« Ils sont dans le Feu qui s'éteint,
Ils sont dans les Herbes qui pleurent,
Ils sont dans le Rocher qui geint,
Ils sont dans la Forêt, ils sont dans la Demeure, »
BIRAGO DIOP. Souffles.
« S'il arrive au détour d'un chemin Fon de vous trouver face à un long morceau de bois fiché profondément en terre et dont le sommet à hauteur d'homme évoque un visage plus ou moins subtilement sculpté, ne soyez pas inquiet. 11 s'agit certainement d'un bocio, gardien puissant des lieux où il est implanté, sorte de sentinelle protectrice et agissante. Vous êtes au cœur de la culture Fon de l'ancien royaume du Danhomè, actuellement le Bénin, où s'est développée une religion qui, comme chaque religion, répond aux préoccupations que tous les êtres humains ont toujours eues et continuent d'avoir, malgré les progrès extraordinaires de la science dans toutes ses composantes. Ces préoccupations peuvent se résumer aux questions suivantes : Qui sommes-nous ? Où sommes-nous ? D'où venons-nous ? Aces questions,les populations du monde entier tentent d'opposer des réponses en fonction de leur environnement. Le peuple Fon nomme vodun l'articulation originale de ces réponses, à partir de cette idée largement partagée de la présence d'une force au-dessus de tout, insaisissable, dont tout ce qui existe dépend, nous-mêmes n'étant que 1 des produits de cette force qui se transmet par le souffle. Ce vodun, le royaume du Danhomè l'a véritablement institué en assemblant de manière inédite ce qui existait déjà de façon disparate, non hiérarchisée, chez les Ashanti du Ghana et les Yoruba du Nigeria »Gabin Djimassé.Vodun Et Culture Fon.
Il est sans doute difficile de définir ce qu'on entend exactement par vodun(j'adopte, parmi d'autres possibles, l'orthographe correspondant à la prononciation du mot). Tout de suite s'impose à notre imaginaire la vision de scènes cinématographiques où se combinent sacrifices sanglants, zombies, transes violentes et poupées maléfiques et qui se mêle à l'exotisme touristique comme à l'ethnocentrisme des colonisateurs ;s'impose aussi l'image de « fétiches « à l'aspect repoussant, synonyme longtemps d'idolâtrie sauvage avant de devenir objets de contemplation esthétique dans nos musées..
On est pourtant loin, dans toute cette imagerie, de ce qu'est la réalité du vodun, à savoir celle d'un vaste champ de croyances et de pratiques, d'une grande complexité et qui s'est élaboré au fil de l'histoire, ensemble partagé par plusieurs millions de personnes, en Afrique de l'Ouest son berceau ,mais aussi en Amérique de nord et du sud, comme aux Caraïbes, suite à la traite des esclaves, auxquels s'ajoutent désormais les mouvements migratoires en Europe. Il devint ainsi Vaudou à Haïti, Candomblé au Brésil, Santeria à Cuba.
Il constitua, à l'origine, le fondement culturel des peuples qui sont issus par migrations successives de Tado au Togo, les ADJA (Fons, Gouns, Ewé… et dans une certaine mesure les Yoruba…) peuples qui constituent un élément important au sud des États du Golfe du Bénin (Bénin , Togo , Ghana,Nigéria).Le peuple Adja-Fon établit ainsi un royaume puissant et redouté, le Dahomè à partir du XVIIème siècle sur le plateau d'Abomey et c'est en ce lieu que le système culturel vodun s'établit de manère cohérente.Sa grande souplesse d'adaptation permit tous les syncrétismes ultérieurs qui permettront aux esclaves de garder une part de leur identité culturelle et d'en fonder une autre dans la déportation. les peuples conquis se virent imposer les vodun d'abomey mais la cour royale eut le souci d'intégrer au panthéon ceux des vaincus(Sakpata ou Dan).
Pour centraliser en effet les éléments disparates et les acquis historiques, les vodun ont été organisées officiellement en panthéon commode par la cour d'Abomey(sorte de culte « d'état » à côté des vodun familiaux et individuels), selon trois axes, céleste ,terrestre et enfin le tonnerre et la mer.. les grands seraient ainsi :Mawu-Lisa (couple fondateur) Toxwio Agasu (la panthère) ; Hèbioso ou Shango yoruba (la foudre) Sakpata (la terre et la variole) Tovodoun-Nensuxwe (ancêtres de la famille royale) ;s'y ajouteraient les morts qui font retour(Egungun) et surtout les « transversaux »comme Legba, l'intermédiaire par excellence à qui on rend le premier culte, Fa la divination, Dan le serpent arc-en-ciel ou Gu vodun du fer. Ces noms sont en fait génériques et constituent des familles (il y a ainsi de nombreux Legba).Les vodun sont donc innombrables ; il en existerait près de 400.Certains sont inter-ethniques, d'autres rattachés aux phratries et enfin aux particuliers
« Les vodu sont innombrables. C'est l'une des premières constatations de Bernard Maupoil : « II est bien difficile d'évaluer, fût-ce approximativement, le nombre des vodû honorés dans le Bas-Dahomey, même en restreignant le sens du mot au maximum » (p. 55). Quelques prédécesseurs de Maupoil ont avancé des chiffres (deux cents, quatre cents). A propos du pays yoruba (dans le Nigeria voisin), on a parlé d'un minimum de six cents vodû. Cette surabondance correspond à une histoire - celle des royaumes qui se créent et s'étendent, des vainqueurs et des vaincus, celle aussi des dieux eux-mêmes qui ne cessent de voyager et de s'échanger. En outre, si elle ne semble pas faire problème par elle-même aux adeptes des cultes, tolérants et accueillants aux nouveaux dieux, elle provoque l'étonnement des observateurs européens, spécialement des représentants officiels de la religion chrétienne, qui s'interrogent tout au long du siècle sur ce que représentent exactement ces vodû pour leurs fidèles et sur l'ordre sous-jacent à leur apparente diversité. »
« Que les dieux circulent, c'est ce dont témoigne la parenté des panthéons yoruba, fon ou ewe. La libre circulation des dieux est une réalité dont participe aujourd'hui encore en Afrique la diffusion extrêmement rapide des cultes nouveaux de diverses sortes et de diverses origines . Mais historiquement l'expansion du royaume va de dieux ancestraux (comme on le verra l'ancêtre fondateur de la dynastie et le dieu vodû ne font souvent qu'un). Ils imposent leurs dieux mais ont un égal souci de rassembler autour du trône royal les dieux des autochtones vaincus : nul prosélytisme religieux en cette affaire, donc, mais bien plutôt mouvement à double sens. Ainsi les peuples dominés par le royaume d'Abomey virent-ils s'installer chez eux le culte d'Agasu, dieu de la famille royale des vainqueurs, cependant que ceux-ci importaient les vodû les plus prestigieux des peuples conquis et, parmi eux, plusieurs de ceux qui constituent les figures centrales du panthéon dahoméen, comme Dâ (le serpent et l'arc-en-ciel), Hevieso (le tonnerre), Sak-pata (la terre et la variole) et même Mawu, où les missionnaires voulurent voir l'expression d'un « monothéisme primitif» et qui fut importé avec son double Lisa sous le règne de Tegbesu. Les rois d'Abomey eurent tous conscience du risque que pouvait présenter pour le trône un dieu trop populaire. Tous les prêtres des vodû (les vodûno) furent soumis aux prêtres des dieux royaux (Agasu et Zomadonu), y compris ceux de Mawu et Lisa. C'est ainsi, note Bernard Maupoil, que se créa une sorte de religion d'Etat « qui succomba lors de la conquête, laissant la place au panthéon populaire dont les deux héros sont les vodû Sapata et Xevioso ». Marc Augé.Le Dieu-Objet
C'est sans doute cette complexité et cette souplesse d'adaptation qui font que les difficultés de la compréhension n'épargnent pas non plus les spécialistes : s'agit-il d'une religion, (devenue syncrétique à Haïti ou au Brésil) mais on hésite alors devant les « ismes »multiples, animisme, polythéisme etc. D'une sagesse comportant une véritable éthique de l'existence harmonieuse et de la sérénité ou encore d'un art divinatoire (géomancie) le FA, de pratiques thérapeutiques avec toute une pharmacopée ; sans compter la survenue « d'états limites » comme les transes et possessions.
Tout ceci existe à la fois et ensemble, sans doute. Le vodun est une pratique qui assure la cohésion sociale mais aussi une liturgie avec ses prêtres et ses lieux de culte. Il y aurait bien un Etre Suprême « fondateur » mais à jamais inconnaissable parce que retiré, qu'on louerait donc mais sans lui rendre de culte ; il y aurait des entités intermédiaires, qu'il aurait suscités, les Vodun (ou Orishas chez les Yorubas)mais qui ne sont pas vraiment des dieux, au sens du polythéisme grec par exemple, mais plutôt des forces naturelles ou des ancêtres divinisés et à propos desquels il ne faut pas trop se fier à l'apparence de leurs diverses figurations matérielles . Existerait un savoir réservé à des initiés et donc, une pédagogie dispensés dans des « couvents » ; on découvrirait sur les chemins, dans les cours, sur les autels un monde d'objets, comme les Bocio mais qui n'ont aucun pouvoir si on les isole des paroles et des récits mythiques qui en sont l'animation. Dans les cérémonies enfin, le plus « spectaculaire »une sorte de théâtralisation, la transe, pendant lequel les « possédés » endossent tout un « vestiaire de personnalités »(Leiris), soit les diverses incarnations des entités et, pour chacun, d'attributs conventionnels d'un vodun particulier.
« Lorsque se profile, de nuit, à la faible lueur d'un feu de paille, un « masque » africain des plus secrets qui dresse ses mâchoires terrifiantes vers le ciel, il exerce sur les initiés un effet émotionnel. Sa danse se fonde sur l'alternance de l'apparition et de la disparition, du proche et du lointain, du départ et du retour. La chorégraphie rituelle joue de l'instabilité des formes, car l'apparition n'est qu'à peine entrevue, un peu comme une hallucination, voire comme un phantasme. Il en va de même d'une crise de possession nocturne au Togo, lorsqu'après des heures de percussions et de chants, soudainement, une mère de quatre enfants, habituellement d'un caractère pondéré, crie, se dénude le torse, roule des yeux, gesticule comme entraînée dans une farandole désordonnée par un maître invisible et court enlacer la monstrueuse statue de Djagli, ruisselante de gin, de bouillie de maïs et de sang de poulet. L'expérience de l'adepte n'est jamais seulement visuelle ; elle est de nature enthousiaste : il danse, chante, crie, interpelle le dieu ou lui répond. Cette mise en scène de l'à peine visible - quand les esprits de la brousse descendent au village et que s'estompe la frontière entre les vivants et les morts - tranche avec l'esthétique bon enfant des spectacles divertissants. ».JP Colleyn. Secrets. .Fétiches D'Afrique. La Découverte).
Le terme Vodun, lui-même, outre diverses orthographes possibles (vaudou, vodu, vodoun) qui dénotent le flottement du sens, peut connoter à la fois ,le système entier des croyances et pratiques, le vodun, ou encore une entité , un vodun, qui incarne l'idée qu'on peut se faire de forces de la nature ou d'un ancêtre fondateur ; voire enfin, sa matérialisation , monticules, statues, qu'on peut rencontrer dans des lieux précis, à la croisée des chemins ou dans des habitations.
L'Etymologie du mot reste également source de débat : soit la traduction la plus répandue dans divers dictionnaires, « dieux ou déités » mais qui ne facilite pas vraiment la compréhension, en raison du sens habituel que leur donne notre culture. Le Fon décline un sens meilleur que valide Bernard Maupoil dans sa somme classique sur la Géomancie : « ce qu'on ne peut comprendre ou élucider » rejoignant ainsi l'Ewé evo edu « le pays inconnu, le monde des invisibles » ;ou enfin un sens plus philosophique « vo-bo dun » : « le fonds du bassin où l'on peut puiser la sérénité. »
Le grand photographe et anthropologue Pierre Fatumbi Verger lui-même initié avance une idée intéressante dans sa simplicité : il s'agit avant tout d'un pacte d'alliance et d'interdépendance entre un homme ou un groupe et « une force de la nature » que les soins des premiers fixent en un endroit déterminé. Pacte interdépendant puisque en échange de protection ou de services le vodun ou l'orisha reçoit sacrifices et offrandes. Cette force(Ashè) serait ainsi assagie et domestiquée suite à sa fixation (dans des pierres ou objets) quoique ceux-ci restent de simples supports (d'où l'inanité du terme fétiche), l'Ashè restant à jamais immatériel. Le pacte se noue quant à lui de plusieurs manières : par emprunt lorsqu'il s'agit de peuples ou de clans qui ont émigré ou été vaincus ; par l'héritage dans les clans et lignages d'un même vodun, de génération en génération ; par la révélation suite à un oracle, ou à des transes et possession.
En ce sens, Le cosmos apparait comme un ensemble de forces que l'on peut capter, diriger, exploiter ou neutraliser. Ces forces résident dans la nature, fleuve, mer, forêts, s'incarnent sous diverses formes dans des plantes, des animaux(les serpents) ; des ancêtres qui ont su les intégrer et devenus vodun en font profiter leur lignage (« les morts, Egungun, ne sont pas morts » disait le poète Birago Diop ) ;elles apparaissent dans des rêves ou dans les signes divinatoires, habitent des bois sacrées ou possèdent un initié en le « chevauchant » . L'homme tend à communiquer avec le monde invisible exactement de la même manière qu'il le fait avec ses prochains ; il s'adresse aux vodun comme à des personnes, (ces entités ont souvent un « sale » caractère) pour solliciter leur intervention dans les événements de la vie quotidienne. Cette communication est provoquée par des moyens appropriés: sacrifices, culte, prière, rite, observation des tabous ; et les vodun eux-mêmes manifestent leur présence par des « prises de possession » ou parles événements qu'ils déclenchent.
"Il redit chaque jour le pacte,
Le grand pacte qui lie,
Qui lie à la loi notre sort;
Aux actes des souffles plus forts
Le sort de nos morts qui ne sont pas morts;
Le lourd pacte qui nous lie à la vie,
La lourde loi qui nous lie aux actes
Des souffles qui se meurent." BIRAGO DIOP
Ils jouent donc le rôle de médiateur entre l'homme et ce qu'on peut nommer « l'ailleurs », « l'invisible », dont ils participent et donc à tout ce qui peut renvoyer à notre ignorance des causes de ce qui survient, comme aux manques de nos désirs. Dans le pacte, le vodun a donc des devoirs envers l'homme : le protéger, rétablir sa santé, lui donner des enfants, l'enrichir et le combler de bonheur, punir ses ennemis, fertiliser ses champs, lutter contre les sortilèges, etc...Mais les rituels et les sacrifices ont à l'inverse la fonction de lui donner l'énergie nécessaire à ses tâches.
Le vodun dans son ensemble apparait donc comme une culture ou entrent une tradition orale et des rites, un « art », une pratique de la médecine mais aussi de la musique et des danses. On est en présence de toute une vision du monde et d'une sagesse d'abord pratique et efficace au service de l'homme.
« Au cœur de ce fondement culturel, nous trouvons l'ensemble des pratiques qui forment le vodou. Je parle ici d'une pédagogie oubliée dans la mesure où, selon moi, le vodou est avant tout une discipline éducative à la vie ; c'est du vivre et de l'agir de l'homme dont il est question, mais la pratique - que ce soit en Afrique dans son aire d'origine ou bien que ce soit ailleurs où l'introduction de cette pratique est consécutive à l'esclavage - ne met pas suffisamment en exergue, et donc en œuvre toute la potentialité intellectuellement éducative de son contenu. C'est un enseignement qui est porté par quelques-unes seulement des divinités qu'on rencontre dans le culte, on devrait dire les cultes.
On peut noter que c'est véritablement le seul ensemble de valeurs africaines qui, exportées de force, ont réussi à se maintenir en gardant intact l'essentiel, c'est-à-dire, les Céments fondamentaux de sa base, bien qu'elles aient été soumises à d'extraordinaires contraintes destructrices. On peut regretter par exemple que la première déclaration vraiment universelle des droits de l'homme au monde, qui fut prodiguée au milieu du XIIIème siècle par Soundiata Keita de l'empire du Mali, n'ait pas connu une notoriété et un impact semblables à ceux de la culture des Adja-Tado. C'est un système qui a montré sa profondeur, en tant que pilier de l'existence au jour le jour - ça l'est aujourd'hui encore - mais aussi sa solidité à travers le rôle qu'il joua comme soutien psychologique dans les moments critiques de la vie des esclaves en Amérique et dans les Caraïbes ; ce qui en faisait le seul point d'appui sur lequel ils pouvaient s'arc-bouter pour ne pas sombrer psychologiquement, et donc pour survivre. »Paul Aclinou. Une Pédagogie Oubliée Le Vaudou.l'Harmattan.
La théodicée est de ce fait singulière par rapport à ce qu'on sait du monothéisme, voire du polythéisme : elle n'est d'ailleurs pas trop développée. Il y aurait bien un être suprême Ma Wu (Olorun chez les Yorubas) mais dont la traduction signifie « ce que personne ne peut atteindre », soit l'Inconnaissable et l'Incommensurable. Les missionnaires chrétiens ont certes voulu traduire Ma Wu par Dieu, comme ils ont assimilé les vodun à des « anges » ou aux saints mais au prix de grandes difficultés : Ma Wu serait féminin et aurait son pendant en Lisa, principe masculin (d'où l'imprécision sur sa vraie nature : s'agit –il d'un être androgyne, de jumeaux ou d'un couple fondateur). Hormis donc le caractère suprême, cet être n'a que peu à voir avec le dieu biblique : il s'est retiré depuis longtemps du monde et s'abstient d'aucune intervention. On ne lui voue aucun culte se contentant de le louer par quelques formules .Est-il même le créateur ? la cosmogonie est loin d'être précise à ce sujet puisqu'elle insiste surtout sur un principe vital et générateur Gbêdoto en Ewé , dont la signification est intéressante (ce qui « réalise la vie ») et que surtout, elle se manifeste par l'Ashè la « puissance », capable de faire venir les choses à l'existence, celle que justement l'homme capte par le rituel et qui réside dans un support matériel(sans pourtant s'y confondre).
« Le monde aurait été créé selon cette conception par un principe qui utilisa un autre principe énergétique d'ordre général. Selon cette optique, le monde aurait été créé par Gbêdoto, c'est-à-dire littéralement : « celui qui possède la vie » ou bien « celui qui fonde la vie », ou encore « celui qui génère la vie » ; c'est-à-dire un Être qui a le pouvoir de création du vivant. Il n'est pas dit que ce soit Ma Wu, l'Etre Suprême, car, d'une manière générale, les peuples qui situent leurs origines à Tado évitent de mêler ^'Incommensurable - Ma Wu - à beaucoup d'aspects de notre monde ; modestie ou prudence ? Je l'ignore. Par ailleurs, seule la création des vivants (au sens large) est envisagée ; en effet Gbê-Do-To se décompose en « Gbê » qui signifie : vie) et « Do Tô » (qui se comprend comme possesseur, réalisateur) ; c'est donc un principe créateur plutôt qu'un Être quelconque ; ce principe se serait servi d'un autre principe appelé Ashê que nous pouvons traduire par pouvoir, puissance, sérénité, potentialité... c'est-à-dire, un pouvoir qui permet d'amener un phénomène, une action, une idée à l'existence réelle, physique. Il s'agit d'un pouvoir de passage qui mène de la potentialité à la réalité physique. En fait, c'est une notion qui est très difficile à rendre dans la langue française et qui peut se traduire par «Le pouvoir de faire venir les choses » ; avec ce pouvoir, Gbêdoto créa le monde des vivants selon les Adja-Tado. Quant au monde géologique, il n'en est pas vraiment question ; tout se passe comme si l'existence du monde physique entrait dans un plan qu'il est inutile de conceptualiser ; le monde existe et on prend acte de cette existence, c'est tout ! ».Paul Aclinou. Une Pédagogie Oubliée Le Vaudou
Selon les principes de l'animisme qui récuse tout dualisme et transcendance, un souffle (esprit ou âme ont ce sens primitif) cosmique génère et régénère perpétuellement la nature produisant des évènements à partir de potentialités. Le souffle cosmique se propage à la façon du sang dans le système circulatoire. Par son dynamisme, la nature ne cesse ainsi de faire passer les possibilités, dont elle est grosse, de la puissance à l'acte, assurant la gestation de toute production objective, puis la désagrégeant pour qu'elle cède sa place une autre.
Que pourrait l'homme, face à ce Grand Vivant, à cet ordre naturel dont il participe mais dont la logique cyclique le dépasse, sinon invoquer le Destin ou la Fortuna, (en ce sens, plus que par le polythéisme, la pensée vodun se rapprocherait de celle des grecs antiques et des romains). La multiplicité, l'enchevêtrement des causes ont toujours dépassé notre entendement, provoqué notre stupeur et introduit une « pensée du malheur » devant les catastrophes naturelles, les épidémies, la maladie ou la mort surtout si ses évènement sont imprévisibles ou surviennent en même temps. Nos savoirs et techniques habituellement mis en œuvre se révèlent impuissants parfois devant une accumulation de séries causales dont nous ne saisissons pas le lien et que nous nommons alors contingence ou hasard.
Les groupes et sociétés pourtant ont toujours su mettre en œuvre des logiques capables de penser l'impensable et d'exercer surtout un efficace, devant l'impuissance des autres rationalités. Ces croyances et rites peuvent nous surprendre, provoquer notre ironie devant tant de crédulité ou primitivité mais l'essentiel n'est pas là : le système et ses rites, loin d'être irrationnels, permettent d'abord de donner sens au malheur et donc d'échapper déjà à ce qui resterait autrement un destin. On retrouve ici une des étymologies de vodun qui renvoie à l'idée d'apprendre devant un évènement, à puiser de la sérénité, comme on puise de l'eau dans un bassin .Ces logiques symboliques ne d'ailleurs sont pas absentes de nos propres cultures comme l'a montré J.Favret-Saada (Les Mots, Les Sorts, La Mort) à propos du bocage mayennais et normand. La crédulité est d'ailleurs toute relative, de l'ordre du « je sais bien ,mais quand même ! », comme dans tout rapport entre le mythe et le réel : quand un shaman aborigène australien guérit par une série de rites une maladie attribué par la pensée collective à la sorcellerie de « l'os pointé » et qu'il termine sa séance en exhibant des petits os qu'il aurait extrait du corps du malade, il est toujours quelqu'un de l'assistance pour rire et trouver que décidément « il en fait toujours trop ! ».On peut noter à l'inverse que des shamans amérindiens ou lapons ont le sentiment de ne pouvoir désormais plus guérir parce que la croyance de support a disparu par la christianisation. Les médecines, les traditionnelles comme la nôtre, sont des rationalités insérées dans une culture et elles véhiculent un savoir dans un contexte précis selon ce qui est tenu comme crédible dans un temps et lieu donné. (La science nomme ce fait un paradigme).Elles n'ont pas affaire qu'au seul corps biologique puisque celui est toujours en interférence avec le corps social ( langage, coutumes ,techniques du corps, système de représentations et donc idée de la maladie) voire du corps politique( ,santé publique, régulation de la sexualité par ex)
On comprend d'après ce qui précède sur la nécessité de donner du sens, en quoi la pensée vodun est liée à la Géomancie, l'art divinatoire Fa (le mot a le sens premier de destin ,chacun a un Fa)qui serait originaire d'Egypte et aurait atteint Ife au Nigéria en passant par le Nil, adopté ensuite par les Fon. Il a acquis un caractère officiel dans le royaume du Danhomè, dès le XVIIème. Selon les mythes Fa (IFA ou Afa) est lui –même une entité, que les Yorubas considèrent comme le fondateur du légendaire Ife ; il aurait reçu ses pouvoirs de l'être des carrefours Eshou-Legba. Comme Legba c'est un passeur de sens, transversal par rapport à la classification du panthéon vodun : il n'est jamais objet de représentation et n'a aucun des comportements des autres vodun. A la fois oracle et voie initiatique vers la sagesse il symbolise donc la sérénité face à la réalité. Fa fournit aux hommes un langage qui permet de communiquer avec l'ailleurs ou l'invisible. Il possède justement ce qui leur manque : il sait lire le passé dont il est la mémoire, interprète les mystères de la vie, connaît les causes du désordre et prévient le mal. Il est capable d'intervenir directement pour apaiser un grand nombre de maladies et on le consulte avant de prendre toute décision importante devant un évènement malheureux (maladie, stérilité) ou heureux(naissance). Le devin « bokonon », à son service, interprète le sort par des jets de cauris ou de pommes de pin qui véhiculent des signes « odou »(un odou comporte deux colonnes verticales de quatre indices formés de traits verticaux) : il y a 256 combinaisons possibles.
On se tromperait sur Fa comme sur tout oracle, si on pensait qu'il indique impérativement ce qu'on doit faire. A l'instar de la Pythie de Delphes, Fa « signifie », c'est-à-dire qu'il propose des voies pour résoudre une situation et les sens possibles de celle-ci; aux hommes de l'interpréter correctement et de décider ce qu'ils feront.
A SUIVRE
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