. Les agriculteurs avaient à l'égard du forgeron, un certain nombre d'obligations dans l’économie de subsistance : « un forgeron ne mendie pas selon un dicton ». Il ne pouvait ainsi acheter du mil. S'il était réduit à le faire, c’était pour le village tout entier une malédiction d'une exceptionnelle gravité. Le forgeron avait droit aux prémices des récoltes. Théoriquement on lui remettait sept épis de chaque céréale cultivée , de même quand un forgeron venait vous voir, vous étiez obligé de lui faire un don, même symbolique.
La société était cependant organisée pour éviter une concentration excessive des pouvoirs : si un rôle d'une extrême importance, celui de médiateur social, était confié au forgeron, celui-ci restait par rapport au cultivateur, dans une situation de dépendance économique. " Un forgeron peut être riche, disent les Minyanka, mais il ne se suffît " pas ". Il était tributaire de l'échange pour vivre. De plus, le pouvoir attribué au forgeron était contrebalancé par celui d'autres personnages tels que le devin {tyzmfolo) ou le chef du Nya {Nyafolo) dont les villageois viennent fréquemment solliciter l'avis ou l'arbitrage.
« Fondeur de fer, producteur des instruments agricoles, armurier, chirurgien et "initié majeur", le forgeron concentre une formidable puissance potentielle. " D'après la tradition, depuis les temps les plus reculés, le forgeron est demeuré pour tous et plus encore pour les chefs, un conseiller naturel à la fois écouté et redouté, respectable et respecté "Exclu comme parent et comme allié des lignages dominants, le forgeron est écarté des intrigues du pouvoir et maintenu au rang de fidèle conseiller. Etant donné qu'en pays minyanka les échanges matrimoniaux sont la principale source de conflit, les " chefs de guerre " ne peuvent se permettre de donner ou de prendre femme chez les forgerons. Ces derniers pourraient s'assurer la suprématie puisqu'ils sont fabricants d'armes et chirurgiens
La prise éventuelle du pouvoir par la force est exclue pour les forgerons. Au cours des guerres précoloniales, ils ne portaient pas les armes, ;ils suivaient les combattants et constituaient une formation spéciale chargée de soigner les blessés. L'étymologie (bambara) d'un des principaux clans de forgerons du pays (keleman) signifie d'ailleurs "exclus de la guerre ". Le forgeron minyanka n'a pas de " maître " dont il dépendrait, sinon l'ensemble de la communauté villageoise".
JONCKERS DANIELLE. NOTES SUR LE FORGERON, LA FORGE ET LES METAUX EN PAYS MINYANKA. IN: JOURNAL DES AFRICANISTES, 1979,
De nos jours, l'économie de marché, le développement des techniques, l'impact de l'enseignement et de l'islam ont bouleversé ces rapports. Dans les villages l'autorité lignagère s'effrite et l'islam remplace les divinités agraires ; aussi le forgeron perd rapidement ses prérogatives auprès des agriculteurs qui d'ailleurs se passent bien de ses services achetant les outils importés de l’étranger. La C.M.D.T. (Compagnie malienne pour le développement du textile, anciennement Compagnie française...), chargée de la vulgarisation agricole a bien entrepris une action auprès des forgerons. Les " forgerons coutumiers " volontaires suivent un stage de recyclage pour l'entretien du matériel agricole et bénéficient de deux prêts : l'un destiné à améliorer l'équipement ; l'autre pour constituer un volant de pièces détachées usuelles. Cette initiative a très bien réussi sur le plan technique mais elle a introduit- entre les artisans de grandes disparités sociales et économiques, profitant surtout aux jeunes. Le forgeron traditionnel devient de plus en plus pauvre, tandis que ses rôles de médiateur social ou de dignitaire des cultes tendent à disparaître. Le forgeron jeune est souvent converti à l'islam, formé aux techniques modernes et peut rapidement devenir un homme riche et influent surtout dans les quartiers ou les villages largement islamisés. "
Le déclin du forgeron fut précédé d’ailleurs par celui de la métallurgie africaine, victime de la traite et de la colonisation. Dès les premiers comptoirs au 16ème et lors de l’histoire de la traite, la barre de fer était déjà un élément essentiel des échanges esclavagistes... Méthodiquement à travers les comptoirs qui occupaient toute la côte; le circuit traditionnel du métal ferreux de Sierra Leone à Saint-Louis fut bloqué par le commerce européen, réduisant donc dangereusement l'espace de vie commercial du fer autochtone. L'industrie locale du fer arriva à se maintenir pendant quelques temps jusqu’à la colonisation
Mais cette résistance du fer local se maintiendra le temps que des dispositions radicales, prises par le colonisateur pour protéger son commerce, finissent la faire disparaitre. Au cours de la première moitié du XIXe siècle, l'Europe connut en effet un développement technologique sans précédent qui entraîna une forte croissance industrielle et la modernisation de la métallurgie. De 1856 à 1880, la production massive de l'acier déclenchera en Europe une ère nouvelle, celle du chemin de fer ; tandis que seront déversés dans les colonies les surplus de production. Sur l'ensemble des ports de la côte, arrivaient des cargaisons de quincaillerie, coutellerie, chaudronnerie, vendues bon marché, parce que de très mauvaise qualité. Des mesures seront prises par la suite pour interdire la fabrication des armes et de certains outils en fer .Juste après la première guerre mondiale, des impôts en monnaies locales dont celle du fer seront exigées par les colonisateurs contribuant de ce fait à l'aboutissement du déclin de la métallurgie africaine. Dans les zones côtières, il y avait longtemps que l'industrie locale du fer s'était éteinte. la Haute Casamance arrêta sa production dès 1861, pour n'utiliser que du fer européen.
LA SYMBOLIQUE TRADITIONNELLE.
« Dans les sociétés d’Afrique centrale, les pratiques techniques et symboliques forment un tout. Il n’y a, selon les explications données par les maîtres de réduction, aucune différence entre l’ajout de manganèse, fait « technique » qui facilite la réduction en abaissant la température d’eutectique, et l’ajout d’une crête de coq, fait classé comme « magique » par l’anthropologue. Pas de différence non plus entre les « partitions opératoires » des souffleurs actionnant les systèmes de ventilation forcée - l’action du comburant est techniquement déterminante - et les chants rituels qui accompagnent les gestes. »
LA METALLURGIE DU FER : TECHNIQUE, SYMBOLIQUE ET SEMANTIQUE. Marie-Claude DUPRÉ” et Bruno PINÇON
Les mythologies ont élevé le forgeron au rang de personnage mythique ou divin. Le thème de la forge et de la métallurgie, considérée comme des arts qui relèvent du sacré, se retrouve dans différentes traditions… Les fondeurs et les forgerons, grands maîtres du Feu et des Métaux, étaient souvent redoutés : leur ouvrage impliquait un savoir initiatique dans des sociétés secrètes, une signification cosmogonique, et un acte de création dangereux voire infernal ou maléfique. Dans son ensemble, le symbolisme du forgeron se rattachait à celui du démiurge qui façonne ou forge le monde ou à un être mythique qui participe à la création du cosmos.
Le métal étant extrait des entrailles de la terre, la forge était donc en relation avec le feu souterrain et l’activité activité s'apparentait à la magie et à la sorcellerie. Peut-être pour la raison que toute création originelle est accompagnée de violation d’interdits qui sont ceux du commun , le statut symbolique du forgeron se présentait comme un ensemble de contradictions. Les forgerons, très souvent dans les sociétés anciennes et même actuelles, étaient soumis à l'isolement et à toutes sortes de prohibitions de contact. On croyait ainsi que la proximité de sa hutte apportait la maladie, la mort, etc. Chez les Luba, il leur était défendu de participer à toute opération en rapport avec la nourriture, ils ne devaient même pas toucher au pot sur le foyer ni au bâtonnet servant à malaxer la bouillie.
« De toutes les activités liées à la transformation des métaux, celle du forgeron est la plus significative quant à l'importance et à l'ambivalence des symboles qu'elle implique. La forge comporte un aspect cosmogonique et créateur, un aspect asurique et infernal, enfin un aspect initiatique~ Le travail de forge est la constitution de l'être à partir du non être. Le forgeron primordial n'est pas le créateur mais son assistant, son instrument, le fabricant d'outil divin, ou l'organisateur du monde créé. Par ailleurs, le symbolisme de la forge est souvent lié à la parole ou au chant, ce qui nous introduit au rôle initiatique du métier, mais également à l'activité créatrice du verbe. La participation symbolique à l'œuvre cosmogonique comporte un danger qui est celui de la non-qualification et de la parodie satanique de l'activité défendu »
Made B. DIOU. FORGERONS WOLOF DU KAJOOR; FORGERONS SEREER DU SUN ET DU JEGEM : DE L'EPOQUE PRECOLONIALE A NOS JOUR. Thèse doctorat
Les rôles sociaux assumés par le forgeron et les usages qui concernent la forge s'éclairent par l'étude de la cosmologie. D'ailleurs, le métal lui-même est chargé de symbolisme dans sa forme météorique comme dans sa forme terrestre "FRAPPER LE FER".QUAI BRANLY
"L'âge du fer est le début des temps nouveaux; c'est l'âge ambitieux des nouvelles puissances, l'âge des houes résistantes et des guerres meurtrières". Luc DE HEUSCH. Le fer est couramment pris comme symbole de robustesse, de dureté et d'opiniâtreté, de rigueur excessive, d'inflexibilité, quand bien même les qualités physiques du métal ne confirment qu'incomplètement cette réputation Dans beaucoup de traditions, la Bible comme dans la Chine ancienne, dans les mythes grecs, le fer s'oppose au cuivre, ou au bronze, comme le métal vulgaire au métal noble, comme l'eau au feu, le nord au sud, le noir au rouge, le yin au yang. L'âge de fer sera l'âge dur, l'aboutissement de la solidification cyclique dont l'âge de cuivre ou d'airain est l'avant dernière étape d’un « Age d’or » perdu chez Hésiode repris par Platon. Le symbolisme du fer est toujours ambivalent comme celui des arts métallurgiques : le fer protège contre les influences mauvaises ; il est considéré comme symbole de fertilité ou comme le protecteur des récoltes, en même temps qu'il est l'instrument satanique de la guerre et de la mort.
"FRAPPER LE FER".QUAI BRANLY
Selon une thèse sur les forgerons Wolof et Sereer, les femmes portent des colliers et bracelets de fer favorisant la fertilité et guérissant les enfants malades, chez les Watehaga (Bantou du Kilimandjaro). Pour les Tiv (Nigéria du Nord) le fer assure la communication entre les vivants et les morts. Chez les Sereer lorsqu'un tourbillon de vent arrive à l'encontre d'une personne ou d'un groupe, - il fallait s'empresser de dire haut : « il Y a du fer par là. » Cette formule incantatoire était à même de dévier de son chemin, le tourbillon, considéré par les Sereer comme un esprit néfaste. en mouvement.
Les activités de fonte, étaient ainsi empreintes du début à la fin d'un rituel magico-religieux fortement sexualisé ; l'action de la fonte était le symbole de la fécondation naturelle ; le haut fourneau, rempli d'un minerai encore « impur effectuait, dans la symbiose du feu et de la pierre, une opération de sélection qui lui permettait « d'accoucher » le fer pur. .Ce symbolisme sexuel interdisait la présence des femmes dans les opérations de fonte comme tout rapport sexuel aux hommes pendant les opérations.
Dans divers peuples ce sont les mythes d’origine qui établissent le statut du forgeron :
Chez les Dogon du Mali, le fer est l'opposé symbolique du cuivre , maitre de l'ombre et de la nuit tandis que le cuivre est essentiellement symbole de lumière . Dans le mythe relaté par Griaule et Dieterlen il devient un attribut du demiurge néfaste Yorugu, « Le Renard Pâle », maitre de la première parole et de la divination qui commande à la nuit, à la sécheresse, à la stérilité, au désordre, à l'impureté, à la mort. Cependant le second demiurge, Nommo, bienfaiteur et guide de l'humanité, maitre absolu du ciel, de l'eau, des âmes, de la fécondité, limite les activités, désordonnées de Yorugu. L'homme n'est pas soumis à la dualité de ces forces antagonistes et le forgeron, créé par Nommo, peut soumettre le fer, et en tirer la houe, base de l'agriculture, et les armes de chasse et de guerre. L’ambigüité du forgeron est cependant présente parce qu’il serait tombé de L’arche primitive lors de la création et restera boiteux ,ce qui le met au rang des « monstres », nains , albinos porteurs de « forces (nyama ) dangereuses
« En frappant sur l’enclume, [les forgerons] font revenir de la terre une partie de la force qu’ils lui ont donnée. Frapper de nuit, […] c’est repousser ce qui a été attiré. Et c’est pourquoi il est interdit non seulement au forgeron, mais à tout homme, de frapper, de nuit, le fer, la pierre ou le sol. Aucun coup de masse, aucun coup de pilon, ne doit résonner clairement ou sourdement dans le silence. »
Ogotemmêli dans M.Griaule .Dieu D’eau
Ainsi chez les Bobo du Burkina :
« Wuro a créé en premier la terre, elle était faite de boue molle. Wuro créa le caméléon et la fourmi Puis il créa les poissons. Par la suite, il créa le chat, le chien, le crapaud et la guêpe maçonne. Alors Wuro créa le premier homme : c’était un forgeron »
D'après les mythes cosmogoniques recueillis par Guy Le Moal, Wuro, le démiurge crée ainsi la terre, puis certains animaux, et enfin le premier homme : le forgeron. Bien que Wuro ait offert, avec les animaux domestiques, une nourriture facile à l’homme, il ne veut pas que celui-ci reste oisif. Il met alors dans la main du forgeron la pierre taillée premier outil qui engage l’homme sur le chemin de sa condition laborieuse. On peut noter ici que le mythe rejoint l’histoire faisant référence à l’existence d’une industrie lithique antérieurement à la découverte de la métallurgie : le forgeron mythique a été tailleur et polisseur d’outils de pierre avant de devenir fondeur et batteur de fer.
Sur l’instance du forgeron solitaire, Wuro lui donne comme compagnon un deuxième homme, ce fut le cultivateur Bobo.. Dans les événements qui suivirent, les animaux jouent le rôle d'émissaires de Wuro, s'ingéniant à relier, selon le dessein divin, le forgeron à l'œuvre de création. Mais lorsque le forgeron affiche la prétention de se placer sur un pied d'égalité avec son créateur, la conséquence est inévitable : Wuro s'éloigne de lui. Cependant, avant de quitter définitivement le forgeron, il lui donne Dwo pour la sauvegarde de l'humanité. La révélation de Dwo sous la forme du masque de feuilles est le prélude à l'effacement définitif de Wuro, qui opère le passage du mythe à la réalité. Dwo devient l'interlocuteur privilégié des hommes, et la forme par laquelle il a été révélé définit la manière de représenter le caractère universel de sa nature et le rôle qui lui a été confié.
Chez les Minyanka déjà cités, le principe premier KLE, figure lointaine, distante du monde des hommes, a produit le monde à partir d’une vibration. Le premier homme selon les mythes fut également le forgeron qui sortit de terre portant une houe et une barre de fer et qui créa le feu en les frottant l’une contre l’autre. Cet acte entraina des conséquences ambivalentes, le feu ayant mis le feu à la brousse, tout était prêt pour l’agriculture mais beaucoup d’animaux périrent dans l’incendie en regrettant de n’avoir pas tué l’intrus.
"FRAPPER LE FER".QUAI BRANLY
Mais le feu n’est pas la métallurgie ; surgit alors l’enclume pierre enflammée qui traversa le ciel, enfermant la force cosmique (nyama) redoutable. Dans le mythe, l’enclume porte le nom du vautour son premier possesseur : tumpungno. Si le vautour est lié la métallurgie, c’est qu’il passait pour un dispensateur de connaissances comme maitre des secrets de la forge, aussi est-il présent dans les sociétés d’initiation.
Dans l’ensemble du monde Mande, on a vu que les activités s’étendaient au-delà du travail du fer.(par exemple la confection de médicaments à partir de plantes.) ;c’est que les connaissance des forgerons étaient en partie ésotériques ; ils étaient capables, pensait-on de manier les énergies qui aident à façonner la vie : bien dirigées ,celles ci garantissaient des mariages heureux, des projets professionnels ou des récoltes, elles combattaient les comportements antisociaux(sorcellerie)et prémunissaient les gens contre des morsures d'animaux
Selon le principe de l’animisme traditionnel, Les Mandé considéraient que le monde était relié à une énergie (le nyama, l'énergie qui animait l'univers). Le nyama existait en abondance dans les mondes visibles et in visibles. Chaque action nécessitait cette énergie, qui se libérait en proportion directe avec le degré de difficulté ou de danger. Les chasseurs avaient besoin d'une forte dose de nyama pour attaquer leurs proies en toute sécurité. Le forgeron possédait un taux considérable de nyama en vertu de sa profession et de son héritage Pendant qu'il martelait , il réinjectait du nyama dans ses créations, ce qui le rendait extraordinairement puissant.
"FRAPPER LE FER".QUAI BRANLY
En outre le forgeron par sa collecte de matériaux avait des contacts étroits avec les « Esprits De La Nature » (Djinns selon le mot arabe) ; ces derniers censés occuper des sites géographiques particuliers, là encore chargés d’énergie. Ils pouvaient être bienveillants ou dangereux. Aussi, en tant que maîtres des ressources naturelles propres à leur travail, les forgerons conservaient toujours des relations privilégiées avec ces esprits « sauvages.
Êtres et choses contenaient donc du Nyama qui pouvait être non contrôlé et se libérer dangereusement. Ainsi des évènements extérieurs (comme la sorcellerie) pouvaient provoquer des déséquilibres internes d’où la maladie ou la mort. Le forgeron traditionnel, par contre, était censé posséder un nyama très stable, c'est pourquoi il était seul capable d'effectuer certains rites. C'est lui par exemple qui était chargé de creuser les tombes parce que capable de résister au nyama dangereux, des morts et parce qu'il entretenait des rapports privilégiés avec les puissances chtoniennes. Il pratiquait la circoncision parce que le prépuce est dit contenir du nyama impur et malfaisant.
Les forgerons étaient surtout les responsables de la puissante société d’initiation KOMO. Elle avait pour tâche d’éviter les crimes dans le monde visible, contrôler les hommes aux comportements antisociaux et les attitudes malveillantes des esprits dans le monde invisible.. Par ailleurs, le Kômô apprenait à ses initiés le savoir essentiel du fonctionnement du monde et le moyen d'y prospérer.
Les chefs forgerons étaient à cet égard les maitres de la divination. Ils avaient un contact direct avec les esprits de la nature. C’est dans la brousse que se fabriquaient leurs masques incarnant ces esprits et la puissance de leur nyama.
Le forgeron était ainsi censé détenir les secrets de la terre, dont il était sorti. Détenteur du fer, selon le mythe, il était, de ce fait, guérisseur des plaies de guerre parce que censé posséder les paroles qui domptent le fer. On lui attribuait aussi le pouvoir de se métamorphoser en hyène, animal associé à la terre, l'hyène mythique ayant donné aux hommes les secrets de l'agriculture. Surtout, il était le maitre du feu, signe du pouvoir de création et de thaumaturgie. Le feu évoquait la connaissance virile, la force mais aussi la douleur (la connaissance s'acquiert dans la douleur). Il aurait été également l'attribut du pouvoir des sorciers, auxquels on prêtait la faculté de se changer en feux mouvants. En raison de ses profondes connaissances et de sa particularité ontologique, le forgeron participait ainsi à toutes les activités rituelles importantes. De plus, la plupart des cultes comportaient des autels faisant intervenir les instruments de forge et les métaux. Le même mot « YAPERE » signifie en fait à la fois la forge et l’enclume comme celui d’autel portatif.
CONCLUSION
LE FORGERON AUJOURD’HUI
Pour comprendre le statut social du forgeron il fallait donc considérer " à la fois et ensemble » les différentes institutions religieuses, politiques, familiales, économiques liées à ce statut .
L'évolution de ce statut est donc concomitante de l’emprise croissante de l’économie d’échange. De même on constate une corrélation avec le changement des formes du savoir et de la religion. Le thème du forgeron héros civilisateur dans les cosmologies et la participation du forgeron à toutes les activités rituelles n’était pas sans lien avec l'importance réelle des techniques de la forge d'autrefois. Aujourd'hui non seulement aucun forgeron n'extrait plus le fer de la terre, mais encore de nombreux objets qu'il fabriquait ont perdu de leur utilité ou sont remplacés par des produits manufacturés. Parallèlement l'enseignement donné aux enfants à l'école ou à travers les Evangiles chrétiens ou le Coran gomme petit à petit la culture traditionnelle. ' Les chefs de villages, de lignages ou de cultes perdent eux aussi leur pouvoir, emportés par les bouleversements liés à l'économie de marché. L'argent est de plus en plus source de pouvoir. Les autorités administratives accélèrent ce processus en obligeant par exemple la commercialisation des produits vivriers (ce qui dans la tradition était interdit), en décourageant, au nom du libre choix des conjoints, le mariage traditionnel par échange, ce qui paradoxalement ne favorise pas ce libre choix mais plutôt le mariage par dot dominant par exemple au Mali,. De même est rendu possible désormais l'achat d'un titre de propriété terrienne, y compris la vente à des peuples étrangers de terres agricoles communautaires..
« Les villages, les quartiers ne connaissent pas tous le même niveau de changement, certains même ont encore des cultes traditionnels très vivaces. Le forgeron peut là continuer à exercer ses prérogatives. Même s'il est devenu un artisan dépassé par les techniques modernes, les agriculteurs qui ne s'équipent plus chez lui continuent à le respecter et à l'approvisionner en mil. Par, contre cet artisan sera marginalisé dans un village où règne l'islam. Ce phénomène reflète d'ailleurs des bouleversements économiques profonds. Ce sont souvent les agriculteurs en rupture avec le lignage et les exigences du mode de production communautaire qui se convertissent à l'islam. Le forgeron sera forcé de devenir agriculteur pour assurer sa subsistance, ou alors se formera-t-il aux techniques modernes et s'enrichira-t-il en vendant charrues et pièces de rechange. » JONCKERS DANIELLE. NOTES SUR LE FORGERON.0P.CIE
Remerciement pour les photos : LESLEY LABABIDI..copyright NOMAD4NOW .Bida Forgeron | nomad4now
AUTRES SITES:les forgerons (ppun.fr)
les forgerons touaregs un ART AFRICAIN bien spécifique. (african-concept.com)*
Le forgeron | Cultures d'Afrique de l'Ouest (culturesofwestafrica.com)
La galerie des bronzes de mémoire africaine (memoire-africaine.com)
Nyame+Akuma+Issue+073-elouga.pdf
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