"Les choses me touchent comme je les touche et me touche : chair du monde — distincte de ma chair : la double inscription dehors et dedans.. L'unité préalable moi-monde, monde et ses parties, parties de mon corps, unité avant ségrégation, avant dimensions multiples,: mais il y a d'abord leur lien profond par non-différence. Voyant-visible = projection-introjection II faut qu'ils soient l'un et l'autre abstraits d'une seule étoffe."
"Le chiasme vérité de l'harmonie préétablie ". Merleau Ponty. le Visible et l’Invisible .Gallimard
Pour David Abram ,il ne tient qu'à nous de nous réveiller aux « invites » de notre milieu naturel vivant, qu'occultent les artefacts qui nous entourent, retrouver la réalité sensorielle de l'expérience ;alors nous pourrions de nouveau entendre la terre parler .Il ne s'agit pas ici d'un « retour nostalgique » à un quelconque « état de nature »(lequel n'était pour Rousseau, lui-même, qu'une fiction permettant de comprendre notre condition par différence).L'expérience est à la fois beaucoup plus simple et plus riche : elle est l'accès au « monde de la vie qu'étudiait la phénoménologie :un terrain profondément charnel, comme le terrain même des odeurs, des goûts, du chant des oiseaux qui s'élève sous la chaleur du soleil. En fin de compte, reconnaître la vie du corps et affirmer notre solidarité avec cette forme physique, c'est reconnaître notre existence comme celle d'un animal parmi les autres sur terre, et ainsi retrouver et réactiver la base organique de nos pensées et de notre intelligence . Il s'agit d'être attentif à ce que Merleau-Ponty appelait la « chair », ce chiasme perceptif charnel et mystérieux, parce qu' en deca de la conscience réflexive , de notre monde sensoriel .la chair c'est le corps (différent du corps biologique qu'étudient les sciences ), à la fois sentant et senti, touchant /touché, ouvert aux multiples signaux du milieu ambiant (« l'arroi optique » de Gibson) .
« Présence réciproque du sentant dans le sensible et du sensible dans le sentant, présence mystérieuse mais familière, au moins de manière tacite, puisque nous n'avons jamais pu affirmer l'un de ces phénomènes, le monde perceptible ou le soi percevant, sans implicitement affirmer l'existence de l'autre
C'est pourquoi lorsque nous renouons avec nos corps vivants, le monde perçu lui-même se modifie et se transforme. À mesure que nous commençons à fréquenter délibérément l'évidence muette de nos participations sensorielles, certains phénomènes qui, d'habitude, commandent notre attention commencent à perdre leur pouvoir de fascination et glissent à l'arrière-plan ; d'autres présences, jusque-là ignorées ou négligées, commencent alors à surgir de la périphérie et à influencer notre expérience. Les innombrables artefacts humains qui nous occupent en général Au même moment, d'autres êtres — les corbeaux, les écureuils, les arbres et les mauvaises herbes qui entourent nos maisons, les insectes bourdonnants, le lit des rivières, les nuages et les averses — commencent tous à exhiber une vitalité nouvelle, chacun incitant le corps vivant à une danse particulière. Même les rochers et les roches semblent parler leurs propres et étranges langages, de signes et d'ombre, et invitent le corps et son squelette à une communication silencieuse. En contact avec les formes natives de la terre, nos sens sont progressivement stimulés et réveillés, combinés et recombinés en des agencements sans cesse changeants
Lorsque nous marchons en forêt, nous scrutons ses profondeurs vertes et ombreuses, nous écoutons le silence des feuilles, nous apprécions l'air frais et vif. Et pourtant la transitivité de la perception, la réversibilité de la chair sont telles que nous pouvons soudain sentir que les arbres nous regardent - nous nous sentons exposés, observés de toutes parts. Si nous résidions dans cette forêt durant des mois ou des années, notre expérience pourrait se modifier à nouveau — nous pourrions en venir à sentir que nous faisons partie de cette forêt, que nous sommes dans des rapports de consanguinité avec elle, et que l'expérience que nous avons de cette forêt n'est rien d'autre que la forêt faisant l'expérience d'elle-même… Tels sont les échanges et les métamorphoses qui se produisent du simple fait que nos corps sentant sont en pleine continuité avec le vaste corps de la terre, que « la présence du monde [est] présence de sa chair à ma chair ». » David Abram. Comment La Terre S'est Tue .La Découverte
Or c'est justement ce qui est le propre de l'expérience animiste et ce que qu'auraient pu nous enseigner les sociétés traditionnelles africaines, Inuit, aborigènes ou amérindiennes. David Abram entreprend de la restituer dans de nombreuses pages : il cite par exemple les indiens Koyukon, peuple amérindien qui habite dans le Centre-Nord de l'Alaska .Ces derniers ont une sorte d'éthique de l'environnement qui pourrait surprendre nos habitude de pensée et susciter condescendance ou ironie : l'indien qui marche dans une forêt ne se sent jamais seul mais observé par les arbres comme par une multitude d'yeux. Il sent les alentours ambiants, peuplés de conscience, dotés de sens et de personnalité. Ils peuvent donc être offensés, aussi doivent –ils à tout instant, être traités avec le respect qui convient.
C'est ici l'expérience des peuples chasseurs. La chasse, pour une communauté indigène orale, implique des capacités et des sensibilités très différentes de celles qui sont associées à la chasse dans la civilisation technologique. Sans arme à feu, un chasseur indigène doit souvent s'approcher beaucoup plus près de sa proie sauvage. Plus près, pas seulement physiquement mais émotionnellement aussi, au sens d'entrer dans une proximité empathique avec la manière dont l'autre animal sent et éprouve. Le chasseur indigène doit, en réalité, avoir été lui-même « apprenti » des animaux qu'il entend tuer. Rien n'est plus essentiel à cet apprentissage que la connaissance des modes de communication, des signes, des gestes et des cris des animaux de la contrée. La connaissance des sons grâce auxquels un singe indique aux autres membres de sa troupe qu'il a trouvé une source de nourriture abondante, ou des cris par lesquels un oiseau particulier signale sa détresse, ou par lesquels un autre attire une femelle permet au chasseur d'anticiper les mouvements de différents animaux tant à grande qu'à petite échelle. Sa familiarité avec les appels et les cris des animaux confère également au chasseur un ensemble élargi de sens, la possibilité d'appréhender des événements qui se produisent hors de son champ visuel, cachés par le feuillage de la forêt ou dérobés par l'obscurité de la nuit. La lecture des traces pour un traqueur aborigène ou bushman s'entoure d'un monde de virtualités qui lui permettent d'anticiper en y percevant la nature, sexe, poids, de l'animal et de dire depuis quand il est passé.
"Les chasseurs ont une relation avec leurs animaux; et la base de cette relation, c'est que les uns dépendent des autres. Les chasseurs-cueilleurs ont des relations similaires avec la terre elle-même. On ne peut pas toujours tracer une ligne nette entre l'animé et l'inanimé. De manière générale, échouer à prendre soin de la terre, c'est encourir un risque moral qui comporte un danger spirituel. Cela met encore en jeu des réalités spirituelles, et la relation entre les êtres humains et les esprits de ces lieux où hommes et esprits cohabitent. Ces lieux ne peuvent être contrôlés, et doivent rester intacts. "Hugues Brody.
Selon D. LE BRETON ,Les Aiviliks (communauté du grand Nord) recourent à une sensorialité multiple au cours de leur déplacement, jamais ils ne sont perdus malgré les transformations parfois rapides des conditions atmosphériques. Le bruit, les odeurs, la direction et la force du vent leur fournissent des informations précieuses. Ils établissent leur chemin à travers maints éléments d'orientation. "Ces repères ne sont pas constitués d'objets ou de lieux concrets, mais de relations; relations entre, par exemple, des contours, la qualité de la neige et du vent, la teneur de l'air en sel, la taille des craquements de la glace. Je peux rendre plus clair ce propos avec une illustration. J'étais avec deux chasseurs qui suivaient une piste que je ne pouvais pas voir, même quand je me penchais au plus près pour essayer de la discerner. Ils ne s'agenouillaient pas pour la voir, mais debout, ils l'examinaient à distance" (Une piste est faite d'odeurs diffuses, elle se goûte, se tâte, se sent, appelle l'attention de signes discrets que ne dispense pas seulement la vue.
Les Aiviliks disposent d'un vocabulaire d'une douzaine de termes pour désigner les divers souffles du vent ou la contexture de la neige. Et ils développent un vocabulaire étendu en matière d'audition et d'olfaction. La vue est pour eux un sens secondaire en terme d'orientation. "Un homme d'Anaktuvuk Pass, à qui je demandais ce qu'il faisait quand il se trouvait dans un lieu nouveau, me répondit: 'J'écoute.' C'est tout. 'J'écoute', voulait-il dire, ce que ce lieu me dit. Je le parcours, tous mes sens aux aguets, pour l'apprécier, bien avant de prononcer une parole »
« La terre parle aux Koyukons par des gestes et des signes visibles. La manière dont un corbeau vole dans le vent, fait un écart ou plane à l'envers peut indiquer le succès ou l'échec de la chasse. Les mouvements d'autres animaux peuvent indiquer la présence d'un danger, l'approche d'une tempête ou un dégel printanier précoce. L'idée commune aux cultures alphabétiques, selon laquelle « déchiffrer les signes » est une pratique superstitieuse, parfaitement irrationnelle, nous empêche de reconnaître l'importance pratique pour les peuples chasseurs-cueilleurs d'une telle attention minutieuse aux comportements de ce qui les environne. La manière dont ils observent et interprètent les gestes du monde, comme si chaque mouvement était porteur d'une signification, s'accorde avec une conception du monde où il n'existe tout simplement pas de notion pour désigner quelque chose qui serait purement dénué de sens. Pour le Koyukon, aucun événement n'est jamais tout à fait accidentel ou relevant totalement du hasard, mais aucun événement non plus n'est jamais entièrement prédéterminé. » » David Abram. Comment La Terre S'est Tue .La Découverte
Davis Abram consacre la dernière partie de son livre à une des composantes de tout milieu naturel dont nous reprenons seulement conscience dans notre présent, parce que devenu irrespirable dans nos milieux urbains, à savoir l'air et l'oubli de l'air. Un élément particulièrement lié à la pensée animiste jusque dans son étymologie. Si l'aspect le plus connu de l'animisme est en effet de peupler le monde d'existences invisibles, l'air est justement l'invisibilité dans son principe même. Invisible lui-même, il est pourtant le médium qui rend possible la totalité des vivants. « L'air unit nos corps, ces corps qui respirent, avec ce qui est au-delà de l'horizon (les forêts et les océans au loin), avec ce qui est sous-la-terre (l'intense vie microbienne du sol, les dépôts fossiles et minéraux au plus profond du sous-sol rocheux), mais aussi avec la vie intérieure de tout ce que nous distinguons d'un bout à l'autre de l'étendue ouverte du présent vivant » –L'air, devient donc dans la pensée de l'auteur une sorte « d'esprit de ce monde », qui relie à tous les autres êtres. Dans un échange perpétuel, nous inspirons ce qu'expirent les arbres, qui inspirent et ce que nous expirons et en continuité avec le vent à la totalité du paysage... Mais dans le monde moderne, nous avons oublié ce médium et nous ne parlons plus que de l' « espace » qui nous sépare les uns des autres, et de toutes les entités. « Nous ne réalisons pas qu'il y a quelque chose, là, juste là, en nous et autour de nous, qui nous relie à tout instant ! Comment diable avons-nous pu l'oublier et ne plus le voir ? Je ne sais pas. »
Là encore, il s'agit bien d'oubli ; parce qu'à l'origine, les langues racines de notre culture exprimaient bien cette problématique .( ainsi le mot sanskrit atman, qui signifie à la fois « âme », « air » et « souffle ». De même, le terme « psyché » - et avec lui toute sa descendance moderne, « psychisme », « psychologie », « psychiatrie » ou « psychothérapie » - dérive de l'ancien mot grec psukhê, qui ne signifiait pas simplement « esprit », mais aussi « coup de vent ». Le terme grec était lui-même dérivé du verbe psukhein, qui signifie « respirer » ou « souffler ». De plus, un autre mot du grec ancien pour « air, vent et souffle », le terme pneuma, d'où dérivent des termes tels que « pneumatique » et « pneumonie », signifie aussi et dans le même temps ce principe vital que nous nommons « esprit ». Quant au mot « esprit » lui-même, et en dépit de toutes ses connotations incorporelles, il est directement relié au très physiologique terme « respiration » à travers leur racine commune, le mot latin spiritus qui signifiait à la fois « souffle » et « vent ». De même, le mot latin pour âme, anima, dont proviennent également « animal », « animation », « animisme » ou « unanime » (être d'un seul esprit, d'une seule âme), signifie également le souffle d'air
Une rare expérience animiste de l'écoute de la nature fut celle du cinéaste Jean EPSTEIN pour qui ,les vagues et les tempêtes étaient vivantes . La magie du cinéma rejoignait pour le réalisateur celle de la mer. Ainsi le "Tempestaire" film de 1947, du nom d'un magicien capable , dans la tradition bretonne ,de "capable de calmer le vent..
David Abram insiste sur la Genèse, telle que la narre la Bible originaire dont l'interprétation première a pu se perdre, parce contaminée par la culture grecque et chrétienne, dans la lecture des textes :rien à voir avec la croyance en un ciel et un enfer d'un autre monde, ou la foi dans l'immatérialité et l'immortalité de l'âme .Le récit biblique n'est curieusement pas si éloigné du mythe de la création navajo ci-dessous, où le peuple « Dine » émerge des profondeurs de la terre.
« Vent existait d'abord, comme une personne, et lorsque Terre commença son existence, Vent prit soin d'elle. Nous avons commencé à vivre là oti les Obscurités, couchées sous terre les unes sur les autres, sont apparues. Ici, celle qui était couchée au-dessus devint Aube, répandant la clarté alentour. Ce qui était couché les uns sur les autres, à ce moment-là, c'est Vent. Il [Vent] était Obscurité. C'est pourquoi quand Obscurité s'installe sur vous à la nuit, une brise merveilleuse se lève. C'est lui, c'est une personne, disent-ils. De là, lorsque l'aube se lève, merveilleuse, lorsque des traînées blanches strient l'aube, habituellement une brise souffle. Vent existe merveilleusement, disent-ils. Là-bas, dans les mondes souterrains, il était une personne, semble-t-il».
Au tout début de la création, avant même l'existence de la terre et du ciel, Dieu est présent en tant que vent, mouvement au-dessus des eaux. Et le souffle, ainsi que nous l'apprenons dans la section suivante de la Genèse, est le lien le plus intime et le plus élémentaire reliant l'humain au divin. Il est ce qui circule de la manière la plus directe entre Dieu et l'homme. Car après que Dieu a façonné un Terrien (Adam) à partir de la poussière de la terre (adamah), il souffle dans les narines du Terrien le souffle de vie, et l'humain s'éveille. Quoique ruach aurait pu l'être, le mot hébreu utilisé ici est neshamah, qui signifie à la fois le « souffle » et l'« âme ». Alors que ruach se réfère généralement au vent ou à l'esprit dans son ensemble, neshama signifie le plus souvent l'aspect plus personnel, individualisé, du vent : le vent ou le souffle d'un corps particulier - comme le « Vent en quelqu'un » des Navajos.
On comprend mieux par ce qui précède pourquoi la vision animiste des sociétés traditionnelles n'était pas aussi infantiles qu'on l'a cru au 19ème siècle positiviste ,pour qui elles peuplaient le monde d'âmes ou d'esprits( mais en fait d'un souffle vital qui irriguait, comme le fait le sang, la totalité des êtres.).David Abram précise dans plusieurs exemples le rapport à l'air et au vent de ces cultures :
Les navajos ont une conception de la naissance liée à l'air et aux vents :ils pensent que Vent (le souffle vital ) est présent à l'intérieur d'une personne dès le moment même de sa conception, lorsque deux souffles , l'un provenant des fluides corporels du père, l'autre de ceux de la mère, forment un souffle unique à l'intérieur de l'embryon. C'est le mouvement de ce Vent qui produit les mouvements et la croissance du foetus.
Lorsque le bébé naît, les Navajos disent que le Vent à l'intérieur de lui « se déploie», et c'est alors, lorsque l'enfant commence à respirer, qu'un autre Vent, un Vent alentour, entre en lui, peut être envoyé depuis l'une des quatre directions de l'horizon, ou depuis le Soleil ou la Lune, ou depuis le Sol lui-même - en particulier qui entre avec la première inspiration aura une influence puissante sur l'ensemble de la vie de cette personne.
Lorsqu'un Navajo souhaite renouveler ou restaurer, dans le monde, la situation harmonieuse de bien-être et de beauté que désigne le terme navajo hozho,( et que troublent famines, crimes, maladies, désordre familial ), il doit d'abord s'efforcer, par un rituel,(Chant ou Voie) de créer cette harmonie et cette paix à l'intérieur de son propre être. Ayant établi un tel hozho à l'intérieur de lui, il pourra alors transmettre activement cet état de bien-être au cosmos enveloppant, par le pouvoir transformateur du chant . Après qu'une personne a projeté hozho dans l'air par les médiums rituels de la parole et du chant, elle respirera à nouveau cet hozho redevenu celui de l'ordre et de la beauté du monde qui l'entoure.
'Cest beau en vérité,
Moi, je suis l'esprit à l'intérieur de la terre ;
Les pieds de la terre sont mes pieds ;
c'est beau en vérité [répété trois fois].
Les jambes de la terre sont mes jambes ;
c'est beau en vérité [répété trois fois].
La force physique de la terre est ma force physique ;
c'est beau en vérité [répété trois fois].
Les pensées de la terre sont mes pensées ;
c'est beau en vérité [répété trois fois]……
A la base de tous les rituels des indiens des plaines se trouvait la loge de sudation, ou de purification, qui nettoyait à la fois le corps et l'esprit d'un individu et le préparait ainsi à participer aux autres rituels.
Le bain de vapeur purificateur était souvent une cérémonie en lui même- Pour le prendre, on se rendait, pratiquement nu, jusqu'à une minuscule hutte faite d'une structure en branches de saule recouverte de peaux. Une fois enfermé à l'intérieur, on versait doucement de l'eau sur des pierres chauffées à blanc, on respirait la vapeur, on brûlait de l'« herbe douce », la sweet grass, on fumait la pipe sacrée, on priait et on espérait recevoir une vision. Avant de quitter la hutte à sudation, on se frictionnait avec de la sauge et on s'aspergeait d'eau froide, ou on sautait dans le ruisseau voisin. Parfois, plusieurs personnes, hommes et femmes, s'y entassaient. D'une manière générale, la loge de sudation (Sweet Lodge) était un lieu et un moyen mettant l'homme en rapport direct avec l'alchimie des quatre éléments, la terre, l'eau, l'air et le feu. .
Les Sioux lakota croient en un principe créateur ( Wakan Tanka, le « Grand Mystérieux », que les westerns traduisent en Manitou ou Grand Esprit ) dont la présence est sentie partout, qui donne vie, mouvement et pensée à toute chose. Son principe visible est Taku Skan, le Ciel Enveloppant, matérialisé par le ciel bleu. Dans leur mythologie, Skan crée Tate - le Vent à partir de sa propre substance afin qu'il soit son compagnon et porte ses volontés et ses messages à travers le monde. (Les chamans lakota parlent donc des deux - le Ciel et le Vent - comme du même être.) Et ce fut Tate qui s'accoupla à « Ite , La Femme Bison Blanc », mère primordiale. De cette union, Ite donna naissance au Vent du Nord, au Vent du Sud, à celui de l'Est et à celui de l'Ouest (ainsi qu'à Yum, la petite tornade ou le tourbillon de poussière). Les quatre Vents confèrent leur structure et leur magie particulière à chaque rituel lakota pratiqué encore aujourd'hui.
Il en est ainsi de l'objet sacré, qui est censé unir une communauté indienne sioux, le calumet ou pipe sacré ,don de la Femme Bison Blanc. La fumée du calumet rend visible le souffle invisible et, à mesure que la fumée s'élève de la pipe, les flux et les courants de l'air lui-même. Elle rend visible les connexions cachées entre ceux qui, en offrande, fument le calumet et toutes les autres entités qui résident dans le monde : les différents peuples ailés, les autres peuples qui marchent et ceux qui rampent, la multiplicité des êtres enracinés — les arbres, les herbes, les buissons, les mousses. De plus, la fumée qui s'élève porte les prières du peuple lakota vers les êtres du ciel - vers le soleil et la lune, vers les étoiles, vers les êtres qui tonnent et les nuages, vers tous les pouvoirs qui sont ceux de woniya wakan, l'air sacré.
« Asseyons-nous ici, nous tous, au milieu de l'immense prairie, d'où nous ne pouvons voir ni une autoroute ni un grillage. N'ayons pas de couvertures pour nous asseoir, mais sentons le sol sous nos corps, la molle résistance de la terre, la présence des arbustes autour de nous. Prenons l'herbe pour matelas, éprouvons sa dureté et sa douceur. Devenons pareils aux pierres, aux plantes et aux arbres. Soyons des animaux, pensons et sentons comme des animaux.
Ecoutez l'air. Vous pouvez l'entendre, en éprouver le contact, vous pouvez sentir l'air, vous pouvez le goûter. Woniya wakan, l'air sacré, qui de son souffle revivifie la création. Woniya, woniya wakan — l'esprit, la vie, le souffle de vie, le renouveau, l'air signifie tout cela. Woniya — nous sommes assis ensemble, sans nous toucher, et quelque chose est ici, quelque chose que nous sentons parmi nous, une présence. Une bonne manière de se mettre à penser à la nature, c'est d'en parler. Ou bien plutôt, de lui parler, de parler aux rivières, aux lacs, aux vents, tout comme nous nous parlons. Vous, les Blancs, votre présence nous rend difficile la véritable approche de la nature qui consiste à devenir partie d'elle. Même ici nous sommes conscients de l'existence, quelque part dans les collines, de la réalité de missiles et de stations de radar. Les hommes blancs choisissent toujours les lieux beaux, grandioses, les rares sites encore vierges, pour installer ces abominations. Vous avez violenté ces terres, déclarant sans cesse : « A moi ! Sortez de là ! » Sans rendre jamais rien. Vous vous êtes emparés de quatre-vingt mille hectares de notre réserve de Pine Ridge pour en faire un champ de tir. Cette terre est si belle, si étrange que certains d'entre vous se sont mis en tête d'en faire un parc national. Ce que vous avez fait de ce territoire jusqu'à maintenant, ça été de le changer en poudrière. Vous n'avez pas seulement saccagé la terre, les rochers, les ressources minérales, vous dites que c'en est fini de tout ça, alors qu'ils sont parfaitement vivants. De votre fait, même les animaux, partie de nous-mêmes, partie du Grand Esprit, ne sont plus les mêmes. Ils ont été altérés d'une façon si horrible que personne ne peut plus les reconnaître. Il y a dans le bison un pouvoir magique, un pouvoir spirituel — mais il n'y a rien de tel dans le bétail des races Angus ou Hereford. »
Tahca Ushte. Chaman Des Sioux Oglola. De Memoire Indienne. Ed.Plon
Apprendre à voir la réalité animiste, comme éthique et pédagogie de l'environnement humain/non humain, va prendre la forme pour D.Abram d'autres récits d'experiences significatives mais toujours volontairement simples.
Dans l'une ,il est intrigué par le rite d'une villageoise indonésienne qui chaque matin apporte des coupelles de riz aux « esprits » de la nature et les ramène vide le soir. Après l'avoir suivie jusqu'aux lieux de l'offrande, il remarque différentes coupelles de riz tout autour du bâtiment et vers lesquelles convergent en continue de longues colonnes de fourmis noires. C'est ainsi que le riz disparait. La première réaction de l'auteur est bien de rire de la crédulité de ses hôtes : tout se rite pour nourrir des fourmis ! « et soudain une pensée étrange me vint : si les fourmis étaient-elles mêmes les esprits de la nature », et de comprendre alors que les nids de fourmis cernaient la maison, rendant les bâtiments vulnérables à une invasion surtout du fait d'une cuisine en plein air. Les dons de riz servaient donc à empêcher les attaques ; une sorte de frontière était ainsi établie entre les humains et les non/humains et les offrandes quotidiennes nouaient, entre eux, une sorte de pacte, là où nous aurions surement utilisé des insecticides.
« Pourtant je restais intrigué par l'affirmation de mon hôtesse selon laquelle il s'agissait de présents « pour les esprits ». Il faut reconnaître que, entre notre notion occidentale d'« esprit » (si souvent décrit en contraste avec la matière ou la « chair ») et les présences mystérieuses que les cultures tribales et indigènes respectent tant, une certaine confusion a toujours régné. J'ai déjà fait allusion aux malentendus grossiers liés au fait que les premiers à étudier ces coutumes aient été des missionnaires chrétiens qui n'étaient que trop disposés à voir des esprits occultes et des fantômes immatériels là où les membres de ces tribus offraient simplement leur respect aux vents locaux. Alors que la notion d'« esprit » en est venue à avoir, pour nous Occidentaux, des connotations avant tout anthropomorphiques ou humaines, cette rencontre avec les fourmis fut la première d'une série d'expériences qui m'ont suggéré que les « esprits » d'une culture indigène étaient avant tout ces modes d'intelligence ou d'attention qui ne possèdent pas uns forme humaine….
En tant qu'humains, nous connaissons bien les besoins et les capacités du corps humain - nous vivons nos propres corps et nous connaissons donc, de l'intérieur, les possibilités de notre forme. Nous ne pouvons connaître avec la même familiarité et la même intimité l'expérience vécue d'une couleuvre à collier ou d'une tortue serpentine ; il nous est difficile d'avoir une expérience précise des sensations d'un colibri collectant, à petites gorgées, le nectar d'une fleur, ou d'un hévéa absorbant la lumière du soleil. Et, pourtant, nous savons ce que l'on sent en buvant l'eau fraîche d'une source ou en se prélassant et en s'étirant au soleil. Notre expérience peut être sans doute une variante de ces autres modes de sensibilité, néanmoins nous ne pouvons, en tant qu'humains, faire l'expérience précise des sensations vivantes d'une autre forme. Nous ne connaissons pas de manière tout à fait claire leurs désirs ou leurs motivations. Nous ne pouvons savoir ou ne pouvons jamais être sûrs que nous savons ce qu'ils savent. Pourtant, que la biche ait l'expérience de sensations, qu'elle soit porteuse de savoirs lui permettant de s'orienter, de trouver de la nourriture, de protéger ses petits, qu'elle sache comment survivre dans la forêt sans les outils dont nous dépendons, voilà qui est évident pour nos sens humains. Que le manguier ait la capacité de créer des fruits, et l'achillée millefeuille, le pouvoir de diminuer la fièvre d'un enfant possèdent la même évidence. Pour les humains, ces Autres nous livrent des secrets ou sont détenteurs d'une intelligence dont nous avons nous-mêmes souvent besoin. Ce sont ces Autres qui peuvent nous aviser de changements de conditions climatiques inattendus, ou nous prévenir d'éruptions volcaniques ou de tremblements de terre imminents. Ils nous montrent, lorsqu'ils fourragent, où trouver les baies les plus mûres, ou alors, quelle est la meilleure route pour rentrer à la maison. En les regardant construire leurs nids ou leurs abris, nous recueillons des indications quant aux manières de renforcer nos propres demeures. Leur mort même nous enseigne la nôtre. Nous recevons d'eux d'innombrables dons : nourriture, combustible, abri et vêtement. Mais ils restent Autres pour nous, habitant leurs propres cultures et déployant leurs propres rituels - jamais tout à fait compréhensibles. » David Abram. Comment La Terre S'est Tue .La Découverte
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