En 1486 parait ainsi le Malleus Maleficarum(le Marteau Des Sorcières) des inquisiteurs Henry Institoris et Jacques Sprenger. Les auteurs ont d'abord pour ambition de combattre une destruction de leur monde mais ils interprètent le désordre selon le code démologique centrée sur le maléfice, accablant la femme, accusée d'être la complice de Satan. La théologie se mue en une idéologie amalgamant hérésie et folie, délire de l'esprit et frénésie sexuelle. La femme-au-diable est née, le modèle démonologique inventé, aussitôt pris en charge par l'imprimerie, c'est-à-dire véhiculé par une abondante littérature d'où se détachent les traités de Jean Bodin (1579), Nicolas Remy (1595 Pierre de Lancre (1612). » Ce véritable manuel de la persécution des sorciers devint un succès de librairie, réédité dans toute l'Europe : de sa première publication à 1669, trente mille exemplaires auraient été mis en circulation, essentiellement dans de petits formats. Lors d'un procès de sorcellerie, le juge pouvait ainsi extraire le livre de sa poche et le consulter aisément .
Un système pénal nouveau vit le jour, avec le développement de la monarchie absolue et de la justice royale, (plus que de l'inquisition elle-même) tant en France que dans les Pays-Bas espagnols. Il mit en œuvre'une procédure dite extraordinaire, sans doute imitée de celle de l'Inquisition, qui se caractérisait par le secret, par l'écrit, par l'utilisation fréquente de la torture et par des entraves apportées à la défense du suspect. Ce dernier avait moins de chances que précédemment d'échapper à des châtiments rendus plus sévères, et plus aisément appliqués, surtout s'il appartenait à la majorité illettrée de la population.
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La sorcellerie fut désormais jugée selon cette procédure. les magistrats, pour prouver l a culpabilité des suspects, ne suivaient pas les doctrines juridiques habituelles. Ils s'en remettaient totalement aux ouvrages de démonologie, dont au Malleus. En effet, les preuves matérielles et incontestables étaient rares en ce domaine et les témoins à charge ne déposaient généralement que sur des conjectures, de l'inimitié personnelle, ou sur la réputation des accusés. De plus, le diable était censé soutenir ses disciples, pour tromper les juges, ou même pour les mettre en danger. D'où le luxe de précautions prises lors de l'interrogatoire des sorciers : fumigations et encens, exorcismes, etc. De ce fait, le procès prenait une allure particulière, dans le cadre d'une procédure extraordinaire exceptionnelle : le comparant était en fait considéré comme coupable et le tribunal avait pour but de lui faire avouer son appartenance à la secte satanique, lui faire dénoncer ses complices
Le traité du « Marteau des sorcières », valorise Marie, la « femme immense »et l'espace de l'Église comme espace maternel. A l'inverse, La hantise du feu qui donnera les buchers se soutint d'une phobie de la femme, porteuse du feu de la passion charnelle, foyer d'incendie pour le monde, signe de convoitise. Car la femme est possédée, pense-t-on alors ; elle est du côté de la vie, du corps, de la nature - de Satan donc. La magie voyait des fées ou des elfes désexualisées, la sorcière véhicule l'image de la mère archaïque et passe un pacte avec le diable.
Il ne faut pas oublier que, jusqu'à la fin du XVe siècle, la femme dispose encore de ce que l'on nomme aujourd'hui la capacité juridique, elle reste propriétaire de ses biens, dont le mari peut disposer, elle dispose du droit de vote, intervient dans les procès comme plaignante ou témoin, tient une place dans la vie économique, exerce un métier (et même parfois un métier d'homme), peut ouvrir une boutique, par exemple, sans avoir besoin de l'accord de son époux; elle a encore le droit de conserver son nom de jeune fille, d'occuper les fonctions de son mari lorsqu'il s'absente ; enfin, elle participe au même titre que lui à l'éducation des enfants, etc.
Sur le plan politique, il ne faut pas oublier qu'aux temps féodaux, la reine est couronnée, comme le roi, par l'archevêque de Reims et qu'on y attache la même importance, puisque le pouvoir lui revient de droit lorsque le roi s'en trouve empêché d'une quelconque manière, et on ne saurait non plus négliger la place occupée par des femmes, telles Aliéner d'Aquitaine ou Blanche de Castille pour ne citer qu'elles, ou encore certaines abbesses exerçant leur autorité sur des hommes, comme ce fut le cas à Fontevrault. Sur le plan culturel, la femme inspiratrice des cours d'amour, de la poésie courtoise, chantée par les troubadours, est ici « l'amie », « la dame », celle pour qui l'on met tout en œuvre, et dont la conquête réelle ne se borne pas à un simple jeu platonique ,malgré la christianisation des romans courtois Dans la littérature, la femme ne saurait cependant se réduire au seul rôle d'égérie ou d'objet convoité. Elle est aussi celle qui a quelque chose à dire, participe, donne son avis, sait créer autour d'elle un climat propice à une activité intellectuelle favorisant l'éclosion de grandes œuvres. Aliénor d'Aquitaine est ainsi liée à la culture méridionale qu'elle contribue à développer. Une telle littérature concrétisait d'ailleurs une liberté sexuelle finalement tolérée malgré la doctrine chrétienne. Cela n'étonne guère dans un monde où le corps n'est pas encore dévalorisé, où la sexualité n'est pas encore entravée par le sentiment de culpabilité.
Dès la fin du XIIIème le courant va s'inverser : loin des romans courtois, l'image de la femme se détériore dans la littérature : elle devient mégère, coquette, frivole, dépensière ; l'iconographie religieuse commence à l'associer au pêché, à la luxure. (la femme aux serpents du tympan de Moissac). La mort et sa faux va emprunter son visage de vieille décharnée ; la représentation des plaisirs féminins est associée à l'image désormais proche du diable, comme à Pise (Triomphe De La Mort).
En politique le droit romain va devenir prépondérant et enlever à la femme ses pouvoirs. Les juristes des fils de Philippe Le Bel inventeront la loi salique privant désormais toute femme de la possibilité du trône, cause de la guerre de cent ans. Les juges de Jeanne D'arc verront dans le fait de porter des habits d'homme et donc de prendre leur place, le signe d'une manifeste sorcellerie.
Le culte de la pureté mariale, loin de valoriser la femme la condamnait, du fait de la sexualité : impure comme le lépreux et le juif elle devait supporter l'opprobre qui enveloppait l'ange déchu marqué par sa sexualité et ses suppôts, incubes et succubes ; d'où, une peur de la créatrice castratrice et séductrice, capable de tous les maléfices de par ses pactes diaboliques au sabbat.
« Si la femme n'est pas encore un monstre, tout est déjà en place pour une telle assimilation, et le Maliens va s'en charger : « Tu ne sais pas que la femme est une chimère, mais tu dois le savoir. Ce monstre prend une triple forme : il se pare de la noble face d'un lion rayonnant ; il se souille d'un ventre de chèvre ; il est armé de la queue venimeuse d'un scorpion. Ce qui veut dire : son aspect est beau ; son contact fétide ; sa compagnie mortelle. » La femme, le diabolique, le monstrueux sont désormais associés, tandis que la hantise de la sorcellerie atteint un paroxysme et que derrière elle se cachent des monstres - au symbolisme sexuel évident - issus de l'angoisse et du désir. Livré à l'animalité de ses instincts, l'homme est alors menacé de monstruosité…….
Ignorée la sorcière de l'Antiquité. Médée, même pour les amateurs d'opéra, évoque en effet davantage la fureur sanguinaire de la femme jalouse que la magicienne, et, comme en dehors d'elle rien n'émerge de ce lointain passé, on n'est guère plus avancé. Ignoré le Moyen Âge lui-même, un millénaire de l'histoire des hommes est ramené à une masse confuse et statique, dont ne subsistent que quelques figures et quelques faits épars dans un monde sombre et intolérant qui renvoie au néant l'extraordinaire richesse dont pourtant il a su faire preuve. La sorcière alors peut bien prendre place entre les sorcières de Shakespeare et ces illuminés de tous les temps qui voyaient le diable partout, comme d'autres voyaient Dieu, tandis que du XVIIe siècle resurgissent les messes noires, et qu'en cherchant un peu, un folklore riche en anecdotes nous
permet d'apprendre au passage que la Bretagne ou l'Ecosse sont des terres de sorcellerie dont les landes sont surpeuplées la nuit de fées, de lutins et de sorcières.
Des vérités éparses n'ont jamais fait la vérité. C'est même à partir de vérités éparses que se construisent les pires erreurs, ou, plus grave, les préjugés. Alors, tentons de remettre les choses à leur place.
Le Moyen Âge a peu brûlé, il a, disons plutôt, cherché à savoir si la sorcière était combustible. Il a codifié, c'est déjà beaucoup, et cette sorcière-là existait à coup sûr, du moins dans l'esprit des inquisiteurs. C'est le XVIe siècle, si brillant en apparence, qui a peut-être été la pire époque d'obscurantisme, et le XVII siècle n'a pas eu grand-chose à lui envier, lui qui a condamné Galilée et l'a contraint à abjurer contre toute logique, ce qui, après tout, était un sort plus enviable que de finir grillé avec ses livres. Là prend place l'époque la plus tragique, et si quelques-uns comprendront plus vite que les autres l'aberration d'une telle persécution, en maints endroits les bûchers flamberont encore au XVIIIe siècle, jusqu'à ce qu'enfin partout un terme soit mis à trois cents ans de folie persécutrice.
Satan, sorciers et sorcières mèneront désormais grand sabbat dans des œuvres littéraires où la sorcellerie fera figure de style. Vision tout intellectuelle à côté de laquelle le maléfice pourtant trouvera encore sa place dans des comportements qui subsistent aujourd'hui encore, tandis que le développement des sectes les plus diverses se charge de mettre en évidence que l'irrationnel est loin d'être déraciné.
De l'Antiquité à nos jours, la sorcellerie en Occident revêt une multitude de visages, dont la sorcière constitue un phénomène particulier, ce qui explique la place que nous lui accorderons. Du paganisme au christianisme, une modification importante s'est produite, où magie, religion et superstition ont vu leurs rapports se modifier. »Colette Arnould. Histoire De La Sorcellerie. Taillandier
L'inversion des valeurs va se symboliser dans l'image forte du sabbat : un sabbat subversif, négateur de l'ordre transcendant où tout ce qui est en haut, la Dame, le Noble, le Prêtre - Dieu -, bascule et tombe. Selon la tradition, et les légendes, mais aussi la démonologie des inquisiteurs, le sabbat est célébré dans une clairière, une lande, à un carrefour, de nuit dans un endroit désert, près d'une source ou d'une fontaine, ou en un lieu offrant une particularité topographique, tel qu'un sommet de colline, un rocher ou un amas de pierres ; ou encore un lieu connu depuis la préhistoire, comme un dolmen ou simplement un grand arbre séculaire, toujours dans la nature et en contact avec elle. Sorciers et sorcières se rendent la nuit dans un lieu reculé pour adorer le Diable qui leur apparaît sous la forme d'un homme ou d'un animal grotesque. Cette réunion nocturne se termine par des orgies, des accouplements monstrueux et des scènes d'anthropophagie rituelle. Soumis à cette initiation, les sorciers sont désormais investis de ces pouvoirs maléfiques qui leur serviront à nuire à la société des hommes
Errores Gazariorum, un livre écrit vers 1430, se fonde sur des notions relevées au cours des procès de sorcières de cette époque, dans les régions francophones. Il raconte comment les membres de la secte se réunissent en « synagogues » et rendent hommage au Diable, en embrassant ses fesses ou son anus. Puis ils festoient de cadavres d'enfants, même ceux de leur propre progéniture, qu'ils ont tués et exhumés. Quand les lumières s'éteignent et que le diable crie « Mêlez, mêlez », ils s'accouplent au hasard. Ils rejoignent la secte pour obtenir des occasions de revanche, pour festoyer, et pour pouvoir accomplir des excès sexuels - trois motifs cités dans un procès de sorcellerie contemporain tenu en Dauphiné. Ils font des pactes avec le diable, écrits de leur propre sang. De façon abominable (toutes choses racontées avec un luxe de détail dans la procédure l), ils confectionnent des onguents et des poudres pour tuer les gens et détruire les récoltes. Pourtant, comme les hérétiques, ils prétendaient être de pieux catholiques, commente le texte.
La tradition a retenu les deux principaux modes de transport du sorcier : soit il vole dans les airs, enveloppé de brume par exemple, sous sa forme humaine ou sous une apparence animale, soit il chevauche un âne, un bouc ou un homme, un imprudent qui est sorti la nuit. Les principaux pouvoirs sorciers sont la maitrise du temps et de l'espace. Tous les récits se concentrent d'une part sur leurs capacités à réduire les distances et d'autre part sur leur goût pour les endroits sinistres, tristes, lugubres. Ainsi, la tradition du sabbat reste de nos jours une mémoire toponymique. Chaque région compte ses prés, ses carrefours, ses landes marécageuses, ses sommets de collines ou de montagnes, où l'on ajoute « du sorcier ». En fait, ce sont des lieux moins isolés que coupés de l'espace quotidien : on y passe mais on ne s'y arrête pas volontiers.
L'origine culturelle du sabbat est diverse : d'abord l'hérésie et les déviations religieuses. Les hérétiques tels que les cathares avaient déjà été accusés de se rassembler pour des orgies nocturnes durant lesquelles ils vénéraient le diable sous la forme d'un chat, et avaient des relations sexuelles avec tout un chacun. En fait, les païens de l'Antiquité avaient accusé les chrétiens de faire de même dans les premiers siècles du christianisme ;plus tard ces derniers accuseront pareillement les hérétiques. Ce fut vers l'an 1428 et durant la décennie suivante - la même période qui vit l'augmentation sur une grande échelle de la chasse aux sorcières - que cette notion d'assemblée d'hérétiques fut transférée aux sorcières. Le terme « vauderie », appliqué à l'origine à l'hérésie vaudoise, puis à l'hérésie en général, vint à signifier également « sorcellerie ».
Les pratiques du sabbat seraient d'ailleurs identiques à celles qu'on attribue aux hérétiques : Les rites des sorcières seraient ouvertement blasphématoires. Elles piétinaient, pensait-on, les crucifix, crachaient dessus, renonçaient à Dieu et à la foi chrétienne. Elles profanaient le plus sacré de tous les objets, l'hostie bénite reçue en communion. (Depuis longtemps, beaucoup de fidèles conservaient d'ailleurs l'hostie bénite et l'utilisaient pour protéger leurs animaux du mal ou pour éveiller l'amour). Au XV siècle, l'abus rituel de l'hostie devint l'une des formes de sacrilèges associés aux sorcières conspiratrices. Une légende circulait dans de nombreux coins d'Europe : l'hostie bénite était volée et profanée (par une sorcière, un juif, ou tout autre coupable), abandonnée, puis miraculeusement découverte. On la retrouvait fréquemment en train de saigner. On restaurait son honneur en érigeant ,bien sûr une nouvelle chapelle.
S elon d'autres auteurs, lorsqu'elle est évoquée, la cérémonie sabbatique se rapproche-t-elle plutôt d'un rite agraire de conjuration voire d'adoration des forces de la Nature
Carlo Guinzburg partant du Frioul et des procès des Benandanti, (les accusées rêvaient que leur âme s'échappait du corps pendant le sommeil pour participer à des cérémonies nocturnes ),verra, dans les procès de l'inquisition et le travail d'élaboration de la démologie, une traque de la culture populaire et des vieux mythes païens, voire chamaniques
« L'analyse des documents fait apparaître une multiplicité d'attitudes individuelles. A trop y insister, nous risquions de tomber dans un excès de pittoresque, mais nous avons préféré courir ce risque plutôt que d'abuser de termes vagues et génériques comme ceux de « mentalité » ou de « psychologie collective ». Ces témoignages frioulans présentent, en fait, un continuel entrelacement de tendances appartenant à la longue durée et de réactions purement individuelles, voire inconscientes. Attitudes singulières dont l'histoire, en apparence, semble impossible à écrire et sans lesquelles, en réalité, l'histoire des « mentalités collectives » n'est plus qu'une succession de tendances et d'orientations aussi abstraites que désincarnées.
Or notre recherche démontre avec certitude, en cette région du Frioul où se rencontrent des traditions germaniques et slaves, l'existence à une date relativement récente (vers 1570) d'un rituel de fertilité dont les porteurs - les benandanti - se présentent comme les protecteurs des récoltes et de la fertilité des champs. Cette croyance se rattache à un ensemble plus ample de traditions, liées à leur tour au mythe des assemblées nocturnes présidées par des divinités féminines comme Perchta, Holda, Diane, qui s'étend de l'Alsace à la Hesse, à la Bavière et à la Suisse. Cette croyance se retrouve, presque identique, en Lituanie. Face à une telle dissémination géographique, il est permis de supposer que ces traditions étaient jadis répandues dans une grande partie de l'Europe centrale. En l'espace d'un siècle, les benandanti deviennent, nous le verrons, des sorciers, et leurs assemblées nocturnes destinées à procurer la fertilité se transforment en Sabbat diabolique, accompagné de tempêtes et de destructions. Pour le Frioul, nous avons la certitude que la diffusion de la sorcellerie diabolique s'opéra par déformation d'un rituel agraire antérieur.
Cette identité entre sorciers et morts errants est une identité sui generis : il ne s'agit pas, bien sûr, de transformer de façon rigide cet univers de croyances populaires tellement fluide, contradictoire et composite en une série de rapports rationnels, clairs et distincts. On peut facilement objecter que sorcières et sorciers, outre leur participation en « esprit » aux assemblées nocturnes, à la manière des benandanti, vivent leur vie quotidienne, sont en somme, des hommes et des femmes en chair et en os, et non des âmes errantes. Mais l'existence d'une dualité irréductible de plans est caractéristique de cette mythologie populaire : Plutôt qu'une identité pure et simple, il s'agit de la participation commune à une sphère mythologique originairement indifférenciée qui tour à tour se précise, éclate en plusieurs facettes, Carlo Ginzburg ,Les Batailles Nocturnes.
"Le stéréotype du sabbat représente donc la fusion de deux images distinctes. La première, élaborée par la culture savante (juges, inquisiteurs, démonologues) était centrée sur la croyance en une secte hostile, inspirée par le diable, dans laquelle on entrait après avoir renoncé à la foi et profané la croix et les sacrements. La seconde, enracinée dans la culture folklorique, reposait sur la croyance en d'extraordinaires capacités d'individus déterminés, hommes et femmes, qui rejoignaient en extase, souvent sous forme d'animaux ou à cheval sur des animaux, le monde des morts, afin de procurer prospérité à la communauté. Comme nous l'avons vu, cette seconde image était infiniment plus ancienne que la première et diffusée dans une zone infiniment plus vaste. Elles se fixèrent dans les Alpes occidentales, un peu après 1350. Il est très possible que la convergence entre ces complexes culturels si différents ait été facilitée par la présence, dans la même zone et à la même époque, de groupes hérétiques vaudois. Les doctrines originelles de ces groupes s'étaient en effet mêlées depuis longtemps, soit à des traditions folkloriques locales, soit à des croyances dualistes de type cathare provenant d'Europe centre-orientale, qui se prêtaient à être interprétées comme des cultes diaboliques. L'intervention des inquisiteurs porta tous ces éléments dispersés à la température de fusion. C'est ainsi que naquit le sabbat. » Carlo Guinzburg .Le Sabbat Des Sorcieres. Gallimard
L'Europe devint ainsi l'Europe des sorciers ou plutôt celle des sorcières. La grande chasse aux sorciers qui marqua les XVIème et XVIIe siècles ne fut pas un phénomène spécifiquement français mais concerna également l'Allemagne, la Suisse, les Pays Bas espagnols (bizarrement peu l'Espagne, terre d'inquisition, mais qui traquait surtout les hérétiques et faux convertis) et l'Angleterre. Elle fut partielle et marginale dans les pays nordiques et l'Italie(le Frioul).les principales flambées de chasse aux sorciers se situent partout entre 1560 et 1630., ce qui correspond à une crise de l'Europe. Chacun des pays cités est d'ailleurs le théâtre de guerres de religion et de troubles politiques importants : conséquences de la Réforme en Allemagne et en Suisse, puis guerre de Trente ans; révolte des Pays-Bas contre l'Espagne; installation définitive de la Réforme anglicane puis Révolution en Angleterre; guerres de Religion et révoltes populaires nombreuses jusqu'à la Fronde en France.La répression n'est donc pas celle des seuls juges mais aussi d'une partie des peuples acculturés par la perte des traditions populaires et vivant en état d'insécurité politique ,sociale et existentielle
« La Sorcellerie a été un des fléaux des siècles passés. Ses origines plongent dans la nuit antique. La triple Bombo évoquée par les sorcières de Thessalie va rejoindre les fées adorées par les paysannes inquiètes du Grand Siècle. La Sorcellerie est une imploration constante, dans le Monde occidental, aux survivances des dieux du' Paganisme. Elle est aussi une protestation conséquente aux religions dominantes : Catholicisme ou Religion Réformée. Elle s'affirme encore de nos jours chez les primitifs, face ou clandestinement aux religions exportées par l'Occident. Mais elle est bien plus encore ! Et ici nous voulons soutenir par de multiples exemples, une thèse qui, à notre connaissance, n'a jamais été encore soutenue. La Sorcellerie est fille de la Misère. Elle est l'espoir des Révoltés. Elle est le fruit maudit par les Eglises et le Pouvoir, de la Révolte. Toujours la Sorcellerie éclate en des pays troublés par les guerres civiles ou étrangères, par les catastrophes naturelles, où les peurs séculaires issues des anciens âges renaissent de leurs cendres. Reflet des mœurs, la Sorcellerie est l'aspect le plus poussé des craintes et des haines. L'Homme tremblant devant les forces naturelles essaie de les dominer et de se les asservir. Il conjure le Mal. Au besoin il s'en servira à l'égard de son prochain, par haine ou... par amour. Ainsi naît le complexe du sorcier. Quelle part d'illusion ou de rêve entre-t-il dans ce phénomène ? Il est très difficile d'en faire le départ. Quelle commune mesure entre la sorcière fruste des campagnes médiévales et le puissant seigneur Gilles de Rais sinon l'envie, la crainte et le goût du Mal ? Entre ces paysannes suédoises ou allemandes du XVIe siècle éprouvées par maladies et guerres, et les sorcières de l'Affaire des Poisons, dévouées par lucre aux désirs inassouvis des grands de la Cour de Louis XIV ? Une fois de plus, la différence est sociale. La Sorcellerie en elle-même, en ses effets, n'est qu'un aspect des crises sociales. Hors de là, on ne saurait la considérer que comme un phénomène ridicule, tout au plus bon à prétexte littéraire ou artistique. Mais la réalité de la Sorcellerie s'affirme d'une manière affreuse dans le châtiment des sorciers. Les bûchers flambants couvrirent l'Europe, et les procédures innombrables s'entassent dans les Archives.
Le Monde Judiciaire — ecclésiastique ou laïque — accrédita, développa la Sorcellerie. Si celle-ci n'avait pas existé, les hommes, par leurs peurs et leurs cruautés originelles, l'auraient inventée. En face des illusions, ils ne surent, peu soucieux des réformes sociales, que torturer. En face des haines accumulées contre eux, ils ne surent que répondre par la mort, et non par la charité consciente de la profondeur de la maladie. L'historien qui s'est plongé dans cet amas de folles pièces judiciaires, de tortures et de supplices ne peut que frissonner, rétrospectivement.
Rétrospectivement, c'est beaucoup dire. Les Peurs contemporaines prendront-elles une autre forme de persécution ? Les crises sociales actuelles n'engendreront-elles pas de nouvelles illusions formatrices de haine et créatrices de supplices ? Y aurait-il une métamorphose du Diable et de nouveaux bûchers ?
Sorcellerie n'est qu'un mot dans la bouche des hommes, celui dont on pare l'ennemi spirituel ou l'ennemi tout court.
Sorciers ou Sorcières ne sont que les victimes désignées de l'adversité sociale.
Raison, où est ta victoire en ce monde de peurs et de haine où la Lumière n'apparaît que par éclairs, dans la Nuit ? » Jean Palou. La Sorcellerie P.U.F.
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