Ayant beaucoup moins perdu que les précédentes de la charge magique qui justifie leur existence sont à nos yeux les produits de l'activité de groupes ethniques subsistant disséminés, qu'on désigne, dans leur ensemble, du nom asssez impropre de « peuples primitifs » et auxquels continuerait à mieux s'appliquer le terme de « sauvages », s'il n'avait pris un sens péjoratif. Il s'agit, en effet, de vieux peuples qui, sous la pression de races jeunes en puissance d'instaurer un nouveau mode de vie qui implique une évolution continue, ont été, soit acculés aux extrémités des continents, soit confinés dans les régions les plus ingrates de la terre. La précarité de leurs ressources, qu'ils ne peuvent demander qu'à la chasse, à la pêche, à un maigre élevage et à des moyens de culture demeurés rudimentaires, offre un saisissant contraste avec la luxuriance de leur art, élaborant pour chacun des groupes considérés son style propre. Les ethnologues s'accordant à voir dans le totémisme la base de leur organisation sociale, cet art, qui a bénéficié d'un intérêt croissant au cours de ces dernières décades, peut être tenu pour magique au premier chef. Au terme des trois beaux ouvrages qu'elle a consacrés au totémisme magique, Lotus de Païni, dont la documentation ne le cède en rien à celle des ethnologues professionnels mais qui, par bonheur, est préservée de leur myopie, rend grâce à la seule magie d'avoir successivement doté la créature humaine du Sentir, du Penser et du Vouloir. « Aujourd'hui, dit-elle, chaque grande race d'homme s'enlace dans une trame spirituelle en profondeur, trame de conte de fées, faite de sentir animal, de mystérieuses plantes et de pierres dures... Il est temps de remettre dans son cadre historique la vieille conception tant décriée... Le grand Totem domine toute la vieille histoire, il faut le savoir. » L'art qui en maintient l'esprit vivace jusqu'à nous (en particulier celui de l'aborigène australien, du Néo-Guinéen, de l'Indien de la côte Nord-Ouest) teclame une place de choix dans un ouvrage comme celui-ci. ANDRE BRETON L’ART MAGIQUE
1. Intro And Prelude (How The West Was Lost) - Sacred Spirit
L’artiste primitif pratiquerait naturellement une synthèse entre ce que perçoit l'œil - le monde extérieur : la forêt, les animaux, la mer - et ce que lui dicte son inconscient. L'infaillibilité de l'artiste sauvage tiendrait, ici, à cette intuition fondamentale : l'œuvre d'art, poussée par la nécessité « intérieure » ne peut être élaborée sans le concours de la nécessité extérieure, c'est-à-dire la Nature. L'Occident aurait choisi la mauvaise solution, en constituant l'art comme un comportement en marge ; en laissant croire que l'œuvre était d'une autre essence que les productions spontanées de ta nature : la feuille, le plumage, le cristal. Le sculpteur Primitif, lui, possèderait le secret de « l'unité rythmique », notion-clé de l'esthétique de breton, de sa conception d’une « Beauté Convulsive » parce qu’ « Explosive Fixe ». Ce qu’il définit ici comme unité rythmique exprime justement l'union, l'accord du monde extérieur et de la pulsion, l’harmonie qui doit exister entre le produit de l'activité humaine et le milieu où ce produit a été élaboré.
Breton prisait justement l'art océanien et l'art indien d'Amérique pour les juxtapositions provocantes de plasticité sculpturale et de bidimensionnalité décorative par lesquelles s'exprimaient des métaphores du monde de la nature et de celui de l'esprit, il estimait qu'ils lui fournissaient un modèle pour les images évocatrices qu'il recherchait dans ses poèmes. « Voyez quelle justification ces objets apportent à la vision surréaliste, quel nouvel essor même ils peuvent lui prêter. Ce masque eskimo figure le cygne qui conduit vers le chasseur à baleine blanche, au printemps, [...], dans l'encadrement crénelé de la tête [d'une poupée Hopi] vous découvrez les nuages sur la montagne ; dans ce petit damier, au centre du front, l'épi ; autour de la bouche, l'arc-en-ciel ; dans les stries verticales de la robe, la pluie descendant dans la vallée [...].
Pour Breton , les artistes surréalistes(Ernst, Masson,) retrouvent cette primitivité à travers l’automatisme :l’artiste redevient comme l’oiseau dans son processus de nidification que décrit le SURREALISME ET LA PEINTURE /
« Dès l'origine du mouvement surréaliste engagé à fond dans la même lutte que Max Ernst mais en quête beacoup plus tôt de principes autorisant à se fonder sur de manière stable, André Masson rencontre l’Automatisme. La main du peintre n'est plus celle qui calque les formes des objets mais bien celle qui, éprise de son mouvement propre et de lui seul, décrit les figures involontaires dans lesquelles l'expérience montre que ces formes sont appelées à se réincorporer. La découverte essentielle du surréalisme est, en effet, que, sans intention préconçue, la plume qui court pour écrire, ou le crayon qui court pour dessiner, file une substance infiniment précieuse dont tout n'est peut-être pas matière d'échange mais qui, du moins, apparaît chargée de tout ce que le poète ou le peintre recèle alors d'émotionnel. C'est là le secret de la magnifique courbe qui, dans l'œuvre de Masson, s'est poursuivie comme d'un seul trait, quoique toujours plus sensible et plus savante, jusqu'à ce jour, prenant en écharpe les plus belles couleurs, les plus belles lumières de ce que nous avons vécu. Y préside, je le sais, dans l'esprit de Masson, la conception dialectique par excellence, à savoir, selon Hermès, que «tout est en bas comme ce qui est : en haut pour faire le miracle d'une seule chose » et, selon Goethe, que « ce qui est au-dedans est. aussi au-dehors ».
« L'automatisme, hérité des médiums, sera demeuré dans le surréalisme une des deux grandes directions. Comme c'est lui qui a soulevé et soulève encore les plus vives polémiques, il ne saurait être trop tard pour chercher à le pénétrer un peu plus dans sa fonction, pour tenter de verser au débat un argument décisif en sa faveur. Au terme des recherches psychologiques modernes, on sait qu'on a été amené à comparer la construction du nid chez l'oiseau à une mélodie commencée qui tend vers un certain achèvement .. Je soutiens que l'automatisme graphique, aussi bien que verbal, sans préjudice des tensions individuelles profondes qu'il a le mérite de manifester et dans une certaine mesure de résoudre, est le seul mode d'expression qui satisfasse pleinement l'oeil ou l'oreille en réalisant l’unité rythmique (aussi appréciable dans le dessin, le texte automatique que dans la mélodie ou dans le nid), la seule Structure qui réponde à la non-distinction, de mieux en mieux établie, des qualités sensibles et des qualités formelles, à la non-distinction, de mieux en mieux établie, des fonctions sensitives et des fonctions intellectuelles (et c'est par là qu'il est seul à satisfaire également l'esprit). »
L'évocation de l'environnement physique des cultures primitives était un thème fréquemment utilisé par Breton dans ses œuvres. Les scènes étranges et attirantes de nature sauvage et sans entraves jouent un rôle majeur dans Martinique Charmeuse De Serpents, écrit avec Masson en 1948. En 1937, Breton avait publié L'Amour Fou où il décrit des plantes et des décors exotiques qui incarnaient pour lui les merveilleuses incongruités et les prodiges mystérieux que seule la nature préservée des artifices modernes peut produire. La nature qu'il exalte est en dehors du temps, située en Océanie et profondément enracinée dans un passé primordial .C’est une nature qui transcende l'homme et qui pourtant peut le conduire au-delà des barrières et des limitations des réalités manifestes, quotidiennes. Breton voyait dans ce cadre naturel primordial et évocateur « un pays de rêve », où les restrictions de la société étaient abolies et où un état d'harmonie naturelle permettait à l'homme d'exercer les désirs profonds et innés de l'inconscient.
L'œuvre va donc émouvoir(la beauté sera convulsive !) quand elle exprime ce moment ténu et fragile où la vibration commençante de la vie (lever du soleil, bourgeonnement de la flore, multiple grouillement des organismes marins) habite une peinture, communique son frémissement au bronze. L’œuvre humaine comme ce manteau des chefs hawaïens rejoint le règne minéral surtout quand il est mis en scène par l’homme(La Grottes Aux Fées de Montpellier). L'exemple du « splendide et convulsif manteau (...) des anciens chefs hawaïens» que Breton développe dans L'Amour Fou illustre ce dynamisme de la nature. Le frémissement du manteau « fait de la répétition à l'infini de l'unique petite plume d'un oiseau rare », appartient au règne animal ; mais le poète voit un analogue dans le règne minéral : le vêtement de plumes évoque le « manteau minéral gigantesque » de la grotte des Fées, près de Montpellier, lorsqu'il s'anime « sous la lumière d'un projecteur », qui en révèle un à un les plis-Ce manteau de plume ou de pierre dit le vol de l'oiseau, suggère la tectonique, la concrétion obstinée. Il est rythme naturel fabriqué par l'homme (ou, dans le cas de la stalactite, mis en scène par lui).
« je me revois maintenant dans une grotte du Vaucluse en contemplation devant une petite construction calcaire reposant sur le sol très sombre et imitant à s'y méprendre la forme d'un œuf dans un coquetier. Des gouttes tombant du plafond de la grotte venaient régulièrement heurter sa partie supérieure très fine et d'une blancheur aveuglante. En cette lueur me parut résider l'apothéose des adorables larmes bataviques. Il était presque inquiétant d'assister à la formation continue d'une telle merveille. Toujours dans une grotte, la Grotte des Fées près de Montpellier où l'on circule entre des murs de quartz, le cœur retarde quelques secondes de battre au spectacle de ce manteau minéral gigantesque, dit « manteau impérial », dont le drapé défie à jamais la statuaire et que la lumière d'un projecteur couvre de rosés, comme pour qu'il n'ait rien à envier, même sous ce rapport, au pourtant splendide et convulsif manteau fait de la répétition à l'infini de l'unique petite plume rouge d'un oiseau rare que portaient les anciens chefs hawaïens.
Cette royauté sensible qui s'étend sur tous les domaines de mon esprit et qui tient ainsi dans une gerbe de rayons à portée de la main n'est, je crois, partagée pleinement de temps à autre que par les bouquets absolus offerts du fond des mers par les alcyonaires, les madrépores. L'inanimé touche ici de si près l'animé que l'imagination est libre de se jouer à l'infini sur ces formes d'apparence toute minérale, de reproduire à leur sujet la émarche qui consiste à reconnaître un nid, une grappe retirés d'une fontaine pétrifiante. Après les tours de châteaux aux trois quarts effondrés, les tours de cristal de roche à la cime céleste et aux pieds de brouillard, d'une fenêtre desquelles, bleus et dorés, tombent les cheveux de Vénus, après ces tours, dis-je, tout le jardin : les résédas géants, les aubépines dont la tige, les feuilles, les épines sont de la substance même des fleurs, les éventails de givre. »
ANDRE BRETON.L’AMOUR FOU
De ce point de vue, le surréalisme propose clairement une réinterprétation du concept de « primitif » : celui-ci n’est pas « premier » au sens où il serait au point de départ d’une évolution valant comme une complexification croissante de l’humain (la primitivité renvoyant alors à l’enfance de l’humanité) ; il est « premier » au sens où il porte en lui, à l’état sauvage, naissant, le principe de l’humanité, tel qu’il a pu être occulté par des siècles de civilisation et dont la scission actuelle de l’intellect et de la sensibilité est le symptôme le plus criant.
Les peuples de couleur - tout particulièrement noir et rouge -[...] sont restés les plus près des sources », déclare- BRETON en 1945. Il précise, pour le même public haïtien, quelques semaines plus tard : « La pensée dite "primitive" [...] vous reste moins étrangère qu'à nous autres et [...] d'ailleurs se montre étrangement vaillante dans le vaudou haïtien ».
Loin d'etre le témoignage arriéré d'ages historiques révolus, le primitif reste un être toujours vivant, qui témoigne, face à la suffisance occidentale, de la possibilité d'une autre vie. Autant que la nature du message compte son actualité. Que le primitif soit notre contemporain, que sa pensée soit conservée par des collectivités humaines entières, procurerait l'assurance que le chemin d'une révolution mentale reste tracé, et viable, pour l'homme d'Occident.
l'artiste, papou ou maori, est capable du « plus grand effort immémorial [...] pour ne pas s'en tenir à l'écorce et remonter à la sève [...] ) » Il assure, infailliblement, le triomphe du subtil sur l'épais, seul alchimiste à accomplir, dans une société qui l'honore, le grand œuvre.
Ainsi conçue, la primitivité se situe aux antipodes de l’homme civilisé, aliéné par le rationalisme étroit et la morale contraignante qu’impose la civilisation. elle correspond à l’image d’une humanité réconciliée avec elle-même, restaurée dans ses pouvoirs psychiques originaires. En revenir aux primitifs, c’est donc en revenir à cette affectivité première qui exprime de manière immédiate les rapports de l’homme et de la nature. Ainsi, l’intérêt des surréalistes pour les primitifs et leurs œuvres tient à ce qu’ils donneraient t à l’homme d’aujourd’hui la mesure de « ses pouvoirs perdus », et de son « aliénation ». Le primitif est bien la figure inversée de l’ homme civilisé(tout en lui étant contemporain) à la spontanéité aliénée, aux pulsions refoulées qui ne communique plus avec la nature, mais porte sur elle –comme sur lui-même, d’ailleurs– un regard distant, rationnel et moralisateur.
Il convient d’en donner ici quelques illustrations à travers la démarche de deux artistes surrealistes:
De même que Breton, André Masson était engagé dans le primitivisme sur le plan intellectuel comme sur le plan artistique. En 1943, il réalisa une peinture reflétant les liens interculturels entre les mythes classiques et tribaux qui, à partir des années vingt, exercèrent une grande influence sur son évolution. Intitulée LA LEGENDE DU MAIS, ce tableau illustre une légende iroquoise sur la relation mythique entre la déesse du maïs et le soleil. . Masson avait utilisé Le Rameau d'or de Frazer comme source du mythe, mais son attirance pour celui-ci résidait en partie dans sa duplication presque exacte de la légende d'Apollon et Daphné, thème qu'il avait traité en 1933.(signe manifeste, pensait il de l’existence de l’ inconscient collectif) Il est significatif ,à la lumière des propos pécédent de Breton sur l’unité rythmique, que Masson ait peint La Légende du maïs alors qu'il vivait aux Etats-Unis, comme si la proximité du pays et de la nature où était née la légende indienne lui avait donné l'inspiration nécessaire pour produire cette œuvre.
Le Rameau D’or et son recueil inépuisable de contes furent la source d’inspiration constante de Masson et contribuèrent à lui donner une impulsion pour ses nombreuses images de métamorphoses et de transformation symbolique de l'humain en végétal. Il s’inspira aussi des mascarades « primitives » tels les rituel Asmat dont les costumes de fibres tout à la fois cachent le corps de ceux qui les portent, mais conservent suffisamment les formes de la tête, du visage et des bras pour que ces objets de rotin, de chanvre tressé et autres matériaux naturels, constituent une image obsédante de la correspondance de l'arbre mythique avec une personne vivante. Masson a utilisé de façon très fréquente l'image de l'arbre anthropomorphe dans ses dessins de la fin des années trente et du début des années quarante, tout particulièrement dans Mythologies de 1938, série consacrée à son exploration du mythe. Dans le chapitre intitulé « Mythologie de la nature », sept des quinze dessins sont des images de femmes-arbres. Masson recherche une véritable synthèse des formes végétales et humaines,de façon que l'image produite ne soit en définitive, identifiable ni à l'une, ni à l'autre source.
Max Ernst l’un des fondateurs du surréalisme, eut une longue carrière qui débuta avant la Première Guerre mondiale et se poursuivit jusqu'à sa mort en 1976 ; elle fut marquée par un intérêt artistique et intellectuel profond pour les cultures primitives. Etudiant en psychologie et en philosophie à l'Université de Bonn de 1909 à 1914, il combina ses lectures d'auteurs tels que Hegel, Nietzsche et Freud, avec celles de Frazer. Il resta fidèle à son intérêt pour l'ethnologie tout au long de sa vie universitaire et bien au-delà, enrichissant sa connaissance du sujet par la lecture des études, de Lévy-Bruhl à Claude Lévi-Strauss, avec qui il se lia plus tard d’amitié
« Comme Breton et Masson, et comme leurs prédécesseurs jusqu'à Gauguin, Ernst estimait que l'artiste surréaliste devait regagner l'harmonie spirituelle mythique avec la nature qui avait disparue avec l'essor du christianisme, du rationalisme occidental et de la technologie. La nature sous toutes ses formes devint le motif central de toute son œuvre, et c'est en relation avec ses sentiments pour la nature qu'il définit ses liens avec le primitif. Dans « Identité instantanée », il écrit de lui-même à la troisième personne :
Envers la « nature » par exemple, on peut observer chez lui deux attitudes en apparence inconciliables : celle du dieu Pan et de l'homme Papou qui en possèdent tous les mystères et réalisent en se jouant l'union avec elle (« il épouse la nature », « il court après la nymphe Echo », disent-elles) et celle d'un Prométhée conscient et organisé, voleur de feu, qui, guidé par la pensée, la poursuit d'unehaine implacable et lui adresse des injures grossières. « Ce monstre ne se plaît qu'aux antipodes du paysage », disent-elles encore. Et une petite plaisanterie d'ajouter : « II est à la fois un cérébral et un végétal. »
Ernst définissait ainsi la première moitié de sa relation double avec la « nature » par deux figures qui représentaient la tradition de la mythologie classique et celle de l'homme primitif ; car de même que Masson, Ernst les percevait toutes deux comme des sources d'inspiration et d'identification. Sa fascination pour la mythologie dérivait de sa prise de conscience du besoin urgent de l'Occident d'un système nouveau et plus approprié de croyances ; il mettait l'accent sur ce problème lorsque, après avoir décrit les influences culturelles de son enfance, il exprima l'espoir qu'« un jour, quelques éléments d'une nouvelle mythologie jailliront de ce drame ».EVAN MAURER . DADA ET LE SURREALISME.DANS WILLIAM RUBIN
Dans la mythologie classique comme dans la mythologie tribale, les animaux et leurs variantes anthropomorphes apparaissent comme les symboles des forces spirituelles de la nature et de la relation mystique de l'homme avec ces forces. Des images de ce type se rencontrent tout au long de l'œuvre de Max Ernst — ménagerie bizarre d'insectes, de poissons, d'animaux et d'hybrides fantastiques qui constituent son bestiaire personnel. Cependant, l'oiseau est de loin sa créature favorite, celle qu'il représente le plus souvent ; et c'est dans cette association intime avec les oiseaux l’on peut trouver la relation la plus étroite d'Ernst avec le primitif.
"En 1948, Ernst écrivait une fantaisie autobiographique qui s'ouvre sur une description de sa naissance en termes ornithologiques : « Le 2 avril (1891) à 9 h 45 du matin, Max Ernst eut son premier contact avec le monde sensible lorsqu'il sortit de l'œuf que sa mère avait pondu dans un nid d'aigle et que l'oiseau avait couvé pendant sept ans » Les oiseaux continuèrent à être des symboles vitaux au cours de son enfance. Il décrit dans le même document la mort de son oiseau apprivoisé, dont il trouva le cadavre le matin suivant, au moment même où son père lui annonçait la naissance de sa sœur. La perturbation était si grande, se rappelait Ernst, qu'il s'évanouit. Comme l'a compris Patrick Waldberg, ami et biographe d'Ernst, l'oiseau était devenu son « totem ».EVAN MAURER OP.CITE
La culture de l’ile de Pâques fut également une des sources principales de l’artiste selon des techniques diverses. Il trouva son inspiration particulière dans la représentation du dieu Maké Maké, dont les figures possédaient à la fois des caractéristiques d'homme et d'oiseau .Maké Maké était associé à la sterne fuligineuse, oiseau marin qui constituait avec ses œufs une des principales nourritures des insulaires . Des images du dieu étaient taillées dans la pierre ou le bois, ou encore peintes sur pierre. Avec les célèbres têtes et figures de pierre géantes, elles ont constitué les objets d'art les plus largement divulgués de cette culture. C'est parmi elles qu'on trouve a principale source visuelle des oiseaux anthropomorphes de l’artiste.
Semblable en cela à tant d'Européens, Ernst était surtout fasciné par les Indiens d'Amérique du Nord qu'il avait d'abord rencontrés, étant enfant, dans les romans extrêmement populaires de Karl May. Bien qu'il utilisât par la suite l'imagerie indigène de la Grande Prairie et de la côte nord-ouest, c'est celle des Hopi et des Zuni du sud-ouest qui suscita le plus d'intérêt chez lui. Après son mariage avec le peintre Dorothea Tann 1946, Ernst acheta une propriété dans la ville de Sedova, en Arizona, où ils vécurent jusqu'en 1953 dans une maison qu’ils avaient eux-mêmes construite. Breton fut le premier à rapprocher l'œuvre d'Ernst des divinités pueblo, se référant dans l'étude qu'il consacra au peintre en 1927 aux « poupées kachina du Nouveau-Mexique », Après avoir émigré en Amérique en 1941, Ernst se constitua une vaste collection de figures kachina, comme on peut le voir sur de nombreuse photographies.
Ernst créa nombre de personnages cornus dans les années 1940 et qui révèlent l'influence des kachina ; c’est surtout c'est dans Capricorne, de 1948, la plus imposante de ses sculptures qu'on mesure le mieux leur plein effet sur ses créations. Capricorne consiste en une figure à cornes assise tenant un bâton dans sa main droite, une créature à queue de poisson dans sa main gauche, et un animal sur ses genoux. Le symbole ancien du capricorne était associé à la métamorphose et à la renaissance, croyances primitives qui reflètent les sentiments d'Ernst quant à sa nouvelle vie en Arizona. Le masque cornu de la figure assise se rattache clairement à des kachina comme le grand spécimen qu'on peut voir au premier plan à gauche tel le Prêtre de la Pluie zuni du Nord .
On peut aller plus loin dans l’influence de la culture indienne. Dans sa biographie de l’artiste Valberg n’hésita pas à le décrire comme un chaman, « invocateur d'esprits cachés, dépositaire des lourds secrets »
Le chamanisme avait suscité un grand intérêt chez les chercheurs depuis les années 1880. Lévy-Bruhl par exemple associait les chamans aux cas de voyance primitive. Il en faisait les interprètes des rêves et l'incarnation de pouvoirs surnaturels, tandis que Frazer rapportait des anecdotes montrant également le chaman comme un faiseur d'images magiques qui taille des figurines humaines.
En ce sens, les signes de l’assimilation au chamanisme sont nombreuses et importantes dans la vie et l’œuvre de max Ernst .Parle t’il ainsi de lui par exemple dans son insolite biographie, qu’il écrit :
« Le 2 avril (1891) à 9 h 45 du matin, Max Ernst eut son premier contact avec le monde sensible lorsqu'il sortit de l'œuf que sa mère avait pondu dans un nid d'aigle et que l'oiseau avait couvé pendant sept ans. » Ce concept d'un être humain né d'un œuf couvé par un oiseau est constant dans la littérature chamanique. Ernst mentionnant un aigle comme l'oiseau ayant couvé son œuf fournit une autre indication importante de son identification puisque dans la mythologie rapportée par Frazer, l'aigle est justement censé être le père du premier chaman. Le rapace joue un rôle considérable dans l'initiation même du chaman, et se trouve enfin au centre d'un complexe mythique qui englobe l'Arbre du Monde et le voyage extatique du chaman. L'importance de l'oiseau comme emblème totémique d'Ernst(qui n’hésitait pas à se déguiser en oiseau comme dans une transformation chamanique et se fit peindre ainsi par Leonora Carrington.) a déjà été rapportée mais ce choix revêt une signification supplémentaire lorsqu'on sait que l'oiseau jouait aussi un rôle majeur dans la vie du chaman.
Ernst écrivit que cette nuit de 1906 où mourut son oiseau et naquit sa sœur constituait « son premier contact avec les pouvoirs de la sorcellerie, l'occulte et la magie ». Cet épisode le conduisit à une série de crises mystiques et à la confusion entre les oiseaux et les hommes, qui devinrent manifeste dans ses dessins et peintures ultérieurs, ainsi qu'il le dit lui-même. Ernst décrivit ses années qui suivirent en analogie avec les voyages initiatiques des chamans et leur rencontre avec le monde spirituel des esprits animaux. Il écrit : Excursions dans le monde des merveilles, des chimères, des fantômes, des monstres, des philosophes, des oiseaux, des femmes, des fous, de la magie, des arbres, de l'érotisme, des insectes, des montagnes, des poisons, des mathématiques et ainsi de suite. »
Pour les surréalistes, l’homme primitif à travers ses mythes, ses rituels et ces œuvres reste ainsi le dépositaire d’un savoir secret, qui le maintient en phase avec le monde naturel et qu’il faut tenter d’approcher non pas d’abord par des discours savants, mais par une empathie à l’égard de l’art et de la vie primitives qui laisse libre cours à leur « résonance intime ». De ce point de vue, le primitif met au jour sans le savoir une sorte d’inconscient collectif, impersonnel, où l’humanité puise la vérité de son propre développement. Or, ce que le poète surréaliste recherche et ce à quoi le primitif lui donne accès, c’est justement à un tel « fonds commun à tous les hommes, singulier marécage plein de vie où fermentent et se recomposent sans cesse les débris et les produits des cosmogonies anciennes, sans que les progrès de la science y apportent de changement appréciable». Ce « fonds commun », antérieur et irréductible aux valeurs de la civilisation, Breton l’appelle encore, dans l’Anthologie de l’Humour Noir, le « soi »
« Le soi est à l’esprit humain ce que l’assise géologique est à la plante. C’est dans le soi que sont déposées les traces mnémoniques, résidus d’innombrables existences individuelles antérieures. L’automatisme n’est autre chose que le moyen de pénétration et de dissolution dont use l’esprit pour puiser dans ce sol..."
Présentant l’ethnologue KAREL KUPKA (UN ART A L'ETATBRUT)qui collecta les écorces peintes des aborigène de la terre d’Arnhem (chambre des écorces du Quai Branly ) André Breton redéfinit le savoir secret et la leçon que nous donnerait l’artiste primitif :
Et, tout d'abord, quelle leçon ! La fin que poursuit l'artiste australien n'est en rien l'œuvre achevée telle que nous pouvons la cerner dans ses limites spatiales (il l'abandonne sans se soucier aucunement de sa préservation) mais bien, en tout et pour tout, la démarche qui y aboutit. « Ce n'est que le fait de peindre, nous dit Kupka, l'ACTE même de la création qui compte pour eux. » Que certaines de ces peintures soient « uniquement produites pour le plaisir de l'art créateur » ne saurait faire oublier qu'elles témoignent du même principe générateur que les autres, initiatiques, qui, sous le sceau du secret, propagent les mythes propres à la tribu. Il est flagrant que celles-ci et celles-là procèdent du même esprit, comme elles sortent des mêmes mains. Claude Lévi-Strauss, se référant à LJoyd Warner, qui a étudié les Australiens septentrionaux, considère que chez eux, «le système mythique et les représentations qu'il met en cause servent à établir des rapports d'homologie entre les conditions naturelles et les conditions sociales, ou, plus exadement, à définir une loi d'équivalence entre des contrastes significatifs qui se situent sur plusieurs plans : géographique, météorologique, zoologique, botanique, technique, économique, social, rituel, religieux et philosophique
C'est à quoi nous convie Karel Kupka, nous faisant assister à l'essor de ces œuvres qu'il suit des «yeux pour nous, à partir de l'instant nodal où elles prennent naissance .Un intense projecteur demandait à être braqué sur la trame initiale presque indifférenciée dont l'artiste seul décidera qu'elle va servir à exprimer, par exemple, le miel sauvage, la masse des algues ou le feu Nous sommes là aux sources de la représentation conceptuelle dont notre époque commence à voir qu'elle frappe de dérision la représentation perceptive. L'aborigène, qui s'y tient, fait montre sur le plan plastique d'une quasi-infaillibilité.
L'« Alcheringa », le temps des rêves, qui est aussi celui de toutes les métamorphoses... ces lames d'eucalyptus saupoudrées de pollen qui en proviennent sont celles qui nous y ramènent le mieux. Aussi discrètes que les esprits «Mimi» de la mythologie australienne qui, à la moindre alerte, soufflent sur une fente de rocher pour l'agrandir jusqu'à ce qu'elle leur livre passage, elles tablent sur l'éphémère et opèrent par enchantement.
Que l'homme, aujourd'hui en peine de se survivre, mesure là ses pouvoirs perdus ; que celui qui, dans l'aliénation générale, résiste à sa propre aliénation, « recule sur lui-même comme le boomerang d'Australie, dans la deuxième période de son trajet ».
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