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L'ordre cosmique et la nature vont ainsi façonner les identités sakalava et permettre à cette société de construire et d'organiser son territoire à leur image. En unissant nature et surnature.
« Ce qui caractérise le territoire, c'est la présence du rite. L'humanité traditionnelle, moderne ou post-moderne, vit au moyen de rites qui révèlent ses hiérarchies, expriment ses valeurs et confortent ses croyances, même lorsqu'elle se pense en dehors du religieux. Or le rite a besoin de lieux sacrés et inversement, les lieux ont besoin de rite; le territoire réunit dans un réseau de haut-lieux les géosymboles identitaires et politiques qui agrègent les communautés humaines. Ce sont des sanctuaires ou des Saint des Saints et c'est ce qui le rend magique, c'est-à-dire à la fois dangereux et envoûtant, mais en dernière approche, profondément humain
Le territoire commence avec le rite. Il est même le plus immédiat des rites, on le sent d'autant mieux qu'il est physique, par exemple lorsqu'on marche à pied – d'où le sens des pèlerinages qui vont vers des sanctuaires (laïcs ou religieux). C'est peut-être le premier exercice rituel inventé par l'homme ou, pour paraphraser Luc Bureau, sa première résonance avec la terre. JOEL BONNEMAISON.OP.CITE
La nature vierge, « sauvage » est le monde des génies, les ancêtres des premiers hommes aux temps originels de la création. On les nomme « Esprits De La Vie » et ils sont les maîtres de tout espace naturel, terre ou eau. Ils participent à la surnature aux côtés d'esprits errants et de l'âme des défunts. Les croyances font de ces entités des avatars du dieu-Zanahary qui se manifeste par leur intermédiaire dans les possessions par exemple. Le sakalava « moyen « les côtoie quotidiennement lorsqu'il fréquente certains lieux et il possède un code pour les reconnaitre.
« Personne ne les a jamais vus autrement qu'en rêve, mais chacun sait qu'ils existent et où ils se trouvent. Les enquêtes menées dans la région m'ont permis d'éprouver cette géographie imaginaire et de comprendre qu'elle fasse l'objet d'une représentation collective qui embrasse l'ensemble des édifices territoriaux. A l'exemple de savants géographes, les habitants allaient ainsi me dessiner la carte d'occupation de ces génies, en suivant très précisément la configuration des espaces géographiques…
Les génies bemihisatsy que l'on appelle également besomotsy ou bekompaky, aiment les grandes forêts humides. Ce sont des êtres de chair et de sang des vieillards muets, barbus, handicapés des membres inférieurs, qui se traînent, nus, dans les sombres forêts et laissent dans leur sillage de larges traînées sur le sol. Ils ne se déplacent guère aux abords des villages et ne fréquentent pas les clairières ou les lieux dégagés. Leur domaine est celui de la forêt parfumée (manintsy1) qu'aucune route ne traverse, là où poussent les baobabs)et les grands tamariniers où chantent le toloho et l'oiseau akoky et où vivent les lémuriens). Ils choisissent pour demeures de vieux tamariniers aux formes torturées. Aux dires des habitants, les Bemihisatsy étaient jadis très nombreux dans la région. Mais les hommes qui empiètent toujours un peu plus sur la forêt et détruisent les arbres lors des brûlis les font fuir. Les génies se sont alors retirés dans la grande forêt d'Andranomena où ils vivent aujourd'hui et où certains habitants disent les avoir rencontrés.
Les koko représentent le second type de génies sylvestres dont on dit qu'ils sont les ancêtres de la forêt Comme les Bemihisatsy, ce sont des êtres vivants qui se reproduisent et se nourrissent de miel, de racines et de hérissons1, et s'organisent en communauté. La description qui m'en fut faite est aussi précise que stéréotypée. Le koko est un être de petite taille, aux cheveux tressés enduits de miel, à la peau claire et aux gestes vifs. Aussi farouches que les Bemihisatsy, mais plus téméraires, ils colonisent un grand nombre d'endroits. On dit généralement qu'ils logent dans les racines de l'arbre fiamy. Bien qu'ils préfèrent les grandes forêts, ils ne rechignent pas à vivre dans la forêt dense sèche, en partie dégradée et sur les îlots de dune de la mangrove, à condition qu'ils y trouvent un tamarinier pour s'abriter. » A l'ouest de Madagascar: les Sakalava du Menabe .Sophie Goedefroit. Karthala.
La construction du territoire va alors se bâtir autour de la notion d'autochtonie qui instaure le pouvoir des groupes premiers sur le territoire, parce que censés l'avoir initié justement par un pacte avec ces génies d'où leur préséance sur les groupes seconds. Ceux-ci (migrants et étrangers), trouvent la légitimité de leur installation vis-à-vis des génies par les alliances médianes conclues avec le lignage fondateur. Plus l'installation d'un groupe dans un village est ancienne, plus il aura contracté d'alliances avec le lignage fondateur, plus il se rapprochera des génies tutélaires des lieux. La citoyenneté villageoise se décline en fonction des affiliations quasi biologiques avec les génies, maîtres de la terre, en ligne masculine pour les fondateurs, en ligne féminine pour les autres
L'autochtone est celui qui affirme ainsi être lié avec la surnature et participer ainsi au monde primordial. Les mythes de fondation vont par exemple présenter les grands ancêtres comme issus biologiquement d'une union entre un être humain et un animal (crocodile, caméléon.. .). Le mythe va même jusqu'à prétendre que certaines caractéristiques physiques découlent de cette union première et se sont perpétués de génération en génération (ainsi la poliomyélite serait un signe d'autochtonie et caractériserait un maitre de la terre). Cette proximité avec la surnature fait de ces autochtones des intermédiaires privilégiés dans les rituels destinés aux génies tutélaires, qui leur transmettent certains savoirs ayant trait aux pratiques divinatoires (la géomancie) et à l'utilisation des plantes à des fins magico-religieuses (charmes protecteurs) ou thérapeutiques. Les Maroseraña, comme dit précédemment ont su justement bâtir leur pouvoir par des alliances matrimoniales avec ces groupes premiers pour acquérir une assise autochtone mais surtout s'entourer de devins autochtones (Ombiasy) seul capables de la médiation avec les génies et donc d'accomplir le pacte entre la royauté et la surnature ( par exemple, d'ériger le poteau cérémoniel de fondation du royaume , charme protecteur du Menabe.
« Après la révolution socio-territoriale engendrée par les mesures coloniales de regroupement des sites épars d'habitat et de valorisation de l'agriculture, alors que les populations se sédentarisaient et se regroupaient en communautés villageoises, les devins autochtones continuèrent à permettre cette coalescence entre le pouvoir et le sol en sacrant de nouveaux autochtones lors des rituels de fondation de village. Comme aux premiers temps de la constitution du royaume, l'installation d'un individu sur une terre vierge de toute occupation antérieure ne suffisait pas à le faire reconnaître maître des lieux. Pour qu'il pût accéder au titre de fondateur de village ou « maître de village » (tompon-tana), il lui fallait passer un accord avec les génies tutélaires des lieux et sceller cette alliance en plantant un arbre-autel appelé « toninltana», charme de village. Dès cet instant les chroniques familiales se confondent avec l'histoire de la fondation du territoire. Elles deviennent indissociables, ne forment qu'une seule mémoire, celle-là même qui, faisant fi de toute installation antérieure, distingue le temps d'avant la fondation du village par l'ancêtre, du temps de sa création. Le lignage maître de village issu de l'ancêtre fondateur se comporte en souverain, imposant à tout étranger désirant s'installer sur ses terres une transaction matrimoniale. Ainsi au fil des installations successives, les communautés villageoises se construisent-elles par un enchaînement d'alliances entre familles corésidantes, dont le premier maillon est l'alliance initiale que contracta l'ancêtre fondateur du village avec les génies tutélaires et qui donna naissance à la communauté villageoise. Ce lien entre les membres d'une communauté et son territoire , lien que les acteurs eux-mêmes qualifient d'ombilical, est maintenu par la présence, au sein de chaque lignage fondateur de village, d'un individu possédé par les génies des lieux. A l'ouest de Madagascar: les Sakalava du Menabe .Sophie Goedefroit. Karthala.
En fonction de ce qui précède, les sakalava ne s'installent pas n'importe comment, tout établissement humain étant considéré comme empiétant sur l'espace des génies. Des rituels de « désacralisation », et la plantation du Tony, arbre-autel « charme de fondation, marquent ainsi l'instauration d'un espace humain pour bien établir une séparation entre le monde que construisent les hommes et celui sauvage des génies(toute clôture de l'espace en est le signe). Ce rituel varie en fonction de l'endroit et du type de génie censée en être le maitre(en fait donc sur la particularité écologique du milieu.)
Le premier habitant du village a ainsi un pouvoir de fondation et d'organisation de l'espace puisqu'il est le maitre des rituels. Il placera des « charmes » à l'entrés du parc à zébus, sur les pâturages ou rizières ou lors de la culture sur brulis ;des cérémonies particulières concernent les tombeaux .
On bâtit de préférence sur certains lieux : clairières ou espaces à l'abri du vent, présence d'un point d'eau, terre sableuse ; les nécropoles occupent les hauteurs ( plus près des ancêtres mais bien éloignés des habitations) . Les interdits de culture font qu'elles occupent des lieux stériles et les animaux qui les occupent sont considérés comme incarnations et esprit des ancêtres : ainsi se concilient réalité, but poursuivi et système de représentation.
Le village obéit à un modèle idéal (bien que de tas d'explication peuvent être donnés pour justifier une réalité pratique différente).ce modèle d'agencement spatial obéit en principe à l'ordre cosmique et surnaturel.il se retrouve partout ailleurs à Madagascar.
L'aspect d'un village sakalava dépend fortement de son milieu écologique. Les villages de pêcheurs, bâtis en bord de mer, et les villages d'éleveurs, logés dans une clairière au milieu d'un bois investi par les bœufs laissés en liberté, n'ont pas la même apparence. L'impression d'infini que renvoie l'espace ouvert des villages littoraux contraste avec l'univers clos des villages des terres. Le soleil qui donne au sable l'aspect du mica et la brise qui atténue ses effets font qu'il est nettement plus agréable d'y vivre que dans les villages de la mangrove, sombres, humides, boueux et infestés de moustiques, ou que dans les villages d'éleveurs enserrés dans une inquiétante forêt et constamment recouverts d'un brouillard de poussière. Mais la différence ne s'arrête pas là. Elle se retrouve également dans les matériaux de construction des cases, des parcs et des clôtures. Chacun use des ressources que lui offre son milieu. Les cases de pêcheurs sont en général de petites dimensions. Leur armature est en bois de palétuvier et leurs parois ainsi que leur toit, sont en roseau. Les gens qui vivent « sur la terre », qu'ils soient éleveurs ou cultivateurs, cherchent à construire des cases plus imposantes et surtout durables. Les chefs de famille qui ont à disposition une main-d'œuvre importante, mais qui abritent aussi un plus grand nombre d'individus sous leur toit, construisent des maisons à deux pièces. Les piliers et les poutres faîtières sont taillés dans les arbres de la forêt, dans des essences reconnues imputrescibles , mais ayant aussi des vertus « magiques » Leurs parois de roseaux sont parfois tapissées de boue que l'on extrait des termitières. Si le propriétaire est riche, il coiffera sa demeure en terre (trano fotaky) de plaques de tôle qu'il récupérera de-ci, de-là ou qu'il convoiera de la ville en charrette à zébu. Il aura alors une case somptueuse que l'on verra de loin quand le soleil frappera la tôle. A l'ouest de Madagascar: les Sakalava du Menabe .Sophie Goedefroit. Karthala.
En règle générale, la structure d'un village reprend donc la conception symbolique d'un espace plan orienté selon les points cardinaux qui renvoie à la vision qu'ont les Sakalava de l'au-delà, du village des morts .Ainsi, dans l'esprit des habitants comme dans les plans d'aménagement des villages, domine un dualisme simple entre le nord-est et le sud-ouest qui régit la disposition des lieux, Le village idéal se déployant selon l'axe nord/sud. Le tony, qui indique l'endroit, où le village prit naissance, se situe au nord. Le tamarinier où se déroule les veillées mortuaires ou pour un sacrifice de zébu, détermine à l'est l'espace cérémoniel communautaire, un endroit de communication avec les ancêtres.
Au centre du village, on retrouvera bien souvent un endroit ombragé, une sorte de place publique, un lieu de sociabilité où les habitants viennent discuter. A l'ouest (lieu du trivial, de l'inférieur et de la souillure et en périphérie extérieure, on réservera un lieu de décharge où les habitants iront se soulager et jeter leurs ordures. L'habitat s'organise en enclos géométriques qui s'articulent du nord au sud en fonction de l'ordre d'arrivée des familles. Le nord est réservé au lignage fondateur qui se doit de conserver, dans son enceinte, l'emplacement de la case de l'ancêtre artisan de la création du village. On dit que l'esprit de l'ancêtre y demeure. C'est la raison pour laquelle cette place doit rester propre et qu'annuellement la communauté, et plus particulièrement le responsable du lignage fondateur, doit y offrir les prémices des champs y faire paître les bœufs en guise de salut et de respect envers le premier propriétaire du village. L'occupation du lignage premier en un coin du village implique automatiquement que toute la zone nord soit déclarée interdite à toute installation postérieure. La confusion des espaces risquerait de provoquer la confusion dans les rôles. Les premiers perdraient la prééminence que leur confère leur antériorité à l'avantage des seconds. Cet ordre se reproduit dans chaque enclos « familial » Le chef de maison (tompon-trano) trône dans le quart nord-est, alors que ses enfants ou ses cadets prennent place en fonction de leur degré hiérarchique au sein du lignage. Plus l'individu vieillit, plus il atteint l'âge de devenir ancêtre, plus son autorité a de poids, plus il occupera la partie nord-est de l'enclos, partie de l'univers dévolu aux ancêtres.
Il est une autre organisation qui obéit aux mêmes principes, celle des nécropoles ou « villages des morts ».Le Menabe en compte sept principales. Elles manifestaient l'art funéraire des sakalava(tombeaux de bois sculptés ) mais font place au béton désormais. Chaque site comporte plus de cinquante tombes .L'originalité particulière de l'architecture funéraire sakalava est à la mesure de l'importance donnée par la culture malgache à tout ce qui concerne la représentation de la mort et la relation aux ancêtres. Le tombeau matérialise la présence de l'ancêtre qui est le fondement de l'organisation sociale, le rôle par rapport auquel chaque groupe se définit. Il borne, marque le territoire de chaque lignage et représente la meilleure expression qui soit de la dignité sociale. En fait, le tombeau est le but d'une vie, la consécration, la réussite !
« L'architecture funéraire s'est développée sous une forme spécifique au tout début de la royauté (XVIIe siècle). Cette tradition remonte, en effet, au roi Andriamisara, l'un des fondateurs de la dynastie Maroserana mais aussi devin guérisseur dont la tradition nous dit qu'il a abandonné le pouvoir pour se livrer, en toute liberté, à sa passion de la sculpture. Depuis lors et jusqu'à nos jours, cette architecture s'est fait l'écho des transformations sociales et politiques qui rythment l'histoire de la Grande Île (traite des esclaves et expansion sakalava conflit avec le royaume d'Imerina, développement du commerce avec les Européens, colonisation et indépendance) pouraboutir à cette ultime métaphore de la modernité que sont les tombeaux en béton,, La période coloniale est sans doute l'exemple le plus significatif de la constante évolution de cette architecture funéraire. Avant l'arrivée des premiers Européens, l'agencement et la décoration des tombeaux traduisaient les différents modes d'accès à l'ensemble des privilèges sociaux et politiques. Ces privilèges se déclinaient selon un registre
ornemental spécifique, reflétant la position de chacun ou plutôt de chaque lignage dans la société. À regarder un tombeau, son orientation, sa position dans le cimetière, sa décoration, les sculptures présentes, etc., on pouvait en déduire facilement quel était le statut social de celui qui était enterré là. Ajoutons que ces modes d'expression plastique, sculptures de personnages ou ' d'animaux, blasons, motifs géométriques trouvent donc également son expression dans l'architecture funéraire, ouvrant de nouveaux registres ornementaux directement inspirés de la présence occidentale. Mais la domination coloniale qui bouleversera profondément l'ancien ordre social surtout, en favorisant l'introduction de nouveaux principes religieux, politiques et idéologiques, cette nouvelle période, politique ménage aux laissés pour compte de l'ancien système qui, esclaves ou dépendants, n'avaient aucun statut social, un accès aux ancêtres, aux tombeaux leur accordant ainsi une nouvelle identité ». ROYAUTÉ ET ARTS FUNÉRAIRES CHEZ LES SAKALAVA DU MENABE.Sophie GOEDEFROIT .Jacques LOMBARD
Si la notion de premier occupant est l'idée à partir de laquelle se construit le territoire, le tombeau est la preuve concrète de l'antériorité. Ainsi la permanence des tombeaux royaux renvoient aux ancêtres fondateurs les plus lointains alors que les tombes dispersées dans l'espace renvoient à des ancêtres errants non identifiés.
Les espaces destinés à recevoir les restes mortels des défunts sont effectivement conçus et organisés comme des sites traditionnels d'habitat et le tombeau eux même « maison des défunts » reproduit en miniature la case commune selon l'axe est-ouest( quatre piliers portants, la porte, le toit, les parois). L'agencement des quartiers et l'ordonnancement des tombeaux sont régis par les principes habituels d'organisation hiérarchique de l'espace plan. « Comme on le fait pour les cases, le père mort en premier tiendra le nord et suivront ensuite ses enfants.
Ceux-ci ne pourront être placés à sa tête (c'est-à-dire à l'est) mais devront prendre place dans le bas (c'est-à-dire à l'ouest). On les placera à ses côtés, mais un peu en retrait afin que l'on puisse correctement les distinguer ».Lorsque des sculptures existent situées sur les quatre coins, représentant comme dans la maison les destins mères de l'astrologie, les statues représentant des hommes se trouvent aux coins nord-est et sud-est tandis que celles représentant des femmes le sont dans les coins nord-ouest et sud-ouest. Les deux piliers du tombeau au milieu des côtés nord et sud au même titre que les poteaux latéraux de la maison portent le même nom : « les amants de la maison » Le parallélisme du tombeau et de la maison se poursuit jusque dans la disposition des objets personnels et l'ordonnancement des corps du lignage
Ainsi le tombeau enregistrant et validant toute une saga familiale est-il l'objet de variations architecturales selon les enjeux du moment pour les vivants, d'où la nécessité de le rénover, le transformer au goût du jour pour complaire aux souhaits des défunts, car ils apprécient d'être associés à la modernité, et pour affirmer par là le statut visible des descendants.
« Comme dans le reste de la Grande Ile, le jeu social, jusque dans ses contemporaines, est régulé par les défunts. Vivants et morts d'un même lignage restent contemporains en dépit des apparences : les vivants sont visibles aux morts tandis que ces derniers le sont aux vivants par le biais de divers rituels. Le soro, par le truchement de prières et de sacrifices, autorise cette intercommunicabilité par laquelle la communauté sera à même d'attirer sur elle les bienfaits dont les ancêtres sont les dispensateurs. C'est pourquoi, le sacrifice par exemple, s'effectue au nord-est du village, lieu sacré par excellence, où le possédé officiant asperge l'assistance, autrefois avec du sang de bœuf sacrifié, maintenant plutôt avec l'eau dans laquelle a baigné une pièce d'argent pour diffuser le hasina. Il est tout à fait compréhensible que dans cette société qui fut essentiellement pastorale, le zébu puisse représenter le lignage « image des ancêtres chez les vivants »... « des vivants chez leurs ancêtres ». Il s'agit bien ici d'un animal passeur de mondes.
Après un minutieux et rituel traitement du corps pour l'enterrement, celui-ci dans sa location, son orientation, son ornementation définit le futur statut de l'ancêtre et par voie de conséquence celui de sa descendance hic et nunc. Ainsi le tombeau enregistrant et validant toute une saga familiale est-il l'objet de variations architecturales selon les enjeux du moment pour les vivants, d'où la nécessité de le rénover, le transformer au goût du jour pour complaire aux souhaits des défunts, car ils apprécient d'être associés à la modernité, et pour affirmer par là le statut visible des descendants.
Les premiers tombeaux consistaient en un amoncellement de pierres dont la taille attestait l'honneur d'appartenir à un très vieux et très vaste lignage chacun de ses membres se devait d'y déposer une pierre. Puis au fil du temps, on les entoura d'abord d'une palissade de pieux épointés, puis avec la période coloniale, c'est l'époque où ceux qui étaient exclus de la possession d'un tombeau propre, et donc d'ancêtres, comme les anciens esclaves ou les femmes, vont pouvoir innover grâce à de nouveaux outils et matériaux, on les ceintura de planches polies ajustées, décorées de frises avant que, sous l'influence des communautés chrétiennes le bois ne cède le pas aux parpaings, au ciment, à la peinture. » A l'ouest de Madagascar: les Sakalava du Menabe .Sophie Goedefroit. Karthala.
. Le recours à la modernité n'est point pour autant trahison de la tradition. En effet, puisque la mort n'est que le miroir de la vie, les ancêtres en sont les vrais représentants. A sa façon, le tombeau est une métaphore de la modernité en cours. C'est pourquoi au même titre que la prière, le rêve, la maladie, moyens par lesquels se noue le dialogue des vivants et des morts, le tombeau se doit d'accueillir ces derniers dans le monde tel qu'il se présente en veillant à ne pas les surprendre par les changements intervenus. Le tombeau dans l'évolution de ses formes atteste de ce souci. Il en est du tombeau comme de la possession à savoir que le possédé censé être le porte-parole des rois très anciens exprime l'intérêt de ces derniers pour les situations qu'ils n'ont pas connues et sur lesquelles ils donnent un avis par leur truchement
« Tout cela donne à penser que chaque territoire, d'un lignage ou d'un royaume, existe d'abord dans ce que l'on pourrait appeler une mémoire commune c'est à dire une histoire particulière qui lie des groupes et des personnes à travers des échanges de toute nature qui s'opèrent par le jeu de rituels particuliers, de funérailles ou de circoncision par exemple. Une histoire particulière parce que les relations de toute nature qui unissent ces groupes ou ces personnes forment en quelque sorte une ensemble significatif beaucoup plus importante et efficace, socialement parlant, que les liens particuliers que ces mêmes groupes et personnes peuvent établir à l'extérieur de cet ensemble. Cet ensemble, ce réseau d'échange dessine donc un territoire particulier qui s'actualise, à travers les mariages, les dons et les contre-dons, les conflits, les vendetta, les anecdotes etc., mais surtout dans une personnalisation, dirons-nous, de plus en plus spécifique des ancêtres, des divinités, dans la forme particulière des interprétations apportées aux malheurs et aux calamités par les spécialistes, dans les sentiments et leur expression, dans les jeux de la dérision et de l'humour. Cette mémoire commune faite de connivences, de sous-entendus, de complicités s'exprime de la manière la plus subtile dans tous les jeux littéraires, les joutes poétiques, le maniement des proverbes et l'on se dit alors que l'écriture en fixant les mythes et la littérature fixe aussi les territoires .Le Territoire, Image Portée De L'imaginaire Social.Jacques Lombard
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Rédigé par : domi bara | vendredi 06 mar 2015 à 11h43