Vers 8000 av. J.-C. et durant les 6000 ans qui ont suivi, (PREDORSETIENS puis DORSETIENS) au moment où le détroit de Béring était envahi par la banquise, des petits groupes de chasseurs arrivèrent en Alaska. Dans cette partie du détroit de Béring, il n'y a qu'une vingtaine de kilomètres tout au plus entre deux terres, ( trois ou quatre jours de marche). D'après les fouilles des plus vieux sites alaskans, ils appartenaient à la tradition microlithique de l'Arctique, très similaire aux groupes de Sibérie. Ces chasseurs n'ont jamais atteint la côte sud de l'Alaska ni les îles aléoutiennes. Ils se sont plutôt répandus rapidement dans le Canada arctique et le Groenland, en se développant le long du littoral, mais aussi assez loin à l'intérieur de l'Arctique central. A l’origine, chasseurs des forêts nordiques de la Sibérie, ils s'adaptèrent à des milieux différents, les régions de toundra et de banquise : froid glacial, pauvreté de la nourriture d'origine végétale, disponibilité saisonnière des protéines animales, nombre limité d'espèces disponibles, rareté du combustible et des matières premières essentielles. Ce fut la première phase d'extension territoriale d'une bonne partie de l'Arctique canadien et du Groenland, encore inhabité à cette époque.
Ils apportèrent avec eux une technologie d'outils en pierre taillée qui était totalement inconnue en Amérique, principalement des micro-lames, petites lamelles de pierre obtenues par percussion. Egalement des minuscules lames triangulaires servant de pointes de projectile et qui constituaient très probablement le premier indice de l'usage de l'arc et de la flèche en Amérique du Nord. Ces outils en pierre, tous d’une taille typiquement minuscule, étaient façonnés avec un soin méticuleux. On comptait aussi une grande variété de burins, la plupart comportant un tranchant poli. Ces derniers semblent avoir servi à une grande variété de fonctions : couper, creuser, graver et, comme ils étaient toujours façonnés de pierre très dure ils étaient idéalement appropriés pour la fabrication d'instruments en ivoire, en andouiller et en os. Des rencontres possibles avec des Indiens de l'Archaïque du Labrador leur ont permis de découvrir le harpon à tête détachable, très efficace pour la chasse aux phoques et aux morses. Cette nouveauté se répandit d'un bout à l'autre de l'Arctique et améliora de façon tangible les activités de subsistance.
Dans les endroits comportant des conditions favorables à la conservation du bois, on a trouvé des microlames insérées dans des manches. Leur fonction principale aurait été de servir de couteaux pour trancher la viande ou tailler les peaux pour les vêtements. Il y avait aussi une grande variété de grattoirs, de couteaux et d'herminettes. Les instruments importants en os et en ivoire étaient les aiguilles avec un chas creusé au lieu d'être perforé à la mèche et une variété de harpons à tête basculante. On trouve aussi des objets d'art en ivoire, en os, en bois et en stéatite.la sculpture de l'ivoire de morse, de l'andouiller de caribou, de l'os, de la steatite (pierre à savons) évoque fortement des pratiques chamaniques.
Les habitations rectangulaires de ces populations étaient déjà semi-souterraines avec foyer central.et comportaient un couloir d'entrée, comme celles des Esquimaux rencontrés par les Européens.
Au départ, ils ont peut-être été attirés par les troupeaux de caribous et une fois sur place, ils auraient découvert les bœufs musqués et les phoques des côtes arctiques. La défensive en ligne ou en cercle utilisée par ces bêtes se transformait en avantage pour des chasseurs qui possédaient des chiens. L'immobilité du troupeau ainsi pris au piège permettait aux hommes de s'approcher des bêtes, ce qui facilitait l'utilisation de l'arc ou de la lance. Une fois la viande débitée, elle était empaquetée dans les peaux et transportée vers les campements. En fait, la chasse au bœuf musqué était très possiblement beaucoup plus facile que la chasse à la baleine et au morse, le caribou durant sa migration, le phoque à ses trous de respiration. Durant l'été, ils complétaient avec des oiseaux migrateurs, des œufs, des lapins arctiques et des poissons.
Rien ne nous laisse croire qu'ils possédaient des bateaux et des traîneaux à chiens, ils se seraient donc déplacés à pied sur cet immense territoire de 5 000 km d'ouest en est et 3 000 km du sud au nord.
La culture de Dorset , entre 2500 et 2200 avant notre ère, occupa à peu près le même espace que le Prédorsétien dont elle est issue sans influence extèrieure, mais s'étendit plus loin vers le sud, à toute l'île de Terre-Neuve et à Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi qu'à l'extrémité nord de l'estuaire du Saint-Laurent .L'étude des sites dorsétiens démontre, sans l'ombre d'un doute, que ces derniers étaient beaucoup mieux adaptés à leur environnement que leurs ancêtres.
Le Dorsétien reflète une diversification de la culture matérielle, une spécialisation plus marquée dans la chasse aux mammifères marins et une atténuation des caractéristiques de la Tradition microlithique de l'Arctique. Les burins taillés sont remplacés par des burins polis, les matières premières et l’outillage utilisés sont plus variés, certains outils, enfin, de plus grandes dimensions. Les couteaux et les pointes d'armes en silex possèdent des encoches latérales pour fixer un manche, de plus, les bols et lampes en stéatite font leur apparition. Les patins en ivoire découverts indiquent l’usage du traineau et de technique de chasse originales. Ils devaient chasser le phoque et le morse et surement poursuivre en bande le caribou dans ses migrations. Contrairement aux Prédorsétiens, les populations de la culture dorsétienne construisaient des mégastructures pouvant abriter de 25 à 200 personnes pendant certaines périodes de l'année ; elles s'enfonçaient de plusieurs centimètres dans le sol. généralement sans couloir d'entrée, mais dont l'espace intérieur était organisé autour d'une zone axiale dallée incluant un ou plusieurs foyers. Les murs et le toit étaient supportés par une charpente de bois de flottage, de côtes de baleine et d'andouiller de caribou recouverts de peaux usagées, de mottes de tourbe, de terre et de pierre. Les bandes provenant de régions différentes se rassemblaient périodiquement, dans de vastes maisons tout en longueur ou bien en plein air, de part et d'autre de curieux alignements de structures de pierre où se trouvaient inclus à la fois des foyers et de petites boîtes délimitées par des dalles. Ces lieux d'agrégation, où des activités culinaires se conjuguaient à des pratiques cérémonielles, permettaient sans doute de maintenir la cohésion culturelle d'une population le plus souvent disséminée dans un territoire immense.
Il semble qu’existaient des formes d’échange : toutes les régions du nord n’étant pas pourvues uniformément, elles devaient concerner certaines pierres qui servaient à la fabrication de l'outillage.
L'expression artistique est ici très riche et originale. Outre les masques ou les étranges visages représentés par les seuls pétroglyphes dorsétiens connus, découverts dans le Nunavik (anciennement Nouveau-Québec), l'art se manifeste en effet par des figurines humaines, portant des vêtements à haut col très particuliers, et surtout par de nombreuses et souvent très petites figurines animales, finement sculptées et gravées dans l'os, l'ivoire ou la stéatite : ours (parfois anthropomorphes), phoques, morses, oiseaux – et aussi crânes d'ours et sabots de caribou. Maints indices, que viennent conforter des analogies ethnographiques, indiquent que cet art était lié à des pratiques chamaniques. Un grand pourcentage des sculptures dorsétiennes représente surtout l'ours blanc et le faucon, les maîtres chasseurs du monde arctique. La plupart des sculptures ont une perforation pour y passer une corde et peuvent avoir été portées comme des amulettes personnelles. Il semble vraisemblable que ces sculptures ne décrivaient pas les animaux réels, mais plutôt les animaux-esprits qui aidaient les chasseurs dans leur poursuite du gibier. Cette interprétation s'inspire des marques qui apparaissent sur le dos et les côtés de plusieurs sculptures et qui représentent le squelette visible à travers le corps. Dans la pensée chamanique, le squelette symbolise l'âme, car ces deux éléments durent plus longtemps que la chair molle du corps. Les ours-esprits sont la plupart du temps représentés en plongée ou en vol, des positions différentes de celles qu'adoptent les ours réels pour marcher ou nager.
Les Dorsétiens sont les premiers habitants du Nouveau Continent que rencontrèrent les Vikings, au nord du Groenland et au Labrador, à la fin du xe siècle. Ils fréquentèrent vers le sud les mêmes territoires que des Amérindiens et coexistèrent dans certaines régions avec de nouveaux arrivants qui allaient les remplacer dans tout l'Arctique : les THULEENS. il semble pourtant que la culture dorsétienne soit restée fermée à toute influence étrangère jusqu'à sa disparition complète, encore inexpliquée, entre 1350 et 1450 après J.-C. Parmi les diverses hypothèses de l'extinction des Dorsétiens, on peut citer la famine causée par le réchauffement climatique du XIe siècle, l’extermination par les nouveaux arrivants que sont les Thuléens ou bien, la possibilité d'une assimilation totale avec ces derniers, puis finalement, l'arrivée des gens du nord européen avec leurs lots de bactéries . C'était la fin des « Tuniits », nom donné aux Dorsétiens par les Thuléens qui les ont remplacés.
Peu avant le début de notre ère, s'amorça , de part et d'autre du détroit de Béring, la période appelée Néoesquimau, lorsque divers groupes de chasseurs, attirés par la grande richesse biologique des eaux béringiennes, développèrent des techniques et des modes de subsistance liés à la chasse aux gros mammifères marins (morses et baleines), sans négliger pour autant phoques, caribous et saumons, présents en abondance.
Plusieurs formations néoesquimaudes, comme l'Okvikien, le Vieux Béringien (Old Bering Sea), le Punukien, l'Ipiutakien,(en Alaska) s'enchevêtrèrent alors dans le temps et en partie dans les mêmes régions. Certaines semblent intégrer encore quelques aspects de la Tradition microlithitique de l'Arctique. Elles étaient caractérisées par l'utilisation de propulseurs et de harpons très perfectionnés, à tête basculante, adaptés à la chasse entre les blocs de banquise. Leurs différents éléments en ivoire, en particulier de curieux stabilisateurs aérodynamiques, sont gravés et sculptés de motifs zoomorphes ou abstraits, imbriqués les uns dans les autres. Certaines de ces formations se retrouvent depuis la Kolyma, en Sibérie, jusqu'au-delà de la pointe Barrow, en Alaska .L'abondance des ressources apportées par la chasse à la baleine permit surtout l'accumulation de réserves de nourriture et de matière première, comme le développement de grands villages organisés autour de sociétés hiérarchisées, mais elle amène aussi la guerre, qui fait des vaincus des esclaves.
Vers 1000 apr. J.-C., en effet, des chasseurs de baleine (Punuk) du nord de l'Alaska se déplacerent vers l'est. Ils voyageaient probablement en OUMIAK (grand bateau fait de peaux cousues) et atteignent le Groenland par le Haut-Arctique en très peu de temps. On considère les Thuléens comme étant les représentants de la troisième et dernière vague de migrations de populations de l'Arctique canadien et du Groenland. Peu après son apparition, le Thuléen va s'étendre vers l'est, avec la même rapidité que les premières formations du Paléoesquimau. Son expansion au nord du Groenland, puis dans l'ensemble de l'Arctique oriental, suit de peu l'établissement des Vikings dans leurs colonies au sud-ouest de la grande île. Ces importants déplacements sont très possiblement liés au réchauffement climatique (réchauffement médiéval) qui affecta tout l'Arctique à cette époque. En poursuivant la baleine boréale, en plus du Groenland, les Thuléens se sont répandus dans l'ensemble de l'archipel arctique et autour de la baie d'Hudson. Cette culture porte ce nom parce que c'est sur la côte nord-ouest du Groenland, près de la communauté de Thulé que l'on a identifié pour la première fois de vieilles maisons de type thuléenne.
En plus de la viande et de la graisse, les baleines fournissaient aux Thuléens leurs os comme matériau de construction. Pour construire des habitations de terre semblables à celles de l'Alaska, les Thuléens devaient utiliser les os, principalement les côtes et maxillaires de baleine, comme armature pour le toit. L'ensemble était recouvert de peaux et d'une épaisse couche de tourbe et de terre. Ces maisons d'hiver semi-permanentes, très bien isolées et chauffées, devaient être relativement confortables. La nourriture et le combustible pour les lampes venaient des caches environnantes, recouvertes de lourdes pierres pour protéger son contenu des chiens, des loups, des renards et des ours. Pendant l'été, tout le groupe emménageait dans des tentes de peaux. De plus, ces gens construisaient un autre type d'habitation hivernale complètement inconnu en Alaska : l'igloo. Ils auraient inventé cette technologie mais auraient emprunté aux Dorsétiens l'utilisation de la stéatite dans la fabrication des lampes à huile. Ils ont également perfectionné l'usage et la construction des traineaux.. Les villages des premiers Thuléens comptaient seulement quelques maisons d'hiver et moins d'une cinquantaine d'occupants. Cette organisation de la société thuléenne devait se regrouper autour d'un « ancien » qui possédait le savoir et l'expérience. Le reste du groupe comprenait les fils du vieil homme et leurs familles, les familles d'autres parents masculins et parfois, les familles de ses filles.
Tandis que l'art Dorset, dont la forme et la technique sont austères et expressionnistes, revêt un aspect nettement masculin lié aux armes et aux outils utilisés par les hommes, l'art Thulé touche presque toujours des images, des formes et des usages féminins. En effet, les objets utilitaires et décoratifs qu'il orne (peignes, porte-dés, porte-aiguilles, épingles à cheveux, pendentifs) appartiennent manifestement à des femmes, et les « figurines flottantes » représentent des femmes ou s'apparentent à elles par leur forme. La structure de base de ces figurines est identique et elles ne montrent que la partie supérieure du corps ; la partie immergée, et par là invisible, n'est pas représentée. De toute évidence, elles servaient toutes, à l'origine, d'amulettes ou d'objets magico-religieux. Il est donc difficile de croire qu'on les utilisait pour le jeu (tingmiujang), bien qu'elles aient servi de modèles aux pièces de jeu utilisées après le déclin de la culture de Thulé traditionnelle, celle liée à la pêche à la baleine aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Certains éléments de technologie issus de la culture dorsétienne laissent penser qu'il y a eu certains contacts entre ces deux groupes. En revanche, les mythes semblent évoquer, comme on l’a dit, qu'il y a eu combat avec les Tuniits ( sans doute les Dorsétiens) et qu'ils ont été chassés des meilleurs territoires de chasse. C'est dans le Québec arctique que sont retrouvés les sites dorsétiens les plus récents (1400 apr. J.-C.) et c'est cette même région qui connut l'arrivée la plus tardive des groupes de Thuléens. Après plusieurs fouilles de sites thuléens, il est prouvé qu'au Groenland, ces populations faisaient commerce avec les populations résidentes en provenance des pays nordiques et qu'au Labrador, des échanges se faisaient avec les baleiniers ou les missionnaires..
Un nouveau refroidissement, la Petite Période Glaciaire (1600 à 1850) entraina le déclin des colonies scandinaves et força les Thuléens à se diviser en de multiples cultures locales s'adaptant au nouvel environnement des différentes régions arctiques. Différents groupes évoluent alors dans un relatif isolement : les Esquimaux du Cuivre, les Esquimaux du Caribou dans l'Arctique central, les Esquimaux polaires au nord-ouest du Groenland, les Ammassalimiut au sud-est. Dans une partie de l'Arctique oriental, ils abandonnèrent la chasse à la baleine pour adopter un mode de vie comparable à celui des Dorsétiens, en donnant plus d'importance à la chasse au phoque et à l’exploitation de ressources continentales
Tout en s'adaptant à ce changement de leur milieu naturel, les Inuit seront confrontés à un afflux croissant d'étrangers. Contrairement aux visiteurs occasionnels, pour la plupart des explorateurs britanniques — Frobisher, Hudson, Baffin ou Mackenzie —, qui commencèrent à venir sporadiquement dans l'Arctique à partir du XVIe siècle, ces nouveaux venus s'installèrent en permanence, ou du moins pour de longues périodes. La date de ces premiers contacts suivis est très variable selon les régions : milieu du XVIIIe siècle dans le Labrador, fin du XIXe siècle dans la région d'Igloolik. La culture inuk va donc évoluer à des moments et à des rythmes différents selon les régions, en réaction à ces nouvelles conditions et à la présence constante d'étrangers amenant avec eux d'autres cultures.
Plusieurs catégories de personnes s'établirent ainsi dans le Nord : les commerçants, notamment de la Compagnie de la baie d'Hudson, les missionnaires, les chasseurs de baleines et la police canadienne.. Les missionnaires anglicans et catholiques s'installèrent dans plusieurs régions vers la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Les baleiniers américains et écossais hivernèrent près de l'île d'Herschel (Arctique occidental), sur l'île de Marble (côte ouest de la baie d'Hudson, Arctique central) et dans la baie de Cumberland (Arctique oriental) à peu près à la même époque, tandis que les commerçants montèrent plus au nord pour créer des comptoirs, suivis par la police. En 1880, la Grande-Bretagne céda au Canada l'archipel arctique, et les explorations de toute sorte se multiplièrent. Les scientifiques et les explorateurs ne séjournaient généralemen pas de façon permanente, mais ils étaient de plus en plus nombreux. Leurs rapports nous livrent d'ailleurs des informations très précieuses sur le Grand Nord, ses habitants et leur mode de vie.
L'archéologie confirme que les Thuléens sont les derniers arrivants de l'Arctique canadien et du Groenland. Ils sont considérés, sans l'ombre d'un doute, comme étant des Inuits. Il est presque certain qu’ils parlaient un dialecte inuktitut, langue très semblable à celui utilisé encore aujourd'hui par les autochtones du Grand Nord. Cependant, il semble que les us et coutumes thuléens d'origine semblent avoir été plus riches, plus sophistiqués et plus uniformes que les cultures inuites suivantes
Il est certain que les Inuits d'aujourd'hui ont hérité du patrimoine génétique et culturel des Thuléens. Les populations Inuites sont restées peu connues avant les récits des premiers explorateurs.Ceux ci décrivent que les Inuits rencontrés n'étaient pas de culture maritime mais plutôt une multitude de groupes culturellement différents d'une région à l'autre. La véritable culture thuléenne avait disparu. Il semble que toutes ces mutations ont été provoquées par d'importants changements environnementaux lors de la petite période glaciaire. L'isolation pendant plus de 3 000 ans, combinée à un environnement des plus extrêmes a produit une culture humaine unique.
La culture » inuk « au début du XXe siècle estdonc l'aboutissement de centaines d'années au cours des quelles les hommes ont cherché à développer une relation équilibrée et viable avec les animaux, la terre, l'environnement et les forces inexplicables qui les entouraient. Et c'est probablement la période, étudiée par Franz Boas, Knud Rasmussen ou Diamond Jenness, qui est la plus connue dan le monde entier.
Après les grands voyages autour du monde, de Magellan à John Byron, les découvertes en Océanie, en Amérique, dans le Pacifique, les grands voyages scientifiques des naturalistes, il fallut l'intuition d'un Gauguin, accompagnée ou suivie par la Smithsonian, Franz Boas à New York, Marius Barbeau, à Ottawa, Marcel Mauss, Lucien Lévy-Bruhl, avec l'Institut d'ethnologie à Paris en 1925, l'autorité d'André Breton avec sa remarquable collection de masques esquimaux et les surréalistes, pour qu'on puisse, à New York, Londres, Paris, Berlin, Copenhague, Leningrad entrevoir après 1920, qu'il y avait ^'autres civilisations que la notre ; ce que l'on a trop longtemps dénommé les civilisations exotiques. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, des intellectuels européens réfugiés à New York — André Masson, Yves Tanguy, Max Ernst, Claude Lévi-Strauss — ont, en 1940-1941, donné par leurs interventions un éclat exceptionnel à leurs découvertes, éblouis qu'ils étaient par cet art amérindien méconnu qu'ils découvraient dans les musées et les galeries d'art.
Mais gardons-nous d'ouvrir la voie à de nouveaux conquérants : à la suite d'un Christophe Colomb, ses compagnons, ne l'oublions pas, ont été assez aveugles et cupides pour contribuer, sous l'autorité espagnole, à faire massacrer physiquement, spirituellement des peuples entiers. On ne peut hélas ! que constater qu'avec l'honnête ambition de faire naître un homme nouveau dans le cadre de politiques de «pseudo-développement », les nouveaux maîtres contemporains sont responsables d'immenses désastres : ne risquons-nous pas, en effet, avec la pensée unique de la mondialisation, d'annihiler, mais, cette fois, en toute connaissance de cause, des sociétés et des civilisations ?
Nous ne devrons jamais cesser de nous interroger sur les incommunicabilités entre les hommes et les cultures. Nous ne nous en sommes pas, je le crains, encore affranchis. Deux siècles et demi d'exploration en Sibérie et chez les Amérindiens et notre entendement de leur religion complexe et la puissance artistique de leur inspiration reste fragile et incertaine, malgré l'effort de grands ethnologues et archéologues. Nous regardions mais nous ne voyions pas ; nous n'entendions pas cet appel angoissé de morts-vivants, des craquements de la pierre, des gémissements du souffle de l'air. Nous ne les respections pas, non seulement parce que nous étions ignorants, mais parce que nous les méprisions. La préhistoire si mal dénommée paraît encore exclure de l'histoire de la pensée un temps très long de la vie de l'homme où celui-ci a appris à parler et à organiser ce qu'il ressentait. Les préhistoriens, qui étudient les traces écrites et en particulier les gravures, commencent seulement à livrer leur conclusions sur la science oraculaire ; des traits multiples, esquisse d'une géométrie, pourraient suggérer qu'il y avait une écriture dès le paléolithique supérieur. Il y a trente mille ans, il était un ensemble de rituels et de pouvoir s qui étaient accordés aux nombres sacrés. Le livre pionnier — et vraiment extraordinaire — d'Alexander Marshak" propose de repousser très loin dans le paléolithique supérieur l'origine de la pensée et de l'utilisation par l'homme des symboles du langage et même de l'écriture. L'homme préhistorique aurait été doté de moyens mentaux beaucoup plus complexes qu'on ne le pense….
Qu’est ce que la connaissance ? Qui plus est dans une société boréale si démunie et isolée pendant dix mille ans ? Comme; concevoir l'acquisition progressive du « savoir » avec des hommes de la pré- et protohistoire ? Premières réponses ; elles sera; de Bachelard puis de Goethe. « Le problème de l'approfondissement de notre être, nous dit le grand philosophe français, c't la communion de plus en plus profonde avec la nature. » « Que signifie commercer avec la nature, s'interroge Goethe da, La Métamorphose des plantes, si nous n'avons affaire, par la voie analytique, qu'à ses parties matérielles, si nous ; percevons pas la respiration de l'esprit qui donne un sens à chaque partie et corrige ou sanctionne chaque écart par une l tout intérieure ? » Et qu'est-ce que la vie d'un homme s'il ne s'efforce pas de prendre quelque hauteur ? JEAN MALAURIE. PREFACE .L’ART DU GRAND NORD COLLECTION CITADELLES. MAZENOD
(A SUIVRE)
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