Jean Bazin dans son article sur les « Choses Dieux » : " (in "Le Temps De La Réflexion", Le Corps Des Dieux 1987), écrit ainsi :
« J’aurais plutôt tendance à croire que si le « fétichisme » nous apparait si impensable, c'est en vertu d'une théologie implicite qui définit d'avance le pensable… ….
Mais se peut-il vraiment que des humains prennent des choses pour des dieux? Le « fétichisme» est-il une religion effectivement pratiquée ou une projection de l'imaginaire occidental susceptible de se dissiper sous l'éclairage de notre autocritique? »… N'est-il pas surprenant et remarquable qu'au tournant du siècle, les pratiques de sociétés identifiées comme "primitives" aient inspiré les théories chargées d'expliquer le comportement de l'homme moderne ? Le fait relève sans doute, selon la formule de Claude Lévi-Strauss, de ce "sentiment contradictoire de présence et d'étrangeté" que suscitent chez nous les usages exotiques ».
La réponse de notre culture combinant le progressisme des lumières , la tradition religieuse monothéiste et l’autonomie de l’art a été de dessiner un schéma évolutionniste décrivant, en matière de statut des images, un cheminement de l’idole antique vers une représentation consciente ,dont l’art constituerait le dernier avatar(ainsi les fétiches « primitifs se trouvent ils magnifiés et métamorphosés par leur entrée dans nos « musées imaginaires » ).On irait ainsi, d’une présentification de l'invisible, à l'imitation de l'apparence, de l'actualisation à la représentation.
Dans les premiers temps( ?), l'image divine (idolon)serait instituée pour actualiser, présentifier des puissances autrement invisibles, pour "assigner une place dans notre monde à des entités de l'au-delà" , permettant ainsi d'"établir avec la puissance sacrée, à travers ce qui la figure, d'une manière ou d'une autre, une véritable communication, un contact authentique ; son ambition serait de rendre présente cette puissance, pour la mettre à la disposition des hommes, dans des formes rituellement requises. Mais l'avènement de la mimésis aurait corrigé ce statut de l'idole divine pour mener « à l'image proprement dite ». C'est-à-dire à l'image conçue comme un artifice imitatif reproduisant sous forme de faux-semblant l'apparence extérieure des choses réelles.
Le concept même d'évolution est fondamentalement occidental et notre prise de conscience de l'altérité a longtemps été soumise à ce schéma. Cette transformation de l'objet du pouvoir "en image d'une divinité faite pour être vue" nous a finalement menés à exclure toute autre approche de « l’objet fort », transformant notamment le "fétichisme" en une dérive aberrante de l'idolâtrie. A l’inverse de l’évolution décrite ci-dessus, tout culte qui ne s’élèverait pas à l’abstraction et à la représentation sera considéré comme rechute ou maintien dans la primitivité.Les divers « primitivismes », même s’il semblent renverser l’ordre des valeurs, ne font que suivre ce schéma « à rebours ».la nostalgie des origines valorise au contraire l’idée de primitivité.
Comme dit ci-dessus, ces conceptions occidentales montraient d’abord la méconnaissance profonde des objets fétiches et l’impuissance à les penser vraiment. L’Afrique traditionnelle ne s'entourait pas de "fétiches" sans le savoir.
Elle entretenait avec ses objets sacrés ou jugés puissants des relations singulièrement fortes, dignes de requérir l’attention des anthropologues .Elle les adoptait délibérément dans le cadre d'institutions disposant à cet effet de spécialistes et en se référant aux codes symboliques de la société à laquelle ils appartiennent. Loin d’être les survivants du balbutiement des premiers âges, Il est reconnu que les africains n'idolâtrent pas n'importe quoi, adhérant à des systèmes religieux fort complexes et ne sont pas moins attachés que nous aux valeurs spirituelles. Ainsi, d’un point de vue religieux, les « objets fétiches » n'avaient pas pour but de mettre en relation avec un Dieu unique, universel comme le pense le christianisme, ses icones et ses statues de saints (l’idée d’un être créateur existait bien en Afrique mais on ne le lui rendait pas de culte direct, le voyant généralement comme incompréhensible, inaccessible ou « retiré »). Ils ne servaient pas non plus à honorer une pluralité de dieux autonomes personnalisés, du genre de ceux attribués aux religions qualifiées de polythéistes comme dans la Grèce antique. L'appellation d'idoles leur convenait donc mal. Ils n'avaient d'ailleurs aucune prétention figurative et n'étaient pas traités en images de quelque chose d’autre. Ils échappaient ainsi à notre problématique de la représentation. De plus, bien loin de tenir lieu d'instruments religieux d'une libération spirituelle du monde, ils se trouvent adoptés dans des buts généralement très intéressés : l'obtention de la santé et de la prospérité, l'élimination d'adversaires, ainsi que l'harmonisation et la fortification du corps social.
Pour des Africains la plénitude de l'existence n'est pas à rechercher dans l'au-delà mais à réaliser de façon immanente au sein même du monde où nous prenons naissance, de la nature, en collaboration avec « l’invisible ». La plénitude n'est pas atteinte en récompense d'un retirement dans un quelconque « arrière monde ». Participer à une création toujours changeante est en effet l'occasion pour tous les êtres, et toutes les forces de l'univers de coopérer et de vibrer en harmonie. Le point de vue adopté est celui d'une unification active de la multiplicité et non une évasion hors de ses atteintes.
« De nos jours, aucun progrès marquant dans la connaissance des religions africaines ne paraît plus pouvoir être accompli en continuant d'esquiver l'étude de pratiques que nous y trouvons focalisées sur une multitude d'objets dotés d'efficience, aussi bien employés pour témoigner de la puissance d'une divinité et inspirer à son égard une crainte sacrée que pour fournir à la population un certain nombre de protections et de services magiques répondant à ses désirs et opérant du même coup sur leur élaboration.
« Dans l'esprit des intéressés, une élévation de la conscience au-dessus des réalités terrestres ne présente aucun intérêt si ce n'est en vue d'accéder à des connaissances et à des pouvoirs supérieurs. Ils n'envisagent aucune glorification réelle de Dieu qui puisse être indépendante du parachèvement de l'œuvre à laquelle il préside. Ils ne conçoivent l'existence posthume ou prénatale qu'en fonction du développement de la vie sur terre. Au ciel et au monde des idées, ils préfèrent celui de la réalisation des idées. Ils privilégient l'action au détriment du retrait contemplatif en soi-même, mais en cherchant à la provoquer ou à la soutenir par des voies occultes. ». E de Surgy .NATURE ET FONCTION DES FETICHES EN AFRIQUE NOIRE. LE CAS DU SUD-TOGO.
Les religions ouest-africaines ne sauraient ainsi se comprendre indépendamment d'une théorie implicite de la compétence sociale et de la maîtrise de l'événement. Les objets puissants dont elles recommandent l'usage ont toujours une finalité pratique. Chargés des souhaits prononcés par les générations successives, recouverts du sang séché des sacrifices cycliques, ils résument toutes les-recherches d'emprise et soulèvent la problématique du pouvoir : donner les moyens de manipuler les puissances qui y sont investies constitue un enjeu culturellement construit qui ne prend sens qu'au sein des relations sociales.
La notion de fétiche embarrasse donc toujours les anthropologues occidentaux. Et si, aujourd’hui on regrette que des notions comme magie, animisme, fétichisme, mythologie aient longtemps servi à dénigrer des systèmes de pensée considérés comme inférieurs et situés à l’aube de l’humanité, l’anthropologie n’a toujours pas réussi à construire des concepts qui puissent avantageusement les remplacer. Certains auteurs, ont essayé de se débarrasser du mot fétiche en le traduisant par « autel », mais le sens courant du mot autel couvre difficilement la nature et la fonction d’objets tels que les buli gourmantché, les boliw bamana, les orishas yoruba, les vodun fon et les nkisi congolais, etc. Pour désigner les boliw (ou boli) un auteur comme Jean Bazin utilisait parfois la locution «objets forts» et Patrick McNaughton celle de «power objects», ce qui a l’avantage d’évoquer d’autres dimensions que religieuse. Pour E de Surgy, il faut "réhabiliter"l’emploi du mot mais à condition de le redéfinir sur la base d'informations ethnographiques précises, indépendamment des significations assez fantaisistes dont il a eu le malheur d'être affublé..»
Purifier le fétiche de ce qu’il n’est pas, serait analyser d’abord les fausses conceptions, telles que n’y voir que des objets qu’on adore, ou des objets fixateurs d’affects ; en faire la représentation d’un au-delà ou le limiter au domaine de la magie renvoyant une fois de plus à une irrationnelle source de mépris.
« Les fétiches ne sont pourtant ni des mascottes, ni de objets chéris aliénants, ni des objets adorés pour eux-mêmes, ni des révélateurs d'objets de pulsion, ni des substituts du phallus de la mère, ni des matérialisation de forces psychiques ou sociales, ni de simples objets figurant des réalités immatérielles Ils ne sont pas les seuls moyens de faire agir des puissances surnaturelles et surtout pas des reliques de religions archaïques ou dégénérées.. » E. de Surgy Op. Cité
La purification de la notion passe en premier par réfuter l’accusation d’idolâtrie, une des grandes problématiques des religions monothéistes. L’idolâtrie étant, pour ces dernières, l’oubli que les images religieuses ne sont que de simples représentations. Comme dit précédemment, le support de l’idolâtrie serait donc notre concept de mimesis, de représentation.
Lucien Stephan (La Sculpture Africaine, Ed. Citadelles Mazenod )va ainsi « déconstruire » ce concept, qu’il s’agisse des masques ,des statues ou des objets fétiches africains « En Afrique, les croyances attachées aux objets de culte sont d'une nature autrement pragmatique ; ceux-ci font "autre chose ou davantage que représenter". Il nous faut ainsi "abandonner le primat naturaliste de la représentation, reconnaître dans le concept de représentation une anticipation qui oriente mal l'enquête. »
Pour suppléer à mimesis, Lucien Stephan va proposer deux autres concepts permettant de penser l’objet fétiche .Il emprunte le premier à J. P. Vernant, celui de présentification. « La présentification " serait l'action ou l'opération par laquelle une entité appartenant au monde invisible devient présente dans le monde visible des humains ". les analyses de ce que Vernant nomme le » « Colossos »grec pouvant parfaitement s’appliquer à l’objet fétiche, sans y mettre cette fois le sens de primitivité que la théorie évolutionniste véhiculait.
J.P Vernant avait justement abordé pour le monde grec antique les problématiques qui nous intéressent : Comment rendre visible l’invisible ? Comment rendre l’inaccessible visible bien qu’il reste inaccessible ? L’inaccessible étant pour Vernant, « L’autre Absolu », soit la mort, symbolisés par la Gorgone, qu’on ne pouvait ni voir, ni représenter, ni figurer, soit la monstruosité, l’innommable, l'impensable, le chaos d’une certaine façon ; ce qu’on ne peut d'aucune façon s'assimiler. Bien au-delà, de toute mimesis, la matérialité brute d’une pierre, le colossos, faisait alors figure de double, « d’effigies de l’entre deux,
« Statue ou simple pierre dressée, sans rien de mimétique ou d'anthropomorphe à l'origine, il a pour vocation de fixer la psuchê du mort, cette partie insaisissable de l'homme qui erre entre le monde des vivants et celui des morts, et qui justement peut apparaître comme fantôme qui revient. Le colossos, assure donc le possible contact des vivants avec les morts car il désigne l'espace où le mort peut remonter au jour. En même temps il est aussi signe d'absence du mort, de son appartenance à un ailleurs, à un au-delà qui reste fondamentalement autre. A la fois signe de présence effective et signe d'altérité, au carrefour du visible et de l'invisible, le colossos associe intimement la pierre et l'ombre, marquant par la pierre dressée ou la statue .Rattaché à la sphère de l’ Eidôlon, au même titre que l'image du rêve, le fantôme et l'apparition surnaturelle, le colossos relève, dans la Grèce archaïque, de cette "catégorie psychologique du double" que définit, selon Vernant, l'ambiguïté du statut de la présence - une présence inscrite dans la tension entre l'immobilité de la pierre et la mobilité de la psuchê, entre le matériel et l'immatériel, l'ici présent et le renvoi à un ailleurs. ».. --Monique Borie. Le Fantôme Ou Le Théâtre Qui Doute.Acte Sud ).(c’est moi qui souligne).
J.P.Vernant démontre par l’analyse du colossos qu’il n’est pas un simple signe figuratif. Sa fonction est tout à la fois de traduire dans une forme visible la puissance du mort et d’en effectuer l’insertion, dans l’univers des vivants. Il n’est pas séparable du rite et revêt toutes ces significations que par les procédures rituelles dont il est l’objet. Le signe est « agi » par les hommes et lui-même recèle une force active. Il a une vertu efficace. Une fois "l’entité invisible présente dans l'objet", celui-ci devient "un individu et, de façon tout à fait cohérente, l'usager se comporte envers lui comme envers un individu" "ce qui est présentifié et ce qui le présentifie ne sont pas différents, mais constituent un même être.
Dans Système De Pensée En Afrique Noire(Fétiches 2), De Surgy précise, à propos d’un bovodu Ewé Ou Fon, qu’il ne renvoie qu’à lui-même :
« Les fétiches ne sont pas destinés à représenter quelque chose d'autre. Seul leur enrobage ou l'objet auquel ils sont accrochés nous en signifie les principaux caractères et usages possibles. Leur partie essentielle et cachée n'est qu'un magma d'ingrédients pouvant difficilement être considéré comme un objet. Il s'agit là d'une chose mystérieuse n'ayant aucune prétention figurative, même dans les cas où un ou plusieurs éléments présentant une forme intelligible y sont inclus.
« Entassés les uns sur les autres, rassemblés en paquets, ces ingrédients amalgament leurs vertus. Ils ne sont pas articulés les uns aux autres comme des segments de discours et ne représentent pas non plus, dans leur ensemble, une constellation de signifiés. Ils n'ont pas été rassemblés pour évoquer des principes, des valeurs et des distinctions intellectuelles. Ils ne se rapportent à aucun référent précis et ne possèdent aucune valeur sémantique. Ils ne nous disent rien. Tout simplement ils sont là. »
Tel est l’objet fort dans sa matérialité, comme le Boli par exemple ;ainsi dit Jean Bazin:
« Posons-les un instant, sauvées de nos machineries symboliques, notre passion négatrice à les réduire à l'état de signe, je peux considérer ces mystérieux boli non comme des objets mais comme des choses qui, dans leur souveraine muette indépendance, ne renvoient enfin qu'à elles-mêmes . Un boli ne signifie rien, il est. Il tient sa place unique de chose unique. Il peut être objet de discours, d'exégèses, de croyances : mais « ce qui fait de la chose une chose ne réside pas en ceci que la chose est un objet représenté . Le principe qui préside à sa production est d'individuation, pas de représentation. Il ne s'agit pas tant de figurer l'univers par un concentré de tout ce qui le remplit, que d'y engendrer et d'y réengendrer sans cesse un corps singulier nouveau qui par son unicité même ordonne autour de lui un espace ».Op.Cite
Et l’analyse de l’auteur d’insister sur les caractéristique qui font du boli un etre proprement singulier
D’une part les boli ne sont pas interchangeables à la différence des supports habituels des dieux comme les autels, un dieu n’ayant pas un seul autel. Un boli est au contraire cette chose là et aucune autre chose ne peut la remplacer. Ceci rompt avec une des caractéristiques habituelles des objets d’être propres à l’échange .A la différence de notre marché de l’art, on n’acquiert pas un boli en Afrique, on l’épouse comme dans un système de parenté et son installation est célébrée comme une noce. Comme tout en chacun, un boli reçoit un nom, possède son histoire propre et tout initié connaitrait son origine, : il peut être mâle ou femelle, venir d’un point cardinal ancestral d’où il a émergé .Son histoire est aussi celle de ses effets : des différents événements qui lui ont été imputés : décès d'individus soupçonnés de sorcellerie, catastrophes naturelles miraculeusement évitées, armées dévastatrices qui passent en vue du village sans le voir, ennemis soudain privés de toute énergie ou cloués sur place dans leur fuite...
« Les troupes de Segu emportaient en expédition des boli doués de cette vertu paralysante ; avant l'assaut, un guerrier présumé invulnérable exhibait le dieu aux ennemis et criait « il les a pris!». On peut supposer que plus se diffusaient les récits de ses succès, plus grandissait sa réputation, plus s'accroissait sa puissance efficace. Un boli a pour ainsi dire une personnalité sociale qui se perpétue à travers les générations de ses fidèles et qui s'exprime dans les multiples anecdotes dont s'enrichit progressivement son histoire. ».
L’histoire du boli est enfin celle de sa fabrication, liée aux rites.
Un boli a comme élément d’identification son noyau caché « au cœur et cœur du mystère ». Sa recette est tenue secrète, comme gage d’inviolabilité, et la confection est toute une histoire. Le cœur du boli est recouvert de matières sacrificielles qui nourrissent ce noyau. La patine est autre chose qu’un simple enduit. L’épaisseur de la croute est le signe de l’ancienneté du boli et donc du degré de vénération dont il jouit. . L'officiant sculpte la forme en ajoutant des couches successives de sang, de poudres végétales dont la recette est tenue secrète, de libations (eau, bouillie de mil et bière), de noix de cola et de piments mâchés, de terre, de viscères, de poils, des plumes des animaux sacrifiés. La matière sacrificielle liquide est le vecteur privilégié d’une énergie « nyama » captée dans le boli qui devient ainsi un réservoir de puissance.
" Mais cette matière hautement "chargée" qu'est le sang est périssable, d'où la nécessité de renouveler régulièrement le "crépissage" de l'objet. Les sacrifices sont si fréquents que certains boli "sont toujours tièdes, on ne s'arrête pas de les rougir de sang" , disait Henry en 1910. Lors de son séjour en pays bamana en 1931, Michel Leiris est très impressionné par une "forme bizarre", "une sorte de cochon de lait en nougat brun qui pèse au moins 15 kilos" …. Ces matériaux sont "une énergie fluide", contrairement à l'"énergie statique" dont est constitué le noyau . C'est ce "crépissage" rituel qui donne corps au boli, amplifie à la fois sa forme et sa potentialité. Les fréquents ajouts en font un objet inachevé, dont le travail est toujours en cours. Un fétiche "achevé" doit être considéré au sens propre : objet inerte, dieu mort. De son expansion continuelle dépend sa vitalité et son efficacité : il doit être considéré comme un être vivant, tout comme la société humaine dont il est l'image et qu'il protège. Accumulation rime ici avec évolution en même temps que cohésion. Mais il ne faut pas oublier la part invisible de cette accumulation rituelle, incantations, "puissance [et] savoir des générations successives" transmis par les anciens en crachant sur les objets certaines matières sacrificielles mâchées, événements survenus dans la communauté, souhaits, fumigations. Les sacrifices en sont les signes visibles, leur concrétisation par couches successives. Mais sans l'adjonction de ces prières et ces fumées, sans l'auditoire qui lui crache dessus son histoire et son savoir, le boli n'est rien". Michele-Tobia Chadelson .Le Fétiche Africain Histoire D’un Malentendu. .
Tout ceci qui rejoint le second concept de Lucien Stephan emprunté à l'historien Peter Brown : la potentialité. A la présence est associé le pouvoir. L'Invisible possède un pouvoir, une force, une capacité d'agir qui rend actives les choses visibles en lesquelles il se présentifie. Dans le chapitre de son livre appelé "objets à prendre en considération", E. de Surgy propose de commencer une définition générale des fétiches et des relations entretenues par les féticheurs envers eux. Il montre que ces objets ne sont pas destinés à rendre honneur à une divinité en s'effaçant devant elle, mais qu'ils consistent en la maîtrise de force subtiles et invisibles. Pour l’auteur, de tels objets présenteraient quatre caractéristiques distinctes. 1/ Ils sont, tout d'abord, utilisés pour engendrer des catégories de phénomènes qui échappent à l'ordinaire. 2/ Ils sont donc pour les humains, des moyens d'action qui se distinguent des moyens habituels mobilisés pour agir directement sur des phénomènes ordinaires. En ce sens, ils forment des instruments d'action spécifiques qui permettent d'introduire des causes nouvelles au delà du monde humain afin de provoquer, en retour, des effets dans ce même monde. 3/ Ils doivent donc permettre d'obtenir des résultats qui soient en accord avec la volonté de leurs utilisateurs. 4/ Ils sont enfin, à la base d'une sorte de système d'échange, de pacte avec l’invisible et différentes déités (génies, vodu, orishas par exemple) pour contrôler les forces qui irriguent le monde et produire certain effets dans le nôtre.
L’auteur prend l’exemple des objets vodu chez les Evhé . Ce seraient des objets de culte permettant à leur possesseur d'améliorer et d'harmoniser ses rapports avec son environnement matériel, social et spirituel. Selon une première étymologie, la syllabe vo signifierait un état de liberté ou d'indépendance, et la syllabe du signifiant pays, cité, territoire villageois, désignerait des objets de culte ayant pour fonction d'aider chacun à mieux vivre ou à vivre avec aisance dans son lieu. On les trouve installés à demeure dans des enceintes réservées ou dans des cours d'habitation, parfois à l'air libre, parfois sous abri, parfois dans des cases fermées à clef. Tel est bien en effet ce qui motive la fabrication d'un vodu. Il contribue à l'enrichissement et à l'harmonie des rapports de l'homme avec son environnement matériel, social et spirituel.
Une autre étymologie a attiré l'attention sur le rapport entre la notion de vodu et celle de trou(ou de porte) entendu alors comme ouverture en direction de l'invisible ou de l'abîme des origines. Dans le langage usuel, le terme de vodu désigne en effet toute sorte de trouée vers l'au-delà, à travers laquelle l'homme parvient à modifier à son profit les déterminations immatérielles de son existence. »
Ce qui s'en laisse voir n'en est jamais que le signalement extérieur, souvent réduit à sa plus simple expression. Il peut s'agir d'un contenant soigneusement fermé et parfois même emballé : calebasse, poterie, cuvette..., déposé sur une estrade ou une étagère ou monté sur un piquet fourchu. Cependant il s’agit le plus souvent d'un cône de terre battue élevé dans une bassine ou à même le sol, souvent alors de nos jours enduit de ciment. Ce cône est éventuellement décoré avec une assez grande fantaisie. Il lui arrive d'être rendu grossièrement figuratif d'une tête ou d'une silhouette humaine. Il lui arrive aussi d'être tronqué pour servir de support à un ou plusieurs objets usuels ou symboliques. L'essentiel du vodu est toujours enfoui à sa base ou dans sa masse et consiste en ingrédients, pour la plupart végétaux, déposés au fond d'un pot ou enveloppés dans quelque chose. Les principaux appelés Ama sont des feuilles et des herbes choisies pour leur capacité à capter la puissance vitale diffuse dans l’atmosphère.
. « De tels ingrédients, dit A. de Surgy, sont des" restes d'événements, d'objets ou de corps vivants " Ils ne sont en aucun cas traités en reliques. Ils ne mettent pas davantage en rapport avec des créatures invisibles ou des êtres surnaturels auxquels demander secours. Nous ne les voyons choisis que pour évoquer certains types d'énergie de réalisation de quelque chose, certains types d'effets désirés, certains types d'intentions qui animent leurs utilisateurs.
Et l’auteur d’énumérer les pointes de fer ou des balles de fusil qui évoquent par exemple une volonté agressive ;des dents ou des cheveux de mauvais mort, une volonté de faire périr quelqu'un d'accident. Des débris d'assiette ou de bouteille une volonté de réduire en miettes. Des épineux une volonté de faire souffrir. Des plantes urticantes une volonté d'irriter. Des nœuds ou des cadenas une volonté de subjuguer ou d'empêcher des méchants d'agir. Des insectes nuisibles une volonté de dévastation.. Une plante ayant poussé sur une autre la maligne capacité d'utiliser à son profit l'énergie d'autrui. Une racine ayant barré un chemin, une volonté d'arrêter un processus ou une entreprise. Une tête de chouette le désir d'égaler les sorciers et de ne pas être attaqué par eux. Des morceaux de peaux d'animaux sauvages ,le courage, la violence et la férocité. Des poils de l'écureuil de savane, un souhait de vivacité dans l'action. Une plante connue pour ses vertus lénifiantes, une volonté d'apaisement.
Selon les principes de l’animisme, les composants d'un fétiche vodu sont ainsi animés par un souffle (gbögbö). Il se crée alors « un lien de sympathie » dont la nature est d'unir le praticien à un registre de puissances supérieures et étrangères au monde matériel. « Ce qui est fondamental dans un fétiche est bien le "souffle" qu'il possède, et ce "souffle" nous est présenté comme inhérent aux matériaux nécessaires à sa fabrication ». l’objet fétiche renvoie donc une cosmologie très élaborée où le souffle vital (énergie)constitue un lien fondamental entre le monde des énergies premières et le monde humain.
« Tel qu'il est le plus immédiatement ressenti par les créatures aux-| quelles il est attribué, le gbögbö apparaît responsable de l'avènement du soutènement et de l'évacuation après achèvement des phénomènes! Il établit une communication entre le monde prénatal où ne sont" élaborés que des germes d'expériences terrestres et le plan de la manifestation où ces germes viennent éclore et se développer jusqu'à engendrer de nouveaux germes. Il correspond au dynamisme par lequel la nature ne cesse de faire passer les possibilités dont elle est grosse de la puissance à l'acte, d'assurer la gestation de toute production objective, puis de la désagréger pour qu'elle cède sa place à une autre. » E DE SURGY OP.CITE
Cette liaison de l'objet à d’autres mondes suppose une liaison de l’homme envers l'objet fétiche : le féticheur, ne peut demeurer passif vis-à-vis de l'objet qu'il s'est fabriqué. Il est obligé de "travailler" avec lui, de lui accorder des égards et de l'entretenir, sans pour autant en devenir dépendant. Ce sont, dit de Surgy, des "objets de préoccupation" envers lesquelles chaque acquéreur est lié.
. « Un fétiche n'est jamais le simple reflet, dont son utilisateur serait dupe, de causes effectives qui opéreraient dans l'inconscient individuel ou collectif. Loin de résulter d'une objectivation passive à laquelle certains sujets se livreraient sans s'en rendre compte, il est le fruit d'un travail d'objectivation nécessitant le recours à des outils appropriés et permettant d'intervenir, sous contrôle de la volonté, à des niveaux irrationnels ou émotionnels difficilement maîtrisables »….
Pour prendre un exemple concret , le vodu le plus significatif, le plus visible et le plus connu est celui de Legba. Un des rares à l'aspect vaguement anthropomorphe, composé essentiellement de mottes de terre ou installé sur une termitière. De taille variable (certains atteignant trois mètres), il est pourvu d'un phallus conséquent. Il ne faut pourtant pas trop s'attacher à son apparence extérieure. Son être propre, sa puissance » est en fait une jarre contenant des noix de palme (divination de Fa) et enfouie dans un trou qu'on a creusé à la base. Qu'il soit Legba de portail, de case, de chambre, il balise l'espace et les voies et communication, du lieu personnel à la place du marché. Les mythes décrivent son ambivalence ; et c'est par le jeu des contradictions qui le constituent , par l'antithèse entre violence et pacification ,intérieur et extérieur, matière et énergie qu'il symboliserait justement pour l'homme la relation à L'Autre, et les voies à suivre..Analogue à l'Hermès des anciens grecs, il est l'intercesseur entre le visible et l'invisible, le passeur de sens.
« Le dieu objet (et sous cet aspect Legba n'est que le plus spectaculaire d'entre eux) c'est l'instance et le lieu par lesquels il faut passer pour aller d'un individu à un autre, d'un point à un autre ou d'un ordre symbolique à un autre, mais aussi bien de soi à soi puisque l'intimité et l'intériorité individuelles sont plurielles. L'objet symbole et fétiche affirme et nie la frontière ; plus exactement il en affirme la réalité tout en ouvrant la possibilité et en explicitant la nécessité de la franchir : il réaffirme à chaque instant la frontière, multipliant éventuellement les interdits, pour suggérer la possibilité et la nécessité du passage. Il est donc à lui seul discrimination et récapitulation. »MARC AUGE.OP.CITE
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