ESPACES DE CULTURES ,ANTHROPOLOGIE,PHILOSOPHIE,VOYAGES...
SUIVEURS DE PISTES,DE SAISONS ,LEVEURS DE CAMPEMENTS DANS LE PETIT VENT DE L'AUBE ; Ô CHERCHEURS DE POINTS D'EAU SUR L'ECORCE DU MONDE. Ô CHERCHEURS,Ô TROUVEURS DE RAISONS POUR S'EN ALLER AILLEURS"...
SAINT JOHN PERSE .ANABASE.
« Depuis une époque très reculée et durant une longue période de temps, le pays que nous étudions a été exclusivement habité par les Bobo et c’est à juste titre, pensons-nous, que ceux-ci se déclarent autochtones. Il semble en effet que l’ethnie qui se donna un jour le nom de « Bobo 99 se soit lentement constituée sur place autour de quelques clans de cultivateurs sédentaires très anciennement implantés. Chacun de ces clans possédait un patrimoine personnel de connaissances- ….
… …Il en est résulté la création d’un modèle culturel > original dans lequel s’est identifiée plus tard l’« ethnie » bobo et sans doute aussi bwa. Bien entendu, ce processus ne s’est pas élaboré hors de toute influence extérieure. Il est certain que les patrimoines culturels propres à chacun des clans initiaux se sont longtemps nourris au grand courant de pensée mandé et c’est précisément parce que les éléments de connaissance échangés se trouvaient ainsi parfaitement compatibles qu’ils purent aisément se combiner et donner naissance à un système cohérent qui devint le propre des Bobo. L’héritage mandé a laissé des traces, mais étant donné l’époque lointaine où il a été acquis, il contient surtout des valeurs archaïques qui se retrouvent de la sorte préservées aujourd’hui et toujours vivantes dans la culture bobo : certains des aspects de la notion de personne, la place prééminente des masques de feuilles dans la religion en sont des exemples. La différenciation entre Bobo et Bwa n’est intervenue, selon nous, qu’après qu’une culture commune soit née des échanges auxquels les clans autochtones procédèrent. Des clans de langue mandé (les futurs Bobo) et des clans de langue voltaïque (les futurs Bwa), proches géographiquement mais proches aussi par la nature d’un savoir qui était déjà de même inspiration, ont puisé dans leurs patrimoines personnels de pensée et édifié en commun un système qui se trouva exprimé en deux langues différentes. Par la suite, les deux communautés linguistiques espacèrent leurs rapports et en vinrent à s’isoler pratiquement. Chacune se donna un nom et chacune développa son génie propre, en exploitant le donné commun selon des lignes différentes. »
G.LEMOAL. LES BOBOS.NATURE ET FONCTION DES MASQUES. TRAVAUX ET DOCUMENTS DE L’ORSTOM n121
Les Bobo sont une population d'Afrique de l’ouest vivant principalement au nord-ouest du Burkina Faso, également de l'autre côté de la frontière au Mali. Le nom de la ville de BOBO DIOULASSO– baptisée ainsi en 1904 –, signifie « la maison des Bobo-Dioula
L’actuelle société bobo est le fruit d'une construction historique pluriséculaire, riche par son système d'intégration sociale. Les Bobo font partie de la soixantaine d'ethnies présentes le territoire du Burkina Faso. Ils vivent en communautés villageoises indépendantes, sans pouvoir politique centralise et a l'instar des ethnies circonvoisines, ils appartiennent au groupe de sociétés dites lignagères ou segmentaires.. Cependant, selon toute vraisemblance, la présence des bobo sur leur territoire ethnique actuel serait l'une des plus anciennes des peuples burkinabè et remonterait donc a plusieurs siècles..
1) les Bobo-Dioula ou Dioula musulmans et commerçants malinké venus du Mali et qui ont fondé Bobo-Dioulasso. Ils habitent cette ville. Ils parlent le mandaté, mélange de bobo et de dioula(dérivé du bambara). Ce sont les plus nombreux parmi les Bobo. Et sont la 3e ou 4e ethnie majoritaire du Burkina Faso leur langue le Dioula ou Malinké parlée par environ quatre millions de personnes au Burkina Faso est une des langues nationales du pays.
2) les Bobo-Fing (les bobos noirs) qui habitent essentiellement le long de la rivière KOU, à l'ouest de Bobo-Dioulasso. Ils parlent le Ndeni mélange de Bobo et de Mandarè. Ils sont animistes ou chrétiens.
3) les Bobos Woulé (bobos rouges car ils ont souvent le teint clair) ou Bwa (ou Bwaba). Ils habitent à l'est et dans le nord de Bobo-Dioulasso. Ils parlent le Bamou. Ils sont animistes ou chrétiens et constituent le sous groupe le plus important.
Les Bobos sont agriculteurs, ils cultivent le millet le sorgho et le coton pour approvisionner les métiers à tisser des villes.
Au niveau politique, l'organisation repose fondamentalement sur un système décentralisé qui tire ses origines des enseignements du Dwo. En effet, dans la pensée bobo, Dwo est le fondateur de l'ethnie et du village, et lui seul est chef. Chaque village est autonome et ses dirigeants, des lieutenants : d’où le titre d’aines (aînés) ou (anciens)., Le village se présente comme une agglomération rurale ayant une vie propre à elle. Il est fondé sur des rapports interlignagers et régi par une administration fortement décentralisée dont les principaux responsables sont les aînés ou grands Il est constitué d'un ensemble d'habitations groupées et compactes. En général, les villages sont divisés en plusieurs quartiers et habités par plusieurs clans : les cultivateurs, les griots , les forgerons .
Pour qu'un village ait son statut, il lui faut plusieurs familles dont la cohabitation favorise un mode de relations érigé en modèle de société et dans lequel coexistent le familial») et le communautaire..Le familial a un fondement ,la parenté biologique et le communautaire est plutôt l'expression d'un choix, un lien contractuel et une obligation mutuelle. Les villages tout comme les autres villages africains ont donc développé dans le passé des communautés authentiquement humaines fondées sur une volonté de vivre ensemble, de réaliser un projet tourné vers l'avenir.
Le groupe de parenté , le lignage, est la base de la structure sociale et pièce essentielle de I ’organisation villageoise,. Il réunit, en un lieu précis , tous les descendants en ligne directe agnatique d’un ancêtre commun parfaitement connu.. les descendants du fondateur du village sont les gens qui, liés par le même statut parental et les mêmes droits, vivent dans le même’ groupe de maisons, autour de la maison de l’ancêtre,(WASA) dite « la mère des maisons ». La wasa, est en effet la première maison construite par l’ancêtre fondateur du lignage au moment de son installation dans le village. Elle a été préservée intacte: murs, charpente, etc..). Plus qu’une maison ancienne, c’est en fait un lieu religieux, comportant l’autel de lignage soit la tombe de l’ancêtre signalée par une pierre sous le seuil de la porte et où il a été en effet enterré.
En dehors des principes de parenté sur lesquels il se fonde, le lignage bobo se distinguait autrefois par des fonctions économiques essentielles : il constituait en effet l’unité primaire de production et de consommation. Cette unité, qui opérait pratiquement en autarcie, était caractérisée par son organisation rigoureusement communautaire
Du lignage au clan, puis du village à l’ethnie, au gré des analyses, se dégagent certains concepts qui vont se révéler opératoires tant au niveau socio-politique qu’au niveau religieux. C’est ainsi qu’on porte une particulière attention ici à la notion de « communauté » - FOROBA - instrument de cohésion au service du groupe de parenté et de groupe social villageois tout autant que du groupe partageant le culte d’une même figure divine (Dwo et ses masques notamment). : Les Bobo emploient le terme foroba pour désigner l’état de ce qui est « commun ». Le mot se retrouve d’ailleurs avec le même sens dans de nombreuses langues mande et notamment en malinké et bambara. Le champ d’application de la notion de foroba est très vaste : peuvent être foroba non seulement des biens matériels de tous ordres, mais aussi des biens « spirituels » (idées, connaissances, révélations mystiques et cultes même) des personnes (captifs, certaines catégories d’épouses), des modes d’activité (façons collectives de travailler). Foroba s’oppose à zakane qui désigne en bobo tout ce qui est individuel, privé. Ainsi,en période de culture, tous les hommes valides du lignage sans exception se réunissent cinq jours par semaine pour travailler sur le foroba « champ communautaire.
C’est un vaste champ rectangulaire de plusieurs hectares et divisé en parcelles … il s’agrandit chaque année d’une nouvelle extension cultivable à l’opposé du village tandis qu’on supprime périodiquement une parcelle proche de celui-ci.. le champ s’éloigne du village ainsi jusqu’aux limites du territoire ce qui obligera à cultiver un nouveau foruba. La principale culture pratiquée sur le foroba a consisté longtemps en deux variétés de mil anciennement connues ;parce que plantes sacrées révélées, selon le mythe Wuro ,l’entité suprême.. Cela donne un caractère foncièrement religieux à tout ce qui se rapporte au mil ainsi cultivé en foroba et la moindre des opérations agraires se trouve soumise à une extrême ritualisation. Le chef du lignage, détient toutes les responsabilités aussi bien techniques que religieuses en matière d’agriculture. Il décide des dates des travaux, fait les sacrifices nécessaires, surveille l’avancement de la tâche.. Les femmes, quant à elles, se chargent à tour de rôle de faire la nourriture et de l’apporter aux champs. Lorsque les travaux requièrent beaucoup de bras - semailles, moisson, transport du grain - les femmes, toutes obligatoirement présentes, apportent leur concours.
Il est un autre espace sacré où se concrétise l’activité communautaire du lignage,c’est l’aire de battage pati. Vaste rectangle de terre il fut délimité par l’ancêtre fondateur du lignage et depuis, n’a plus changé de place. Le pati symbolise ainsi la pérennité du lignage : les générations s’y succèdent et y œuvrent dans le même esprit de solidarité. Sur le pati, après stockage du produit de la récolte, on procède au battage, au vannage et à l’enlèvement du grain ; mais ces opérations techniques, toutes réalisées en commun par les membres du lignage rassemblés sont aussi des opérations rituelles délicates. Le pati ‘est un lieu privilégié du cosmos, situé à la frontière du domaine villageois et du terroir de brousse, il est la seule zone où certains transferts spirituels peuvent s’effectuer. L’animisme attribue une énergie vitale(âme) au mil ,énergie libérée dès lors qu’on le coupe. Cette énergie libre serait dangereuse pour le village si on la laissait entrer avec le grain.. En coupant le mil on le fait « mourir » et on libère son "âme". Pour ne plus laisser errer dangereusement cette âme, pour ne pas faire entrer au village des grains qui ‘sont, par ailleurs, tout imprégnés des forces nocives de la brousse, il est nécessaire de procéder à des rites spéciaux sur le pati même
LE SYSTEME DE PENSEE/
Dans la tradition, l'homme appartient à la nature. Il en est dépendant et entretient une sorte de fraternité cosmique avec tous les éléments de la nature.
"La solidarité dépasse les rapports entre les humains, pour englober tous les existants. qui ont chacun chacun leur place dans le «lien harmonieux du cosmos d'exister de chacun. On peut sans doute user des animaux et des plantes, mais détruire pour son bon plaisir, c'est méconnaître leur droit d'exister, et ceci est iui(, injustice, un « désordre », par rapport à l'ordre de la nature ou à l'ordre établi par l'organisation sociale : elle est empiétement sur les droits de l'autre, violation de son « kakiè » (sa zone d'existence) ». Gaston Sanou Aussi, dans la tradition, l'homme forme-t-il un tout avec les animaux, |es plantes, les insectes, les cailloux, la terre, le vent, les astres, etc. Il est partie prenante de cette nature. C'est tout un système vital qui se tient. Régulièrement, l'homme s'engage dans la nature pour y reprendre force. C'est dans le même sens qu'il faut comprendre que l'initiation, qui se déroule en brousse, est aussi une conduite au cœur de la nature, pour y purifier les candidats à l'initiation, raffermir leur foi, c'est-à-dire leur engagement sans réserve pour l'épanouissement de leur communauté, et les amener à une vie digne et à faire d'eux de vrais adultes .Il est donc tout à fait normal que l'homme retourne périodiquement, individuellement, en famille ou en communauté au cœur de la nature pour se ressourcer aux forces vitales de la nature.
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Les croyances relatives à l’histoire de la création du monde sont rassemblées et ordonnées dans des récits qui se présentent sous la forme de ‘vaste mythes cosmogonique.Pour désigner les mythes cosmogoniques, les Bobo parlent de Wuro Da Fere , de « choses relatives aux créations de Wuro ». Il s’agit de longs récits épiques consignés dans la langue bobo commune mais qui ne sont jamais transmis en public, à la différence par exemple des contes que peuvent écouter les auditoires les plus larges, ou même d’autres catégories de mythes ou de légendes qui, bien que réservées à des individus sélectionnés (membres de classes d’âge données), sont aussi contées dans des petites assemblées.
Les mythes bobo sont faits de de récits en deux cycles distincts. Le premier est celui de la création selon Wuro le principe premier et se termine lorsqu’elle est supposée parfaite et correspondant aux archétypes primordiaux. La fin du cycle marque éloignement définitif de Wuro et la révélation aux hommes de Dwo, émanation de la substance première et de son énergie ,qui se manifeste sous la forme du masque de feuilles. Les manifestations épisodiques et ses révélations de Dwo fournissent la matière aux mythes du second cycle, qui renseignent sur la façon dont certaines connaissances ont été transmises aux hommes par voie surnaturelle. Et c'est suivant l'époque et les circonstances de ces révélations ultérieures que se sont dessinées la hiérarchie des masques, leur typologie, leur nature et leur fonction.
Comme toute mythologie, les mythes énumèrent la succession des créations mais en instituant un ordre. Cet ordre, en première approche, semble dualiste avec deux grandes sections du monde et des couples d’opposés hommes/génies - village/brousse - domestique/sauvage - culture/nature - sécurité/danger - froid/chaud. Pourtant ces opposés sont en fait en situations de complémentarités dès que l’on introduit l’idée globale d’un cosmos. Tout en effet y est réparti de façon à ce que les entités contraires s’annulent et à ce que s’établisse un rigoureux équilibre. Les « forces » ,l’énergie constitutive de chacune contrebalance l’autre .. Au début du temps mythique, aucun clivage n’apparaît d’ailleurs entre les êtres ou les choses et les premiers partages, se font sans qu’ils soient exprimés en termes d’opposition ou de conflit. Si la création va se diversifier d’où un univers en instabilité lors de sa genèse, le fondateur suprême suit un plan jusqu’à l’équilibre parfait qui marque la fin des temps cosmogoniques
« Désormais, toute initiative divine doit cesser, rien ne peut plus être ajouté à l’œuvre sous peine d’en détruire la frêle harmonie : une note de plus et c’est la dissonance, le dérèglement de l’accord et bientôt le chaos. Pour échapper à sa vocation impérieuse de créateur, pour ne pas céder à la tentation du « perfectionnisme », pour se soustraire peut-être aussi aux exigences dangereuses de la plus encombrante de ses créatures, l’homme, Wuro doit rompre avec le monde, s’éloigner, non pas disparaître et abandonner complètement ceux qu’il a tirés du néant, mais leur épargner son contact - quitte, on le verra, à leur laisser en partage une parcelle matérialisée de sa substance (DwO, c’est-à-dire le masque). C’est sur cet événement capital que s’achève le récit des « choses relatives aux créations de Wuro » - les wuro di fere. On comprend que la perfection ayant été atteinte une fois pour toutes il n’y ait plus, dans la nouvelle période qui va s’ouvrir, aucune place pour le changement ou le progrès. Chez les Bobo, comme dans les nombreuses sociétés africaines qui possèdent ce même modèle cosmologique, le souci permanent est de ne rien modifier au donné mythologique. Ainsi le destin des générations humaines est-il de rester inchangées dans un monde figé et, paradoxalement, leur seule tâche active (dans le domaine spirituel s’entend) sera d’agir en vue de maintenir ce statisme par de constants rites de réactualisation ou par des opérations mystiques destinées à rétablir les équilibres préétablis jugés compromis. Finalement, c’est seulement dans la période cosmogonique que le monde aura connu un véritable devenir » G.LEMOAL. LES BOBOS.NATURE ET FONCTION DES MASQUES.
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Les mythes bobo font ainsi référence à un principe primordial « Wuro », mais qui comme dans beaucoup de religions africaines s’est éloigné et demeure invisible quoique toujours actif. On ne lui voue pas de culte. Fondamentalement, Wuro est un démiurge, l’architecte de l’univers. Il est à la fois unique) et multiple.Il peut se partager en ses « fils » DWO, SOXO ET KWERE. Ce que les Bobo veulent exprimer en parlant des « fils », c’est qu’en dépit de son unicité réelle, Wuro détache de lui-même des parts qui ne cessent pas de lui être intrinsèquement personnelles, mais qui s’individualisent et se spécialisent dans une fonction. Wuro, à la fin des temps cosmogoniques, disent les mythes, affecte une part de lui-même, à la sauvegarde de l’humanité (Dwo), une autre à l’animation du monde végétal (saxo) ou une autre encore à l’affirmation de son autorité (Kwere) . En fait, au-delà de la lettre, et selon les principes animistes, l’univers apparait comme un cosmos « vivant » et en manifestation continuelle où tout ce qui agit est ; et tout ce qui est agit. On a une vision unitaire englobant esprits, hommes, animaux, végétaux, astres, minéraux .L’ensemble est parcouru d’une une énergie cosmique qui irrigue le monde. Le feu est en effet l’élément constitutif de la nature de Wuro (d’où l’importance du forgeron). Tout ce qui émane de Wuro est donc ardent et sont ardents les « fils ». Kwere est ainsi « la foudre ». Si SOxo est la brousse aux yeux des hommes, ce serait pourtant un lieu « brûlant », un lieu qui entre dans la catégorie de pensée où sont associées à l’idée de nature ou de « sauvagerie », celles de chaleur, c’est-à-dire symboliquement de danger, de maladie, de fièvres. Quant à Dwo enfin : il est « flamme ». De façon symbolique, tout d’abord, Dwo est flamme parce que la flamme, le feu, c’est la lumière, c’est-à-dire, par métaphore, l’illumination des esprits et donc la connaissance puisque c’est autour de sa personne (représentée par le masque) que s’organise la longue quête de connaissances qu’est l’initiation.
D'après les mythes cosmogoniques recueillis par Guy Le Moal, Wuro crée la terre, puis certains animaux, et enfin le premier homme : le forgeron. Sur son instance, Wuro lui donne comme compagnon un deuxième homme, le cultivateur bobo. Dans les événements qui suivent, les animaux jouent le rôle d'émissaires de Wuro, s'ingéniant à relier, selon le dessein divin, le forgeron à l'œuvre de création. Mais lorsque le forgeron affiche la prétention de se placer sur un pied d'égalité avec son créateur, la conséquence est inévitable : Wuro s'éloigne de lui. Cependant, avant de quitter définitivement le forgeron, il lui donne Dwo pour la sauvegarde de l'humanité. La révélation de Dwo sous la forme du masque de feuilles est le prélude à l'effacement définitif de Wuro, qui opère le passage du mythe à la réalité. Dwo devient l'interlocuteur privilégié des hommes, et la forme par laquelle il a été révélé définit la manière de représenter le caractère universel de sa nature et le rôle qui lui a été confié.
Après l'effacement de Wuro, l'interaction entre Dwo et les hommes constitue donc le processus fondateur de l'histoire de l'humanité. Aux hommes incombe le devenir de leur monde, qui se modèle sur les préceptes et les interdictions que chacune des manifestations ultérieures de Dwo comporte. Alors que les mythes cosmogoniques justifient la face inconnaissable de Wuro, les mythes de Dwo montent son immanence dans ses multiples modalités. Car, derrière le masque et le puissant Dwo, c'est toujours Wuro qui se manifeste et poursuit son œuvre d'éducation de l'homme, d'une manière toujours différente.
A la lumière de tout ce qui précède, on peut dès maintenant retenir cette idée que deux « temps » ont existé, séparés par un événement mythique de portée majeure : - le premier temps, celui de la création de l’univers (mythes cosmogoniques), est tout entier placé sous le signe de Wuro ; - la fin de ce temps est consacrée par une rupture, Wuro s’efface mais donne aux hommes son « fils » Dwo- commencent alors de nouveaux temps, ceux qu’on peut dire « historiques , placés sous le signe de Dwo et de ses manifestations épisodiques (mythes post-cosmogoniques)
Dwo est en effet conçu, lui aussi, comme unique tout en même temps que multiple. : il appartient au temps cosmogonique primordial qui s’achève par sa révélation mais aussi au temps « historique » que constitue ses manifestations .Dwo, à ce stade, s’offre en effet à tous les hommes sans distinction.
« Sous la simple apparence d’un masque élémentaire fait de feuilles fraîches, il restera présent dans chacune des communautés humaines de l’univers (c’est-à-dire du « monde » selon les Bobo) où lui reviendront toujours et la première place et le rôle majeur. Avec les temps « historiques » surviennent de nouvelles manifestations de Dwo qui, étant post-cosmogoniques, n’ont plus le même caractère d’universalité et sont au contraire, de nature « privée », c’est-à-dire réservées à de simples individus. Ces nouvelles manifestations consistent en la révélation de masques qui s’avèrent tout à fait nouveaux et d’une nature même contraire à celle du masque de feuilles initial. Il s’agit cette fois en effet de masques qui, d’une part, affectent non plus une forme unique mais des morphologies variées à l’infini et qui, d’autre part, adoptent tous un matériau de base qui, à l’inverse de la feuille, est sec et ligneux : la fibre. Enfin, pour achever de marquer la différence avec la manifestation initiale de Dwo, toutes celles qui suivront dans la période post-cosmogonique se feront, non seulement - nous l’avons dit - à des individus précis, mais aussi en des lieux bien précis et c’est même le nom de ces lieux qu’on retiendra pour les distinguer :
En raison du caractère universel que lui donne son origine cosmogonique, le culte de la figure initiale de Dwo ne peut-être que foroba, c’est-à-dire partagé par tous sans distinction. Dans la pratique, ce culte ne peut donc se pratiquer que collectivement à l’échelle du village et nul lignage, fût-ce celui des fondateurs, ne peut employer les masques de feuilles à des fins personnelles ; ces masques sont destinés à œuvrer pour le compte exclusivement de la communauté des lignages. Les figures ultérieures de Dwo, en revanche, sont, dans un premier temps au moins, toujours zakane.(particulières) A l’époque post-cosmogonique, en effet, Dwo, comme toutes les entités spirituelles d’ailleurs, ne peut que s’adresser à des individus et ceux-ci ne peuvent d’abord que lui rendre un culte qui est « privé » dans la mesure où il ne sera pratiqué que par les seuls membres de la parenté de celui qui a bénéficié de la nouvelle révélation divine, c’est-à-dire par une collectivité réduite qui est en position zakane par rapport aux collectivités plus larges du type collectivités villageoises,. »
G.LEMOAL. op. Cite
Les Bobo adorent ainsi Dwo qui, dans la tradition, est l'esprit fondateur et vivificateur du village. C'est lui qui guide l'individu durant sa vie ; il est à la base de toute la vie individuelle et collective. C'est sous le signe du Dwo que se déroulent les célébrations liturgiques qui rythment chaque année la vie du village. Il y renouvèle la communauté en ses origines, ses coutumes, et refait la solidarité des liens avec les Ancêtres et au sein de la société villageoise »..
Soxo incarnerait, lui, l’idée de phusis telle qu’elle existait chez les grecs. C’est la brousse comme entité, moins le sol ou la terre que de ce qui y pousse : la végétation. où plutot ce qui la fait pousser. et c’est sans doute, l’herbe, qui représente le mieux l’idée qu’on se fait de l’entité parce qu’elle est, comme lui infiniment multipliée et abondamment répandue.
La brousse est également perçue comme le domaine des forces de la nature, esprits bons et mauvais, puissances supérieures à l'homme. Leurs lieux de résidence privilégiés sont les collines, les grands arbres, les forêts sacrées des différents villages, les forêts galeries le long des cours d'eau telle la forêt, les cours d'eau Aussi, est-il déconseillé de s'aventurer tout seul au-delà de la brousse à des heures néfastes, telles à midi ou à partir de minuit.
La brousse concrétise le principe animiste NYAMA ,dont on dit souvent qu’il est une « force » : force universelle, invisible et indifférenciée donc répandue partout. Par rapport à elle, ,les « esprits « sont des « forces » d’une individualité et d’une spécificité beaucoup plus marquées. De façon latente, tout être et toute chose est imprégné de nyama. Celui-ci peut rester inactif, mais il est toujours prêt à se manifester dans un sens néfaste pour l’homme. Si on lance une pierre et qu’elle blesse involontairement un ami, c’est le nyama qui l’a guidée. Le nyama règne principalement dans le domaine spatial de la brousse, véhiculé par les génies de celle-ci mais il n’est pas également réparti, il se concentre en effet dans certaines espèces avec une densité et une nocivité variables. Le nyama est - pour reprendre l’expression bobo - « sur » certains oiseaux comme l’outarde et le calao. Il est sur un nombre limité d’animaux : l’oryctérope, le porc-épic, le céphalophe à flancs roux et surtout sur l’hyène et le lion chez lesquels il atteint à un haut degré de nocivité. Il réside aussi sur quelques végétaux, des arbres principalement et sur le cadavre des hommes morts accidentellement en brousse. Le nyama, enfin imprègne les objets sacrés que l’on découvre fortuitement en brousse (rhombes, masques miniatures).
« A côté des divinités de haut rang classées dans la catégorie Wuro, il existe une infinité d’entités spirituelles qui, par comparaison, peuvent être qualifiées de mineures. Bien qu’ils fassent grand cas d’elles, puisqu’ils leur vouent un culte actif et fervent, les Bobo disent souvent, avec une teinte de dédain qu’elles ont été « inventées par les hommes » Des entités dont nous allons parler, aucune n’existaient dans les temps cosmogoniques, toutes sont apparues dans la période historique et toutes, pour se révéler, ont dû prendre appui sur des hommes ; ce sont donc ces derniers qui, en promouvant leur culte, leur ont donné corps et c’est en ce sens seulement qu’on pourrait dire qu’ils les ont « inventées. Dans leur ensemble, les entités spirituelles qui ne sont pas « des Wuro » portent le nom de fùnanyono ; terme singulier, probablement composé, dont aucune étymologie satisfaisante n’a pu nous être fournie.
Nous serions, quant à nous, tenté de traduire en français par « esprit » car le propre d’un fùnanyono (c’est d’être immatériel, incorporel. Le fùnanyono n’est jamais visible, c’est une substance douée de forces et de pouvoirs surnaturels. Elle peut se localiser en un point bien précis, en se coulant, par exemple, dans un objet matériel ou, plus souvent, dans un végétal (arbre ou seulement racine, feuille) qui lui serviront dès lors de support et feront office d’autel. »
Il peut aussi se localiser temporairement dans le corps d’un homme, posséder son esprit et se servir de sa bouche pour transmettre un message ou faire des révélations. Il est aussi plus diffus dans l’espace et s’identifier avec tout ou partie d’un élément de la nature (l’eau en général ou bien telle rivière, telle mare), un accident de terrain (les grottes, les collines), une espèce végétale. Chaque esprit possède des aptitudes personnelles bien précises. :comme le pouvoir de donner des enfants, d’autres sont de véritables spécialités : détecter les empoisonneurs, protéger contre telle ou telle maladie, « calmer » les conflits, aider les chasseurs, etc. Dans chaque village bobo, des dizaines d’esprits ont leurs autels, certains sont personnels, d’autres sont lignagers et ces derniers peuvent être adoptés par l’ensemble du village et devenir firoba, mais, en raison de leur apparition pos cosmogonique, tous sont appropriés, tous ont un « propriétaire » qui est la personne (puis ses descendants) à qui ils se sont révélés pour la première fois (le plus souvent en rêve) .
La nature, ainsi entendue comme «phusis », précède l'action de l'homme et celle de Dwo, l'esprit fondateur du village qui s'en inspire et anime toutes les coutumes. Cette nature primordiale n'est pourtant pas un espace, vague et sans propriétaire. Elle est répartie en différentes zones appartenant chacune à un village .La répartition se serait faite selon l'ordre d'arrivée des populations qui s'installèrent sur le territoire et s'organisèrent en villages. Ce qui expliquerait l'inégalité entre les terroirs villageois souvent délimités entre eux par des frontières naturelles : cours d'eau, collines, forêts, etc.
Le terroir villageois est à son tour réparti en zones de champs de culture, «appartenant aux différentes grandes familles constituant le village selon la lignée paternelle. Ces champs sont appelés » « champs des fils de la même maisonnée ». Un champ de culture est un bien commun de la famille et ne peut être vendu. II peut être exploité soit en « foroba » (collectivement) soit en « zakanè » (individuellement) ou sous les deux formes à la fois. Comme pour le terroir on peut également observer ici une inégalité d'étendue entre les champs des grandes familles.
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L'association Le Musée Vivant des Arts et des Civilisations d'Afrique à Nantes (MUVACAN) organise avec L'Afrique et la Nature sa cinquième exposition itinérante, après Le Pouvoir en Afrique, des traditions à nos jours, hélas interrompue en 2020 par la crise sanitaire avant de se refaire une santé à l'Abbaye de Saint-Jacut-de-la-Mer et de revenir à Nantes dans notre université.
L'exposition de 2012 Insolites poupées d'Afrique s'est déplacée dans diverses villes depuis Nantes (Lyon, Montélimar). Celle sur Les Arts de guérir en Afrique traditionnelle en 2014-2015 a suivi le même chemin depuis sa base nantaise pour rejoindre Louvain en Belgique, Tours et Quimper. L'exposition Naître et Être en Afrique, entre traditions et temps présents a eu lieu en 2017 à l'Espace International Cosmopolis grâce à la ville et l'agglomération de Nantes puis s'est déplacée à Bruxelles et enfin au Musée de Fontenay Le Comte en 2019.
Toutes ces manifestations font la promotion des civilisations africaines. Nos valeurs sont le dialogue interculturel et la lutte contre les préjugés. Outre sa dimension culturelle, notre démarche est sociale dans l'esprit de ce que pouvaient être les «musées d'éducation populaire». C'est pourquoi, en partenariat avec des associations africaines, nous recherchons un impact à long terme, donc à capitaliser nos opérations concrètes notamment grâce à la virtualisation. Un souhait fort : un musée africain à Nantes, ville consciente de son passé, et pourquoi pas une antenne du Musée Branly-Jacques Chirac ?
Jacques Barrier Président du MUVACAN
PRÉSENTATION
L'exposition met en évidence la différence fondamentale entre la vision occidentale et la vision animiste du monde et montre comment cette dernière, loin d'être passéiste, est le point de départ d'une pensée écologique moderne.
Il ne faut cependant pas penser une Afrique sub-saharienne restée « figée » dans cette pensée traditionnelle animiste, même si elle en est toujours profondément et structurellement imprégnée. Celle-ci a évolué au fil du temps et des interpénétrations culturelles et industrielles venues d'Europe et du Proche-Orient, via les processus de colonisation. En revanche, au regard du pillage des ressources auquel on assiste partout sur la planète, dû à l'appétit d'une économie avide de gains immédiats, on doit constater que l'exploitation des milieux naturels conforme à la tradition, permettait d'assurer au mieux la pérennité de ces ressources. Une leçon qu'il est certainement urgent d'écouter aujourd'hui !
« Depuis Descartes, nous pensons contre nature, assurés que notre mission est de la dominer, la maîtriser, la conquérir. Le christianisme est la religion d'un homme dont la mort surnaturelle échappe au destin commun des créatures vivantes ; l'humanisme est la philosophie d'un homme dont la vie surnaturelle échappe à ce destin : il est sujet dans un monde d'objets, souverain sur un monde de sujets… » Edgar Morin, Le paradigme perdu : la nature humaine, 1973, Ed. Points
La planète est face au double enjeu du réchauffement climatique et de l'effondrement de la biodiversité, deux conséquences des activités humaines. L'Afrique subit de plein fouet ces dérèglements avec leur lot de problèmes mettant en péril les populations et provoquant des migrations humaines en masse. Les atteintes au vivant en Afrique, faune et flore, aggravent la situation. C'est sur ces constats d'actualité que le MUVACAN, fidèle à ses objectifs de faire dialoguer les cultures, a bâti son exposition. Comme dans ses précédentes manifestations, l'association visite les concepts traditionnels en explorant, ici, les relations entre humain et non humain en Afrique éclairées par la pensée animiste, mais aussi les mutations contemporaines qui affectent ces relations. Pour illustrer ce propos traditionnel, l'exposition va à la rencontre d'une douzaine de peuples différents . En descendant la navigation » fait découvrir de nombreux objets des deux grands fleuves que sont le Niger et le Congo, objets de «grandes valeurs symboliques", issus de collections privées partenaires. Ce voyage permet également d'explorer les rapports particuliers de ces peuples avec leurs milieux naturels (le fleuve, bien évidemment, la savane, la forêt…) et leurs pratiques traditionnelles qui y sont liées.
« II faut retrouver des dimensions plus modestes et plus proches de la nature, sortir de la folie qui nous fait vouloir toujours plus grand. C'est cela, la philosophie animiste : comprendre qu'il faut revenir aux fondamentaux avant de vouloir percer tous les secrets de l'univers. » Jean Malaurie Juin 2016
A chaque fois, une thématique est dégagée, offrant l'occasion de faire un pont avec l'actualité des problèmes écologiques de l'Afrique en tentant d'en analyser les principales causes : croissance démographique, monocultures industrielles face aux cultures vivrières, déforestation, conflits autour des usages de l'eau, braconnage massif de certaines espèces sur commandes de l'Asie, exploitation des ressources minières ou pétrolières.
Face à ces enjeux pour l'avenir, des initiatives locales se font jour, comme partout ailleurs, avec des objectifs de préservation de la nature et d'amélioration de la qualité de vie des gens.
PHILIPPE DE GRISSAC COMMISSAIRE DE L'EXPOSITION
LE NIGER/ SIRENES BOZO.
BOIS SACRE SENOUFO
masques Ijo
LE DUALISME OCCIDENTAL
NATURE : le mot n'existe que dans la pensée occidentale avec un triple héritage : les Grecs à partir d'Aristote et des stoïciens, le christianisme, la pensée scientifique à partir du 17ème siècle et de l'évolutionnisme du 19ème. Une nature universelle composée d'éléments physico-chimiques s'opposera à la diversité des représentations humaines (cultures). La pensée occidentale reposera dès lors sur un système binaire d'oppositions : nature/culture, primitif/civilisé, humain/non humain , esprit/corps. On parle de « Dualisme » ou de « Grand Partage ».
À partir du 17ème siècle et jusqu'à sa mise en question à notre époque, le vieux modèle du cosmos antique et médiéval fit place l'idée d'un univers/machine qui ne sera plus que de la matière, se mouvant dans l'obéissance aux lois mathématiques. Tous les savants mécanistes conçoivent la Nature comme un immense jouet (à l'image des automates) dont on cherchera à découvrir les ressorts (lois de la nature).
Paradoxalement, l'homme, s'il est un corps-machine (autre aspect du dualisme), garde un rôle prépondérant par son intériorité (âme ou psychisme) : par la science, il pénétrera les composantes de la nature ; par la technique, issue de la science, il deviendra < maître et possesseur de la nature ».
À l'inverse, les animaux seront des automates pareils à des horloges, capables de comportements complexes (instinct), mais dénué d'âme.
YVAN ETIEMBRE ET PHILIPPE DE GRISSAC / VISITES GUIDEES
LE COSMOS ANIMISTE
1ère salle
Les pensées traditionnelles n'ont pas l'équivalent du mot nature mais postulent un COSMOS : COLLECTIFS HUMAINS/NON HUMAINS, totalités englobant animaux, végétaux, minéraux. Un collectif est beaucoup plus qu'un groupe humain : il comporte aussi des plantes, des animaux, des esprits du lieu et bien d'autres choses. Il inclut des ancêtres totémiques, animaux fondateurs, les animaux de l'espèce-totem sont des parents protégés par des interdits alimentaires.
Il y a les invisibles protecteurs, génies de l'eau, maîtres des animaux, vaudou, qui participent à la vie collective par leurs avatars (masques et statues ou les rites).
il y a les ancêtres (d'où une absence d'idée de la mort naturelle) présents aussi par leurs autels et les rituels.
Dans le mode de pensée animiste, une même force vitale émanant d'un principe supérieur (dieu et divinité), irrigue la totalité du cosmos à des degrés différents de puissance. L'humain reçoit cette force tout au cours de son existence de la part des autres êtres (visibles et invisibles), au moyen des rites de passages (initiation, ancestralisation) et autres rituels. Plus qu'un être autonome il est un faisceau de relations avec l'ensemble du cosmos.
ANIMALITÉ ET TOTÉMISME
Le « Grand Partage » de la pensée occidentale a séparé, au XVIème siècle, la culture de la nature et donc l'homme de l'animal. Les mythes des sociétés traditionnelles, au contraire, parlent d'une origine indifférenciée qui fait que l'animal reste toujours parent de l'humain. L'organisation de ces sociétés repose en fait sur des COLLECTIFS HUMAINS/ NON HUMAINS, dont le TOTÉMISME est un aspect.
Le totémisme est l'idée d'un ancêtre animal fondateur (serpent, antilope, caméléon, calao, etc...) d'un clan ou d'une collectivité et qui lui donne son nom. Il permet de situer ces clans parfois dans une hiérarchie.
On peut le ramener à quelques éléments :
UN ELEMENT SOCIAL : connexion entre une espèce animale, végétale, et un groupe, un clan dans un système de parenté exogamique.
UN ELEMENT PSYCHOLOGIQUE : croyance en une relation de parenté entre les membres du groupe et l'animal, plante ou objet.
UN ELEMENT RITUEL : le respect témoigné au totem se manifestant par l'interdiction de manger ou d'utiliser l'animal.
L'énergie cosmique qu'on prête aux animaux est utilisée dans la composition des masques, des parures (plumes, peaux), des fétiches ou « objets forts ». Les animaux prennent également la forme de génies ou divinités incarnant les puissances des éléments, En Afrique traditionnelle, le totémisme n'est qu'un des aspects de la relation des groupes humains avec l'animalité. Peut aussi s'instaurer une alliance entre les hommes et l'animal, voire une quasi-parenté d'ordre mythique.
Avec la croissance démographique actuelle, en 2050, il y aura 2,4 milliards d'habitants en Afrique, soit un quasi doublement de population actuelle. Ceci représente près de 60% de la croissance démographique mondiale durant cette période. C'est un vrai défi pour l'Afrique qui aura à répondre à cette croissance en termes de santé, d'éducation, d'emploi, de sécurité...mais aussi de dégradation des écosystèmes et de la faune et de la flore associées.
LE CHANGEMENT CLIMATIQUE
L'Afrique, qui n'émet que 4% des de gaz à effet de serre, subit pourtant intensément les répercussions du réchauffement climatique. L'élévation de la température en Afrique de l'Ouest, plus rapide que celle des eaux du Golfe de Guinée, provoque des moussons de plus en plus intenses, notamment au Sahel. Épisodes dévastateurs comme en septembre 2020 avec la crue du Niger qui a fait 200 morts et 1 million de déplacés.
Dans les régions tropicales humides, les épisodes de précipitations deviendront très probablement plus intenses et plus fréquents, à mesure de l'augmentation de la température moyenne à la surface du globe. L'Afrique Australe devrait, elle, subir des périodes de sécheresse.
LA DÉFORESTATION
Le massif forestier du bassin du Congo est le deuxième plus étendu après l'Amazonie. En l'espace de quinze ans (2000-2014), il a perdu 16,5 millions d'hectares de forêts.
Deux causes principales :
- L'agriculture
Ce recul est dû principalement aux cultures sur brûlis par les petits paysans qui pratiquent une agriculture itinérante, et aux prélèvements de bois de chauffe pour la cuisine surtout en périphérie des agglomérations, en forte augmentation avec la croissance démographique.
Les défrichements mécaniques réalisés par l'agro-industrie, avec des plantations en monoculture et ouverture de pâtures pour le bétail, ne seraient responsables que de 1 % de la perte de forêts, mais, depuis 2014, l'accélération est très forte.
- L'exploitation forestière légale ou illégale, s'appuyant sur des réseaux de corruption
Cameroun, ou le choix impossible :
Pour son économie, le Cameroun a dû faire appel à des financements internationaux. Or les bailleurs, soucieux de se faire rembourser ont obligé le pays à augmenter son exploitation forestière mais, dans le même temps, le Cameroun a signé les accords de Kyoto et s'est engagé à réduire sa déforestation !
LA POLLUTION
Nigeria : du pétrole dans le Delta
« Du brut, du brut, du brut ! Il y en a partout ! Avant, tout ce que vous voyez là était plein de végétation et d'eau, on se baignait et on péchait ici. On utilisait même l'eau pour boire. Aujourd'hui, il ne reste plus rien » clame Koba Erabanabari du village de K-Ndere (delta du Niger)
LA CRÉATION / GESTION DES PARCS NATIONAUX,
Dans la forêt quasi intacte du Congo, les Baka, peuple autochtone, vivent en symbiose avec la forêt d'où ils tirent nourriture et pharmacopée. Ils sont chassés par l'installation du Parc Naturel de Messok Dja : « Cela fait des années et des années que des écogardes financés par le WWF sont arrivés chez nous. Ils nous interdisent de chasser pour nourrir nos familles. Ils nous interdisent d'entrer dans notre forêt. [...] Ils nous ont parlé de la limite du parc. Mais personne n'est venu nous demander notre consentement »
LE PILLAGE DES RESSOURCES NATURELLES
Dans son sous-sol, l'Afrique possède d'énormes réserves de minerais divers (cuivre, coltan, cobalt, or, fer, uranium et phosphates.) sans parler du diamant, du gaz, du pétrole et des terres rares ! Les populations ont sous leurs pieds un trésor qu'elles ne peuvent exploiter, victimes d'un pillage organisé et systématique par des multinationales extérieures au continent.
LE BRACONNAGE
De 2006 à 2018, plus de 1,3 million d'animaux vivants et plantes, 1,5 million de peaux, 2 000 tonnes de viande ont été exportées d'Afrique vers l'Asie de l'Est et l'Asie du Sud-Est. Le trafic d'animaux sauvages se situerait en 3ème position parmi les 4 activités illicites les plus lucratives au monde avec les trafics de drogue, d'armes. Mais sans les commanditaires importateurs qui surfent sur la pauvreté, plus de braconnage !
LA SOCIÉTÉ CIVILE EN MOUVEMENT,
En République Démocratique du Congo les communautés riveraines des parcs de Virunga et Salonga s'opposent au projet d'exploitation du pétrole dans ces zones remarquables, classées au patrimoine mondial de l'UNESCO, pour la flore et la faune. Elles demandent au gouvernement d'appliquer ses propres lois et de respecter les conventions internationales en matière de protection de la nature.
LES SŒURS DE GRETA THUNBERG
VANESSA NAKATE (Ouganda) fonde, en 2018, le mouvement pour le climat.
LEAH NAMUGERWA (Ouganda) sensibilisée par les menaces contre les forêts plante 200 arbres.
HILDA FLAVIA NAKABUYE (Ouganda) fonde le mouvement « Fridays for future »
ADENIKE TITILOPE OLADOSU (Nigeria) prend la parole à la COP 25 de Madrid.
ELIZABETH WATHUTI (Kenya) concrétise un projet de plantation de 30 000 arbres.
PHILIPPE DE GRISSAC
REGARDS CROISÉS :
« Depuis la nuit des temps, les relations entre les hommes et les animaux nourrissent la créativité des artistes africains (Christiane Falgayrettes-Leveau)
Les mythes d'origine des différents peuples donnent un statut à l'animalité : d'abord indifférenciés, humains et animaux se séparent mais restent parents. Ainsi beaucoup de clans ont un ancêtre animal comme fondateur préservés par des interdits. Les sculpteurs africains ont donc créé des "objets forts", masques et statues, représentant les animaux de façon soit réaliste, soit imaginaire, parfois zoo -anthropomorphes ou composites, selon des critères traditionnels propres à leurs communautés. Généralement conservés à l'abri des regards en un lieu sacré (grottes, cases dédiées.), les masques étaient exhibés lors de manifestations rituelles telles que les retraites d'initiation ou la fin de ces retraites quand les nouveaux initiés réintégraient le village, lors d'activités communautaires comme les travaux agricoles (semailles, récoltes) ou les expéditions de chasse, ou encore pour des cérémonies de commémoration d'ancêtres.
Le danseur - ou mime - porteur de masque perd son identité d'homme. Il est métamorphosé en esprit-animal. Il fait revivre le mythe ancestral auquel le clan est attaché. Esprits de la brousse, bienveillants ou menaçants, totems protecteurs du groupe ou parfois incarnations d'ancêtres primordiaux, les masques animaliers sont toujours signifiants.
Notre regard occidental a tendance à les considérer comme des œuvres d'art, mais il faut dépasser la simple vision esthétique pour les remettre dans leur contexte social et religieux.
FRANCOIS PERRIER
Photos N/B CHRISTIAN SAINTVANNE(droits réservés)
CIDESSOUS/ superbe video de regards croisées animaliers de CHRISTIAN SAINTVANNE
. Les agriculteurs avaient à l'égard du forgeron, un certain nombre d'obligations dans l’économie de subsistance : « un forgeron ne mendie pas selon un dicton ». Il ne pouvait ainsi acheter du mil. S'il était réduit à le faire, c’était pour le village tout entier une malédiction d'une exceptionnelle gravité. Le forgeron avait droit aux prémices des récoltes. Théoriquement on lui remettait sept épis de chaque céréale cultivée , de même quand un forgeron venait vous voir, vous étiez obligé de lui faire un don, même symbolique.
La société était cependant organisée pour éviter une concentration excessive des pouvoirs : si un rôle d'une extrême importance, celui de médiateur social, était confié au forgeron, celui-ci restait par rapport au cultivateur, dans une situation de dépendance économique. " Un forgeron peut être riche, disent les Minyanka, mais il ne se suffît " pas ". Il était tributaire de l'échange pour vivre. De plus, le pouvoir attribué au forgeron était contrebalancé par celui d'autres personnages tels que le devin {tyzmfolo) ou le chef du Nya {Nyafolo) dont les villageois viennent fréquemment solliciter l'avis ou l'arbitrage.
« Fondeur de fer, producteur des instruments agricoles, armurier, chirurgien et "initié majeur", le forgeron concentre une formidable puissance potentielle. " D'après la tradition, depuis les temps les plus reculés, le forgeron est demeuré pour tous et plus encore pour les chefs, un conseiller naturel à la fois écouté et redouté, respectable et respecté "Exclu comme parent et comme allié des lignages dominants, le forgeron est écarté des intrigues du pouvoir et maintenu au rang de fidèle conseiller. Etant donné qu'en pays minyanka les échanges matrimoniaux sont la principale source de conflit, les " chefs de guerre " ne peuvent se permettre de donner ou de prendre femme chez les forgerons. Ces derniers pourraient s'assurer la suprématie puisqu'ils sont fabricants d'armes et chirurgiens
La prise éventuelle du pouvoir par la force est exclue pour les forgerons. Au cours des guerres précoloniales, ils ne portaient pas les armes, ;ils suivaient les combattants et constituaient une formation spéciale chargée de soigner les blessés. L'étymologie (bambara) d'un des principaux clans de forgerons du pays (keleman) signifie d'ailleurs "exclus de la guerre ". Le forgeron minyanka n'a pas de " maître " dont il dépendrait, sinon l'ensemble de la communauté villageoise".
JONCKERS DANIELLE. NOTES SUR LE FORGERON, LA FORGE ET LES METAUX EN PAYS MINYANKA. IN: JOURNAL DES AFRICANISTES, 1979,
De nos jours, l'économie de marché, le développement des techniques, l'impact de l'enseignement et de l'islam ont bouleversé ces rapports. Dans les villages l'autorité lignagère s'effrite et l'islam remplace les divinités agraires ; aussi le forgeron perd rapidement ses prérogatives auprès des agriculteurs qui d'ailleurs se passent bien de ses services achetant les outils importés de l’étranger. La C.M.D.T. (Compagnie malienne pour le développement du textile, anciennement Compagnie française...), chargée de la vulgarisation agricole a bien entrepris une action auprès des forgerons. Les " forgerons coutumiers " volontaires suivent un stage de recyclage pour l'entretien du matériel agricole et bénéficient de deux prêts : l'un destiné à améliorer l'équipement ; l'autre pour constituer un volant de pièces détachées usuelles. Cette initiative a très bien réussi sur le plan technique mais elle a introduit- entre les artisans de grandes disparités sociales et économiques, profitant surtout aux jeunes. Le forgeron traditionnel devient de plus en plus pauvre, tandis que ses rôles de médiateur social ou de dignitaire des cultes tendent à disparaître. Le forgeron jeune est souvent converti à l'islam, formé aux techniques modernes et peut rapidement devenir un homme riche et influent surtout dans les quartiers ou les villages largement islamisés. "
Le déclin du forgeron fut précédé d’ailleurs par celui de la métallurgie africaine, victime de la traite et de la colonisation. Dès les premiers comptoirs au 16ème et lors de l’histoire de la traite, la barre de fer était déjà un élément essentiel des échanges esclavagistes... Méthodiquement à travers les comptoirs qui occupaient toute la côte; le circuit traditionnel du métal ferreux de Sierra Leone à Saint-Louis fut bloqué par le commerce européen, réduisant donc dangereusement l'espace de vie commercial du fer autochtone. L'industrie locale du fer arriva à se maintenir pendant quelques temps jusqu’à la colonisation
Mais cette résistance du fer local se maintiendra le temps que des dispositions radicales, prises par le colonisateur pour protéger son commerce, finissent la faire disparaitre. Au cours de la première moitié du XIXe siècle, l'Europe connut en effet un développement technologique sans précédent qui entraîna une forte croissance industrielle et la modernisation de la métallurgie. De 1856 à 1880, la production massive de l'acier déclenchera en Europe une ère nouvelle, celle du chemin de fer ; tandis que seront déversés dans les colonies les surplus de production. Sur l'ensemble des ports de la côte, arrivaient des cargaisons de quincaillerie, coutellerie, chaudronnerie, vendues bon marché, parce que de très mauvaise qualité. Des mesures seront prises par la suite pour interdire la fabrication des armes et de certains outils en fer .Juste après la première guerre mondiale, des impôts en monnaies locales dont celle du fer seront exigées par les colonisateurs contribuant de ce fait à l'aboutissement du déclin de la métallurgie africaine. Dans les zones côtières, il y avait longtemps que l'industrie locale du fer s'était éteinte. la Haute Casamance arrêta sa production dès 1861, pour n'utiliser que du fer européen.
LA SYMBOLIQUE TRADITIONNELLE.
« Dans les sociétés d’Afrique centrale, les pratiques techniques et symboliques forment un tout. Il n’y a, selon les explications données par les maîtres de réduction, aucune différence entre l’ajout de manganèse, fait « technique » qui facilite la réduction en abaissant la température d’eutectique, et l’ajout d’une crête de coq, fait classé comme « magique » par l’anthropologue. Pas de différence non plus entre les « partitions opératoires » des souffleurs actionnant les systèmes de ventilation forcée - l’action du comburant est techniquement déterminante - et les chants rituels qui accompagnent les gestes. »
LA METALLURGIE DU FER : TECHNIQUE, SYMBOLIQUE ET SEMANTIQUE. Marie-Claude DUPRÉ” et Bruno PINÇON
Les mythologies ont élevé le forgeron au rang de personnage mythique ou divin. Le thème de la forge et de la métallurgie, considérée comme des arts qui relèvent du sacré, se retrouve dans différentes traditions… Les fondeurs et les forgerons, grands maîtres du Feu et des Métaux, étaient souvent redoutés : leur ouvrage impliquait un savoir initiatique dans des sociétés secrètes, une signification cosmogonique, et un acte de création dangereux voire infernal ou maléfique. Dans son ensemble, le symbolisme du forgeron se rattachait à celui du démiurge qui façonne ou forge le monde ou à un être mythique qui participe à la création du cosmos.
Le métal étant extrait des entrailles de la terre, la forge était donc en relation avec le feu souterrain et l’activité activité s'apparentait à la magie et à la sorcellerie. Peut-être pour la raison que toute création originelle est accompagnée de violation d’interdits qui sont ceux du commun , le statut symbolique du forgeron se présentait comme un ensemble de contradictions. Les forgerons, très souvent dans les sociétés anciennes et même actuelles, étaient soumis à l'isolement et à toutes sortes de prohibitions de contact. On croyait ainsi que la proximité de sa hutte apportait la maladie, la mort, etc. Chez les Luba, il leur était défendu de participer à toute opération en rapport avec la nourriture, ils ne devaient même pas toucher au pot sur le foyer ni au bâtonnet servant à malaxer la bouillie.
« De toutes les activités liées à la transformation des métaux, celle du forgeron est la plus significative quant à l'importance et à l'ambivalence des symboles qu'elle implique. La forge comporte un aspect cosmogonique et créateur, un aspect asurique et infernal, enfin un aspect initiatique~ Le travail de forge est la constitution de l'être à partir du non être. Le forgeron primordial n'est pas le créateur mais son assistant, son instrument, le fabricant d'outil divin, ou l'organisateur du monde créé. Par ailleurs, le symbolisme de la forge est souvent lié à la parole ou au chant, ce qui nous introduit au rôle initiatique du métier, mais également à l'activité créatrice du verbe. La participation symbolique à l'œuvre cosmogonique comporte un danger qui est celui de la non-qualification et de la parodie satanique de l'activité défendu »
Made B. DIOU. FORGERONS WOLOF DU KAJOOR; FORGERONS SEREER DU SUN ET DU JEGEM : DE L'EPOQUE PRECOLONIALE A NOS JOUR. Thèse doctorat
Les rôles sociaux assumés par le forgeron et les usages qui concernent la forge s'éclairent par l'étude de la cosmologie. D'ailleurs, le métal lui-même est chargé de symbolisme dans sa forme météorique comme dans sa forme terrestre "FRAPPER LE FER".QUAI BRANLY
"L'âge du fer est le début des temps nouveaux; c'est l'âge ambitieux des nouvelles puissances, l'âge des houes résistantes et des guerres meurtrières". Luc DE HEUSCH. Le fer est couramment pris comme symbole de robustesse, de dureté et d'opiniâtreté, de rigueur excessive, d'inflexibilité, quand bien même les qualités physiques du métal ne confirment qu'incomplètement cette réputation Dans beaucoup de traditions, la Bible comme dans la Chine ancienne, dans les mythes grecs, le fer s'oppose au cuivre, ou au bronze, comme le métal vulgaire au métal noble, comme l'eau au feu, le nord au sud, le noir au rouge, le yin au yang. L'âge de fer sera l'âge dur, l'aboutissement de la solidification cyclique dont l'âge de cuivre ou d'airain est l'avant dernière étape d’un « Age d’or » perdu chez Hésiode repris par Platon. Le symbolisme du fer est toujours ambivalent comme celui des arts métallurgiques : le fer protège contre les influences mauvaises ; il est considéré comme symbole de fertilité ou comme le protecteur des récoltes, en même temps qu'il est l'instrument satanique de la guerre et de la mort.
Selon une thèse sur les forgerons Wolof et Sereer, les femmes portent des colliers et bracelets de fer favorisant la fertilité et guérissant les enfants malades, chez les Watehaga (Bantou du Kilimandjaro). Pour les Tiv (Nigéria du Nord) le fer assure la communication entre les vivants et les morts. Chez les Sereer lorsqu'un tourbillon de vent arrive à l'encontre d'une personne ou d'un groupe, - il fallait s'empresser de dire haut : « il Y a du fer par là. » Cette formule incantatoire était à même de dévier de son chemin, le tourbillon, considéré par les Sereer comme un esprit néfaste. en mouvement.
Les activités de fonte, étaient ainsi empreintes du début à la fin d'un rituel magico-religieux fortement sexualisé ; l'action de la fonte était le symbole de la fécondation naturelle ; le haut fourneau, rempli d'un minerai encore « impur effectuait, dans la symbiose du feu et de la pierre, une opération de sélection qui lui permettait « d'accoucher » le fer pur. .Ce symbolisme sexuel interdisait la présence des femmes dans les opérations de fonte comme tout rapport sexuel aux hommes pendant les opérations.
Dans divers peuples ce sont les mythes d’origine qui établissent le statut du forgeron :
Chez les Dogon du Mali, le fer est l'opposé symbolique du cuivre , maitre de l'ombre et de la nuit tandis que le cuivre est essentiellement symbole de lumière . Dans le mythe relaté par Griaule et Dieterlen il devient un attribut du demiurge néfaste Yorugu, « Le Renard Pâle », maitre de la première parole et de la divination qui commande à la nuit, à la sécheresse, à la stérilité, au désordre, à l'impureté, à la mort. Cependant le second demiurge, Nommo, bienfaiteur et guide de l'humanité, maitre absolu du ciel, de l'eau, des âmes, de la fécondité, limite les activités, désordonnées de Yorugu. L'homme n'est pas soumis à la dualité de ces forces antagonistes et le forgeron, créé par Nommo, peut soumettre le fer, et en tirer la houe, base de l'agriculture, et les armes de chasse et de guerre. L’ambigüité du forgeron est cependant présente parce qu’il serait tombé de L’arche primitive lors de la création et restera boiteux ,ce qui le met au rang des « monstres », nains , albinos porteurs de « forces (nyama ) dangereuses
« En frappant sur l’enclume, [les forgerons] font revenir de la terre une partie de la force qu’ils lui ont donnée. Frapper de nuit, […] c’est repousser ce qui a été attiré. Et c’est pourquoi il est interdit non seulement au forgeron, mais à tout homme, de frapper, de nuit, le fer, la pierre ou le sol. Aucun coup de masse, aucun coup de pilon, ne doit résonner clairement ou sourdement dans le silence. »
Ogotemmêli dans M.Griaule .Dieu D’eau
Ainsi chez les Bobo du Burkina :
«Wuro a créé en premier la terre, elle était faite de boue molle. Wuro créa le caméléon et la fourmi Puis il créa les poissons. Par la suite, il créa le chat, le chien, le crapaud et la guêpe maçonne. Alors Wuro créa le premier homme : c’était un forgeron »
D'après les mythes cosmogoniques recueillis par Guy Le Moal, Wuro, le démiurge crée ainsi la terre, puis certains animaux, et enfin le premier homme : le forgeron. Bien que Wuro ait offert, avec les animaux domestiques, une nourriture facile à l’homme, il ne veut pas que celui-ci reste oisif. Il met alors dans la main du forgeron la pierre taillée premier outil qui engage l’homme sur le chemin de sa condition laborieuse. On peut noter ici que le mythe rejoint l’histoire faisant référence à l’existence d’une industrie lithique antérieurement à la découverte de la métallurgie : le forgeron mythique a été tailleur et polisseur d’outils de pierre avant de devenir fondeur et batteur de fer.
Sur l’instance du forgeron solitaire, Wuro lui donne comme compagnon un deuxième homme, ce fut le cultivateur Bobo.. Dans les événements qui suivirent, les animaux jouent le rôle d'émissaires de Wuro, s'ingéniant à relier, selon le dessein divin, le forgeron à l'œuvre de création. Mais lorsque le forgeron affiche la prétention de se placer sur un pied d'égalité avec son créateur, la conséquence est inévitable : Wuro s'éloigne de lui. Cependant, avant de quitter définitivement le forgeron, il lui donne Dwo pour la sauvegarde de l'humanité. La révélation de Dwo sous la forme du masque de feuilles est le prélude à l'effacement définitif de Wuro, qui opère le passage du mythe à la réalité. Dwo devient l'interlocuteur privilégié des hommes, et la forme par laquelle il a été révélé définit la manière de représenter le caractère universel de sa nature et le rôle qui lui a été confié.
Chez les Minyanka déjà cités, le principe premier KLE, figure lointaine, distante du monde des hommes, a produit le monde à partir d’une vibration. Le premier homme selon les mythes fut également le forgeron qui sortit de terre portant une houe et une barre de fer et qui créa le feu en les frottant l’une contre l’autre. Cet acte entraina des conséquences ambivalentes, le feu ayant mis le feu à la brousse, tout était prêt pour l’agriculture mais beaucoup d’animaux périrent dans l’incendie en regrettant de n’avoir pas tué l’intrus.
Mais le feu n’est pas la métallurgie ; surgit alors l’enclume pierre enflammée qui traversa le ciel, enfermant la force cosmique (nyama) redoutable. Dans le mythe, l’enclume porte le nom du vautour son premier possesseur : tumpungno. Si le vautour est lié la métallurgie, c’est qu’il passait pour un dispensateur de connaissances comme maitre des secrets de la forge, aussi est-il présent dans les sociétés d’initiation.
Dans l’ensemble du monde Mande, on a vu que les activités s’étendaient au-delà du travail du fer.(par exemple la confection de médicaments à partir de plantes.) ;c’est que les connaissance des forgerons étaient en partie ésotériques ; ils étaient capables, pensait-on de manier les énergies qui aident à façonner la vie : bien dirigées ,celles ci garantissaient des mariages heureux, des projets professionnels ou des récoltes, elles combattaient les comportements antisociaux(sorcellerie)et prémunissaient les gens contre des morsures d'animaux
Selon le principe de l’animisme traditionnel, Les Mandé considéraient que le monde était relié à une énergie(le nyama, l'énergie qui animait l'univers). Le nyama existait en abondance dans les mondes visibles et in visibles. Chaque action nécessitait cette énergie, qui se libérait en proportion directe avec le degré de difficulté ou de danger. Les chasseurs avaient besoin d'une forte dose de nyama pour attaquer leurs proies en toute sécurité. Le forgeron possédait un taux considérable de nyama en vertu de sa profession et de son héritage Pendant qu'il martelait , il réinjectait du nyama dans ses créations, ce qui le rendait extraordinairement puissant.
En outre le forgeron par sa collecte de matériaux avait des contacts étroits avec les « Esprits De La Nature » (Djinns selon le mot arabe) ; ces derniers censés occuper des sites géographiques particuliers, là encore chargés d’énergie. Ils pouvaient être bienveillants ou dangereux. Aussi, en tant que maîtres des ressources naturelles propres à leur travail, les forgerons conservaient toujours des relations privilégiées avec ces esprits « sauvages.
Êtres et choses contenaient donc du Nyama qui pouvait être non contrôlé et se libérer dangereusement. Ainsi des évènements extérieurs (comme la sorcellerie) pouvaient provoquer des déséquilibres internes d’où la maladie ou la mort. Le forgeron traditionnel, par contre, était censé posséder un nyama très stable, c'est pourquoi il était seul capable d'effectuer certains rites. C'est lui par exemple qui était chargé de creuser les tombes parce que capable de résister au nyama dangereux, des morts et parce qu'il entretenait des rapports privilégiés avec les puissances chtoniennes. Il pratiquait la circoncision parce que le prépuce est dit contenir du nyama impur et malfaisant.
Les forgerons étaient surtout les responsables de la puissante société d’initiation KOMO. Elle avait pour tâche d’éviter les crimes dans le monde visible, contrôler les hommes aux comportements antisociaux et les attitudes malveillantes des esprits dans le monde invisible.. Par ailleurs, le Kômô apprenait à ses initiés le savoir essentiel du fonctionnement du monde et le moyen d'y prospérer.
Les chefs forgerons étaient à cet égard les maitres de la divination. Ils avaient un contact direct avec les esprits de la nature. C’est dans la brousse que se fabriquaient leurs masques incarnant ces esprits et la puissance de leur nyama.
Le forgeron était ainsi censé détenir les secrets de la terre, dont il était sorti. Détenteur du fer, selon le mythe, il était, de ce fait, guérisseur des plaies de guerre parce que censé posséder les paroles qui domptent le fer. On lui attribuait aussi le pouvoir de se métamorphoser en hyène, animal associé à la terre, l'hyène mythique ayant donné aux hommes les secrets de l'agriculture. Surtout, il était le maitre du feu, signe du pouvoir de création et de thaumaturgie. Le feu évoquait la connaissance virile, la force mais aussi la douleur (la connaissance s'acquiert dans la douleur). Il aurait été également l'attribut du pouvoir des sorciers, auxquels on prêtait la faculté de se changer en feux mouvants. En raison de ses profondes connaissances et de sa particularité ontologique, le forgeron participait ainsi à toutes les activités rituelles importantes. De plus, la plupart des cultes comportaient des autels faisant intervenir les instruments de forge et les métaux. Le même mot « YAPERE » signifie en fait à la fois la forge et l’enclume comme celui d’autel portatif.
CONCLUSION
LE FORGERON AUJOURD’HUI
Pour comprendre le statut social du forgeron il fallait donc considérer " à la fois et ensemble » les différentes institutions religieuses, politiques, familiales, économiques liées à ce statut .
L'évolution de ce statut est donc concomitante de l’emprise croissante de l’économie d’échange. De même on constate une corrélation avec le changement des formes du savoir et de la religion. Le thème du forgeron héros civilisateur dans les cosmologies et la participation du forgeron à toutes les activités rituelles n’était pas sans lien avec l'importance réelle des techniques de la forge d'autrefois. Aujourd'hui non seulement aucun forgeron n'extrait plus le fer de la terre, mais encore de nombreux objets qu'il fabriquait ont perdu de leur utilité ou sont remplacés par des produits manufacturés. Parallèlement l'enseignement donné aux enfants à l'école ou à travers les Evangiles chrétiens ou le Coran gomme petit à petit la culture traditionnelle. ' Les chefs de villages, de lignages ou de cultes perdent eux aussi leur pouvoir, emportés par les bouleversements liés à l'économie de marché. L'argent est de plus en plus source de pouvoir. Les autorités administratives accélèrent ce processus en obligeant par exemple la commercialisation des produits vivriers (ce qui dans la tradition était interdit), en décourageant, au nom du libre choix des conjoints, le mariage traditionnel par échange, ce qui paradoxalement ne favorise pas ce libre choix mais plutôt le mariage par dot dominant par exemple au Mali,. De même est rendu possible désormais l'achat d'un titre de propriété terrienne, y compris la vente à des peuples étrangers de terres agricoles communautaires..
« Les villages, les quartiers ne connaissent pas tous le même niveau de changement, certains même ont encore des cultes traditionnels très vivaces. Le forgeron peut là continuer à exercer ses prérogatives. Même s'il est devenu un artisan dépassé par les techniques modernes, les agriculteurs qui ne s'équipent plus chez lui continuent à le respecter et à l'approvisionner en mil. Par, contre cet artisan sera marginalisé dans un village où règne l'islam. Ce phénomène reflète d'ailleurs des bouleversements économiques profonds. Ce sont souvent les agriculteurs en rupture avec le lignage et les exigences du mode de production communautaire qui se convertissent à l'islam. Le forgeron sera forcé de devenir agriculteur pour assurer sa subsistance, ou alors se formera-t-il aux techniques modernes et s'enrichira-t-il en vendant charrues et pièces de rechange. » JONCKERS DANIELLE. NOTES SUR LE FORGERON.0P.CIE
« Laisse la tuyère manger rapidement, bangati banga,
Laisse la tuyère manger rapidement, bangati banga, •
Un python vient avec ses amis, bangati banga. »
Chanson cadencée des forgerons du centre nigeria accompagnant le rythme du soufflet. Dans « FRAPPER LE FER ». MUSEE DU QUAI BRANLY. ACTES SUD.
Les artisans semblent avoir occupé dans les structures sociales traditionnelles africaines une place spéciale. C'est ainsi qu'on peut distinguer les sculpteurs sur bois, les potiers, les tisserands, les vanniers, les métallurgistes ". Mais dans les sociétés traditionnelles, à la première place, se situe le métier du fer.
« Presque partout en Afrique Noire où des enquêtes ethnologiques ont été menées et leurs résultats publiés, les chercheurs ont abordé l'un ou l'autre des aspects du travail de la forge, qui a toujours attiré l'attention, tant il est entouré d'interdits, de précautions techniques particulières. Il en est de même pour l'artisan dont le statut général et la vie quotidienne présentent des caractères spécifiques lorsqu'on compare sa vie à celle des autres travailleurs
En Afrique Occidentale, les forgerons forment généralement des groupes sociaux endogames. Ils sont indépendants, quasi internationaux — un forgeron est partout « chez lui » où se trouve une forge et peut s'établir là où il le désire, là où il est sollicité (x). Ils vivent en symbiose avec les peuples auprès desquels, pour lesquels, ils travaillent, dont les techniques de base diffèrent et sont soit la pêche, soit le pastorat, soit l'agriculture. »
Dieterlen Germaine. Contribution à l'étude des forgerons en Afrique Occidentale. In: École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses. Annuaire 1965-1966. Tome 73. 1964. pp. 3-28
L’abondante littérature archéologique et anthropologique sur le phénomène, atteste qu’elle a été déterminante dans la vie des Africains depuis lors. Les dynamiques sociales, culturelles, économiques, politiques, religieuses, environnementales, dont cette métallurgie a été le moteur sont multiples, et certains n’ont pas encore été étudiées. Le contexte social, économique et écologique du premier contact de l’homme avec le métal ; les représentations sociales de la métallurgie, les techniques d’élaboration et de transformation du fer en produits finis, la distribution et la consommation des objets, la symbolique de l’activité dans sa structuration sociale, , sont les principaux sujets de la recherche.
La métallurgie du fer apparait comme l’une des premières formes de production industrielle véritablement structurée des moyens de production – infrastructures, matières premières, ressources humaines – et des mécanismes de distribution et de consommation.
C’est aussi avec la sidérurgie ancienne que la spécialisation économique, à peine perceptible au Néolithique, du fait de la confusion des rôles joués par les paysans, a pris corps, laissant se constituer et émerger la classe des fondeurs et la classe des forgerons, maîtres des secrets de l’élaboration et de la transformation du fer. Les nouvelles catégories sociales ainsi structurées se sont érigées en castes dans certaines régions du continent africain.
L’activité a donc été, sur l’ensemble du continent, un facteur important de cristallisation ou de lien social. A l’inverse, et à certains moments, la production du fer a plus divisé que rassemblé, facteur de conflits et de déstructuration sociale.
Il existe un débat acharné des archéologues sur l’origine de la métallurgique en Afrique. La thèse dominante fut longtemps diffusionniste postulant que l’industrie du fer aurait été introduite en Afrique depuis l’Asie occidentale via Carthage ou Méroé, thèse souvent qualifiée, de nos jours, d’inspiration colonialiste. L’archéologie aurait désormais découvert l’existence d’un ou de plusieurs foyers d’invention de la sidérurgie en Afrique de l’Ouest et du Centre, ainsi que dans la région des Grands Lacs, .comme le précise l’ouvrage de l’UNESCO/Aux origines de la métallurgie du fer en Afrique, Une ancienneté méconnue : Afrique de l’Ouest et Afrique centrale.
Selon cet ouvrage, des datations obtenues dans les années 1980 attestent que le travail du fer remonte au moins à 1500 av. J.-C. à Termit (Niger oriental), alors qu’en Tunisie ou en Nubie, il n’apparaît pas avant le 6e siècle av. J.-C. A l’ouest de Termit, dans la localité d’Egaro, les dates obtenues vont même au-delà de 2500 ans av. J.-C., ce qui définit la sidérurgie africaine comme contemporaine de celle du Moyen-Orient.
En 2008 des résultats des fouilles menées par Étienne Zangato et ses collègues En République Centrafricaine ont trouvé une forge de métal, datée de 2000 ans avant J.-C. grâce à huit datations convergentes . Cela ferait d'Ôbui le plus ancien site au monde où le fer aurait été travaillé et l'éloignerait de près d'un millénaire des autres preuves recueillies jusqu'alors en Afrique centrale.
D’autres sites anciens de la métallurgie du fer en Afrique de l'Ouest ont été relevés au Nigéria . Sur le plateau de Jos où sont exploitées des mines d'étain, est née la civilisation NOK, dans un rayon de plus de 100 kms (Jenaa, Wamba, Makafa, Tamga •••). Au site de Taruga, les figurines sont liées à des scories de fer et à du charbon qui ont permis de dater le travail du fer au C. 14 et de fixer l'âge du fer au IVe siècle avant J.C. De nombreux sites d'anciens villages de forgerons jalonnent le fleuve Sénégal: le cas de Rindiaw Sylla, ancien village de forgerons où il ne reste plus aujourd'hui que des traces de forges, des fragments de tuyères et d'abondantes scories, est des plus frappants. A plusieurs kilomètres de Rindiaw Sylla· Dans la boucle du Niger, l'on retrouve également des restes d'ateliers de forgerons du même type
Outre la technologie, naquit aussi une histoire et une culture liées au fer. Ainsi, les Bantu se seraient propagés à travers l’Afrique centrale » grâce à la supériorité agricole que leur conférait la métallurgie pour défricher la grande forêt et à la supériorité militaire que leur procurait la possession d’armes en fer. Chez les Yoruba, l’unification du pays, sous la férule des partisans d’Oduduwa (10e siècle), s’expliquerait en très grande partie par une supériorité militaire due à l’usage du fer,
D’autre part, dans beaucoup de communautés, ce métal présentait une si forte charge symbolique qu’il avait été élevé au rang des divinités. En pays Yorouba (Nigéria), la forge est devenue le symbole de la royauté, à la fin du 9e siècle, et OGUN, le dieu du fer, la divinité tutélaire du royaume. Aujourd’hui encore Ogun est le patron de tous ceux qui exercent un métier lié au fer. Le rôle des forgerons est ainsi crucial dans la tradition africaine. Dans la région du Yatenga (nord du Burkina Faso), l’ancêtre des forgerons, Bamogo, est considéré comme le sauveur de l’humanité. C’est lui qui aurait fabriqué la lame servant à couper le cordon ombilical, la hache pour couper le bois, la pioche pour cultiver la terre ou creuser la tombe… autant d’ustensiles fondamentaux pour l’homme.
"La vie a un bord, parfois tranchant, parfois émoussé. Découvrez le fer - qui creuse, coupe, perce, brille, rouille et se désintègre. Il est "né" lorsque la fonte l'a extrait de la roche, et dans un certain sens il possède sa propre vie. Le fer transforme les circonstances : les instruments forgés prolongent les mains afin de réaliser toutes sortes d'efforts essentiels. Comment les Africains subsahariens ont-ils réalisé des processus aussi complexes, façonné à la main des fourneaux et créé du fer malléable pour faire évoluer leurs univers ? Quelles sciences basées sur 'observation ont-elles été maîtrisées, quels drames ont-ils été joués ? Comment les populations savaient-elles quel minerai choisir, quel bois couper, comment alimenter et contrôler des feux d'une intensité stupéfiante, nécessaires à la fonte du fer) ? Quels outils furent requis et grâce à quelles forces mystérieuses les fondeurs et les forgerons parvinrent-ils à les manier, généralement au prix d'un travail intense et épuisant? Qui savait quoi faire, comment marteler, quand tremper et quoi réchauffer? Pourquoi choisir cette forme pour une arme forgée ou symbole d'un statut social et pas une autre, et comment la perfection était et est-elle atteinte et reconnue ? Pourquoi les "technologies enchantées1" impliquaient-elles des substances symboliques et des mouvements soigneusement chorégraphiés jugés nécessaires à la ferronnerie ».
Allen F. Roberts .introduction à« FRAPPER LE FER ». MUSEE DU QUAI BRANLY. ACTES SUD.
Pour sa part, L’anthropologie sociale a vu dans l’étude de de la forge et du forgeron un « Phénomène Social Total » au sens de Mauss. La question du travail de la forge posait en effet des questions telles que la production et ses modalités, la différence de statut social entre forgerons et agriculteurs, la place des fonctions rituelles dévolues au forgeron et le rôle de la forge dans le système de pensée symbolique.
Si l’on prend, par exemple, le rôle joué par les forgerons dans l'histoire politique, sociale et culturelle des peuples mandé (Soninké, Malinké, Dogon, Bambara, etc..) deux problématiques ne peuvent être évitées : celle de la différenciation sociale (et de l'usage de concept de caste) et celle de la pensée symbolique .L'image de la forge et du forgeron était des clefs des vieilles religions du Mandé. Germaine Dieterlen a mis ainsi en évidence un système symbolique reconnu par plusieurs sociétés d'Afrique occidentale, et au sein duquel la forge occupe une place centrale dans la représentation mythique comme enclume primitive tombée du ciel sous forme d’un aerolythe
« Nulle part en Afrique la sidérurgie n’est une activité banalisée. On ne peut la pratiquer sans précaution, elle n’implique pas la population dans son ensemble, et les métallurgistes ne représentent qu’une infime minorité ; ce sont parfois des étrangers. Cette technique est vécue comme une transgression de l’ordre des choses et des hommes. L’angoisse en résultant est évacuée, dans un premier temps, par les rites, les chants ou, inversement, le silence, par les jeux ou les sacrifices.. Les manipulations symboliques si nombreuses dans l’acte technique nous font supposer que l’homme craint la transformation de la matière".LA METALLURGIE DU FER : TECHNIQUE, SYMBOLIQUE ET SEMANTIQUE. Marie-Claude DUPRÉ” et BRUNO PINÇON
DIFFERENTIATION SOCIALE :
Au 13 -ème siècle l'Empire Mandingue qui s'étendait de la Guinée (son berceau) aux frontières Tchadiennes, englobait l'actuel Mali, le sud du Sénégal, une partie du Burkina-Faso, le nord de la Cote d'Ivoire, du Ghana et une partie du sud-est Mauritanien. Cet empire s'organisait en castes et chacune correspondait à une profession ou à une activité artisanale: griots, forgerons, tisserands, pêcheurs esclaves etc. Les castes d'artisans (.nyamakala, • manches à nyama , nom de la force cosmique) étaient craintes à cause de leur pouvoir occulte. .Le forgeron fut, dit-on dans un lointain passé le premier à se démarquer du reste de la population par son génie créateur.
Nobles, griots, forgerons les castes africaines perdurèrent en milieu rural et même de nos jours il reste très difficile pour les Keita, Coulibaly, Ba ou autres familles nobles d’épouser par exemple des Fane, Koumare, Balo ou Thiam forgerons.
Professeur de psychologie à Bamako Nambala KANTE est ainsi né dans une caste de forgerons malinké et devint apprenti pour exercer d’abord le métier de ses parents :
« Aux yeux de mes parents, nous représentons une caste supérieure, car nous sommes les hommes les plus instruits, les premiers savants de nos sociétés. J'ai souvent entendu des propos de ce type : • Ce sont nos ancêtres qui ont su extraire et façonner le métal et l'argile, qui ont su tailler le bois, qui par la circoncision et l'excision ont permis aux enfants de répondre aux exigences de leur sexe, qui dans les sociétés secrètes du kômô ou du nama ont enseigné la connaissance aux adultes, qui ont noué et resserré les alliances, qui ont soigné les malades... Nous sommes les initiateurs dans tous les grands domaines de la vie sociale. Nous sommes la seule catégorie d'artisans à détenir les secrets de la terre et du feu. .."
« Les forgerons tiennent une grande place dans l'imaginaire des peuples d'Afrique de l'Ouest, et ils sont liés à d'autres groupes sociaux par des relations de taquinerie comportant des interdits (Le parent à plaisanterie commun à tous les forgerons est le Peul. Mais chaque lignée a en plus ses parents à elle à elle : les Kéita avec les Kanté, les Konaté avec les Coulibali, etc. Les paysans et les éleveurs considèrent le forgeron comme un homme exceptionnel par ses pouvoirs sorciers, sa force physique et sa virilité. On dit que la grossesse d'une forgeronne dure de dix à onze mois, et il n'est pas rare d'entendre que ces enfants de caste naissent avec deux de leurs incisives, preuve évidente de leur aptitude à la sorcellerie ». FORGERONS D’AFRIQUE NOIRE NAMBALA KANTE . L’HARMATTAN
.Le terme de caste, en voilant la multiplicité des rapports sociaux, obscurcit pourtant la réalité plus qu'il ne permet de la comprendre. Il n’a pas le sens précis et restrictif du continent indien Aussi parle –t-on plutôt d’un « genre de caste » avec des précautions oratoires pour marquer une distance avec le schéma classique. Dans l'ethnographie ouest-africaine, le terme de caste le plus répandue, consistait à le réserver aux métiers spécialisés quoiqu’il comportait le plus souvent l’endogamie (mariage à l’intérieur du groupe primordial), un statut hiérarchique, les emplois par famille, et l’appartenance à ces derniers de naissance. En fait, on n'avait jamais affaire qu'à une conformité relative aux critères retenus comme caractéristiques de la caste : il ne s’agissait ici que d’une supériorité (ou d'infériorité) relative, d'une endogamie relative et d'une spécialisation relative, Si par exemple, les forgerons appartiennent le plus souvent à des clans spécialisés , cela n'empêche pas un certain nombre des membres de ces clans", de ne pas pratiquer leur art et des membres d'autres clans de s'initier au travail de la forge et de le pratiquer dans des circonstances particulières comme la prescription d'un devin, ou le mariage avec des femmes forgeronnes,. Si les familles de chefs observaient à l'égard des forgerons un interdit matrimonial strict, la prohibition était beaucoup moins nette pour les familles de modestes agriculteurs.
Les différences entre castes se sont estompées, tout particulièrement au niveau des métiers exercés. Plusieurs sortes d'artisans appartenaient d’ailleurs à la caste des forgerons, comme les bijoutiers, les menuisiers, potiers et potières, teinturières. Les forgerons étaient eux même d’une grande polyvalence. Ils fabriquaient beaucoup d’outils agricoles et d’armes ( mais cette fabrication fut interdite à la période coloniale.) mais aussi des bijoux, des bagues, des bracelets et des pendentifs. Ils façonnaient également des objets rituels, des figurines votives à représentations animales, particulièrement ceux qui font référence à la mythologie enfin les masques, lors de cérémonies initiatiques. Artisan du fer et du bois, le forgeron était encore traditionnellement puisatier, fossoyeur, (tâche peu valorisante) chirurgien, guérisseur, prêtre, thaumaturge et médiateur social..
Les Castes dressent bien encore une barrière matrimoniale, plus difficile à à franchir mais Nambala Kanté, par exemple, épousera pourtant une Peule contre l’avis de sa famille. Lui-même dans son livre résume les différentes fonctions liées à la « caste » d’où il est issu et suggère leur affaiblissement dans la confrontation avec l’islam
« A la base, il y a bien entendu le travail du métal pour les hommes, celui de l'argile pour les femmes. Mais les forgerons ont aussi pour spécialité de tailler le bois. Grâce à leur amitié avec les djinns, ils sont devins et voyants. Ces dons leur ont permis la constitution d'une véritable médecine, et cela fait d'eux non seulement des guérisseurs, mais aussi des magiciens redoutables. Ils gardent le secret de nombreux poisons et antidotes. Pour renouveler constamment les alliances avec les morts et les esprits de l'autre monde, ils procèdent à des rites. Dans les villages, ils sont chargés des cérémonies publiques. En ces occasions ils sont amenés à faire office de généalogistes. Ils dirigent les initiations des jeunes, les hommes s'occupant des circoncisions et les femmes des excisions. Ils sont les prêtres de la société initiatique du komo. Ils sont chargés des médiations dans les mariages et les conflits villageois. Ce quasi-monopole de nombreuses activités sociales fait qu'ils sont entourés de respect et de crainte. Dans leurs alliances matrimoniales, ils veillent soigneusement à ne pas émousser leur pouvoir sorcier par des mélanges inconsidérés. Ce qui compte, c'est l'appartenance par le sang à un tel groupe, et non l'activité professionnelle qu'on exerce de fait : quand on est né dans la caste, on « est » forgeron, qu'on le veuille ou non. C'est le principe même de la caste, qui est plus qu'une simple corporation professionnelle. Souvent méprisés à la suite des campagnes de dénigrement tà l'égard des religions traditionnelles menées par les musulmans, les forgerons finissent par ne plus être connus qu'au travers du discours de leurs adversaires. Mais ce qui se raconte à leur sujet est souvent très éloigné de la réalité. Il est vrai qu'ils sont très rarement de bons musulmans, étant trop impliqués dans les pratiques anciennes. » FORGERONS D’AFRIQUE NOIRE NAMBALA KANTE . L’HARMATTAN
LE FORGERON ET LA FORGE TRADITIONNELLE : L’EXEMPLE MINYANKA :
Les Minyanka constituent une population qui habite le sud-est du Mali et une partie du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire. Ce sont essentiellement des paysans.
Avant la période coloniale, et même jusqu'à la dernière guerre, il a existé une petite industrie extractive du fer à partir de la latérite en pays minyanka. Les forgerons véritables se livraient à l'extraction et à la fonte du minerai de fer. Celui-ci était abondant dans la région. Les premiers observateurs européens ont signalé la présence, en plusieurs endroits, de hauts fourneaux de petite taille, établis près des gisements les plus riches.
Cette exploitation du fer a cessé au lendemain de la guerre devant la concurrence du fer européen produit et vendu à meilleur prix. On rencontre encore, dans les villages minyanka, des forgerons âgés qui ont participé ou assisté à l'extraction du minerai et à sa fonte.
Le haut-fourneau traditionnel (kana) se présentait comme une tour de briques de 2 m 50 de haut, avec une base d'environ 2 m de diamètre et une ouverture au sommet d'un mètre de diamètre. Le tirage était assuré par des tuyères de terre. A la base, des ouvertures permettaient l'écoulement du fer en fusion et l'évacuation des scories. L'opération de fonte durait deux jours. Un feu de charbon de bois était allumé par le bas. Les forgerons chargeaient le fourneau par le haut, disposant en couches successives le minerai et le charbon de bois. Les scories étaient extraites à l'aide de crochets par les ouvertures pratiquées à la base. Le fer s'écoulait dans un moule de terre en forme de tuyau. On le cassait avec une hache spéciale. Il était ensuite débarrassé de ses impuretés et de l'excès de carbone par martelage. Les Minyanka connaissaient aussi la technique de la trempe.
Actuellement, l'extraction du minerai et la fonte a complètement disparu. Les forgerons travaillent à partir de la ferraille provenant d'objets manufacturés importés.
Traditionnellement un forgeron travaillait avec quatre outils de base outre le foyer : le marteau, l’enclume, la pince ,le soufflet
La forge était une petite case en terre. Le soufflet était constitué de deux poteries percées incorporées dans une butte de terre et recouvertes de peaux de boucs. Aux orifices de ces poteries, on ajustait un tuyau de bois fourchu (creusé au fer rouge). Le tronc de la fourche aboutissant au foyer de charbon de bois. Un apprenti forgeron actionnait alternativement les peaux produisant un souffle afin d'entretenir le foyer. Jadis, l'enclume était en pierre et une pièce de fer (sans manche) était utilisée comme marteau.
« Au plus profond de chaque pièce en fer subsiste la vie entière du cycle du fer. Pas à la périphérie de sa création, mais dans son noyau subatomique -depuis ses origines issues de la supernova aux méandres de son parcours dans le sang, de son usage le plus courant à son résultat le plus beau. Le fer existe dans un état de perpétuelle transformation et le forgeron africain, comme partout ailleurs, a momentanément eu le privilège et l'immense responsabilité de devoir élaborer des techniques pour son utilité avant qu'il passe, une fois encore, entre d'autres mains.
À l'image du marteau qui frappe, les objets qu'il a façonnés sont appelés à des actions décisives.
À l'image de l'enclume qui supporte et dévie, les objets forgés sur elle absorbent et rebondissent sous les secousses de l'impact fondateur.
À l'image de la pince qui agrippe, les objets qu'elle a protégés parviennent à affronter des situations difficiles et dangereuses.
À l'image du soufflet qui respire, les objets alimentés par sa chaleur encouragent la vie au travers de créations qui viennent au monde."
« FRAPPER LE FER ». MUSEE DU QUAI BRANLY. ACTES SUD.
RemerciementS pour les photos : LESLEY LABABIDI..copyright NOMAD4NOW
Le droit « coutumier, » régit la gestion de l'environnement en général selon une perception horizontale et verticale. La perception horizontale repose sur les rapports que les hommes entretiennent entre eux et entre eux et l'environnement. Cette perception définit un savoir, organise la connaissance fonctionnelle de la brousse ,de la forêt et de ses ressources et favorise ainsi la domestication de l'univers »naturel » et de ses composantes. La perception verticale, quant à elle, repose sur les rapports qu'entretiennent les populations entre elles et l'au-delà, et notamment les ancêtres dont les esprits reposent dans la forêt. Cette perception est légitimée par le caractère sacré de l'environnement en général et de la forêt en particulier, espace que choisit l’invisible pour se rendre présent et agissant..
La pensée bobo avec une grande attention toutes les singularités du sol : excroissances (termitières ou buttes , plateaux latéritiques dénudés), cavités .Ces anomalies sont interprétées comme étant les signes manifestes d’une présente divine. C'est dans le sein même de la terre que sont localisées un grand nombre de puissances surnaturelles qui empruntent les orifices du sol pour apparaître .Les légendes bobo sont intarissables au sujet des multiples espèces de « génies » qui résident dans le sol. Des hommes, eux-mêmes, y ont vécu et sont sortis par des trous : l’ancêtre d’une tribu a surgi ainsi d'un du trou et l’on appelle encore ses descendants "les gens du trou ".
I l est admis chez les Bobo qu’une puissance surnaturelle peut être la « propriété » de celui qui, le premier, est entré en contact avec elle et il est toujours reconnu que ce droit de propriété se transmet aux descendants, restant définitivement inscrit dans leur patrimoine. le terme de « propriété » est pourtant peu adéquat. Il concerne des notions juridiques propres aux sociétés européennes et qui ne sauraient s’appliquer lorsqu’il s’agit de définir des droits qui s’exercent sur des choses à la fois matérielles et immatérielles. C’est lorsqu’on étudie les systèmes foncier africains que l’on se trouve habituellement confronté à ce problème de terminologie : tous les auteurs reconnaissent qu’on ne peut à proprement parler d’une « propriété » de la terre en Afrique.La Terre est une divinité, le premier occupant d’une brousse vierge (ou, parmi ses descendants, celui qui le représente : le chef de terre) peut prétendre à certains droits sur elle, droits de nature religieuse plutôt qu’économique, mais en aucun cas il ne peut en disposer pleinement et, par exemple, l’aliéner. En revanche, le chef de terre est commis à exercer une sorte de gérance sur ce bien sacré dont il a .recu le dépôt, ce qui l’autorise notamment à en confier l’usage à des tiers. En ce qui concerne les droits religieux du chef de terre, il est utile de rappeler comment ils se fondent. Pour s’installer sur une terre vacante, il est nécessaire de conclure un pacte avec la divinité du lieu ; en échange du culte qui lui sera rendu, celle-ci concède aux hommes cette « propriété » du sol qui n’est, en fait, qu’un droit exclusif et permanent d’occupation et d’exploitation agraire. Mais on estime aussi qu’il entre dans les obligations de la divinité de favoriser loyalement les entreprises de ceux qui ont conclu le pacte avec elle. S’ils ont été fidèles à leurs devoirs religieux, les hommes se jugent donc en droit d’attendre et même d’exiger le succès de leurs travaux.
« Les principes qui permettent a un lignage de s’attribuer des droits sur une puissance surnaturelle, quelle qu’elle soit, sont ceux-là mêmes que nous venons d’évoquer à propos de l’appropriation de la terre. Cela apparaît d’autant mieux lorsque la puissance surnaturelle se présente, à l’exemple de la terre, sous un double aspect spirituel et matériel ; nous pensons ici tout particulièrement à Dwo, divinité qui se manifeste toujours sous la forme matérielle d’un masque (ou d’un rhombe). L’exercice des droits d’appropriation est naturellement plus apparent lorsqu’il s’applique aux puissances surnaturelles par l’intermédiaire d’une matière (comme la terre) ou d’un objet (comme le masque) qui les représente et dont on peut étudier facilement les modes de possession. » OP.CITE
La brousse est ainsi un lieu sacré appartenant au Créateur, Wuro, qui en a confié la gestion à Soxo son émanation. À son tour, celui-ci en confie la gestion au premier occupant qui a lié pacte avec lui et avec différentes forces habitant le terroir occupé. Le premier occupant devient de ce fait responsable de la gestion du terroir, ayant bénéficié de l'hospitalité de Soxo et des autres esprits du lieu, il matérialise son installation par un autel qui va consacrer le pacte . Ainsi un lien existe toujours avec les origines.
Les communautés riveraines qui exercent une pression sur l’environnement sont conscientes que celles-ci sont la demeure des esprits. Aussi, pour éviter ou prévenir les désordres que pourraient provoquer cette violence sur le monde des esprits, ont-elles mis en place des stratégies adaptées constituées notamment de sacrifices et d'interdits. Plusieurs espaces existent donc aménagés en des lieux de culte, espace en brousse où, périodiquement, la famille ou le village vient effectuer des rites pour solliciter le concours des esprits du lieu pour tel ou tel projet, remercier pour les bienfaits reçus ou les calmer pour une offense d'un villageois ou pour purifier la famille ou le village des souillures causées par des villageois, et qui n'ont pas été dévoilées, il s'agit d'un lieu de recueillement, d'un espace où l'assistance est en lien étroit avec "les esprits forces". On leur parle et ils répondent dans le silence. L'assistance est en rapport avec les Ancêtres auxquels on a préalablement demandé l'autorisation. Surtout , elle est en communion avec Dwo qui est le médiateur entre le village qu'il a créé et Wuro..
Le lieu de culte, dans les différents villages est très discret( plus le lieu de culte est discret et plus l'esprit du lieu serait attentif): une petite bâtisse conique sous un arbre, quelques cailloux symbolisent l'autel sur lequel on sacrifie.L'esprit du lieu réside sur une colline (au pied ou au sommet duquel est disposé l'autel), soit sur un arbre au pied duquel se trouve l'autel, soit dans l'eau (mare, source ou rivière). L'autel dans ce cas est disposé sur la rive. Au cas où l'arbre ou le cours d'eau disparaît on continue d'y sacrifier. Le lieu de culte peut se trouver aussi dans une forêt ou un buisson sacré»). L'autel y garde l'aspect d'une bâtisse conique ou d'un tas de cailloux. Le profane qui passe en ce lieu ne peut le repérer que par les plumes et le sang de la volaille ou des animaux sacrifiés.
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En définitive, dans la mentalité bobo , la brousse, la forêt, la rivière sont un univers plein de mystères, mais aussi plein de vies et qui vivifie.C'est un monde où l'on peut entrer pleinement en relations vivantes avec l'invisible. Arrivé à l'orée de ce lieu sacré, tout le monde se déchausse, car les chaussures symbolisent la lourdeur, la peine, la mortalité qui accable la nature humaine. Se déchausser, marcher pieds nus en ce lieu sacré, c'est sentir la stabilité de la terre et de l'univers, c'est en définitive entrer en contact avec cet univers qui sait tout de l'homme, qui le nourrit et qui l'accueillera à sa mort.Le village ou la famille s'y rend en début de saison agricole pour y solliciter une bonne saison rituel par lequel on demande non seulement l'autorisation de reprendre l'activité agricole, mais aussi une bonne pluviométrie et la protection contre les accidents et les maladies. Il demande ainsi à ces esprits forces un accompagnement afin que l'individu puisse se comporter dignement selon le code coutumier et éviter la colère de Soxo ainsi que celle des autres esprits qui sont sous sa domination et les sanctions qui peuvent en découler à tout moment. Lors de ces rites en début de campagne agricole, les anciens déposent de la cendre, prononcent leurs intentions et vœux et font des promesses d'offrandes (le plus souvent de la volaille) . En cas de sécheresse, on y retourne pour demander expressément l'intercession des esprits pour une pluviométrie abondante.
Certains anthropologues ont étudié la symbolique des arbres dans les sociétés africaines .L'arbre apparaît dans les communautés villageoises de l'Afrique de l'Ouest comme un être vivant qu'il faut craindre, défier, combattre ou vaincre. Certains ont un double immatériel et sont craints pour cela. Tout d’abord un arbre de taille importante ne doit pas être abattu parce qu’il est considéré comme habité par les « Esprits », ainsi le fromager et le kapokier. L’arbre personnalisé reçoit ainsi un nom
Lorsque l'esprit qui l'habite est hospitalier et participe à la vie de la communauté, il est protégé, choyé, entretenu. Mais lorsque la cohabitation avec l'esprit s'avère dangereuse pour les humains, soit on procède à des sacrifices pour le calmer, soit on déménage, soit même on le brûle.
Au pied de l’arbre est souvent un autel. Le village y procède à des sacrifices en début de saison pluvieuse pour solliciter de l'esprit du lieu une saison agricole sans accident et de bonnes récoltes . A la cérémonie des prémices et à la fin des récoltes, le village y revient pour présenter et offrir les premiers épis et remercier l'esprit pour les récoltes. Il est strictement interdit d'y tuer quelque être vivant, et notamment l'animal considérés comme fils de l'esprit tels le boa, le python, l'iguane, le caïman. Il est également interdit de couper tout autre arbre en ces lieux
C’est est également un lieu de pèlerinage pour tous ceux qui veulent venir s'y recueillir, se confier à l'esprit du lieu ou solliciter de lui une grâce particulière. Il y en a qui peuvent le voir en songe et après consultation d'un devin aller lui faire des offrandes soit pour rembourser une dette, soit pour réparer une faute commise même dans le passé par tout membre de la famille.
En Afrique, la présence d'une forêt ou d'un bosquet sacré dans chaque village renvoie à la fondation du monde, et c'est pour cela qu'il faut la préserver et l'entretenir. Les sociétés africaines ont, chacune, conçu, mis en place et fait fonctionner des rituels et des interdits qui réglementent rigoureusement la fréquentation et l'exploitation de la forêt ou du bosquet sacré selon les sexes, la saison ou les jours. Cette forêt ou ce bosquet peut-être située à l'orée du village, où au bord d'une rivière. Elle permet toujours de se référer à l'origine du village, de cultiver le savoir et donc de répondre à toute une série de questions qui se posent à la communauté villageoise. En outre, dans plusieurs villages, la forêt ou le bosquet sacré est un lieu d'infiltration des eaux de pluie et contribue donc au ravitaillement de la nappe phréatique.
La forêt sacrée est strictement interdite à l'exploitation. La tradition la ferme au public, et elle n'accueille la présence humaine que lors des rites aux esprits de la forêt ou des funérailles. Au cas où une personne voudrait y entrer pour une intention personnelle, il doit en avertir le responsable au culte qui en informera les autres notables. Il est toujours accompagné par le sacrificateur et d'autres membres de la famille ou du village, et cela le persuade de respecter les règles de gestion du lieu. La forêt sacrée reste ainsi le lieu par excellence de la biodiversité.
Dans la mentalité bobo, toute forêt est la demeure des esprits, et donc un espace mystérieux, un lieu d'insécurité où l’homme a intérêt à passer un pacte avec les esprits qui s'y abritent. Certains d'entre eux habitent la profondeur de la forêt où hantent les arbres . Ce sont des entités se présentant souvent sous l'apparence d'albinos, de nains et avec une longue chevelure ou des génies pouvant se présenter avec une forme humaine et uniquement visible par celui auquel il se révèle. Ils sont souvent mis en scène dans les contes. Ils peuvent être bons et livrer aux chasseurs des secrets de la forêt permettant à ceux-ci notamment de procurer des médicaments aux populations, ou encore des techniques culturales ou environnementales. Certains pactisent avec les hommes, et d'autres, plus dangereux peuvent rendre malades ceux qui les rencontrent..
Pour les Bobo, les rivières comme les autres points d'eau sont aussi mystérieuses que les montagnes et les forêts. Elles sont perçues comme des "êtres- forces", selon les principe de l’animisme.. Aussi sont-elles personnifiées par des noms propres, avec chacune sa caractéristique. Certaines sont réputées comme source de fécondité, d'autres ont la puissance de guérison, d'autres encore ont des vertus de purification et de libération de mauvais esprits, enfin certaines eaux sont réputées satisfaire les individus connaissant différentes difficultés. Pour les villages riverains, l'eau est source de paix et de cohésion dans la communauté villageoise. Aussi périodiquement les cours d'eau sont-ils sollicités pour la paix, la santé, la bénédiction féconde et pour le bonheur. Même si le cours d'eau, le lac ou la mare est à sec, l'autel continue à recevoir les offrandes.
En cas de conflit entre membre de la même famille ou entre familles, après conciliation, l'eau entre dans les rites comme élément d'apaisement des Ancêtres qui ont été offensés. Dans chaque rite aux différents autels, l'eau est donnée aux Ancêtres pour solliciter d'eux la paix. Si pour les Bobo , les esprits des eaux sont bienveillants, il n'en demeure pas moins qu'ils sont craints. En cas d'offense, ils sont capables de punition par noyade. Aussi chaque rivière a-t-elle droit régulièrement à un sacrifice pour pactiser avec elle. Dans certaines eaux ,lac sacré ou marigot ,la pêche est interdite, car les poissons, les caïmans et tout autre animal se trouvant à la source sont considérés comme fils de l'esprit de l'eau. Dans certains cas, les silures, les caïmans, les tortues, les grenouilles sont interdits de pêche, car ils sont sacrés.
Comme tout groupement n'accède au statut de village que s'il est constitué de différentes familles qui vont au-delà de la cohabitation pour la construction d'une communauté villageoise, cohérente et solidaire dans le temps, toute famille ou toute personne en quête d'une terre ou d'une communauté d'accueil doit être accueillie selon les commandements de l’Eprit et bénéficier d'un champ. Tout lignage ou grande famille qui reçoit un champ est tenu, de ce fait , avant tout défrichement, de procéder à l'installation d'un autel. Par la suite, le plus ancien de cette famille devient responsable de la gestion de ses champs .Périodiquement, il doit également sacrifier à cet autel en mémoire de ces premiers instants.
Tout champ acquis doit être obligatoirement mis en valeur sinon il est retiré. Au cas où il y a un empêchement, le donateur doit être informé. Tout champ mis en valeur ne doit jamais être retiré à l'occupant ou à ses descendants qui l'exploitent. Lorsque Soxo donne il ne reprend plus. Le retrait ne pourra intervenir que si l'individu commet une faute grave : crime de sang, vol, viol, mariage avec la femme d'un autochtone ou même d'un autre hôte, adultère avec l'épouse d'un autochtone, etc.
L'attribution d'un champ à une personne exige de celle-ci un savoir-vivre en communauté basé sur le respect de l'autre, la solidarité dans les épreuves, l'entraide dans le travail et une éthique à observer rigoureusement. Être paysan en milieu Bobo , c'est être un homme digne travailleur un sage, c'est-à-dire un homme qui a une manière de comprendre le monde et une manière de s'y comporter, mais aussi et surtout quelqu'un sur lequel le village peut compter.
I l est interdit de vendre son champ, car celui-ci est un patrimoine commun et sacré. Pour éviter que l'attributaire en fasse un bien privé qu'il pourra vendre un jour, il est interdit de planter des arbres, notamment fruitiers (manguiers, orangers, etc.). Le seul arbre dont la plantation est autorisée par la coutume est le renier, et cela, pour des raisons économiques car son vin est exigé lors des initiations au Dwo, ses feuilles servent à la vannerie des paniers et des nattes exigées pour les cérémonies des funérailles, son bois entre dans la construction des maisons. Il ne peut être exploité par personne d'autre que son propriétaire. Arbre du Dwo, le renier sert à délimiter les domaines.
« La gestion du foncier dans la communauté bobo est fonction de la perception que celle-ci a de ce patrimoine. La terre, mère nourricière, est considérée comme « bien commun », et donc revêt un caractère sacré. Aussi, sa gestion répond-elle à certaines normes souvent difficiles à accepter par des étrangers à la culture. La forêt et les bosquets, dans ces villages sahéliens, sont sacrés et souvent fermés comme c'est le cas dans la forêt du Kou au Burkina Faso. Ils étaient considérés comme « bien commun » et ne pouvaient être cédés à un individu, une famille ou tout autre organisation pour exploitation..
La brousse, lieu mystérieux, est aussi l'espace où les hommes, plus particulièrement le chasseur, vont s'inspirer, se ressourcer aux messages et pouvoirs des esprits qui y ont élu domicile afin de renforcer le désir de vivre ensemble, la cohésion villageoise. Les forêts, durant des siècles, protégées par des pratiques coutumières, et continuent encore de nos jours d'être animées périodiquement par des activités socio-religieuses et des rites sur des autels »
Doti Bruno Sanou : Politiques Environnementales : Traditions Et Coutumes En Afrique Noire . L’harmattan
l'homme ne peut finir de découvrir et de maîtriser la brousse ,en tant une sphère « sacrée » liée à 'invisible, qu’on doit respecter ,voire craindre.De cette idée découlent aussi des interdits concernant les rapports de l'homme avec la « brousse ». Les interdits imposent à l'être humain un code de conduite qui respecte la sacralité de la terre qui lui révèle, en tant que créature, Les sanctions imposées en cas de violation des interdits montrent l'importance que la communauté villageoise accorde au sacré. Le code de gestion de l'environnement a toujours tenu une place de premier choix dans la tradition. En réalité, la vie en brousse durant la saison agricole est une école d'éducation des enfants et de la jeunesse au contenu de ce code et sur d'autres éléments pouvant éveiller les consciences sur la sauvegarde de l'environnement ou sur les savoirs empiriques. Par exemple, l'apparition de certains oiseaux ou insectes annonce le passage d'une saison à une autre. Cette assiduité dans la transmission des savoirs a, au cours de l'histoire, favorisé la reconstitution des écosystèmes après certaines catastrophes naturelles telles que les sécheresses ou les inondations
Tout meurtre en « brousse » , source de vie et non de mort ,est interdit et considéré comme une souillure. Il nécessite une réparation, Et si le meurtrier est pris en flagrant délit, il subit le même sort que sa victime. Pour le Bobo, il n'y a jamais de mort sans cause. En cas de décès en brousse, un rite, l'interrogation se déroule au lieu du décès Tout décès en brousse est toujours perçu comme un châtiment de l'esprit contre le défunt pour une faute que l'on cherchera à identifier par le rite le l'interrogation ou en allant consulter un devin . En tout état de cause, s'impose un sacrifice de purification de la « brousse » (couper la brousse, purifier la brousse). Pour un cas de décès en brousse, la famille du défunt offre les éléments du sacrifice comme un bouc, des poules ,Toute personne décédée en brousse est enterrée en dehors du cimetière 'villageois sans toilette et sans petit caveau. Il est interdit de verser du sang humain en brousse, et donc de s'y battre avec des armes : les belligérants doivent se réconcilier avant le coucher du soleil, sinon une purification lieu est indispensable. Dans certains villages, lorsqu'une femme accouche au champ, il faut purifier la brousse par le sacrifice d'une poule pour le sang versé à l'occasion.
Les rapports sexuels sont prohibés dans la brousse, en dehors de la hutte « kuru »). La brousse est la terre nourricière et elle est considérée dans la mentalité comme l'épouse de Wuro qui la féconde par la pluie et lui ait produire de bonnes récoltes, donc la vie. Cet accouplement du ciel et de la terre est célébré dans le, en grandes pompes à la fête de la « poule de roche », réputée pour sa nombreuse progéniture. Cette fête célébrée en mai-juin, au début de la saison des pluies est le moment propice de la célébration des mariages traditionnels souvent regroupés à cette occasion. Aussi la sexualité en brousse apparait-elle comme un sacrilège qui demande châtiment et réparation cet acte ayant pour conséquence inévitable la sécheresse, signe que l'harmonie entre le ciel et la terre a été perturbée. Toutes les personnes prises en flagrant délit sont amenées à répéter en public, et au rythme du tam-tam, l'acte sexuel posé en brousse. S'étant souillées en souillant la brousse, elles doivent être purifiées par le rite qui consiste à passer une grande flamme entre leurs jambes pour brûler les poils de leurs sexes, parfois gravement. Ensuite l'immolation d'un coq et d'une poule clôt la cérémonie.
Le « droit coutumier »r dont l'application se fait de façon collégiale, a prévu des lois précises réglementant les activités des villageois dans la « brousse » concernant la coupe du bois, la cueillette, la chasse et la pêche. La coupe du bois vert est strictement interdite après les premières pluies et « dès que la première graine a été enfouie dans la terre ». Transgresser cette règle provoquerait les grands vents destructeurs de la récolte et la sècheresse. Un prélèvement peut être autorisé seulement pour refaire le toit de la hutte. La coupe du bois vert n'est autorisée qu'après le sacrifice d'offrande des prémices des nouvelles récoltes qui se déroule entre novembre et décembre. Cette cérémonie est appelée « offrande de la farine délayée » .La cérémonie des prémices consiste à en effet offrir de la farine délayée ou la pâte de la farine du nouveau mil en signe d'action de grâce aux différents esprits protecteurs du village. On doit offrir cette farine au « Kuru » (autel de l'esprit protecteur du village), et à DWO, en tant que fondateur de l'ethnie; de même aux autels dressés au village aux esprits communautaires ainsi qu'à ceux qui sont en brousse sur les rives des cours d'eau, sur les sommets des collines ou au pied des arbres. Cette cérémonie se déroule très tard dans la nuit en présence du collège des notables uniquement. Le lendemain, durant la journée, chaque famille se réunit pour effectuer les mêmes rites sur les autels familiaux dédiés aux Ancêtres et autres esprits protecteurs de la famille.
La cérémonie d'ouverture de la coupe du bois n'autorise en aucun cas la coupe du néré et du karité en raison de leur symbolisme culturel et de leur importance économique. Les fruits de ces arbres servent à produire du beurre de karité pour d'abord la consommation locale. De même la coupe de tout arbre en fleurs est interdite pour protéger la reproduction des essences. Quiconque coupe un arbre en fleurs ou portant des fruits non encore prêts pour la consommation, même le sien propre, est sanctionné . Il est strictement interdit de couper les gros arbres tels que le baobab, le fromager, le ficus, etc. Dans certains villages des essences sont interdites de coupe, parce que toutes ces plantes ont des vertus médicinales.
Les forêts sacrées les forêts galeries le long des cours d'eau et aux abords des sources sont interdites de toute exploitation..Il en est de même pour les espaces sacrés (lieux de culte) en brousse et dans la forêt. Chaque village a ainsi son « tolo » (forêt, colline ou mont sacrés) d'où viennent ses masques lors des funérailles. Lieu sacré, on ne s'y aventure pas n'importe comment. Les forêts galeries et les forêts aux abords des sources sont aussi protégées et constituent un espace de biodiversité.
Tout ancien est appelé à éduquer les jeunes à l'esprit de restauration de la flore, notamment par la technique de semis ou de plantation. Il est lui-même appelé à semer discrètement par exemple des noix de karité, des graines de néré en vue de restituer cet environnement qui l'a nourri, soigné et protégé depuis son enfance.
La cueillette des fruits du néré, du karité et des chenilles est réservée, dans les champs cultivés, aux familles qui exploitent ces champs et en entretiennent les arbres. Elle est permise à toute personne dans les champs en jachère, ou en pleine brousse. La date de la cueillette du néré peut être fixée après certains rites. Dans certains villages, la date de la cueillette dépend de chaque individu. Toutefois la cueillette des fruits non mûrs est sévèrement sanctionnée.
Les feux de brousse ne sont autorisés qu'après le rite du sacrifice d'offrande des prémices de nouvelles récoltes, et ils sont interdits après le « sanibige » ou fête de fin de récoltes et de retour au village. Entre les deux cérémonies, il n'y a que quatre mois tout au plus. Les feux de brousse ont pour objectif premier de créer une ceinture de sécurité autour des huttes d'habitation dans un environnement où l'herbe est très haute et contre les fauves, les reptiles ou encore des malfaiteurs. Les feux de brousse, après le sacrifice d'offrande des prémices, ne sont alors pas nuisibles à l'environnement et permettent une régénération de la flore par les jeunes pousses et les bourgeons qui leur succèdent peu de temps après. Ce sont des feux de brousse précoces. Les feux de brousse sont par contre, interdits après le «sanibige » qui se déroule entre les mois de janvier et de février car, l'herbe étant bien sèche en ce moment, les feux seraient incontrôlables et se répandraient sur de vastes superficies. Ils sont dangereux pour la flore, la faune et pour l'homme lui-même. Les arbres étant en floraison à partir de cette période, les feux de brousse sont néfastes pour les fruits, et donc pour la reproduction des essences floristiques. Aussi, toute personne prise en train de mettre le feu à la brousse après le rite du « sanibige «est-elle sévèrement sanctionnée par la communauté.
Les rivières sont sacrées et chaque village possède son autel ,près du rivage Il est strictement interdit de plonger dans ces rivières tout ustensile ayant été mis sur le feu pour la cuisson d'aliments. Il est également interdit d'y faire de la vaisselle et de la lessive. Pour éviter toute pollution préjudiciable à la flore et la faune du cours d'eau, l'individu doit porter son eau sur la rive pour y procéder à son activité.
Les relations sexuelles sont prohibées dans les rivières ou même au bord des rivières. Toute personne prise en flagrant délit subit la sanction de la flamme.de même personne ayant eu des rapports sexuels à l'intérieur d'une habitation ne peut se baigner dans la rivière que si elle s'est douchée auparavant à domicileLes inhumations et les toilettes mortuaires dans les lits des rivières sont strictement interdites. Périodiquement, les populations riveraines doivent entreprendre des activités d'assainissement des rivières polluées.
La pêche se pratique individuellement à la nasse ou « sié », ou à la ligne, constituée d'une fibre d'arbre et d'un hameçon, La pêche collective n'est pratiquée qu'à partir d'une date fixée pour tous, hommes comme femmes. Cette pêche collective, se pratique avec des nasses, et sa date est fonction de la ponte des poissons. Elle est toujours précédée d'un sacrifice à la rivière pour qu'elle épargne les pêcheurs de tous les dangers dans ses eaux. Il est autorisé l'utilisation dans certains cas de décoction de plantes pour droguer le poisson sans le tuer.
Les silures, sont épargnés au cours de la pêche individuelle et/ou collective ; ce serait de ces poissons que serait descendu l'être humain. Les tortues sont également épargnées dans certains cours d'eau et sources. Le code de gestion de l'environnement a toujours tenu une place de premier choix dans la tradition. En réalité, la vie en brousse durant la saison agricole est une école d'éducation des enfants et de la jeunesse au contenu de ce code et sur d'autres éléments pouvant éveiller les consciences sur la sauvegarde de l'environnement ou sur les savoirs empiriques. Par exemple, l'apparition de certains oiseaux ou insectes annonce le passage d'une saison à une autre. Cette assiduité dans la transmission des savoirs a, au cours de l'histoire, favorisé la reconstitution des écosystèmes après certaines catastrophes naturelles telles que les sécheresses ou les inondations.
"Toute communauté en constitution se dote obligatoirement d'un ensemble de règles et pratiques qui régissent les comportements individuels et collectifs. La coutume, au-delà des comportements qu'elle crée, est une modalité de mise en œuvre de la tradition qui a traversé le temps. L'ignorer dans la politique environnementale, c'est tout simplement transformer les hommes en main-d'œuvre, et donc les désintéresser du projet.
Les coutumes des villages ne constituent pas seulement des manières d'agir. Elles sont surtout une marque d'appartenance à un groupe et aussi un pont jeté entre les Ancêtres de l'au-delà et leurs descendants, entre le passé et le présent, entre hier et l'aujourd'hui. Ces coutumes sont raisonnables, conformes à l'ordre public, et par conséquent humaines. En outre, elles sont garantes de la décentralisation et de l'autonomie villageoise ; elles consolident le processus d'intégration ad intra et ad extra. L'environnement étant considéré comme un bien commun et, de ce fait, sacré, les coutumes qui régissent sa gestion sont presque similaires d'une communauté villageoise à l'autre. Les projets d'aménagement du territoire, de sauvegarde et d'aménagement des forêts trouvent ainsi dans les coutumes un tremplin pour leur mise en œuvre. En effet, la conception, la mise en place et le fonctionnement des coutumes régissant la gestion de l'environnement, dans le temps, ont permis à chaque village de prendre conscience de lui-même, de se transformer qualitativement, de se doter d'une identité et d'évoluer vers une communauté. Mais depuis la colonisation et l'entrée en contact avec d'autres cultures, et notamment les cultures véhiculées par les religions révélées, les traditions et coutumes des villages riverains des forêts africaines ont de plus en plus des difficultés à s'exprimer face à une législation qui, dans un premier temps les a combattues, et maintenant tend à les ignorer. Or, il est plausible que les traditions et coutumes qui régissent la gestion de l'environnement sont indispensables aujourd'hui à la sauvegarde et à l'aménagement des forêts et doivent être la source d'une législation moderne. Elles méritent seulement d'être actualisées dans leur esprit afin d'aider les communautés qui les ont conçues à l'origine à mieux vivre le présent et à être capables de se projeter dans le futur.
Mettre à profit les coutumes dans l'aménagement des forêts, pour et avec les communautés bénéficiaires, c'est aller de soi-même pour aboutir à soi-même à un niveau supérieur. Une telle méthode, bien appliquée, développe la confiance au sein de la collectivité bénéficiaire de tout projet, suscite en elle l'espérance qui l'amène à s'engager sans réserve dans le projet avec les moyens qui sont les siens. Ainsi, elle devient cet infirme qui «jette ses béquilles et marche sur ses propres pieds. »"4 : le pied dela liberté par lequel l'homme et la communauté réfléchissent, initient, inventent, et le pied de la nécessité par lequel ils mettent en place des institutions et structures pour vivre et survivre en harmonie."
Doti Bruno Sanou : Politiques Environnementales : Traditions Et Coutumes En Afrique Noire . L’harmattan
Mais la domination politique comporte un autre aspect que recouvre pareillement le terme de colonisation, à savoir l’exploitation économique.
Là encore, le mot exploitation n’a en soi rien de tragique dans son sens premier : L’exploitation est l'action de mettre en valeur un bien quelconque, c'est-à-dire d'en tirer profit : un exploitant n'est pas un exploiteur. Le sens neutre est strictement économique et privé de toute morale. On peut exploiter une terre, une forêt, des mines : foncière, forestière, minière, désigne aussi bien l'action que son objet. Il y a même un sens laudatif du mot qui découle d'une exaltation religieuse ou prométhéenne de l'action humaine qui transforme la face de la terre, en soumettant la nature à ses desseins. La découverte et l'utilisation des ressources dormantes sont une valorisation de la nature. Les problématiques écologiques tendent pourtant de nos jours à « déconstruire » ce sens en apparence banal.
Le devoir de mettre en valeur les ressources de la terre pour le bien commun de l'humanité a pourtant servi de justification à bien des exactions et des injustices. Les églises occidentales ont placé les biens de ce monde sous le signe de la Providence Divine, fondant le droit de coloniser .Quant aux colonisateurs français, ils enseignaient qu'il serait puéril d'opposer aux entreprises d’exploitation « un prétendu droit d'occupation et je ne sais quel autre droit de farouche isolement qui pérenniseraient en des mains la vaine possession de richesses sans emploi ». Cette idée prit un sens plus large : ce ne furent pas seulement les ressources naturelles qui ont été exploitées, les « ressources humaines » ont subi le même sort. On sait que dès la découverte des Amériques, la main-d'œuvre indigène fut ainsi exploitée par les particuliers et par l'État espagnol ou portugais dans les plantations et dans les mines. Epuisées par des conditions de vie sans précédent pour elles, les populations disparurent en tout ou en partie. Il fallut alors importer une main-d'œuvre de remplacement, celle des esclaves africains. « L'exploitation coloniale » se définit comme l'exploitation des ressources d'un pays pour le seul profit d'un autre.Une économie de type colonial» était une économie dépendante, « hétérocentrée ». Mais les marchands Européens ne jouaient pas le jeu de la libre concurrence : ils venaient, armés en guerre, pour imposer leurs conditions à leurs fournisseurs et pour éliminer tous leurs concurrents. Ainsi pouvaient- ils imposer leur monopole commercial, fixer les prix d'achat, mettre la main sur la production en imposant aux planteurs indigènes les formes de dépendance ou de servitude , jusqu’à la plantation d'esclaves comme cas extrême. L'usage de la force armée pour garantir de hauts profits aux organisateurs du commerce a fondé le « pacte colonial », qui a survécu dans les mémoires à son abolition effective et reste sous- entendu dans la notion courante de la colonisation. Il a changé de forme mais resta sous-jacent aux rapports de l’économie libérale.
« le système de gouvernement imposé par les métropoles à leurs colonies, et connu sous le nom de pacte colonial, contenait comme principes essentiels les cinq points suivants : 1° Monopole de la navigation réservé au pavillon national ; 2° Débouché de la colonie réservé aux produits manufacturés de la métropole ; 3° Approvisionnement de la métropole en matières premières et denrées coloniales imposé aux colonies ; 4° Interdiction aux colonies de se livrer aux industries et même aux cultures qui ont des similaires dans les métropoles ; 5° Taxes financières sur les produits tant à leur sortie des ports coloniaux qu'à leur entrée dans les ports métropolitains » Au XIXe siècle, la victoire des conceptions libérales mit fin au pacte colonial, aux monopoles et à l'étatisme. L'Angleterre, forte de sa coloniale, donna l'exemple d'une politique nouvelle, sur le libre échange. Mais on vit alors que les lois du marché être aussi oppressives et aussi exploiteuses que les règlements du pacte colonial. Les domaines ne sont plus des possessions exclusives. Mais l'économie qui se forme est plus que jamais dépendante des puissances financières de l'Europe du nord-ouest, qui exploitent aussi bien, voire mieux, les États juridiquement indépendants que leurs possessions coloniales.
L'exploitation des États se fait par l’intermédiaire de capitaux dans les emprunts publics émis par les États ou les municipalités soucieux de se moderniser. Elle aboutit au paiement d'intérêts, plus avantageux que ceux des placements locaux et souvent à la faillite de l'État débiteur et à la prise de gage par les créanciers : contrôle de la dette, directions des douanes, régie de certains impôts. Cette dépendance économique réduit la souveraineté de l'État et conduit souvent à son occupation militaire et à l'imposition d'un protectorat. L'exploitation des États n'est plus possible sous cette forme après l'annexion. L'exploitation directe des ressources du pays, indépendant ou annexé, se fait par investissements de capitaux dans les sociétés minières, ferroviaires, portuaires, des eaux, du gaz ou de l’électricité. Sources de profits rapatriables, ces investissements aussi la fourniture de matières premières à l'économie en même temps qu'ils donnent l'occasion de commandes de matériel, car la recherche de débouchés sûrs à l'extérieur est une obsession en cette époque de surproduction et de protectionnisme». Le principe de complémentarité repose désormais sur les besoins économiques des métropoles en pleine évolution : les matières de l'industrie prennent une place croissante dans les « coloniales ». JF BAYART/ L’ETAT EN AFRIQUE FAYARD.
Une des conséquences premières de ce qui précède fut la création d’un individualisme économique à la place des sociétés anciennes qu’on a parfois qualifiées de « collectivistes. Quelque soit la valeur discutable du terme, il marque un changement social par rapport aux traditions qui persistaient. Ceci explique pour G. Balandier les tensions des sociétés africaines contemporaines en régime post colonial, dues aux multiples composantes en décalage perpétuel. En reconnaissant cette complexité multiple, « l’étude dynamique des sociétés traditionnelles en transition permet de corriger la représentation simplifiée de structures sociales con sidérées trop souvent sous l’angle de la pureté ou de la primitivité ».
. Selon Balandier les sociétés anciennes se caractérisaient par le faible volume et le peu de diversité des biens produits ; le petit nombre des biens durables domestiques troupeaux de bovins et terre) ; enfin le bas niveau des besoins .D’ un autre côté la richesse relative s’ associait à la possession du pouvoir ; elle appartenait automatiquement à une aristocratie restreinte et se trouvait contre balancée par des fonctions à accomplir et, en même temps, par une obligation de générosité :c’était le Système Du Don, dans un triple obligation : Donner, Recevoir, Rendre. Les procédés traditionnels d’accumulation visaient à gagner en prestige et en autorité par un élargissement de la zone influence. La richesse, ainsi conçue, apportait assez peu d’avantages matériels ; la satiété était vite atteinte et de l’esclave au chef de lignage, les différences de niveau de vie restaient peu marquées. En fait on considérait celui-ci comme le gestionnaire d’une richesse à caractère collectif .Aussi cette dernière servait-elle pour une part importante aux investissements sacrés qui devaient assurer la santé et la fécondité du groupe : fêtes périodiques en honneur des ancêtres tombeaux coûteux etc. La politique d’alliance et aussi de prestige du groupe, la sécurité matérielle de chacun, prise en charge par les hommes à la fois riches et responsables, était la mesure de leur réussite en ces divers domaines.
Les conditions modernes sont radicalement différentes : les biens deviennent nombreux et diversifiés. Ils sont recherchés pour les commodités ; ils offrent une valorisation qui fait que leur possession confère un prestige, dû autrefois à la seule générosité. La compétition intérieure pour les biens est établie et se généralise tel point que le calcul économique des individus emporte sur les obligations coutumières au détriment des solidarités anciennes. La richesse n’entraîne plus nécessairement sa compensation en responsabilités sociales. L’expansion de la culture du coton a, par exemple, accéléré ce mouvement et superposé une paysannerie ancien style à une classe de petits propriétaires fonciers et une classe de grands propriétaires dont certains absentéistes, animateurs d’affaires multiples, y compris les anciens rois et chefs traditionnels. « Ainsi est-il noté que certains modèles continuent à façonner les rapports sociaux alors ils ne sont pas accordés aux nouvelles conditions économiques et politiques. Les structures se transforment plus vite que les systèmes institutions qui organisent officiellement leurs relations mutuelles .Ce décalage reste d’autant plus accusé que les forces de changement ont une origine étrangère, de même que les agencements modernes qui s’imposent au détriment de ancien ordre de choses ;en ce sens la situation dite coloniale ou de dépendance retarde le moment de la restructuration totale et de la réorganisation efficace .En raison de cet effet de retardement, on saisit comment opère le passage un système socio-économique à une autre sans qu’il ait jamais comme dans l’ordre naturel transformation brutale et globale .On remarque aussi avec plus de netteté le caractère hétérogène et approximatif des économies et des sociétés considérées en tant que systèmes. « Les sociétés étudiées aujourd’hui en Afrique Noire résultent du conflit de deux principes de structuration et organisation qui sont contradictoires : d’une part la parenté au sens large, les liens du sang et d’alliance ainsi que la justification mythique des rapports sociaux ; d’autre part les différenciations et les compétitions qu’ implique l’économie de marché le rationalisme économique et les calculs auxquels se trouvent de plus en plus contraints les individus et les groupes. Cette transformation introduit Africain dans un univers social plus hétérogène et plus instable mais aussi plus abstrait que celui régi par la coutume à une date récente.» GEORGES BALANDIER Structures Sociales Traditionnelles Et Changements Economiques. Persée
L’ethnologue Catherine Baroin a étudié ainsi les effets de la colonisation sur une société du Niger ,les Daza . Une population qui voulait pourtant rester traditionnelle. On comprend mieux certains aspects des conflits actuels au Niger si l’on suit son analyse. Les Daza et leurs « forgerons », les Aza, formaient l'élément méridional du vaste ensemble culturel des Téda-Daza, communément appelés Toubou. Ils occupent un vaste domaine géographique qui s'étend du sud de la Libye au lac Tchad, et de l'est de la République du Niger à l'est de la République du Tchad. Leur nombre est estimé à 200 000 environ et ils sont à peu près 10 000 au Niger et vivent dans la zone sahélienne aux confins du désert (moins de 250 mm de pluie par an), de l'élevage associé de vaches, chamelles et chèvres. Cet élevage extensif les contraint à un habitat dispersé : leurs campements excèdent rarement une vingtaine de tentes. La société se composait d'un ensemble de clans patrilinéaires, possédant chacun son territoire, entre lesquels régnait un état de « feud » ,(guerre) quasi permanent. • Souvent qualifiée ď « anarchique », la société daza frappait par l'absence apparente de hiérarchie institutionnalisée. Il existait néanmoins quelques « familles de chefs », dont la nature est mal connue. Mais il semble que la plupart des chefs ne devaient leur pouvoir qu'à leurs vertus guerrières. Ce pouvoir, remis en cause à la première bataille perdue, n'était jamais stable. — La « guerre » menée par ces chefs prenait essentiellement la forme de razzias. Celles-ci visaient surtout les troupeaux, marqués à titre préventif par chaque propriétaire de la marque de son clan. Les troupeaux, sans cesse à la merci d'un vol, nécessitaient une surveillance assidue. La richesse était aléatoire.
Les expéditions coloniales qui furent envoyées vers le Tchad avaient « des buts essentiellement militaires et politiques : l'aspect économique et commercial n'intéressant guère ici ces conquérants. II fallait devancer les Anglais, les Allemands et même les Belges. La marche coloniale au Tchad fut ainsi l'œuvre conjointe de trois colonnes expéditionnaires françaises à but politico-militaire, parties du Sahara (Foureau-Lamy), du Congo (Gentil) et du Soudan (Voulet-Chanoine) .Cette dernière se livra à une violence tragique, massacrant femmes et enfants sur son passage , rasant les villages. Les deux chefs finirent par vouloir se tailler un empire personnel ; Ils firent ouvrir le feu sur la colonne envoyée les remplacer, tuant le colonel. Ils périrent à la fin dans la mutinerie de leurs tirailleurs.
Le résultat fut la pacification des Daza et la suppression de l’état de guerre mais des conséquences essentielles d’un point de vue économique et politique. Le progrès de la scolarisation et de l’économie toucha surtout les Aza, caste de forgerons et d’artisans. Ils se séparèrent des Daza . « La pacification coloniale, parce qu'elle était en contradiction complète avec le système social préexistant, fut donc à l'origine de profonds bouleversements dans la société traditionnelle daza. Elle entraîna le démantèlement du système politique de la société daza précoloniale, l'affaiblissement de son organisation clanique, une perte partielle de prestige et de richesse .Elle fut également à l'origine d'une insertion plus grande de cette société dans une économie de marché monétisée (qui n'est pas elle non plus sans menace, puisque pour se procurer de l'argent les Daza sont obligés d'entamer leur capital, c'est-à-dire de vendre leur bétail). »
« Mais il se trouve que les deux aspects (culturel et économique) de la domination coloniale qui paraissaient à court terme les moins destructeurs pour la société traditionnelle daza sont ceux qui, à long terme, risquent de lui poser les plus sérieux problèmes. a) L'influence culturelle, la scolarisation. seuls quelques fils de chefs ont été scolarisés. Ils n'ont que ou pas eu d'influence sur les autres Daza car l'école a entraîné un changement de leur mode de vie et un relâchement de leurs liens avec leur milieu d'origine. Mais c'est précisément cette absence de scolarisation qui est porteuse pour les Daza d'une des plus lourdes menaces. En effet, quand les divers États africains acquirent leur indépendance, seuls des hommes suffisamment instruits purent prendre en mains les rênes du pouvoir. Ce furent donc plus souvent des sédentaires que des nomades puisque ce sont les sédentaires, plus accessibles, qui ont dans l'ensemble le mieux fréquenté les écoles françaises.
Or il est important, dans ces pays qui regroupent des ethnies diverses, que chacune d'elle puisse défendre en haut lieu ses intérêts. ce n'est pas le cas des Daza qui, dans ce pays, restent encore largement en dehors de la scène politique b) La domination économique. Sur le plan économique, la colonisation avait vis-à-vis d'éleveurs comme les Daza deux buts essentiels : encaisser l'impôt et stimuler l'élevage. Nous avons vu que la nécessité de payer l'impôt, et de le payer en argent, avait entraîné une plus grande insertion des Daza dans une économie de marché monétisée. Pour stimuler l'élevage, on fit construire quelques puits cimentés, qui permettent d'abreuver un plus grand nombre d'animaux que les puits traditionnels, coffrés de bois. On put ainsi augmenter la densité du cheptel sur le territoire daza. La population s'accrut également, grâce à des soins médicaux meilleurs, mais aussi en raison d'une importante immigration de Daza du Tchad vers le Niger, Cette population accompagnée de son cheptel s'est installée depuis trente ans environ de plus en plus loin vers le nord, aux confins du désert. Cette montée vers le nord allait faire disparaître en bonne partie la faune abondante de la région (autruches, antilopes, etc.), mais surtout, elle mettait en danger l'équilibre écologique délicat de la zone subsaharienne, dont elle a accéléré la désertification. Si l'aspect politique de la domination coloniale a donc été, pour la société traditionnelle daza, le plus lourd de conséquences, en raison de la contradiction logique entre la « pacification » et l'organisation sociale précoloniale, les aspects économiques, sociaux et culturels de la colonisation n'en ont pas moins eu, eux aussi, même si c'est de façon négative ou moins directe, d'importantes répercussions. Au total il apparaît, au travers de cette analyse, que la société daza actuelle est profondément différente de la société daza précoloniale. Les Daza, en dépit du caractère peu accessible de la zone qu'ils occupent et en dépit de leur refus du changement (refus de l'école, attachement à des valeurs morales qui apparaissent révolues dans le contexte actuel) n'ont pu échapper à ce bouleversement » CATHERINE BAROIN .EFFETS DE LA COLONISATION SUR LA SOCIÉTÉ TRADITIONNELLE DAZA . JOURNAL DES AFRICANISTES.
L’impact le plus évident de plusieurs siècles de contact avec l’Europe a été de reconfigurer la conception de l’organisation territoriale et de l’exercice de l’autorité. De ce contact entre les sociétés africaines et occidentales, sont nés, après les indépendances, des États et des formes institutionnelles qui sont surtout des formes hybrides. Malgré le volontarisme des élites nationalistes qui, aux indépendances, étaient déterminées à retrouver une authenticité africaine et de nouvelles formules institutionnelles et politiques rompant avec le système colonial, l’État postcolonial en a gardé la plupart des traits , reproduit l’essentiel de ses logiques après avoir bouleversé les anciens équilibres, en détruisant les aristocraties, et favorisé l’émergence de nouvelles élites. Un ensemble de catégories sociales issues de la colonisation vont ainsi contribuer à l’état post colonial
"Dans la continuité du commerce de traite, « légitime » ou non, l'occupation coloniale a supposé l'intermédiation active de toute une série de catégories sociales, dont le régime d'Indirect Rule britannique a été l'expression administrative la plus achevée, mais qui ne saurait se réduire à cette architecture politico-bureaucratique. Car en-deçà des aristocraties, des cours et des chefferies historiques ou pseudo-traditionnelles cooptées par le colonisateur, - ou au contraire « court-circuitées » par celui-ci, comme dans le cas de l'Empire français, pétri d'idéologie républicaine anti-« féodale », tout au moins jusqu'à la Première Guerre mondiale et chez les administrateurs civils - les élites allogènes impériales et « transnationales » - telles que les Asians, les Goanais, les Brésiliens, les Cap-Verdiens, les Krios, les Libanais - et surtout une population anonyme de catéchistes, d'interprètes, d'instituteurs, d'infirmiers, de derks, de commerçants, ont œuvré au jour le jour et contribué à la cristallisation du clientélisme de l'« État-rhizome », ainsi qu'à la consolidation de son économie politique rentière et à la fortune de ses « gate-keepers ».. JF BAYART/ L’ETAT EN AFRIQUE FAYARD.
En premier lieu, l’héritage colonial se manifesta par l’introduction de la clôture territoriale dans des contextes où elle n’existait pas toujours, du moins sous la forme qu’elle prend avec l’État moderne et ses frontières clairement délimitées. Les Etats africains n’ont donc pas été le produit d’une évolution endogène mais hâtivement construit par le processus colonial sans participation des populations ,alors que les Africains mettent l’accent sur leur localité, leur région, ou leur ethnies. Les frontières et les identités territoriales ont alors peu de chances d’être pertinents dans de futurs États. Il a existé par ailleurs une corrélation forte existe entre le mode de décolonisation et la nature des régimes qui ont immédiatement été installés. Des types régimes peuvent être, dans leurs grandes lignes, dressés sur la base de ce critère. Là où la décolonisation a été précédée d’une guerre de libération nationale, comme en Algérie, en Angola, au Mozambique, au Cap-Vert et en Guinée-Bissau, les régimes qui ont émergé ont généralement été institués par le groupe armé qui avait réussi à se présenter comme le principal adversaire de la puissance coloniale. Auréolé de cette « légitimité historique » conférée par la prise des armes, ce groupe a généralement instauré dès le départ un régime autoritaire. Là où l’accession à l’indépendance a suivi le mode de « décolonisation à l’amiable » à l’inverse – et c’est la catégorie dominante –, les pays n’ont été soumis à l’autoritarisme que plus tard, après une courte période d’expérience pluraliste. Ce fut notamment le cas des anciennes colonies françaises et britanniques.
À l’indépendance, ces pays avaient adopté un modèle parlementaire pluraliste. Mais l’absence la faible socialisation démocratique des élites conduisent rapidement ces pays à sombrer l’un après l’autre dans l’autoritarisme. Les institutions formelles transférées aux Africains après les indépendances étaient de nature exogène et autoritaire, conçues pour assurer la domination et peu préoccupées par la légitimité. Dans la plupart des cas, les élites au pouvoir supprimèrent rapidement le pluralisme partisan et instaurèrent des autocraties personnelles. Certains de ces autocrates créent des partis uniques considérés comme des instruments efficaces de mobilisation. Dans d’autres cas, en commençant par ceux du Congo et du Togo, les militaires font irruption pour prendre le pouvoir.
Du régime colonial a subsisté en particulier les différentes formes de coercition comme « formes de gouvernement : "Non seulement la coercition est un mode de régulation de l'« État importé » et d'accaparement de ses ressources, mais encore son exercice est au cœur de sa relation diplomatique avec le monde : soit que les puissances étrangères soient parties prenantes de sa violence par le biais de la coopération militaire et policière, soit qu'elles la condamnent avec toutes les ambivalences et complications que l'on connaît. De ce point de vue il est clair que le sous-continent est entré dans une autre phase de son histoire. La coercition y connaît une intensité inédite, sous la forme de répressions et de guerres hautement professionnalisées et techniques qui introduisent de nouvelles catégories politiques comme celle de race et se traduisent par des génocides, mais également sous celle d'une dérégulation (ou d'une démocratisation ) de l'usage de la violence, dans le cadre de mouvements armés collectifs ou d'une délinquance plus individuelle, que permettent l'abaissement du coût, et donc une circulation accrue, de l'armement. ..Bastonnades, tortures, supplices, massacres, déplacements ou regroupements forcés de populations, batailles, agressions, vols, pillages, confiscations sont érigés en procédures quotidiennes du politique, qu'appliquent des personnages sociaux désormais bien campés : le soldat, le combattant, le douanier, le policier, le délinquant, ou le simple quidam pilleur d'un jour". JF BAYART/ L’ETAT EN AFRIQUE FAYARD.
Deux concepts vont alors expliciter les formes politiques des sociétés africaines contemporaines : celui de « Néopatrimonialisme » de Jean Francois Médard ;celui de « Politique Du Ventre », de Jean François Bayart. Ils caractérisent tous les deux des formes politiques hybrides issues de la tradition et du colonialisme. Le néopatrimonialisme est une adaptation de la domination traditionnelle proposée par Max Weber. Celui-ci distingue, trois types de domination légitime selon que l’autorité est acceptée en vertu de la coutume (domination traditionnelle), des qualités personnelles du chef (domination charismatique), ou enfin de la loi (domination légale-rationnelle). Au sein de la domination traditionnelle, Weber estime qu’« avec l’apparition d’une direction administrative (et militaire) purement personnelle du détenteur du pouvoir, (ce qui fut le cas dans beaucoup de régions africaines) toute domination traditionnelle incline au patrimonialisme et, à l’apogée du pouvoir du seigneur, au sultanisme ». Jean-François Médard, traitant de la question de l’État en Afrique, le qualifie en effet de néo-patrimonial. Son propos tend à démontrer que la plupart des États du continent (sinon tous) mais à des degrés divers, ont ceci de particulier qu’ils partagent ensemble un fonds commun néo-patrimonial. Pour l’auteur, les États africains seraient de type mixte, un mélange à la fois de traditionnel et de moderne. Le chef succède aux rois traditionnels, (en particulier ceux de la colonisation), dont il arbore parfois les symboles à destination du peuple -ainsi la toque en peau de léopard et le bâton de commandement de Mobutu- mais La présence d’une bureaucratie vient témoigner à l’inverse de la modernité. Autant le chef a tous les pouvoirs et gère le territoire comme s’il s’agissait d’un domaine personnel, autant il doit composer avec des pratiques dites modernes dont la mise en place d’une bureaucratie. En d’autres termes, tous les États africains sont gérés comme des entreprises privées, selon un mode de domination patriarcale (celui des anciennes chefferies avec leur espace politique séparé et hors clan comme entité politico-économique) ce qui est un véritable obstacle à leur développement. Le patrimonialisme se caractérise essentiellement par l’absence de distinction entre domaine public et domaine privé, puisque « le chef patrimonial traite toutes les affaires politiques, administratives ou judiciaires comme s’il s’agissait d’affaires personnelles, de la même façon qu’il exploite son domaine, comme s’il s’agissait de propriétés privées». Le néopatrimonialisme mène à la personnalisation du pouvoir et donc à un déficit d’institutionnalisation, mais aussi à l’arbitraire et à la tendance à l’autoritarisme. D’autre part, toujours selon l’analyse que Médard fait des écrits de Weber, le patrimonialisme regroupe des pratiques comme le clanisme, le népotisme, le tribalisme, la corruption etc. et toutes ces pratiques sont le lot commun de beaucoup États africains. Le système comporte en outre appelle «un mode particulier d’accumulation des ressources politico-économiques et symboliques». En Afrique selon Médard, il faut être riche pour avoir le pouvoir, et il faut avoir le pouvoir pour être riche. Médard part du modèle du Big Man qui réussit à se constituer un capital de relations personnelles dont la polygamie traditionnelle et la Mercedes seraient des symboles. . Une fois ce capital relationnel réuni, et grâce aux pratiques néo-patrimoniales (pouvoir personnel, appropriation, exploitation etc.), le Big Man peut ensuite aspirer à accumuler un pouvoir politique, gage à son tour de succès économique. Le pouvoir politique va servir à enrichir son détenteur et le pouvoir économique, ainsi acquis, va servir à accroître le pouvoir politique et ainsi de suite. Le concept de Big Man est emprunté aux sociétés mélanésiennes d’où les grades pouvaient s’acquérir par des mérites personnels mais il a d’une certaine façon existé dans certaines sociétés africaines traditionnelles : des chefs cumulaient ainsi richesses et pouvoirs en multipliant la possession de fétiches qu’ils cherchaient à acquérir par tous les moyens. La caractéristique finale de l’État néo-patrimonial en Afrique est qu’il est l’instigateur des inégalités sociales sur le continent, parce qu’il est à l’origine de l’émergence d’une classe dite dominante ou de privilégiés et une autre constituée des laissés-pour-compte.
J.F Bayart analyse, pour sa part, les groupes sociaux qui se disputent l'Etat postcolonial et les différents scénarios qui ont prévalu depuis la proclamation des indépendances : formation d'une classe dominante, dépendance des sociétés africaines vis-à-vis de leur environnement international, place déterminante en leur sein des stratégies individuelles ; importance des réseaux d'influence et des terroirs historiques dans le déroulement des conflits.
Il va ainsi introduire le concept de « Politique du ventre » qui désigne une manière d'exercer l'autorité avec un souci exclusif de la satisfaction matérielle d'une minorité.L'État africain serait ainsi une hybridation entre l'État bureaucratique occidental et les sociétés africaines. Il fonctionnerait comme un rhizome de réseaux personnels et assurerait la centralisation politique par le truchement de liens de parenté traditionnels , de cooptation, d'alliance et d'amitié et fondé sur un système des prébendes . La trame et la lutte pour le pouvoir seraient d'abord une lutte pour les richesses. . La fin de la colonisation sanctionnait en effet la levée de nombre des contraintes politiques, administratives et économiques qui contrariaient les projets et l’appétit des accumulateurs africains. L’une des ruptures décisives de l’indépendance a résidé ainsi dans l’accès direct aux ressources de l’Etat des élites autochtones, jadis bridées par la tutelle du colonisateur. « Elle leur ouvrait la maîtrise du cadastre, du crédit, fisc des offices de commercialisation, des cultures de rente, de l’investissement public, de la négociation avec le capital privé, des importations".
Autant dire que les nouvelles élites scolarisées sous la colonisation, « les évolués » et qui ont constitué la nouvelle classe politique des indépendances ont intériorisé et adhéré de fait à nombre de valeurs des colonisateurs.
« Iraient dans ce sens la reconduction et souvent la défense acharnée du cadre territorial de l'État-nation dans ses frontières impériales, l'acceptation et l'intensité du sentiment d'appartenance nationale, la résilience des identités particulières dites « primordiales » nouées lors du moment colonial, l'adoption de l'institution bureaucratique par les classes politiques mais aussi par les forces sociales dans les champs religieux et associatif,… Bon an mal an, les acteurs contemporains renouvellent leur adhésion aux différentes variantes du « type d'homme » que le moment colonial a fondé, selon le genre discursif nationaliste, mais aussi à travers d'autres langages tiers, d'ordre économique, financier, monétaire, politique ou religieux, comme ceux de la « réforme », de la « bonne gouvernance », de la « rigueur », de la « prospérité » pentecôtiste et islamique, de la « société civile » ou tout simplement du savoir scientifique et des règles juridiques. Et aussi ils mangent, se lavent, se parent, s'habillent, se logent, se déplacent, écrivent, lisent, font l'amour et la guerre selon des usages et des appareils de « prove¬nance1 » coloniale. Littéralement le Verbe colonial s'est fait Chair. JF BAYART/ L’ETAT EN AFRIQUE FAYARD.
Les positions de pouvoir vont devenir ainsi des voies prioritaires qui mènent aux ressources de l’aide extérieure et de l’ascension sociale (ressources politiques, militaires, économiques et éducationnelles, bourses...). Elles permettent des positions de prédation : la collecte de l’impôt, la fourniture de papiers administratifs sont les occasions d’extorsion les plus répandues, d’autant que les fonctionnaires sont très mal payés. L’agent de l’Etat se paie sur les administrés (faute d’être payés sur le budget de l’Etat). D’où les pots de vin (pour marchés publics), taxes à l’importation (y compris l’aide alimentaire). Ceci est facilité par le fait que dans la plupart de ces pays, l’exercice de responsabilités administratives n’exclut nullement ‘acquisition et la gestion d’un patrimoine personnel, comme l’avait souligné Médard.. Le Chef d’Etat a veillé à la fusion des sphères du public et du privé. Dans ce système, les conflits de pouvoir se structurent non pas autour de classes sociales mais de factions, de clans, qui parasitent les institutions. Ces luttes factionnelles irradient tous les secteurs de la société.
La politique du ventre est ainsi un phénomène social total au sens de Mauss : L’expression touche à la fois la nécessité de se nourrir qui reste une préoccupation essentielle ; elle vient de la sorcellerie dont l’origine traditionnelle serait une entité logée dans le ventre du sorcier, lequel est défini comme un « mangeur d’âmes ». . Manger a bien d’autres sens : surtout politique et social, il signifie avant tout, les activités d'accumulation, qui ouvrent la voie à l'ascension sociale et qui permettent au détenteur de la position de pouvoir de « se mettre debout ».
« Mais il n'est guère envisageable que les femmes soient absentes de ce manège puisque, dans maintes sociétés anciennes, elles étaient « la substance même de la richesse " ». La « politique du ventre » est aussi celle du marivaudage, de ce que les Congolais appellent le « deuxième bureau », et les maîtresses sont l'un des rouages de l'État postcolonial. Le «ventre», c'est simultanément la corpulence qu'il est de bon ton d'arborer dès lors que l'on est un puissant. »…
Les Camerounais savent que la « chèvre broute là où elle est attachée » et que les détenteurs du pouvoir entendent « manger ». « Un décret présidentiel relève-t-il un directeur ou un préfet de ses fonctions, le petit cercle d'amis et l'entourage familial expliquent l'événement aux villageois en disant : " On lui a enlevé la bouffe. " Au contraire, si c'est une nomination à un poste important, le commentaire triomphant devient : " On lui a donné la bouffe. " Le plus embêtant, c'est que l'intéressé lui-même, démis ou promu, est convaincu intimement qu'on lui a enlevé ou donné la bouffe», déplore l'éditorialiste de Cameroon Tribune, Et, toujours à Yaoundé, on a vite transformé le terme de « crédit » - dont l'octroi par les banques est le plus souvent conditionné par des considérations politiques - en « kel di », expression qui veut dire « aller manger » «. Cet idiome de la « politique du ventre » n'est pas propre au Cameroun. Les Nigérians évoquent « le partage du gâteau national ». En Afrique orientale, la faction se nomme kula (« manger », en swahili). Et à un observateur qui s'inquiétait de « l'appétit » de ses ministres, le chef du gouvernement guinéen rétorqua : « Dis donc, laisse les gens là bouffer tranquillement. Ils auront ensuite tout le temps de réfléchir! » JF BAYART/ L’ETAT EN AFRIQUE FAYARD.
L’exposition balise d’abord, à travers plus d’une centaine d’objets joints à des panneaux didactiques dans chaque salle, les deux types d’organisation qui ont prévalu dans l’Afrique traditionnelle, tout en prenant une grande diversité de formes historiques, les « sociétés sans état » ; « les chefferies et les royaumes ». Ces deux formes se juxtaposaient et s’équilibraient souvent. D’une part en tant que sociétés dites sans état ou contre l’état elles reposaient sur la parenté et l’organisation territoriale, clans, villages. Pas de pouvoir politique au sens que nous lui donnons : l’autorité appartenait à des chefs de lignage ou anciens qu’on appelait « Maîtres De La Terre ». Des confréries ou sociétés secrètes jouaient un rôle dans l’initiation des jeunes et l’administration de la justice par l’emploi de « fétiches » et de masques, qu’on pourra voir .Le don et la distribution de richesses, marques obligatoires du pouvoir, se matérialisaient à travers des « monnaies » de prestige présentes dans l’exposition. Des migrations et des conquêtes amenèrent une autre forme : les chefferies et les royaumes. Soit un véritable espace politique. Pouvoir centralisé, autour d’un palais vaste domaine social et économique. Les mythes posaient rois et chefs en personnages « sacrés » étrangers et séparés des autres ; ils étaient dispensateurs de biens et garants de la fertilité du sol , une puissance reçue des ancêtres lors de l’intronisation.. « Le roi était d’ailleurs », entouré d’interdits créant la distance mais les règles morales et sociales communes ne s’appliquaient pas à sa personne. Il pouvait pourtant subir un régicide rituel si on considérait que des catastrophes naturelles témoignaient d’un déficit de puissance . De multiples objets présents dans l’exposition, les « regalia » accompagnaient le « fétiche vivant » et manifestaient son prestige.
. Sera aussi abordé l’importance de la sorcellerie présente dans le fonctionnement des sociétés traditionnelles comme il le fut en Europe. De nombreux objets de contre-sorcellerie, dits « objets forts », sont présentés ici. Le pouvoir, déjà centralisé, se transforma peu à peu jusqu’à nos jours. La traite, entraina un déplacement massif et forcé de populations esclaves appauvrissant pour longtemps le continent. Elle amena aussi le commerce des armes, le mercantilisme européen, les échanges de biens en contrepartie d’esclaves. Mais c’est la colonisation qui transforma totalement le paysage politique. En ignorant l’histoire du continent, vu trop souvent comme simple réservoir de matières premières et au mépris de sa culture propre, elle créa des frontières inconnues de l’Afrique traditionnelle, regroupant des peuples différents, créant de ce fait les conflits à venir .Elle imposa de force l’administration de type européen là où elle n’avait jamais existé, rendant possible des despotismes futurs. Une place particulière sera dans cette histoire donné au rôle des femmes trop souvent occulté au sein d’un monde massivement patriarcal mais qui connut des reines et personnalités éminentes, figures par exemple de résistantes à la colonisation.
VERNISSAGE: J.BARRIER PRESIDENT MUVACAN
« LE ROI VIENT D’AILLEURS » REZ DE CHAUSSEE. SALLE 1
Selon le Rameau d’Or de James Frazer, le magicien primitif aurait donné naissance au roi. Il aurait été promu en raison de ses pouvoirs, au service de la prospérité collective, comme faire tomber la pluie, amener ou détourner les vents. Ce chef politique africain, était ainsi qualifié généralement de « roi sacré », « roi/prêtre » ou « fétiche vivant ». Chef héréditaire d’un lignage royal, il recevait un autre statut par un rituel (l’intronisation) qui le séparait de la population et l’arrachait à l’ordre familial Il devenait responsable de la prospérité, comme des catastrophes majeures qui affectaient son peuple. Une fois intronisé, le nouveau roi souvent reclus dans son palais, centre politique et économique séparé, était soumis à des interdits nombreux qui commandaient ses rapports avec la population, et ses proches (serviteurs, épouses et parents.) On ne lui parlait pas directement, mangeait seul et ne sortait que pour les fêtes rituelles.
En cas de catastrophes répétées, il pouvait subir une mort rituelle pour empêcher que sa décrépitude physique n'affecte la force de la nature dont il était le garant La salle présente, des bronzes de cour du Bénin, statues et coiffe royale yoruba ; un ensemble d’objets Kuba dont les masques royaux qui dansaient au palais ou un tambour cérémoniel. Des trônes, sièges et masques des Grassland (Cameroun) autour de la personne du Fon, chef sacré. Enfin une importante série de tissus, d’armes de prestige et d’objets d’apparats.
TABLE RONDE SUR LE POUVOIR: YVAN ETIEMBRE.PHILIPPE DE GRISSAC.DOMINIQUE SEWANE.
« LES FILS DE LA TERRE » SOCIETES SANS ETAT.COULOIR
L’anthropologie contemporaine parle plutôt de sociétés « contre l’état » pour caractériser des sociétés qui n’ont pas de pouvoir politique nettement différencié et visible à l’opposé des chefferies et royaumes. Elles sont dites « segmentaires « ou lignagères. Si chef il y a, c’est celui d’une communauté familiale et territoriale. Les préjugés colonisateurs les voyaient « sauvages » ou anarchiques ; elles ne sont pas pourtant dépourvues d’organisation et de contrôle social. • Système de parenté élargie donnant à chacun une identité et un rôle, les anciens contrôlant les cadets. • Structuration plus large en clans, villages voire classe d’Age. • Totémisme : Culte d’ancêtres communs à un clan qui peuvent être non humains comme le python arc en ciel. La structure la plus fréquente sera celle d’une unité territoriale comprenant plusieurs groupes de descendance autour d’un lignage dominant vu comme fondateur (ainsi les Chokwe), dont le chef prendra le titre de Maitre De La Terre. • Une forme d’organisation « démocratique », le Palabre où les problèmes de la communauté se résolvaient par le pouvoir de la parole.
Présentation du héros Chibinda Ilunga, fondateur mythique des Chokwe (Angola) par statues, sièges, objets liés au tabac. Siège pende, ensemble de cannes de dignitaires et diverses statues ou objets d’apparat de notables ou grands ancêtres.
L’EXERCICE DU POUVOIR ET LES MONNAIES .SALLE DU FOND
Dans les sociétés africaines, des sociétés secrètes et des confréries jouaient un rôle de contrôle social dans l’initiation des jeunes et dans l’administration de la justice. Elles accompagnaient et renforçaient le pouvoir des chefs. Elles utilisaient en particulier des masques, incarnations redoutables de forces cosmiques ou venues des ancêtres. Les masques surgissaient lors de l’initiation et traquaient les coupables de déviance en particulier les sorciers. Dans ce rôle une des confréries les plus connues était la société Ngil des Fang, interdites par la colonisation en raison de sa violence et dont les masques surgissaient la nuit dans les villages à la lueur des torches pour faire avouer, voire exécuter les coupables. Présentation de masques de justice, Fang, (Gabon) Songye,(RDC) Bete et Dan(C. Ivoire) Pende (RDC) ;objets Dogon et Bambara (Mali)
LE POUVOIR DES MONNAIES
Les monnaies d'échange en Afrique étaient diverses: les cauris porcelaine-monnaie (monetaria moneta) sont des petits coquillages qui ont été répandus par les marins arabes et européens en provenance de l’est, essentiellement les iles Maldives. Les cauris ont historiquement été utilisés comme monnaies avant les colonisateurs. Il s'agissait d'une monnaie très fiable car inimitable. Utilisés par ailleurs dans la divination, ils étaient et restent symboles de richesse et de pouvoir, ornant les vêtements, les masques et divers objets dont les bijoux. En tant que monnaies d’échange il y a eu aussi les perles, la poudre d'or et un peu partout les produits d’usage, le bleu de Reckitt, les pierres, les étoffes, le sel, les noix de cola. Tout s’échangeait. La dot, la compensation matrimoniale n’est qu’un exemple. La richesse n’avait pas le même sens que dans les sociétés occidentales surtout à partir du 16ème siècle. Elle reposait en partie sur la capacité du Don (donner, recevoir, rendre.) le roi ou chef devant distribuer des richesses comme marque de pouvoir
Seront présentes de très nombreux objets métalliques de forme très diverses selon les régions. Il s‘agit surtout de fers noirs, plus rarement de monnaies en cuivre, laiton, argent qui reflétaient autant symboliquement la puissance de leurs possesseurs que leurs capacités pratiques d’achat et de don. Les lingots de métal ont pu être transformés en manilles (bracelets). Il en venait aussi d’Europe, fabriquées en Angleterre (Birmingham et Liverpool) et à Nantes, utilisés pour divers trafics dont la traite négrière.
« IL FAUT BIEN VIVRE AVEC SON « SORCIER « LA SORCELLERIE EN AFRIQUE TRADITIONNELLE. ET LES OBJETS FORTS
YVAN ETIEMBRE COMMISSAIRE EXPOSITION
C’est un « appareil de croyances » pratiquement universel : l’Europe l’a connu au 16eme et 17éme et a multiplié les buchers de prétendus sorciers (souvent des femmes guérisseuses.) Il a subsisté jusqu’à notre époque dans les pays de bocage. Le sorcier « diseur de sorts » est censé pratiquer une magie à l'origine du malheur, de la maladie ou de la mort. Thérapies et sanctions constituent alors l’autre versant du système. Historiquement présente à l’intérieur de la parenté, du clan ou du village, l’évolution contemporaine de la sorcellerie touche désormais l’ensemble des pouvoirs économiques et politiques.
Le sorcier « mangeurs d’Ames » dévorerait par « jalousie » la force vitale de ses victimes et anéantirait famille et solidarité. Il disposerait d’un « pouvoir » héréditaire matérialisé par une entité logée dans son organisme (evu, djembé). La protection contre les sorciers donne lieu d’amulettes, de charmes divers qu’animent des spécialistes, tels les Nganga..Ils utilisent en particulier les « objets forts » qu’on nomme « fétiches ».
Objets de pouvoir et pouvoir des objets/
Leur nom est Boliw (boli), Nkishi (pluriel Minkishi) ou Vodun, ce sont de puissants objets de pouvoir dont l’aspect devait susciter la crainte. Les portugais au 16ème siècle les ont vus comme des idoles diaboliques et leur ont donné le nom de « festigio », fétiches, (objets fabriqués et maléfiques). Vaguement anthropomorphes, à figures animales ou totalement informes ils sont enduits d’épaisses patines sacrificielles, hérissés de clous et chargés de matières diverses provenant des trois règnes. Ils ne sont en fait l’image d’aucune divinité mais par les rituels condensent une énergie cosmique ou issue des ancêtres qui va servir à la protection d’une communauté ou des individus. Ils sont l’apanage des prêtres (Nganga) qui les animent, des chefs et des rois. Ceux-ci détenaient souvent leur puissance de la somme de ces objets en leur possession.
La salle présente des boliw : les grands marquaient les évènements par leurs sacrifices rituels ou marchaient à la tête des guerriers. Les petits servaient de protection individuelle. il en est de même des « fétiches Songye d’une grande variété stylistique. Chaque village en possédait des grands communautaires. Enfin les Minkisi Kongo dit « fétiches à clous » étaient l’instrument de vengeance contre les sorciers ou renforçaient les décisions collectives.
LES TRADITIONS SE TRANSFORMENT 1er étage couloir
L’évolution des systèmes de pouvoirs en Afrique est l’occasion de montrer la complexité des forces en présence, la difficulté des instaurations démocratiques, d’autant que ce continent est l désormais ’objet de convoitises des états et firmes étrangères. La traite négrière verra le transfert forcé de 12 à 20 millions d'Africains en Amérique entre le XVIe et le XIXe siècle. Appauvrissant pour longtemps le continent, elle développera en outre le mercantilisme, le trafic de marchandises dont les armes .Selon l’historien Africain TIDANE DIAKITE les effets cultuels et psychologiques, ce qu’il nomme la « culture de traite » seront les plus marquants jusqu’à nos jour « abandon de sa culture, tentation du gain facile pour des produits matériels en provenance de l’occident »
La colonisation européenne devait transformer et figer les rapports de pouvoir : elle fut souvent violente (génocide des Herrero, annexion du Congo comme simple patrimoine privé par le roi Léopold II.
L’État colonial devait associer la notion de tradition à celle de chefferie, avec l’idée d’une Afrique sauvage ou despotique. : d’abord hostile aux autorités traditionnelles, les pouvoirs centralisés lui sont vite apparues utiles pour la gestion des vastes territoires conquis - la collecte des impôts, le recensement, l’organisation des corvées ;le contrôle politique local leur ont ainsi été déléguées. On assista à un véritable tournant autoritaire des pouvoirs traditionnels, en interaction avec le pouvoir militaro-administratif des administrateurs coloniaux, supprimant les contre-pouvoirs traditionnels qui équilibraient pourtant les systèmes politiques anciens . Les conditions de l’échec des fondateurs des Indépendances à instaurer des pouvoirs démocratiques étaient déjà réunies.
L’exposition prend des exemples
Transformation des confréries : l’exemple des chasseurs.
La confrérie des chasseurs mandingues est une société traditionnelle de type maçonnique qui existait de longue date en Afrique de l’ouest (XIIIème siècle). Ils avaient un rôle mythique et social important (défense des villages, soutien des pauvres, des veuves et des orphelins) qui a évolué. La perte d’influence a été progressive avec la possibilité de dérives nationalistes dans certains des états les plus faibles. A partir d’un exemple (royaume du Ndongo au XVIème siécle dans l’actuel Angola) il est possible de montrer le rôle de la traite. Les esclaves étaient traditionnellement une couche sociale constituée soit des prisonniers de guerre (qui appartiennent au roi), soit des étrangers, soit des villageois libres condamnés pour des infractions religieuses ou des actes de désobéissance. Les portugais en ont profité pour la traite vers le Brésil à une grande échelle (environ 12000 par an).
La propriété foncière : il n’y avait pas de propriété foncière individuelle dans l’Afrique traditionnelle, au sud du Sahara. Outre ses prérogatives religieuses, le chef de terre affectait les terrains selon les besoins. Les colonisateurs ont considéré ces terres(les matières premières en particulier) comme vacantes et sans maîtres donc à disposition . Parfois, les chefs de terre ont pu retrouver un rôle traditionnel lors des indépendances, mais l’administration centrale et la propriété foncière se sont installées, sources de conflits. . L’exposition montre une série exceptionnelle d’une dizaine de pagnes représentants les Pères Fondateurs des indépendances (citons Senghor, Houphouet-Boigny…) dont les destins ont été contrastés.
D’autre part est souligné la confrontation d’un animisme traditionnel avec l’islam et le christianisme : quelques objets soulignent ces rapports conflictuels.
: Femmes De Pouvoir. Salle Du Fond
A partir du XIV siècle, , l'histoire documentée par les chercheurs de l'UNESCO, décrit des femmes exceptionnelles ,le plus souvent des reines, prenant le relai de pouvoirs ébranlés pour relancer la lutte contre les envahisseurs.Elles se trouvaient au milieu des combats, à la tête de leurs armées, chefs reconnues par leurs . Elles avaient appris le maniement des armes depuis leur jeune âge, ce qui éclaire la condition féminine de ce continent à cette époque. Elles exaltèrent le courage de leurs troupes, avec des succès divers mais parfois réels. Quand aux Minos, elles ont constitué pendant 2 siècles les troupes d'élite des rois du Dahomey. Elles ne furent battues que par les troupes coloniales françaises, après leur avoir fait subir de lourdes pertes.
De nos jours, le rôle majeur des femmes est reconnu dans les entreprises du secteur commercial. L’exposition souligne l'histoire des Signares du Sénégal, des Nana Benz du Togo qui illustre le dynamisme ancien des femmes dans ce secteur. Surtout une pratique ancestrale, la Tontine ou banque des femmes, qui leur offrait un espace de liberté et d'autonomie, connait grâce à la numérisation des perspectives ambitieuses.
> Le G7 réuni à Biarritz en août 2019 a souligné ce fait en leur réservant plusieurs millions de dollars. Se crée ainsi un mouvement d'entraînement qui permettra le véritable développement économique de l'Afrique, apparu comme moyen de compenser les mouvements de migrations et de radicalisations. Le contenu de la salle est fait de panneaux et de photos racontant cette histoire comme Njinga une reine guerrière du XVIIème, la reine Sarraounia Mangou qui résista aux Peuls et aux français, l’impératrice éthiopienne Taitu Betul qui fonda Addis-Abeba et s’opposa avec succès aux colonisateurs. Un autre panneau développe ce qu’est la Tontine. En outre quelques objets seront montrés comme une robe de princesse Kotoko du Nord Cameroun ou une statue de princesse yombe (Kongo)
« La « mémoire » apparaît comme l'espace de prolongation des conflits et des luttes sociales qui, à un moment donné, se sont soldés par la défaite de l'un des protagonistes. Elle est le lieu d'inachèvement des conflits. Plurielle, elle fonctionne en Afrique comme instance de légitimation et d’illégitimation. Chaque groupe social s'efforce de rendre compte du passé et du présent en fonction de ses stratégies propres, de ses défaites et de ses victoires provisoires. La « mémoire » se recrée ainsi sans cesse , s'enrichit de significations nouvelles , ou est amputée de maintes autres qui avaient autrefois fait partie intégrante de son identité. » JF BAYART/ L’ETAT EN AFRIQUE FAYARD.
La notion de « tradition », comme modèle supposé clos dans sa pureté, a été ainsi en partie invoquée ,voire « inventée » ,à la fois par l’anthropologie mais aussi par le colonisateur qui insistait sur sa mission civilisatrice face à un obscurantisme « primitif » et par les groupes sociaux autochtones , après les indépendances, soit pour la restaurer soit pour marquer une modernité en rupture .C’est donc une idée largement ethnocentrique , voire « exotique » si on la fige. Il y a eu toujours une histoire des sociétés africaines et une grande diversité des pouvoirs et donc de multiples traditions.
Chacune de ces civilisations se singularisait par son économie, sa culture et son organisation sociale. Ainsi, la civilisation de l’arc s’appliquerait aux peuples chasseurs et récolteurs tels les pygmées ou San (bushmen. La civilisation des clairières regrouperait les agriculteurs itinérants de la forêt humide. La civilisation des guerriers engloberait les agriculteurs de la savane méridionale, tandis que les pasteurs des hauts plateaux de l’Est africain relèveraient de la civilisation de la lance, les artisans et les marchands de l’Afrique de l’Ouest composant la civilisation des cités.Certaines chefferiesfonctionnent sur un territoire isolé, limité à un ou quelques villages. D’autres au contraire se solidarisent sur un modèle de type fédéral, souvent consécutif à un processus de conquête. D’autres, enfin, s’unifient pour s’apparenter à un État-royaume unitaire tel l’État Lozi en Zambie. Quant aux civilisations des cités, dont les plus grandes manifestations ont été les empires du Ghana, du Mali et Songhaï, disposant d’une économie fondée sur l’exploitation des ressources naturelles et leur commercialisation vers l’extérieur […]
Une certaine exaltation des sociétés segmentaires opposées au « despotisme » supposé des chefferies, méconnait ainsi les contradictions et les conflits qui pouvaient les traverser. Outre la vendetta et les luttes internes en familles et clans, comme chez les Nuers, elles étaient toujours traversées de la contradiction entre les « aînés et les cadets », cette catégories incluant à la fois les jeunes et les femmes. Les formes qu’on considère comme démocratiques, à l’instar du Palabre, étaient généralement réservées aux anciens, qui seuls prenaient la parole . Le pouvoir des anciens pouvait être pesant : ainsi un fils chez les Lobi travaillait longtemps avec sa propre famille pour le « patriarche » jusqu’à ce que, vers la quarantaine, ce dernier lui tendit une houe l’autorisant ainsi à fonder sa propre concession. Le conflit oncle/ neveu était particulièrement virulent dans les sociétés matrilinéaires d’où l’importance de la sorcellerie familiale signe de la jalousie qui imprégnait les rapports.
On peut, par une construction structurelle, ramener les sociétés anciennes à quelques concepts ; c’est légitime pour la compréhension (ainsi font les sciences) mais c’est au prix du sacrifice de la complexité du réel. L’idée de rupture avec la tradition n’a pas tellement de sens et si l’on prend l’exemple de l’Afrique contemporaine : traditions et modernité se chevauchent en fait. Ainsi, les acteurs des sociétés africaines poursuivent des stratégies familiales, thérapeutiques, économiques ou politiques qui transcendent les clivages habituels auxquels on cherche à les rattacher. Un malade consultera tour à tour le médecin de l'hôpital d'Abidjan, le prophète guérisseur de la banlieue lagunaire et le devin de son village car il émarge simultanément de ces différents univers. Un « Fon » bamiléké reste un chef religieux, dépositaire de la puissance des ancêtres et gage de fertilité, tout en état un homme d’affaires prospère, un « Big Man » et un membre important du parti unique : il soutient le pouvoir central, alors que sa population est en majorité opposée au régime et l’a parfois rejeté pour cette raison.
« Les acteurs sociaux contemporains chevauchent sans arrêt les secteurs arbitrairement circonscrits de la tradition et de la modernité. Il est même douteux qu'ils aient une claire conscience de leurs frontières. Les attaches que le citadin conserve avec son milieu rural d'origine donnent à penser l'inverse. Le Bamiléké urbanisé participe à la vie de sa chefferie avec ce que cela suppose de présence physique aux assemblées et de dépenses financières. Sa réussite sociale n'est pas complète si elle ne se solde pas par la détention d'un titre, vénal, dans l'une des sociétés de notables. Il contribue aux opérations de développement de sa région, dont il a fréquemment l'initiative, et au gré de voyages et d'échanges incessants, il y diffuse les modèles de nouvelles façons de manger, d'habiter, de se vêtir. Dans le sud cacaoyer du Cameroun, les retraites prises au village suggèrent également que le passage à la condition citadine n'est pas irréversible, contrairement à ce que laisse accroire le concept dramatique d'exode rural ». JF BAYART/ L’ETAT EN AFRIQUE FAYARD.
DEVANT LE PALAIS DU FON/ https://agoraafricaine.info/2017/07/30/cameroun-origine-du-peuple-bamileke/
Les structures sont donc le résultat de processus historique « hybrides » qu’il ne faut pas méconnaitre : la traite négrière connut plusieurs étapes et la colonisation ne fut pas homogène : les intérêts du pouvoir continental et des colons furent souvent divergents, comme au Kenya ou en Afrique du Sud. L'institutionnalisation de la ségrégation raciale en Union sud-africaine, l'Acte unilatéral d'indépendance en Rhodésie du Sud indiquent les enjeux dont sont porteurs ce genre de clivages. De toute évidence, ils renvoyaient à des intérêts divers, voire divergents. Si conceptuellement on distingue une colonisation directe (France, Belgique Allemagne) et indirecte( Angleterre), les deux formes se mêlèrent plutôt. Il en est de même des sociétés traditionnelles : elles ont connu diverses péripéties historiques (migrations, guerres de conquêtes, formation puis disparition d’empires) : ce ne furent jamais des sociétés « froides », selon la distinction structuraliste. Elle ne furent, par ailleurs, ni anarchiques, ni despotiques,», comme le pensait le colonisateur voire l’ethnologue , ni « démocratiques », comme on le dit parfois par nostalgie des origines. Là encore, l’évolutionnisme qui fut la pensée du 19ème siècle reste un ethnocentrisme. La distinction sociétés sans Etat ou royaumes et chefferies est commode pour la compréhension mais n’est pas une évolution d’une forme à l’autre : les deux formes ont coexisté dans le temps et certains royaumes ont pu redevenir segmentaires.
Les sociétés africaines anciennes ne furent donc jamais ce monde sauvage ‘terra incognita » et de mission, du discours occidental colonisateur. Le continent n'a lui-même jamais cessé d'être perméable aux échanges avec le reste du monde, notamment en tant qu'exportateur d'or, ou d'ivoire. Le Christianisme existait en Ethiopie, l'Islam sur le littoral, se livrant, avant la traite, au commerce des esclaves. Il y eut l'installation de colonies indonésiennes à Madagascar, le commerce régulier avec l'Inde, le golfe Persique et la Méditerranée. Le Sahara n'était pas un « océan de sable et de désolation ». Sillonné de caravanes, maillé de réseaux tribaux et confrériques, véhicule de l'islam, trait d'union entre les États akan producteurs d'or et les marchés méditerranéens. Les découvertes portugaises furent dues en partie à la volonté de faire face à la concurrence transsaharienne contrôlée par les arabes. Elles jetèrent les bases d'un négoce maritime régulier, interafricain et européano-africain, qui prit vite malheureusement très vite la forme du commerce d’esclaves et de la traite atlantique. D’autres part l’espace intérieur africain était structuré et communicant. L’intérieur des terres n'était nullement compartimenté. Il était structuré en espaces économiques - commerciaux, monétaires et productifs - en espaces politiques et guerriers, en espaces culturels, linguistiques et religieux. Il était irrigué de courants permanents dont le commerce sur la longue distance et les déplacements démographiques – les « migrations » - étaient les marques les plus visibles...Chefferies et royaumes découlèrent souvent de tels déplacements de population, suite à des éclatements d’empires par exemple.
« La " fabrique " sociale et culturelle africaine n'a jamais été inactive, elle a constamment eu à produire les sociétés et les cultures « nègres » en traitant, à la fois, les dynamismes internes et ceux résultant du rapport à l'environnement " [...], « Il devient impossible de méconnaître le fait que toutes les sociétés africaines ont affronté les épreuves de l'histoire [...] «. » Comme telles, elles étaient des sociétés de débat, au sens où M. Finley le dit de la Cité grecque, et assez comparables à celle-ci, au moins à certains égards «*. Elles n'étaient point des «despotismes», ni, d'ailleurs, des «démocraties». Elles agençaient plutôt des interactions subtiles entre le cercle de la domination et celui de la sujétion, qui incitent, au moins dans un premier temps, à récuser à leur propos l'idée facile de totalitarismes archaïques, d'ordre structurel, symbolique ou idéologique. Etudiant l'un des vingt royaumes moose, Mv Izard parle avec bonheur de « métabolisme de la prédation » : « Étrange univers où le respect dû au chef ne va pas sans la ferme intention - non exempte d'un certain humour - d'échapper le plus qu'il est possible à une autorité qui ne répugne jamais à être lourde en sachant jusqu'où il lui est possible d'aller .» La délibération, plus ou moins institutionnalisée suivant le degré de différenciation structurelle du pouvoir, feutrée et comme démultipliée, visant à l'union du groupe, était l’exercice de l'autorité. On a relaté de façon saisissante les conclaves des « excellents » dans la monarchie sacrée des Moundang, auxquels fait contrepoids un deuxième collège émanant, lui, de la puissance royale. Les deux instances qui assistent le monarque ne détiennent pas à proprement parler une partie du pouvoir mais elles expriment «la division de la souveraineté à l'intérieur d'elle-même [...] », entre le roi comme « être hors clan » et les clans « maîtres de la terre» «.JF BAYART/ L’ETAT EN AFRIQUE FAYARD.
Si donc l’histoire n’est faite que de micro-histoires ,mais écrites par les vainqueurs, comme dit Walter Benjamin, on peut cependant, tout en gardant à l’esprit que toute conceptualisation n’est qu’abstraction à des fins d’intelligibilité, tracer les grandes lignes de la transformation de ce qu’on nomme les sociétés traditionnelles en sociétés post coloniales et contemporaines. On souligne ainsi par les concepts De Traite Négrière et de Colonisation, les évènements majeurs qui ont permis cette transformation, sans oublier que sous la neutralité des mots se cachent des réalités qui furent d’abord inhumaines et sanglantes.
LA TRAITE NEGRIERE »
C’est aussi un phénomène historique et culturel complexe, qui englobe des aires géographiques immenses ; Il bouleversa plus particulièrement le continent africain et fit, en particulier, le lit du racisme, véhiculant l'image d'un Noir inférieur, proche de l'animalité et donc, à ce titre, susceptible d'être acheté, vendu, échangé. Une marchandise humaine. La traite transatlantique des esclaves, dite « commerce légitime » amplifia et diversifia tragiquement l’insertion de l'Afrique noire dans le système mondial.
On sait qu’ont existé trois traites négrières,une traite intra-africaine, sans aucun doute la plus ancienne, beaucoup de sociétés traditionnelles étant esclavagistes, en particulier royaumes et chefferies. ; la traite orientale, ses voies et ses grands marchés aux esclaves (villes d'Afrique du Nord, de la péninsule Arabique et de la Turquie) et concernait les Noirs, mais aussi Blancs et Arabes ; et enfin la traite atlantique (occidentale), la plus connue et la plus intense .
La traite intra africaine. Les esclaves étaient vendus entre africains contre de l’or dont profitaient les rois africains du Bénin, du Congo ou d’Angola. Ces esclaves étaient soit des asservis de naissance, soit des prisonniers de guerre pris et vendus par des peuples voisins, soit des condamnés et punis pour crimes et délits, enfin certains enfants étaient vendus par leur famille ou abandonnés. En Mauritanie l’esclavage n’est aboli que depuis 1980.
La traite orientale. C’est la plus longue en durée entre le IX et la fin du XIX° siècle. Elle se caractérisa par ses voies commerciales : d’une part les routes terrestres du Maghreb et des déserts (itinéraire transsaharien), d’autre part les routes maritimes de la Mer Rouge et de l’Océan Indien (itinéraire oriental) et elle a alimenté le monde musulman en esclaves noirs, d’abord dans l’empire arabe puis dans l’empire Ottoman. Le dernier marché aux esclaves sera fermé au Maroc en 1920 et l’Arabie Saoudite n’abolira l’esclavage qu’en 1963.
La traite atlantique désigne quant à elle le transfert forcé de 12 à 20 millions d'Africains en Amérique entre le XVIe et le XIXe siècle. Il commença au XVe siècle avec l'introduction de plusieurs milliers d'esclaves sur l'île portugaise de Sao Tomé, dans le golfe de Guinée, découverte en 1471 et devenue la première colonie sucrière du Portugal. C’est vers 1511-1512 que les premiers navires emmènent des esclaves vers l’Amérique. L’historien malien Tidane Diakité rapporte le rôle de quelques rois, comme le roi Makoko au Kongo, dans les échanges avec les Européens, pour la livraison des prises de razzias aux navires portugais bientôt concurrencés par les Anglais, les Hollandais et les Français.
La traite à son origine fut initiée par des considérations politiques, religieuses, puis commerciales. Politiques car le Portugal voulait contourner la mainmise arabe sur le commerce oriental, explorer les routes maritimes atlantiques et s’octroyer les nouveaux territoires conquis .Religieuses : car l’Église, grâce aux Portugais, y vit les moyens de contenir l’expansion de l’islam au détriment de la chrétienté et la possibilité d’évangéliser de nouvelles contrées. La Conférence De Valladolid interdit l’esclavage des indiens, déjà décimés et censés être désormais humains,mais dénia une « âme » aux noirs ,aptes ainsi à devenir marchandises.
Sur le plan commercial, c’est l’essor de l’exploitation de la canne à sucre et la révolution sucrière qui enclencha la traite à grande échelle et la mise en place de ce qu’on a appelé pudiquement Le Commerce Triangulaire, entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques : échanger des marchandises contre des captifs noirs en Afrique, déporter ces derniers, attachés et entassés dans les cales des navires négriers, vers le Nouveau Monde, pour en faire des esclaves qui participeront au développement de l’économie coloniale dont les denrées seront renvoyées en Europe. Malgré les condamnations de l’esclavage par quelques papes et quelques philosophes des Lumières, il faudra attendre plus de trois siècles pour mettre un terme à la traite et aux voyages aux conditions inhumaines. (plus de 20% de mortalité). Elle ne sera vraiment interdite qu’à partir du Congrès de Vienne en 1815 (interdiction peu appliquée d’ailleurs au cours du 19ème). La Révolution française avait bien aboli l'esclavage le 4 février 1794, mais Napoléon Bonaparte devait le rétablir par le décret du 20 mai 1802 après la restitution de la Martinique à la France par la paix d'Amiens. L’abolition de l'esclavage ne sera définitive pour les colonies françaises des Antilles qu’en 1848.
Toute une “chaîne” de traite se mit en place du XVe au XVIIIe siècle : C’est ainsi ,ce qui n’exonère donc en rien le rôle majeur des occidentaux, que certains souverains africains (d’autres refusèrent)vendirent des esclaves, pour se procurer des armes mais aussi des tissus, de l’alcool, du blé ou des lingots de fer, assez loin de l’image souvent retenue de la pacotille. Ils devinrent ainsi un maillon du trafic. A un bout, les rois et les courtiers qui approvisionnaient, à l’autre bout une population d’acteurs obligés”: esclaves et “acquérats”(hommes libres) qui produisaient les vivres, assuraient la sécurité et la garde dans les comptoirs , rendus dociles par la connaissance de leur sort en cas de passage dans la catégorie des “produits” de la traite. C’est aussi entre les deux toute une gamme d’intermédiaires créoles surtout, qui, par leur connaissance des langues et des coutumes des deux protagonistes, sont très vite devenus incontournables.
Les acteurs africains se procurèrent des esclaves par divers moyens: augmenter le nombre des délinquants ou personnes dont les autorités souhaitaient se débarrasser (prisonniers pour dette, femmes adultères…), prendre les victimes par ruse, et surtout faire la guerre aux peuples voisins. C’est l’attrait croissant pour les produits occidentaux qui conduisit à la prise d’esclaves à monnayer. Le commerce fut ainsi encadré par les nombreux traités signés entre les rois, les chefs locaux et les divers représentants des puissances européennes.
La demande accrue fit monter les prix et aiguisa les appétits dans les deux camps. La traite enrichit les ports de Nantes, La Rochelle, Bordeaux ou Liverpool. Dans les ports français, 550 familles armèrent au total 2 800 navires pour l’Afrique au XVIIIe siècle. Du milieu du XVIIIème au milieu du XIXème siècle, la France organisa au moins 4220 expéditions négrières, dont une grande partie menée par les armateurs nantais. Selon le Mémorial De L’esclavage à Nantes, le port ne devait pas sa primauté à la durée de sa participation, mais à sa densité, avec l’organisation de 43 % des expéditions négrières françaises (soit environ 5 à 6 % de la traite atlantique européenne). En un peu plus d’un siècle, les navires nantais auront transporté plus de 550 000 captifs noirs vers les colonies. La traite assura aussi la richesse de nobles et de rois africains : on estime à 250 000 livres les revenus en 1750 de Tegbessou, roi du Dahomey qui livra 9 000 esclaves par an.
La traite eut d’abord des effets économiques : si elle intensifia le commerce, amenant la monnaie comme vecteur des échanges strictement économiques(les monnaies anciennes étant à la fois instrument économique et de prestige dans un système du Don) ou le tabac , le manioc et l’arachide, elle est considérée surtout à l’origine du retard économique de l’Afrique . Avant le XVème siècle, il existait bien un développement propre à l’Afrique. La traite négrière a mis un frein à ce développement et affaibli la capacité de produire à un moment où la main d’œuvre, faite de jeunes valides surtout , disponible pour l’agriculture et pour la production de biens manufacturés, était réduite à l’esclavage. En ce sens la mémoire de la traite hante les phénomènes de sorcellerie contemporains. Selon des croyances actuelles très prégnantes, sorcellerie de l’Ekong, en Afrique du Sud ou au Cameroun, des individus, véritables « zombies », dont les forces vitales auraient été « mangées par les sorciers ( une classe de profiteurs économiques dont on suspecte la richesse) , seraient ainsi emmenés vers des plantations invisibles pour un travail forcé.
La chasse aux esclaves créa un état permanent de violence. La puissance des chefs locaux fut d’autant plus grande qu’ils étaient désormais équipés d’armes efficaces, (environ 300 000 fusils furent exportés chaque année vers l’Afrique dans la seconde moitié du XVIIIème.). On les utilisa pour capturer toujours beaucoup plus d’hommes et de femmes .Ainsi , les armes à feu se répandirent dans toute l’ Afrique noire provocant à l’état chronique la guerre , la violence intra-tribale et inter-ethnique. Les Etats de la côte attaquent alors leurs ennemis traditionnels ou des peuples plus faibles. Au XVIIIe siècle, au moment où la traite est la plus développée, les royaumes africains de la côte étaient en état de guerre quasi-permanente.
La traite a eu un effet dévastateur sur les pouvoirs africains les plus anciens. Ceux-ci déjà étatiques, comme au Congo et aux Bénins, s’enrichirent, comme dit plus haut et confinèrent au despotisme alors que les états centralisés reposaient jusqu’ici sur un équilibre .En outre, de nouvelles formes de pouvoir naquirent plus ou moins directement de la traite et de la conquête remplaçant les sociétés segmentaires. « Par sa durée exceptionnelle, la traite atlantique eut des effets multiples. Si l'on ne peut avec exactitude en évaluer l'ampleur sur les plans économique, social, psychologique et démographique, deux effets du trafic négrier restent cependant immédiatement perceptibles, palpables et quotidiens et ils n'auraient pu être sans cette participation active des rois et chefs africains.
Le premier de ces effets, né de ce climat trouble fait de désordre, de méfiance et de terreur au quotidien se résume dans la fragmentation extrême des peuples et des consciences (sans doute ancienne en Afrique, mais accentuée par la traite), dans une déstabilisation et une insécurité profondes imprimées dans l'âme africaine, se traduisant par la peur ; la peur de l'autre, du voisin, du Blanc. Phénomène amplifié plus tard par la colonisation qui signifia pour l'Africain une perte totale de repères, le tout culminant dans un sentiment d'infériorité vis-à-vis de l'Européen, du Blanc d'une manière générale. Le second effet est aussi permanent que pernicieux : la dégradation durable de l'image de l'Africain et du Noir en général, devenu au fil des ans cet être singulier, mi- animal, mi- objet, vendu à la criée, par paquets, ou sur les marchés au milieu des chevaux et des bibelots. L'expression « traite négrière » ou « trafic négrier >; en est la vivante démonstration car les rois africains n'étaient pas plus estimés des Européens que leurs sujets qu'ils leur vendaient, Ils furent par conséquent victimes des mêmes préjugés, d'où la dénomination si expressive de « roitelets nègres » associée à « traite négrière. » Cette dévaluation morale finira par rejaillir sur l'Afrique entière et constituer un des multiples rémanents de la traite. Cela ne s'arrêta pas avec la fin officielle du trafic esclavagiste qui portail en germes tous les préjugés antinoirs.
La conséquence la plus désastreuse et la plus handicapante de la traite, pour l'Afrique d'aujourd'hui, n'est pas tant la ponction démographique d'hier que la plaie non cicatrisée. Les effets de la traite ne sont pas seulement matériels, ils sont aussi culturels et psychologiques. Son impact peut encore être pris en compte dans l'évaluation de l'Afrique contemporaine, mais sans victimisation pérenne stérilisante. On ne peut vivre éternellement sous le poids du passé. En réalité, parmi les nombreux sous-produits du commerce des esclaves et de la participation active des Africains à ce trafic, se trouve ce qu'il conviendrait de qualifier de « culture de traite. » Il s'agit d'un abandon de soi devant les produits matériels en provenance de l'Occident et de la tentation du gain facile et rapide par des moyens condamnables. La principale caractéristique de la traite atlantique, au-delà de l'aspect humain ou humanitaire, fut inégalité et contraste : inégalité des profits et contraste des effets. Les rapports qui lièrent les Européens aux Africains durant ces cinq siècles furent des rapports dissymétriques
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« Si les XVIIe et XVIIIe siècles sont considérés comme les siècles obscurs de l'Afrique, ceux qui suivirent ne furent pas plus lumineux. A la traite devait succéder la colonisation qui eut, parmi ses mobiles évoqués, l'extinction du brasier allumé sur les côtes africaines depuis le XVe siècle. Étant incapables d'arriver eux-mêmes à bout du sinistre par leurs propres moyens, les Africains ne pouvaient par conséquent, en aucune manière, résister à la pénétration coloniale dont ils avaient préparé le terrain. Ils ne pouvaient résister ni militairement, ni techniquement, ni même passivement. » TIDIANE DIAKITE. La Traite Des Noirs Et Ses Acteurs Africains.. Berg International
LA COLONISATION
classe préparatoire à SCIENCES .PO
« L'idée coloniale », est, elle aussi, complexe et paradoxale : complexe parce que recouvrant des usages multiples ; paradoxale parce que tout le monde emploie le mot en pensant savoir , ramenant, à l’unité d’un terme, des situations en fait très diverses. On peut néanmoins, en se souvenant de ce qui a été dit plus haut de la schématisation des concepts, distinguer plusieurs éléments qui rendent compte de l’histoire
L’étymologie du mot n’a rien de péjorative en elle-même, quoiqu’elle ait très vite servi de justification par ailleurs. On parle ainsi de » colonisation de peuplement » , du latin colere habiter un lieu ; ce qui a donné colonus (cultivateur, colon) , soit l’occupation le peuplement et la culture des parties du globe qui seraient inoccupées, non peuplées, incultes » .La « colonie » (colonia) chez les romains était en ce sens soit une terre cultivée, une ferme, soit un territoire donné à cultiver à des soldats en de leurs services ou à des citoyens sans terre .Ce sens neutre va très vite occulter d’autres aspects historiques bien différents : Ainsi l’Angleterre va –t-elle occuper et « coloniser » l’Australie, déclarée « Terra Nullius, terre vide », au mépris des territoires aborigènes souvent sacrés et prétextant le petit nombre des autochtones. BIENVENUE EN AUSTRALIE
« A en croire tous les colons du monde, ceux-ci n'auraient dépossédé que la nature vierge, et combattu que les éléments déchaînés. Les premiers habitants ne sont pas perçus comme tels, ils sont confondus avec la nature à laquelle ils sont intégrés par leur genre de vie plus ou moins « primitif ». Mais une terre sous-exploitée n'est pas inculte, un pays sous-peuplé n'est pas un désert. On pourrait penser que plus la population indigène est clairsemée, moins l'acuité du problème est vive. Il n'en est rien, le contraire serait plutôt vrai. Un genre de vie qui ne permet que de très faibles densités, comme celui des chasseurs ramasseurs, exige pour la subsistance du groupe de très vastes espaces. Cela est aussi vrai, dans une moindre mesure, pour les agriculteurs itinérants sur brûlis, pour les pasteurs nomades et même pour les paysans d'avant la révolution agricole qui pratiquent la jachère. Le colon armé des techniques les plus modernes, habitué à des rendements élevés, jugera que l'indigène a trop d'espace " il n'a qu'à faire " comme lui, et il pourra vivre sur un territoire " normal ". Pervillé Guy. Qu'est-Ce Que La Colonisation ? In: Revue D’histoire Moderne Et Contemporaine
MASSACRE DES ABORIGENES Aussi l’histoire a bien vite montré d’autres usages du mot, en dehors de la colonisation au sens premier, à savoir la domination, l’exploitation économique , voire l’assimilation d’autres peuples
La domination prit la forme de l’Empire, soit une formation politique fondée sur la conquête et sur sa consolidation par l'usage ou par la démonstration de la force armée (On peut définir l'impérialisme comme une politique visant et délibérément la conquête d'un empire). On entend généralement par empire colonial un ensemble de dépendances conquises ou acquises par un État occidentale entre le XVe et le milieu du XIXe siècle et réparties dans le monde entier, grâce à la maîtrise des océans, monopole des peuples européens pendant toute cette période. Les empires européens en Afrique ont ainsi succédé aux simples comptoirs installés sur les côtes (pénétration en profondeur rendue possible par le progrès de l’armement, voire médical, la quinine remédiant aux ravages de la malaria).
Pour prendre un exemple précis, l’histoire de la colonisation du Congo est révélatrice de cet impérialisme. Ainsi l'action du journaliste américain et explorateur Stanley va permettre qu’une personne privée , le roi Léopold, devienne propriétaire du Congo, de 2,5 millions de kilomètres carrés, ainsi que de la force de travail de ses habitants. Le roi lèguera finalement son « Congo « à la Belgique .Cette phase de colonisation fut particulièrement sanglante : on discute encore du nombre de victimes. Stanley fut surnommé Bulamatari ou bula matari, signifiant « celui qui brise les rochers ».On doit dire aussi que la mission Marchand, célébrée chez nous comme particulièrement civilisatrice , coûta la vie à de nombreux Africains. L’arme au poing, Marchand et ses hommes obligèrent à transporter leur matériel et leurs provisions les Batékés et les autres peuples qui vivaient le long de la route justement empruntée dans le passé par les marchands d’esclaves pour rejoindre Brazzaville depuis Loango. Ceux qui refusèrent se firent trouer la peau. Quant aux déserteurs, leurs foyers et leurs villages furent incendiés, leur bétail abattu et leurs récoltes détruites.
« Pour ceux qui avaient la malchance de se trouver sur son chemin, l'expédition ressemblait à une armée d'invasion, car elle retenait parfois en otages femmes et enfants jusqu'à ce que les chefs locaux lui fournissent des vivres (…) [Un des officiers de Stanley écrit dans son journal] : « Stanley donna l'ordre de brûler tous les villages à la ronde ». Un autre encore décrivit un massacre avec autant de décontraction que s'il s'agissait d'une chasse : « C'était très intéressant de rester tapi dans la brousse à regarder les indigènes vaquer tranquillement à leur labeur quotidien. Certaines femmes […] fabriquaient de la farine de banane en pilant des bananes séchées. Nous pouvions voir des hommes construire des huttes et accomplir d'autres tâches, des garçons et des filles courir et chanter. […] J'ouvris la chasse en visant un type en pleine poitrine. Il tomba comme une pierre. […] Immédiatement, une salve balaya le village. » — Adam Hochschild, Les Fantômes du roi Léopold.
Suite aux critiques internationales relatives à la violence du système colonial de Léopold II, l’administration coloniale belge tentera de lisser son image en s’inscrivant dans une "mission civilisatrice", à l’instar des autres puissances internationales, laquelle mission reposait sur l’idée que l’Europe était plus "civilisée" que l’Afrique et se devait, à ce titre, d’éduquer les populations africaines (y compris par la force). Pour prendre un exemple concernant les femmes congolaises ,dans la seconde phase de la colonisation visant l’accomplissement de cette mission « émancipatrice », l’administration coloniale belge entreprit de "civiliser" la prétendue "hypersexualité" sauvage des Congolaises : la famille congolaise sera refaçonnée selon les normes belges et chrétiennes qui prévalaient à l’époque en matière de sexualité, conjugalité et parentalité, instituant l’autorité masculine comme centrale et légitime à l’exclusion de toute autre, supprimant de ce fait le pouvoir qu’ elles avaient hérité de la tradition.
Le contrôle de l’administration était dominé par la Belgique, sans organe démocratique pour les habitants. Le chef de l’État restait en toutes circonstances le roi des Belges, mais la gestion journalière était dévolue au Gouverneur général qui régnait sur neuf provinces qui avaient chacune à leur tête un gouverneur. Si les noirs n'avaient pas le droit politique de s'occuper de leur pays, il en était de même des colons et administrateurs blancs qui n'avaient pas le droit de vote. Diverses autres restrictions affectaient les Congolais. Dans les villes construites par les colonisateurs, les populations noires étaient refoulées dans les banlieues, souvent organisées en « cités indigènes », tandis que les centres villes étaient réservés aux seuls Blancs. Les Noirs n’avaient pas le droit de quitter la cité indigène de 21 heures à 4 heures du matin. Ils ne servaient, en fait, que comme main d’œuvre au colon ou à l’administration coloniale (serviteur, artisans, mineurs, caissiers, mécaniciens, etc.). Les supermarchés, tous situés aux centres villes, étaient interdits d’accès aux noirs, on leur avait réservé une fenêtre par laquelle ils pouvaient faire leurs achats. La seule coexistence entre Blancs et Noirs était tempérée par la tolérance accordée aux prêtres catholiques noirs représentant un véritable clergé local.
Avec le Congo, la Belgique obtint des matières premières peu chères. L’administration coloniale recruta des travailleurs forcés pour les plantations et pour les mines et imposa même en 1926 la conscription générale. Elle négociait pour se faire, avec les différents dignitaires congolais pour qu‘ils leur fournissent des hommes comme travailleurs (10 francs par tête). Les chefs politiques se débarrassaient en général des gens qu’ils n’aimaient pas dans leurs communautés. Les travailleurs étaient emmenés jusque dans les mines où ils travaillaient pour 10 à 15 francs par mois. De nombreux travailleurs mouraient de fièvre à tiques, de grippe, de pneumonie, d’épuisement ou à la suite des éboulements, à tel point que ce système, qui succédait aux exactions léopoldiennes et à la Première Guerre mondiale, risquait de dépeupler de nombreuses régions. Les autorités essaieront de résoudre la crise en imposant des restrictions aux recrutements forcés (par exemple, le décret de 1933 limita en effet à 60 jours la durée du travail forcé dans les plantations.
« La recherche hégémonique dans laquelle s'est rapidement lancé le colonisateur s'appuyait sur l'évidence de la force : celle de l'époque esclavagiste, mais aussi celle, privée, des compagnies concessionnaires et celle, publique ou semi-publique, de l'administration et de ses auxiliaires indigènes. Le recours systématique au massacre, à la déportation, au travail forcé, à la puissance des armes à feu, aux châtiments corporels, à l'emprisonnement, à la peine de mort, et la nature très autoritaire de la plupart des institutions sociales de la colonisation - la mission, l'école, l'hôpital, la mine, la plantation, par exemple, sans même parler des camps de concentration ou de regroupement pendant la guerre Anglo-boer ou la rébellion Mau-Mau - nous rappelleraient, s'il en était besoin, que cette dernière a d'abord été une occupation militaire, bien qu'elle ait vite reposé sur des fondements complémentaires…. Les figures imaginaires de l'Afrique politique sont éminemment coercitives. Les spécialistes du Zaïre ont en particulier souligné la généralité de l'identification de l'État contemporain à l'image terrifiante de Bula Matari, qui s'était imposée dès les premières années de la pénétration belge, et la diffusion de la représentation picturale de la « Colonie belge » dans les intérieurs urbains, tableau mettant en scène le travail forcé des indigènes et la flagellation des récalcitrants sous l'œil impavide d'un administrateur. Pareillement, en Afrique du Sud, le système de l'apartheid a jusqu'au bout gardé le visage d'une domination sans fard. Et le monde de la nuit est riche de symbolisations qui élaborent les relations de prédation entre les sociétés africaines anciennes et leurs partenaires étrangers : ainsi, l'ombre menaçante de la traite esclavagiste hante la sorcellerie de l’ekong, au Cameroun. JF BAYART/ L’ETAT EN AFRIQUE FAYARD.
GENOCIDE HERRERO NAMIBIE
Les colonisateurs ont fait montre d’ambivalence à l’égard des pouvoirs qui les avaient précédés : les interventions européennes avaient des objectifs contradictoires, visant simultanément à la transformation et au maintien de l’ordre dans des sociétés profondément bouleversées par la conquête. Des réponses multiples ont donc été apportées au gré des conjonctures, des échecs et des réussites pour aboutir à la formation d’une série de « despotismes décentralisés » exercés au travers des chefs traditionnels. Les autorités traditionnelles avaient été initialement perçues comme hostiles par les colonisateurs. Mais ces autorités sont vite apparues utiles pour la gestion des vastes territoires conquis. La politique du colonisateur fut multiple en ce sens. Il a pu coopter les lignages dominants, comme les Britanniques avec le royaume Ashanti en Gold Coast, le califat de Sokoto ou les royaumes yoruba au Nigeria ; comme les Français avec les « grands commandements » de l'Afrique de l'Ouest ou les lamidats foulbé du nord du Cameroun, comme les Belges avec les royaumes du Burundi et du Rwanda. Soit qu'il ait créé de nouveaux pouvoirs de toutes pièces en cooptant des personnalités qu'il avait identifiées, en les nommant « chefs de canton » (dans la terminologie française) et en fondant de la sorte des dynasties de notables en particulier dans le contexte des sociétés lignagères qui n'étaient pas dotées d'institutions politiques centralisées . Les chefs traditionnels sont ainsi devenus des auxiliaires chargés de mobiliser les populations pour les besoins de l’autorité coloniale, fomentant des renversements de dynastie si le tenant du trône ne collaborait pas. Ces stratégies ont engendré une intensification des luttes de factions pour accéder à ces postes. La collecte des impôts, le recensement, l’organisation des corvées, mais aussi le contrôle politique local leur ont été délégués. De façon symptomatique, les autorités coloniales ont d’ailleurs généralement réussi plus facilement à coopter les pouvoirs centralisés des royaumes que les réseaux de pouvoir plus labiles organisant les sociétés décentralisées, où une résistance de basse intensité aux intrusions coloniales s’est prolongée. En général chefs et monarques sont souvent sortis renforcés et autonomisés de leurs sociétés, mais parfois aussi coupés d’elles.
ESPACE COSMOPOLIS NANTES MUVACAN MUSEE VIVANT DES ARTS ET CIVILISATIONS A NANTES
INFOS PRATIQUES MUsée Vivant des Arts et Civilisations Africaines de Nantes (MUVACAN) 33, route de Vertou 44200 Nantes http://muvacan.org
JACQUES BARRIER. Président du Muvacan
MUVACAN
L’association « Le Musée Vivant des Arts et des Civilisations d’Afrique à Nantes » (MUVACAN) organise sa quatrième exposition itinérante, Le Pouvoir en Afrique, des traditions à nos jours. L’exposition de 2012 Insolites poupées d’Afrique s’est déplacée dans de nombreuses villes depuis Nantes. Celle sur Les Arts de guérir en Afrique traditionnelle en 2014-2015 a suivi le même type de chemin depuis sa base nantaise pour rejoindre l’Université Catholique de Louvain en Belgique, l’Université de Tours et récemment Quimper. L’exposition «Naître et être en Afrique, entre traditions et temps présents» a eu lieu également en 2017 à l'Espace International Cosmopolis grâce à la ville et l'agglomération de Nantes puis s'est déplacée à Bruxelles avant le Musée de Fontenay Le Comte en 2019. Toutes ces manifestations font la promotion des civilisations africaines. Nos valeurs sont le dialogue inter-culturel et la lutte contre les préjugés. Outre sa dimension culturelle, notre démarche est sociale dans l’esprit de ce que pouvaient être les «musées d’éducation populaire». Dans ce sens, en partenariat avec des associations africaines, nous recherchons un impact à long terme, donc à capitaliser nos opérations concrètes. Une action en cours: un musée virtuel qui reprend nos expositions et les pérennise, muvacan.org. Un souhait fort: un musée africain à Nantes, ville consciente de son passé, et pourquoi pas une antenne du Musée Branly-Jacques Chirac? JACQUES BARRIER, PRESIDENT DU MUVACAN
Yvan ETIEMBRE. Commissaire de l'exposition.
Présentation de l’exposition
L’exposition balise à travers plus d’une centaine d’objets, joints à des panneaux didactiques, les deux types d’organisation qui ont prévalu dans l’Afrique traditionnelle, tout en prenant une grande diversité de formes historiques, les « sociétés sans état » ; « les chefferies et les royaumes ». Ces deux formes se juxtaposaient et s’équilibraient souvent. D’une part en tant que sociétés dites sans état ou contre l’état elles reposaient sur la parenté et l’organisation territoriale, clans, villages. Pas de pouvoir politique au sens que nous lui donnons : l’autorité appartenait à des chefs de lignage ou anciens qu’on appelait « Maîtres De La Terre ». Des confréries ou sociétés secrètes jouaient un rôle dans l’initiation des jeunes et l’administration de la justice par l’emploi de « fétiches » et de masques, qu’on pourra voir .Le don et la distribution de richesses, marques obligatoires du pouvoir, se matérialisaient à travers des « monnaies » de prestige présentes dans l’exposition. Des migrations et des conquêtes amenèrent une autre forme : les chefferies et les royaumes. Soit un véritable espace politique. Pouvoir centralisé, autour d’un palais vaste domaine social et économique. Les mythes posaient rois et chefs en personnages « sacrés » étrangers et séparés des autres ; ils étaient dispensateurs de biens et garants de la fertilité du sol , une puissance reçue des ancêtres lors de l’intronisation.. « Le roi était d’ailleurs », entouré d’interdits créant la distance mais les règles morales et sociales communes ne s’appliquaient pas à sa personne. Il pouvait pourtant subir un régicide rituel si on considérait que des catastrophes naturelles témoignaient d’un déficit de puissance . De multiples objets présents dans l’exposition. les « regalia » accompagnaient le « fétiche vivant » et manifestaient son prestige..
Ce pouvoir, déjà centralisé, se transforma peu à peu jusqu’à nos jours. La traite, entraina un déplacement massif et forcé de populations esclaves appauvrissant pour longtemps le continent,. Elle amena aussi le commerce des armes, le mercantilisme européen, les échanges de biens en contrepartie d’esclaves. Mais c’est la colonisation qui transforma totalement le paysage politique. En ignorant l’histoire du continent, vu trop souvent comme simple réservoir de matières premières et au mépris de sa culture propre, elle créa des frontières inconnues de l’Afrique traditionnelle, regroupant des peuples différents, créant de ce fait les conflits à venir .Elle imposa de force l’administration de type européen là où elle n’avait jamais existé, rendant possible des despotismes futurs. Sera aussi abordé l’importance de la sorcellerie présente dans le fonctionnement des sociétés traditionnelles comme il le fut en Europe. De nombreux objets de contre-sorcellerie, dits « objets forts », sont présentés ici. Une place particulière sera dans cette histoire donné au rôle des femmes trop souvent occulté au sein d’un monde massivement patriarcal mais qui connut des reines et personnalités éminentes, figures par exemple de résistantes à la colonisation. Yvan Etiembre, vice –président du Muvacan ; Commissaire de l’exposition
Yvan Etiembre
« Le roi vient d’ailleurs »
Selon le Rameau d’Or de James Frazer, le magicien primitif aurait donné naissance au roi. Il aurait été promu en raison de ses pouvoirs, au service de la prospérité collective, comme faire tomber la pluie, amener ou détourner les vents. Ce chef politique africain, était ainsi qualifié généralement de « roi sacré », « roi/prêtre » ou « fétiche vivant ». Chef héréditaire d’un lignage royal , il recevait un autre statut par un rituel (l’intronisation) qui le séparait de la population et l’arrachait à l’ordre familial Il devenait responsable de la prospérité, comme des catastrophes majeures qui affectaient son peuple. Une fois intronisé, le nouveau roi souvent reclus dans son palais, centre politique et économique séparé, était soumis à des interdits nombreux qui commandaient ses rapports avec la population, et ses proches (serviteurs, épouses et parents.) On ne lui parlait pas directement, mangeait seul et ne sortait que pour les fêtes rituelles. En cas de catastrophes répétées, il pouvait subir une mort rituelle pour empêcher que sa décrépitude physique n'affecte la force de la nature dont il était le garant.
La salle présente, des bronzes de cour du Bénin , statues et coiffe royale yoruba ; un ensemble d’objets Kuba dont les masques royaux qui dansaient au palais ou un tambour cérémoniel.Des trônes, sièges et masques des Grassland (Cameroun) autour de la personne du Fon ,chef sacré. Enfin une importante série de tissus, d’armes de prestige et d’objets d’apparat.
« LES FILS DE LA TERRE » SOCIETES SANS ETAT.
Batammariba.(Togo) rituel de deuil Tibenti(copyright D.Sevane.)
L’anthropologie contemporaine parle plutôt de sociétés « contre l’état » pour caractériser des sociétés qui n’ont pas de pouvoir politique nettement différencié et visible à l’opposé des chefferies et royaumes . Elles sont dites « segmentaires « ou lignagères. Si chef il y a, c’est celui d’une communauté familiale et territoriale. Les préjugés colonisateurs les voyaient « sauvages » ou anarchiques ; elles ne sont pas pourtant dépourvues d’organisation et de contrôle social. • Système de parenté élargie donnant à chacun une identité et un rôle, les anciens contrôlant les cadets. • Structuration plus large en clans, villages voire classe d’Age. • Totémisme : Culte d’ancêtres communs à un clan qui peuvent être non humains comme le python arc en ciel. La structure la plus fréquente sera celle d’une unité territoriale comprenant plusieurs groupes de descendance autour d’un lignage dominant vu comme fondateur (ainsi les Chokwe), dont le chef prendra le titre de Maitre De La Terre. • Une forme d’organisation « démocratique », le Palabre où les problèmes de la communauté se résolvaient par le pouvoir de la parole.
Présentation du héros Chibinda Ilunga, fondateur mythique des Chokwe (Angola) par statues ,sièges, objets liés au tabac. Siège pende, ensemble de cannes de dignitaires et diverses statues ou objets d’apparat de notables ou grands ancêtres
. L’EXERCICE DU POUVOIR ET LES MONNAIES .
Dans les sociétés africaines, des sociétés secrètes et des confréries jouaient un rôle de contrôle social dans l’initiation des jeunes et dans l’administration de la justice. Elles accompagnaient et renforçaient le pouvoir des chefs. Elles utilisaient en particulier des masques, incarnations redoutables de forces cosmiques ou venues des ancêtres. Les masques surgissaient lors de l’initiation et traquaient les coupables de déviance en particulier les sorciers. Dans ce rôle une des confréries les plus connues était la société Ngil des Fang, interdites par la colonisation en raison de sa violence et dont les masques surgissaient la nuit dans les villages à la lueur des torches pour faire avouer, voire exécuter les coupables.
Présentation de masques de justice, Fang, (Gabon) Songye,(RDC) Bete et Dan(C.Ivoire) Pende (RDC) ;objets Dogon et Bambara (Mali)
Le pouvoir des monnaies.
Les monnaies d'échange en Afrique sont diverses: les cauris porcelaine-monnaie (monetaria moneta) sont des petits coquillages qui ont été répandus par les marins arabes et européens en provenance de l’est, essentiellement les iles Maldives. Les cauris ont historiquement été utilisés comme monnaies avant les colonisateurs. Il s'agissait d'une monnaie très fiable car inimitable. Utilisés par ailleurs dans la divination, Ils étaient et restent symboles de richesse et de pouvoir, ornant les vêtements, les masques et divers objets dont les bijoux. En tant que monnaies d’échange il y a eu aussi les perles, la poudre d'or et un peu partout les produits d’usage, le bleu de Reckitt, les pierres, les étoffes, le sel, les noix de cola. Tout s’échangeait. La dot, la compensation matrimoniale n’est qu’un exemple. La richesse n’avait pas le même sens que dans les sociétés occidentales surtout à partir du 16ème siècle.Elle reposait en partie sur la capacité du Don (donner, recevoir, rendre.) le roi ou chef devant distribuer des richesses comme marque de pouvoir
Seront présentes de très nombreux objets métalliques de forme très diverses selon les régions. Il s‘agit surtout de fers noirs, plus rarement de monnaies en cuivre, laiton, argent qui reflétaient autant symboliquement la puissance de leurs possesseurs que leurs capacités pratiques d’achat et de don. Les lingots de métal ont pu être transformés en manilles (bracelets). Il en venait aussi d’Europe, fabriquées en Angleterre (Birmingham et Liverpool) et à Nantes, utilisés pour divers trafics dont la traite négrière.
« IL FAUT BIEN VIVRE AVEC SON « SORCIER « LA SORCELLERIE EN AFRIQUE TRADITIONNELLE. ET LES OBJETS FORTS
C’est un « appareil de croyances » pratiquement universel : l’Europe l’a connu au 16eme et 17éme et a multiplié les buchers de prétendus sorciers (souvent des femmes guérisseuses.) Il a subsisté jusqu’à notre époque dans les pays de bocage. Le sorcier « diseur de sorts » est censé pratiquer une magie à l'origine du malheur, de la maladie ou de la mort. Thérapies et sanctions constituent alors l’autre versant du système. Historiquement présente à l’intérieur de la parenté, du clan ou du village, l’évolution contemporaine de la sorcellerie touche désormais l’ensemble des pouvoirs économiques et politiques.
Le sorcier « mangeurs d’Ames » dévorerait par « jalousie » la force vitale de ses victimes et anéantirait famille et solidarité. Il disposerait d’un « pouvoir » héréditaire matérialisé par une entité logée dans son organisme (evu, djembé). La protection contre les sorciers donne lieu d’amulettes, de charmes divers qu’animent des spécialistes, tels les Nganga..Ils utilisent en particulier les « objets forts » qu’on nomme « fétiches ».
Objets de pouvoir et pouvoir des objets Leur nom est Boliw (boli), Nkishi (pluriel Minkishi) ou Vodun, ce sont de puissants objets de pouvoir dont l’aspect devait susciter la crainte. Les portugais au 16ème siècle les ont vus comme des idoles diaboliques et leur ont donné le nom de « festigio », fétiches, (objets fabriqués et maléfiques). Vaguement anthropomorphes, à figures animales ou totalement informes ils sont enduits d’épaisses patines sacrificielles, hérissés de clous et chargés de matières diverses provenant des trois règnes.
Ils ne sont en fait l’image d’aucune divinité mais par les rituels condensent une énergie cosmique ou issue des ancêtres qui va servir à la protection d’une communauté ou des individus. Ils sont l’apanage des prêtres (Nganga) qui les animent, des chefs et des rois. Ceux-ci détenaient souvent leur puissance de la somme de ces objets en leur possession. La salle présente des boliw : les grands marquaient les évènements par leurs sacrifices rituels ou marchaient à la tête des guerriers. Les petits servaient de protection individuelle. il en est de même des « fétiches Songye d’une grande variété stylistique. Chaque village en possédait des grands communautaires. Enfin les Minkisi Kongo dit « fétiches à clous » étaient l’instrument de vengeance contre les sorciers ou renforçaient les décisions collectives.
ANIMALITE ET POUVOIR
Le « Grand Partage » de la pensée occidentale a séparé, au 16ème siècle, la culture de la nature et donc l’homme de l’animal. Les mythes des sociétés traditionnelles, au contraire, parlent d’une origine indifférenciée qui fait que l’animal reste toujours parent de l’humain,
• Le totémisme est l’idée d’un ancêtre animal fondateur d’un clan ou d’une collectivité, et lui donne son nom. .Ce totémisme clanique sert donc à la fois d’identification et de marque des rapports de pouvoir des clans entre eux. Le rapport à « l'esprit animal » est présent dans la sorcellerie :le sorcier , est dit prendre une forme animale(souvent le serpent) pour perpétrer ses agressions. • Ce pouvoir de métamorphose est attribué à certaines catégories d'initiés, de confréries ou de sociétés secrètes, tels les fameux hommes-léopards de Côte d’ivoire ou du Nigeria. • La force et la prudence du léopard donnent sens au politique .La peau de léopard est la marque des chefs et des rois Présentation de ciwara masque des cultes de fertilité et pangolin animal totémique
LES TRADITIONS SE TRANSFORMENT
L’évolution des systèmes de pouvoirs en Afrique est l’occasion de montrer la complexité des forces en présence, la difficulté des instaurations démocratiques, d’autant que ce continent est l désormais ’objet de convoitises des états et firmes étrangères. La traite négrière verra le transfert forcé de 12 à 20 millions d'Africains en Amérique entre le XVIe et le XIXe siècle. Appauvrissant pour longtemps le continent, elle développera en outre le mercantilisme, le trafic de marchandises dont les armes .Selon l’historien Africain TIDANE DIAKITE les effets cultuels et psychologiques, ce qu’il nomme la « culture de traite » seront les plus marquants jusqu’à nos jour « abandon de sa culture, tentation du gain facile pour des produits matériels en provenance de l’occident »
La colonisation européenne devait transformer et figer les rapports de pouvoir : elle fut souvent violente (génocide des Herrero, annexion du Congo comme simple patrimoine privé par le roi Léopold II. L’État colonial devait associer la notion de tradition à celle de chefferie, avec l’idée d’une Afrique sauvage ou despotique. : d’abord hostile aux autorités traditionnelles, les pouvoirs centralisés lui sont vite apparues utiles pour la gestion des vastes territoires conquis - la collecte des impôts, le recensement, l’organisation des corvées ;le contrôle politique local leur ont ainsi été déléguées. On assista à un véritable tournant autoritaire des pouvoirs traditionnels, en interaction avec le pouvoir militaro-administratif des administrateurs coloniaux, supprimant les contre-pouvoirs traditionnels qui équilibraient pourtant les systèmes politiques anciens . Les conditions de l’échec des fondateurs des Indépendances à instaurer des pouvoirs démocratiques étaient déjà réunies.
L’exposition prend des exemples Transformation des confréries : l’exemple des chasseurs.
chasseurs mandingues centerblog
La confrérie des chasseurs mandingues est une société traditionnelle de type maçonnique qui existait de longue date en Afrique de l’ouest (XIIIème siècle). Ils avaient un rôle mythique et social important (défense des villages, soutien des pauvres, des veuves et des orphelins) qui a évolué. La perte d’influence a été progressive avec la possibilité de dérives nationalistes dans certains des états les plus faibles. A partir d’un exemple (royaume du Ndongo au XVIème siécle dans l’actuel Angola) il est possible de montrer le rôle de la traite. Les esclaves étaient traditionnellement une couche sociale constituée soit des prisonniers de guerre (qui appartiennent au roi), soit des étrangers, soit des villageois libres condamnés pour des infractions religieuses ou des actes de désobéissance. Les portugais en ont profité pour la traite vers le Brésil à une grande échelle (environ 12000 par an).
La propriété foncière : il n’y avait pas de propriété foncière individuelle dans l’Afrique traditionnelle, au sud du Sahara. Outre ses prérogatives religieuses, le chef de terre affectait les terrains selon les besoins. Les colonisateurs ont considéré ces terres(les matières premières en particulier) comme vacantes et sans maîtres donc à disposition . Parfois, les chefs de terre ont pu retrouver un rôle traditionnel lors des indépendances, mais l’administration centrale et la propriété foncière se sont installées, sources de conflits. . L’exposition montre une série exceptionnelle d’une dizaine de pagnes représentants les Pères Fondateurs des indépendances (citons Senghor, Houphouet-Boigny…) dont les destins ont été contrastés. D’autre part est souligné la confrontation d’un animisme traditionnel avec l’islam et le christianisme : quelques objets soulignent ces rapports conflictuels.
Femmes De Pouvoir
A partir du XIV siècle, , l'histoire documentée par les chercheurs de l'UNESCO, décrit des femmes exceptionnelles ,le plus souvent des reines, prenant le relai de pouvoirs ébranlés pour relancer la lutte contre les envahisseurs. > elles se trouvaient au milieu des combats, à la tête de leurs armées, chefs reconnues par leurs . Elles avaient appris le maniement des armes depuis leur jeune âge, ce qui éclaire la condition féminine de ce continent à cette époque. Elles exaltèrent le courage de leurs troupes, avec des succès divers mais parfois réels. Quand aux Minos, elles ont constitué pendant 2 siècles les troupes d'élite des rois du Dahomey. Elles ne furent battues que par les troupes coloniales françaises, après leur avoir fait subir de lourdes pertes.
De nos jours, le rôle majeur des femmes est reconnu dans les entreprises du secteur commercial. L’exposition souligne l'histoire des Signares du Sénégal, des Nana Benz du Togo qui illustre le dynamisme ancien des femmes dans ce secteur. Surtout une pratique ancestrale, la Tontine ou banque des femmes, qui leur offrait un espace de liberté et d'autonomie, connait grâce à la numérisation des perspectives ambitieuses. Le G7 réuni à Biarritz en août 2019 a souligné ce fait en leur réservant plusieurs millions de dollars. Se crée ainsi un mouvement d'entraînement qui permettra le véritable développement économique de l'Afrique, apparu comme moyen de compenser les mouvements de migrations et de radicalisations.
Le contenu de la salle est fait de panneaux et de photos racontant cette histoire comme Njinga une reine guerrière du XVIIème, la reine Sarraounia Mangou qui résista aux Peuls et aux francais, l’impératrice éthiopienne Taitu Betul qui fonda Addis-Abeba et s’opposa avec succès aux colonisateurs. Un autre panneau développe ce qu’est la Tontine. En outre quelques objets seront montrés tels robe de princesse Kotoko du Nord Cameroun ou une statue de princesse yombe (Kongo)
Ce qui vient d’être dit de l’objet vodu peut l’être tout autant du fétiche Nkisi qu’on trouve par exemple chez les Songye : Wyatt MacGaffey, l'un des plus grands spécialistes de la société kongo, définit le nkisi comme le réceptacle d'une puissance personnalisé qui vient du monde invisible des morts. Les esprits des morts — appelés génériquement mikishi — occupaient en effet une place très importante dans les pratiques rituelles Songye. Bienveillants ou malveillants, ces esprits étaient en contact direct avec les humains et intervenaient dans leur vie quotidienne. Les pratiques rituelles parvenaient à les soumettre pourtant à un certain contrôle humain. Ces dernières étaient opérées par le Nganga un terme que MacGaffey traduit par « opérateur ».Il était censé posséder le savoir mystique - fruit d'un pouvoir inné et d'une formation adéquate - pour traiter avec ces esprits. Le nganga occupait la fonction de devin, de prêtre, de guérisseur, de juge et de thérapeute. Les Songye le considéraient comme l'opposé du sorcier, même si les pratiques des deux étaient liées, voire se chevauchaient partiellement. Le « réservoir » ou le « corps », du nkisi ( nitu) dans lequel s'installait la puissance, était susceptible de prendre forme d'une statue anthropomorphe ou zoomorphe, en bois sculpté, montée d'un miroir et ornée d'ajouts de matériaux qui parvenaient parfois à effacer toute apparence figurative. Mais il pouvait également revêtir d'autres formes : calebasse, sac ou corbeille remplis d'ingrédients, grand coquillage, poterie, petite flûte faite d'une corne de gazelle, boîte de conserve, assemblage de lanières de coton, courge, statue représentant saint Antoine ou même crucifix. À ces réceptacles le nganga intégrait des charges (ou « médicaments ») appelées bilongo, constitués d'éléments appartenant aux trois règnes végétal (graine, feuille, écorce...), animal (coquille de mollusque, porc épic, plume, écaille de pangolin...) et minéral (cailloux, kaolin). Ces substances magiques animales, végétales et minérales ( bishimba) créaient « le contact entre les forces spirituelles et le monde physique. D’autre part, La corne, les bandes de métal ou les clous de laiton, au-dessus de la tete, témoignaient du pouvoir de la statue ; nombre de ses accessoires faisaient aussi référence aux hommes vigoureux en général, ou des individus « à haut rang »: chefs, chasseurs, forgerons et Nganga . Les ventres protubérants était un signe de fertilité, renvoyant à la fois au cycle biologique de la grossesse et de la naissance et au cycle perpétuel de l'ascendance. Mais comme dans le cas des minkisi Kongo le pouvoir réel des figures restait bien celui des substances dissimulées «qui fournissaient le contenu agressif capable de neutraliser une source d'action malveillante» . Chez les Songye une sculpture dépourvue de telles substances où dont la corne est coupée est considérée comme un «morceau de bois vide». Comme les fétiches à clous kongo ou les fétiches luba , ses figures sculptées n'étaient d’ailleurs qu'une des formes possibles de réceptacle pour les bishimba. Les récipients naturels comme les cornes d'animal, les coquillages ou les calebasses étaient beaucoup plus répandu que les sculptures figuratives. Les sources orales Songye s'accordaient généralement pour affirmer que les calebasses et les cornes étaient les premiers types de réceptacle pour les bishimba et que les sculptures anthropomorphes servant de réceptacles - ont été introduits à une époque plus récente (et dans le cas des fétiches à clous parce qu’ils constituaient un marché profitable , avec des occidentaux que ces objets fascinaient.)
Sont bien sûr les plus connus, « les minkisi imprécatoires » ceux que la littérature sur l'art africain traditionnel appelle « fétiches à clous », qui autrefois servaient à la malédiction et à l'envoûtement, c'est-à-dire à l'exercice d'une vengeance. Longtemps les auteurs ont été impuissants à rendre compte de ces statues hérissées de lames, de couteaux et de clous ; certains ont parlé de « culte des divinités naturelles », d'autres y ont vu une influence de « l'iconographie chrétienne, celle du Christ martyr ».Il s’agit en fait d’une opération dite « enfoncer la vengeance » où un individu lésé s’adressait à une puissance invisible en provoquant et dirigeant la colère et la vengeance de celle-ci vers un tiers en enfonçant lames et clous dans le support matériel. . Les imprécations devaient préciser la nature de la punition souhaitée en fonction de la gravité du préjudice et des domaines d'action de chaque nkisi particulier l’un provoquait des évanouissements ; l’autre de graves maux de tête, un troisième la folie..
Si boli ou minkisi ont aussi une individualité marquée par leur matérialité et les rites dont ils sont le centre ,s’ils sont en quelque sorte des personnes ,c’est au sens où l’on conçoit cette personne en Afrique. Par l'un ou l'autre des éléments de sa personne, par son corps également, l'individu est, d'emblée et toujours, situé en un ou plusieurs points d'une chaîne d'ancêtres, ainsi qu'en plusieurs lieux du cosmos ou de son entourage naturel et social. Il est d’abord un nœud de participation . l'Africain se définit par sa position, :il est fils cadet ou fils aîné, il est mari, il est père, il est chef. Quand on lui demande, il se situe dans un lignage, il marque sa place dans un arbre généalogique. Pareillement les objets de pouvoir sont à concevoir dans la trame des rapports politiques et sociaux même si ce n’est pas apparent C’était d’ailleurs l’apport de Marx et de sa théorie du fétichisme(en lui enlevant le coté d’illusion et pratique inconsciente) : comment un objet conventionnel paraît chargé de forces infuses.Il est inséparable de rapports sociaux, mais les multiples enveloppes, matérielles, sociales, et symboliques dont il est recouvert contribuent à le présenter comme corps doté de pouvoirs autonomes. Les rapports sociaux se sont condensés « réifiés » dit marx en un objet si autonome qu'on lui attribue vie.
Ainsi on classait les minkisi Songye en deux catégories de base en fonction de leur taille. Les exemplaires de grande taille étant propriété collective d'un village et répondaient aux besoins communautaires, alors que les figures de petite taille appartenaient à un individu ou tout au plus à une famille. Dans ces types de minkisi communautaires, on peut percevoir la fusion de la politique et de la religion ; certaines fonctions renvoient à la figure de l'ancêtre ,d’autres ont rapport au pouvoir. Ces grandes figures de pouvoir étaient invoquées pour la procréation, la protection contre les maladies, la sorcellerie et la guerre ainsi que la conservation de territoires conquis. Les mankishi communautaires «prenaient le statut de figures ancestrales et, dans leur personnalisation, étaient liés aux héros culturels et aux hommes de pouvoir» (chefs, nganga, chasseurs), dont ils avaient souvent le nom.Cette convergence de la figure de pouvoir et de la figure d'ancêtre, semble montrer l’évolution vers une autorité sociopolitique plus centralisée et son pendant - l'émergence d'une hiérarchie chez les Songye
Une construction spécifique érigée au centre du village ou à proximité de la case du chef servait de résidence au nkishi communautaire. Un gong de petite taille et un tambour étaient utilisés pour accompagner les danses exécutées par les hommes du village en l'honneur de la sculpture. Tous les mankishi étaient confiés à un ancien - homme ou femme. Ce gardien - connu sous le nom de kunca - servait d'interprète au nkisi, dont les messages étaient reçus en rêve ou par possession par les esprits. Le gardien veillait aussi à ce que les hommes et les femmes du village respectent les règles et interdits requis pour assurer le succès de l'intervention du nkisi. De tels mankisi communautaires servaient aussi à des consultations collectives, qui se déroulaient en principe au moment où des rites étaient organisés pour célébrer l'apparition d'une nouvelle lune.
Pour prendre un autre exemple, les objets de pouvoir chez les Koma des Monts Alantika du Cameroun, étudiés par Françoise Dumas-Champion, gardent une fonction politique : le rang d'un homme dépend du nombre des objets qu'il possède.(Ref Pouvoir Et Amertume Du Fétiche.Dans Système De Pensée En Afrique Noire.Fétiches). Les « fétiches » vome ou kene agissai ent comme des régulateurs sociaux : ils institutionnalisaient la différence des sexes(excluant les femmes du culte) aussi bien que la hiérarchie des classes d'âge et étaient identifiés à la chefferie ainsi qu'à son pouvoir. Les Koma, ne connaissaient ni organisation clanique, ni union en cas de guerre ;ils n'avaient pas, de même, de principe lignager prééminent. Chaque communauté était dirigée par une sorte de « prêtre » ou chef rituel qui détenait son pouvoir de la quantité de « fétiches » (vomé ou kéné) dont il était propriétaire. Le prêtre était entouré d'un collège d'officiants rituels composé de huit ou dix membres choisis parmi les plus âgés de la communauté, également détenteurs de vomé. La possession de ces objets conférait un pouvoir qui n'était pas seulement politico-religieux, mais aussi divinatoire et thérapeutique. Les végétaux, associés au vomé ,leur donnaient en effet les capacités de traiter les maladies naturelles et celles qui relèvent de la sorcellerie.
Chaque membre du culte possèdait ses propres vomé qu'il conservait à l'abri du regard des incirconcis dans des cases ou des greniers construits à cet effet. Ils n'étaient sortis qu'une fois par an, à l'occasion d’un rite agraire au cours duquel ils étaient régénérés. Ils formaient un ensemble pour le moins hétéroclite. Au cours des degrés d’initiation, celui qui accèdait au stade ultime de « grand homme » se voyait remettre, par tous les membres du culte, différents objets collectés en brousse. Il pouvait s'agir d'une pierre choisie pour l'originalité de sa forme, de vieux fers de houe, de lances ou de flèches, de cornes d'antilopes, mais aussi de calebasses décorées par les anciens. On considèrait que l'étrangeté d'un objet le désignait à la propriété des esprits ancestraux. Aucun fétiche ne pouvait t d'ailleurs se concevoir sans ce pouvoir conféré par les ancêtres.
Autrefois, le chef rituel prenait les décisions d'ordre politique. Il se trouvait être ainsi « chef de guerre » en raison des « médecines » qu'il détenait. Aujourd'hui, l'administration camerounaise a nommé des chefs de village et de quartier, soustrayant le pouvoir politique aux anciens, mais le rôle des chefs administratifs se limite souvent à la collecte de l’impôt. Parmi cette hiérarchie, les forgerons jouent un rôle prépondérant parce qu’ils sont justement considérés par la tradition comme les inventeurs et les pourvoyeurs des vomé . « Personnage ambigu à qui est associée l'origine de toutes choses, traité comme un roi — notamment lors de ses funérailles, le forgeron est aussi objet d'évitement en raison des tâches dangereuses qui lui incombent: il est fossoyeur, circonciseur et sacrificateur ». Il a ses « fétiches spécifiques qui se composent de trois faucilles, considérées comme des instruments masculins et d'un sorte de sceptre en bois, à tête d'épervier, à caractère féminin. Son activité est disjointe de celle d’un chef de pluie dont le pouvoir de faire la pluie est matérialisé par un vomé composé d'objets et de végétaux
Certains fétiches sont des instruments de musique, en particulier les rhombes en fer, premiers vomé révélés aux jeunes circoncis. Ils sont appréhendés comme la « voix des ancêtres ». On dit encore qu'ils chassent les oiseaux maléfiques. Ils vont par familles : on parle des rhombes père, mère et enfant. Vrombis au début d'une cérémonie, ils annoncent aux femmes le moment de regagner leurs cases et leur rappellent l'interdit de regard qui les frappe. Enfin, protectrices des cases ou des greniers qui renferment les objets cultuels, des pierres du vomé se dressent aussi autour des bosquets sacrés où les anciens rendent leur culte. Egalement présentes devant les habitations des chefs de famille, elles jouent le rôle d'autel domestique. D'autres monolithes sont fichés au croisement des chemins menant au village ou simplement dans les champs. On trouve encore des cercles de pierres avec un monolithe érigé en leur centre, qui délimitent le « champ du vomé ». Il s'agit d'une parcelle de terrain de trois mètres de diamètre qui est « ensemencée » par le chef religieux et les titulaires du culte. Le rite d'intronisation des chefs rituels consiste dans le fait d'asseoir l'impétrant sur la pierre du vomé. C'est un moyen pour le chef d'entrer en relation avec le monde des ancêtres. Ces pierres, jamais retaillées par l’homme, sont considérées comme le travail des esprits ancestraux. En relation avec le cycle agraire, elles possèdent une puissance multiple, éloignent du village sorciers et mauvais esprits, et interviennent dans la maturation du mil. Leur sont associées une série de végétaux, notamment les feuilles d'une certaine espèce d'arbre.
Pour en revenir aux boliw (ou boli), selon J.P.Colleyn, il existait aussi des grands et des « boli de poches » ; les grands étaient ceux des sociétés initiatiques, des chefferies ou des États, (aussi fonctionnaient ils en « batterie », véritable microcosme) pour accroire leur puissance et constituer des réservoirs de Nyama, l’énergie captée par l’activité rituelle. Toutefois selon l’auteur , cette théorie énergétique masque en fait des rapports de pouvoir : « Toutefois, bien que masqués par cette théorie énergétique, les rapports sociaux se font sentir. La transmission des secrets indispensables à la captation et à l’accumulation du nyama obéit à des codifications très strictes. L’expression quasi juridique du rapport des vivants aux morts et à la nature, et des rapports des vivants entre eux, révèle qu’avec la médiatisation par des «objets forts», c’est quasiment à une réification des rapports sociaux, au sens propre, que nous avons affaire. En jouant sur la métaphore des couches accumulées de sang sacrificiel, ces objets peuvent s’analyser comme les produits «coagulés» des relations de pouvoir qui consacrent les inégalités fondées sur l’âge et le sexe. »J.P Colleyn, L’alliance Le Dieu ,L’objet. L’Homme.
Ainsi Les rois de Ségou et du Kaarta avaient des boliw d’État : le caractère sacré du pouvoir venait masquer la conquête : les boli de ces chefs étaient dits si puissants qu’ils touchaient à la sorcellerie-on sait que la sorcellerie est souvent une des composantes du pouvoir royal- par eux ,par leur force , le conquérant se projetait au-dessus de la société. Mais en dehors de l’espace politique, d’autres rapports sociaux avaient rapports aux boliw : . Des familles exclues de toute position de pouvoir politique pouvaient augmenter leur force sociale en fondant un sanctuaire. Au niveau villageois et familial, les aînés contrôlaient le travail de leurs dépendants, les ressources vivrières, le mariage, grâce à leur prééminence dans le savoir occulte. Leur force politique s’appuyait sur la gestion des boliw – choses d’hommes –, leur permettant d’intimider les femmes et les cadets. De son vivant, le chef de culte formait un ou deux héritiers et leur livrait progressivement son savoir. La fonction s’héritait par rang d’âge, au sein du groupe de descendance en ligne. Le recours aux boliw, leur mode de transmission, leur contrôle et leur gestion étaien ainsi chargés de deux altérités fondamentales: la différence sexuelle et la différence d’âge : différence qui se muait en domination.
"Sur le plan cosmique, le boli se présente comme la condition de l’échange de substances entre la nature et l’homme, mais sur le plan social, il condense des rapports de force complexes. Seuls certains individus sont reconnus comme les opérateurs légitimes de l’échange. De ce point de vue, le boli ne masque pas un rapport social, il contribue à l’établir en tant que tel et en tant que rapport au monde (Augé 1975). Par réification de rapports sociaux, il faut comprendre qu’un objet joue le rôle d’opérateur logique dans la constitution de ces rapports. L’objet ne vient pas en un second temps remplir une fonction de masque pour un rapport social qui lui préexisterait, il occulte par sa nature miraculeuse (kabako) la nature sociale des relations qui lui donnent son sens."op.cite (c'est moi qui souligne)
Pour concrétiser sur un exemple , J.P.Colleyn approche la société Minyanka du Mali à travers une institution religieuse où domine la figure de Nya et la société initiatique qui lui voue un culte. Nya est une des puissances intermédiaires entre homme et le « Dieu suprême » Kle, abstrait, impensable, hors atteinte, représentant le « ciel » en tant espace cosmogonique. Importée du pays Malinké, Nya médiatrice, agissant sans cesse entre ciel et terre, n’est pourtant pas personnalisée. Aussi, les ancêtres auraient enfermé la force et l’énergie de Nya dans des fétiches les Yapere (l’auteur les nomme « autel ») concrétisant cette puissance abstraite et permettant une attitude active pouvant influencer le cours des choses. Nya se matérialise sous formes de trois sacs de coton, remplis d'une quantité considérable de yapere. Le mythe considère ces sacs nommés " sacs-mère " ou " sac-mère-du-monde ", comme une enveloppe placentaire renfermant, par la présence des yapere végétaux et animaux, toutes les choses inscrites dès l'origine dans la matrice céleste de Kle. Il s’agirait d’une telle puissance qu’elle ne se communique que par des transes où les possédés en sont les interprètes. Pour chaque société du Nya, il y a deux manifestations annuelles importantes ou « nya kashin, " sacrifices du Nya ", qui se déroulent, l'une avant les semailles (entre le mois de mars et la fin mai), l'autre après les récoltes (entre novembre et décembre). Lors de ces longues cérémonies, les sacs du Nya sont sortis de leur sanctuaire au village, et portés par des possédés. Ils sont transférés dans des " enclos de brousse ", nyatun (litt. " fourré du Nya "). Là, dans l'enclos, ils sont sortis un à un de leur enveloppe et transférés dans de grandes jarres sacrificielles pour y recevoir le sang des victimes, en particulier du chien, victime préférée du Nya. « On ne se contente pas de les invoquer de manière abstraite : pour qu'elles se concrétisent localement, il faut fonder un sanctuaire, acquérir des yapere et les « nourrir » par des sacrifices. Les puissances elles-mêmes ne sont pas personnalisées et ne s'organisent pas en panthéon hiérarchisé. Essentiellement polymorphes, elles apparaissent simultanément, et de manière non contradictoire, comme une et multiples, mâles ou femelles, immatérielles ou matérielles, bonnes ou mauvaises. Elles tiennent du dieu puisqu'on leur demande la vie, la santé, la naissance d'une progéniture, la pluie, les récoltes, la prospérité, etc., mais aussi du monstre, de l'animal, de l'être humain et de l'objet magique. Quelques récits mythiques, les chants, les louanges et les prières les parent de qualités merveilleuses et les qualifient de fauve, d'antilope, de caïman, de femme rebelle, de chasseur, de sorcière, de mère, d'homme sincère, d'arbre, de vieille chose qui tue, de chose dangereuse, de singe mâle, de queue, d'organes sexuels, de lait nourricier, etc. Les puissances qui « prennent en bouche » en s'incarnant dans un possédé (Nya, Nankon) ou dans un porteur de masque habilité à parler en leur nom (Komo) présentent le plus de traits anthropomorphes. Elles discutent, négocient, se fâchent, manifestent toutes les humeurs propres à l'être humain. »
Quant au mot yapere dont aucune étymologie n'est établie, il désigne aussi bien de petit objets personnels que ceux des grands cultes publics, les objets protecteurs que les objets maléfiques. Ils ont une « apparence dérisoire — leur aspect excrémentiel de boules noirâtres couvertes de sang séché fait même l'objet de plaisanteries — mais ils résonnent d'un écho prestigieux. » ils sont fabriqués par l'agglomération de fragments divers. A chaque étape de la confection, ces fragments sont liés par des fils rouges, noirs et blancs, et collés par différentes sortes de terre et de substances sacrificielles. Le sacrifice sanglant au-dessus de cet amalgame se fonde sur un système de rapprochements analogiques et sur une théorie de l'énergie. Le support du fétiche renferme en effet une énergie statique, tandis qu'une énergie fluide s'y ajoute sous forme d'eau, de bière, de crème de mil, de sang, de noix de cola et de piments mâchés, de plumes, de poils, de poudres végétales dont on enduit les objets ou avec lesquelles on les fume.
L'exemple du culte de Nya montre qu'à travers les objets yapere, il y a stockage de force sociale et constitution de rapports de dépendance. La fabrication, l'acquisition, la détention et l'entretien des yapere requièrent des compétences précises et l'allégeance d'un groupe social hiérarchisé. L'exercice du culte va donner une expression publique aux luttes d'influence et fournit une grille d'interprétation des aléas de la vie.
Pour créer une société d'initiation dans un village, trois ou quatre chefs de famille se groupent, concluent un pacte d'amitié, et décident de fonder un sanctuaire. Cet accord, scellé par un serment, intervient entre plusieurs personnes de bon renom, qui vont se répartir les fonctions et les charges. Le culte est toujours à la fois collectif et privé. Celui qui a pris l'initiative de fonder un sanctuaire et a « payé » les autels en devient le détenteur. A ce titre, il est le chef de la société. Ce chef de Nya est ainsi à la fois savant, prêtre, guérisseur, devin et, d'une certaine manière, sorcier .les nya tigi, Les "chefs du Nya", "propriétaires des sacs", sont dits appartenir à la famille des descendants de l'ancêtre qui fut le promoteur du culte du village. Le Nya portera généralement un nom associé au nom de l'ancêtre qui a inauguré le culte. Au sein de chaque classe d'initiés, une hiérarchie verticale, régie par l'aînesse, contrôle le comportement de chacun. L'idéal veut que ces classes recrutent dans des lignages différents, ce qui renforce la crédibilité de la société. Les différentes classes d'initiés entretiennent des « relations à plaisanteries » rituelles qui désamorcent les tensions.
« En outre, L'acquisition de yapere n'est pas un acte ponctuel : c'est une entreprise de stockage de forces et d'accumulation de puissance de longue haleine. Les pouvoirs sur l'invisible doivent faire leurs preuves dans le monde visible de la vie quotidienne : il faut que les adeptes du culte se sentent protégés. Quand le chef du culte acquiert les autels, il doit fournir un effort personnel pour les renforcer et connaître les poudres végétales indispensables à leur efficacité. De son vivant, il forme un ou deux héritiers et leur livre progressivement son savoir. La fonction s'hérite par rang d'âge, au sein du groupe de descendance en ligne paternelle. La règle de succession et d'héritage a résisté à la division des communautés familiales. Même si on ne cultive plus ensemble, sur le plan cérémoniel, l'unité du segment de lignage localisé se maintient. L'organisation sociale repose toujours sur l'aînesse et sur une valorisation de la séniorité. » Le chef d'un sanctuaire manipule une véritable richesse ; son vestibule est le point de passage d'une circulation impressionnante de dons et de contre-dons. S'il reçoit beaucoup, sous forme de bêtes sacrificielles, de bière, de pagnes et d'argent, son rôle l'oblige à redistribuer largement. Les chefs de culte vénaux, qui « travaillent comme des charlatans », sont très mal vus et leur gloire est de courte durée. La centralisation éphémère des cadeaux revêt un caractère plus socio-politique qu'économique. Par les dons et contre-dons, les individus s'obligent mutuellement, s'imposent les uns les autres des devoirs. En effet, une société du Nya, regroupant localement tous les hommes circoncis du village, ne constitue pas pour autant une société autonome sur le territoire. Chaque société est liée selon une relation fondamentale à une société-" mère " qui, à l'origine, a présidé à sa consécration sur le territoire. De sorte que l'institution du Nya s'étend, sur le territoire Minyanka, avec ses lois propres de filiations généalogiques, nettement distinctes des rapports de parenté établis par la patrilinéarité. Car fondamentalement, le Nya a été introduit au village dans un pacte symbolique, dit ya, " objet ", entre des lignées d'hommes de villages différents, et qui n'étaient liées jusque-là par aucune alliance matrimoniale. Il va s’agir d’un autre type d’échange que la parenté et portant sur des objets les yapere, achetés fort chers à la société mere. « Cette notion d'" achat ", fort présente à l'esprit des membres du Nya, a introduit la dimension d'un " échange " fondamental, car c'est cet échange qui a créé les liens de filiation entre les sociétés du Nya. Tout chef de famille cherche à renforcer son statut en se posant comme détenteur, exclusif ou non, d'un objet redoutable aux propriétés inconnues. Pour ce faire, il adopte deux procédures parallèles : une procédure d'alliance dans le cadre d'un ou plusieurs grands cultes et une procédure strictement personnelle par l'acquisition de yapere propres. A partir d'une base commune, chaque famille de Nya s'est constituée une série spécifique de fétiches que viennent encore modifier les démarches de chaque chef de Nya. « Si tu t'y connais, dit-on, tu transformes Nya à ta main ». Tout chef de Nya « court » : il travaille à renforcer ses autels par l'adjonction d'objets. Les frontières ethniques importent peu. Au cours de ses pérégrinations, un chef de Nya minyanka peut très bien acquérir un fétiche bambara et l'ajouter à son Nya.
« L'étude du statut de ces objets dans le système des représentations et des pratiques sociales fait clairement ressortir que religion, magie et sorcellerie ne peuvent être posées comme des domaines séparés. Elles s'intègrent toutes trois dans ce que les Minyanka appellent le Bamanaya, qui correspond à un mode de vie et à un système de pensée que Comte eut qualifié de fétichiste et Tylor d'animiste. Curieusement, la fascination que les objets religieux ont exercée sur les auteurs, tels Comte, Tylor, Mauss, Haddon, Malinowski et bien d'autres, a oblitéré un aspect de leur réalité. Tout se passe comme si les objets avaient masqué le caractère social des relations qui les font exister et auxquels ils sont nécessaires. Dans cette société sans grande mobilité sociale, sans concurrence économique véritable, une lutte compétitive se livre dans l'ombre pour l'obtention de yapèrè, de poudres, de formules secrètes. En l'absence d'autorité politique centralisée, les sanctuaires abritant les yapèrè constituent des pôles de pouvoir permettant l'expression des luttes d'influence. Les individus, hommes et femmes, acceptent les règles d'un jeu qu'ils connaissent et les manipulent. Leurs désirs et leurs craintes s'incarnent en des objets puissants. Mais la force de l'objet est toujours plus ou moins consciemment mise en relation avec l'envergure sociale de celui qui le détient comme de celui qui le brave.
On pourrait ici tirer profit de certaines analyses que Pierre Bourdieu a consacrées aux luttes symboliques. N'oublions pas que la principale qualité d'un yapèrè, c'est d'être dangereux, mauvais, méchant. C'est pourquoi il est le signe distinctif des individus classés comme forts. Mais ce jeu de la distinction n’a rien d’ostentatoire : il s'agit de paraître, non en montrant mais en suggérant. Il faut donner l'impression d'être fort en cachant ce que l'on sait. Dans ce contexte, l'âge est une valeur politique : « avoir duré dans les affaires de yapèrè » est un exploit tenu en haute estime. Cela signifie qu'on a pu vaincre ses ennemis grâce à la manipulation d'objets souverains, sans y succomber soi-même. C'est un exercice auquel on affecte d'importantes ressources et auquel on consacre beaucoup d'énergie. » Jp.Colleyn Op.Cité (c’est moi qui souligne).
Jean Bazin dans son article sur les « Choses Dieux » : " (in "Le Temps De La Réflexion", Le Corps Des Dieux 1987), écrit ainsi : « J’aurais plutôt tendance à croire que si le « fétichisme » nous apparait si impensable, c'est en vertu d'une théologie implicite qui définit d'avance le pensable… …. Mais se peut-il vraiment que des humains prennent des choses pour des dieux? Le « fétichisme» est-il une religion effectivement pratiquée ou une projection de l'imaginaire occidental susceptible de se dissiper sous l'éclairage de notre autocritique? »… N'est-il pas surprenant et remarquable qu'au tournant du siècle, les pratiques de sociétés identifiées comme "primitives" aient inspiré les théories chargées d'expliquer le comportement de l'homme moderne ? Le fait relève sans doute, selon la formule de Claude Lévi-Strauss, de ce "sentiment contradictoire de présence et d'étrangeté" que suscitent chez nous les usages exotiques ». La réponse de notre culture combinant le progressisme des lumières , la tradition religieuse monothéiste et l’autonomie de l’art a été de dessiner un schéma évolutionniste décrivant, en matière de statut des images, un cheminement de l’idole antique vers une représentation consciente ,dont l’art constituerait le dernier avatar(ainsi les fétiches « primitifs se trouvent ils magnifiés et métamorphosés par leur entrée dans nos « musées imaginaires » ).On irait ainsi, d’une présentification de l'invisible, à l'imitation de l'apparence, de l'actualisation à la représentation.
Dans les premiers temps( ?), l'image divine (idolon)serait instituée pour actualiser, présentifier des puissances autrement invisibles, pour "assigner une place dans notre monde à des entités de l'au-delà" , permettant ainsi d'"établir avec la puissance sacrée, à travers ce qui la figure, d'une manière ou d'une autre, une véritable communication, un contact authentique ; son ambition serait de rendre présente cette puissance, pour la mettre à la disposition des hommes, dans des formes rituellement requises. Mais l'avènement de la mimésis aurait corrigé ce statut de l'idole divine pour mener « à l'image proprement dite ». C'est-à-dire à l'image conçue comme un artifice imitatif reproduisant sous forme de faux-semblant l'apparence extérieure des choses réelles.
Le concept même d'évolution est fondamentalement occidental et notre prise de conscience de l'altérité a longtemps été soumise à ce schéma. Cette transformation de l'objet du pouvoir "en image d'une divinité faite pour être vue" nous a finalement menés à exclure toute autre approche de « l’objet fort », transformant notamment le "fétichisme" en une dérive aberrante de l'idolâtrie. A l’inverse de l’évolution décrite ci-dessus, tout culte qui ne s’élèverait pas à l’abstraction et à la représentation sera considéré comme rechute ou maintien dans la primitivité.Les divers « primitivismes », même s’il semblent renverser l’ordre des valeurs, ne font que suivre ce schéma « à rebours ».la nostalgie des origines valorise au contraire l’idée de primitivité.
Comme dit ci-dessus, ces conceptions occidentales montraient d’abord la méconnaissance profonde des objets fétiches et l’impuissance à les penser vraiment. L’Afrique traditionnelle ne s'entourait pas de "fétiches" sans le savoir. Elle entretenait avec ses objets sacrés ou jugés puissants des relations singulièrement fortes, dignes de requérir l’attention des anthropologues .Elle les adoptait délibérément dans le cadre d'institutions disposant à cet effet de spécialistes et en se référant aux codes symboliques de la société à laquelle ils appartiennent. Loin d’être les survivants du balbutiement des premiers âges, Il est reconnu que les africains n'idolâtrent pas n'importe quoi, adhérant à des systèmes religieux fort complexes et ne sont pas moins attachés que nous aux valeurs spirituelles. Ainsi, d’un point de vue religieux, les « objets fétiches » n'avaient pas pour but de mettre en relation avec un Dieu unique, universel comme le pense le christianisme, ses icones et ses statues de saints (l’idée d’un être créateur existait bien en Afrique mais on ne le lui rendait pas de culte direct, le voyant généralement comme incompréhensible, inaccessible ou « retiré »). Ils ne servaient pas non plus à honorer une pluralité de dieux autonomes personnalisés, du genre de ceux attribués aux religions qualifiées de polythéistes comme dans la Grèce antique. L'appellation d'idoles leur convenait donc mal. Ils n'avaient d'ailleurs aucune prétention figurative et n'étaient pas traités en images de quelque chose d’autre.Ils échappaient ainsi à notre problématique de la représentation. De plus, bien loin de tenir lieu d'instruments religieux d'une libération spirituelle du monde, ils se trouvent adoptés dans des buts généralement très intéressés : l'obtention de la santé et de la prospérité, l'élimination d'adversaires, ainsi que l'harmonisation et la fortification du corps social.
Pour des Africains la plénitude de l'existence n'est pas à rechercher dans l'au-delà mais à réaliser de façon immanente au sein même du monde où nous prenons naissance, de la nature, en collaboration avec « l’invisible ». La plénitude n'est pas atteinte en récompense d'un retirement dans un quelconque « arrière monde ». Participer à une création toujours changeante est en effet l'occasion pour tous les êtres, et toutes les forces de l'univers de coopérer et de vibrer en harmonie. Le point de vue adopté est celui d'une unification active de la multiplicité et non une évasion hors de ses atteintes.
« De nos jours, aucun progrès marquant dans la connaissance des religions africaines ne paraît plus pouvoir être accompli en continuant d'esquiver l'étude de pratiques que nous y trouvons focalisées sur une multitude d'objets dotés d'efficience, aussi bien employés pour témoigner de la puissance d'une divinité et inspirer à son égard une crainte sacrée que pour fournir à la population un certain nombre de protections et de services magiques répondant à ses désirs et opérant du même coup sur leur élaboration. « Dans l'esprit des intéressés, une élévation de la conscience au-dessus des réalités terrestres ne présente aucun intérêt si ce n'est en vue d'accéder à des connaissances et à des pouvoirs supérieurs. Ils n'envisagent aucune glorification réelle de Dieu qui puisse être indépendante du parachèvement de l'œuvre à laquelle il préside. Ils ne conçoivent l'existence posthume ou prénatale qu'en fonction du développement de la vie sur terre. Au ciel et au monde des idées, ils préfèrent celui de la réalisation des idées. Ils privilégient l'action au détriment du retrait contemplatif en soi-même, mais en cherchant à la provoquer ou à la soutenir par des voies occultes.». E de Surgy .NATURE ET FONCTION DES FETICHES EN AFRIQUE NOIRE. LE CAS DU SUD-TOGO.
Les religions ouest-africaines ne sauraient ainsi se comprendre indépendamment d'une théorie implicite de la compétence sociale et de la maîtrise de l'événement.Les objets puissants dont elles recommandent l'usage ont toujours une finalité pratique. Chargés des souhaits prononcés par les générations successives, recouverts du sang séché des sacrifices cycliques, ils résument toutes les-recherches d'emprise et soulèvent la problématique du pouvoir : donner les moyens de manipuler les puissances qui y sont investies constitue un enjeu culturellement construit qui ne prend sens qu'au sein des relations sociales.
La notion de fétiche embarrasse donc toujours les anthropologues occidentaux. Et si, aujourd’hui on regrette que des notions comme magie, animisme, fétichisme, mythologie aient longtemps servi à dénigrer des systèmes de pensée considérés comme inférieurs et situés à l’aube de l’humanité, l’anthropologie n’a toujours pas réussi à construire des concepts qui puissent avantageusement les remplacer. Certains auteurs, ont essayé de se débarrasser du mot fétiche en le traduisant par « autel », mais le sens courant du mot autel couvre difficilement la nature et la fonction d’objets tels que les buli gourmantché, les boliw bamana, les orishas yoruba, les vodun fon et les nkisi congolais, etc. Pour désigner les boliw (ou boli) un auteur comme Jean Bazin utilisait parfois la locution «objets forts» et Patrick McNaughton celle de «power objects», ce qui a l’avantage d’évoquer d’autres dimensions que religieuse. Pour E de Surgy, il faut "réhabiliter"l’emploi du mot mais à condition de le redéfinir sur la base d'informations ethnographiques précises, indépendamment des significations assez fantaisistes dont il a eu le malheur d'être affublé..» Purifier le fétiche de ce qu’il n’est pas, serait analyser d’abord les fausses conceptions, telles que n’y voir que des objets qu’on adore, ou des objets fixateurs d’affects ; en faire la représentation d’un au-delà ou le limiter au domaine de la magie renvoyant une fois de plus à une irrationnelle source de mépris. « Les fétiches ne sont pourtant ni des mascottes, ni de objets chéris aliénants, ni des objets adorés pour eux-mêmes, ni des révélateurs d'objets de pulsion, ni des substituts du phallus de la mère, ni des matérialisation de forces psychiques ou sociales, ni de simples objets figurant des réalités immatérielles Ils ne sont pas les seuls moyens de faire agir des puissances surnaturelles et surtout pas des reliques de religions archaïques ou dégénérées.. » E. de Surgy Op. Cité
La purification de la notion passe en premier par réfuter l’accusation d’idolâtrie, une des grandes problématiques des religions monothéistes. L’idolâtrie étant, pour ces dernières, l’oubli que les images religieuses ne sont que de simples représentations. Comme dit précédemment, le support de l’idolâtrie serait donc notre concept de mimesis, de représentation. Lucien Stephan (La Sculpture Africaine, Ed. Citadelles Mazenod )va ainsi « déconstruire » ce concept, qu’il s’agisse des masques ,des statues ou des objets fétiches africains « En Afrique, les croyances attachées aux objets de culte sont d'une nature autrement pragmatique ; ceux-ci font "autre chose ou davantage que représenter". Il nous faut ainsi "abandonner le primat naturaliste de la représentation, reconnaître dans le concept de représentation une anticipation qui oriente mal l'enquête. » Pour suppléer à mimesis, Lucien Stephan va proposer deux autres concepts permettant de penser l’objet fétiche .Il emprunte le premier à J. P. Vernant, celui de présentification. « La présentification " serait l'action ou l'opération par laquelle une entité appartenant au monde invisible devient présente dans le monde visible des humains ". les analyses de ce que Vernant nomme le » « Colossos »grec pouvant parfaitement s’appliquer à l’objet fétiche, sans y mettre cette fois le sens de primitivité que la théorie évolutionniste véhiculait.
J.P Vernant avait justement abordé pour le monde grec antique les problématiques qui nous intéressent : Comment rendre visible l’invisible ? Comment rendre l’inaccessible visible bien qu’il reste inaccessible ? L’inaccessible étant pour Vernant, « L’autre Absolu », soit la mort, symbolisés par la Gorgone, qu’on ne pouvait ni voir, ni représenter, ni figurer, soit la monstruosité, l’innommable, l'impensable, le chaos d’une certaine façon ; ce qu’on ne peut d'aucune façon s'assimiler. Bien au-delà, de toute mimesis, la matérialité brute d’une pierre, le colossos, faisait alors figure de double, « d’effigies de l’entre deux, « Statue ou simple pierre dressée, sans rien de mimétique ou d'anthropomorphe à l'origine, il a pour vocation de fixer la psuchê du mort, cette partie insaisissable de l'homme qui erre entre le monde des vivants et celui des morts, et qui justement peut apparaître comme fantôme qui revient. Le colossos, assure donc le possible contact des vivants avec les morts car il désigne l'espace où le mort peut remonter au jour. En même temps il est aussi signe d'absence du mort, de son appartenance à un ailleurs, à un au-delà qui reste fondamentalement autre. A la fois signe de présence effective et signe d'altérité, au carrefour du visible et de l'invisible, le colossos associe intimement la pierre et l'ombre, marquant par la pierre dressée ou la statue .Rattaché à la sphère de l’ Eidôlon, au même titre que l'image du rêve, le fantôme et l'apparition surnaturelle, le colossos relève, dans la Grèce archaïque, de cette "catégorie psychologique du double" que définit, selon Vernant, l'ambiguïté du statut de la présence - une présence inscrite dans la tension entre l'immobilité de la pierre et la mobilité de la psuchê, entre le matériel et l'immatériel, l'ici présent et le renvoi à un ailleurs. ».. --Monique Borie. Le Fantôme Ou Le Théâtre Qui Doute.Acte Sud ).(c’est moi qui souligne). J.P.Vernant démontre par l’analyse du colossos qu’il n’est pas un simple signe figuratif. Sa fonction est tout à la fois de traduire dans une forme visible la puissance du mort et d’en effectuer l’insertion, dans l’univers des vivants. Il n’est pas séparable du rite et revêt toutes ces significations que par les procédures rituelles dont il est l’objet. Le signe est « agi » par les hommes et lui-même recèle une force active. Il a une vertu efficace. Une fois "l’entité invisible présente dans l'objet", celui-ci devient "un individu et, de façon tout à fait cohérente, l'usager se comporte envers lui comme envers un individu" "ce qui est présentifié et ce qui le présentifie ne sont pas différents, mais constituent un même être.
Dans Système De Pensée En Afrique Noire(Fétiches 2), De Surgy précise, à propos d’un bovodu Ewé Ou Fon, qu’il ne renvoie qu’à lui-même : « Les fétiches ne sont pas destinés à représenter quelque chose d'autre. Seul leur enrobage ou l'objet auquel ils sont accrochés nous en signifie les principaux caractères et usages possibles. Leur partie essentielle et cachée n'est qu'un magma d'ingrédients pouvant difficilement être considéré comme un objet. Il s'agit là d'une chose mystérieuse n'ayant aucune prétention figurative, même dans les cas où un ou plusieurs éléments présentant une forme intelligible y sont inclus. « Entassés les uns sur les autres, rassemblés en paquets, ces ingrédients amalgament leurs vertus. Ils ne sont pas articulés les uns aux autres comme des segments de discours et ne représentent pas non plus, dans leur ensemble, une constellation de signifiés. Ils n'ont pas été rassemblés pour évoquer des principes, des valeurs et des distinctions intellectuelles. Ils ne se rapportent à aucun référent précis et ne possèdent aucune valeur sémantique. Ils ne nous disent rien. Tout simplement ils sont là. »
Tel est l’objet fort dans sa matérialité, comme le Boli par exemple ;ainsi dit Jean Bazin: « Posons-les un instant, sauvées de nos machineries symboliques, notre passion négatrice à les réduire à l'état de signe, je peux considérer ces mystérieux boli non comme des objets mais comme des choses qui, dans leur souveraine muette indépendance, ne renvoient enfin qu'à elles-mêmes . Un boli ne signifie rien, il est. Il tient sa place unique de chose unique. Il peut être objet de discours, d'exégèses, de croyances : mais « ce qui fait de la chose une chose ne réside pas en ceci que la chose est un objet représenté . Le principe qui préside à sa production est d'individuation, pas de représentation. Il ne s'agit pas tant de figurer l'univers par un concentré de tout ce qui le remplit, que d'y engendrer et d'y réengendrer sans cesse un corps singulier nouveau qui par son unicité même ordonne autour de lui un espace».Op.Cite
Et l’analyse de l’auteur d’insister sur les caractéristique qui font du boli un etre proprement singulier D’une part les boli ne sont pas interchangeables à la différence des supports habituels des dieux comme les autels, un dieu n’ayant pas un seul autel. Un boli est au contraire cette chose là et aucune autre chose ne peut la remplacer. Ceci rompt avec une des caractéristiques habituelles des objets d’être propres à l’échange .A la différence de notre marché de l’art, on n’acquiert pas un boli en Afrique, on l’épouse comme dans un système de parenté et son installation est célébrée comme une noce. Comme tout en chacun, un boli reçoit un nom, possède son histoire propre et tout initié connaitrait son origine, : il peut être mâle ou femelle, venir d’un point cardinal ancestral d’où il a émergé .Son histoire est aussi celle de ses effets : des différents événements qui lui ont été imputés : décès d'individus soupçonnés de sorcellerie, catastrophes naturelles miraculeusement évitées, armées dévastatrices qui passent en vue du village sans le voir, ennemis soudain privés de toute énergie ou cloués sur place dans leur fuite... « Les troupes de Segu emportaient en expédition des boli doués de cette vertu paralysante ; avant l'assaut, un guerrier présumé invulnérable exhibait le dieu aux ennemis et criait « il les a pris!». On peut supposer que plus se diffusaient les récits de ses succès, plus grandissait sa réputation, plus s'accroissait sa puissance efficace. Un boli a pour ainsi dire une personnalité sociale qui se perpétue à travers les générations de ses fidèles et qui s'exprime dans les multiples anecdotes dont s'enrichit progressivement son histoire. ».
L’histoire du boli est enfin celle de sa fabrication, liée aux rites. Un boli a comme élément d’identification son noyau caché « au cœur et cœur du mystère ». Sa recette est tenue secrète, comme gage d’inviolabilité, et la confection est toute une histoire. Le cœur du boli est recouvert de matières sacrificielles qui nourrissent ce noyau. La patine est autre chose qu’un simple enduit. L’épaisseur de la croute est le signe de l’ancienneté du boli et donc du degré de vénération dont il jouit. . L'officiant sculpte la forme en ajoutant des couches successives de sang, de poudres végétales dont la recette est tenue secrète, de libations (eau, bouillie de mil et bière), de noix de cola et de piments mâchés, de terre, de viscères, de poils, des plumes des animaux sacrifiés. La matière sacrificielle liquide est le vecteur privilégié d’une énergie « nyama » captée dans le boli qui devient ainsi un réservoir de puissance. " Mais cette matière hautement "chargée" qu'est le sang est périssable, d'où la nécessité de renouveler régulièrement le "crépissage" de l'objet. Les sacrifices sont si fréquents que certains boli "sont toujours tièdes, on ne s'arrête pas de les rougir de sang" , disait Henry en 1910. Lors de son séjour en pays bamana en 1931, Michel Leiris est très impressionné par une "forme bizarre", "une sorte de cochon de lait en nougat brun qui pèse au moins 15 kilos" …. Ces matériaux sont "une énergie fluide", contrairement à l'"énergie statique" dont est constitué le noyau . C'est ce "crépissage" rituel qui donne corps au boli, amplifie à la fois sa forme et sa potentialité. Les fréquents ajouts en font un objet inachevé, dont le travail est toujours en cours. Un fétiche "achevé" doit être considéré au sens propre : objet inerte, dieu mort. De son expansion continuelle dépend sa vitalité et son efficacité : il doit être considéré comme un être vivant, tout comme la société humaine dont il est l'image et qu'il protège. Accumulation rime ici avec évolution en même temps que cohésion. Mais il ne faut pas oublier la part invisible de cette accumulation rituelle, incantations, "puissance [et] savoir des générations successives" transmis par les anciens en crachant sur les objets certaines matières sacrificielles mâchées, événements survenus dans la communauté, souhaits, fumigations. Les sacrifices en sont les signes visibles, leur concrétisation par couches successives. Mais sans l'adjonction de ces prières et ces fumées, sans l'auditoire qui lui crache dessus son histoire et son savoir, le boli n'est rien". Michele-Tobia Chadelson .Le Fétiche Africain Histoire D’un Malentendu. . Tout ceci qui rejoint le second concept de Lucien Stephan emprunté à l'historien Peter Brown : la potentialité. A la présence est associé le pouvoir. L'Invisible possède un pouvoir, une force, une capacité d'agir qui rend actives les choses visibles en lesquelles il se présentifie. Dans le chapitre de son livre appelé "objets à prendre en considération", E. de Surgy propose de commencer une définition générale des fétiches et des relations entretenues par les féticheurs envers eux. Il montre que ces objets ne sont pas destinés à rendre honneur à une divinité en s'effaçant devant elle, mais qu'ils consistent en la maîtrise de force subtiles et invisibles. Pour l’auteur, de tels objets présenteraient quatre caractéristiques distinctes. 1/ Ils sont, tout d'abord, utilisés pour engendrer des catégories de phénomènes qui échappent à l'ordinaire. 2/ Ils sont donc pour les humains, des moyens d'action qui se distinguent des moyens habituels mobilisés pour agir directement sur des phénomènes ordinaires. En ce sens, ils forment des instruments d'action spécifiques qui permettent d'introduire des causes nouvelles au delà du monde humain afin de provoquer, en retour, des effets dans ce même monde. 3/ Ils doivent donc permettre d'obtenir des résultats qui soient en accord avec la volonté de leurs utilisateurs. 4/ Ils sont enfin, à la base d'une sorte de système d'échange, de pacte avec l’invisible et différentes déités (génies, vodu, orishas par exemple) pour contrôler les forces qui irriguent le monde et produire certain effets dans le nôtre.
L’auteur prend l’exemple des objets vodu chez les Evhé .Ce seraient des objets de culte permettant à leur possesseur d'améliorer et d'harmoniser ses rapports avec son environnement matériel, social et spirituel. Selon une première étymologie, la syllabe vo signifierait un état de liberté ou d'indépendance, et la syllabe du signifiant pays, cité, territoire villageois, désignerait des objets de culte ayant pour fonction d'aider chacun à mieux vivre ou à vivre avec aisance dans son lieu. On les trouve installés à demeure dans des enceintes réservées ou dans des cours d'habitation, parfois à l'air libre, parfois sous abri, parfois dans des cases fermées à clef. Tel est bien en effet ce qui motive la fabrication d'un vodu. Il contribue à l'enrichissement et à l'harmonie des rapports de l'homme avec son environnement matériel, social et spirituel. Une autre étymologie a attiré l'attention sur le rapport entre la notion de vodu et celle de trou(ou de porte) entendu alors comme ouverture en direction de l'invisible ou de l'abîme des origines. Dans le langage usuel, le terme de vodu désigne en effet toute sorte de trouée vers l'au-delà, à travers laquelle l'homme parvient à modifier à son profit les déterminations immatérielles de son existence. » Ce qui s'en laisse voir n'en est jamais que le signalement extérieur, souvent réduit à sa plus simple expression. Il peut s'agir d'un contenant soigneusement fermé et parfois même emballé : calebasse, poterie, cuvette..., déposé sur une estrade ou une étagère ou monté sur un piquet fourchu. Cependant il s’agit le plus souvent d'un cône de terre battue élevé dans une bassine ou à même le sol, souvent alors de nos jours enduit de ciment. Ce cône est éventuellement décoré avec une assez grande fantaisie. Il lui arrive d'être rendu grossièrement figuratif d'une tête ou d'une silhouette humaine. Il lui arrive aussi d'être tronqué pour servir de support à un ou plusieurs objets usuels ou symboliques. L'essentiel du vodu est toujours enfoui à sa base ou dans sa masse et consiste en ingrédients, pour la plupart végétaux, déposés au fond d'un pot ou enveloppés dans quelque chose. Les principaux appelés Ama sont des feuilles et des herbes choisies pour leur capacité à capter la puissance vitale diffuse dans l’atmosphère.
. « De tels ingrédients, dit A. de Surgy, sont des" restes d'événements, d'objets ou de corps vivants " Ils ne sont en aucun cas traités en reliques. Ils ne mettent pas davantage en rapport avec des créatures invisibles ou des êtres surnaturels auxquels demander secours. Nous ne les voyons choisis que pour évoquer certains types d'énergie de réalisation de quelque chose, certains types d'effets désirés, certains types d'intentions qui animent leurs utilisateurs. Et l’auteur d’énumérer les pointes de fer ou des balles de fusil qui évoquent par exemple une volonté agressive ;des dents ou des cheveux de mauvais mort, une volonté de faire périr quelqu'un d'accident. Des débris d'assiette ou de bouteille une volonté de réduire en miettes. Des épineux une volonté de faire souffrir. Des plantes urticantes une volonté d'irriter. Des nœuds ou des cadenas une volonté de subjuguer ou d'empêcher des méchants d'agir. Des insectes nuisibles une volonté de dévastation.. Une plante ayant poussé sur une autre la maligne capacité d'utiliser à son profit l'énergie d'autrui. Une racine ayant barré un chemin, une volonté d'arrêter un processus ou une entreprise. Une tête de chouette le désir d'égaler les sorciers et de ne pas être attaqué par eux. Des morceaux de peaux d'animaux sauvages ,le courage, la violence et la férocité. Des poils de l'écureuil de savane, un souhait de vivacité dans l'action. Une plante connue pour ses vertus lénifiantes, une volonté d'apaisement.
Selon les principes de l’animisme, les composants d'un fétiche vodu sont ainsi animés par un souffle (gbögbö). Il se crée alors « un lien de sympathie » dont la nature est d'unir le praticien à un registre de puissances supérieures et étrangères au monde matériel. « Ce qui est fondamental dans un fétiche est bien le "souffle" qu'il possède, et ce "souffle" nous est présenté comme inhérent aux matériaux nécessaires à sa fabrication ». l’objet fétiche renvoie donc une cosmologie très élaborée où le souffle vital (énergie)constitue un lien fondamental entre le monde des énergies premières et le monde humain.
« Tel qu'il est le plus immédiatement ressenti par les créatures aux-| quelles il est attribué, le gbögbö apparaît responsable de l'avènement du soutènement et de l'évacuation après achèvement des phénomènes! Il établit une communication entre le monde prénatal où ne sont" élaborés que des germes d'expériences terrestres et le plan de la manifestation où ces germes viennent éclore et se développer jusqu'à engendrer de nouveaux germes. Il correspond au dynamisme par lequel la nature ne cesse de faire passer les possibilités dont elle est grosse de la puissance à l'acte, d'assurer la gestation de toute production objective, puis de la désagréger pour qu'elle cède sa place à une autre.» E DE SURGY OP.CITE
Cette liaison de l'objet à d’autres mondes suppose une liaison de l’homme envers l'objet fétiche : le féticheur, ne peut demeurer passif vis-à-vis de l'objet qu'il s'est fabriqué. Il est obligé de "travailler" avec lui, de lui accorder des égards et de l'entretenir, sans pour autant en devenir dépendant. Ce sont, dit de Surgy, des "objets de préoccupation" envers lesquelles chaque acquéreur est lié. . « Un fétiche n'est jamais le simple reflet, dont son utilisateur serait dupe, de causes effectives qui opéreraient dans l'inconscient individuel ou collectif. Loin de résulter d'une objectivation passive à laquelle certains sujets se livreraient sans s'en rendre compte, il est le fruit d'un travail d'objectivation nécessitant le recours à des outils appropriés et permettant d'intervenir, sous contrôle de la volonté, à des niveaux irrationnels ou émotionnels difficilement maîtrisables »….
Pour prendre un exemple concret , le vodu le plus significatif, le plus visible et le plus connu est celui de Legba. Un des rares à l'aspect vaguement anthropomorphe, composé essentiellement de mottes de terre ou installé sur une termitière. De taille variable (certains atteignant trois mètres), il est pourvu d'un phallus conséquent. Il ne faut pourtant pas trop s'attacher à son apparence extérieure. Son être propre, sa puissance » est en fait une jarre contenant des noix de palme (divination de Fa) et enfouie dans un trou qu'on a creusé à la base. Qu'il soit Legba de portail, de case, de chambre, il balise l'espace et les voies et communication, du lieu personnel à la place du marché. Les mythes décrivent son ambivalence ; et c'est par le jeu des contradictions qui le constituent , par l'antithèse entre violence et pacification ,intérieur et extérieur, matière et énergie qu'il symboliserait justement pour l'homme la relation à L'Autre, et les voies à suivre..Analogue à l'Hermès des anciens grecs, il est l'intercesseur entre le visible et l'invisible, le passeur de sens.
« Le dieu objet (et sous cet aspect Legba n'est que le plus spectaculaire d'entre eux) c'est l'instance et le lieu par lesquels il faut passer pour aller d'un individu à un autre, d'un point à un autre ou d'un ordre symbolique à un autre, mais aussi bien de soi à soi puisque l'intimité et l'intériorité individuelles sont plurielles. L'objet symbole et fétiche affirme et nie la frontière ; plus exactement il en affirme la réalité tout en ouvrant la possibilité et en explicitant la nécessité de la franchir : il réaffirme à chaque instant la frontière, multipliant éventuellement les interdits, pour suggérer la possibilité et la nécessité du passage. Il est donc à lui seul discrimination et récapitulation. »MARC AUGE.OP.CITE
Les carnavals masqués , continuent à rendre hommage aux mythes anciens un peu partout . Habillé sous forme de chèvre, de diable, d’ours ou de monstre avec mâchoire en acier, « l’homme sauvage » appartient au monde de ces mythes.
Le photographe Français Charles Freger découvre le Krampus ) à Salzburg lors d’une mascarade. - créature démoniaque, née dans des pays comme l’Autriche, la Bulgarie ou la Slovénie. Fasciné par la rencontre, il se mit à la recherche des divers figures du mythe dans une chasse photographique à travers, ce qu’il appelle « l’Europe tribale ».
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