Homme de toutes les remises en question, de toutes les avant-gardes aussi, Carl Einstein est indissolublement lié à la naissance et à l'aventure de l'art moderne. Son œuvre, par son engagement radical et ses multiples facettes, constitue une étape essentielle dans l'histoire des idées du XXe siècle. Juif allemand, familier des cercles littéraires et artistiques aussi bien de Paris que de Berlin, lié à tout ce que l'Europe comptait alors d'esprits originaux et féconds, Carl Einstein a joué un rôle exemplaire de médiateur culturel à une époque difficile, marquée par des affrontements de tous ordres.
On a pourtant longtemps oublié Carl Einstein !
On l’a oublié, comme on a refoulé Warburg ou Walter Benjamin : ces « pensées énergumènes » (selon g.didi- huberman) des années vingt et trente, pensées qui ouvraient des brèches, qui posaient de nouveaux problèmes dans une insouciance relative quant aux conséquences concrètes ou « positives » de leurs questionnements radicaux. –a l’encontre de ce que c.einstein appellera la « bureaucratie des émotions », il opposeront de nouveaux concepts, surdéterminés, multiples ,efficaces :l’aura pour Benjamin, L’incorporation visible de l’étrangeté pour warburg, le « miracle et l’expérience » pour Einstein.
Ils étaient opposés à la religion de l’art et du musée ,comme on voit désormais dans les arts en particulier des arts premiers: ils récusaient la mystique de la beauté et la conception de l’universalité intemporelle comme fausse et dangereuse reconnaissance qui en découle .Découvreur de l’art nègre qu’il voyait inséparable du cubisme, art de combat dans la culture : « quand Picasso peint, la dislocation des formes entraîne celle de la pensée », Einstein aurait dénoncé le discours empreint d’une religiosité de la beauté qui préside désormais à l’exposition des arts premiers, comme par exemple celui qui accompagnait leur entrée au Louvre, la création du quai Branly ou plus récemment l’exposition « primitifs ? » à l’abbaye de Daoulas
Depuis la main badigeonnée d'ocré et de sang apposée au plafond de la grotte à côté des signes de l'homme chasseur, en passant par les empreintes et signes des corps peints du peuple Selk'nam en Terre de Feu, les sculptures navajo ou celles du peuple kanak, les statues malagan de Nouvelle-Irlande pour en venir in fine à l'utilisation de la couleur unique — essentiellement les bleus de l'indigo et celui de l'outre-mer IKB6 - pour susciter la sérénité et la force auprès du spectateur comme sa contemplation de l'au-delà : tout semble vérifier que l'homme, dans son dialogue avec «les forces cachées et sur-réelles, la face obscure du monde est créateur de Beauté et que l'art est, pour reprendre la belle expression de Gaétan Picon, «le chant de [son] histoire».
Convergence surtout des œuvres qui témoignent de l'unité de l'aventure humaine, d'une unique communauté de destin et, dans le même mouvement d'une nécessité de dépassement et de respect où apparaît la grandeur de l'homme. «Gloire et rebut de l'univers», disait de celui-ci Pascal dans une formule devenue fameuse. Or, c'est dans la mesure même où il est créateur de Beauté que l'homme refuse de n'être qu'un «rebut» et qu'il accède à la plus grande gloire. Une gloire qu'il ne doit qu'à lui-même et qui est pour lui, finalement, gage d'éternité …catalogue de l’exposition « primitifs ? »
C’est déjà bien solliciter Pascal, auteur tragique, que de lui faire endosser le dépassement de notre condition, autrement que dans le "pari" incertain de la foi et de l’engagement(« l’homme inséparablement ange et bête, qui veut faire l’ange fait la bête ») Einstein stigmatisera pour sa part : « Ceux dont le métier - si mondain - consiste à établir sur les tableaux de véritables « concours de beauté. Il dénoncera le mensonge principiel] dans le domaine de l'esthétique et de la réflexion sur l'art qui consiste dans l'identification de l'art avec la beauté ; comme si le besoin artistique était destiné à procurer à l'homme un monde de beauté ; « cette première erreur engendre tous les autres malentendus ».
Le critère du beau lui apparaissait en effet « médiocrité commode et béate, faite pour atténuer et apprivoiser les extrêmes », donc faite pour refouler « lâchement » les forces dangereuses » de la vision. Juger l'art à travers la catégorie esthétique de beauté, ce n'était à ses yeux que refuser d’affronter l'exubérante complexité des objets artistiques, la complexité du temps que ces objets produisent ou dont ils sont les produits. Juger l'art à travers la catégorie esthétique de beauté, ce n'était à ses yeux que refuser de l'affronter : c'était créer un « misérable lieu commun [...] privé de tout tragique ». Il élaborera donc une théorie capable de repérer, dans les œuvres d'art, non pas ce qui est « destiné à flatter la sensibilité », mais ce qui en fait une « connaissance » fondamentale - une connaissance entendue ici à la façon d'une anthropologie.
à travers le cubisme et la découverte de l’art nègre, il élaborera un renouvellement théorique de l'histoire de l'art comme conflit et tension inapaisable (L’histoire de l'art est la lutte de toutes les expériences optiques, des espaces inventés et des figurations)» conflit, formes contre formes, d'expériences optiques, de figurations toujours reconfigurées. « Toute forme précise est un assassinat des autres versions »,
« La métaphysique décrépite rentre [sic] en scène. Peut-être quelques types ratés tentent-ils de se créer au moyen de l'œuvre d'art un contrepoids sauveteur, un masque ou une compensation. Mais avant tout, ce sont les menaces et le danger mortel de la vie qu'on cherche à éluder. C'est ainsi qu'on est arrivé à l'escroquerie des "qualités esthétiques", et à la notion de leur indépendance de tout processus vital. On se crée, en d'autres mots, une immortalité professionnelle. [...] On s'astreint ainsi à rouler des blocs d'immortalité illusoire au milieu de la masse de la mort. L'attitude esthétique comporte pour ainsi dire un escamotage de la mort. On dépouille les œuvres d'art de leurs fonctions vitales et de leur robuste mortalité. [...] On "déshistorise" les œuvres d'art afin de leur épargner les menaces de la vie, les menaces du présent. Dans l'esthétisme, nous voyons une tentative consistant à soustraire les œuvres d'art aux processus vivants et à diminuer leurs effets complexes. On isole l'œuvre en cachant ses origines
« On place l'art dans un au-delà moral, dans un au-delà intangible, tout comme on procède avec l'"idée", devenue un objet de vénération stérile. [...] [Voilà], somme toute, une esthétique vieillie, vidée de tout ressort vivant, reflet tardif et pâle de la métaphysique défunte [...], domaine des lâches. [...] L'esthète devient obsédé de l'œuvre d'art et est incapable de canaliser celle-ci vers des courants du devenir plus larges. Pour l'esthète, type essentiellement passif, les œuvres d'art se pétrifient en quelque sorte sous la forme de totalités. [...] L'esthète est caractérisé par l'indifférence, par le manque de rapports avec le monde environnant plus complexe. Il ne parvient qu'à une identification partielle, faible»
Est-ce pour ces raisons jointe à un style fulgurant de combat « cubisme littéraire », qu’on a donc oublié, occulté, refoulé Carl Einstein ?
« Longtemps, très longtemps, à part le carré des indéfectibles amis, plus personne ne sut qui était enterré à Boeil-Bézing ni même qui était Cari Einstein. Nous pouvons à présent dire, sans jouer à l'hagiographe, que tous les travaux et manifestations de ces dernières années ont ramené Cari Einstein et son œuvre sur le devant de la scène intellectuelle internationale. Le siècle finissant se penche, enfin curieux de ses origines, sur les clefs de la modernité que furent plusieurs esprits de cette époque et parmi lesquels figure en bonne place Cari Einstein. Celui qui écrivait à Franz Pfemfert, exigeant et impatient: «Que je méprise l'indolente tranquillité»ï et qui proclamait sa passion pour la pensée, est resté semblable à lui-même jusqu'à la fin de sa vie, remettant en question perpétuellement acquis et connaissances, essayant jusqu'à son ultime et fatal geste de changer la façon de voir, de penser, et partant la réalité et le monde. Sourcier inspiré des courants majeurs du XXe siècle en littérature et en art, Cari Einstein a fortement contribué à modifier le regard posé sur le monde par ses contemporains et leurs descendants. Il préfigure un type d'homme moderne à l'écoute de forces nouvelles dont il cherche à saisir l'émergence et, qui, bien ancré dans l'internationalité, se joue des conventions et des cadres intellectuels rigides.
Tous les efforts d'Einstein se sont concentrés sur le monde puisque : « Dieu est le vide — qu'il nous faut combler, qui nous épuise » , « DIEU UN CARRE BLANC!». À ce vide l'homme moderne, qui ne dispose plus de tables de valeurs sécurisantes, doit donner forme, opposer l'action, la création. »
Liliane meffre : carl einstein .itinéraire d’une pensée moderne presse de l’université
Dans sa Petite Autobiographie (1930) ainsi que dans de nombreuses notes inédites, Einstein exprime l'ennui profond et le dégoût qu'il a ressentis dès son enfance et son adolescence dans un monde figé et trop étroit pour lui. Liliane meffre résume ainsi ce que fut son « itinéraire »
Lorsque Carl Einstein se jette le 5 juillet 1940 dans le Gave de Pau après avoir été recueilli un temps très court par les moines du couvent de Lestelle-Bétharram, il met volontairement un terme définitif à ses itinéraires , aussi complexes que variés qui l’ont conduit de Berlin, sa ville, à Paris, sa seconde patrie, jusqu’en Espagne où il est venu défendre l’art et la liberté. Sa vie n’a été qu’un combat pour l’art et la vérité, combat pour un absolu qu’il a livré sur toutes les grandes places d’Europe, par son engagement personnel, ses écrits ou les armes à la main. Il fut Européen de toutes ses fibres et citoyen du monde dans la grande tradition antique certes, mais aussi germanique, celle des Kant, Lessing, Goethe, Humboldt, sans oublier l’idéal de la Révolution française toujours si présent pour les intellectuels allemands.
Carl Einstein s’est affirmé comme Européen et citoyen du monde dans sa vie privée, son œuvre et son action, à une époque, rappelons-le, qui se caractérisait par des tensions de toutes sortes, entre les états, les régimes et les idéologies.
Né en 1885 à Neuwied sur le Rhin (actuellement Rhénanie-Palatinat) dans une famille juive très religieuse (le père eut des fonctions rabbiniques et dirigea l’institut de formation religieuse israélite du Grand-Duché de Bade à Karlsruhe), Carl Einstein se rebella très tôt contre son environnement familial et son milieu. Il s’enfuit dès 1904 à Berlin où il mena désormais sa propre vie, hors de toute contingence historico-religieuse que ses origines auraient pu lui imposer. C’est ainsi que par la suite il se déclara officiellement à plusieurs reprises « Juif dissident ».
Ni la nationalité ni la religion ni la culture n’ont influencé ou limité Carl Einstein dans ses approches. Il s’est nourri aux sources du savoir et de la modernité, toujours à l’avant garde de son siècle dans tous les domaines littéraire, artistique, scientifique, politique. Sa vie comme l’atteste sa correspondance va fourmiller de projets, de plans : tournage de films, création de revues, traductions d’œuvres, organisation d’expositions, coopérations diverses. Les contacts, les échanges avec toutes les nationalités, toutes les cultures lui semblaient naturelles et évidentes.
Ainsi, c'est pendant ses années d'études berlinoises que se forge sa passion pour la littérature française moderne, en particulier pour Flaubert, Rimbaud, Baudelaire, Mallarmé, Gide, Claudel. Gide et Mallarmé, surtout, laisseront des traces dans la production littéraire d'Einstein, qui s'attache très tôt à faire découvrir cette littérature au public allemand. En 1912, d'ailleurs, il éditera la revue Neue Blätter dans cette intention.
En 1913 il épousa une Juive russe, Maria Ramm, belle-sœur de Franz Pfemfert, le fondateur de la revue Die Aktion . S’il divorça, ce fut pour vivre plusieurs années avec une aristocrate allemande rencontrée pendant la première guerre mondiale à Bruxelles, la « comtesse rouge » Aga von Hagen (pacifiste et socialiste à la suite d’un séjour en France).ses aventures affectives furent souvent complémentaires des passions intellectuelles et politiques et de son gout des échanges entre cultures (liaison avec Elsa Triolet, passion pour la photographe Florence Henri, de père français et de mère allemande qui l’initia à cet art)
Politique, art, amours, entrainèrent une forte attirance pour la Russie qui s’enracinait dans la fascination d’Einstein pour la politique et l’art d’avant-garde pratiqués en Russie. Dans un article de 1921 intitulé Art absolu et politique absolue, écrit pour la grande encyclopédie soviétique (jamais parue), Einstein s’enthousiasmait pour la révolution russe qui semblait apporter le salut à l’humanité. Il se fondait sur deux critères qu’il trouvait réalisés dans l’avant-garde russe d’avant la révolution : la dissolution du moi, étriqué, sclérosé et la destruction de l’objet qualifié de « boite de conserve » qui libérait l’acte de voir comme chez les cubistes. A cette adhésion initiale sans restriction fera place une distance toujours plus grande au vu de l’évolution du nouveau régime.
Comme écrivain, journaliste, éditeur, critique et théoricien, Carl Einstein apporta aux avant-gardes européennes reconnaissance et renommée. Il remplit donc une véritable fonction de catalyseur. Par ses nombreux articles toujours fougueux et engagés, ses livres qui créaient l’événement, par ses conférences dans toute l’Europe, par l’organisation d’expositions (celle de Braque à Bâle en 1933), par son rôle de conseiller auprès de grands collectionneurs tels le Suisse Reber, l’Anglais Douglas Cooper, il joua un rôle de pionnier et d’expert . La création de la revue Documents en collaboration avec Georges Bataille, Michel Leiris, Georges Henri Rivière et Georges Wildenstein en 1929 témoigne de son dessein d’être un passeur entre les cultures. Il introduisit à la rédaction nombre de collaborateurs allemands de renom (Leo Frobenius, Hedwig Fecheimer, Eckart von Sydow...) et donna à l’ethnologie allemande, fort peu connue à l’époque en France, la place qui lui revenait. Il publia aussi de nombreux encarts publicitaires pour des éditeurs, des galeristes, des artistes allemands et contribua ainsi à la diffusion de l’art et du savoir.
En 1906_1909, il élabore « bebuquin ou les dillettantes du miracle » un antiroman, dans lequel il se propose, tout comme les peintres cubistes au même moment, de modifier les règles établies, de transformer la vision et la sensation de l'espace, de rendre la sensation complexe du temps. Un « roman » qui ne comporte aucun narrateur, aucune histoire, mais un éclatement du temps en multiples épisodes sans origines ni fin. Einstein fait usage de tous les moyens de son imagination pour ébranler par la parodie, l'humour, le grotesque, les fondements d'une littérature conventionnelle et rompre avec les références séculaires par la hardiesse de son entreprise .abondent les déconstructions et les fulgurances du style
« Bôhm, le trépassé, dansa sur le chapeau d'Euphémie et s'enfonça dans le comptoir ; puis il se recoucha dans un cognac bizarre qu'il avait toujours aimé » Ou encore : « Le haut du bar prit des teintes multicolores» Des yeux d'oiseaux regardèrent fixement, les murs du bar se couvrirent de plumes et on entendit un battement d'ailes, on sentit que ça volait, plus haut, plus violemment vers la folie »
Cette fantaisie débridée cache en fait le sérieux de son dessein : prendre ses distances avec les structures oppressantes et sclérosantes de la mentalité contemporaine. C'est un moyen de destruction mais aussi de création libérée que de dépasser la réalité pour atteindre une réalité propre à l'art, phénomène équivalent à celui qui se produisait dans les arts plastiques
D.-H. Kahnweiler, avec lequel C. Einstein se lie bientôt d'une amitié durable, qualifiait d’ailleurs Carl Einstein d'écrivain cubiste allemand. Longtemps après, en 1923, Einstein lui confiait que, alors qu'il écrivait Bebuquin, les travaux cubistes avaient été pour lui « la confirmation qu'il était possible de transformer les nuances de la sensation ». Cette adéquation entre les œuvres cubistes et ses propres recherches provoque chez Einstein une adhésion totale et définitive au mouvement cubiste. À Kahnweiler, autre ardent défenseur de ce mouvement, il livre lui-même la clef de son enthousiasme : « Nous savons bien que le cubisme ne nous aurait pas passionnés comme il l'a fait s'il n'avait été qu'une affaire purement optique. » De fait, Einstein a vu dans le cubisme la possibilité de transformer la vision mais, également, en éliminant la reproduction d'objets figés, réceptacles de traditions garantes d'un ordre établi dépassé, celle de créer un monde nouveau, ouvert à la liberté et à l'invention.
Je sais depuis très longtemps qu'il est possible non seulement de transformer la perception, mais aussi de transformer l'équivalent linguistique et les sensations [...] Avant la guerre déjà, pour parvenir à de telles choses, je m'étais fabriqué une théorie du temps relatif, uniquement pour mon métier, ensuite certaines idées du moi, de la personne, considérée non comme substance métaphysique mais comme fonction, qui croît, qui disparaît et que l'on peut tout comme l'espace cubiste, rendre complexe, etc. Alors finie la description, il s'agit de transformer le contenu des expériences vécues, des objets, etc. [...] C'est ce que j'avais commencé de faire, en 1906, dans « Bébuquin », d'une façon incertaine et timide. Les travaux des « cubistes » m'avaient confirmé dans l'idée qu'il est possible d'apporter des transformations dans les nuances de la sensationI7.
Illustration de la réflexion sur le cubisme et de l’ouverture sans préjugé de l’esprit à d’autres mondes et à d’autres problématiques , l’ouvrage la sculpture nègre( Negerplastik) qui parut en 1915 à Leipzig en pleine guerre mondiale. L’ouvrage financé par un sculpteur hongrois installé à Paris, Joseph Brummer, a soulevé autant d’indignation que d’enthousiasme, les très nombreux témoignages de presse en témoignent. Les productions de l’art africain étaient déjà connues par les expéditions des ethnologues, allemands, belges, anglais et français, mais comme simples objets ethnologiques. Leo Frobenius, par exemple, ne traite dans son fameux livre (Masques et sociétés secrètes d’Afrique) que d’ethnologie. L’art et l’esthétique n’entrent pas dans son champ de considération. C’est Carl Einstein qui par ses analyses formelles des masques et statues africaines va donner à l’art africain un statut d’art à part entière. Le texte d’Einstein doit être également lu comme un manifeste en faveur du cubisme qu’il a découvert à Paris et qui cherche notamment des solutions techniques aux problèmes de la figuration de l’espace. La passion d’Einstein pour l’Afrique subsaharienne s’exprime également dans un ouvrage : sculpture africaine paru en 1921 et dans plusieurs articles publiés dans la revue Documents . D’ailleurs, grâce à la notoriété de ses travaux Carl Einstein est élu en 1931 parmi les premiers membres de la « Société des africanistes » nouvellement créée à Paris. Paradoxalement il faut souligner qu’Einstein n’a jamais parcouru le continent africain. « Einstein possédait une telle force d’imagination qu’il a réussi sans connaître le pays à en saisir la psyché. Preuves supplémentaires en sont les transpositions de légendes et récits africains qu’il a publiées sur la base de textes rapportés par des missionnaires, des administratifs ou négociants de l’époque ». «liliane meffre
Avec rigueur et autorité, Einstein combat dans son ouvrage les idées fausses. En tout premier lieu, il rejette le « faux concept de primitivisme » et les théories évolutionnistes. Il dénonce la confusion toujours actuelle entre simple » et « originel »
« C'est avec trop de plaisir qu'on s'empare de cette idée que le point de départ et la méthode de la pensée seraient aussi le commencement et la nature de l'événement, alors que tout début (par lequel toutefois j'entends un commencement individuel et relatif— car en effet on ne peut jamais rien constater d'autre —) est extrêmement complexe ».
Précisions de la plus haute importance à l’époque du retour en force du primitivisme dans l'art du XXe siècle ! À la conception de développement linéaire, de progrès, Cari Einstein opposait la loi de la régression périodique en art, à l’instar de Warburg et son concept de « survivance ». Toute idée d'un développement uniforme et ininterrompu est un leurre, comme l'était la perspective albertienne supposant un spectateur immobile dans un espace continu alors que l'espace vécu est discontinu. Toute époque a la même importance historique et il n'existe pas de phase dont la seule valeur serait de préparer une phase ultérieure. Dans le même ordre d'idée, il n'y a pas d'Art au domaine réservé et sacré mais plusieurs arts, exotique, naïf, primitif, appliqués, qu'il importe de réhabiliter.
En 1926, sa grande histoire de L'Art du XXe siècle est achevée. Première réflexion d'envergure sur l'art moderne .Ses théories se composent d'un certain nombre d'exigences, d'ordre éthique, technique et politique. L'homme, l'artiste, doit se révolter contre l'arbitraire, secouer le joug de la religion, faire de l'art absolu comme de la politique absolue, car « l'homme n'est plus un miroir mais la possibilité de toute la réalité future » et « l'homme et le monde sont quotidiennement inventés par l'homme », sans oublier que « peindre, c'est créer l'espace ».
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