« C'est seulement pour autant que l'homme de cette manière mesure et aménage son habitation qu'il peut être la mesure de son être [...] car l'homme habite en mesurant d'un bout à l'autre le "sur la terre" et le "sous le ciel". » HEIDEGGER.ESSAIS ET CONFERENCES.
« Or l'être humain est un être géographique. S'il ouvre à l'absolu, ce dont les diverses cultures ont des visions différentes, il est d'abord, et nécessairement, déterminé par une certaine relation à ce qui fait l'objet de la géographie : la disposition des choses et du genre humain sur la terre, sous le ciel. Cela qui constitue le là et l'il-y-a sans lesquels il ne saurait y avoir d'ontologie ; faute, pour commencer, d'êtres humains pour en jaser. »…
…« J'appelle cela l'écoumène, en rendant au vieux terme grec oikoumenê son genre féminin, qui en fait à la fois de la terre et de l'humanité : ce en quoi la terre est humaine, et terrestre l'humanité.
. Oikoumenê vient d'oikeô, habiter. Cette étymologie est la même que celle d'écologie et d'économie. Les auteurs grecs emploient le terme soit seul, comme substantif, soit comme qualifiant dans le même sens fondamental de «terre habitée», par opposition aux déserts; Pour la géographie moderne, écoumène signifie «partie de la terre occupée par l'humanité» (. .. Ma propre conception de l'écoumène dérive de la notion de milieu (humain), celle-ci étant définie comme la relation d'un groupe humain à l'étendue terrestre.
L'écoumène, c'est l'ensemble et la condition des milieux humains, en ce qu'ils ont proprement d'humain, mais non moins d'écologique et de physique. C'est cela, l'écoumène, qui est pleinement la demeure (oikos) de l'être de l'humain. La prendre en considération, comme on le voit, c'est s'opposer à la philosophie qui a pu prétendre localiser la demeure de l'être dans le langage ; ainsi que s'opposer aux sciences trop étroitement humaines qui, à leur manière, ont assumé ce parti, et ce faisant ont sevré la culture de la nature... alors même qu'elles ne pouvaient nier l'inhérente animalité de notre corps ! - l'effet de cette contradiction coupant derechef l'être de l'humain en deux, comme le dualisme l'avait déjà coupé des choses de l'existence.
Répétons ici que l'écoumène est une relation : la relation à la fois écologique, technique et symbolique de l'humanité à l'étendue terrestre. Elle ne se borne donc pas à la matérialité de l'étant physique ni à celle de sa population humaine - toutes choses que nous savons mesurer depuis belle lurette. L'écoumène, c'est nécessairement cela, mais c'est aussi, et non moins nécessairement, le déploiement existentiel qui se poursuit en chaque être humain, et qui de ce fait a toujours excédé la définition géométrique des corps. L'écoumène est donc à la fois mesurable et incommensurable. Tout comme la terre, à l'horizon, se conjoint au ciel, notre être s'étend au delà du bout de nos doigts, pour atteindre les antipodes, la planète Mars, et toujours plus loin encore, jusqu'aux confins de l'Univers. »AUGUSTIN BERQUE .ECOUMENE..INTRODUCTION A L'ETUDE DES MILIEUX HUMAINS.BELIN
« L'espace habité est évidemment une construction sociale. Étudier celui dans lequel vivaient les peuples de la forêt amazonienne révèle comment il était organisé en cohérence avec leur économie mais aussi leurs relations de parenté, la répartition des tâches selon les sexes et plus généralement leur rapport au cosmos. Sans aller aussi loin dans l'espace et dans le temps, et sans être anthropologue, on observe que l'organisation traditionnelle du logement dans les pays arabo-musulmans ou asiatiques pour ne citer qu'eux, diffère de celle de la France, de même que les comportements dans l'espace public sont très différents.
Qu'est-ce qui préside à la distribution des pièces dans un logement, à l'orientation d'une entrée à l'est, au fait de laisser ses chaussures à l'entrée ? Qu'est-ce qui guide le tracé d'une ville nouvelle ou le décor d'un balcon ? C'est ce que met en évidence une démarche anthropologique qui derrière la banalité trompeuse de configurations apparemment proches, fait ressurgir des univers entiers qui participent des identités collectives. Les dimensions qui les composent (ouvert/fermé, dehors/dedans, devant/derrière, haut/bas, clair/obscur, proche/lointain mais aussi propre/sale, pur/impur, public/ privé...) ont des significations qui n'en finissent pas de se décliner selon les cultures.MARION SEGAUD. ANTHROPOLOGIE DE L'ESPACE.ARMAND COLIN
Nous habitons tous quelque part, mais la localisation n'est jamais neutre, dans aucune société. Il n'est pas indifférent de parler d'une demeure ou d'un logis, d'une résidence ou d'une maison, d'un logement ou d'une habitation et que les mots forment autant de repères pour situer spatialement et socialement les occupants. À travers ces mots ce sont les multiples dimensions de l'habiter qui défilent. Ainsi que le souligne C. Levi-Strauss, ,une société ou une culture n'est pas faite de pièces et de morceaux, elle constitue un univers de règles gui se répondent dans des domaines et à des niveaux différents « le mot culture désigne non seulement les traditions artistiques, scientifiques, religieuses et philosophiques d'une société, mais encore des techniques propres, ses coutumes politiques et les mille usages qui caractérisent sa vie quotidienne ». « Le fond intime de la vie sociale est un ensemble de représentations collectives ». Celles-ci symbolisent la structure d'un groupe social, la manière dont il réagit en face de tel ou tel événement, le sentiment qu'il a de lui-même, des autres ou de ses intérêts .
« Le nommer, comme nous le faisons quotidiennement en puisant dans le lexique disponible ou en nous risquant à détourner ou inventer un terme (un "petit nom"), c'est non seulement reconnaître un lieu, mais se l'approprier, lui donner consistance en le faisant sien, lui prêter un sens, le produire en quelque sorte. C'est réactiver une signification, en réitérant celle, largement partagée, que la société a fixée ou s'en écarter pour une nouvelle, voire pour une plus ancienne maintenue à contre-courant de l'évolution des usages Une cuisine n'est pas une salle à manger. Un mot peut indiquer une fonction (à quoi cela sert : cuisiner, manger), un type d'activité ou de relation sociale (manger avec des invités, en famille). Et il le fait soit explicitement - dans une "salle à manger" on est censé manger (sans que soit précisée en quelle compagnie) -, soit par associations, par superpositions de couches diverses de signification, en impliquant une ou plusieurs affectations possibles, voire préférentielles, comme c'est le cas pour des termes plus génériques : à l'âge classique, "salle" et "cabinet" s'appliquent à des pièces dont non seulement la taille mais l'usage social diffèrent. ».J.CH.Depaule Manières D'habiter .Communications.
L'habitation, entendue comme construction, est bien sûr l'objet de nombreuses études à caractère scientifique : (traités, relevés ethnographiques, etc.), elle figure aussi dans les récits et description de voyages mais au XXème siècle on commence à s'interesser à une notion tout autre : L'HABITER .Cette notion plus phénomènologique est un fait anthropologique qui consiste à tracer un rapport à un territoire, dans l'espace et le temps de manière à pouvoir s'y identifier. Il s'exprime à travers les activités pratiques dans des objets meubles et immeubles ; il se saisit par l'observation et par le langage (la parole de l'habitant comme dit précedemment ). Habiter ne se conçoit pas pas de la même manière selon les époques, les cultures, les genres, les âges de la vie ; il y a donc un phénomène général l'habiter mais de multiples manières d'habiter (nos sociétés y voient le lien entre un individu et un lieu ; les sociétés traditionnelles , celui entre le groupe et le lieu.
Puisque qu'habiter dépasse la description fonctionnaliste de l'habitation (on pourrait dire de l'objet maison) ,il faut ici de nouveau entendre G.BACHELARD et sa Poétique De L'Espace.. Le philosophe recherche lui « l'essence» de la maison ,il y voit comme une sorte de « topographie » de l'être intime et profond de chacun qu'il dégage à travers le souvenir toutes les maisons que nous avons habités, ou de celles qui ont hantés nos rêves.il s'agit donc surtout de saisir un espace vital et comment « nous nous enracinons dans un coin du monde. »
« Nous verrons, dans le cours de notre ouvrage, comment l'imagination travaille dans ce sens quand l'être a trouvé le moindre abri : nous verrons l'imagination construire des « murs » avec des ombres impalpables, se réconforter avec des illusions de protection — ou, inversement trembler derrière des murs épais, douter des plus solides remparts. Bref, dans la plus interminable des dialectiques, l'être abrité sensibilise les limites de son abri. Il vit la maison dans sa réalité et dans sa virtualité, par la pensée et les songes.
« La maison est une des plus grandes puissances d'intégration pour les pensées, les souvenirs et les rêves de l'homme [...] Dans cette intégration le principe liant, c'est la rêverie. Le passé, le présent et l'avenir donnent à la maison des dynamismes différents, des dynamismes qui souvent interfèrent... La maison dans la vie de l'homme évince les contingences, elle multiplie ses conseils de continuité. Sans elle l'homme serait un être dispersé. Elle maintient l'homme à travers les orages du ciel et les orages de la vie. Elle est corps et âme. Elle est le premier monde de l'être humain. »G.Bachelard op.cité
La maison apparaît comme un « microcosme social », un monde culturel, un véritable conservatoire des pratiques symboliques. Dans ce domaine, il y a évidemment les travaux de Pierre Bourdieu notamment son analyse de la maison kabyle.où la maison est prise comme un cosmos en miniature qui permet de reconstruire le système socialement constitué et qui organise la perception du monde et l'action, à un moment donné.
« L'espace habité - - et au premier chef la maison — est le lieu privilégié de 'l'objectivation des schèmes générateurs et, par l'intermédiaire des divisions et des hiérarchies qu'il établit entre les choses, entre les personnes et entre les pratiques, ce système de classement fait chose, inculque et renforce continûment les principes du classement constitutif de l'arbitraire culturel. Ainsi, l'opposition entre le sacré droit et le sacré gauche, entre le nif et le h'aram, entre l'homme, investi de vertus protectrices et fécondantes, et la femme, à la fois sacrée et chargée de vertus maléfiques, se trouve matérialisée dans la division spatiale entre l'espace masculin, avec le lieu d'assemblée, le marché ou les champs, et l'espace féminin, la maison et son jardin, refuges du h'aram ; et, secondairement, dans l'opposition qui, à l'intérieur de la maison elle-même, distingue les régions de l'espace, les objets et les activités selon leur appartenance à l'univers masculin du sec, du feu, du haut, du cuit ou du jour ou à l'univers féminin de l'humide, de l'eau, du bas, du cru ou de la nuit. Le monde des objets, cette sorte de livre où toute chose parle métaphoriquement de toutes les autres et dans lequel les enfants apprennent à lire le monde, se lit avec tout le corps, dans et par les mouvements et les déplacements qui font l'espace des objets autant qu'ils sont faits par lui.. Les structures qui contribuent à Ja construction du monde des objets se construisent dans la pratique d'un monde d'objets construits selon les mêmes structuresL'habitus est une métaphore du monde des objets qui n'est lui-même qu'un cercle infini de métaphores se répondant mutuellement ». P.BOURDIEU .LE SENS PRATIQUE. MINUIT.
L'exemple ici développé concernera l'architecture des Batâmmariba et plus exactement ceux du Togo, les Tamberma.(cf. article précédent).On a qualifié cette architecture de vernaculaire (populaire) puisqu'elle se définit comme un art (au sens ancien de talent ) du groupe social et de certains individus membres , de concevoir et de construire son environnement vital. Cette singularité s'exprime dans la multiplicité et la complexité des rapports qu'entretient la société avec le milieu physique dans lequel elle vit. Les Tamberma extraient de leur environnement la majeure partie des ressources vitales qui leurs sont nécessaires.
« Après avoir connu une existence d'éleveurs semi-nomades dont il est impossible d'évaluer la durée, les Batâmmariba, estime l'anthropologue Paul Mercier, se sont installés par vagues successives entre le XVIe et le XVIIIou XIXe siècle dans le massif et la vallée de l'Atakora, au nord du Bénin et du Togo, zone refuge pour de petites sociétés sans chefferie centralisée, fuyant l'emprise des grands royaumes, notamment Mossi et Mampursi de l'actuel Burkina Faso. Appelés Somba au Bénin, où ils sont les plus nombreux (250000 habitants), Tamberma au Togo (environ 20000 habitants), ils forment une société clanique d'éleveurs agriculteurs, composée de sous-groupes, nuancés au niveau rituel ou linguistique, ce qu'avaient déjà remarqué en 1950 Paul Mercier et Albert Maurice, militaire à Natitingou, et dans une moindre mesure dès 1909, l'ethnologue allemand Léo Frobenius au Togo. Les Batâmmariba se définissent par l'acte d'édifier des forteresses ou takyiènta à l'architecture raffinée. Leur mode de construction, dont on ne trouve nulle part l'équivalent, continue d'intriguer les observateurs. De même reste énigmatique le lieu de leur origine, Dinaba, « situé vers le nord», qu'ils se refusent à divulguer. «À Dinaba nos ancêtres construisaient déjà des takyiènta », affirment les anciens. Pendant les longues années ou siècles de leurs migrations, les Batâmmariba, dont le nom (au singulier, Otâmmari) signifie « ceux qui malaxent la peau fine de la terre pour façonner un contenant épousant le contenu», auraient conservé le plan de leurs takyiènta dans leur tête. Des jeunes gens de Warengo me l'ont confirmé en me donnant cet exemple : « Si l'un de nous émigrait en France, ses descendants oublieraient-ils comment construire une takyiènta?» L'Atakora, arrosée par des sources, protégée par de hautes gorges et précipices, apparut à leurs ancêtres comme un havre de paix. Là, ils pourraient à nouveau construire leurs takyiènta, et en toute liberté, vivre selon leur « manière d'être ». Ne donnèrent-ils pas le nom de Dinaba au premier lieu de leur installation, situé au Bénin, avant que les différents sous-groupes ne se dispersent vers l'est et le sud ? DOMINIQUE SEWANE.LES BATAMMARIBA.LE PEUPLE VOYANT.
Ils ont ainsi développé au fil du temps une architecture fortement territorialisée, en relation intime avec le sol, le climat, construite avec des matériaux extraits de l'environnement, et fortifiée par les êtres invisibles qui peuplent leur univers de croyances et de traditions. Elle garde encore de nos jours un caractère vivant (quoiqu'en régression), parce que facteur de stabilité dans le temps.Cependant, malgré l'inertie relative des formes de pensée et des productions bâties, la société Tamberma est bien sûr le lieu de l'affrontement entre les facteurs de maintien et les facteurs de changement qui secoue l'Afrique. La maison concentre sans doute les principaux facteurs de résistance d'une cohésion antérieure de cette société. Mais elle doit lutter contre la dégradation et tout ce qui, dans un monde en marche, remet en cause le modèle primordial. À l'opposé, les facteurs de changement exogène proviennent de la scolarisation des jeunes et du développement récent du tourisme, tous deux porteurs d'aspirations nouvelles,et d'ouverture sur l'extérieur. Seulement, ces jeunes générations n'ont guère pour leur malheur que le choix de l'exode à la ville et ses bidonvilles.
Le territoire villageois des Tamberma est complexe à définir, tant ses limites matérielles et immatérielles sont entremêlées. Il comprend ses habitations, ses champs, ses puits, sa fontaine ses cimetières claniques, son sanctuaire initiatique et ses lieux sacrés. Il n'a pas de limites fixes ni matérialisées. Le village est d'abord le lieu où se déroulent les activités quotidiennes des Tamberma, dont les plus importantes sont celles qui sont en rapport avec la production et la cohésion sociale du groupe. Ce sont en l'occurrence les travaux collectifs de construction, les activités agricoles, les fêtes et les cérémonies rituelles. Les habitants y sont en général unis par des liens qu'ils qualifient eux-mêmes de familiaux, car ils descendent d'un même ancêtre. Le village est considéré à ce titre comme le lieu par excellence où l'individu peut vivre et évoluer. Il est également le cadre de tout le système de valeurs propres à la société. S'en éloigner revient à s'éloigner non seulement de ses proches, mais aussi de ses protecteurs.
Le territoire villageois comporte des lieux sacrés considérés comme le domaine réservé des esprits, essentiels dans le système de représentation des Tamberma. Ils peuvent être situés dans le village, mais aussi en périphérie. Dans la pratique des Tamberma, la périphérie correspond à des espaces physiques, invisibles depuis l'habitation. Ces espaces regroupent principalement les terres de culture et aussi les réserves foncières villageoises. Les lieux sacrés qui s'y trouvent sont facilement reconnaissables dans les champs. Ils se présentent comme des îlots de végétation sauvage qui ont été épargnés par les cultures
Ce paysage d'habitat dispersé, de sikyièn( pluriel de tékyênté) distantes de 100 à 400 mètres, séparées de petites brousses, n'est pas la conséquence d'un individualisme exacerbé, mais d'espaces incultes dévolus aux dibo, esprits souterrains, abrités dans des autels construits à leur intention. Le territoire de cette communauté est marqué par ces esprits qui se manifestent dans ns des sites naturels - source, arbuste, pierre, termitière - qu'il faut savoir décrypter. Ces manifestations appartiennent la peau profonde, épaisse de la terre, qui s'oppose à la peau fine, asséchée par le vent ou le soleil : ce sont le derme et l'épiderme de la terre. Ainsi, les Tamberma ou Batâmmariba, ceux qui construisent en pétrissant la terre humide, sont associés par leur nom même à la terre qu'ils pétrissent. L'architecture des sikyièn est très élaborée ; de hauts greniers tournés vers l'ouest encadrent le corps principal du bâtiment. Les Batâmmariba sont les seuls à construire de telles habitations dans l'Atakora.
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L'organisation et sa configuration du village repose en fait sur deux clans, « clan noir », et de l'autre un « clan rouge ». dont l'origine est exposée dans les mythes de création. Kuiyé, l'être solaire , a créé le monde à Dinaba (article précédent). Dans ce village, il créa également les deux premiers hommes, qui devinrent ses fils. L'aîné est le «fils noir », et le cadet le « fils rouge ». Afin de pouvoir garder un œil sur ses enfants dans le but de les protéger, Kuiyé leur fit construire leurs maisons devant la sienne, respectivement l'aîné à gauche et le cadet à droite. Ces maisons sont distantes d'une cinquantaine de mètres l'une de l'autre, et également de celle du créateur. L'ethnologue P. Mercier lie cette configuration avec les données historiques relatives à la direction qui a caractérisé les dernières migrations des Bétammariba (du couchant vers le levant). Ce mouvement migratoire serait devenu selon lui un modèle historique pour ce peuple, et aussi pour ceux qui - par la même occasion - se sont fait refouler par les nouveaux venus. C'est pour cette! raison qu'il souligne que « l'axe ouest-est ne pose pas seulement une divisiom entre deux moitiés de l'espace, il est aussi un axe de marche, le pays se fait dansl une expansion continue ». Comme dit par le mythe .chaque village Tamberma est considéré comme la reproduction du village mythique originel de Dinaba, et par conséquent l'évocation de l'installation des premiers hommes sur la terre. Et, à l'instar de Dinaba, la maison-clanique, c'est-à-dire celle qui recèle les biens considérés comme faisant partie du patrimoine clanique, est souvent implantée la première, à l'endroit que l'on pourrait considérer comme étant la limite est ou arrière du village.
Les autres maisons, celles des descendants de l'ancêtre du sous-groupe clanique, sont construites à l'ouest de celle-ci (c'est-à-dire devant, plutôt qu'en face, si l'on se réfère toujours au mythe de la création de Dinaba par Kuiyé et ses enfants). Une hiérarchie dans l'organisation du village est respectée. On pourrait la comparer à celle qui gère le statut social, qui ne serait que le reflet de l'organisation du village. Le plan du village tamberma serait ainsi le symbole de la mise en ordre sociale de la communauté villageoise.
L'habitat tamberma, takyenta ou tékyênté condense toutes les formes de l'habiter,réel, technique et symbolique à la fois.
« L'habitat du groupe familial Tamberma se compose d'un groupe de maisons correspondant aux différentes unités domestiques qui s'y rattachent. Elles sont situées les unes par rapport aux autres dans un ordonnancement spatial codifié par la localisation du tèkyêntè ancestral, la maison-mère pourrait-on dire, celle qui détient les attributs et le patrimoine rituel du groupe, la maison clanique. Le terme de tèkyêntè sert à nommer la maison tamberma, en tant qu'édifice construit habité par un groupe domestique mononucléaire dans la majorité des cas, mais aussi l'ensemble des éléments qui participent au fonctionnement du groupe familial. Il se compose d'un agencement d'espaces différents qui composent l'habitat tamberma. Ils peuvent être classés en trois catégories. La première représente l'édifice construit (nommé tèkyêntè). La seconde est l'espace compris entre les différentes maisons et l'espace directement environnant, qu'ils appellent « cour » même s'il s'agit d'un espace ouvert sans délimitation autre que l'aire des pratiques domestiques. C'est là que se déroulent la plupart des activités et des relations quotidiennes caractérisant la vie du groupe familial. La troisième enfin est l'espace constitué par les champs cultivés par les femmes, dits « de proximités », car ils s'étendent en forme de deuxième ceinture autour de la cour et des maisons. L'habitat tamberma, le tèkyêntè, se réfère donc à la fois au groupe domestique qui habite la maison, à la maison d'habitation elle-même, et au groupe d'habitations correspondant aux maisons et aux espaces directement environnants nécessaires à la vie du groupe familial élargi. Il comporte des lieux de vie, des lieux de production et des lieux rituels et sacrés.
Parmi toutes les composantes de l'espace tamberma, le tèkyêntè, en tant qu'édifice construit, est l'élément de très loin le plus important et aussi le plus intéressant à analyser, tant la complexité de ses multiples dimensions est extrême. Sur le plan architectural, il constitue la construction domestique vernaculaire la plus élaborée de tout le Togo et même l'une des plus remarquable de l'Afrique de l'Ouest. Réalisé en terre, en bois et en paille, des matériaux provenant de son environnement immédiat, il se présente comme un édifice assez compact, qui s'organise sur un plan circulaire ou elliptique. 11 comporte un ensemble de tourelles reliées les unes aux autres par des murs curvilignes. L'ensemble constitue un bloc à entrée unique qui s'organise sur deux niveaux, ce qui lui donne l'allure d'une forteresse. »G.H. PADENOU.M.BARRUE-PASTOR ARCHITECTURE SOCIETE PAYSAGE BETAMMARIBE DU TOGO.PRESSE UNIVERSITAIRE DU MIRAIL
Le nom de l'ethnie, comme nous l'avons déjà vu, porte en lui-même la caractéristique principale du peuple Tamberma. mot composé du préfixe Ba (Bé), désignant le peuple. Ta évoque titati, la terre humide utilisée pour construire. Ma vient de kama qui signifie créer, construire ou délimiter. Et enfin est un qualificatif signifiant beaucoup ou vrai. Ce qui confirme la traduction qui est habituellement faite du vocable, « les vrais maçons ».
La maison tamberma va ainsi constituer un modèle réduit du monde,un espace à la fois quotidien et sacré, total au sens du phénomène total de M.Mauss, mettant en relationl'homme la nature ,la culture et enfin la cosmogonie..Y coexistent l'utilitaire et le symbolique, le féminin et le masculin, les vivants et les morts. Elle se situe ainsi au centre de l'univers Tamberma.
« La maison bétammaribé est une construction qui a la particularité d'être caractérisée par un statut social et rituel. Ce statut est signalé par quelques indicateurs visibles de l'extérieur, tels que la taille et les autels situés devant la porte d'entrée. En effet, parmi le groupe de maisons associées à une même famille, une seule est considérée comme la première maison de la famille (la maison ancestrale), sa taille est plus importante ainsi que le nombre de ses autels. Elle abrite les objets de culte familiaux, et centralise les cérémonies qui regroupent la famille entière.
Les greniers et les autels font partie des éléments remarquables permettant de différencier les maisons d'un même groupe d'habitations. Nous avons identifié trois types de greniers, qui ont été classés en fonction de leur forme, de leur disposition et de leur utilisation. Ainsi pouvons-nous distinguer les greniers intégrés à l'édifice lui-même, qui sont les deux greniers caractéristiques de la maison tamberma. Ils contiennent les cultures les plus importantes soit le fonio et le sorgho. Ensuite, des greniers indépendants de la maison, disposés au sol autour du tèkyêntè. Ils contiennent des cultures moins prisées et cependant nécessaires dans l'alimentation, telles que le haricot (Vigna unguiculata), l'arachide (Arachis hypo-gaea L), le voandzou (Voandzeia subterranea Thu.). Ces cultures y sont conservées dans de la cendre. Comme ces greniers sont installés au sol, le mélange des produits de la récolte à la cendre permet de limiter et même de circonscrire le risque d'attaque par les rongeurs et les insectes. Enfin les greniers abrités dans la maison qui sont des sortes de jarres de forme allongée, hautes d'à peu près quatre-vingts centimètres. En forme de fuseau, ces greniers contiennent les cultures que l'on consomme le plus fréquemment, en l'occurrence le maïs et le riz. Les greniers les plus importants sont, du point de vue de la forme et de la contenance, ceux disposés sur la toiture-terrasse du tèkyêntè. Leur importance leur vient aussi des pratiques rituelles codifiées qui leur sont consacrées.
Les autels se présentent comme des monticules en terre de forme galbée, de différentes hauteurs, placés devant l'entrée des maisons. La plupart de ces autels portent les traces des offrandes faites pour honorer les êtres qu'ils représentent. Il existe plusieurs types d'autels. Les autels personnels dédiés aux membres encore en vie du groupe domestique, ce sont ceux que l'on trouve systématiquement devant toutes les maisons habitées. Les autels des esprits ou des divinités, ainsi que les autels des ancêtres, caractérisent seulement quelques-unes des maisons, notamment la maison ancestrale. Les différents types d'autels se différencient par leur fonction spirituelle, ainsi que leur spatialisation par rapport au tèkyêntè.
La cour du tèkyêntè est un espace ouvert, ou plutôt un ensemble d'espaces organisés autour de la maison, et dont les fonctions sont multiples. Ces espaces, qui accueillent les activités liées à la vie du groupe familial, sont ponctuellement mis en relation avec l'activité de production. C'est dans la cour que se localise le koufikou. C'est un abri, la plupart du temps fait de branchages posés sur des poteaux en bois dur (boussi, boukoutikon, bsam), ouvert et de faible hauteur. Cette construction offre un coin d'ombre où se repose la famille pendant les heures les plus chaudes de la journée. Le koufikou ressemble assez au togouna des
construit de la même manière, avec des poteaux fourchus. Un adulte ne peut pas s'y tenir debout. Des troncs, portés par d'autres troncs disposés transversalement ou par des têtes de poteaux fourchus, sont arrangés en bancs et permettent de s'y asseoir et même de s'y prélasser allongé. Le toit plat de koufikou offre un lieu supplémentaire pour le séchage. Y sont disposés la plupart du temps les cabosses de fruits de baobab, de même que la paille fraîchement coupée » G.H. PADENOU.M.BARRUE-PASTOR.op.cite.
A SUIVRE
QUELQUES SITES ET PHOTOS
http://www.africaclub.com/homefran.htm
http://visions.over-blog.com/article-22359156.html
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