« Un singe ! voilà un singe ! »
Et il montrait un grand corps noir qui, se glissant de branche en branche avec une surprenante agilité, passait d'une cime à l'autre, comme si quelque appareil membraneux l'eût soutenu dans l'air. En cet étrange pays, les singes volaient-ils donc comme certains renards auxquels la nature a donné des ailes de chauve-souris ?
Cependant, le chariot s'était arrêté, et chacun suivait des yeux l'animal qui se perdit peu à peu dans les hauteurs de l'eucalyptus. Bientôt, on le vit redescendre avec la rapidité de l'éclair, courir sur le sol avec mille contorsions et gambades, puis saisir de ses longs bras le tronc lisse d'un énorme gommier. On se demandait comment il s'élèverait sur cet arbre droit et glissant qu'il ne pouvait embrasser. Mais le singe, frappant alternativement le tronc d'une sorte de hache, creusa de petites entailles, et par ces points d'appui régulièrement espacés, il atteignit la fourche du gommier. En quelques secondes, il disparut dans l'épaisseur du feuillage.
« Ah ça ! qu'est-ce que c'est que ce singe-là ? demanda le major.
— Ce singe-là, répondit Paganel, c'est un Australien pur sang ! »
— Mac Nabbs, répondit Lady Helena, donneriez-vous donc raison à ceux qui les chassent comme des bêtes sauvages ? Ces pauvres êtres sont des hommes.
— Des hommes ? s'écria Mac Nabbs ! Tout au plus des êtres intermédiaires entre l'homme et l'orang-outang ! Et encore, si je mesurais leur angle facial, je le trouverais aussi fermé que celui du singe ! »jules verne les enfants du capitaine grant
Rien n'est plus relatif que le sens commun, surtout lorsqu'il porte sur la perception et l'usage des espaces habités ; ainsi en est il du regard que nous portons sur la manière dont les chasseurs-cueilleurs vivaient, ou vivent peut être encore s’il en reste, leur insertion dans l'environnement. Tirant leur subsistance de plantes et d'animaux dont ils ne maîtrisent ni la reproduction ni les effectifs, ils tendent à se déplacer au gré de la fluctuation de ressources parfois abondantes, mais souvent distribuées de façon inégale selon les lieux et les saisons.
« Dans la forêt équatoriale ou dans le Grand Nord, dans les déserts d'Afrique australe ou du centre de l'Australie, dans toutes ces zones dites « marginales » que, pendant longtemps personne n'a songé à disputer aux peuples de chasseurs, c'est un même rapport aux lieux qui prédomine L'occupation de l'espace n'irradie pas à partir d'un point fixe, mais se déploie comme un réseau d'itinéraires balises par des haltes plus ou moins ponctuelles et plus ou moins récurrentes. les parages en sont sans doute familiers et retrouvés à chaque fois avec plaisir, mais leur fréquentation renouvelée n'en fait pas pour autant un espace domestiqué qui contrasterait avec celui resté sauvage des lieux visités le reste de l'année. »C’est moi qui souligne !
« Socialisé en tout lieu parce que parcouru sans relâche, l'environnement des chasseurs-cueilleurs itinérants présente partout les traces des événements qui s'y sont déroulés. Traces individuelles, d'abord, façonnant l'existence de chacun d'une multitude de souvenirs associés : les restes parfois à peine visibles d'un camp abandonné ; une combe, un arbre singulier ou un méandre rappelant le site de la poursuite ou de l'affût d'un animal ; les retrouvailles d'un lieu où l'on a été initié, où l'on s'est marié, où l'on a enfanté ; l'endroit où l'on a perdu un parent et qui, souvent, devra être évité. Mais ces signes n'existent pas en eux-mêmes tels des témoins constants d'un marquage de l'espace ; ils sont tout au plus des signatures fugaces de trajectoires biographiques, lisibles seulement par celui qui les a déposées et par le cercle de ceux qui partagent la mémoire intime d'un passé proche.et qui revivifient jusqu'à présent d'anciennes continuités… ».
… « Il est vrai que certains traits saillants de l'environnement sont parfois dotés d'une identité autonome qui les rend porteurs d'une signification identique pour tous. C'est le cas en Australie centrale où des peuples comme les Warlpiri voient dans les lignes du relief et les accidents de terrain — collines, amas de rochers, salines ou ruisseaux — la trace laissée par les activités et les pérégrinations d'êtres ancestraux qui se métamorphosèrent en composantes du paysage. Pourtant, ces sites ne sont pas des temples pétrifiés ou des foyers de civilité, mais l'empreinte des parcours qu'effectuèrent, lors du « temps du rêve », les créateurs des êtres et des choses. Ils n'ont de signification que reliés les uns aux autres dans des itinéraires que les Aborigènes reproduisent sans fin, superposant les inscriptions éphémères de leur passage à celles, plus tangibles, de leurs ancêtres. C'est également la fonction des cairns que les Inuit édifient dans l'Arctique canadien. Signalant un site autrefois habité, parfois une tombe, ou matérialisant des zones d'affût pour la chasse au caribou, ces monticules de pierre sont édifiés de manière à évoquer dans le lointain la silhouette d'un homme debout; leur fonction n'est pas d'apprivoiser le paysage, mais de rappeler des parcours anciens et de servir de repères pour les déplacements présents. »….
« Dire de peuples qui vivent de chasse et de cueillette qu'ils perçoivent leur environnement comme « sauvage » — par rapport à une domesticité que l'on serait bien en peine de définir — revient aussi à leur dénier la conscience de ce qu'ils modifient l'écologie locale au fil du temps par leurs techniques de subsistance. Depuis quelques années, par exemple, les Aborigènes protestent auprès du gouvernement australien contre l'usage qui est fait du terme « wildemess » pour qualifier les territoires qu'ils occupent, ce qui permet bien souvent d'y créer des réserves naturelles contre leur gré. Avec ses connotations de terra nullius, de nature originelle et préservée, d'écosystème à protéger contre les dégradations d'origine anthropique, la notion de « wildemess » récuse certes la conception de l'environnement que les Aborigènes ont forgée et les rapports multiples qu'ils tissent avec lui, mais surtout elle ignore les transformations subtiles qu'ils lui ont fait subir. Comme le disait un leader des Jawoyn du Northern Terri-tory lorsqu'une partie de leurs terres fut convertie en une réserve naturelle : « Le parc national Nitmiluk n'est pas un espace sauvage [...], c'est un produit de l'activité humaine. C'est une terre façonnée par nous au long de dizaines de millénaires — à travers nos cérémonies et nos liens de parenté, par le feu de brousse et par la chasse. » Pour les Aborigènes, on le voit, comme pour d'autres peuples vivant de la prédation, l'opposition entre sauvage et domestique n'a pas grand sens, non seulement parce que les espèces domestiquées font défaut, mais surtout parce que la totalité de l'environnement parcouru est habité comme une demeure spacieuse et familière, aménagée au gré des générations avec une discrétion telle que la touche apportée par les locataires successifs est devenue presque imperceptible ». Philippe Descola par delà nature et culture .Gallimard
Pendant le XVIIIe siècle, le principe « terra nullius » a été utilisé pour donner une force légale à la colonisation de terres occupées par des peuples n'ayant pas d'organisation étatique ou de système de propriété organisé.
Le concept de terra nullius naît au 17e siècle alors que s'élaborent les premières théories de droit international visant à rationaliser et légitimer les conquêtes territoriales des puissances européennes. En rompant avec l'ancienne loi accordant au pape le droit de disposer des terres découvertes, des auteurs tels que Locke, Grotius, ou Pufendorf cherchent à définir des règles d'acquisition fondées sur des principes de négociation ou d'achat ou sur des principes de découverte et d'occupation.Il distinguent à coté de la conquête et de la cession qui supposent des populations organisées et donc des traités, la simple occupation qui ne confère un droit de propriété que sur des objets qualifiés de res nullius, c'est-à-dire, n'appartenant à personne. Appliquée à des territoires, cette notion donnera terra nullius: terre qui n'appartient à personne. Au milieu du 18e siècle, les Britanniques s’appuyèrent essentiellement sur les travaux et l’interprétation du juriste suisse Emerich de Vattel, auteur d'un ouvrage intituléLe Droit des Gens ou Principes de la Loi Naturelle (1758),
L'interprétation de cette formule « terre n'appartenant à personne », qui a fait l'objet de nombreuses exégèses, est au cœur de la problématique australienne depuis 1788 et encore aujourd'hui suite à son invalidation par la cour suprême(1982). Pour les théoriciens du 18e siècle, l'idée de terra nullius recouvre une double signification. Au sens strict du terme, elle s'applique aux terres complètement inhabitées à l'arrivée des Européens, par exemple l'île Maurice ou la Réunion. Au sens large, elle s'applique aux territoires habités par des peuples «primitifs » n'ayant ni organisation politique reconnaissable, ni sens de la propriété. Vattel ajoute une distinction essentielle entre les terres cultivées et les terres laissées incultes. Les peuples qui n'ont pas encore atteint le stade de l'agriculture, celui par lequel l'homme mélange son labeur à la terre, ne peuvent prétendre à une quelconque forme de propriété, que ce soit au niveau individuel ou au niveau collectif. Les territoires parcourus par des tribus nomades peuvent donc être qualifiés de terra nullius, « n'appartenant à personne
« Terra nullius. Du latin terra, terre, sol, pays, et nullius, personne.
En d'autres termes : la terre qui n'appartient à personne. Ou du moins à personne digne de ce nom.
À l'origine, la terre qui n'appartient pas à l'Empire romain. Au Moyen Age, la terre qui n'appartient à aucun souverain chrétien. Plus tard, la terre qu'aucun pays européen n'a encore revendiquée. La terre qui revient de droit au premier pays européen à l'envahir.
Une terre vide. Une terre déserte. Une terre qui redeviendra déserte puisque ses habitants, jugés si peu nombreux, sont les représentants d'une race inférieure, naturellement vouée à disparaître.
Terra nullius. Concept juridique apparu au XIXe siècle pour justifier l'occupation par les Européens de grandes parties de la surface du globe. Ce concept s'est avéré d'une grande utilité pour justifier l'invasion de l'Australie par les Britanniques. »SVEN LINDQVIST.TERRA NULLIUS. ED.LES ARENES.
Il aura fallu ainsi attendre deux cents ans pour que soit reconnue par la nation australienne l'antériorité du droit de possession des Aborigènes de la terre australienne, leur principale revendication. À l'époque de la colonisation, et contrairement à ce qui s'était passé, par exemple, en Amérique du Nord, les Aborigènes n'avaient jamais signé de quelconques traités avec les colons qui les avaient chassés de leurs territoires ancestraux. Mais il leur faudra attendre 1949 pour obtenir la citoyenneté australienne. Une citoyenneté toute théorique : la constitution de 1901 (article 127) excluait spécifiquement les Aborigènes du recensement national, et ils étaient comptabilisés à part. Ils ne seront réintégrés dans la population nationale qu'après 1967, date à laquelle le fameux article 127 sera abrogé à la suite d'un référendum national largement majoritaire. Une autre proposition sera approuvée par ce même référendum, permettant au Parlement et au gouvernement fédéral de passer des lois spécifiques relatives aux Aborigènes dans les États.
« Le peuple dont les descendants sont aujourd'hui connus sous le nom d'Aborigènes et Torres Straits Islanders d'Australie étaient les occupants et les propriétaires d'origine de cette terre. [...] Ils ont été spoliés de leur terre par l'occupation européenne. [...] Cette spoliation s'est effectuée sans compensation. [...] En conséquence, les Aborigènes et Islanders sont devenus la communauté la plus désavantagée d'Australie. [...] Le peuple australien a pour intention de rectifier les conséquences des injustices passées et d'assurer à jamais aux Aborigènes la reconnaissance et la place à l'intérieur de la nation australienne à laquelle l'histoire, le fait qu'ils étaient les premiers possesseurs et utilisateurs de la terre et leur riche et diverse culture leur donnent le droit d'y aspirer [...] ».TEXTE DE LOI
« Nous redonner la terre ? Mais, ici, ça toujours était chez nous ! »parole aborigene
De tous les continents, l'Australie est sans nul doute le plus étrange ! Une énorme île, de quelques 7,5 millions de kilomètres carrés, presque aussi vaste que les États-Unis, et la plus plate des masses continentales. Seulement cinq pour cent de sa surface dépasse l'altitude de 700 mètres et son point le plus élevé, le mont Kosciuzko, culmine péniblement à 2 236 mètres. Comme en Amérique du Sud, on observe une curieuse dissymétrie dans le relief, la seule grande chaîne montagneuse étant fortement décalée vers l'est.
Elle est formée à l'ouest par d'immenses plateaux de terrains très anciens, pour la plupart antérieurs à la naissance de la vie. Son centre est encore plus bas, et d'ailleurs les géologues estiment que la mer s'y étendait au cours d'une période allant de 120 millions à 70 millions d'années avant notre ère.
Il y a plus de 50 millions d'années des plaques tectoniques frémissent et se séparent
: un continent part a la dérive et devient île. Isolée, cette île se transforme au fil des millénaires en un gigantesque réservoir d'espèces naturelles a nul autre pareil. Un tiers de désert, un tiers de savane, un tiers de forêts, il y a la une gamme étonnante de paysages, de climats, de végétaux et d'animaux. pays des eucalyptus et des acacias C'est dans sa partie sud-ouest que l'on trouve les plus belles forêts d'eucalyptus, certains atteignant près d'une centaine de mètres de hauteur), l'Australie est aussi celui des marsupiaux, des fossiles vivants et du plus formidable jardin de coraux au monde, la grande barrière. malgré l'introduction d'animaux venus d'ailleurs, dingos, buffles, lapins, chameaux, l’Australie reste une terre unique par ses plantes et ses animaux.Du latin aborīginēs composé du préfixe ab- et de orīgine, ablatif de orīgō (« origine »).
« ABORIGENES, nom que l’on donne quelquefois aux habitants primitifs d’un pays, ou à ceux qui en ont tiré leur origine, par opposition aux colonies ou nouveaux habitants qui y sont venus d’ailleurs. Voyez Colonie.
Le mot d’Aborigenes est fameux dans l’antiquité. Quoiqu’on le prenne à présent pour un nom appellatif, ç’a été cependant autrefois le nom propre d’un certain Peuple d’Italie. » DIDEROT ENCYCLOPEDIE .
C’est dans ce paradis de la flore et de la faune sauvages que l'homme fit irruption. D'abord ceux que l'on regroupe sous le nom d'Aborigènes, venus du continent asiatique.
Avec une superficie grande comme quatorze fois celle de la France, de larges zones désertiques d'accès difficile et une archéologie qui a réellement pris son essor ,voici seulement une trentaine d'années, l'Australie ne dispose pas encore de données archéologiques comparables en nombre à celles de l'Europe. L’immensité désertique du continent et son histoire géologique récente demeurent un handicap difficile à surmonter. Comparativement, c'est un peu comme si on tentait de retracer la préhistoire de la France à partir d'une dizaine de sites.
L'origine des Aborigènes a été la toute première question soulevée. Aucun fossile semblable à ceux des continents africain ou asiatique n'ayant été exhumé en Australie, il faut bien admettre que le continent a été colonisé par des hommes venus de l'extérieur. Mais alors, d'où ? D'autant que l'Australie est la plus vaste île du monde et que les moyens de navigation préhistoriques étaient rudimentaires.
Les dates recueillies en fouille excluent totalement un peuplement à partir des îles de la Mélanésie, et encore plus de la Polynésie, colonisées tardivement. Une origine africaine est inconcevable, reste l'hypothèse d'une origine asiatique.
La théorie la plus communément admise aujourd'hui est celle d'une origine en Asie du Sud-Est .Il existe plusieurs points de vue à ce sujet. L’un avance qu’ils seraient arrivés sur le continent par le nord via le Timor. Une autre suggère qu’ils sont venus par un passage de basse mer entre la Nouvelle-Guinée (banc de Sahul) et l'Australie, au moment où la masse immergée du continent était moins importante. Ces deux théories ne sont pas exclusives et il est aussi possible que plusieurs vagues humaines soient arrivées à différents moments ou en même temps en différents points géographiques du continent. Bien que de nombreuses questions restent posées, il a bien fallu aux ancêtres des Aborigènes, volontairement ou non, traverser, à l'aide d'embarcations rudimentaires — telles que l'on peut les imaginer à l'image des embarcations préhistoriques —, les chenaux, pour certains larges de quelques dizaines de kilomètres, pour coloniser les îles et finalement atterrir sur le continent. Tout ceci sur une longue période.
Les preuves scientifiques et archéologiques démontrent que l’occupation humaine, selon le lieu géographique du continent, date au maximum de 125 000 ans (date contestée), avec une moyenne fixée à 40 000 ans environ[]. Avec des datations de 30 000 à 40 000 avant J.-C. pour des sites au Sud du continent, et en tenant compte qu'il a fallu un certain temps à l'homme pour coloniser Sahul, les archéologues admettent généralement que le peuplement est intervenu vers 53 000 avant J.-C. alors que les eaux étaient à un très bas niveau. Ce qui est certain, c'est que pratiquement toutes les zones, qu'elles soient côtières ou de l'intérieur, étaient occupées il y a 20 000 ans, comme l'attestent les fouilles.
Les aborigènes de Sahul (Sahul est le nom de la plate-forme continentale située entre la Nouvelle-Guinée et l'Australie, sous les mers de Timor et d'Arafoura ; c'est une partie de l'ancien bouclier australien), pourraient être, avec les plus anciens habitants du Japon, les premiers au monde à avoir inventé le polissage de la pierre. Celles-ci pouvaient se manifester sur des matériaux périssables. On sait, au moins, qu'ils utilisaient l'ocre rouge et se paraient de colliers. Ils enterraient leurs morts dans différentes positions (certains ayant été préalablement incinérés) ; les morts étaient parfois accompagnés d'un mobilier funéraire. Enfin, l'art pariétal existait déjà. Le site le plus ancien naguère connu (20 000 ans au moins) était celui de la grotte de Koonalda, au sud de l'Australie méridionale. Loin à l'intérieur de cette grotte, et en pleine obscurité, se trouvent deux grands ensembles de rainures, les unes tracées avec les doigts sur une paroi tendre, les autres gravées sur un support plus dur. Plus récemment, en 1995, ont été mis au jour, en Terre d'Arnhem, des vestiges d'art rupestre (des cupules gravées), datés de 75 000 ans, datation qui, cependant, reste encore à confirmer.
Les Aborigènes ont développé en autarcie une culture qui leur est propre.
Au moment de leur colonisation, le continent était vierge. Ils s'y établirent en s'adaptant parfaitement aux divers milieux, même au plus profond des déserts., Eux seuls ont réussi à maintenir leurs traditions et leur mode de vie en dépit des exactions dont ils furent ensuite les victimes. Ils sont essentiellement des chasseurs et des cueilleurs, souvent nomades à travers les terres les plus hostiles, mais jamais des cultivateurs.
Le temps du rêve (Tjukurpa en langue anangu) aussi appelé le rêve, est le thème central de la culture des Aborigènes d'Australie. Le « temps du rêve » explique les origines de leur monde, de l’Australie et de ses habitants. Selon leur tradition, des créatures géantes, comme le Serpent arc-en-ciel, sont sorties de la terre, de la mer ou du ciel et ont créé la vie et les paysages australiens. Leurs corps géants ont créé des fleuves et des chaines de montagne mais leur esprit est resté dans la terre, rendant la terre elle-même sacrée aux peuples indigènes.
En 1788, l'Australie était peuplée par 250 tribus, occupant tout le continent, chacune avec sa propre langue, ses lois et ses frontières tribales : c'est la plus longue culture survivant sur terre[].
Ils avaient un sens aigu du terrain, des mœurs des animaux et de l'utilisation de la flore sauvage. Les hommes chassaient les kangourous ou autres gros marsupiaux, les femmes collectaient les petites bêtes, y compris les larves des coléoptères qui prolifèrent dans les troncs des arbres, en plus de bulbes, de racines et de rhizomes. Ils savaient où se trouvent les points d'eau aux différentes saisons et nomadisaient au gré du temps et de la présence de gibier.
Ces connaissances, simple question de survie pour la plupart d'entre eux,ont été transmises de génération en génération. D’un point de vue écologique, les aborigènes ont réussi une parfaite adéquation entre les groupes qu'ils formaient, et forment encore parfois, et les milieux où ces hommes se sont établis. En suivant les prescriptions de lois religieuses, leurs populations ne dépassèrent jamais ce que leur environnement pouvait sustenter, ce que l’écologie nomme la « capacité-limite ». Cet exemple est rare parmi tous les peuples de la terre.
Comme ils étaient nomades, il était logique de ne pas s’encombrer de trop de choses lors des déplacements. Le rythme des déplacements étaient celui des pluies, des saisons, l’eau et la nourriture étant un souci quotidien.
Les fluctuations géographiques, climatiques ont influencé certaines différences d’une tribu à une autre dans leur manière de vivre, et les gens habitant près de l’eau salée ou d’eau permanente avaient plus de temps de loisirs et moins de déplacement à faire que le chasseur cueilleur vivant en zone aride. Selon les régions, les outils diffèrent dans leur forme et usage, même si le bois est l’élément naturel le plus usité pour fabriquer des boomerangs, de toute taille, usage et forme. Ils fabriquaient des huttes qu’ils laissaient debout et reconstruisaient si nécessaires quand ils revenaient sur le camp, et ils laissaient des pierres à moudre, trop lourdes à transporter.
Le fondement du droit foncier aborigène, est l’ascendance commune qui existe entre tous les êtres vivants et la terre : les mêmes forces spirituelles qui les ont crées, et depuis, de génération en génération, d’initié en initié, elles se transmettent, notamment dans les peintures, faisant d’elles, au sens propre, des titres de propriété
Chaque Aborigène est gardien de certains itinéraires mythiques associés à des lieux et des totems et célébrés par des rites où les mythes sont peints, chantés et dansés. C'est au nom de ces attaches sacrées que les sites doivent être protégés et que le corps de chaque individu doit être peint avec les signes totémiques de son itinéraire ancestral, afin que se maintienne l'environnement et tous ses liens avec les espèces vivantes et les humains. Les longues épopées mythiques, qui racontent la formation du paysage et l'instauration des règles sociales et religieuses, constituent ce qu’ils apellent dans diverses langues : Law (Loi) ou Dreaming (Rêve).
On peut citer un exemple développé par Frédéric Viesner : Dynamiques territoriales des Aborigènes pitjantjatjara (Australie-Méridionale)
Vivant de chasse et de collecte, les Pitjantjatjara(dans un passé encore proche, en groupes composés d’une petite trentaine d’individus qui se déplaçaient suivant un circuit de points d’eau répartis autour des chaînes montagneuses. Lorsque les conditions climatiques réduisaient considérablement les ressources de ces aires de prélèvement, ces groupes migraient vers d’autres régions plus accueillantes. Pareilles migrations ne pouvaient être entreprises qu’à la condition qu’elles soient menées par des personnes connaissant parfaitement les mythes pitjantjatjara. De fait, chaque endroit du désert est associé à un ou plusieurs êtres mythiques qui l’ont modelé ou qui y ont accompli un acte particulier au cours de leur existence. Ceux qui possèdent les clés de compréhension des mythes connaissent l’époque de l’année à laquelle un site peut offrir les ressources nécessaires à la survie d’un petit groupe.
« Un exemple de cet aspect ésotérique nous est donné par les quelques éléments du mythe suivant. Les habitants de la communauté de Mimili racontent que deux femmes sillonnaient séparément la région à la recherche de nourriture. Leurs noms étaient ili et mangata, respectivement Figue et Prune. Elles s’approchèrent toutes deux d’un site où poussaient les arbustes donnant des figues et des prunes (la localisation précise du site n’appartient qu’à ceux qui sont initiés au mythe dans ses moindres détails). Les deux femmes arrivèrent en ce lieu au moment où les fruits étaient mûrs et se disputèrent avec leur bâton à fouir (wana). La dispute cessa lorsqu’elles se partagèrent les fruits. L’une prit les prunes et l’autre les figues. Puis elles se séparèrent pour retourner chacune à leur campement.
Ce récit devient un « message » quand on sait qu’ili et mangata sont aussi les noms de deux étoiles. Il faut alors savoir comment les reconnaître dans la myriade de celles qui scintillent dans le ciel nocturne du désert. Un fin observateur s’apercevra qu’à une certaine époque de l’année, ces deux étoiles se rapprochent puis s’éloignent. Lorsque les étoiles sont proches, il est dit que les deux femmes se battent avec le wana. C’est la saison à laquelle les baies sont mûres et comestibles. Comme l’évoque le mythe, la récolte est souvent une occasion de concurrence entre les groupes de femmes. Quand les étoiles commencent à s’éloigner vers la fin de l’été, c’est le signe que le site ne porte plus de baies. Ce récit concerne donc un site particulier et donne un code pour l’utiliser mais également une règle de répartition des ressources. L’identité culturelle d’un groupe était aussi son identité territoriale puisque les clés pour exploiter un site étaient en la possession parfois exclusive de certains groupes. »Frédéric Viesner .op.cite
La notion originelle du ‘HOMELAND’ est ainsi liée au pays de leurs ancêtres, leurs croyances et leur mode de vie ancestral. Ces homelands selon eux, sont leur identité intrinsèque, les affiliations à leurs lieux de création, lieu des origines, lieu de vie de leurs ancêtres et de leur groupe familial. LA TERRE NE LEUR APPARTIENT PAS, ILS APPARTIENNENT A LA TERRE, et la pensée blanche sur le droit foncier s’élève encore rarement au-dessus des contraintes politiques, juridiques et administratives, pour faire valoir leur principe de la propriété.
Les autorités pouvaient, à la limite, comprendre que des agriculteurs se montrent attachés à la terre qu'ils avaient cultivée. Or les Aborigènes n'étaient pas des agriculteurs. C'étaient des nomades. Qui a jamais entendu parler d'un nomade profondément enraciné ? Non, le concept de nomadisme impliquait nécessairement une appétence illimitée pour les déplacements.
Alors on continua à transférer les Aborigènes d'un endroit à l'autre. Cela permettait non seulement de poursuivre les essais nucléaires, mais aussi de laisser le bétail des fermiers blancs s'abreuver aux points d'eau, ou encore de faciliter l'exploitation, par telle société dirigée par des Blancs, de tout nouveau gisement de minerai. Marginalement, on pouvait toujours se rassurer en prétextant qu'on agissait de la sorte pour leur bien, qu'en leur apprenant à se tenir à table convenablement, à manger la nourriture des Blancs et à travailler selon les horaires des Blancs, on s'intéressait à eux. Car après la Seconde Guerre mondiale, la nouvelle politique adoptée vis-à-vis des Aborigènes était fondée sur le principe de l'« assimilation ». Les Blancs, qui jamais n'ont envisagé qu'ils pouvaient avoir quelque chose à apprendre des Noirs, estimaient, à l'inverse, qu'il leur incombait d'assurer leur éducation pour faire d'eux des ouvriers ordonnés, des consommateurs obéissants qui seraient relégués à la périphérie de la société des Blancs.
Dans le désert, des patrouilles de police capturaient les Noirs pour les emmener vers des missions comme Ernabella ou Hermannsburg, vers des camps d'internement appartenant à l'Etat, comme Papunya et Yuendumu. Un Aborigène en valait un autre. Qu'ils puissent appartenir à des tribus différentes et parler des langues différentes, quelle importance ? De toute façon, personne ne comprenait rien à ce genre de langues !
Qui aurait daigné concevoir que chaque Aborigène avait le devoir de veiller sur certains sites, là-bas dans le désert, où il était tenu de retourner régulièrement pour y pratiquer des cérémonies religieuses ? Aux yeux d'un Blanc, ces sites paraissaient tous identiques. Les employeurs, tout comme les directeurs des camps, soupçonnaient même que la légende des « sites sacrés » avait été inventée de toutes pièces par ces maudits vagabonds à qui on avait essayé, au camp d'internement, d'inculquer un mode de vie sédentaire……
Toute la société blanche s'est construite sur l'idée qu'avant l'invasion britannique l'Australie était un no man's land. bien sûr, on admettait que, le long de la côte où avaient débarqué les Britanniques, le continent était peuplé. Mais plus loin, à l’interieur des terres, on était persuadé que s'étendait un immense territoire inhabité
.
Une multitude de voyageurs-chercheurs traversèrent l'Australie en tous sens, désespérément, à la recherche de ce no man's land qui aurait pu légitimer l'invasion du pays. À la fin il ne resta plus que les déserts, au cœur du continent. On ne voulut pas admettre que même là où la terre était le plus inaccessible et le plus inhospitalière, chaque pierre, chaque buisson, chaque point d'eau avait ses propriétaires et gardiens personnels, son histoire sacrée et sa signification religieuse.
C'est pourquoi les recherches sur les Aborigènes qu'entreprirent les Blancs firent l'impasse sur la géographie sacrée. Spencer et Gillen s'intéressèrent à la relation de l'homme avec l'animal ; Radcliffe-Brown, à la relation des hommes entre eux. Mais personne ne voulut prêter attention à la relation des hommes avec leur terre. sven lindqvist.terra nullius
(A SUIVRE...)
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