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L'enfant naissait ainsi avec des « signes », une personnalité, une vie antérieure, l'influence d'un ancêtre, etc. Il avait déjà son être propre. Il fallait donc, lui laisser le temps de se manifester, de se révéler, de livrer son message et de laisser entrevoir le destin qui était le sien. On allait donc chercher à reconnaitre ce passé encore enveloppé et à le faire éclore, (ce pouvait être la résurgence d'un proche disparu ou une puissance plus mystérieuse). L'éducation n'était plus un modelage mais toute une pédagogie ayant pour but de faire surgir cet être potentiel présent en lui. A la base de l'éducation allait se trouver un processus d'identification. L'enfant devait devenir sur le plan visible et social ce qu'il avait toujours été au fin fond de son être. La société espérait le retour des mêmes personnalités, des mêmes caractères, des mêmes noms, mais aussi des mêmes rôles et des mêmes fonctions, réapparaissant nt d'une génération à l'autre. En ce sens ces composantes présentes chez l'enfant mais implicites allaient devenir une sorte de guide ,de modèle éthique de vie, le passé anticipant le futur à être : « il devait devenir ce qu'il était ». Si donc la question qu'on se posait d'abord, n'était pas de se demander ce que le nouveau-né allait devenir mais QUI il était , il fallait comprendre cette identité existante par diverses voies. Il était nécessaire d' être attentif aux moindres ressemblances physiques, marques corporelles et traits de comportement, en scrutant les rêves et en consultant voyants et devins.
Un terme va donc régir le devenir humain : la vie est à concevoir en termes de passage : passage d'un monde à l'autre, c'est la naissance et aussi la mort, passage d'un état à l'autre, le défunt accèdera à l'état d'ancêtre par exemple. Les rites de passage scanderont l'existence. L'enfant ne grandit pas au sens propre (hormis la maturation biologique): il passera aussi d'un état à l'autre , recevant plusieurs noms(chacun comportant une puissance) il sera initié, acquerra plusieurs rôles ou statuts. S'il est doté d'un être propre à sa naissance (qui doit se révéler comme dit), la reconnaissance ne peut être que sociale. Au plan de l'être, du cosmos, si l'enfant qui vient au monde est d'emblée quelqu'un, socialement il n'est encore personne. C'est "un étranger", "un hôte", "un voyageur de passage" qui a peut-être fait fausse route et n'a pas envie de rester. L'enfant, nommé « enfant-eau » ou « enfant de l'eau » chez les Bantous, est lié à l'élément liquide .( on ne célèbre souvent sa naissance qu'après que le cordon ombilical coupé ,ait séché. L'élément liquide indique l'élément fluide de la personnalité, encore virtuelle et son origine cosmique
Les rites de passage ont justement la fonction de reconnaissance et de socialisation. Le moi peut intégrer des éléments par les rites de naissance, la dation du nom, le sevrage, l'initiation, voire la possessions ou même des épisodes pathologiques, surtout dans l'ordre de la folie, il en reçoit même par la mort. (Ancestralisation). Inversement des parcelles du moi peuvent se localiser en dehors de lui ou passer à d'autres
« Si quitter l'au-delà c'est « descendre >, tomber à terre comme l'enfant dont on accouche, c'est aussi émerger de l'eau originelle, s'assécher, se solidifier, s'affermir, se durcir. La naissance est l'abandon d'une condition aquatique de mollusque ou de poisson pour passer à une existence aérienne et terrestre. Grandir et se développer, c'est quitter l'indistinction et la mollesse de la glaise imbibée d'eau, devenir consistant puis dur à la manière de la poterie qui s'assèche à l'air libre puis que l'on passe au four. La marche vers la condition adulte équivaut à une solidification, à un affermissement. Les principales étapes en sont l'accouchement, quand l'enfant quitte les eaux de la matrice, la dessicadon et la chute du cordon ombilical, la station debout qui témoigne de la consistance qu'ont pris les os, et la dentition qui représente mieux que tout le reste l'apparition de ce qui est dur comme une perle ou un coquillage là où il n'y avait que du mou. L'apparition des dents équivaut donc à la cuisson dans le four, qui rend la poterie utilisable par la collectivité. Par le sevrage enfin on arrête l'alimentation liquide : l'enfant a pour de bon passé du côté du monde solide et dur.
Venir au monde, c'est enfin passer d'un état de fraîcheur aquatique à la chaleur de l'air et du feu, c'est passer par une « cuisson >.
Tant qu'elle reste à l'état d'enfance, enfermée dans ces catégories du petit, du mou, de l'aquatique, du frais, en somme de l'informel, de l'indistinct et du fragile, la personne demeure dans une certaine mesure purement virtuelle. Certes, à chacun des grands moments de sa croissance, elle s'actualise un peu plus, devenant apte à une intégration sociale plus complète ; mais le passage ne s'effectue définitivement qu'avec l'accession à la chaleur de l'âge adulte, quand marié et fécond, l'individu se hisse au cœur même de la communauté des vivants. Pierre Erny. L'enfant Dans La Pensée Traditionnelle De l'Afrique Noire
Le groupe se dote, par exemple, d'un moyen pour fixer le nouvel arrivé en lui conférant un nom. En un sens le nom fortifie l'être, mais en même temps il le rend vulnérable, l'exposant à l'emprise des autres, le rendant dépendant de son groupe. ". En Afrique, les noms (du moins certains) sont lestés d'un poids ontologique. Il y a une connexion entre l'homme et son nom. On peut blesser quelqu'un au travers de son nom. Agir sur lui, c'est provoquer et contraindre « l'âme »
Comme pour une même personne il y a souvent pluralité de noms, il en est qui ont des implications fortes, d'autres des implications faibles selon les croyances animistes. ; il en est qui n'ont qu'un impact superficiel, d'autres touchent et définissent la personne au plus profond d'elle-même. Cela oblige à en maintenir certains dans le secret. Cette pluralité est le reflet des différentes appartenances (parenté paternelle, parenté maternelle, classe ou fraternité d'âge, société d'initiation, etc.), mais aussi des grands moments de l'édification de la personne et des changements de statut. Le rapport entre dation du nom et croyances en la réincarnation est généralement mis en lumière par les intéressés eux-mêmes quand un des noms donnés au nouveau-né est celui de l'ascendant qui est censé "revenir" en lui. Grâce à l'enfant, le nom du parent survit, voire revit. Nommer l'enfant, c'est nommer le parent et perpétuer, non seulement son souvenir, mais aussi, mystérieusement, sa présence. Et en participant au dynamisme de ce nom, l'enfant vivra sous la protection et l'influence vitale du défunt en question.
En éveillant l'être naissant à la vie individuelle, le nom devient une partie intégrante de sa personnalité. Là où le nouveau-né est censé apporter avec lui de l'autre monde celui de ses noms qui va le définir en profondeur, il s'agit évidemment pour l'entourage de découvrir celui-ci, nullement de l'inventer, tâche délicate s'il en est. La dation du nom trace à l'enfant tout un programme de vie, mais impose aussi à l'entourage certains devoirs à son égard.
Dominique Sewane a ainsi marqué chez les Batammariba du Togo,(Le Souffle Du Mort , Terre Humaine) l'importance des noms d'ancêtres et de leur transmission.
Merci à Dominique Sewane du témoignage d'amitié que constitue l'envoi de photos originales.
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Dès lors, le benjamin, acquiert le statut de « maître de takyienta »( l'habitat très particulier et symbolique,remarquable dans son architecture en « forme de chateaux »). De lui dépendra la survie des siens. « Lourde charge réservée à notre petit frère » disent ses aînés. Ils le surnomment d'ailleurs « celui qui porte un fardeau sur la tête ».
Pourquoi « survie » ?
Le sens de la tombe liée à la tour centrale de la takyiènta - à la fois abri des souffles des morts et abri des vivants - trouve son prolongement dans la connaissance des noms secrets des ancêtres de la famille et du clan, que révèle un père au « fils qu'il aime » (plus que les autres) : le benjamin. Il lui apprend en même temps à distinguer les autels d'ancêtres qui se trouvent dans la pièce du bas ou kunamunku, ; chacun d'eux correspondant à une tombe du cimetière. L'enseignement se poursuit donc dans cette même pièce, à l'écart de la famille, de préférence pendant la nuit.
Ces noms représentent pour un Otammari(singulier de Batammariba dont les Tamberma du Togo et les Somba du Bénin) les tinanti - paroles ou savoir - par excellence.
En tout vivant, pensent les Batammariba, revit le souffle d'un mort qui a désiré sa naissance, appelé yembota. Un Otammari ne doit jamais connaître son vrai nom. Interpellé à l'improviste par ce nom, il s'effondre dans un état proche de la mort. Le nom l'atteint en son centre ou diba, où interfèrent son souffle de vivant et le souffle de son yembota. En raison du danger que recèle la formulation de ces noms, ils ne doivent être transmis qu'à des « hommes sûrs », dont on sait qu'ils se refuseront à les divulguer, serait-ce sous la menace d'un couteau, tout en s'interdisant eux-mêmes de porter un coup mortel à autrui.
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Ces noms doivent pourtant être transmis, car c'est en identifiant le nom de l'ancêtre formateur d'un nouveau-né, que les parents sauront guider l'enfant sur son propre chemin, c'est à dire le destin que lui a tracé son yembota en lui attribuant des tinenti ou « affaires » spécifiques. Dans le cas contraire, si le nom est mal identifié ou ne l'est pas du tout, l'enfant risque d'éprouver un malaise qui en fera un être instable, incapable de s'intégrer à la société.
Nuit après nuit, quand le benjamin est « passé par difwani »,(l'initiation) son père lui transmet donc les noms des morts susceptibles de former des enfants dans les maisons de ses frères et plus tard, dans la sienne. Il doit également connaître le nom de leur tombe, les noms des yembota qui les ont eux-mêmes formés, les détails concernant leur existence etc… Seul est capable de le lui apprendre un okwoti (sage )qui, depuis sa jeunesse, a emmagasiné un prodigieux savoir généalogique. Les plus respectés d'entre eux se sont rendus sur les sites de takyiènta ou de sépultures abandonnées. Un okwoti fait œuvre d'archéologue en retrouvant les vestiges d'anciennes tombes (bien qu'il n'entreprenne pas de fouilles), d'historien en « cheminant » à l'étranger avec d'autres okwoti afin de glaner de précieux renseignements sur le passé de ces ancêtres. Retrouver les traces d'une tombe quasi oubliée, par conséquent le nom de son propriétaire dûment « couché » sous terre dans la position adéquate, c'est donner toute chance de survie à un enfant formé par ce très ancien mort.
On saisit alors l'importance que peut avoir le « vrai nom » d'une personne, particulièrement d'un aïeul enterré selon le rite du tibènti, (rite mortuaire)pour lequel, par conséquent, fut creusée une tombe, elle-même désignée sous son « vrai nom ». Le souffle du défunt, son nom et sa tombe ne font plus qu'un.
Une des conséquences paradoxales de la nature préalablement cosmique de l'enfance traditionnelle est son rapport à la mort. L'individualité, comme développé plus haut, n'est pas créé ex nihilo au moment de la conception puis de la gestation. Elle préexiste et attend dans l'au-delà le moment de s'incarner. Elle a séjourné dans la familiarité » des « puissances »forces cosmiques incarnées, dieux, esprits, génies, ancêtres,,. Le plus souvent, elle est elle-même un de ces êtres spirituels qui désire refaire l'expérience de la vie humaine ou revivre parmi les siens. .
copyright Jose Ortega VIOTA
« Parmi les êtres qui peuplent l'autre monde, les ancêtres jouent un rôle de premier plan, leurs relations avec les vivants étant particulièrement étroites. Il arrive qu'on se les représente comme habitant un village dans l'au-delà structuré lui aussi en lignages et en familles. Ils y mènent une existence en tout point similaire à celle qu'ils ont connue dans leur village d'ici-bas, ils y mangent, y boivent, y dorment, y cultivent leurs champs, y vont à la chasse, voire s'y reproduisent. On leur parle, on les prie, on les consulte, on leur adresse des offrandes, et on attend d'eux en échange des conseils, des bénédictions, des protections et un écoulement du trop-plein de ce réservoir de vie qu'ils représentent. Les deux faces du monde vivent en symbiose comme si elles étaient reliées par un système de vases communicants.
Le respect dû aux ancêtres est le fondement même de la solidarité familiale et de la soumission à l'autorité. Car ce sont eux qui ont mis en place les lois et les coutumes, et ils continuent à surveiller leur application et donc à se mêler des affaires de leurs descendants. Ils sont d'autant plus puissants qu'ils sont plus anciens et par le fait même plus proches de Dieu, à condition que leur mémoire demeure vivante sur terre. Ils se sentent directement concernés par la vie qui se perpétue dans leur lignée, car si celle-ci venait à s'éteindre, eux-mêmes n'auraient plus d'existence aux yeux des vivants, voire plus d'existence du tout. » Pierre Erny. L'idée De Réincarnation En Afrique Noire. L'Harmattan.
L'enfant va ainsi se situer dans une tradition, terme qui prend souvent chez nous un sens péjoratif du fait de notre conception linéaire du temps. Or la tradition en Afrique, avant les bouleversements dus à la colonisation, puis à la mondialisation revêtait une importance particulière. Elle n'avait rien de statique parce qu'elle signifiait l'accumulation des connaissances et symbolisait la sagesse d'une société. Le groupe des ancêtres était ainsi conçu comme une assemblée en perpétuel accroissement et en perpétuelle évolution : il formait donc une sorte de « capital spirituel »du fait des expériences passées ,au profit des vivants. La tradition représentant la paroles des ancêtres , établissait. un réseau de communication entre les vivants et les morts, visible et invisibles , englobant invocations, sacrifices et que fondaient les mythes.la parole de la tradition était parfois directe(par la possession par exemple ou les rêves) elle pouvait être indirecte par les calamités ou les maladies qu'il fallait alors interpréter comme signes.
On voit donc que tradition et ancestralisation étaient liées. Celle-ci constituait une sorte d'idéal éthique et de perfection .Aussi faut –il comprendre que les morts n'étaient pas automatiquement ancêtres mais que l'état nécessitait au contraire certaines conditions. En faire l'analyse, montre que dans nombre de sociétés africaines l'ancestralisation était au carrefour de plusieurs idées concernant la personne humaine, la société, le temps, la divinité. L'ancêtre était d'abord, un homme parvenu à un grand âge, ayant accumulé avec la longévité une profonde expérience des hommes et des choses. On l'opposait ainsi aux personnes peu avancées en âge, à celles que la crédulité et l'inexpérience de la vie classaient dans la catégorie des enfants ou des jeunes En second lieu, était définitivement rayé de la liste des ancêtre,s l'individu qui mourait d'une maladie « infamante ». Incompatible avec la considération, le rayonnement et la gloire des ancêtres. Etaient exclus ainsi du cycle de renaissance, tous ceux qui ne correspondaient pas au canon social : ainsi les morts trop jeunes ou morts de "mauvaise mort" - les noyés, les foudroyés, les femmes mortes en couches, ceux qui sont décédaient durant les rites d'initiation ou qui n'avaient pas bénéficié de rites funéraires normaux. Mais aussi les lépreux, les albinos, les fous, et enfin les personnes qui avaient eu une « mauvaise vie », en particulier celles qui se seraient livrées à la sorcellerie
chambre des ancêtres lobi: copyright Jose Ortega.
L'ancêtre était toujours et partout sur le continent un membre « organique » de la communauté des vivants ; il en était un des chaînons. Aussi, l'étranger, même adopté et intégré dans une société donnée, ne pouvait pas prétendre au titre d'ancêtre: il lui manquait la participation et la communion à la vie du groupe dans sa continuité spatiale et temporelle.
L'ensemble des normes qui présidaient à l'élaboration et à la conservation de la notion d'ancêtre semblait reposer sur deux idées maîtresses : d'une part, la pureté d'un type d'homme, conçu par le groupement humain comme le modèle social et religieux auquel les individus se doivent de se conformer afin d'éviter leur déperdition ; d'autre part, le souci de continuité et d'identité du groupement humain avec lui-même à travers le temps et en dépit des vicissitudes de l'existence. Ainsi, les éléments qui permettaient de caractériser l'ancêtre : la sagesse, l'intégrité physique et morale, le passage dans la vie sans entorse à son cours normal, ainsi que l'identification au groupe étaient ceux d'un idéal éthique d'achèvement et de perfection de l'humain. Ce qui faisait que l'ancêtre apparaissait comme le modèle du groupement humain, et donc comme intermédiaire tout indiqué entre le visible et l'invisible ou « divin ». (Les saints catholiques remplissent cette fonction et ils ne le deviennent également que par des rituels d'ancestralisation ou canonisation).
« En tout état de cause, l'ancêtre ne peut jouer pleinement son rôle dans la vie spirituelle de la société des vivants qu'à condition de s'en éloigner dans une certaine mesure. Parfois cette séparation est plus symbolique que réelle. Pour les Bantou du Sud-Est africain, les vieillards esseulés sont, par anticipation, assimilés aux disparus de leur promotion d'âge, c'est-à-dire aux ancêtres . Normalement cependant, les sages ne « jouissent » de cette qualité qu'après leur mort et, surtout, après leur éloignement net de la société des vivants, marqué par les secondes funérailles (levée de deuil), ou par des modifications apportées à leur sépulture.
Bien que, en principe, tous les morts ayant satisfait aux exigences sociales et religieuses dont nous venons de parler soient considérés comme étant des ancêtres, en réalité peu d'entre eux sont invoqués, à ce titre, par leurs descendants. Dans la masse totale de ses « élus » chaque société semble ainsi discerner une portion « utile », disposée en palier dans la série des générations et qui seule est avantageusement mise au service des vivants. Le reste, s'estompant dans la mémoire de ceux-ci, constitue les battitures de l'au-delà dont le souvenir est rappelé sans référence précise à l'occasion des rites de commencement d'année, en particulier. Ainsi, de même qu'une partie des vivants constitue, au moment du départ pour l'au-delà, le lot des morts inutiles, les défunts eux-mêmes deviennent partiellement inutilisables par la faiblesse des vivants. » Pierre Erny. L'idée De Réincarnation En Afrique Noire. L'Harmattan.
ancêtre Moba:copyright Jose Ortega.
Il y a ainsi une sorte de symétrie inversée entre l'enfant qui se construit et le vieillard qui se déconstruit, l'un qui s'achemine vers la plénitude personnelle et sociale, l'autre qui aspire à endosser le statut d'ancêtre. De même que la personne qui vient de mourir n'est pas encore entièrement morte et intégrée dans l'au-delà, de même l'enfant qui vient de naître n'est pas encore tout à fait né et intégré dans le monde des hommes. Le défunt franchit une première étape de cette intégration grâce au rite d'inhumation ; le nouveau-né fait le premier pas dans la société grâce au rite de première sortie et d'imposition du nom qui l'agrège à une famille, à un lignage, à un clan. Mais le défunt ne peut accéder au statut définitif d'ancêtre tant que son corps n'est pas décomposé, liquéfié, et que ses principes spirituels ne sont pas libérés de toute attache avec lui ; le nourrisson ne peut accéder au statut d'enfant tant que son corps est encore "de l'eau", ne s'est pas affermi, n'a pas durci, ce qui est attesté par l'acquisition des dents de lait, et par le fait même par l'accès à la nourriture solide et au sevrage.
Le vieillard qui meurt n'est pas encore un ancêtre, mais un defunctus, quelqu'un qui durant la période de transition où se dissout son cadavre n'a plus de fonction dans la société. Son statut est provisoire : c'est un être "en état de carence sociale", disait Maurice Leenhardt, "un vivant négatif, placé dans des conditions de contraste". Ce sont les rites de "secondes funérailles" ou de "levée de deuil" qui vont marquer son agrégation au monde des ancêtres s'il en est jugé digne.
Nulle n'a montré le rapport des vivants et des morts, autant que D. Sewane dans le « SOUFFLE DU MORT » consacré aux Batammariba du Togo, rapport tragique puisque le début du livre montre les femmes qui « tombent », sorte de catalepsie, état intermédiaire entre vie et mort ; cet évènement survenant, au moment où meurt celui qui lui avait donné le souffle vital. L'ensemble du livre reste une réflexion sur le sens aigu du tragique dans cette société que d'aucuns considéraient (y compris le gouvernement togolais) comme particulièrement primitifs. Toute une métaphysique complexe où il faut conjurer la mort par des rites funéraires « sophistiqués » pour éviter que la force retourne à la nuit, à la brousse environnante. Mais aussi l'existence chez des « voyants » et des sages de tout un savoir généalogique afin de conserver la mémoire des ancêtres qui redonneront leur souffle à un vivant.
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« Si un vivant doit sa vie à « celui qui l'aime » — le yembota (l'ancêtre) qui l'a formé —, le désir d'un mort de recommencer une nouvelle vie dépend de la mémoire des vivants. Qui viendra le tirer de la tombe si son nom est oublié ? Si, en célébrant un sacrifice devant son autel, personne ne dit plus son nom de l'intérieur de son foie, son nom pourrira au cimetière. Son souffle aussi, puisque l'un s'identifie à l'autre. Pour former une nouvelle vie, il a besoin de l'intervention de ses descendants. Il a besoin de /'okwoti qui garde la mémoire de son nom et de ses traces, celle, principalement, qui concerne sa tombe : combien de jeunes défunts y furent enterrés ? Quel est leur nom ? A quelle date ? En quel lieu ? Avec l'aide de quels autres morts de même cimetière forment-ils des enfants ?
Son savoir est d'abord celui des tombes….
(dominique.sewane(@)copyright
…Un okwoti (vieillard ayant accumulé de la sagesse) doit avoir en tête toutes les traces des morts de son clan susceptibles déformer un enfant. Un prodigieux savoir généalogique régulièrement mis à jour dans la fréquentation d'autres vénérables okwoti. Mais la place tenue par le devin est aussi indispensable que celle de l'okwoti ; si un okwoti a en tête toute, une liste de noms quand il vient consulter le devin, c'est au devin, en dernier ressort, de donner son aval. Du savoir de l'okwoti, validé par le bâton du devin, dépend la survie d'une takyiènta, et d'un clan. De la confrontation de /'okwoti et du devin, émergera une certitude quant à l'identité du mort, à condition que L'okwoti sache poser la « bonne question ». Faute de quoi, le nouveau-né dépérira. Se tromper sur le nom du mort revient à compromettre le destin de l'enfant : malaises, faiblesse de constitution, pour finir, mort précoce. L'oubli d'un nom prend vite les dimensions d'une faute dont pâtiront les descendants. Le nombre des vivants se raréfiera. Le cours des générations sera interrompu. C'est donc le devoir de l'okwoti de commencer les recherches auprès des devins « dès la deuxième ou troisième lune de grossesse, sinon le mort peut se cacher et un autre prendra sa place »…..
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…Un même yembota (ancêtre formateur) peut former plusieurs enfants : chacun recevra des tinènti ou affaires de destin différentes, lui permettant d'exceller dans une activité particulière — bâtisseur, forgeron, guerrier, chasseur... ou séducteur de femmes. Bien qu'entre eux, ces enfants soient considérés comme des Pareils puisque leur vie dépend d'un même souffle d'ancêtre, ils auront tous une destinée singulière. Chacun a son chemin, chacun doit laisser sa trace.
Bien qu'un vivant ne sache pas quel genre de tinènti lui ont été attribuées par son mort, elles se manifestent comme des aiguillons qui ne le laissent pas en paix tant qu' 'il ne les a pas réalisées. Le plus souvent, un yembota revient dans sa nouvelle vie à l'inverse de ce qu' 'il était auparavant. A l'origine de l'inversion : une souffrance.
Les souffrances endurées par les défunts dans leur vie antérieure constituent un savoir lentement emmagasiné par les okwoti. Ils ont le devoir de ne pas oublier les « malheureux » marqués par les échecs, les offenses, les deuils répétés. Pourquoi ? Pour favoriser au mieux le destin des enfants en lesquels ils reviennent, et dont le comportement, de prime abord, peut indisposer ou surprendre. » Dominique Sewane. Le Souffle Du Mort. Terre Humaine. Plon.
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