En 1991, le gouvernement australien mit en place un programme de réconciliation nationale avec pour objectif principal de sensibiliser à l’héritage colonial afin de rendre justice à la minorité aborigène, largement marginalisée depuis la colonisation du continent. Fondée sur une éthique du respect d’autrui, la réconciliation supposait le repentir de la nation pour la violence de ses pratiques coloniales envers les Aborigènes, et le pardon de ces derniers. Elle exigeait donc un retour sur le passé, le discours officiel ayant toujours présenté l’Australie comme une terra nullius colonisée pacifiquement.
En fait le passé fut tout autre qu’une colonisation pacifique. Celle-ci fut en pratique bâtie sur une équivoque tout au long de son histoire et fondée sur une doctrine historico-légale définissant l'Australie comme « Terre inoccupée ». Tandis que le peuplement européen se développait inéluctablement face à un peuple aborigène violemment refoulé et dramatiquement décimé, les interprétations les plus restrictives des doctrines de Vattel(théoricien du principe) triomphèrent . En 1819, des fonctionnaires chargés de l'application des lois de la couronne définirent la Nouvelle-Galles du Sud comme une colonie à l'origine déserte et inhabitée. En 1889, une décision du Conseil privé de la reine, suprême recours de l'époque, marqua fondamentalement la jurisprudence australienne et ce, pendant plus d'un siècle. Dans un conflit foncier opposant deux colons, le Conseil privé reprit les catégories précédente et déclara que « l'Australie était un territoire pratiquement inoccupé, sans habitants sédentarisés ni lois définies au moment où il fut pacifiquement annexé aux dominions britanniques »
» En 1770, Le lieutenant James Cook "prit possession" des deux tiers de l’Australie pour le Grande-Bretagne contre les ordres du roi George stipulant qu’il devait d’abord conclure un traité avec la population indigène. Londres déclara que l’Australie est déserte ce qui permit permet l’établissement d’une colonie pénitentiaire. Cook a pourtant noté ses impressions sur les Aborigènes de Nouvelle Hollande dans son journal: "en réalité ils sont bien plus heureux que nous les Européens… Ils vivent dans la tranquilité qui n'est pas troublée par l'inégalité de la condition. La terre et la mer leur fournissent toutes les choses nécessaires pour vivre… Ils vivent dans un climat agréable et ont un air très sain… ils n'ont aucune abondance".[7]
Lorsque, en 1780, les Britanniques décidèrent de fonder une colonie pénale sur les rivages de ce qu'on appelait déjà la Nouvelle-Galles du Sud, ils s'appuyèrent essentiellement sur les informations recueillies par l’expédition de James Cook dans le Pacifique. Pour plus de précision, ils convoquèrent en 1785, Joseph Banks, le botaniste de l'expédition, devant un comité (le comité Beauchamps) pour évaluer les conditions d'implantation de la future colonie. Les rapports ainsi réunis laissaient entrevoir un vaste territoire supportant une population « miraculeusement clairsemée » L'expédition de 1770 n'avait observé aucun rassemblement conséquent d'indigènes, ni campement de large taille mais plutôt des petits groupes éparpillés. Il s'agissait à l'évidence d'une population nomade ignorant l'agriculture, « errant comme les Arabes de lieux en lieux [...] là où ils peuvent trouver de quoi se nourrir et, sitôt les ressources épuisées, cherchent un autre lieu ».
Ce mode de subsistance fondé sur la chasse et la cueillette avait curieusement convaincu Joseph Banks qu'il ne pouvait s'agir que d'une population côtière, survivant grâce au complément indispensable, selon lui, des produits de la mer. Puisqu'aucun exemple d'agriculture donné par des groupes vivant à l'intérieur n'était parvenu jusqu'à la côte, Banks en déduisit que le territoire devait être totalement inhabité. Les premiers observateurs débarqués avec la First Fleet ont pourtant témoigné d'une population indigène beaucoup plus nombreuse que prévu, résidant à la fois sur les côtes et dans l'intérieur. L'ensemble du continent, à l'évidence, est occupé. Les Aborigènes vivent sur des territoires aux frontières strictement délimitées. Chaque groupe connaît parfaitement les limites de son domaine de chasse qu'il quitte d'ailleurs assez rarement. Le franchissement de ces limites exige l'accord des groupes voisins et toute transgression à ces règles territoriales conduit au conflit ou à la guerre. Sur chaque territoire les individus possèdent en propre certains lieux qu'ils transmettent à leurs descendants. Dès les premières années d'occupation les colons ne peuvent ignorer le sentiment profond d'appartenance que les Aborigènes développent par rapport à leur territoire et les règles subtiles qui régissent les liens au sol. Les violences qui accompagnent systématiquement les avancées du front pionnier démentent la fiction d'une colonisation « paisible » et témoignent des luttes acharnées qui se mènent pour le contrôle des terres.
Les réactions des Aborigènes à l'arrivée soudaine des colons britanniques furent variées, mais inévitablement hostiles lorsque la présence des colons généra une compétition pour des ressources naturelles vitales et l'occupation par les Britanniques de terres aborigènes. Les maladies européennes tuèrent des Aborigènes en grand nombre et l'occupation de terres, accompagnée de l'accaparement ou de la destruction de ressources alimentaires, provoqua des famines. A l'inverse de la Nouvelle-Zélande, où le traité de Waitangi fut perçu comme une légitimation de la colonisation britannique, aucun traité ne fut signé
avec les Aborigènes, qui n'autorisèrent jamais la colonisation. Dans son livre The Other Side of the Frontier (De l'autre côté de la frontière),l’historien Reynolds décrivit en détail la résistance armée des peuples aborigènes, au moyen de guerillas, face à l'intrusion blanche sur leurs terres. Cette résistance, débutant au XVIIIe siècle, se poursuivit jusqu'au début du XXe.
En 1803, des colons britanniques quittent la Nouvelle-Galles du Sud pour s’établir sur la Terre Van Diemen (aujourd’hui la Tasmanie) qui devient une colonie séparée en 1826 et où habitent 6 000 Aborigènes. Le conflit avec les aborigènes dura jusqu’en 1828 où ceux qui n’avaient pas été exterminés sont envoyés sur l'île de Flinders ; on leur promit logement, nourriture et sécurité en attendant que le calme revienne. Malheureusement, beaucoup moururent de maladies importées par les Européens et les survivants ne seront jamais autorisés à retourner dans leur pays. Le squelette de la dernière survivante sera suspendu dans une vitrine au Tasmanian Museum où il resta jusqu'en 1947.
Ce qu’on a appelé la « guerre noire » a parfois été qualifiée de génocide » et il n’est toujours pas possible de chiffrer le nombre de morts.
Un groupe de 12 hommes (des forçats principalement) dirigés par John Fleming, arrivèrent à une cabane de la
station de la Myall Creek le 10 juin 1838. Ils firent part à un ouvrier de la station, George Anderson (courageux témoin du procès à venir), de leur intention de rassembler tous les autochtones qu'ils pourraient trouver en affirmant vouloir agir par mesure de représailles pour des vols de bétail Les hommes réunirent vingt-huit personnes, principalement des femmes et des enfants, dans un groupe de quarante à cinquante Aborigènes qui campaient dans la région. Ils les emmenèrent derrière une colline, loin de la cabane et les assassinèrent. Les corps furent ensuite brûlés.Les coupables, soutenus par une partie de la presse, furent acquittés dans un premier procès (un des juré déclarant en substance « je considère les Noirs comme un ensemble de singes et plus vite ils seront exterminés de la surface de la terre, mieux ce sera. Je savais que ces hommes étaient coupables d'assassinat, mais je n'aurais jamais voulu voir un homme blanc pendu pour avoir tué un noir.")
Le ministère de la justice déclencha un second procès sur le seul meurtre d’un des enfants. Les accusés furent cette fois reconnus coupables et pendus.Mais John Fleming ne fut jamais retrouvé. Cette condamnation, la première en l’occurrence eut un énorme retentissement.
« A la fin du XIXe siècle, les colons blancs s'étaient emparés de la quasi-totalité des terres autour d'Alice Springs. Leurs soixante mille vaches et moutons tenaient les Noirs écartés des points d'eau. La rivalité pour l'accès à l'eau conduisit à des conflits où les lances des Aborigènes ne firent pas le poids face | aux armes modernes des colons. Tuer un Noir, c'était comme tuer un chien. L'officier de la police montée William Henry Willshire (1852-1925), n'écoutant que son cœur, mit les forces ; de police de la ville au service des colons blancs.
En 1881, on dénombrait seulement cinq femmes blanches dans toute l'Australie centrale. Vingt ans plus tard, il n'y avait toujours que neuf femmes blanches à Alice Springs. Les conflits entre Blancs et Noirs étaient monnaie courante lorsque des Blancs brisaient les modèles de mariage existants, confondant allègrement achat d'épouse, prostitution et viol.
Emporté par son enthousiasme, Willshire décrivit dans un livre (1896) comment sa patrouille de police découvre une « ravissante jeune fille sauvage » qui s'enfuit en hurlant. Elle est d'abord capturée. Mais pendant la nuit elle tente de s'échapper en sautant dans la rivière. L'agent de police qui la rattrape abuse d'elle jusqu'à ce que, selon les dires de Willshire, « elle s'entiche jusqu'au cou de l'homme qui l'avait capturée ».
Accuser un Blanc de viol à la station de police de Willshire, cela était impensable.
Quant aux crimes commis par les Noirs, Willshire les réglait sur place, sans autre forme de procès. Aucun suspect n'était arrêté, aucun rapport rédigé, la justice était pour le moins expé-ditive avec les premiers habitants, qu'ils soient coupables ou innocents. SVEN LINDQVIST.TERRA NULLIUS. ED.LES ARENES.
En 1896 l’expédition Horn publia un rapport qui contenait t le portrait collectif de « l'Aborigène type de l'Australie centrale » Ce rapport permet de comprendre l'état de la « science » de l’époque concernant les natifs.
« Son origine et son histoire se perdent dans les brumes sombres du passé. Il n'y a aucune trace écrite et peu de traditions orales. D'apparence, c'est un sauvage nu, hirsute, avec un type de traits qui, à l'occasion, sont très caractéristiques des Juifs [...]. On ne l'a jamais vu se laver. Il ignore ce qu'est la propriété privée, à l'exception de ce qu’il porte sur son propre corps et qui le dissimule à peine [...]. Il n'a aucune croyance religieuse [...]. Il n'a pas de traditions, et pourtant continue de pratiquer avec une précision scrupuleuse un nombre de coutumes et de cérémonies atroces que lui ont transmis ses ancêtres et °dont il ignore tout de l'origine ou des causes [...]. Grâce aux efforts fatigables des missionnaires et des éleveurs, il est à présent rapidement rayé de la surface de la terre au nom de la civilisation, et dan sune centaine d’années,les seules preuves de son existence seront les fragments de silex qu’il a grossierement taillé.
Dès la constitution par les six anciennes colonies britanniques d'un État fédéral autonome, en 1901, l'administration australienne (Native Welfare) s'est employée à déraciner les populations indigènes de leur environnement de naissance, en les déportant dans des réserves, où il leur était interdit de reprendre leurs chasses semi-nomades et souvent de pratiquer leurs rites et d'élever eux-mêmes leurs enfants.
« Tennant Creek s'est appelé autrefois Junkurrarkur : c'était un lieu sacré où la tribu warumungu pratiquait ses rituels et où se rencontraient les chefs | nomades. En 1872, les Blancs construisirent une station de télégraphe sur ce site. Les fermiers blancs s'approprièrent la terre.;] En 1892, le peu qui restait devint une réserve pour Aborigènes. En 1932, un Noir du nom de Frank Jupurrula trouva une pépite d'or à dix kilomètres au sud de la station du télégraphe. Trois ans plus tard, un essaim de sauterelles blanches avaient asséché le point d'eau, chassé le gibier et détruit les pâturages, réduisant la réserve à une peau de chagrin. L'alcool coulait à flots et la prostitution était devenue la principale source de revenu.
En 1934, l'anthropologue William Stunner constata qu'une cinquantaine de mines avaient été concédées de manière illégale sur le territoire de la réserve et que la station de télégraphe laissait cinq cents vaches paître sur les terres des Aborigènes et s'abreuver à leurs points d'eau. L'année suivante, la réserve fut» tout bonnement supprimée et la tribu warumungu déplacée l par la force quarante kilomètres plus au nord, à Manga Manda, tristement réputé pour son approvisionnement irrégulier en eau, ses scorpions et ses araignées rouges. Vingt ans plus tard,» les Warumungu furent contraints de pousser plus loin encore, jusqu'à Ali Curung, loin des terres traditionnelles de leur1 ancêtres.
Ces déplacements successifs devaient permettre de déloger les Aborigènes de terres qui entre-temps avaient pris de la| valeur. Il était aisé de prétexter que les peuples du désert étaient^ des nomades habitués à vagabonder. En réalité, les déplacements forcés et les séjours dans les camps anéantissaient totalement leur mode de vie. Pour beaucoup d'entre eux, qui avaient tout perdu, il ne restait alors plus que l'alcool. » SVEN LINDQVIST.TERRA NULLIUS.
La naissance de la nation australienne entraîna un renforcement de l’idéologie coloniale ; le projet culturel se résuma dans la politique explicite de d’« Australie blanche », ancrée dans la Constitution par l’interdiction de l’immigration chinoise et kanak sur le territoire australien et la non-prise en compte des Aborigènes en tant qu’êtres humains, ceux-ci n’étant pas inclus dans les recensements à venir. Jusque dans les années 1960, le même ordre de valeurs prévalut, toujours conforme à un discours qui prétend à la vérité sur la colonisation et sur les peuples autochtones soumis aux règles coloniales . Dans les manuels scolaires par exemple, les colons sont décrits comme des hommes courageux et travailleurs qui explorent le territoire, qui contribuent au développement de la future nation et, par extension, à celui de l’Empire britannique, les écoliers étant invités à s’identifier à eux. Par contraste, les Aborigènes sont en un premier temps représentés comme le danger à éliminer, puis, une fois les guerres coloniales achevées, enfermés dans le stéréotype du colonisé inférieur, incapable de s’adapter, installé en dehors de l’histoire de l’humanité et du progrès.
Au début du XXe siècle, un missionnaire allemand, T. J. Bishof, appointé « protecteur » des Aborigènes du Nord-Ouest, proclama, en plein accord avec les doctrines eugénistes régnant à cette époque, que tout métissage mettrait en danger l'avenir de l'Australie ; il recommanda de concentrer les Aborigènes dans des zones « protégées » pour empêcher qu'ils ne rencontrent des colons européens ou des contractuels asiatiques. Secondé par la police, le service social reçut à la même époque pour mission de rassembler de force tous les enfants à la peau plus claire que les autres. Les enfants métis étaient ainsi isolés et envoyés dans des institutions lointaines pour y apprendre à servir les colons. Le Native Welfare les gardait sous sa tutelle leur vie durant, gérant pour son propre compte aussi bien les dons des employeurs satisfaits que ceux des parents non aborigènes qui espéraient se les voir restituer un jour.
L'enlèvement et la déportation des enfants partait du postulat qu'il fallait « assimiler la race » par l'éducation et par le contrôle des mariages et des naissances ».Les autorités développèrent la politique du « blanchiment » (whitening), qui consistait à marier les filles à plus clair qu'elles pour qu'en quelques générations disparaisse toute trace apparente d'ascendance aborigène. Pour le peuple aborigène déjà décimé durant la période coloniale britannique –( entre 250 000 et 750 000 individus en 1788 contre 31 000 en 1911), cette politique, ajoutée à la poursuite des massacres et de nombreux autres actes criminels tels que l'empoisonnement des points d'eau ou la distribution de couvertures et de vêtements porteurs de germes infectieux, impliquait ni plus ni moins qu'une disparition planifiée, un ethnocide.
Avec Malinowski, il fut établi de façon scientifique que la seule chose qu'on pût affirmer avec certitude en 1913, concernant la vie en famille des Aborigènes, était qu'ils adoraient leurs enfants et leur étaient profondément attachés. Dans le même temps, on instaurait en Australie une politique visant à séparer des centaines de milliers d'enfants de leurs mères, frères et sœurs noirs, sous le prétexte que les Noirs - entre autres, les mères - étaient supposés ne pas s'intéresser à leurs enfants. « Elles oublient vite leurs rejetons. »
Les enfants aborigènes étaient élevés dans une grande liberté, aimés et bien entourés. Les Australiens blancs avaient souvent connu une existence moins enviable. La plupart venaient de Grande-Bretagne et beaucoup parmi eux gardaient le souvenir d'une enfance de dur labeur, à dormir sur le plancher d'une usine, sous les machines. D'autres se souvenaient d'une enfance orpheline, marquée à jamais par les brimades de l'internat. Comment réagissaient-ils à la vue d'enfants noirs qui grandissaient sans être punis, recevant beaucoup d'amour de leurs parents, de leurs frères et sœurs et des autres membres de la famille ? Malinowski lui-même ne put s'empêcher de mettre en garde les Aborigènes, qui selon lui ne corrigeaient pas assez leurs enfants. Il y voyait le défaut de leurs méthodes éducatives, « car ilest impossible de concevoir une éducation sérieuse sans traitement coercitif*7 ».
Un comité ad hoc créé en 1923 estima que l'opinion générale à Darwin réclamait que ces métis fussent retirés le plus tôt possible à leurs parents indigènes pour « être élevés dans un milieu plus sain et plus édifiant ». Mais les gens ne voulaient pas les accueillir dans la ville même, car ils constituaient « un danger pour la santé » et exerçaient « une influence néfaste sur les enfants blancs ». Le problème consistait donc à isoler ces métis de leur famille noire d'une part, et des enfants blancs d'autre part, tout en les maintenant au rang de main-d'œuvre aisément mobilisable .
En séparant les enfants aborigènes à peau claire de leurs parents, on réussirait petit à petit à effacer leur identité indigène. Ils recevraient une éducation, les garçons apprendraient à i s'occuper du bétail et les filles à accomplir les tâches ménagères. À quatorze ans ils entreraient dans le monde du travail sans recevoir de salaire et apprendraient que leur place, dans la société des Blancs, se situait tout en bas de l'échelle. Dans la pratique, l'argent servit uniquement à garder ces enfants enfermés jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de travailler. SVEN LINDQVIST.TERRA NULLIUS.
Sur toute la période d'application de ce système, entre 1905 et 1960, la Commission royale d'enquête sur la « génération volée » a estimé qu'un enfant de couleur sur cinq a été enlevé à ses parents.
Dans les missions, les fermes ou les autres entreprises des colons, les Aborigènes même éduqués, ne pouvaient prétendre à un salaire. Hommes et femmes travaillant dans les grands élevages de bétail ne recevaient que quelques rations de nourriture, du tabac et des vêtements, et l'autorisation pour leur famille de camper à proximité. Résistance et grèves dans les fermes n'aboutirent qu'à l'octroi d'un paiement de misère. Les colons avaient partie liée avec le Native Welfare. Lorsque le référendum de 1967 accorda à tous les Aborigènes la citoyenneté et la garantie d'un salaire minimum, ceux-ci furent massivement chassés des fermes. Acculés à une sédentarisation forcée dans les nouvelles réserves et les bidonvilles, à la périphérie des villes, ils allaient vite connaître – faute de travail – des conditions de vie alarmantes. Jusqu'à la fin des années 1960, les carrières d'acteurs et surtout de sportifs furent les seules voies d'une émancipation limitée pour une minorité. Ils restaient cependant exclus de la société blanche, sauf s'ils obtenaient un certificat dit d'exemption qui leur interdisait de fréquenter leur famille d'origine.
En 1972, à Canberra, des militants aborigènes ont monté une tente devant le Parlement fédéral en guise d'ambassade,
pour protester contre le traitement infligé à leur peuple et revendiquer droits territoriaux et droit d'autodétermination. Un drapeau aborigène fut conçu : barre noire en haut pour les gens, barre rouge en bas pour la terre et le sang versé, et cercle jaune au milieu pour le soleil et l'espoir.Entre 1972 et 1975, le gouvernement travailliste de Edward Gough Whitlam entreprit alors une redéfinition complète de la politique fédérale. À compter de cette époque, celle-ci se veut respectueuse du principe d'autodétermination (self-determination), pour que les Aborigènes s'assument économiquement et ne soient plus des assistés. Au côté du ministère des Affaires aborigènes (Office of Aboriginal Affairs) est créée l'Aboriginal Development Commission (A.D.C.), pour financer des projets communautaires de développement, et la National Aboriginal Conference (N.A.C.), instance consultative élue visant une réorientation de la politique indigéniste. Des Conseils de la terre aborigènes (Land Councils) sont créés dans différentes régions pour négocier les nouvelles modalités économiques et territoriales avec les autorités locales. La loi du 16 décembre 1976 (Northern Territory Land Rights Act) va permettre les premières reconnaissances d'un droit foncier des Aborigènes sur les réserves situées dans le Territoire-du-Nord qui relève directement de la législation fédérale, contrairement aux six autres États australiens, qui ont leurs lois propres.
C'est ainsi que le site de Ayers Rock, lieu sacré dénommé Uluru par les Aborigènes, a été « restitué » à la tribu des Anangu par un accord passé avec le gouvernement fédéral en 1985 . Depuis la restitution partielle de terres à partir de 1976, de nombreux Aborigènes sont retournés vivre sur les lieux de vie de leurs ancêtres – homeland – desquels ils avaient été chassés. Ces homelands sont, selon eux, leur identité intrinsèque, lieu des origines, lieu de vie de leurs ancêtres et de leur groupe familial. Ils sont donc pour la plupart concentrés dans les régions septentrionales du pays.
En 1982, Eddie Mabo, originaire des îles Murray, intenta avec quatre autres membres de sa communauté, une action en justice contre l'État du Queensland devant la Haute Cour australienne pour obtenir la reconnaissance absolue de leurs droits fonciers. Au nom de leur peuple, les Meriam, ils invoquèrent l'occupation ancienne de ces îles situées au nord de l'Australie dans le détroit de Torres par des groupes probablement venus de Papouasie Nouvelle-Guinée dont ils sont les descendants directs. Ils soulignèrent aussi la continuité de leur présence, le la complexité de leur système social et surtout l'élaboration d'une tenure foncière qui définit clairement la propriété de chacun. Eddie Mabo et les siens ne remirent pas en cause la souveraineté de la couronne britannique imposée en 1879 sur les îles Murray au profit de la colonie du Queensland mais défendirent, sous le couvert de cette souveraineté, le maintien de leurs droits fonciers. Après dix ans de procédures, la Haute Cour rendit un jugement qui soulèva les passions, en reconnaissant l'existence de ce qu'on appelle les native land rights (ou native titles). Appliqué aux îles Murray, mais étendu à l'ensemble du continent, le Mabo Case reconnaît aux Aborigènes un droit « naturel » sur leur terre ancestrale, droit qu'ils peuvent revendiquer sur « les terres vacantes de la couronne » Les juges, en reconnaissant aux Aborigènes des droits fonciers spécifiques, ont rejeté par là même le dogmes fondamental de la nation australienne qui avait prévalu jusque-là : la doctrine de la terra nullius.
Actuellement, les Aborigènes ont des titres de propriété sur environ 12 % du territoire national. Dans le Territoire du Nord, ils possèdent quelques 480 000 km2, soit plus d'un tiers de la superficie du Territoire
Ils sont aussi « propriétaires » de deux célèbres parcs nationaux : KAKADU et AYERS ROCK/ULURU.
Mais, après l'accalmie autour des années 80/90, les tensions raciales ont repris. Influencée par certains médias, une partie de l'opinion australienne est hostile aux Aborigènes qu'elle croit « privilégiés » du fait que les lois leur accordent certaines allocations spécifiques et la possibilité de revendiquer la restitution de leurs terres ancestrales. En pratique, aucune terre n'a encore été restituée sous le nouveau régime fédéral du Native Title Act de 1993, qui reconnaît aux groupes aborigènes le droit de présenter des revendications territoriales devant un tribunal spécial. Les centaines d'actions engagées, longues et coûteuses, suscitent de multiples conflits, y compris entre Aborigènes. En revanche sont remis en cause les arrangements fonciers permis par la loi de 1976, par exemple avec les trusts miniers qui avaient accepté depuis lors de payer des compensations aux Aborigènes.
En 1997, une journée nationale du pardon, National Sorry Day, fut pourtant instituée le 26 mai de chaque année pour faire connaître le tort qui a été causé aux familles indigènes par les générations volées et pour que le « processus de cicatrisation » puisse débuter.
Mais en 2001 cependant, une différence d'espérance de vie de 17 ans séparait toujours les Aborigènes des autres Australiens. Il y eut des débats, souvent acrimonieux, quant aux réponses à donner au problème de l'alcool, à la dépendance des indigènes à l'aide financière de l'état et au besoin d'un grand geste symbolique de réconciliation mené par le Parlement. Si les descendants d'Aborigènes sont désormais de plus en plus nombreux à revendiquer leur identité aborigène, il reste que les statistiques révèlent toujours une situation sociale dramatique pour une grande partie de ce peuple. Constituant presque 2 % de la population australienne (dont un quart dans le nord du continent), ils représentent 40 % des effectifs dans les prisons. Les taux de mortalité des enfants et des adultes par maladies, accident ou suicide sont ceux du quart-monde. Malnutrition, alcoolisme et violence domestique s'aggravent dans les villes et les comm.unautés de brousse les plus isolées, qui pourtant tentent d'y interdire l'alcool
En 2008, le premier ministre Kevin Rudd prononça un discours solennel, et, au nom du parlement, s'excusa auprès des Aborigènes, pour les maltraitances qu'ils ont subi. "Pour la première fois depuis longtemps, la communauté indigène se sent véritablement appartenir à l'Australie, elle sent qu'elle est acceptée par l'ensemble de la nation australienne. L'enjeu est de souder un pays, de reconnaître notre passé et d'aller de l'avant en s'acceptant les uns les autres comme les frères et les soeurs de cette nation", a déclaré Mark Bin Bakar, doyen de "Générations volées".
les Aborigènes sont actuellement autour de 257 000 dont 28 000 Insulaires du Détroit de Torres et un tiers de métis. Ils représentent 1,5 % de la population totale. L'accroissement de la population est dû à un taux de fécondité élevé des femmes aborigènes car le taux de mortalité reste très élevé.
Un tiers d'entre eux vivent en zone rurale. Moins d'un quart en zone urbaine avec un mode de vie à l'occidental. Le reste, soit la majorité, vit dans l'arrière-pays semi-aride de l'Outback, selon leurs usages traditionnels. Le Territoire du Nord possède la plus grande densité d'Aborigènes et 22 % de la.
population aborigène totale,plus ou moins sédentarisées.
Ceux des villes, au nombre de 90 000 forment la seule classe nécessiteuse d'Australie. En 1991, le taux de chomage est 2 à 3 fois plus important que dans le reste de la population australienne. La raison majeure est le manque d'un niveau suffisant d'études et de qualification professionnelle.
« La réconciliation a souvent été perçue comme un échec en Australie, ce qui est vrai au regard des questions de l’autonomie politique et des droits fonciers autochtones puisque le projet de traité a été abandonné) Elle a cependant imposé la révision de l’histoire officielle (L’invalidation de la terra nullius et de la discrimination par l’« Australie blanche » tout comme la reconnaissance des violences coloniales, donc les aspects fondamentaux de la révision de l’histoire, sont en revanche communément et fermement établies) et a permis qu’y soit intégrée une réflexion sur les origines et l’avènement de la nation qui apparaît aujourd’hui comme véritablement démocratique. Reste à savoir si l’histoire officielle révisée servira aussi les intérêts des Aborigènes dans le sens d’une reconnaissance concrète de leur place au sein de la communauté nationale et non dans celui, réducteur, d’une redistribution des rôles. » Alexandra Sauvage-Garduño. Premiers Australiens !
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