Philippe Descola devait à la fois continuer et approfondir son maitre Levi- Strauss dans une toute autre direction. Il répudie le dualisme et le « Grand Partage », entre Nature et culture(s), humains/non humains, logique/pré-logique, qui dessine les contours géographiques et temporels de l'Occident. Tout un pan de l'humanité au contraire, vit en interaction avec la nature, sans jamais la dissocier d'une supposée « culture ».Plutôt que la linguistique Descola va prendre en compte les sciences cognitives pour s'interroger sur la manière dont nous catégorisons les objets, les personnes, les animaux, les plantes, etc.
Ainsi des « schèmes généraux « déterminent notre rapport aux existants. « organisent les usages et les mœurs » permettent à l'individu d'identifier mais aussi de bâtir des relations avec ce qui l'entoure, avec les autres existants « ils consistent surtout en un petit nombre de schèmes pratiques intériorisés, synthétisant les propriétés objectives de toute relation possible avec les humains et les non-humains » L'identification et la relation sont en effet les « deux modalités fondamentales de structuration de l'expérience individuelle et collective Elles permettent à une personne ou à un groupe de se définir par rapport aux existants (humains, animaux, végétaux…), et plus encore de vivre avec eux. L'identification consiste à distinguer les ressemblances et les différences d'avec les autres, la relation à régler les rapports avec les autres.
Descola isole ainsi quatre grands schèmes, quatre façons de combiner différences et ressemblances, corporelles et spirituelles. Ces quatre grands schèmes détermineraient à leur tour quatre « types d'ontologie » de vision du monde, « c'est-à-dire de[s] systèmes de propriétés des existants, [qui] servent de points d'ancrage à des formes contrastées de cosmologies, de modèles du lien social et de théories de l'identité et de l'altérité »:
LE TOTEMISME, L'ANALOGISME, L'ANIMISME ET LE NATURALISME.
Le « naturalisme » occidental, daté – comme l'avait pressenti M. Foucault – du XVIIIème siècle, ouvre l'ère de l'anthropocentrisme auquel nos pensées et nos pratiques sont encore soumises. C'est le siècle aussi d'une véritable révolution « épistémique », celui de la science et son effort classificatoire qui creuse une « cette distance […] ouverte entre les choses et les mots » Le naturalisme équivaut donc à un double dualisme en quelque sorte : entre les choses et les mots, mais aussi entre la nature (le réel) et la culture (la capacité à catégoriser, et par là même à dire « vrai .
. Mais ces grandes oppositions entre nature et culture, sauvage et domestique, humain et non-humain, qui nous sont si familières, ne sont pas le lot commun de l'humanité, bien au contraire..
Ainsi, dans l'animisme, très présent en Amazonie et pas seulement chez les Achuars, humains et non-humains se rapprochent par une même intériorité, mais diffèrent par leur physicalité. L'animisme est « l'imputation par des humains à des non-humains d'une intériorité identique à la leur ». « La similitude des intériorités autorise donc une extension de l'état de culture aux non-humains » Si bien que pour les Makuna d'Amazonie colombienne par exemple, les animaux et les plantes ont une « essence spirituelle » commune.La culture n'est pas le propre des humains, puisque les animaux et les plantes la possèdent aussi.
Le totémisme, lui, établit une continuité morale et physique entre des groupes d'humains et de non-humains auxquels les premiers se rattachent :
Toutes les entités humaines et non-humaines incluses à l'intérieur d'une classe d'existants partagent un ensemble d'attributs identiques relevant à la fois de l'intériorité et de la physicalité, les différences de morphologie n'étant pas perçues comme un critère suffisant pour procéder à des discriminations ontologiques internes aux classes.
Descola fonde ainsi la notion de collectif reposant sur diverses relations et modes d'identification (les relations prédation, don, échange).un collectif englobe humain et non humain. Un « collectif » ainsi défini ne coïncide pas nécessairement avec une « société », une « tribu », ou une « classe », termes embarrassants par la clôture substantive qu'ils impliquent ; il se caractérise avant tout par la discontinuité introduite à son pourtour du fait de la présence ostensible à proximité d'autres principes de schématisation des rapports entre les existants.
Par exemple, le schème de relation dominant chez les Nuer, en Afrique de l'Est, est la protection. Le bétail est en effet perçu « tout à la fois comme tributaire des humains pour sa reproduction, son alimentation et sa survie et comme si étroitement lié à eux qu'il en devient une composante acceptée et authentique du collectif. […] les animaux sont bien dans ce cas des membres de plein droit du collectif et non un segment socialisé de la nature servant de métaphore et d'idiome pour des relations entre humains qui lui seraient extérieures »
Ceci nous amène à la question du totémisme en Afrique. L'anthropologue John Comaroff (1987) a déplacé l'analyse sur le plan de la production des marqueurs d'identification collective au même titre que d'autres (« race », « nation », ethnie », etc.) et donc en lui donnant un caractère sociologique là où Descola lui conférait une dimension psychologique (mais transculturelle). Le totémisme apparaît alors comme une forme de classification sociale plutôt que mentale, et s'oppose à une autre forme similaire, l'ethnicité. Le totémisme reste explicitement un modèle qui illustre des modes de production de collectifs moraux et sociaux.
Aussi à partir de terrains africains, Alfred Adler entend redéployer la notion de totémisme « clanique » inscrite dans des sociétés segmentaires, qu'elles soient non-unifiées autour d'un système politique centralisé (comme les Nuer, les Dinka,) ou des royautés (Shilluk, Moundang, Baganda)
Il existe bel et bien une catégorie de faits religieux qu'on doit et qu'on ne peut penser qu'à l'aide du totémisme
De plus la pensée contemporaine philosophique et anthropologique connait un regain d'intérêt,
pour les questions de l'animisme et du totémisme. C'est le signe d'une préoccupation unanimement partagée au sein des sociétés contemporaines pour les questions écologiques, et sa traduction,
dans le domaine des sciences humaines et sociales, notamment via l'efflorescence d'anthropologies « de la nature », « écologique » ou « de l'environnement.
Ainsi l'anthropologue sud-africain Graham Harvey fait montre d'une volonté de restituer à l'animisme, un rôle de premier plan dans l'étude des traditions « premières » à partir desquelles sont pensés les rapports modernes entre l'Homme et la Nature. le totémisme – théoriquement solidaire de l'animisme, catégorie plus générale qui l'englobe – relève d'un système de correspondances symboliques et de pratiques sociales qui lui sont liées, système qui constitue des liens réciproques et harmonieux entre le monde humain et son environnement biotique.
Les peuples Nuer et Dinka appartiennent au groupe nilotique de la famille des langues nilo-sahariennes et habitent la savane et la région soudée du haut Nil dans la partie sud de la République du Soudan. Les Nuers sont environ 300 000 et les Dinka environ 1 million. On a fait valoir qu'ils devraient être considérés comme un seul peuple, mais les différences culturelles et politiques sont assez marquées pour les distinguer, et chacun se considère comme distinct de l'autre. . Leurs systèmes religieux devraient également être différenciés, bien que peut-être en tant que variantes d'un système commun.
Les Nuer ne possèdent aucune autre forme d'autorité politique traditionnelle que l'autorité rudimentaire (et essentiellement religieuse) des prêtres à peau de léopard et des chefs prophétiques. Les chefs Dinka, » les maîtres de la lance de pêche », exercent une autorité plus cohérente sur des groupements plus clairement définis. Les modèles traditionnels ont considérablement changé en raison de la domination coloniale et, plus tard, de l'indépendance politique. . Les deux peuples se caractérisent par leur féroce sens de l'indépendance, se voyant seuls dans un monde qui leur est hostile tant sur le plan environnemental que politique. . Les observateurs ont tous souligné l'importance de la religion dans leurs affaires quotidiennes.
L'animisme nuer connait des formes d'esprits selon une échelle descendante, dont les degrés inférieurs comportent les esprits totémiques, d'autres dits « totémistiques » liés à des individus et non à des lignages), d'autres nature sprites, lutins ou follets et enfin au degré le plus bas, les fétiches, des objets (des faisceaux de baguettes, par exemple, et des plantes médicinales) chargés d'une certaine puissance auxquels leur propriétaire fait, à l'occasion, des sacrifices de chèvres.
Il existe une puissance première KWOTH, Esprit, puissance invisible insaisissable, quoique omniprésente parfois assimilée à l'air ou au vent ce qui est une manière symbolique de suggérer sa présence. Il se définit comme le créateur de univers Kwoth gana) , principe explicatif de tout ce qui est le protecteur bienveillant de ses créatures. il donne la vie entretient et la renforce mais la supprime quand l'heure est venue : fièvre, maladie, blessure, morsure de serpent. -On pourrait le traduite concrètement par Dieu à condition de bien voir la différence avec un dieu personne-. Ce dieu suprême pas besoin de prêtre ni même de sanctuaire contrairement aux génies subalternes. Le même mot sert également à désigner les deux catégories d'esprits que distinguent aussi les Nuer : les esprits d'en haut (esprits de l'air et esprits colwic qui se manifestent à certaines personnes par la possession) et les esprits d'en bas dont font partie les espèces ou objets totémiques qui sont associés à des clans et à des lignages, les premiers ne sont effectivement associés qu'à des individus.
Les totems ne sont pas que des systèmes de nomination : les clans et les lignages nuer ne sont pas en manque de signes pour marquer les différenciations sociales, car ils ont des noms d'ancêtres, des noms de lances (symboles éminents du lien de patrifiliation), des noms de bovins et des titres honorifiques comparables à des devises. Quelle que soit la manière dont un totem se retrouve associé à un groupe, le lien formé entre eux est conçu comme un rapport entre lignages collatéraux. Comme les humains, les animaux sont censés vivre dans leurs « villages » en constituant des communautés composées de familles et de lignages.
Ainsi : les grogneurs carnassiers, pourvus de crocs et de griffes (lion, panthère, chacal, hyène, etc.) sont une communauté dont l'un des lignages, par exemple, comprendrait des mangoustes, des servals et des genettes. Les serpents sont un lignage qui appartient aux « sans pieds ». Une autre classe est celle des habitants de l'eau, qu'ils soient seulement des riverains ou qu'ils vivent dans les rivières, les lacs et les marais : crocodiles, lézards monitor, oiseaux et serpents aquatiques, poissons, etc..porter du tort
S'agissant des espèces animales, le rapport est le plus souvent pensé comme un lien de gémellité, émanant du principe premier. Les Nuer affirment qu'une femme peut mettre au monde une paire de jumeaux dont l'un est un hippopotame, par exemple, auquel cas l'animal nouveau-né est placé dans l'eau d'une rivière tandis que le bébé humain est déposé dans un arbre parce que « les jumeaux sont des oiseaux ». Le monstrueux, l'anormal, apparait dans ce système de pensée comme la preuve évidente de l'action de l'Esprit
Porter du tort à un animal c'est porter du tort à un parent comme le montrent les mythes.
Un homme avait tué un lion avec une lance appartenant à l'un de ses voisins Leng et peu après, il arriva que des lions tuèrent quelques bêtes du troupeau de ce Leng qui avait prêté son arme. On se proposait de faire une chasse à ces fauves quand, réflexion faite, on s'avisa qu'il s'agissait d'une juste vengeance des esprits-lions en réponse à une agression imputable à un lignage-lion. La solution adoptée fut la suivante : le tueur de lion versa à son ami Leng une compensation pour le bétail perdu et un sacrifice fut fait pour apaiser l'esprit-lion ; ensuite, tout rentra dans l'ordre. Dans d'autres circonstances, le tueur de lion sera possédé par l'esprit au point de perdre le sien et se prendre pour un lion, se mettant à rugir et imitant la posture du fauve, les doigts tenus recourbés comme des griffes et les jambes ployées comme dans l'instant où il est prêt à bondir sur sa proie. Là encore, un sacrifice expiatoire à l'esprit-lion suffit à délivrer le possédé.
L'explication d'Evans Pritchard est à la fois fonctionnelle et poétique :.fonctionnelle en ce sens que toutes les espèces jumelles émanent du principe premier et qu'ainsi cet esprit de famille » pallie la trop grande fragmentation segmentaire de la société nuer. D'autre part, les rituels à destination du totem ont une fonction de protection. Le clan Gaanwar « respecte » deux totems végétaux, le tamarinier et l'arbre nyuot (cordia rothii), ce dernier ayant pour caractéristique de garder ses feuilles humides même en saison sèche. Pour cette raison, une branche de nyuot, posée dans la maison d'anciens du clan, sert d'autel pour des invocations et des sacrifices destinés à implorer la pluie, c'est-à-dire un bienfait pour tout le monde.Il existe des clans et des lignages qui ont pour totems des petits cours d'eau et des rivières , lieu de pêche ou encore rendre inoffensif par exemple l'esprit crocodile pour les pêcheurs en lui sacrifiant une chèvre.
Mais Evans Pritchard ne se limite pas au fonctionnel : si le totémisme est incompris des observateurs occidentaux c'est qu'ils méconnaissent la dimension imaginaire, La solution du problème que soulève le totémisme a incontestablement à voir avec le pouvoir de symbolisation ainsi qu'avec la puissance poétique qui sont le propre du langage,. le totémisme est un ensemble de métaphores, de symboles par lesquels les Nuers pensent le rapport avec leur monde (géopoétique) (vis-à-vis de leur bétail, des espèces sauvages, des arbres, des fleuves, des objets éminemment symboliques tels leurs lances ou bien encore d'humbles ustensiles, etc.) qui s'exprime dans des hymnes, des chants, des prières, des invocations, des devises et jeux verbaux de toutes sortes. . Pour des raisons diverses, dont le totémisme, un grand nombre d'animaux sont considérés comme médiateurs entre les humains et les forces invisibles . Certains semblent avoir la même importance partout, tandis que d'autres ont une importance limitée.
Un exemple de ce symbolisme ,le python :
Les serpents sont l'objet d'un riche et puissant symbolisme dans les traditions africaines. Certains, présentés comme agents de bonheur, sont apprivoisés, d'autres pris pour agents de malheur, sont craints et repoussés. Dans tous les cas, ils sont le véhicule d'une énergie active reçue aux temps de la première création. Le serpent le plus représentatif dans ce symbolisme est le python, royal (p. regius) ou géant (p. sebae) selon les régions. Animal symbolique par excellence, le python inspire une attitude religieuse non seulement à ceux qui l'ont adopté comme totem, mais aussi à tous ceux dans les croyances de qui il intervient d'une manière ou d'une autre.
Par exemple, chez les Venda, c'est le python qui, par vomissement, procéda à la création de toutes les créatures. Il est le symbole du Créateur et, à ce titre, il intervient dans de nombreuses cérémonies rituelles et religieuses, notamment dans l'initiation féminine, où les jeunes initiées miment ses mouvements en dansant, rappelant les circonvolutions originelles 61.
Pour les Baluba, le python participe de la nature divine, car il fut, sous la forme d'une créature de nature ambiguë, le maître des créatures avant que ce pouvoir ne fût confié à l'homme. En effet, dans le mythe de la création, il est dit qu'ayant été à l'origine de la chute de l'homme, la créature à la nature ambiguë fut métamorphosée en deux serpents, l'un mâle, l'autre femelle, qui furent chassés du ciel en même temps que la terre. Lorsque la terre fut éloignée du ciel et leurs eaux séparées, une pluie diluvienne tomba sur la terre, perturbant tout ce qui y vivait. Les deux serpents, qui vivaient dans l'eau, émirent chacun un souffle dans l'air. Les deux souffles se rencontrèrent et formèrent un arc-en-ciel. Celui-ci fit arrêter la pluie et tout rentra dans l'ordre. Depuis ce temps, par sa nature d'arc-en-ciel, le python est pour les Baluba le symbole de l'alliance entre les forces du ciel et celles de l'eau, de la paix et de l'union cosmique.
Chez les Bayaka, Kyanza Ngombi, le serpent originel, est le symbole de l'Etre créateur qui, de la profondeur d'une masse inerte où il était tapi, se sentit enfermé et se mit à se mouvoir. Chaque mouvement provoqua une fissure dans la masse, et de ces fissures sortirent les créatures qui remplissent l'univers. C'est ce que dit le mythe :
Mythe YAKA :
«Au commencement, seule existait une chose informe, masse compacte sans visage et sans nom, qui vivait là, comme ça, immobile, sans but.
Un jour pourtant, cette chose se mit à bouger : quelques fissures par-ci, quelques craquelures par-là et hop ! voila une forme qui apparaît, se précise pour devenir une des créatures qui existent et remplissent aujourd'hui l'univers. Le soleil, la lune, les planètes, les étoiles, la terre, les montagnes, les arbres, les plantes, etc. jurent ainsi créés. Peu à peu, chaque chose prit sa place. Tout se stabilisa. Ce fut alors que surgit des fentes béantes un être du nom de Kyanza Ngoonbi, ce qui signifie «La Parole Première » ou « La Parole qui précède ». Cet être était un Serpent immense à double tête qui, se déroulant lentement de ses spires onduleuses, dirigea l'une de ses têtes vers l'Occident, et l'autre vers l'Orient. Il resta ainsi allongé, sans bouger, couvant dans l'immobilité totale les créatures émergées des entrailles de la terre.
Un temps incommensurable passa. Puis un jour, Kyanza Ngoombi commença à transpirer abondamment. Il transpira, transpira si bien que sous sa tête dirigée vers l'Occident, l'eau qui coulait de son corps forma le fleuve Kwango, et sous sa tête dirigée vers l'Orient, sa sueur se transforma en rivière Wamba.
Du Kwango nous avons le poisson et tout le peuple sous-mann qui nous est offert pour apaiser notre faim. De la Wamba, nous avons la nature et la végétation qui abritent les esprits de nos morts et les remèdes qui adoucissent nos angoisses.
De nos jours encore, les tremblements, les érosions, les éboulements et les ravinements sont l'œuvre de Kyanza-Ngoombi. »
LES VOISIN DES NUERS, LES DINKA. GODFREY LIENHARDT .
Celui-ci délaisse le mot totem pour le remplacer par « divinité de clan » qu'il oppose à celle de « divinité libre », opposition qui recoupe celle que font les Nuer entre esprits d'en haut et esprits d'en bas.
C'est la différence de « puissance » entre les totems qui caractérise le système Dinka. Il existe en effet qu'il existe deux catégories de clans : les bany, ceux qui exercent des fonctions rituelles particulières et dont le symbole est la lance sacrée de pêche, et les kic qui sont les clans du commun, ceux qui fournissent les guerriers. Chacune des tribus dinka comprend plusieurs clans de prêtrise et parmi eux celui de détenir la fonction de « maître de la lance de pêche », et plusieurs clans guerriers dont l'un des sous clans détient la fonction de maître de la guerre.
Les objets totémiques ou, pour parler le langage de Lienhardt, les emblèmes des divinités claniques, sont des plus variés : le lion auquel est associée la grande fourmilière, son lieu de prédilection ; la girafe, liée au hérisson ; l'hippopotame, l'éléphant et le chacal. Plusieurs variétés de serpents et de lézards ; le poisson-chat qui est associé à la pluie qu'il est censé aller chercher au ciel ; l'huître d'eau douce et arec, « une petite chose dans la rivière qu'aucun homme n'a jamais vue ». Différentes sortes d'oiseaux, d'insectes et d'arbres ; des éléments comme l'eau et le feu auquel se rattache la Chair ; Vénus et les comètes ; certaines herbes dont on fait les anneaux de portage sur la tête. Il y a aussi des parties du corps : la cuisse et le fémur liés à la Chair ; des objets usuels tels le pilon, la gourde et l'anneau de portage évoqué à l'instant et enfin, des objets européens censés être des entités totémiques pour les Blancs : camion, papier et machine à écrire
Les mythes Dinka disent apportent des précisions importantes : de nombreux récits ont trait aux ancêtres-animaux et renvoient à une époque où les hommes et les animaux, après avoir été longtemps associés par leurs groupes de filiation respectifs, ont commencé à se séparer. Cette séparation consommée, l'origine du totem serait que les hommes doivent savoir quels animaux leur étaient spécialement associés en fonction de leur clan.
exemple d'un mythe : il y a très longtemps, une femme était étendue sur le sol et dormait lorsque soudain une hyène surgit et bondit sur elle. Certains des proches de la femme s'apprêtaient à tuer l'animal mais d'autres les retinrent en faisant valoir que cet animal devait avoir de bonnes raisons pour agir de cette façon. Quand le fils qui naquit de cette union se mit à marcher, on s'aperçut qu'il présentait une légère claudication qui rappelait la démarche de l'hyène. On lui donna le nom de Den (hyène) qui devint la divinité clanique de ses descendants
L'attitude fondamentale exigée des hommes en présence des emblèmes de leur divinité de clan doit être celle du respect, thek, qui caractérise également les rapports vis-à-vis des aînés, de la belle-mère et des femmes menstrues qu'il faut éviter autant que possible. La pire des choses est de se trouver au contact du sang de son animal totémique, ce qui peut entraîner la stérilité, la cécité ou encore une grave maladie de peau appelée akeeth, mot qui signifie inceste, il existe aussi l'obligation positive de faire des sacrifices et de réserver certaines parts de l'animal immolé à l'autel de la divinité clanique.
Les emblèmes totémiques, ont le statut de membres du clan et l'espèce représente les pères, les ancêtres, donc la divinité elle-même. Alors que les Dinka se différencient comme individus ou familles multiples, la divinité clanique symbolisant l'Ancêtre commun permet une unité qui transcende les divisions et les oppositions intérieures au clan et constitue pour ses membres la source de vie et de fécondité
Les divinités de clan les plus puissantes, sont celles des clans maîtres de la lance de pêche. Ce sont ces maîtres et non les hommes possédés par des « divinités libres » qui sont les médiateurs autorisés entre la Divinité suprême et les tribus et sous-tribus qu'ils représentent. Leur divinité de clan qui n'appartient qu'à eux seuls (alors que des clans différents à travers le pays dinka peuvent partager le même emblème totémique) s'appelle Chair, ring. La chair, comme totem, renvoie, selon Lienhardt, à l'idée de vie qui continue après la mise à mort, idée attachée à l'image impressionnante de la palpitation des chairs, des mouvements convulsifs qui agitent encore le corps de l'animal qui vient d'être immolé et dont on retire la peau. La Chair est associée au feu, à la lumière et à la couleur rouge ; l'un de ses emblèmes est un petit serpent inoffensif de cette couleur, un autre, l'on peut s'en étonner, est le corps même d'un nouveau-né au teint très clair, tirant vers le rouge.
A SUIVRE
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