Deux peintres ont affirmé chacun leur génie dans l'Ouest — qui leur doit, en retour, une partie de sa gloire, de sa légende - et nous, la nostalgie que nous éprouvons à son endroit comme si nous l'avions vécu : Charles Bodmer, et George Catlin.
Uniquement préoccupés — au-delà de tout « esthétisme » — de fixer sur la toile ce que les Indiens montraient de leur vie, ils ont été les « photographes » de peuples que, sans eux, il nous faudrait imaginer, hors les « images », par le seul recours aux témoignages écrits. (Une épidémie de variole devait proprement anéantir les Mandans en 1837. Ils auraient donc disparu des mémoires, si Catlin ne s'en était allé les voir cinq ans plus tôt.) Outre la qualité esthétique indéniable de leur production, ces explorateurs artistes ont fait œuvre scientifique en jetant les bases de l'ethnographie américaine. Précédant l'invention de la photographie, leurs tableaux demeurent les premiers témoignages visuels authentiques sur le Far West et ses habitants avant 1840.
Bodmer œuvrait pour le compte d'un savant, Alexandre Philip Maximilien, Prince de Wied, que les « premiers Américains » passionnaient .Catlin devait laisser sa fortune dans la « croisade » qu'il a menée pour imposer une juste vision des Indiens et pour leur assurer, au-delà de leur disparition qu'il savait inéluctable, une éternité qui ne s'incarne que par le témoignage.
é à la postérité un témoignage exceptionnel, tant par la quantité des œuvres produites que par leur variété ; soucieux de tout enregistrer, les artistes ont peint tout ce que rencontrait leur regard : personnages, scènes de vie collective, objets, paysages, détails de la faune et de la flore... Leur précision est inégalée, notamment chez Bodmer qui applique à tous les sujets une acuité d'entomologiste. Parce que Catlin travaille seul et craint de se heurter à l'incrédulité, il tient à prouver la qualité documentaire de ce qu'il représente en faisant dresser des « certificats d'authenticité » dès qu'un témoin est à proximité : agent indiens, trappeurs, viennent ainsi confirmer par leur signature la fidélité des tableaux. Rigoureux, le travail des deux hommes est aussi dénué de préjugés. S'ils ne ménagent pas leurs critiques à l'égard des Blancs rencontrés, ils n'en élaborent pas pour autant une vision romantique des Indiens et font part de leurs réticences à l'égard de certains groupes(Ils n'omettent pas de mentionner la fréquence du vol et du mensonge chez les Pawnees ou certaines coutumes barbares et choquantes : les Blackfeets coupent le nez des femmes adultères;les Comanches torturent leur prisonniers )À aucun moment, les voyageurs ne peuvent être pris en flagrant délit d'idéalisation.
Karl Bodmer fut un peintre célèbre né en Suisse. il fit ses études artistiques à Paris. En 1832, le Prince allemand, Maximilien lui demanda d'accompagner une expédition dans l'Ouest de l'Amérique pour en être le peintre officiel (la photographie n'existait pas encore à l'époque). Le prince était un exemple de ces hommes de sciences aventuriers, avide de partir sur le terrain rencontrer les populations qu'il veut observer, et avec lesquelles il veut vivre. Il a déjà sillonné l'Amérique du Sud et en a rapporté des notes inédites sur le pays (notamment en cartographie) et sur les indigènes qu'il a approchés. Il s'est longuement interrogé, comme bon nombre d'hommes de son époque, sur les « primitifs » : représentent-ils le début de l'évolution ou témoignent-ils au contraire d'un état de dégénérescence? Il n'aura pas de difficultés à financer, l’expédition grâce à sa fortune personnelle. Le but était de récolter des informations sur le pays et ses habitants, et de traverser tout l'Ouest jusqu'aux Montagnes Rocheuses.
Parfaitement à l'aise dans la reproduction des paysages, Bodmer était cependant peu familier avec la technique des portraits. Son rôle fut pourtant de peindre en détail la manière de vivre, les habitudes et les coutumes des indiens. En 1833, l'expédition alors sous la protection de la Compagnie des Fourrures de Jacob Astor, prit le bateau à vapeur le Yellowstone pour remonter le fleuve Missouri. Ils suivirent à peu près la route qu'avait emprunté justement , un an auparavant, Georges Catlin. Pendant ce voyage, Bodmer immortalisera les évènements survenus au cours de l'expédition depuis le Nebraska en passant par le Dakota du Sud et du Nord, le Montana puis le Wyoming. Les membres de l'expédition passèrent l'hiver 1833-1834 à proximité des villages Mandan-Hidatsa où Bodmer put travailler sur ses nombreux portraits; il put aussi expérimenter la vie communautaire des indiens. Bodmer est reconnu pour son sens de l'observation et son goût du détail. . Maximilien tenait, tout particulièrement, à la fidélité des croquis et des aquarelles de Bodmer afin que ce travail puisse fournir un support sérieux au texte.
L'expédition se déroule à une époque charnière; elle se situe dans des lieux privilégiés. Avant 1830 et les bateaux à vapeur, il eût été impossible de réaliser une pareille entreprise. Après ces années trente, les Indiens auront disparu des rives du Missouri. Maximillien et Bodmer pénètrent donc dans l'Ouest encore sauvage et ont l'occasion unique de rencontrer "les Indiens des plaines au temps de leur dernière splendeur" Il est impossible de ne pas sentir la filiation existant entre ces aquarelles et de très nombreux plans des westerns situés à cette époque. D'évidence, les réalisateurs se sont largement inspirés des travaux de l'aquarelliste.
Karl Bodmer travaille à la façon des artistes de la Renaissance : il fait de
nombreuses esquisses et dessins de ses sujets avant de mettre la couleur ; il peut passer trois jours sur la même aquarelle. Le papier qu'il utilise, de grain assez épais, est de format 23 x 28 ou 30 x 46 cm, mais pour les scènes de groupe ou les paysages, il emploie des dimensions plus grandes, panoramiques.Pour ses portraits, il commence par le visage, avec une prédilection pour les nez ; nombreuses sont ses peintures où le reste du personnage est laissé à l'état d'ébauche, non par manque de temps, mais parce que le reste du corps lui paraît secondaire. Méticuleux dans le rendu des vêtements, il est conscient de la valeur symbolique de la parure qu'il perçoit comme un langage archaïque.
En 1834, Bodmer revint en France où il termina ses peintures qui allaient devenir sa galerie indienne. Il exposa ses œuvres à Paris en 1836 où paradoxalement il fut plutôt reconnu pour ses tableaux de paysages et planches d'oiseaux et mammifères. Les peintures sur les Indiens furent complètement oubliées du public de l'époque. . Mais il faut attendre 1976 pour qu'un ouvrage américain grand public réunisse une sélection des carnets de Maximilien et des aquarellesdu peintre, et les fasse sortir de la confidentialité.
En 1830,Le président Jackson donnera satisfaction aux colons, trappeurs et compagnies de fourrures en faisant voter le Removal Act qui obligait tous les Indiens vivant à l'est du Mississippi à quitter le sol de leurs ancêtres pour un Territoire indien à l'ouest du fleuve. L’expansion du commerce signifiait entrer en contact avec les Indiens du Far-West pour s'assurer de leur coopération ou au moins de leur non-agression. Régulièrement, des députations indiennes se trouvaient à Washington pour de telles négociations. Un jeune homme croise l'un de ces groupes à Philadelphie, sur leur route vers la capitale : « À ce moment-là une délégation de dix à quinze Indiens au maintien empreint de noblesse et de dignité, venus des profondeurs du Far-West, apparut brusquement en ville ; ils portaient leurs vêtements d'apparat et leurs accessoires traditionnels, boucliers et coiffes, tuniques et capes, le tout teinté et garni de franges, exactement ce qui convenait à la palette d'un peintre »
L e jeune homme s'appelle George Catlin et cette vision va décider du projet de toute une vie. Né en 1796 en Pennsylvanie, Catlin est bercé dès l'enfance par les récits de sa mère sur l'époque de la guerre d'indépendance américaine et les combats que les révolutionnaires durent mener contre les Tories et leurs alliés indiens. Passionné de littérature classique, il compare volontiers ces Indiens aux anciens héros de la Grèce et de Rome. Des études de droit le conduisent à la profession d'avocat qu'il exerce sans grand enthousiasme, préférant peindre et dessiner pendant des heures. Peu à peu, il s'engage dans une carrière de portraitiste et de miniaturiste sur ivoire qui lui vaut une honnête notoriété, malgré son absence de formation classique, et lui permet de rencontrer la bonne société de son temps. Les commandes affluent, mais ce travail conventionnel l'ennuie. En 1826 à Buffalo, il fait son premier portrait d'Indien, celui du chef Seneca Red Jacket, enregistrant l'expression amère, remplie de haine, du vieil homme imbibé de whisky, à l'oreille cassée, à la paupière tombante. Le rendu, jugé trop réaliste, déplaît. Peu lui importe, il veut s'éloigner d'une carrière commerciale et partir, depuis la révélation que fut pour lui la délégation d'Indiens des Plaines. Son projet est clairement défini : « Depuis de nombreuses années j'admire les nobles races de Peaux-Rouges qui sont aujourd'hui dispersées dans les forêts sans chemins et les prairies immenses, et dont le nombre se raréfie à l'approche de la civilisation (...) Je vole à leur secours, non afin de sauver leur vie ou leur race car ils sont fatalement condamnés à périr, mais pour sauvegarder leur apparence et leurs modes de vie.(...) Dans ce but, j'ai projeté de me rendre au sein de toutes les tribus indiennes du continent, si Dieu me prête vie. J'ai l'intention d'exécuter les portraits d'Indiens éminents des deux sexes dans chaque tribu en les représentant dans leur tenue traditionnelle, ainsi que des études de leurs. villages, de leur vie quotidienne, de leurs jeux, rites et cérémonies religieuses, etc., accompagnés d'anecdotes, de traditions et de l'histoire de leurs nations respectives. »
Au printemps 1830, il se rend à Washington pour obtenir les lettres d'introduction qui lui étaient nécessaires pour parcourir l'ouest ; l'été de la même année, il embarque sur un steamer pour Saint Louis. Cette expédition, comme les suivantes, sera totalement autofinancée, Catlin vivant de quelques commandes et de conférences, de la vente occasionnelle de croquis aussi ; il ne dépense presque rien et séjourne l'hiver chez des parents ou des amis, laissant son épouse Clara aux bons soins de sa belle famille fortunée lorsqu'il est en voyage.
Catlin consacra six printemps et étés (de 1830 à 1836) à l'étude des Indiens qu'il avait programmée. Il rencontra toutes les tribus nomades et sédentaires des Grandes Plaines : Mandans, Blackfeets, Crées, Comanches, Sioux, Minnetarees, Assiniboines, Gros Ventres, Crows... Chroniqueur de 48 tribus, il couvrit tous les domaines possibles dans ses carnets tout en peignant 310 portraits d'hommes, de femmes et d'enfants et environ 200 tableaux représentant des scènes de chasse, de danse, de guerre, des paysages... il rassembla aussi sa propre collection. Les objets étaient généralement achetés ou troqués directement avec les Indiens.
Tout au contraire de Bodmer, George Catlin travaille vite ; il peut peindre six tableaux en une seule journée. L'été 1832, en une seule saison de quatre vingt-six jours chez les Sioux, près de Fort Pierre, en plus de la rédaction de notes abondantes, de la récolte d'échantillons pour sa collection, il fait preuve d'une énergie créatrice fiévreuse et exécute 135 tableaux
Mû par un sentiment d'urgence, il trace les grandes lignes sans esquisses préliminaires, dessine les contours du visage et de la silhouette à grands coups de pinceau puis, grâce à ses notes et à sa prodigieuse mémoire, achève plus tard. S'il dispose de temps, il s'attache aux détails du costume. Peints à l'huile, en couche mince pour que la toile sèche plus vite, ses tableaux, fréquemment du format 71 x 84 cm sont ensuite roulés et conservés dans des étuis cylindriques en métal.
Il ne s'agit pas simplement de planter son chevalet et de commencer à peindre : les artistes doivent d'abord se faire accepter car les réactions des Indiens sont parfois imprévisibles. Certains n'avaient d'ailleurs jamais été confrontés auparavant à des portraits. Catlin en témoigne lors de son séjour chez les Mandans : « Rien n'a peut-être jamais davantage abasourdi ces gens que le travail de mon pinceau. L'art du portrait est un domaine qui leur était totalement étranger et dont, bien sûr, il n'avaient aucune idée ». Surpris de la ressemblance entre l'image et le modèle, ils restent bouche bée et déclarent Catlin « homme-medicine », doué de pouvoirs magiques. Réputation à double tranchant : si elle lui facilite l'accès à certaines tribus, elle lui vaudra aussi l'inimitié de certains hommes-medicine jaloux de leurs prérogatives. On raconte que Catlin est un homme dangereux, qui raccourcit la vie pour animer des doubles. Beaucoup d'Indiens, dans un premier temps, ont peur de mourir prématurément, croyant leur vie transférée au tableau. On s'inquiète aussi : le portrait ne peut dormir car il garde les yeux ouverts ; il survivra à son modèle par-delà la mort et l'Indien ne pourra jamais trouver le repos.
Catlin a vécu ce qu'il a peint. Hanté par la tragédie de peuples que, chaque jour devant lui, il regardait se défaire. Il a lutté, à sa manière d'artiste, pour reculer la fatale échéance. Son œuvre est d'un homme que la beauté, la grandeur et l'étrangeté fascinaient.
La nouvelle des tragédies qui frappaient, les unes après les autres, les tribus qu'il avait visitées — le mal les réduisait à quelques survivants — ne pouvait qu'assombrir de plus en plus ce peintre ouvert au merveilleux, à la joie de vivre des autres. Désabusé et triste, il est mort avec le sentiment d'avoir manqué à son destin car il s'imaginait naïvement que par la grâce de son art, les responsables politiques, verseraient dans l'amour des derniers Indiens - - jusqu'à les sauver.
Malgré la similitude de leurs œuvres - les mêmes tribus à la même époque - Bodmer et Gatlin ne font pas exactement les mêmes tableaux. Les angles, la distance varient, les thèmes également. Ainsi le peintre suisse fait moins de scènes de bataille que son collègue américain, non parce qu'il en a moins vues (il était aux premières loges lorsque les Assiniboines et les Blackfeets s'affrontaient sous les murs de Fort Clark), mais parce qu'il est dirigé dans ses choix par les désirs du prince Maximilien, homme de science avant tout. Ce n'est pas un reporter sur le terrain. Alors que Catlin, qui se veut « peintre d'histoire », nourrit l'obsession de tout enregistrer ; il ne travaille pas par devoir professionnel, mais est mû par une passion à laquelle il sacrifiera tout.
Les aquarelles de Bodmer témoignent d'une compétence technique accomplie : il est insurpassable dans les dessins d'animaux et de paysages, d'une vigueur précise. Catlin, qui n'a pas la formation classique de son collègue, est plus inégal, bien que son talent se soit affirmé au fur et à mesure de ses voyages ; on remarque quelques défauts de perspective ou de proportions : l'échelle des bras et des jambes, parfois approximative, trahit l'autodidacte. Ses connaissances en anatomie peuvent être prises en défaut, et les mains sont parfois sacrifiées, faute de temps. Ce manque - relatif - de maîtrise technique lui vaudra le qualificatif méprisant de « charlatan » de la part de Bodmer, lorsque les deux hommes se croisèrent à Londres. Pourtant, Catlin a un sens indéniable des couleurs : il en utilise une douzaine, les mélange avec audace et les dramatise dans le haut Missouri. On sent dans ses peintures l'intensité de son affection pour ces « hommes naturels », dont la beauté et la dignité sont constamment mises en valeur. Où Bodmer reste plus extérieur, en observateur scientifique, Catlin communique de façon empathique avec ses sujets.
tableaux de Catlin n'eurent guère plus de chance du vivant du peintre. Il lui importait de les montrer ensemble pour témoigner, en bloc, de la richesse et de la diversité des cultures indiennes. Son intention était de faire un musée qui abriterait toute sa collection - peintures, mais aussi vêtements (tuniques, mocassins, manteaux en peau de bison), armes, tambours, coiffes en plumes, plus un tipi crow en peau de bison tannée et blanchie - et serait achetée par le gouvernement. Son projet utopiste et naïf était de faire connaître le sort des Indiens à l'opinion publique qui, à son tour, pousserait le gouvernement à établir un « parc de la Nation » dans l'ouest, pour les protéger de la rapacité des Blancs et leur permettrait de vivre dans un environnement naturel intact: « C'est pour ces gens inoffensifs qui n'enfreignent aucune loi, à ce jour encore épargnés par les vices de la société civilisée, que je veux crier au monde qu'il est temps, pour l'honneur de notre pays, pour l'honneur de chacun des citoyens de notre république et pour l'humanité elle-même, que notre gouvernement lève un bras ferme pour sauver ceux qui restent du fléau qui rapidement fond sur eux. Nous leur avons pris assez de terres." Bien évidemment, Catlin ne sera pas entendu : l'heure n'était pas à la compassion mais à l'expansion. Malgré des expositions et un succès de curiosité, surtout en Europe, la considération de personnalités comme George Sand, Victor Hugo, Eugène Delacroix, ou le scientifique von Humboldt ,la critique favorable de Baudelaire, le sénat américain refusera d’acheter la « galerie ».
Le musée de Catlin échappera pourtant à la dispersion grâce à un riche industriel, Joseph Harrison, le plus grand fabricant de locomotives du monde. De passage à Londres, il paiera l'essentiel des dettes de Catlin et achètera sa galerie pour 40 000 dollars. L'artiste vieillissant n'a plus rien, hormis quelques tableaux et dessins qu'il a pu arracher aux huissiers. Indomptable, il repartira , en Amérique du Sud cette fois, pour plusieurs années, à la recherche de ses Indiens bien-aimés. Après un séjour de dix ans en Belgique, l'artiste aventurier rentrera aux États-Unis, auprès de ses filles, et termine une vie tourmentée en 1872, à 76 ans. Sa galerie figurera au patrimoine national américain, grâce à la générosité des héritiers Harrison qui en feront don à la Smithsonian Institution en 1879.
En 1961, à la demande du président John F. Kennedy, on accrocha 27 de ses peintures sur les murs de la Maison Blanche.
Parlant des indiens, g.catlin disait : « J'aime ce peuple qui m'a toujours accueilli très chaleureusement... Qui est honnête, sans loi, qui n'a ni prison, ni « hospice »... Qui n'a jamais prononcé le nom de Dieu sans pensée profonde.... Qui ne connaît pas l'intolérance religieuse... Qui n'a jamais levé la main sur moi, ni volé ma propriété, bien qu'il n'ait aucune loi pour punir autrui... Il n'a jamais livré bataille à l'homme blanc excepté sur son territoire... Et, oh! combien j'aime ce peuple qui ne vit pas pour l'amour de l'argent ». Dès 1836, Bodmer et Catlin sont les premiers artistes à proposer des visions précises et colorées du Far West qui vont frapper l'imagination des Occidentaux et structurer leur conception de l'Indien des Plaines. Ainsi malgré l’intention toute autre (ethnographie ,témoignage et défense des Indiens ) de leur œuvre, celle-ci va faire émerger un archétype imaginaire : le fier cavalier au visage et au torse couverts de peintures ocres, rouges ou blanches, ou en costume de cérémonie, la coiffe de plumes flottant au vent. Cet ensemble de signes reconnaissables de l'extérieur est devenu pour nous le blason de l'indianité, il s'accompagne d'un répertoire de postures et de situations récurrentes qui sont déjà une mise en scène : la lance brandie, prête à l'attaque, les danses en rond, le corps plié vers l'avant, vu de profil... Le tout dans un espace illimité où se bousculent les troupeaux de bisons. Peu à peu, cette représentation des Indiens des Plaines va se figer sous l'effet des imitations : nombreuses sont les reproductions de ces tableaux qui circulent sous forme de gravures ou de lithographies, qui vont à leur tour être copiées par d'autres artistes à la fin du XIXe siècle. Progressivement, cet Indien des Plaines, déjà réduit au statut de type, va devenir l'Indien générique, supplantant les tribus de toutes les autres régions des États-Unis. Le western s’en emparera : Au-delà du Missouri (W. Wellman, 1951), La Captive aux yeux clairs (H. Hawks, 1952), La Rivière de nos amours (A. De Toth, 1955) présentent des scènes de halage de bateaux, des séquences de traite dans des villages sioux ou blackfeets, qui rappellent immanquablement tel tableau de Catlin ou Bodmer. Dans La Prisonnière du désert (John Ford, 1956), lorsque surgit le chef comanche au sommet d'une colline, le plan rapproché semble sorti d’un tableau. Là où Catlin et Bodmer avaient peint des êtres humains particularisés, avec des noms et des visages, on ne verra plus que des allégories du Primitif et du Sauvage.
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