 1980, comme un des cent chefs-d’œuvre du musée de l’Homme dans un centre culturel consacré aux arts africains à New York. Quelque temps plus tôt, il avait été mis en valeur au Musée d’ethnographie de Neuchâtel, au moment de l’exposition « Collections passion » (après l’inauguration, il avait même donné lieu à une petite manifestation de la part d’étudiants et enseignants en anthropologie, qui, sur l’air des lampions, chantèrent nuitamment « On a le kono ! » ). « L’objet » figure désormais au quai Branly, accompagné d’un extrait du livre de Leiris (mais sans reproduire celui tristement célèbre du vol) : « Au village suivant, je repère une case de kono à porte en ruine, je la montre à Griaule et le coup est décidé." (…)Griaule décrète alors, et fait dire au chef de village par Mamadou Vad que, puisqu'on se moque décidément de nous, il faut en représailles, nous livrer le Kono en échange de 10 francs, sous peine que la police soit-disant cachée dans le camion prenne le chef et les notables du village pour conduire à San où ils s'expliqueront devant l'administration (coloniale, ndlr). Affreux chantage!...D'un geste théâtral, j'ai rendu le poulet au chef et maintenant, comme Makan vient de revenir avec sa bâche, Griaule et moi demandons que les hommes aillent chercher le Kono. Tout le monde refusant, nous y allons nous mêmes, emballons l'objet saint dans la bâche et sortons comme des voleurs, cependant que le chef affolé s'enfuit et, à quelque distance, fait rentrer dans une case sa femme et ses enfants en les frappant à coups de bâton. Nous traversons le village, devenu complètement désert, et dans un silence de mort, nous arrivons aux véhicules...Les 10 francs sont donnés au chef et nous partons à la hâte, au milieu de l'ébahissement général et parés d'une auréole de démons ou de salauds particulièrement puissants et osés. » (…)Avant de quitter Dyabougou, visite du village et enlèvement d'un deuxième Kono, que Griaule a repéré en s'introduisant subrepticement dans la case réservée. Cette fois c'est Lutten et moi qui nous chargeons de l'opération. Mon cœur bat très fort car, depuis le scandale d'hier, je perçois avec plus d'acuité l'énormité de ce que nous commettons .
POUR LIRE LA SUITE CLIQUER CI-DESSOUS/
"(…)Au village suivant, je repère une case de Kono à porte en ruines, je la montre à Griaule et le coup est décidé. Comme la fois précédente, Mamadou Vad annonce brusquement au chef du village, que nous avons amené devant la case en question, que le commandant de mission nous a donné l'ordre de saisir le Kono et que nous sommes prêts à verser une indemnités de 20 francs. cette fois-ci, c'est moi qui me charge tout seul de l'opération et pénètre dans le réduit sacré, le couteau de chasse de Lutten à la main afin de mieux couper les liens du masque. Quand je m'aperçois que deux hommes - à vrai dire nullement menaçants - sont entrés derrière moi, je constate avec une stupeur qui, un certain temps après seulement se transforme en dégoût, qu'on se sent tout de même joliment sûr de soi lorsqu'on est un blanc et qu'on tient un couteau dans sa main ».
Notes sur les bolis/
La vie des banama (bambara) s’organise autour de sociétés d'initiation qui leur enseignent tous les aspects de la vie. Celles-ci comprennent les sociétés n'domo, komo, nyama, kono, chiwara et koré.
La société n'domo s'occupe de la circoncision et prépare les garçons à leur futur rôle d'adultes. Ils y apprennent les origines de l'humanité. Komo s'occupe de la loi et enseigne la cosmologie des Bamana. C'est la société des forgerons. Nyama agit contre la sorcellerie et les esprits malveillants. Kono enseigne la dualité de l'humanité en tant que corps et esprit. Chiwara célèbre l'être mythique qui enseigna l'agriculture aux Bamana. Koré fournit une instruction morale et enseigne l'importance de l'humanité dans l'ordre du monde. Son enseignement porte sur la mort et la résurrection de l'individu. Koré est divisé en huit niveaux distincts qui correspondent aux éléments célestes et terrestres.
Le Boli ou kono fonctionne comme un autel de la société Komo, qui est l'association la plus répandue dans l'aire Bambara. . De fait, selon de nombreux initiés, le mot boli proviendrait de l'altération du vocable boli : sortie, émanation, manifestation d'un esprit supérieur. Les Boli ne sont pas sculptés, mais construits à partir d'une structure et modelés avec des matériaux comme de la terre, du sang sacrificiel, des écorces, du miel, des noix de cola mâchées, du millet et de la bière. Leurs formes mal définies impliquent un secret que seuls les initiés peuvent pénétrer. Jamais un non-initié ne peut les voir. Ils sont conservés dans un sanctuaire ou dans la maison d'un prêtre et leur puissance est réactivée par le sang d'animaux sacrifiés. Ces objets, chargés d'une profonde signification ésotérique, inspirent donc crainte et respect aux initiés.
Au regard des Bambara, les Boli, viennent aux tout premiers rangs des objets les plus sacrés de leur religion, avant les masques eux-mêmes. La croyance aux boli et en leurs pouvoirs constitue l'un des fondements de la religion mandingue en général et de la religion bambara en particulier. En effet, dans maintes localités habitées par des Malinké ou des Bambara, chaque société d'initiation, chaque confrérie ,chaque famille étendue, chaque homme influent ,possédait et possède toujours ses propres boli. Le boli est, par définition, la manifestation de la force vitale, de l'énergie d'un esprit divinisé .
Commentaires