« Liseur d'entrailles et de destins violets
Récitant de macumbas
Mon frère
Que cherches-tu à travers ces forêts
De corne de sabots d'ailes de chevaux »
- Aimé Césaire, " Wifredo Lam...", Moi, laminaire... –
« Wifredo Lam, homme multiculturel, interculturel, qui unissait en lui les quatre continents, restera une référence pour les générations à venir. Il est le pionnier d'un art universel métissé, issu du Tiers Monde. Il est et sera présent dans toute sa grandeur sur la planète toute entière, enfin sera celui «qui rappelle le monde moderne à la terreur et a la ferveur premières», selon la parole d'un de ses frères,. »Aimé Césaire.
(C’est moi qui souligne dans les extraits de textes)
Comme l’écrit Pierre GAUDIBERT, dans sa préface au livre consacre à LAM METIS ED.DAPPER,il est désormais possible aujourd'hui de retracer dans son entier la trajectoire de Wifredo Lam et de la situer dans l'histoire de l'art moderne, celle d'un peintre cubain, c'est-à-dire latino-africain, devenu universel. Un élargissement progressif, depuis l'espace local de la naissance et de l'enfance, une petite cité de la côte nord de Cuba, à toutes les composantes de son héritage familial et à un nomadisme planétaire, qui le conduisit de l'Europe aux Etats-Unis, du Kenya en Afrique et Inde en Asie; une formation académique à Cuba et en Espagne, la découverte au musée du Prado du Gréco, de Goya, de Jérôme Bosch et de Breughel, surtout celle de Durer, ainsi que des peintres "révolutionnaires" européens de la première moitié du XXe siècle. La venue à Paris après la guerre civile espagnole, l'amitié de Picasso qui jouera le rôle d'un incitateur à la liberté et non d'un maître à imiter, la rencontre des surréalistes et leur impact sur son œuvre dès le regroupement de Marseille, le retour au pays natal, « l'élaboration en 1943 d'une œuvre maîtresse, La Jungle qui fit scandale lors de sa première apparition publique à la galerie Pierre Matisse de New York, avant d'aller rejoindre le Guernica de Picasso au Musée d'art moderne de la même métropole. Désormais la voie était ouverte à sa propre alchimie... »
Cadet de huit enfants ,Wifredo Lam (Wifredo Oscar de la Concepciôn Lam y Castilla) est né le 8 décembre 1902, année de la proclamation de la république de Cuba, à Sagua la Grande (province de Villa Clara). Son père, Lam Yam Chinois lettré venu de Canton, joignait à des activités artisanales celle d'écrivain public auprès des membres de sa communauté d'origine. Sa mère, Ana Serafina Castilla était de double ascendance : africaine par sa mère, déportée des terres kongo, et hispanique par son père, descendant d'Alvar Nunez Cabeza de Vaca (ça 1500-ça 1560), l'un des rares défenseurs des peuples amérindiens pendant la Conquista.(l’enfant Lam eut son enfance bercée par les récits des faits et gestes de cet ançêtre surnommé « main coupée »).
Elevé dans un environnement qui mêlait le catholicisme aux cultes voués aux dieux d'Afrique, le jeune Lam fut introduit, mais sans y être véritablement initié, dans la santeria par sa « marraine »en religion, Mantonica Wilson. Laquelle décela qu'il était placé sous la tutelle du dieu Shangô et, de surcroît, qu'il disposait des qualités mentales et spirituelles qu'exigé l'exercice de la divination
Il est donc nécessaire d’évoquer d’abord les Antilles (et donc Cuba) au départ de ce qui fut un parcours initiatique. Toutes LES Antilles furent peuplées de manière semblable, par des immigrants volontaires ou forcés: Européens, qui se les approprièrent et y régnèrent en maîtres; Noirs déportés d'Afrique, réduits en esclavage par les premiers; Métis, qui naquirent de la rencontre de ces deux éléments. Par la suite, d'autres étrangers arrivèrent, souvent de très loin, d'Asie par exemple. Malgré cette similitude de peuplement, les Iles diffèrent pourtant sur le plan humain. Elles subirent longtemps la loi de trois puissances non identiques par l'esprit. l'Espagne, la Grande-Bretagne. La Jamaïque vit à l'anglaise; la Martinique, la Guadeloupe ont des habitudes françaises. La "culture antillaise" se présente encore à l'état de syncrétisme, où se mélangent les apports des anciens dominateurs et ceux des traditions africaines, introduites par les esclaves. Néanmoins cette culture prend conscience de soi, se précise dans les revendications politiques, dans les œuvres des écrivains, des artistes
Aussi bien la réalité de Cuba et des Antilles ne fut-elle jamais pour Wifredo Lam lettre morte —il lui consacra un texte en 1972, une sorte de poème lyrique.
"Lumière!"
Au cri de la vigie à une heure du matin, une nuit d'octobre 1492, répond la voix de Christophe Colomb : "C'est la terre". La terre est féerique, perpétuelle voyageuse dans un espace sans limites. Jailli des quatre points cardinaux,l’rhomme se rue vers le Nouveau Monde, alors que Cuba devient le carrefour
où tous les brigands se rassemblent, maîtres, pourvoyeurs d'esclaves, et d'esclaves.
Tandis que le continent africain se dépeuple, l'Espagne castillane envoie tous ses cadets, tous ses juifs et tous ses arabes — Isabelle la Catholique expulse tous les convertis et vide les prisons— pour peupler le Nouveau Monde. Pour qu'ils conquièrent ainsi leur liberté : liberté d'apprivoiser les sauvages, de les exploiter jusqu'à la mort. Soif de l'or, volonté de puissance et d'indépendance. Après sont venus les autres : les Catalans, les Galiciens... et finalement les Chinois. Tels sont les ancêtres que Wifredo Lam revendique et, plus que personne, il représente l'héritage de la convulsion de l'homme et de la terre. Le Nouveau Monde! La terre de Cuba, si longtemps isolée au milieu de la mer des Caraïbes, une mer infestée de requins, de pirates, d'esclaves et de rebelles de toute espèce [...]"
Les espagnols installèrent l’Espagne à Cuba en projetant sur le pays leurs institutions dont leur religion mais aussi l’image de leur villes et villages (les vieux quartiers de la Havane !).Mais d’abord en moins d’un siècle ils décimèrent les indiens(dont Colomb avait célébré la douceur) par le travail forcé, les épidémies l’acculturation.. Arrivés pourtant dans l'île environ mille ans avant notre ère, les Si-boney, d'origine aztèque selon certains, modifiaient la forme des coquillages marins, afin de s'en servir pour divers usages, taillaient des symboles de pierre, composaient des colliers avec des vertèbres de poisson. D'autres, les Taïno, survenus plus tard, peu avant les Espagnols, ornaient de figures leurs poteries, gravaient des motifs géométriques sur des plateaux d'offrande et des sièges cérémoniels, manifestant ainsi des dons décoratifs. Des statuettes évoquent leur monde peuplé de divinités. D’eux pourtant, il ne reste que quelques vestiges.
La main d’œuvre indienne disparue,il fallait en trouver une autre pour servir dans les plantations : En 1595, un siècle après l'arrivée de Colomb, le roi d'Espagne donne satisfaction à ses sujets lointains: il autorise le transfert à Cuba des esclaves africains. La culture de la canne à sucre va prendre son plein essor. Ce fut la traite négrière, douze à quinze millions de Noirs arrachés à l'Afrique en trois siècles, dont un million d'esclaves environ, peut-être davantage, déportés à Cuba.
"Étonnante vitalité de l'Afrique! Quoi qu'il en fût, elle était à Cuba. Elle s'y enracinait. Les esclaves avaient apporté avec eux ses coutumes, ses pratiques, ses croyances, son génie. Ses dieux n'étaient pas morts dans les cales de la Traite. Ils cicatrisaient les blessures creusées par les lanières dans la chair noire. L'invisible, sur lequel ils régnaient, se confondait maintenant avec la terre originelle perdue.
Dans le soir des plantations, après le labeur épuisant du jour, des danses reprenaient, celles qui relient les vivants aux Ancêtres générateurs, aux forces magiques du monde. Prohibés, les rites devenaient secrets, persistaient sous le couvert du culte des maîtres, Proscrites, les divinités du Dahomey, du Congo, de Guinée, se cachaient sous les noms et les attributs de celles qu'imposaient les Blancs et leurs prêtres. Après tout, il ne s'agissait que d'avatars, et les dieux doubles ont peut-être un double pouvoir... Cuba fut de ces lieux où le syncrétisme montre comment les hommes inventent leurs dieux et leur sacré. »MAX POL FOUCHET.WIFREDO LAM.ED.CAHIERS D'ART.
Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, Cuba vit arriver de nouveaux immigrants, certains d'Europe, mais d'autres, incomparablement plus nombreux, de la vieille Chine. Les Chinois effectuaient le voyage sans y être contraints, attirés par le Nouveau Monde, par ses possibilités, ses promesses. Dans l'Ile, beaucoup travaillèrent au sol. La plupart néanmoins préférèrent être employés dans les villes petites ou grandes. Industrieux, ils y accomplissaient des tâches modestes, avec l'espoir de s'élever dans la société, grâce à des économies accumulées avec patience et austérité. Artisans habiles, commerçants avisés, ils constituèrent des communautés à part. Bientôt ils eurent leur quartier à La Havane.
Parmi les Chinois débarqués dans l'Ile au siècle dernier, l'un d'eux s'appelait Lam Yam, nom qui signifie "l'homme- de- la-montagne- agreste-regardant-le- ciel".
La tentation est donc forte d'expliquer par les origines d’un artiste le caractère de son œuvre. Aucun artiste créateur n'est indépendant de certaines fatalités. Nul n'en est pourtant dépendant, à moins qu'il ne le décide. Séparer Wifredo Lam d'une certaine ancestralité serait aussi déraisonnable que de trouver en celle-ci un déterminisme auquel son œuvre ne pouvait échapper. Trois strates ont bien métissé l’enfant Lam. celle des origines, celle des conquérants, celle des esclaves et des émigrants ; elles témoignaient du métissage historique de l'Ile, (dont la prédominance de l’Afrique)mais aussi de la persistance de sa fécondité, de sa puissance de vie. À sa naissance l’enfant bénéficia donc d'un legs à la fois africain, chinois, indien, espagnol. L'abus serait d'éclairer sa création par un recours constant à cette conjoncture. michel leiris dans le livre qu’il consacre au peintre le souligne : « L'on sait —ou l'on devrait savoir—qu'un homme ne doit guère que ses caractères corporels à la race ou aux races dont il est le produit »
Se borner à leur considération, c'est risquer de ne pas entrer dans le lieu où s'opère la transfiguration des événements en substance, où le vécu se métamorphose en signes permanents de l'existence. Ainsi les souvenirs n'ont-ils pas à se satisfaire d'eux-mêmes, mais, sous peine de rester épisodiques, il leur faut devenir mémoire, afin de révéler leur action transformatrice, stylisante.
Plutôt que strict déterminisme il faut faire la part de ce qui va forger les fondements de l’imaginaire de l’enfant et du futur artiste .
Sa mère, Ana Serafina Lam, était une métisse qui avait hérité les croyances afro-cubaines traditionnelles d'une mère congolaise déportée à Cuba comme esclave et affranchie par son mariage avec un mulâtre.Si les enseignements et les coutumes de son père l'ont indéniablement marqué, ce sont les pratiques culturelles et religieuses de sa mère qui ont joué un rôle déterminant dans sa formation. il entendait parler différentes langues africaines vernaculaires . Les Afro-Cubains de Sagua la Grande et des autres régions de l'île pratiquaient déjà les religions traditionnelles tout en se considérant comme des catholiques. Ils ne voyaient pas le fait d'aller à la messe ne les empêchait pas d'honorer les orishas (voudun yoruba)au cours de la même journée, d'autant que, dans ce système de croyance syncrétique, chaque divinité africaine s'incarne dans un ou plusieurs saints catholiques.
Wifredo Lam eut un guide spirituel en la personne de sa marraine, celle qui lui ouvrit le monde des noirs, Mantonica Wilson, une des prêtresses couramment appelées santeras. Celle-ci officiait dans le culte de Shangô, sa divinité tutélaire ; Souffrait-on de quelque maladie, Mantonica d'abord invoquait Shangô, le vodun yoyouba dont l'ashè, la puissance sacrée, se symbolise dans une hache à double tranchant, le Maître du tonnerre, venu des pays de la Côte des Esclaves et aujourd'hui encore présent dans les cérémonies des Iles comme dans les candomblés du Brésil. Elle plaça le jeune Wifredo Lam sous l'égide de cette divinité et il gardé toute sa vie l’amulette qu’elle lui confia..
Wifredo pénétrait ainsi dans un monde peuplé d'invisibles. Dans les jardins vivaient des jumeaux mystérieux, les Ibéji. Il lui fallait se méfier des Cicirikus, esprits de petite taille, aux dents très pointues. «Ne va pas te baigner dans la rivière, lui conseillait la guérisseuse, elle est habitée par les Guije. Ils te prendront et t'emporteront avec eux.» La sensibilité de l'enfant devait ainsi être attirée par un monde autre, par une autre face des gens et des objets, par ce qui apparaît à travers l'épaisseur, et que certains sont seuls à voir.
"Quand j'étais petit, j'avais peur de mon imagination. Au bout de Sagua la Grande, près de notre maison que tu connais, commençait la forêt... Je te disais que, chez moi, on parlait des morts. Je n'ai pas vu de fantômes, mais je les inventais. Si je me promenais pendant la nuit, je craignais la lune, l'oeil de l'ombre. Je me sentais à part, différent des autres. Je ne sais pas d'où cela provient. Je suis ainsi depuis mon enfance…"
Hallucinations ? Angoisses ou fantasmes ? C’est l’artiste lui-même qui nous fait part de curieuses expériences enfantines dont il souligne l’importance. Au foyer familial, les miroirs l'attiraient et l'inquiétaient. Un jour qu'il se regarde dans l'un d'eux, il voit dit il une lumière derrière son visage, comme arrivée de loin... Bientôt, à côté de son reflet, se montre une seconde tête. Il ne pourra plus se regarder dans les glaces sans que se manifeste l'autre, un autre. «Les miroirs furent, pour moi, un mystère.» Le second visage disparut seulement lorsque Wifredo atteignit sa dix-huitième année. Cet étrange vision de sa jeunesse, on peut la retrouver dans certaines de ses œuvres
Les ombres, les lumières, dans la maison, composaient des formes mouvantes qui se surimposaient à celles des objets Un matin, l'enfant reconnaît l'une d'elles. Dans un coin au-dessus d'un lit, pendaient de grandes ailes, de part et d'autre d'un petit corps. Wifredo reconnait ainsi une grande chauve-souris. L'animal possédait, aussi, deux têtes...
L'événement assez fut déterminant. Pour que Wifredo Lam lui consacre toute une partie de sa biographie-poème «. «Pour moi, dit-il, cette figure avait deux têtes. Sur la campagne, dans la rue, sur le jardin, dans le ciel, le soleil règne, tyrannique. Aucun obstacle ne lui résiste : ni la fenêtre fermée, ni la porte close de la maison de bois ne l'arrêtent. Les rayons de lumière pénètrent par toutes les fentes et se projettent, changeant la pièce en lanterne magique, inversant toutes les images qui surgissent et disparaissent aussi vite sur le mur et le plafond de la chambre de ma mère. Toutes ces ombres chinoises qui se dévorent l'une l'autre: un cheval qui passe, des hommes, une charrette et sa roue forment un cercle mobile. De la rue, vient le bruit de tout ce qui passe, inversé, dans la chambre: un bruit infernal. Pour la première fois, j'éprouve le vertige de la solitude, la distance entre les objets, et ma mesure. Dans ce petit espace, je ressens pour la première fois le regard des objets sans nom. Cela se passe en 1907. Ce jour-là marque le début, pour moi, du sentiment de l'écoulement des jours, d'une liaison dans la mémoire et d'un temps qui ne s'arrête pas. Dans cette chambre, dont l'armoire ouverte montre, comme un homme décapité, les vêtements de mon père, le miroir reflétait la féerie des images mobiles, ma propre image et celle de la chauve-souris réveillée, au vol oscillant, à la poursuite de son ombre.»
«De ce matin de 1907, de la présence de cet oiseau affolé, date le premier moment de ma conscience d'être là.»
Michel Leiris a écrit que Wifredo Lam a assisté, dans son enfance, à des cérémonies purificatoires « opérées à l'aide de trois ou quatre pintades sur lesquelles on passait les mains pour se débarrasser des souillures». On ne sait pas si le jeune homme a participé à des rituels après avoir quitté sa ville natale pour La Havane en 1916. Après son départ pour l'Europe en 1923, il avait apparemment décidé de ne plus adhérer à aucune religion à proprement parler. Ce choix personnel ne modifiait pourtant en rien son désir de refléter dans son art les convictions culturelles et religieuses qui sous-tendent la vie des Afro-Cubains. Les souvenirs de Sagua la Grande émaillaient ses conversations avec Pablo Picasso et ses amis dans le Paris de la fin des années 1930 ou bien plus tard encore, à la fin des années 1960, quand il est revenu à Cuba avec son biographe Max-Pol Fouchet. Wifredo Lam n'a jamais oublié ce qu'on lui avait raconté sur les gnomes qui hantaient les cours de maison, ni sur les esprits qui peuplaient la rivière proche de chez lui. De retour à La Havane, l'été 1941, il retrouva avec plaisir le son des tambours afro-cubains, ainsi que le spectacle des danses cérémonielles, « des carrefours jonchés de grains de maïs et des coqs tués, ornés de colliers de perles ».
Plus tard s’opèrera à travers l'excitation poétique
et l'imagination créatrice une reprise de la « culture nègre » l'une de ses racines, qu'il avait connu "dans la confusion de l’enfance auprès de sa marraine magicienne, mais aussi à travers sa découverte de la sculpture noire, d'abord en Espagne, puis à Paris au musée de l'Homme, en compagnie de l'écrivain Michel Leiris, avant de vivre avec sa propre collection d'œuvres venues d'Afrique comme d'Océanie. Il faut y ajouter sa connaissance des cultes noirs, de la santeria à Cuba, des rituels Vaudou en Haïti aux côtés d'André Breton et de Pierre Mabille, lui suggérant une série d'êtres fantastiques qu’ils ne restituera jamais dans une fidélité littérale mais selon leurs propres lois de métamorphose et de fusion perpétuelle.
Dans un texte pour la présentation d'œuvres de Wifredo Lam à la galerie Lelong à Paris (1988), Ulrich Krempel résumait avec force la situation de l'artiste: «Wifredo Lam, peintre cubain, est aujourd'hui une figure historique du XXe siècle... Lam fut le premier artiste du Tiers Monde dont l'œuvre, a l'instar de celles des cubistes et des expressionnistes, transgressa les frontières de l'origine, de la religion et du milieu culturel propre».
Pierre GAUDIBERT,pour sa part, insiste sur l'émergence a travers son exemple symbolique de ce métissage culturel et artistique qui va a coup sûr dominer l'horizon du XXIe siècle. Et non plus à sens unique ainsi qu'en avaient témoignés les emprunts transposés dans la peinture de Gauguin aux dieux et aux arts de Tahiti, puis les mainmises sur le primitivisme, formelles ou émotives, des créateurs européens du début de notre siècle, mais selon la formule d'André Breton, "le chemin inverse" — inverse également des routes des grandes découvertes des XVe et XVIe siècles — celui de tous les créateurs issus de ces zones du monde non-occidental, des pays dits non sans ambiguïté "en développement". (ou émergeants plus récemment).Toutes ces individualités que l'on connaît ou que l'on pressent dès maintenant, si désireuses de s'exprimer et de trouver une reconnaissance internationale, dans un troisième monde qui veut «mettre une frappe de l'univers à son effigie» (Aimé Césaire).
Déjà dans sa période parisienne (1938-1940) ce n’était pas soif d’exotisme qui lui faisait interpréter dans ses peintures des structures de la statuaire noire ;il puisait naturellement dans une de ses propres sources : ce qui fit s’exclamer Picasso furieux de ce qu’on reprochait précisemment à Lam ces emprunts "II a le droit, lui. Il EST nègre!". Mais l’artiste ne se limita point à cette donnée ancestrale, pas plus dans sa formation que dans son accomplissement.
Pas plus qu'il ne s'imprégna seulement des rituels africains. On a récemment indiqué, selon des informations transmises par sa seconde femme chimiste, qu'il se préoccupa de l'alchimie: une tradition ésotérique qui relie l'Occident à l'Orient, un des autres pôles de son héritage familial et que Jung, connu de Lam, étudia de très près. De plus, il accomplit une synthèse rare entre le rationalisme issu d'une expérience de l'Europe, avec l'esprit d'analyse critique, et des croyances, pour lui absolument évidentes, des magies de son pays, dont il certifiait qu’il les avait "vus de ses propres yeux »..
"La peinture de Lam n'est ni nègre, quand même elle a retrouvé la Trace, ni chinoise ni amérindienne ni hindoue, ce serait là tout au plus un beau folklore, ni «universelle», ce serait une plaisante vacuité, une élégante suspension dans un non-lieu sans vertiges. La peinture de Lam lève en nous le lieu commun des imaginaires des peuples, où nous nous renouvelons sans nous altérer……
Toi diseur [...] oh capteur [...] eh détrousseur [...]», écrivait Aimé Césaire dans sa Conversation avec Mantonica Wilson, un des nombreux textes poétiques dédiés à Lam, comme aussi cette Genèse pour Wifredo dont le titre me frappe. Genèse, à mon sens, non pas d'un monde originel unique, mais d'un univers en Relation dont la source première, l'africaine, longtemps la plus déniée, s'affirme, à la manière cependant d'un réceptacle où toutes les rencontres se jouent. Cette souche était primordiale mais elle ne fut pas unique. Son bonheur au contraire, et son génie, fut ici de participer.
Sur cette épaule des dieux, l'œuvre de Wifredo Lam est une épure enluminée de tous les possibles du monde. " EDOUARD GLISSANT.L'ART PRIMORDIAL DE WIFREDO LAM.
Sa famille constatant le goût qu'il manifesta très tôt pour le dessin ne s'opposa pas, en dépit de moyens modestes, à sa volonté de suivre, à partir de 1918, les enseignements dispensés par la célèbre académie San Alejandro, à La Havane. En 1923, après une exposition personnelle à Sagua la Grande, bénéficiant d'une bourse accordée par la municipalité de sa petite ville natale, Wifredo Lam partit pour l'Europe afin de compléter sa formation artistique..
A SUIVRE
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