« L'homme est l'image et le reflet du monde. Entre microcosme et macro-cosme se créent des renvois secrets.
Tel un angakkok (chaman),la personne possédant un savoir magique peut déchiffrer ce système interconnecté et mystérieux, voir au-delà des apparences pour atteindre la vérité : vérité transmise de maître à disciple, d'esprit à esprit.
Habités par une perception chamanique du temps et de l'espace, les Inuit s'efforcent de décrypter le langage occulte d'une Nature primordiale et dynamique. Régie par un ordre caché que l'on se doit de respecter, elle est appréhendée comme un réseau complexe de signes :
Que l'œil, l'oreille, tous les organes sensoriels découvrent et interprètent dans une vision cosmique, faisant intervenir des croyances d'origine asiatique en matière de réincarnation du pouvoir des astres et orientations majeures.
L'Inuk ressent profondément la sacralité de cette Nature animée et changeante, parsemée et ponctuée de signa à décrypter : « [...] la vie est éternelle. Mais jamais on ne sait sous quelle forme on renaîtra », raconte Kivkarjuk à l'ethnologue Knud Rasmussen.
Incessante métamorphose d'un univers spatio-temporel en perpétuel devenir, dont l'homme n'est qu'une parcelle, un instant fugace :
Les Groenlandais racontent diverses Fables, écrit le missionnaire Hans Egede, touchant le Soleil, la Lune, les Étoiles & les Planètes, qui, à ce qu'ils croient, tirent leur origine de leurs Ancêtres. C'était autrefois des Hommes qui, dans des rencontres particulières, ont été enlevés dans le Ciel.
Nous revient alors à l'esprit la pensée de Denis Diderot, selon lequel, dans son processus incessant de transformation, la matière enfante des mondes déjà à l'agonie :
Tout change, tout passe, il n'y a que le tout qui reste. Le monde commence et finit sans cesse ; il est à chaque instant, à son commencement et à sa fin [...] Tout animal est plus ou moins homme. Tout minéral est plus ou moins plante ; toute plante est plus ou moins animal [...] Naître, vivre et passer, c'est changer de formes..
Dans leur panthéisme immanent, les Inuit privilégient une appréhension empathique du cosmos : par une approche sensorielle et intuitive, ils s'efforcent de percevoir l'invisible, ils tâtonnent avec leurs sens aiguisés pour effleurer des vérités qui demeureraient opaques à une lecture éminemment rationnelle du Grand Livre de la Nature.
À la frontière mobile entre naturel et surnaturel, en syntonie avec cette perception vitaliste et organiciste du cosmos, les Inuit de l'âge préhistorique vivent dans un réel magique : « ils ne parlent pas de leurs visions comme de choses mystiques, pour eux, tout est réalité »
Sous le signe des apparences trompeuses, les esprits - tutélaires ou hostiles, célestes ou chtoniens, auxiliaires ou pathogènes - entourent, protègent, hantent ces nomades des déserts froids, qui, comme le rappelle le chamane Aua, craignent :
[...] les hommes morts et les âmes des animaux tués [...] les esprits de la terre et de l'air...tout ce qui est inconnu... tout ce qui est autour de nous... et ce que nous connaissons par les récits et les mythes. Voilà pourquoi nous avons nos usages. Voilà pourquoi nous observons notre tabou. » Giulia Bogliolo Bruna .Apparences Trompeuses. Latitude Humaine
On se souvient que le terme inuit a succédé à eskimo (esquimew "d'origine indienne) orthographié esquimau chez nous. (Cliquer sur la catégorie inuit pour des informations plus détaillées).Terme péjoratif « mangeur de viande crue »ou « ceux qui parlent une langue étrangère. »
Dans les années 1970, les mouvements pour la reconnaissance des droits des autochtones ont milité pour l'abandon du nom Eskimo au profit de celui d'Inuit (singulier : Inuk). Les Eskimo eux-mêmes se désignent donc en majorité comme les Inuit,"les hommes par excellence" (mais au Groenland ils préfèrent leur nom de Kallaalit ). En 1977, la première conférence circumpolaire - réunissant des groupes d'Alaska, du Canada et du Groenland - en demandait l'adoption officielle, ce que fit le Canada en 1978. En français comme en anglais on opta, par souci de clarté, pour la forme invariable Inuit. La langue prit le nom d'inuktitut : "à la manière d'un Inuit".
A l'issue de la cinquième expédition de Thulé (1921-1923), on a dressé une liste de 17 groupes, que l'on s'accorde à regrouper en quatre branches principales : sibérienne (Yupik), alaskienne (Inupiaq), centrale et groenlandaise Les Inuit centraux se distinguaient par l'utilisation de la maison de neige (l'iglou) comme habitation d'hiver et par des activités cynégétiques organisées selon une alternance saisonnière centrée sur la chasse au phoque en hiver, au caribou en été.
Depuis longtemps, leur culture est considérée comme exemplaire par les anthropologues, suivis par le grand public (des milliers de titres disponibles, tous types d'ouvrages confondus). Sans doute les conditions extrêmes de l'Arctique, les expéditions comme celles de P.E.Victor ,Charcot, K.Rasmussen ou Jean Malaurie, la mythologie de Thulé ou enfin la fascination pour le chasseur expliquent l'exemplarité .Le travail scientifique (A. Leroi-Gourhan, F.Boas et M.Mauss ) y voyait pour sa part des cas d'école pour illustrer les grands thèmes de migration, de diffusion, d'emprunt, de convergence et d'innovation ou encore les variation culturelles selon le climat et les saisons.
L'occupation humaine de l'archipel arctique nord-américain est attestée à partir du troisième millénaire avant J.C. Plusieurs vagues de peuplements se sont succédé, identifiées et décrites par les archéologues grâce à leurs vestiges matériels. Tous ces habitants successifs de l'Arctique nord-américain y développèrent des cultures de chasseurs-cueilleurs nomades. La pratique nomadique s'appuie sur une connaissance intime de l'espace qu'elle organise, connaissance construite année après année de fréquentation attentive et régulière
Le nomadisme était organisé à l'échelle de chaque sous-groupe et suivait un cycle annuel. Déplacements et occupation des différentes parties du territoire étaient étroitement liés aux fortes variations saisonnières auxquelles est soumise la zone polaire : variations des températures bien sûr, mais aussi de la nature des précipitations et de la luminosité.
Les températures jouent un rôle de premier ordre dans les profondes transformations annuelles du milieu : selon l'intensité du froid, les plaines sont de véritables marécages difficiles à traverser ou des surfaces dures propices à la circulation ; la mer est un liquide salé (tariuq : "le sel" et par extension, "la mer") ou une croûte de glace solide où il est possible de demeurer (hiku : "le couvert glacé", la banquise). Par ailleurs, la longueur du rayon d'action quotidien des chasseurs depuis les camps dépendait de la luminosité : plus les jours étaient longs, plus ils pouvaient aller loin. Au cœur de la période sombre, leurs déplacements étaient très limités.
L'étude de l'organisation de l'occupation de l'espace révèle qu'au cours du XXe siècle, ils ont par deux fois au moins inventé des formes nouvelles d'exploitation du territoire .Au XIXe siècle, si les rencontres sporadiques avec des navigateurs ne modifient en rien leurs habitudes,les premiers échanges ont lieu au début de ce siècle. « Les Eskimo du Cuivre », les plus occidentaux, rencontrent à l'occasion des trappeurs Blancs à la recherche de nouvelles terres riches en petits animaux à fourrures. Ils échangent avec les Inuit quelques biens, dans le but de les faire entrer dans une économie de traite Le fusil s'impose très rapidement. Jusqu'au milieu des années vingt, le rythme des migrations saisonnières demeura cependant inchangé.
Sous l'influence des marchands qui organisent les échanges,ils sont passés progressivement, entre 1920 et 1935, d'une économie de chasse à une économie de traite, fondée sur le piégeage des renards blancs. S'ils continuaient à chasser pour se nourrir, c'est la trappe qui organisait leurs mouvements et la vie du groupe. Un nouveau système nomadique, de trappeurs et non plus de chasseurs, se mit alors en place et fonctionna jusqu'à 1955/60.
Les années cinquante - soixante virent leur sédentarisation progressive : Une fois de plus, ils modifièrent leur mode d'occupation du territoire. Ils durent en effet s'adapter à une nouvelle organisation spatiale où l'espace n'est plus polarisé, structuré par de multiples camps, mais centralisé, organisé à partir d'un lieu unique et permanent de résidence. Cependant, le principe de l'alternance saisonnière perdura. A nouveau un autre système, cette fois semi-nomadique, se mit en place (vers 1955/60).
Selon la définition des géographes,dont principalement Béatrice Collignon ,le territoire est un espace parcouru, régulièrement fréquenté, mis en valeur économiquement et investi affectivement, par la parole et par les gestes. Le territoire est le lieu de l'identité. Le territoire inuit porte ainsi la mémoire des hommes qui y vivent ou y ont vécu: - inukhut, caches à viande, pièges. Ainsi les inukhuk, "ce qui est comme un homme", Cairns de pierres empilées de telle sorte que la construction a une forme humaine, il en existe de toutes tailles. Ils sont en fait à deux types : points de repères destinés à aider les hommes à s'orienter, ou leurres utilisés lors de chasses estivales au caribou.
Les Inuit ont ainsi développé tout une sagesse du territoire : un savoir de l'espace d'abord cynégétique, mais qui humanise l'étendue par des toponymes en le transformant en un milieu habité. La mémoire, la tradition orale, viennent enrichir la lecture de l'espace et guider le chasseur dans ses choix. Les expériences personnelles, accumulées, mais encore celles des parents et des Anciens, transmises par les ; gestes ou la parole, toutes sont mobilisées au moment de décider où seront posés les filets, vers quelles vallées on se dirigera pour chasser les caribous
A ces récits de portée locale vont s'ajouter les grands récits « verticaux », récits d'origine qui situent les hommes dans le cosmos par rapport aux mondes célestes et marins qui auraient même origine(voir ci-dessous un mythe d'origine
A l'instar des Aborigènes d'Australie, la pensée inuit du territoire est ainsi une pensée de la relation, de mise en ordre qui lit l'espace à partir d'une image mentale du territoire et y voit tout un réseau virtuel de lignes, d'axes, de chemins, d'itinéraires, reliant des lieux et qui leur donne sens et les humanise : un tissu de relations où chaque lieu a sa place le long des fils et se mémorise en fonction des qualités de ses liens avec d'autres lieux, disposés eux-aussi le long d'itinéraires qui sont comme le fil d'Ariane du territoire.
La nature n'est pas l'expression d'un chaos mais bien celle d'un ordre qui vise à la conservation d'un tout. L'intériorité de ce tout : ce principe, après dix mille ans d'expérience et d'organisation progressive de son groupe social, une addition de familles structurée, cohérente, le chasseur boréal l'a intégré dans son expression chamanique de l'espace, du temps et du destin. Il l'a traduite dans la stratégie d'une organisation sociale égalitaire sociologiquement ; fonctionnellement aristocratique. Société anarcho-communaliste, telle que je l'ai vécue et décrite chez les 302 Inughuit ou Esquimaux polaires du Nord du Groenland durant mon hivernage en 1950-1952. Société cherchant r à conjurer le tissage souterrain d'une superstructure d'un État. Société anti-État, ainsi que Pierre Clastres l'a brillamment montré chez les Indiens Guyaki. Société visant par des dispositions subtiles, tous les deux à trois mois, à des redistributions festives et rituelles de l'accumulation privée. Ce sont, lors des fêtes rituelles et des anniversaires, des processus d'anticipation des accumulations saisonnières. Tout appartient au groupe : sol, sous-sol, mer, faune, flore, iglous ; même les pensées qui se voudraient intimes. La pensée du chasseur est sous-tendue par la crainte que les principes régulateurs de l'ordre de la nature ne soient pas respectés. Son code civil, c'est un ensemble de tabous majeurs — agliqtuq — qui dirigent la vie de chacun
À l'écoute de cette énergie vitale, des pulsions de l'air, de la terre et de la mer, l'autochtone a, outre une extrême acuité sensorielle, une rare faculté de mémorisation. Sans doute n' a-t-il pas une connaissance rationnelle des problèmes géodynamiques au sens où nous l'entendons, mais la dialectique homme/nature, il la vit sensoriellement, avec ses dendrites neuronales très aiguisées, mieux que quiconque. Par une approche cognitive différente de celle de l'Occidental, les hommes de l'espace circumpolaire disposent d'une appréhension osmotique de l'ordre naturel ; la mémoire physiologique devient instinct. ».Jean Malaurie.Hummocks1.Plon
Le savoir de ces chasseurs cueilleurs n'est pas que perceptif ou mémoriel, il est « magique » faisant large place à l'imaginaire et aux rêves. Rêver que beaucoup de poissons se prennent dans les filets est considéré comme un élément de connaissance au même titre que le fait de savoir que les poissons sont nombreux à un endroit parce que l' évasement de la rivière est un point de passage obligé De même, la concentration de la pensée sur un phénomène particulier (prendre beaucoup de poissons, trouver les traces d'un ours polaire, etc.) est comprise comme un moyen d'influencer le cours des choses, plus encore si cette idée est verbalisée, à l'image de ce qui se produisait à l'origine des temps et que rapporte la tradition orale .l'inuit a une conception animiste de la nature que la christianisation récente - au mieux soixante ans - n'a pas éteinte. La proximité des hommes, du gibier et des lieux permet l'efficacité de la parole. Sans doute les derniers chamans ont-ils disparu dans les années 70 mais l'animisme et la pensée chamanique restent très forts dans la perception du territoire.
« Comme les animaux qui nagent en eaux glacées ou survivent sur la banquise, les Inuits anciens prenaient leurs leçons sur la nature : peaux de phoques, poils d'ours, pelisses de caribous, pièces cousues avec des nerfs de mammifères, manteaux fabriqués avec des peaux d'oiseaux, plumes retournées et transformées en vêtements, fourrures empruntées aux pelages des renards, le froid oblige au mimétisme avec les animaux qui résistent confrontés aux conditions les plus excessives. Endosser l'habit bestial rapproche les hommes et les bêtes, d'où un tropisme chamanique : dans ce monde hostile, les poissons, le mammifère, l'oiseau et l'homme ne se distinguent pas, mais se répondent, se complètent, se mélangent - se parlent. Ils offrent des variations sur le même thème, plus proches et semblables, plus apparentés que dissemblables, différents et distincts.
Le froid fabrique la vision du monde et la religion. Les conditions géologiques, géomorphologiques et géographiques induisent métaphysiques, cosmologies, cosmogonies, philoso- phies et mystiques. La peau de bête revêtue met en contact avec le monde réel des autres vivants qui peuplent la banquise. Elle fonde une plus grande proximité entre les Inuits et la faune polaire qu'entre eux et les Européens dénaturalisés, décérébrés et sans repères - ceux qui, désormais, servent de modèles désespérants aux amateurs de vêtements acryliques, synthétiques, et autres fibres pétrochimiques. A se préserver ainsi du froid, les Inuits modernes rompent symboliquement les amarres qui les tenaient attachés à la banquise et à son imaginaire…
… Sans traces visibles sur le papier, certes, sans manuscrits, palimpsestes ni bibliothèques, évidemment, mais pas sans variations dont on ne pourrait établir la chronique ou la narration. Une civilisation à tradition orale obéit à d'autres lois que les cultures écrites. Elle relève d'une histoire minimale, répétitive - dans l'idée des musiques américaines de Phil Glass, Steve Reich ou John Adams - qui en appelle à la chanson de geste parlée, racontée, dite, transmise par le verbe et les mots. L'histoire se parle et se montre avec des histoires, récits mythiques et mythologies rémanents.
Les peuples sans écriture n'ont pas pour autant renoncé au verbe. La transmission orale s'effectue selon une autre technique que la transmission figée, ce qui ne veut pas systématiquement dire absence de messages. Les Inuits racontent des chiens qui copulent avec des hommes, des phalanges coupées qui donnent naissance à des phoques une fois jetés à l'eau, des oiseaux qui parlent, des semelles métamorphosées en humains blancs, des femmes qui élisent domicile fixe au fond des eaux, des chamans qui descendent dans la mer pour coiffer les cheveux de déesses magnifiques. Qu'ont à rétorquer sérieusement ceux qui pensent qu'un homme qui était Dieu est mort sur une croix, puis ressuscité trois jours plus tard ? Que sa mère était vierge ? Qu'il existe un enfer, un purgatoire et un paradis pour une âme indépendante du corps ……. Les fables mythologiques valent autrement, mais tout autant que les récits philosophiques et les fictions rationnelles. Parfois plus si l'on considère certaines de ces fictions et certains de ces récits... Les capacités mnémotechniques des civilisations sans écriture surpassent, et de loin, celles des cultures qui renoncent aux mémoires vives après l'abandon aux facilités livresques. La
vitalité active tient le devant de la scène, au contraire de leurs antagoniques fatiguées à cause des renoncements imprimés. L'oralité oblige à l'intersubjectivité, elle suppose la relation concrète et incarnée entre celui qui sait puis raconte et celui à qui l'on transmet l'information après l'en avoir jugé digne. La cooptation, le tribalisme, la réalisation de la communauté, la fabrication d'une identité supposent cette parole vive et active entre les hommes. Le ciment éthique passe par l'échange de mots riches et forts, initiatiques et créateurs de vérités sociales.
L'écriture inuktitut apparaît tardivement dans cette civilisation vieille de trois millénaires au moins - puisqu'elle date de la fin du XIXe siècle. On la doit aux Frères moraves, des missionnaires aux intentions claires, évidemment : évangéliser les Inuits, donc en finir avec leur civilisation, leurs us et coutumes. Là où l'on n'apprend pas la langue, le type de relation est induit; plus encore quand on commence à vouloir codifier la parole pour la soumettre aux raideurs d'un alphabet, d'une typographie, d'une écriture figée qui permet d'entrer dans un monde, certes, mais afin de s'y installer sans y avoir été invité. L'alphabet chrétien ouvre la porte à la colonisation… ». Michel Onfray.Esthétique Du Pôle Nord.Grasset
MYTHE D'ORIGINE D'APRES KNUD RASMUSSEN :
« Le ciel est un vaste pays avec beaucoup de trous Les trous nous les appelons étoiles. Des hommes habitent et quand ils versent quelque chose à terre cela passe à travers les étoiles et nous avons alors de la pluie ou de la neige. Dans le pays céleste habitent les âmes des hommes et des animaux après leur mort. Le maître du ciel s'appelle Tapasum Inua.
« Les âmes des hommes et des animaux sont transportées sur la terre par la lune. Quand la lune n'apparaît pas au ciel, c'est qu'elle est en route vers la terre avec les âmes. Après la mort on peut devenir autre chose que ce que l'on était pendant la vie. Une âme d'homme peut se transformer en âme de n'importe quelle espèce d'animal. Pinga veille sur la vie des animaux et il ne lui est pas agréable que l'on en tue un trop grand nombre. Rien ne doit se perdre. Quand on a mis un renne à mort, il faut recouvrir son sang et ses entrailles. Ainsi la vie est éternelle. Mais jamais on ne sait sous quelle forme on renaîtra. »
Tout cela est de la compétence des sorciers (chamans) .Aussi, au cours de longues conversations avec Igjugarjuk, je réussis à apprendre maint détail à cet égard, Ses théories étaient si simples et si élémentaires, qu'elles ressemblaient d'une façon surprenante à certaines théories modernes. Toute sa conception de la vie tient dans ces quelques mots qui sont de lui ; « Toute vraie sagesse ne se rencontre que loin des hommes, dans la vaste solitude. Elle ne peut être atteinte que par la souffrance et les privations. La souffrance est la seule chose qui révèle à un homme ce qui est caché aux autres. »
II ne suffit pas de vouloir être sorcier pour le devenir. On le devient parce qu'il y a dans l'univers certaines puissances mystiques qui vous font comprendre que vous êtes un élu. Cette révélation a lieu par l'intermédiaire des rêves.
La puissance mystique qui agit si fortement sur les destinées des hommes s'appelle Sila. Il est très difficile de la définir. Ce mot a trois significations : Univers, Temps, Intelligence. Dans son sens religieux, le terme Sila désigne une force que l'homme peut acquérir et qui est personnifiée dans Sila Inua : « Le maître de la force ou littéralement celui qui possède la force. » Parfois on l'appelle aussi Pinga (esprit qui apparaît sous la forme d'une femme, quand on a besoin de lui). Est-elle la créatrice des hommes ou des animaux? On n'est pas bien fixé à cet égard. Mais tout le monde la craint comme une Mère sévère, qui surveille étroitement les actions des hommes et surtout la façon dont ils traitent les animaux.
En outre, c'est à elle qu'il appartient de sanctionner toutes les infractions au tabou. Elle punit les hommes par le mauvais temps, la pénurie de gibier ; bref, par les calamités qui sont les plus redoutées. Aussi les Esquimaux chasseurs de rennes sont-ils constamment en conflit avec Sila, et avec eux-mêmes. Dans cette conception se révèle une idée morale, qui mérite tout notre respect.
Le sorcier est l'intermédiaire entre Sila et les hommes. Son rôle principal consiste à guérir des gens malades ou à les délivrer de quelque autre misère. Un malade veut-il être guéri, il faut qu'il se débarrasse de tout ce qu'il possède. Ses biens sont transportés loin de toute demeure et déposés à terre. Car, lorsqu'il fait appel à un esprit supérieur, l'homme ne doit posséder que son souffle
« Là-dessus, nous ne savons rien Personne ne raconté le commencement du monde. Aussi loin queremontent les souvenirs de nos pères, la terre était telle qu'elle est à présent. Mais le soleil, la lune, les étoiles le tonnerre, l'éclair sont des hommes qui ont peuplé l'espace.
« pourquoi? C'est inexplicable. Nous ne cherchons pas à le savoir. Et pourtant, il y a une raison, les mauvaises actions et des infractions au tabou ont peuplé l'air de mauvais esprits. Le soleil et la lune ont tué leur mère et quoique frère et sœur, ils se sont aimés d'amour. Voilà pourquoi ils ont cessé d'être des humains.
« Le tonnerre et l'éclair étaient également frère et sœur, orphelins abandonnés de tous. Un jour, fouillant un tas d'ordures, ils y trouvèrent une pierre à feu et un morceau de peau de renne. Ils s'écrièrent alors : « Que devons-nous être? » — « Le tonnerre et l'éclair ». Ils ne savaient pas ce que c'était. Mais soudain ils s'élevèrent dans les airs et l'un fit jaillir des étincelles avec sa pierre et l'autre tambourina sur sa peau de tambour qui résonna à travers l'espace céleste. C'est la première fois qu'il tonna et éclaira au-dessus de la terre. Ils passèrent tout près du village où habitaient les gens qui les avaient repoussés. Et ceux-ci moururent tous dans leurs tentes, ainsi que leurs chiens. Les cadavres gisaient intacts. Seuls les yeux étaient tout rouges. Mais si l'on touchait à ces corps, ils tombaient en cendres. »
Nalungiaq m'expliqua ensuite l'origine du vent, de la neige, de la tempête. Puis elle en vint à parler de l'espèce humaine. « L'homme est venu sur la terre avant la femme. Les premiers hommes étaient deux sorciers. Mais ils ne pouvaient pas se multiplier. Alors l'un d'eux se transforma en femme et ils eurent beaucoup d'enfants. On raconte aussi que les premiers enfants sont nés de la terre. Toutes choses viennent de la terre. Les rennes aussi.
<c II était une fois un esprit de la montagne qui s'était avec un renard blanc. Il restait toujours chez lui auprès de sa femme et ne chassait pas. Mais les renards sont de grands chasseurs, raillèrent leur sœur qui avait pris un mauvais mari. L'esprit de la montagne creusa alors un trou dans la terre et il en sortit de la viande de renne desséchée et du suif bien gras. Telle est l'origine des rennes.
« La terre était aussi la grande nourricière des hommes. Quand ils voyageaient, ils la fouillaient afin d'y chercher de quoi manger.
« II n'y avait pas alors d'animaux dans la mer et l'on ignorait les sévères prescriptions du tabou. On n'était exposé à aucun danger, mais l'on ne goûtait aucune joie après la journée de travail. Or, il arriva qu'une petite orpheline du village de. Quingmertoq (Sherman Inlet) fut jetée à l'eau au moment où les habitants se disposaient à traverser le détroit dans leurs caïques. Elle essaya de s'accrocher aux embarcations mais on la repoussa d'abord. Elle revint à la rescousse et on lui trancha les doigts. Mais ces doigts se transformèrent en animaux marins qui surgirent des profondeurs et évoluèrent autour des caïques.
« La jeune fille descendit au fond de l'océan et elle devint la mère de tous les animaux marins. Elle qui avait toujours été pauvre, donna de la .nourriture aux hommes. Néanmoins, elle se vengea sur eux de leur manque de cœur. De tous les esprits, elle est le plus redouté, car si elle nous nourrit elle est, par contre, U cause delà famine. C'est pour elle qu'ont été créées toutes les règles du tabou. Elle se nomme Nuliajuk.
« Du fond delà mer, des êtres étranges régnent sur les destinées des hommes. Outre Nuliajuk, il y a « Isarra-taitsoq ». Elles ont un homme pour elles deux et cet homme est un loup de mer. Leur enfant adoptif Ungaq, volé par Nuliajuk à une mère endormie, ne grandit pas. Il crie continuellement. Dans leur corridor séjourne un Troll, « l'esprit de l'entrée ». Il sait tout ce qui se passe dans le monde et raconte à Nuliajuk toutes les Infractions au tabou commises par des hommes et quand Nuliajuk se fâche, elle enferme tous les animaux marins Mans sa lampe. L'entrée de la maison est gardée par un |grand chien noir qui ne dort jamais. Ce chien et l'esprit du corridor sont la terreur des sorciers qui vont intercéder auprès de Nuliajuk en temps de famine.
« II y a trois endroits où vont les hommes après leur mort. C'est d'abord Angerdlartarfik (pays éternel du «joyeux retour). C'est le pays de la joie. Il est situé«quelque part dans le ciel. On y pêche en grand à toutes les époques de l'année et la lune y aide les hommes à capturer les animaux. On se distrait par des chants, Ides rires, des jeux. Seuls sont admis dans ce séjour les bons chasseurs et les femmes qui ont de beaux tatouages.
« Vient ensuite, immédiatement dans l'écorce terrestre, Noqumiut ou le « pays des gens veules ». C'est là que se retrouvent les mauvais chasseurs et les femmes qui n'ont pas de tatouages. Ils ont toujours faim car ils se nourrissent exclusivement de papillons. Ils restent assis, tête baissée et les yeux fermés. Quand un papillon passe au-dessus d'eux, ils se redressent lentement et essaient de le happer.
« II y a enfin le monde souterrain.
« II était une fois un célèbre voyant du nom d'Angnaituarsuk. Les gens de Malerualik le virent un jour arriver en glissant sur l'eau dans le Simpson Strait. Cet homme avait visité le monde souterrain. Il s'y plaisait tant, qu'il finit par y rester tout à fait. « A son premier voyage souterrain, il avait d'abord traversé le « pays des gens veules ». Mais il s'était empressé de le quitter. Il était alors parvenu dans un pays où régnait l'été. Près d'une rivière, il y avait beaucoup de monde. On péchait le saumon. On riait et on menait grand train. Ensuite, il était entré dans une tente où un homme d'un certain âge, qui tenait en main un arc, lui avait fait bon accueil. Il lui avait raconté que les rennes abondaient aux environs et que les rivières étaient très poissonneuses. Il l'avait invité à l'accompagner à la chasse. A ce moment était entrée une femme jeune et souriante. Elle s'était assise sur la banquette latérale, ce qui signifiait qu'elle n'était pas mariée. Le maître de la maison avait prié alors le sorcier de passer la nuit avec la jeune femme. Mais le voyant avait craint de s'attarder et d'oublier son chemin. Il avait regardé au plafond et avait craché en l'air. Son crachat avait traversé la toile de la tente, et y avait fait un trou par lequel il était sorti. Puis il s'était transformé en une mouette qui s'était envolée vers la rivière où il avait vu de nombreux pêcheurs. « Une mouette ! Une mouette ! » S'étaient-ils écriés. Ils avaient tiré à l'envi sur l'oiseau sans J'atteindre. Ce n'était certainement pas une mouette ordinaire, avaient dit les morts, au moment où il s'éloignait. Il était alors revenu sur terre et avait raconté aux hommes ce qu'il avait vu. Voilà comment nous avons été renseignés sur le monde souterrain. »Knud Rasmussen. Du Groenland Au Pacifique. Plon
Chants De La Toundra Adaptation Pierre Léon.
Pierre Léon est un linguiste, qui a écrit plusieurs livres, dessine et sculpte. Ayant enseigné dans plusieurs universités françaises dont la Sorbonne, il dirige désormais le laboratoire de recherche en phonétique de l'université de Toronto.
IL a publié en 1985, aux éditions La Découverte une des premières anthologies de la poésie inuit (inuit du canada) sous le titre Chants De La Toundra.Il s'agit en fait d'une adaptation de la littérature orale découvertes par les anthropologues et en particulier par KNUD RAMUSSEN au cours de ses expéditions de Thulé(Du Groeland Au Pacifique.Plon).
C'est une poésie à la fois personnelle-tout inuit compose des chants, un jour ou l'autre-souvent elliptique dans la forme, mais surtout d'inspiration chamanique(angakok). L'angakok, communique avec les esprits de l'air, de la terre et de la mer pour se les concilier. Il les prie de calmer la tempête, la famine, de conjurer le mauvais sort, la maladie, les blessures, d'envoyer vers la tribu le gibier trop rare.
Le chant inuit est d'abord fonctionnel : Parfois improvisé mais le plus souvent longuement mûri, formule magique, hymne d'action de grâces, complainte, berceuse, divertissement ou moquerie, il a un but immédiat, communiquer un contenu qui dessine la fresque mythique de l'univers eskimo — l'homme à la fois misérable et grand aux prises avec les esprits, les éléments déchaînés, la peur et les tabous, le jeûne et la ripaille, la douleur atroce et la joie débordante.
Chantés sur des mélodies très particulières, volontiers monotones, les chants sont souvent accompagnés de battements de tambour. Le refrain en est repris généralement par le chœur des assistants et consiste la plupart du temps en une sorte de mélopée du type «Aya, Aya-ya» qui peut prendre différentes variantes, selon le sentiment à exprimer.
La vie en hiver,
Mais l'hiver m'apportait-il la joie?
Non! Jamais je ne fus aussi inquiet
De savoir si nous aurions assez
De peaux pour les chaussures
Et pour les kamiks de tout le monde
Oui, l'inquiétude me tenaillait toujours. »
« Quelle était belle
La vie en été,
Mais l'été m'apportait-il la joie?
Non! Jamais je ne fus aussi inquiet
De savoir si nous aurions assez
De peaux pour le sol
Et pour la plateforme où l'on dort
L'inquiétude me tenaillait toujours. »
« Quelle était belle La vie
Quand j'étais au bord du trou sur la glace
Guettant la proie que j'allais pêcher
. Mais cette attente m'apportait-elle la joie?
Non! Jamais je ne fus aussi inquiet
De savoir si mon tout petit hameçon
M'attraperait le moindre poisson.
Que la vie était belle
Quand on dansait
Mais la danse m'apportait-elle la joie?
Non! Jamais je ne fus aussi inquiet
À la pensée que je ne pourrais pas me rappeler
La chanson que j'aurais à chanter.
Oui, je n'étais jamais tranquille.
Que la vie était belle...
Maintenant je suis plein de joie,
Chaque fois qu'une aube
Blanchit le ciel de la nuit,
Chaque fois que le soleil luit Au-dessus des paradis.
On dit que c'est une joie
D'écouter la chanson »
La chanson célèbre
Une joie d'élever la voix
Et de se balancer
En dansant
Regardez
Quand le fameux chanteur élève la voix
Et danse au son du tambour
Toutes les hermines
Qui décorent son manteau de fourrure
Volent autour de lui!
Ça sonne et ça bourdonne dans mes oreilles!
Et c'est entièrement leur faute
À ceux d'en-bas
La faute à ceux du Ruisseau de Petite Truite!
Je languis des joutes de chants
De la maison des fêtes
La petite maison des fêtes de l'Osseux
Celui que je provoque toujours au chant
Et pourtant je n'oublie pas
Comme on a grand pitié
De la victime de la joute
Celui dont le chant de moquerie
Fait un solitaire
Dès que s'achève le concours
Mes oreilles! mes oreilles!
Ça sonne et ça bourdonne dans mes oreilles
Je languis des joutes de la maison des fêtes!
Et c'est entièrement leur faute
À ceux d'en-bas
La faute à ceux du Ruisseau de Petite Truite! »
Chant De L'homme Malade
« Mon âme, où t'es-tu cachée?
T'en es-tu allée au sud de ceux
Qui vivent au sud de nous?
Laisse-moi aller te chercher!
Mon âme, où t'es-tu cachée?
Laisse-moi aller te chercher!
T'en es-tu allée à l'est de ceux
Qui vivent à l'est de nous?
Laisse-moi aller te chercher!
Mon âme, où t'es-tu cachée?
Laisse-moi aller te chercher!
T'en es-tu allée au nord de ceux
Laisse-moi aller te chercher!
Mon âme, où t'es-tu cachée?
Laisse-moi aller te chercher!
T'en es-tu allée à l'ouest de ceux
Qui vivent à l'ouest de nous?
Laisse-moi aller te chercher!
Mon âme, où t'es-tu cachée?
T'en es-tu allée au-delà de nous tous?
Allée au-delà de ceux
Qui vivent au-delà de nous?
Laisse-moi aller te chercher.
Qui vivent à l'ouest de nous?
Laisse-moi aller te chercher!
Mon âme, où t'es-tu cachée?
T'en es-tu allée au-delà de nous tous?
Allée au-delà de ceux
Qui vivent au-delà de nous?
Laisse-moi aller te chercher. »
LES CHANTS ET LES MOTS
On les chante
Sur le souffle,
Quand on s'est laissé prendre
Par une grande émotion
Et que la parole ordinaire
Ne suffit plus.
On est pris Comme un glaçon
À la dérive
Du courant.
Les pensées sont entraînées
Par un flot irrésistible,
Quand on sent la joie,
Quand on sent la tristesse.
Les idées peuvent surgir en vous,
Vous prendre à la gorge
Vous faire battre le coeur plus fort.
Quelque chose comme le temps qui s'adoucit
Vous apporte votre propre dégel.
Et quand cela arrive,
Nous qui nous trouvons tout petits,
Nous nous sentons encore diminués.
Mais il peut aussi arriver
Que les mots dont on a besoin
Viennent tout seuls.
Quand les mots dont nous avons besoin
Éclosent d'eux-mêmes
On a un nouveau chant. »
« Je sortirai de mon sommeil Preste
Comme le battement d'aile Du corbeau
Je sortirai
Pour rencontrer le jour Pour rencontrer le jour
Mon visage sortira
De l'obscurité Mes yeux se tourneront
Pour rencontrer l'aube
L'aube
Au ciel blanchissant »
La Terre Et Les Hommes
« La terre était là avant les hommes.
Les tout premiers hommes sont sortis
De la terre.
De la terre,
Tout est sorti de la terre,
Même le caribou.
Un jour les enfants ont poussé
Hors de la terre.
Tout comme les fleurs!
Les femmes qui passaient par là
Les ont trouvés, étalés sur l'herbe.
Elles les ont emmenés chez elles.
Elles les ont nourris.
Et c'est comme ça que les hommes
Se sont multipliés. »
HOMMES ET LES ANIMAUX
« Tout au commencement des temps,
Quand les hommes et les animaux
Vivaient en harmonie,
Un homme pouvait devenir un animal,
S'il le voulait.
Et un animal pouvait devenir un homme,
S'il le voulait.
Parfois il y avait des hommes,
Parfois il y avait des animaux.
Ça ne faisait pas de différence,
Tous parlaient la même langue.
C'était le temps où les mots étaient magiques,
L'esprit humain avait un pouvoir mystérieux.
Un mot dit par hasard
Pouvait avoir d'étranges conséquences,
S'il devenait soudain vivant.
Et ce que les gens voulaient
Cela pouvait arriver
Tout ce qu'il fallait faire
C'était dire le mot
Personne ne pouvait expliquer ça
C'était comme ça. »
LE TEMPS
« Le temps avec ses tempêtes et ses neiges,
Était autrefois un pauvre orphelin.
Il était si maltraité, comme tous les orphelins,
Qu'il s'est sauvé dans le ciel pour se venger.
C'est de là que vient le mauvais temps
Qui nous prive de la chasse,
Et nous amène la faim.
Les étoiles aussi sont des gens
s Qui se sont sauvés de la terre
Et se sont installés dans le ciel.
Des chasseurs chassaient un ours
Alors, ils se sont tous élevés en l'air
Et ils sont devenus des constellations.
Chacune d'elle a une histoire comme ça. »
. Le Soleil Et La Lune
« Un frère et une sœur avaient été très méchants.
Ils avaient tellement honte d'eux-mêmes
Qu'ils décidèrent de se changer en quelque chose d'autre
Et de recommencer une vie nouvelle.
La sœur, du plus profond de son malheur, s'écria:
«Frère, en quoi nous changerons-nous?
— En loups?» Son frère, qui était loin d'avoir aussi envie qu'elle de changer,
Lui répondit: «Non, Sœur, ils ont les dents trop pointues».
«Frère, nous changerons-nous en ours?» dit-elle désespérément.
«Non, Sœur, les ours sont trop lourdauds», répliqua-t-il,
Espérant qu'elle accepterait son excuse.
«Frère, alors quelle créature au monde? Les bœufs musqués?»
«Non, les bœufs musqués ont des cornes trop pointues».
«Alors, Frère, allons-nous devenir phoques?»
«Non, Sœur, ils ont des griffes trop pointues.»
Et ils discutèrent ainsi de tous les animaux
Et le frère réussit à les récuser tous.
À la fin, sa sœur maugréa: «Frère,
Deviendrons-nous le soleil et la lune?»
Son frère ne pouvait effectivement trouver
Aucune objection à cela.
Ils décidèrent donc d'allumer chacun une torche de mousse
Et, en la brandissant,
Ils se mirent à courir autour de l'iglou.
Ils couraient et couraient,
Tout autour.
Le frère courant après sa sœur,
De plus en plus vite,
Si vite, qu'ils se mirent
À monter dans les airs!
Tout droit dans le ciel!
Mais en route, la sœur souffla la torche de son frère
Parce qu'il avait été réticent.
Elle, avec sa torche allumée, devint le soleil
Et maintenant elle réchauffe la terre entière.
Mais son frère, la lune, est froide
Parce que sa torche ne brûle plus jamais. »
CHANTS DE LA TOUNDRA .POEMES ESKIMO DU CANADA.LA DECOUVERTE
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