« Le sacrificateur - mieux vaudrait dire simplement le tueur, littéralement : « celui qui tient le manche du couteau » (murukala-tigi) ' - est accroupi, pieds, torse et tête nus, au centre d'un petit fourré d'arbres et de broussailles formant comme un enclos, curieuse touffe de végétation foisonnante dans l'espace nu des champs qui entourent le village. Sous le regard attentif du « maître du culte », mais sans recueillement apparent des assistants, dont certains s'af¬fairent déjà à plumer ou dépecer les premières victimes, il égorge un à un les animaux qu'on lui tend - une vingtaine de poulets, deux chèvres, un chien - et arrose soigneusement de leur sang des choses brunâtres et gluantes placées devant lui dans un fond de vieille poterie cassée. On dirait des bâtons, peut-être entourés de chiffons, de longueur et d'épaisseur inégales; je n'ose guère m'ap¬procher trop du mystère, mais que leur forme reste assez indéfi¬nissable est peut-être essentiel au culte. Leur allure énigmatique en fait déjà des choses divines. Jean Bazin :Retour Aux Choses Dieux : Dans Corps Des Dieux Le Temps De La Reflexion (c’est moi qui souligne)
« Posséder, c'est vouloir posséder le monde à travers un objet particulier », disait Sartre… Rendre des comptes aux ancêtres, se nourrir de leur force et de leur savoir, donner du sens, affermir ses liens au monde, répondre aux inter¬rogations du présent, conjurer les menaces, surmonter le doute, apaiser les souf¬frances, orienter les espoirs : les pratiques artistiques et religieuses prennent la forme d'une quête incessante, main dans la main, pourrait-on dire. Le vodu ou le boli occupe un lieu incertain. C'est un objet que l'on crée, que l'on met à distance et que l'on soigne, mais il est aussi en nous et s'empare éventuel¬lement de notre esprit et de notre corps. Il est à la fois intérieur et extérieur, attraction et répulsion, sujet et objet. Il brouille l'opposition entre existence et transcendance. Pas plus une sculpture vaguement anthropomorphe qu'un volu¬mineux autel de guerre ne sert seulement aux fidèles à évoquer un esprit ou une divinité : l'objet est aussi cette puissance, toute cette puissance, même si celle-ci réside également ailleurs, où elle demeure inaccessible. » JP Colleyn ( Secrets .Fétiches d’Afrique. La Découverte)
L'objet ne cesse jamais de remplir, dans nos imaginaires, le rôle fondamental qu'il tient de sa fonction première « d'objet transitionnel » - servant d'intermédiaire entre le moi intérieur et la réalité du monde extérieur. Sorte de "prothèse existentielle" ,il nous aide à baliser notre parcours incertain dans l'espace comme dans la durée et nous aide à maintenir la continuité de notre identité à travers les vicissitudes de l'existence, Il nous relie ainsi au lointain passé de nos ancêtres dont nous cultivons la nostalgie des origines à travers notre attirance pour les antiquités, la brocante et tous ces objets dont l'authenticité se mesure à l'épaisseur de la patine qu'y dépose l'accumulation des ans.
Partout l’homme est dépassé par ses œuvres, partout il attache à certains objets une valeur inestimable, partout il s’étonne des objets d’élection des autres, tandis que les autres s’étonnent des siens. L’occident chrétien a ainsi développé un culte des reliques et s’est livré à une interminable querelle des icônes, tout en ne voyant qu’idolâtrie dans les objets des autres.
Les sculptures et les masques africains, nous mettent en présence de la culture de l'Autre, et nous procurent une très forte impression d'étrangeté. Des objets singuliers, appelés le plus souvent " fétiches " se trouvent ainsi révérés et redoutés à l'égal des dieux bien qu'ils aient été composés par les hommes ou choisis à leur initiative. Ils y sont soignés, nourris et abreuvés à titre d'organes sacrés et vivants . Les hommes paradoxalement exercent de l'ascendance sur la plupart de ces « entités » dont ils sollicitent le jugement ou des secours, s'adressant à elles sur un ton de commandement plus que de prière et n'hésitant pas à les menacer de rejet s'ils ne reçoivent pas satisfaction.
Récits, rites, s’adresse à leur matérialité. Vient ainsi se loger au centre des « logiques du politique » du social ou du religieux la force d’objets exhibés et manipulés. Celle-ci ne tient pas seulement à la « symbolique mais à leur « choséité » . La particularité formelle la plus remarquable de l’objet-fétiche, celle qui en tout cas a frappé les observateurs, est en effet la grande hétérogénéité des matériaux qui le composent, souvent agglutinés jusqu’à former une masse compacte. Cet aspect visuel de l’objet fut la cause de la répulsion première des occidentaux (plus tard suivie de fascination ,origine des « arts premiers »).
« On les retrouve portés sur soi, à l’entrée d’un village, au milieu d’un champ ou alors – bien souvent – cachés à l’abri des regards. Le secret rajoute de la puissance à l’objet, relie ceux qui le partagent et en écartent les autres. Sa forme est initialement indéterminée et par essence en perpétuel devenir. .. On les retrouve portés sur soi, à l’entrée d’un village, au milieu d’un champ ou alors – bien souvent – cachés à l’abri des regards. Il ne s’agit pas ici de prétendre à une quelconque représentativité, mais de montrer des objets étonnants faits de matériaux périssables, perçus parfois comme repoussants et étranges. L’apparent chaos d’objets invite à regarder autrement ces objets insolites, bien plus familiers qu’on le suppose au premier abord, car ils ne parlent pas d’autre chose que de la vie, de la destinée et des innombrables fils de l’existence, qui ne cessent de se nouer et de se défaire ». NANETTE JACOMIJN SNOEP. EXPOSITION RECETTE DES DIEUX .QUAI BRANLY.
Pour prendre un exemple de cette répulsion mêlée de fascination, en 1916, Verneau alors directeur au Musée du Trocadéro proposait une nouvelle étude d'ouvrages sculptés en provenance du Loango, douze "idoles" appartenant aux collections du Musée. Les commentaires marquent leur époque : les statues zoomorphes lui apparaissent grossièrement sculptées et incompréhensibles de prétendre représenter un chien à deux têtes. Il y ajoute sans surprise pour son temps qu’elles lui évoquent ces « filles, jeunes ou vieilles, [qui] en Bretagne, ont planté une épingle dans le nez de la statue en bois de saint Guirec lorsqu'elles vont lui demander de leur procurer des maris » (Il donne aussi l'exemple de l'existence en Belgique d'« arbres fétiches dans lesquels sont enfoncées d'énormes quantités de clous ). Mais il décrit pourtant avec précision ces Minkisi (singulier Nkisi) qu’on nomme communément « fétiche à clous ».
« Les animaux sont hérissés de clous - pointes de fer, lames de couteaux, lamelles de métal "de toutes dimensions et de toutes formes"1 - au point que le bois en est presque dissimulé "à l'exception de la partie inférieure du cou, de l'abdomen et de la partie interne des pattes" 2. Les formes humaines sont recouvertes de clous sur le dos, la poitrine, les épaules et le ventre. Au milieu de ces clous, on distingue parfois "un poinçon muni d'un grossier manche en bois, un couteau emmanché dans une douille de cartouche à percussion centrale, un morceau de lime ronde avec manche en os, une lame de couteau, le pontet d'un fusil" . Certaines pièces sont ceintes de lianes et de ficelles. Des morceaux de chiffons sont attachés aux clous. Le corps est parsemé de poignées d'herbes, de racines, d'écorces, de plumes, d'os et parfois de clochettes. Pendeloques et bourses à gris-gris sont accrochées aux bras et au cou. Les statues sont presque toutes munies d'une boîte pectorale fermée par un miroir, dans laquelle sont insérées des médecines composées de matériaux divers : morceaux de bois taillés, graines, noyaux, coquilles... Les yeux sont des morceaux de porcelaine blanche enchâssés dans le bois. Certaines statues portent des colliers de perles ou de plumes autour du cou, ainsi que des parures de perles, de graines et de coquilles aux bras. »
Il en est de meme Du Boliw ou Boli, Malinké-Bambara :on y trouve des matériaux les plus divers — placenta humain ou animal selon le cas, argile, feuilles, écorces, racines ou bois de végétaux particuliers, le tout enveloppé de bandes d’étoffes ou d’une gaine de peau — le boli comporte toujours un « noyau d’énergie en puissance ». Ce dernier, matérialisé par un métal (or, cuivre rouge, argent, fer, etc.), par une pierre (aérolithe, pierre de foudre, marbre...), ou encore par un nœud enfermant dans une ficelle ou une cordelette une « formule magique ».
« La question "de qui est-ce le culte ? " devient donc "de quoi est-ce fait?" comme s'il fallait se mettre en quête d'un tableau des éléments, non d'un Olympe .
Ce dont il est fait, justement, permet de le distinguer des autres boli. L'accent est sans doute à mettre sur son caractère unique : Jean Bazin parle d'"identité tout à fait singulière par sa composition intime". Il n'est pas seulement "une préparation médicinale ou magique ; il n'est pas définissable par une recette ; il a une identité qui peut être évoquée par des récits. Il n'appartient pas à la sphère familière des outils, mais au monde non maîtrisable des choses trouvées, des découvertes étranges au détour d'un chemin (...). Ce n'est pas un objet fabriqué par un travail, c'est le résultat d'une histoire locale concrète, des découvertes et adjonctions diverses faites par des générations successives d"experts". MICHELE TOBIA-CHADELSSON : LE FETICHE AFRICAIN. CHRONIQUE D’UN MALENTENDU. L’HARMATTAN.
On peut donc dire cela du « fétiche » dans son étrangeté mais on pourrait aussi bien le dire de toute œuvre d’art. C’est la singularité même du tableau, de la sculpture ou du ready-made qui en fait, comme des objets-fétiches africains, « un individu matériel », une « chose-personne » susceptible d’avoir une action sur autrui. En ce sens « fétiche » et œuvres d’art ont toujours incarné un mystère : celui du pouvoir de certains objets matériels à être des objets sociaux collectifs.
Ce qui fait problème, nous dit marc Auge dans le « Dieu Objet »c'est l'inerte, la matière brute. Ce qui fait problème, est ce qui résiste :
« L'impensable et, d'une certaine manière, la puissance sont du côté de l'inertie brute, de la pure matérialité. Le naturel, c'est la vie - ce qui laisse penser que le surnaturel est du côté de l'inerte. Assez remarquables, de ce point de vue, sont les représentations des « fétiches » africains, toutes très proches de la matière brute ; le caractère anthropomorphe y est à peine esquissé, comme une allusion à la nécessité de comprendre quelque chose et, simultanément, à l'im¬possibilité d'y parvenir : comme s'il ne s'agissait que d'animer « au plus juste », juste pour comprendre l'inanimé, l'inflexible, l'inexorable, le déjà là. »
Est-ce pour cette raison, face à un inexplicable, que le terme de fétiche, qu’on applique à ces objets symbolisa longtemps , dans notre culture, une exclusion toujours renouvelée, même si son usage sémantique premier apparait bien banal (fait de main d'homme). L’objet fétiche fut ainsi le produit d’une longue histoire chargée d’incompréhension et de mépris. Comme le mot mythe, il est devenu une expression à la mode, mise à toutes les sauces, et qui résiste mal à la banalisation et aux dérives de sens. Aujourd'hui, dès qu'une cause est prise pour une autre dans quelque domaine que ce soit, on crie au fétichisme "fétichisme de l'écologie», "fétichisme de la sociabilité"---
Fétiche et fétichisme sont ainsi pour l’anthropologie des « concepts gênants » tant ils sont ambiguës, chargés d’histoire en particulier coloniale et tant ils couvrent toujours un large champ d’extension dans les sciences humaines : Il y a plus de soixante ans que Mauss écrivait : « La notion de fétiche doit [...] disparaître définitivement de la science», elle «ne correspond a rien de défini », elle n'a rien de premier ni d'explicatif puisque « l'objet qui sert de fétiche n'est jamais, quoi qu'on en ait dit, un objet quelconque, choisi arbitrairement, mais il est toujours défini par le code de la magie ou de la religion »
Anthropologues, critiques, psychiatres ou philosophes l'emploient pourtant largement pour étudier dans leur champ res¬pectif les religions « primitives », l'économie politique, la déviance sexuelle ou l'esthétique moderne. Cet intérêt disciplinaire fait que, tout en mettant les guillemets, lors de l’emploi du mot, les anthropologues estiment ne pas pouvoir s’en passer. L'étude historique du fétiche passe d’abord par son étymologie, celle de ses premiers emplois sur la côte africaine, aux XVe et XVIe siècles. Avant que le XIXe siècle ne se l'approprie (fétichisme des marchandises chez Marx, sexuel chez Freud), le fétiche a déjà une longue histoire linguistique et théorique ou plutôt une généalogie (au sens d’une histoire faite de multiples échanges et interprétations qui sont autant de rapports de forces et de domination). Lorsque les marchands portugais (puis hollandais) arrivent en Guinée et se confrontent à des systèmes de valeurs économiques et religieux différents des catégories européennes, ils y remarquèrent une grande variété d'objets protecteurs et de supports d'activité magique sur lesquels il semblait bien qu'un culte fut rendu. Dans ses premiers emplois sur les côtes de Guinée, le portugais feitiço, de factitius latin, (littéralement quelque chose de factice, de « fabriqué) va ainsi devenir fetisso, (Objet Fée) terme hybride et pidgin désignant certains objets magiques ou de sorcellerie, bientôt synonymes de pratiques idolâtres.
Le mot va ainsi se trouver au cœur de problématiques concernant les échanges économiques, le pouvoir de l'image idolâtrée, des pratiques de sorcellerie, l'incarnation du divin, les théories sur les religions primitives.
Employé d’abord au sens d’artificiel opposé à naturel, factitius désignait chez les portugais des contrats commerciaux. Il faisait, outre l’origine commerciale, référence, en Occident, aux objets, aux personnes et aux pratiques propres à la sorcellerie. (La répugnance des Portugais envers l’objet ayant peut etre comme origine, outre son aspect, le fait que les marchands européens devaient jurer sur le fétiche, selon les usages africains, pour sceller un contrat).D’autre par, dans son usage économique, factitius avait aussi le sens possible de frauduleux, en opposition à authentique.
Dans ce cas, le mot désignait la manière artificielle de donner aux produits une apparence et une valeur trompeuses par rapport à sa substance réelle. On comprend alors que les missionnaires chrétiens qui accompagnaient les marchands pouvaient s’emparer de ce dernier usage du mot comme confirmation de leur propre théologie et croyance en la sorcellerie. La théorie chrétienne de la sorcellerie était déterminée selon des raisonnements théologiques à partir de l'utilisation détournée d'objets servant à la superstition. Ces raisonnements furent rattachés, à la théorie générale de l'Église sur l'idolâtrie, dont la logique voulait que les « idoles » matérielles aient un statut de ressemblances manufacturées frauduleuses. L’homme devait s'éloigner des faux chemins de l'idolâtrie pour trouver le vrai chemin du salut. À l’opposé, les fétiches restaient des activités "magico-sacrificielles" qui permettraient aux féticheurs de se rapprocher du Démon. Les missionnaires chrétiens n'y virent donc qu'inventions diaboliques détournant les hommes de l'adoration de Dieu. Les prenant initialement très au sérieux, ils entrèrent en lutte contre eux et appelèrent à les détruire.
Par une sorte d’ironie de l’histoire, la croyance au fétiche préexistait donc dans la conscience occidentale avant toute rencontre, au point de la projeter sur une réalité bien incompréhensible à un marchand doublé d’un chrétien. Les valeurs religieuses occidentales vont ainsi lui fournir l’explication à son trouble devant un « irrationnel ».(les hollandais protestants allant même jusqu’à accuser les portugais catholiques, dans un esprit de concurrence à la fois économique et idéologique, de complaisance envers le fétichisme des « nègres » par habitude d’adorer des objets sacrés)
Au XVIIIème, pour les Lumières, le terme trouva une autre extension : il servit à désigner la forme de religion historique la plus primitive, responsable non pas simplement de l'illusion religieuse mais de toutes formes de croyances irrationnelles produites par des esprits non guidés par la science et la culture. Le fétichisme représentait donc « l'autre » des Lumières.
C'est ainsi qu’en 1760, le Président de Brosses, dans son livre intitulé "Du Culte Des Dieux Fétiches», l'introduisit dans la toute littérature ethnographique et entreprit d'élargir le champ d'application du terme à toutes sortes d'objets respectés, à l'occasion de nombreux rites :forme première de religion ,le fétichisme apparut alors comme le culte de choses inanimées, mais qui seraient , pour le « sauvage » et bien sûr à tort, douées d'une force mystérieuse.. "objet naturel, animal divinisé, bois, pierre, idole grossière qu’adorent les nègres" disait encore le Littré .
Au siècle suivant, cette conception se généralisera, englobant toute La superstition et La sorcellerie paysanne. La théorie évolutionniste, notamment soutenue par Auguste Comte (Cours de philosophie positive, 1830-1842), en fit la toute première étape d'un développement religieux caractérisé par l'adoration des objets ou des phénomènes naturels. L’interprétation animiste, proposée par Herbert Spencer puis Tylor (Primitive culture, 1871), lui donna pour fondement une croyance en des « âmes » venant habiter ou s'approprier des choses singulières. Les anathèmes religieux du départ, qui avaient du moins le mérite de prendre au sérieux les puissances contre lesquelles elle luttait, cédèrent dès lors place à un simple mépris plus ou moins condescendant à l'égard de survivances présentées comme indignes d'êtres de raison. Le mot s'en trouva affecté pour longtemps d'un sens péjoratif. Les conceptions du fétichisme eurent en commun d'y voir une absurdité, ainsi pour Comte, il s'agit « d'une sorte d'hallucination permanente et commune où, par l'empire exagéré de la vie affective sur la vie intellectuelle, les plus absurdes croyances peuvent altérer profondément l'observation directe de presque tous les phénomènes ».
Marx et Freud, ne rompirent pas vraiment avec l’idéologie occidentale, quelle que soit la portée par ailleurs de leurs analyses. Fétichisme leur servit à dénoncer la dépendance illusoire de certains sujets à l'égard d'objets les aidant à entrer en rapport avec une réalité trop pénible pour pouvoir être affrontée. Sera ainsi nommée fétiche, toute chose jugée nécessaire à la satisfaction de désirs, sans l'être pourtant objectivement en aucune manière. Un fétiche résultait de la projection déraisonnable sur quelque chose, d'une force sociale ou psychique à laquelle était finalement prêtée une existence autonome illusoire et de laquelle on devenait abusivement dépendant. Le fétiche n'apparaissait fonctionner ainsi qu'au détriment d'une humanité malade ou encore inconsciente d'elle-même, aliénée par des puissan¬ces sociales et des mécanismes psychiques.
« En somme, le fétichiste serait toujours un autre, et le fétichisme serait proprement l'inintelligible, le non-pensable. Ainsi comprend-on qu'on ne trouve nulle part (à ma connaissance) une analyse positive d'un fétichisme autochtone; on trouve au mieux une énumération de rites et de croyances et l'étude de leur insertion dans un système symbolique qui, lui, ne peut être dit fétichiste — c'est par exemple ce que fait Evans-Pritchard dans Nuer Religion — mais de fétichisme autonome, point. Si donc la mise en cause de la notion de fétichisme suppose qu'on s'interroge d'abord sur la position de l'observateur — pour découvrir en lui celui qui, en un sens, croit peut-être le plus aux fétiches —, il n'est pas étonnant que le mot soit resté en usage si longtemps : comme dans le cas du totémisme, il s'agissait de « maintenir dans leur intégrité... les modes de pensée de l'homme normal, blanc et adulte » Jean Pouillon. Fétiches Sans Fétichisme.(c’est moi qui souligne).
En résumé, plusieurs types de malentendus vont ainsi fonder la théorie du fétichisme :
- l'incapacité de l'homme de l'Europe à observer et décrire un monde qui lui est étranger, dont les signatures et les repères lui échappent et dont il ne peut référer l'organisation à son propre classement (les objets naturels seront arbitrairement assimilés au matériel européen de la sorcellerie et de la superstition) .
- son impuissance à comprendre les gestes, les pratiques, les rituels que réglemente un autre langage, ou une autre grammaire : se fondant sur de vagues analogies on vit partout la marque de Satan et on identifia les Nganga ou autres prêtres vodu aux sorciers de l’Europe (lesquels n’existaient pas plus).
A SUIVRE
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