« Sans équipement particulier, ni vivres de réserve, imprégné de leur conception du monde, vivant chaque instant avec ces chasseurs, j'ai été conduit peu à peu à les observer comme étant des atomes des temps glaciaires : des éboulis humains, se mouvant, unité après unité, solidaires, puis par ensembles se recouvrant, telles les tuiles d'un toit. L'anthropogéographie, en ces milieux de contrainte, rend compte de l'interaction constante entre l'environnement et l'homme, dans une innovation dynamique toujours plus complexe. De l'écosystème physique à l'écosystème social de finalité égalitariste, et au fonctionnement élitiste, telle est la démarche d'analyse que je poursuis. Fil d'Ariane de cette recherche, seule excuse de ces si longs voyages : l'observation, la participation, puis, de temps à autre, un éclair, une première clef. C'est comme au laboratoire... on multiplie les expériences et on regarde... Le temps est inventif. Peuple anarcho-communaliste : le concept m'est cher. Je le creuse, casse les deux mots, les syllabes, recherche l'étymologie et en scrute, à distances variées, les sens multiples.
Qu'est-ce que la connaissance, dans une société si démunie et isolée pendant des millénaires,, sinon le récit d'expériences ? Comment concevoir l'acquisition progressive du « savoir » par des hommes de la pré- et de la protohistoire, sinon grâce à une insertion toujours plus intérieure de leur être dans le monde physique, animal, qui les entoure. « Que signifie commercer avec la nature, se demande Goethe dans La Métamorphose des plantes, si nous n'avons affaire, par la voie analytique, qu'à ses parties matérielles, si nous ne percevons pas la respiration de l'esprit, qui donne un sens à chaque partie et corrige ou sanctionne chaque écart par une loi ^tout intérieure ? » JEAN MALAURIE.L'APPEL DU NORD.
Les peuples dits "arctiques" (Inuit, Sâmes,
Évenks, etc.) ont développé des modes de vie très adaptés aux conditions de vie difficiles (climat très froid, végétation clairsemée, nuit polaire, etc.). Quoiqu’ils soient répartis sur une surface immense, et que leur nombre soit relativement faible, leurs vêtements, leurs outils, leurs techniques, leur organisation sociale, leurs éléments culturels ont une ressemblance frappante, qu'ils soient originaires de Sibérie, du nord de l'Europe ou de l'Amérique arctique. Néanmoins, ils présentent des différences telles que la sédentarisation/nomadisation, la chasse/l'élevage, les espèces exploitées suivant leur localisation, leur rapports avec les autres peuples, etc. Si l’on se fonde sur les groupes linguistiques on trouve les Inuit (ou Eskimos) du nord-est de la Sibérie au Groenland, en passant par l'Alaska et le Canada ; les Sâmes (ou Lapons) au nord de la Scandinavie et dans l'ouest de la Russie . Au nord de la Russie ,une mosaïque d'ethnies plus ou moins affiliées entre elles (Évenks, Nénetses, Tchouktches, Aléoutes, etc.), et dont les populations sont peu nombreuses (< 50.000 individus) . les Yakoutes (ou Sakhas) en Russie on une population plus importante (300000) et vivent en grand nombre en Sibérie arctique.
Au fur et à mesure des contacts effectués par les Occidentaux et les Russes avec les populations de l'Arctique, celles-ci ont vu leur organisation bouleversée. Progressive ou brutale, la sédentarisation est allée de paire avec l'occidentalisation ou la russification des modes de vie. Cependant, la fin du 20e siècle a vu émerger les revendications des communautés arctiques les plus nombreuses et les mieux organisées qui font valoir leurs droits à contrôler la gestion de leur territoire.
Le plus important processus de revendication territoriale dans l'histoire du Canada a mené en 1999 à la création du Nunavut, un nouveau territoire conçu comme patrie d'une grande partie des Inuit du Canada et dont le nom signifie « notre terre ». pour sa part, afin de répondre aux revendications des Inuit de la région du Nunavik, dans l'Arctique québécois, le gouvernement du Québec a créé "l'Administration régionale Kativik" dans le cadre de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois de 1975.
"Ces hommes en fourrure ne cessent de se découvrir, plus complexes au fil des missions. La clé sans doute de leur personnalité ne peut être saisie que dans des regards croisés sur des groupes très divers, aussi bien dans les déserts du Grand Nord aride qu'aux abords de la taïga, et même de la forêt en Alaska yupik, dans le Kuskokwim et le Yukon. Ils m'ont toujours apparu comme issus de la neige et de la glace ; ils y naissent, y vivent, et après avoir aimé, haï, parfois désespéré, ils y meurent, redevenant parcelles de déserts lunaires sur lesquelles souffle un vent froid qui disperse leurs os après que les chairs eurent été lacérées puis dévorées par les ours et les renards. Ce n'est qu'au XIIIe siècle qu'ils ont commencé dans le nord du Groenland à recouvrir de dalles rocheuses leurs corps, sans peser sur le mort - allongé est-ouest, la face tournée vers l'orient. Jusqu'alors, ils étaient ceinturés d'un cercle symbolique de petites pierres. Nature naturante, homme nature qui sent avant de raisonner, ainsi qu'en avait l'intuition Jean-Jacques Rousseau. Un à un, ces Inughuit me reviennent en mémoire : leur regard, leur ironie, à des moments difficiles, leur humour souvent corrosif, se profilent par flash en nous regardant, eux et moi, à nouveau, face à face.
La chasse a fait l'homme paléolithique, a inspiré l'organisation de son groupe. Dans l'esprit de Gaston Bachelard et de Jean Piaget, j'entreprends une réflexion sur la psychologie cognitive de ces populations boréales, qui a permis à trois cent cinquante générations d'Inuit d'élaborer une logique sociale. Ce n'est pas une pensée mécaniste mais une intelligence où l'homme, en se décentrant, a su construire peu à peu un code de la nature, une ordonnance du réel. « Or l'adaptation est un équilibre [...] entre deux mécanismes indissociables : l'assimilation et l'accommodation », remarque Piaget à propos de la psychologie de l'enfant2 : assimilation de l'environnement géographique, délimitation Du territoire, puis accommodation pour construire une vie sociale sur cet espace". JEAN MALAURIE L’APPEL DU NORD
Depuis longtemps, la culture « eskimo » est considérée comme exemplaire. Elle présente pour le chercheur en sciences humaines un cas d'école, qui illustre les grands thèmes de migration, de diffusion, d'emprunt, de convergence et d'innovation. Cette idée était déjà présente dans les travaux de F. Boas et donna lieu à un célèbre article de M. Mauss et H. Beuchat (1904-1905) consacré aux variations saisonnières des Eskimo. Ce qui est identifié pour un groupe eskimo peut servir d'illustration pour évoquer certains processus communs à plusieurs cultures, ou de point de comparaison avec d'autres sociétés, notamment de chasseurs-cueilleurs récemment sédentarisés et confrontés à une culture allogène puissante. peut ainsi se fonder un savoir à la croisée de la géographie et de l'ethnologie. Et qui met l'accent sur les fondements culturels de la relation à l'espace et au milieu, insiste sur les valeurs attribuées à l'espace par ceux qui l'habitent, sur les pratiques et la transmission des héritages.
Les Inuits habitent donc de vastes étendues qui couvrent le Nunavut, les Territoires du Nord-Ouest, la côte du Nord du Labrador et environ 25 p. 100 du Nord québécois. Traditionnellement, ils ont vécu au-dessus de la limite forestière, dans la région bordée à l'ouest par l'Alaska, à l'est par la côte du Labrador, au sud par la pointe sud de la baie d'Hudson et au nord par les îles du Grand-Nord.
En Tchoukotka, dans la région du détroit de Behring, vivent actuellement mille cinq cents Yupiget ; l'Alaska compte quarante-quatre mille Inupiat et Yupiit ; au Canada, quarante mille Inuit sont disséminés sur les côtes de l'Arctique canadien. Les Groenlandais représentent le groupe numériquement le plus élevé avec ses quelque cinquante mille Kalaallit. La population totale représente, eu égard à l'immensité des territoires, l'une des plus faibles densités du monde : à titre d'exemple, le Nunavut, « notre territoire », s'étend sur un peu plus de deux millions de kilomètres carrés pour une population totale d'environ 26 745 personnes dont 85 % sont des Inuit (statistiques établies en 2001).
On appelait icommunément « esquimaux » les peuples des régions arctiques .Le nom Esquimau apparaît pour la première fois en France en 1611, dans le rapport de mission d'un Jésuite, le Père Biard. Il le tient des Indiens Cris Maskegon de la rive sud de la baie d'Hudson et le traduit, en le considérant comme un dérivé du mot algonquien "esquimew ", par l'expression "mangeur de viande crue". On pense aujourd'hui que cette interprétation péjorative est erronée et que ce nom, signifierait plutôt "ceux qui parlent la langue d'une terre étrangère" ou peut-être "ceux qui attendent longtemps" (sous entendu au bord des trous de respiration que les phoques entretiennent dans la banquise en hiver - Mailhot, 1978). En 1932, au Congrès de Washington, la Convention Murdock fixe la transcription du nom pour toutes les langues d'alphabet latin sous la forme invariable Eskimo.
Les Eskimo eux-mêmes se désignent comme les INUIT : "les hommes par excellence" (singulier : INUK), tandis qu'ils appellent les Indiens ITQILIt : "les porteurs de poux" et les Blancs QALLUNAAt : "ceux aux longs sourcils". Dans les années 1970, les mouvements pour la reconnaissance des droits des autochtones ont milité pour l'abandon du nom Eskimo au profit de celui d'Inuit. En 1977, la première conférence circumpolaire - réunissant des Eskimo d'Alaska, du Canada et du Groenland - en demandait l'adoption officielle, ce que fit le Canada en 1978. En français comme en anglais on opta, par souci de clarté, pour la forme invariable Inuit. La langue prit le nom D'INUKTITUT : "à la manière d'un Inuit". l'office québécois a déterminé qu'au Québec, on utilise seulement le mot « Inuit mais l’accorde comme un mot français, en écrivant un Inuit, des Inuits et des Inuites.
Le nom Inuit ne fait pourtant pas l'unanimité : les Inupiat d'Alaska restent attachés au nom Eskimo et les Groenlandais le reconnaissent mais ne l'utilisent pas, lui préférant leur nom de Kallaalit, sans doute une déformation d'un vieux mot norois. Son usage se limite en somme au Canada, Aussi nombre d'anthropologues préhistoriens ou archéologues ont-ils conservé le nom Eskimo pour désigner cette culture dans son ensemble alors que, pour ses parties, les noms plus régionaux sont retenus .
Les Esquimaux ont, de leurs origines, des idées confuses que reflètent les légendes ; l'une d'elles, sorte de mythe partout répandu, bien que sous des versions plus ou moins concordantes, raconte l'histoire de Sedna, la jeune fille qui ne voulait pas se marier. Après avoir refusé nombre de prétendants, elle accepta suivant les uns, dut subir suivant les autres, les avances d'un grand chien qui la prit pour femme. Il l'emmena sur une île où elle accoucha bientôt de plusieurs chiots. Or, en l'absence de son mari, Sedna mit ses enfants dans ses bottes et les poussa à la mer. Les uns abordèrent très loin ; ils donnèrent naissance aux « hommes blancs » ; les autres, touchant terre plus près, furent à l'origine des Indiens. Les derniers enfin, les plus beaux, les plus forts, allaient devenir les Esquimaux, les « hommes véritables ».
La légende se termine en rapportant que le père de la jeune fille voulut un jour la reprendre. Il l'enleva dans son esquif ; mais le corbeau, ou le pétrel, ou le chien métamorphosé en oiseau, les attaqua ; alors, devant la furie des vagues soulevées par cette colère, le père jeta Sedna à la mer ; comme elle s'agrippait au plat-bord, il lui trancha les phalanges et Sedna coula enfin, entraînant les phoques, les morses et les baleines nés de ses doigts de déesse de la mer. C'est au fond des flots qu'elle habite, gardée par un grand chien étendu à l'entrée de sa caverne.
Il s'agit dans cette histoire d'un mythe étiologique dont le langage symbolique présente un grand intérêt. Néanmoins, il n'aide guère à situer l'origine des Esquimaux bien qu'il définisse sans ambiguïté une trilogie : les « Blancs », les Indiens, que les Groenlandais connaissent sans les avoir jamais vus, et les Inuit. En revanche, il associe la femme à la mer et reflète une vision cosmomorphique d'un monde où les animaux agissent et pensent comme les hommes.
Or un mythe semblable existe aussi chez les Indiens athapascans ; la version y est légèrement différente, les chiots devenant ici des êtres fabuleux qui hantent la taïga.
Ces êtres fabuleux on en trouve aussi dans les Montagnes Rocheuses et au Groenland ; ils sont presque toujours associés aux premiers habitants du pays comme le sont dans toute la région hudsonienne, les Tounit. Les Tounit ou Tounidouat sont connus du Labrador au Groenland et au golfe du Couronnement. Pour certains, c'étaient des géants, pour d'autres de petits êtres forts et trapus ; ils n'avaient pas de chiens et tiraient eux-mêmes leurs courts traîneaux. D'après les Esquimaux d'Igloulik, au nord du bassin de Fox, les Tounit habitaient sous la tente et faisaient, à même le sol, un feu qui emplissait l'habitation de fumée. Très agiles, ils poursuivaient les caribous à la course et les tuaient à coups de lance. En hiver, ils chassaient le phoque sur la banquise et, pour se réchauffer pendant l'affût, posaient une petite lampe. à huile sur un support ; par-dessus, leur blouse formait tente mais il arrivait qu'en donnant le coup de harpon, ils la renversaient et se brûlaient le ventre.
Les Tounit chassaient aussi paraît-il le morse et le phoque à fourrure ; « Un jour, raconte Okkomalouk par la plume du Père Rousse-Hère, un Esquimau rencontra un Tounerk qui venait de tuer un ougjouk (phoque de cinq cents kilos) ; à la vue de l'étranger, il chargea l'animal sur son dos et s'enfuit à toutes jambes. »
Au Labrador cependant, les Tounit n'ont pas tant de prestige. Lents et stupides, ignorant l'art du kayak et celui de la préparation des fourrures, ils portaient des vêtements couverts de vermine et venaient voler les embarcations des Esquimaux. Pourtant ces derniers prirent des Tounit femelles pour femmes, jusqu'au jour où l'un d'eux découvrit qu'elle le trahissait. Il en résulta une bataille dont les Esquimaux sortirent — pouvait-on en douter ? — vainqueurs.
La version labradorienne fait aussitôt penser que les Tounit étaient les Indiens algonkins, ennemis méprisés des Esquimaux, avec lesquels ils eurent pendant des siècles maille à partir. Toutefois les maisons des Tounit ne ressemblaient guère aux wigwams des Indiens ; on en voit encore les restes, étranges constructions de pierres, de tourbe et d'os, à demi souterraines, sur lesquelles bute l'archéologue au hasard de ses investigations. Il y en a en de nombreux points, du Labrador au détroit de Bering et presque partout, les abris abandonnés sont eux-mêmes appelés « tounit » par les Esquimaux. Avec eux, on sort enfin de la légende, on entre dans la réalité plus prosaïque de la préhistoire. »JEAN MICHEA.CONNAISSANCE DES AMERIQUES.ESQUIMAUX ET INDIENS DU GRAND NORD.1967
L'occupation humaine de l'archipel arctique nord-américain est attestée à partir du troisième millénaire avant J.C. Plusieurs vagues de peuplement se sont succédé, identifiées et décrites par les archéologues grâce à leurs vestiges matériels. Tous ces habitants successifs de l'Arctique nord-américain y développèrent des cultures de chasseurs-cueilleurs nomades. La pratique nomadique s'appuie sur une connaissance intime de l'espace qu'elle organise, connaissance construite année après année de fréquentation attentive et régulière. Le terme de «chasseurs-cueilleurs» s'applique, par définition, aux peuples qui, au lieu de cultiver la terre, adoptent un système économique doté de diverses méthodes d'utilisation des ressources « sauvages » Un modèle des différences entre les sociétés de chasseurs-cueilleurs comprend un large spectre avec à une extrémité les peuples de la côte Nord-Pacifique, leurs abondantes remontées de saumons et leur riche environnement maritime, et à l'autre des peuples comme les San(bushmen) du centre du Kalahari. Entre ces deux extrêmes théoriques, on peut imaginer une immense variété de systèmes économiques et sociaux(dont les aborigènes d’australie) chacun pouvant porter le nom de «chasseur-cueilleur».
"Mes premières expériences des sociétés de chasseurs-cueilleurs, et les plus intenses, ont eu lieu dans l'Arctique et le Subarctique. Les Inuit du Labrador et du nord du Québec parlent des langues aussi différentes l'une de l'autre que le sont l'anglais, le japonais et le hongrois. Ils vivent sur des territoires vastes comme l'Europe. Ils possèdent des coutumes, des technologies et des croyances qui leur sont propres, et leurs histoires, anciennes et contemporaines, sont distinctes. Pourtant ils occupent tous des environnements qui connaissent de grandes variations de températures et de longs hivers, et ils vivent tous de la viande et de la fourrure des animaux des régions et des eaux froides. On peut dire que tous ceux avec qui j'ai voyagé, ainsi que tous les endroits où ils m'ont emmené, se trouvaient aux limites du monde habitable. Leurs vies, soumises à des climats et des géographies extrêmes, peuvent donc expliquer qu'ils aient tant en commun, et bien moins avec les systèmes de chasseurs-cueilleurs qui se sont développés dans des régions du monde moins rébarbatives. L'histoire même des chasseurs et des cueilleurs souligne cette difficulté. Les fermiers et les bergers ont toujours recherché les environnements les plus fertiles - les vallées des fleuves, les rivages accueillants, les sols riches et faciles à travailler. Aussi, partout dans le monde, les chasseurs-cueilleurs ont-ils été chassés de ces endroits, et forcés de vivre dans des régions d'un moindre intérêt aux yeux des nouveaux envahisseurs
Il s'ensuit, comme l'ont montré les anthropologues, que les chasseurs-cueilleurs qui parviennent à survivre le font dans des environnements extrêmes: le Grand Nord glacial, les régions les plus arides de l'outback australien , les zones les plus sèches et les plus impitoyables du Kalahari.| Cette réalité renforce le penchant des observateurs extérieurs à dépeindre comme rudes et pauvres les conditions de vie du chasseur-cueilleur. Observateurs qui appartiennent bien entendu à la tradition agricole, selon laquelle un paysage non cultivé est sauvage et donc de peu d'utilité économique - qu'il est, en fait, hors de la culture. Les colons ont souvent soutenu que sans l'agriculture et ses influences «civilisatrices», les vies des chasseurs-cueilleurs étaient «laides, bestiales et courtes».
Pourtant ces chasseurs-cueilleurs se plaisent dans leurs terres, et ont tout à fait confiance dans ce qui constitue pour eux une manne de ressources. Ils ne convoitent pas d'autres terres, ils n'expriment pas le désir de vivre sous les climats plus doux ou dans les paysages plus accueillants qui ont tant d'attrait pour les fermiers et les bergers. Bien entendu, les occupants des régions dans lesquelles les fermiers voyaient de possibles Éden en furent expulsés ou exterminés dès le début d'une forme ou d'une autre de colonisation. C'est ce qui s'est produit en Europe, en Asie, et dans certaines régions des Amériques et d'Afrique, bien avant que les colonisateurs européens ne s'embarquent pour la conquête du monde. Mais ceux qui vivent toujours comme des chasseurs-cueilleurs, ou qui se souviennent de leurs parents et grands-parents qui vivaient ainsi, considèrent que leurs terres sont - ou étaient - les meilleures terres possibles. »HUGH BRODY.LES EXILES DE L'EDEN
Pour étudier les origines des inuit, l'archéologue doit commencer par définir la culture esquimaude ce qui n'est pas aussi facile qu'on pourrait le croire. Malgré des particularismes auxquels les divers groupes régionaux restent attachés, les Inuit ont partagé, et partagent cependant parfois aujourd'hui, un certain nombre de points communs : il s'agit d'une culture particulière adaptée à une terre sans arbres, la toundra, dont l'économie repose sur la chasse et la pêche et les habitants manifestent une aptitude remarquable pour la chasse aux mammifères marins comme le phoque, le phoque barbu, le morse voire la baleine .
« Malgré des particularismes auxquels les divers groupes régionaux restent attachés, les Inuit ont partagé, et partagent encore aujourd'hui, un certain nombre de points communs : une même manière d'exploiter dans sa diversité, selon les cycles saisonniers et les déplacements du gibier une portion de territoire ; une même utilisation maximale des ressources disponibles – peau, os, nerf, andouiller, plume, neige, glace ; un même savoir étendu concernant le climat, le comportement animal, les techniques de survie ; une même conviction que les animaux ne doivent jamais être inutilement capturés, la chasse étant autre chose qu'un acte gratuit ; enfin une même vision de l'Arctique comme milieu de vie souhaitable. Ce dernier point n'est pas reflété dans les définitions des scientifiques pour qui les régions de l'hémisphère boréal répondent aux critères suivants : régions dont la moyenne des températures au mois de juillet n'est que de 10 degrés Celsius ; régions se situant en bordure et au-delà de la limite des arbres, d'où l'appellation « toundra ; régions dont le sol et le sous-sol ne dégèlent que légèrement en surface l'été (pergélisol).
La perception inuit est tout autre. Le froid n'est pas un obstacle dès lors que l'alimentation et le vêtement sont adaptés aux besoins. L'environnement comble l'œil et l'immobilité n'est qu'apparente. Derrière les traits du paysage épaissis par le gel hivernal la vie se poursuit. L'eau coule sous la glace, les lichens et autres végétaux vivent au ralenti sous le couvert neigeux, seules quelques espèces animales migrent vers les régions méridionales. Le paysage est très contrasté : montagnes, fjords et glaciers spectaculaires, rochers, lacs, fleuves, rivières, immenses plaines, îles. L'absence d'arbres est une chance, ils provoqueraient un malaise, « en gênant la vue » disent les Inuit. La végétation, dès le printemps et surtout pendant le court été, manifeste une telle vitalité que le pays se couvre de fleurs et de petits fruits. L'hiver n'en est pas moins attendu puisque la banquise facilite les déplacements, hier en traîneau à chiens, aujourd'hui en motoneige.
L'Arctique, si l'on écoute bien les Inuit, se résume à une expression tout aussi brève que riche de sens : Inuit nunangat. Tout est dit car il s'agit d'un vécu que l'on ressent comme un privilège pour soi et pour ceux que l'on aime. Michèle Therrien. Les Inuits Du Grand Nord Canadien
On peut également retracer l'origine des peuples anciens par l'étude des langues utilisées par ces derniers et par les caractéristiques physiques des populations concernées. (Arcto-mongoloïdes). On sait aujourd'hui que tous les groupes d'Inuits nord-américains ont des langues apparentées. De plus, les langues inuites ont d'importantes affinités avec celle des Aléoutes ce qui laisse croire qu'elles ont possiblement une même origine. De plus, les langues inuites et aléoutiennes ont un lointain lien de parenté avec les Tchoukchis, les Koriaks et les Kamtchadales du nord-est de la sibérie..
Traditionnellement et assez arbitrairement,on a distingué deux grandes phases de leur devenir : le Paléoesquimau et le Néoesquimau. ( La seconde s'ouvrait directement, à partir des contacts avec les Européens ou les Euro-Américains, et se caractérisait par une acculturation croissante). Ces deux grandes phases, avec un décalage de presque quatre millénaires, prenaient leurs racines dans la région béringienne( détroit de Béring), de part et d'autre du détroit, et se développait très rapidement en Alaska puis à travers l'Arctique canadien jusqu'au Groenland oriental. Le terme « Paléoesquimaux » est ainsi employé pour identifier ces groupes de chasseurs d'un lointain passé, mais la relation de descendance avec les diverses cultures inuites qui ont suivi n'est pas aussi claire qu'on le croyait lors des premières découvertes archéologiques.
D'où viennent-ils ? Eternel problème des origines que n'a pu manquer de se poser la science moderne A la suite de quelle migration les 80 000 Esquimaux qui peuplent aujourd'hui le monde arctique sont-ils venus s'installer sur les littoraux où l'homme blanc les a découverts ? De la Sibérie orientale (Tchoukotka littorale) au Groenland, sur tous les rivages que l'Esquimau a plus ou moins longtemps occupés, les fouilles se multiplient. Voici trois quarts de siècle que les archéologues danois, canadiens, américains et soviétiques (notamment en Tchoukotka et en Sibérie du nord-est où ils accomplissent une œuvre considérable), étudient et comparent des morceaux d'armes, des pointes de harpons, des outils, des débris de cuisine ; que les philologues s'appliquent à relever les variantes de la langue et que les ethnographes s'attachent aux diverses manifestations techniques de ces tribus séculaire des glaces.JEAN MALAURIE op.cite.
Pour simplifier, on estimera seulement que les pré-Esquimaux sont venus du Nord de la Chine, il y a 15 000-10 000 ans à la faveur d’un réchauffement climatique et se sont constitués dans la région du Baïkal et de la Tchoukotka à partir d'un fonds ancien paléolithique supérieur, progressivement adapté au monde du froid et à la conquête des mers glacées.la culture arctique n’acquit ainsi son unité qu’à la faveur de migrations tardives et répétées, vers l'est américain et groenlandais, de peuples sibéro-behringiens aux fortes empreintes nord-japonaises et nord-chinoises.
(A SUIVRE)
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