Le droit « coutumier, » régit la gestion de l'environnement en général selon une perception horizontale et verticale. La perception horizontale repose sur les rapports que les hommes entretiennent entre eux et entre eux et l'environnement. Cette perception définit un savoir, organise la connaissance fonctionnelle de la brousse ,de la forêt et de ses ressources et favorise ainsi la domestication de l'univers »naturel » et de ses composantes. La perception verticale, quant à elle, repose sur les rapports qu'entretiennent les populations entre elles et l'au-delà, et notamment les ancêtres dont les esprits reposent dans la forêt. Cette perception est légitimée par le caractère sacré de l'environnement en général et de la forêt en particulier, espace que choisit l’invisible pour se rendre présent et agissant..
La pensée bobo avec une grande attention toutes les singularités du sol : excroissances (termitières ou buttes , plateaux latéritiques dénudés), cavités .Ces anomalies sont interprétées comme étant les signes manifestes d’une présente divine. C'est dans le sein même de la terre que sont localisées un grand nombre de puissances surnaturelles qui empruntent les orifices du sol pour apparaître .Les légendes bobo sont intarissables au sujet des multiples espèces de « génies » qui résident dans le sol. Des hommes, eux-mêmes, y ont vécu et sont sortis par des trous : l’ancêtre d’une tribu a surgi ainsi d'un du trou et l’on appelle encore ses descendants "les gens du trou ".
I l est admis chez les Bobo qu’une puissance surnaturelle peut être la « propriété » de celui qui, le premier, est entré en contact avec elle et il est toujours reconnu que ce droit de propriété se transmet aux descendants, restant définitivement inscrit dans leur patrimoine. le terme de « propriété » est pourtant peu adéquat. Il concerne des notions juridiques propres aux sociétés européennes et qui ne sauraient s’appliquer lorsqu’il s’agit de définir des droits qui s’exercent sur des choses à la fois matérielles et immatérielles. C’est lorsqu’on étudie les systèmes foncier africains que l’on se trouve habituellement confronté à ce problème de terminologie : tous les auteurs reconnaissent qu’on ne peut à proprement parler d’une « propriété » de la terre en Afrique. La Terre est une divinité, le premier occupant d’une brousse vierge (ou, parmi ses descendants, celui qui le représente : le chef de terre) peut prétendre à certains droits sur elle, droits de nature religieuse plutôt qu’économique, mais en aucun cas il ne peut en disposer pleinement et, par exemple, l’aliéner. En revanche, le chef de terre est commis à exercer une sorte de gérance sur ce bien sacré dont il a .recu le dépôt, ce qui l’autorise notamment à en confier l’usage à des tiers. En ce qui concerne les droits religieux du chef de terre, il est utile de rappeler comment ils se fondent. Pour s’installer sur une terre vacante, il est nécessaire de conclure un pacte avec la divinité du lieu ; en échange du culte qui lui sera rendu, celle-ci concède aux hommes cette « propriété » du sol qui n’est, en fait, qu’un droit exclusif et permanent d’occupation et d’exploitation agraire. Mais on estime aussi qu’il entre dans les obligations de la divinité de favoriser loyalement les entreprises de ceux qui ont conclu le pacte avec elle. S’ils ont été fidèles à leurs devoirs religieux, les hommes se jugent donc en droit d’attendre et même d’exiger le succès de leurs travaux.
« Les principes qui permettent a un lignage de s’attribuer des droits sur une puissance surnaturelle, quelle qu’elle soit, sont ceux-là mêmes que nous venons d’évoquer à propos de l’appropriation de la terre. Cela apparaît d’autant mieux lorsque la puissance surnaturelle se présente, à l’exemple de la terre, sous un double aspect spirituel et matériel ; nous pensons ici tout particulièrement à Dwo, divinité qui se manifeste toujours sous la forme matérielle d’un masque (ou d’un rhombe). L’exercice des droits d’appropriation est naturellement plus apparent lorsqu’il s’applique aux puissances surnaturelles par l’intermédiaire d’une matière (comme la terre) ou d’un objet (comme le masque) qui les représente et dont on peut étudier facilement les modes de possession. » OP.CITE
La brousse est ainsi un lieu sacré appartenant au Créateur, Wuro, qui en a confié la gestion à Soxo son émanation. À son tour, celui-ci en confie la gestion au premier occupant qui a lié pacte avec lui et avec différentes forces habitant le terroir occupé. Le premier occupant devient de ce fait responsable de la gestion du terroir, ayant bénéficié de l'hospitalité de Soxo et des autres esprits du lieu, il matérialise son installation par un autel qui va consacrer le pacte . Ainsi un lien existe toujours avec les origines.
Les communautés riveraines qui exercent une pression sur l’environnement sont conscientes que celles-ci sont la demeure des esprits. Aussi, pour éviter ou prévenir les désordres que pourraient provoquer cette violence sur le monde des esprits, ont-elles mis en place des stratégies adaptées constituées notamment de sacrifices et d'interdits. Plusieurs espaces existent donc aménagés en des lieux de culte, espace en brousse où, périodiquement, la famille ou le village vient effectuer des rites pour solliciter le concours des esprits du lieu pour tel ou tel projet, remercier pour les bienfaits reçus ou les calmer pour une offense d'un villageois ou pour purifier la famille ou le village des souillures causées par des villageois, et qui n'ont pas été dévoilées, il s'agit d'un lieu de recueillement, d'un espace où l'assistance est en lien étroit avec "les esprits forces". On leur parle et ils répondent dans le silence. L'assistance est en rapport avec les Ancêtres auxquels on a préalablement demandé l'autorisation. Surtout , elle est en communion avec Dwo qui est le médiateur entre le village qu'il a créé et Wuro..
Le lieu de culte, dans les différents villages est très discret( plus le lieu de culte est discret et plus l'esprit du lieu serait attentif): une petite bâtisse conique sous un arbre, quelques cailloux symbolisent l'autel sur lequel on sacrifie. L'esprit du lieu réside sur une colline (au pied ou au sommet duquel est disposé l'autel), soit sur un arbre au pied duquel se trouve l'autel, soit dans l'eau (mare, source ou rivière). L'autel dans ce cas est disposé sur la rive. Au cas où l'arbre ou le cours d'eau disparaît on continue d'y sacrifier. Le lieu de culte peut se trouver aussi dans une forêt ou un buisson sacré»). L'autel y garde l'aspect d'une bâtisse conique ou d'un tas de cailloux. Le profane qui passe en ce lieu ne peut le repérer que par les plumes et le sang de la volaille ou des animaux sacrifiés.
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En définitive, dans la mentalité bobo , la brousse, la forêt, la rivière sont un univers plein de mystères, mais aussi plein de vies et qui vivifie. C'est un monde où l'on peut entrer pleinement en relations vivantes avec l'invisible. Arrivé à l'orée de ce lieu sacré, tout le monde se déchausse, car les chaussures symbolisent la lourdeur, la peine, la mortalité qui accable la nature humaine. Se déchausser, marcher pieds nus en ce lieu sacré, c'est sentir la stabilité de la terre et de l'univers, c'est en définitive entrer en contact avec cet univers qui sait tout de l'homme, qui le nourrit et qui l'accueillera à sa mort. Le village ou la famille s'y rend en début de saison agricole pour y solliciter une bonne saison rituel par lequel on demande non seulement l'autorisation de reprendre l'activité agricole, mais aussi une bonne pluviométrie et la protection contre les accidents et les maladies. Il demande ainsi à ces esprits forces un accompagnement afin que l'individu puisse se comporter dignement selon le code coutumier et éviter la colère de Soxo ainsi que celle des autres esprits qui sont sous sa domination et les sanctions qui peuvent en découler à tout moment. Lors de ces rites en début de campagne agricole, les anciens déposent de la cendre, prononcent leurs intentions et vœux et font des promesses d'offrandes (le plus souvent de la volaille) . En cas de sécheresse, on y retourne pour demander expressément l'intercession des esprits pour une pluviométrie abondante.
Certains anthropologues ont étudié la symbolique des arbres dans les sociétés africaines .L'arbre apparaît dans les communautés villageoises de l'Afrique de l'Ouest comme un être vivant qu'il faut craindre, défier, combattre ou vaincre. Certains ont un double immatériel et sont craints pour cela. Tout d’abord un arbre de taille importante ne doit pas être abattu parce qu’il est considéré comme habité par les « Esprits », ainsi le fromager et le kapokier. L’arbre personnalisé reçoit ainsi un nom
Lorsque l'esprit qui l'habite est hospitalier et participe à la vie de la communauté, il est protégé, choyé, entretenu. Mais lorsque la cohabitation avec l'esprit s'avère dangereuse pour les humains, soit on procède à des sacrifices pour le calmer, soit on déménage, soit même on le brûle.
Au pied de l’arbre est souvent un autel. Le village y procède à des sacrifices en début de saison pluvieuse pour solliciter de l'esprit du lieu une saison agricole sans accident et de bonnes récoltes . A la cérémonie des prémices et à la fin des récoltes, le village y revient pour présenter et offrir les premiers épis et remercier l'esprit pour les récoltes. Il est strictement interdit d'y tuer quelque être vivant, et notamment l'animal considérés comme fils de l'esprit tels le boa, le python, l'iguane, le caïman. Il est également interdit de couper tout autre arbre en ces lieux
C’est est également un lieu de pèlerinage pour tous ceux qui veulent venir s'y recueillir, se confier à l'esprit du lieu ou solliciter de lui une grâce particulière. Il y en a qui peuvent le voir en songe et après consultation d'un devin aller lui faire des offrandes soit pour rembourser une dette, soit pour réparer une faute commise même dans le passé par tout membre de la famille.
En Afrique, la présence d'une forêt ou d'un bosquet sacré dans chaque village renvoie à la fondation du monde, et c'est pour cela qu'il faut la préserver et l'entretenir. Les sociétés africaines ont, chacune, conçu, mis en place et fait fonctionner des rituels et des interdits qui réglementent rigoureusement la fréquentation et l'exploitation de la forêt ou du bosquet sacré selon les sexes, la saison ou les jours. Cette forêt ou ce bosquet peut-être située à l'orée du village, où au bord d'une rivière. Elle permet toujours de se référer à l'origine du village, de cultiver le savoir et donc de répondre à toute une série de questions qui se posent à la communauté villageoise. En outre, dans plusieurs villages, la forêt ou le bosquet sacré est un lieu d'infiltration des eaux de pluie et contribue donc au ravitaillement de la nappe phréatique.
La forêt sacrée est strictement interdite à l'exploitation. La tradition la ferme au public, et elle n'accueille la présence humaine que lors des rites aux esprits de la forêt ou des funérailles. Au cas où une personne voudrait y entrer pour une intention personnelle, il doit en avertir le responsable au culte qui en informera les autres notables. Il est toujours accompagné par le sacrificateur et d'autres membres de la famille ou du village, et cela le persuade de respecter les règles de gestion du lieu. La forêt sacrée reste ainsi le lieu par excellence de la biodiversité.
Dans la mentalité bobo, toute forêt est la demeure des esprits, et donc un espace mystérieux, un lieu d'insécurité où l’homme a intérêt à passer un pacte avec les esprits qui s'y abritent. Certains d'entre eux habitent la profondeur de la forêt où hantent les arbres . Ce sont des entités se présentant souvent sous l'apparence d'albinos, de nains et avec une longue chevelure ou des génies pouvant se présenter avec une forme humaine et uniquement visible par celui auquel il se révèle. Ils sont souvent mis en scène dans les contes. Ils peuvent être bons et livrer aux chasseurs des secrets de la forêt permettant à ceux-ci notamment de procurer des médicaments aux populations, ou encore des techniques culturales ou environnementales. Certains pactisent avec les hommes, et d'autres, plus dangereux peuvent rendre malades ceux qui les rencontrent..
Pour les Bobo, les rivières comme les autres points d'eau sont aussi mystérieuses que les montagnes et les forêts. Elles sont perçues comme des "êtres- forces", selon les principe de l’animisme.. Aussi sont-elles personnifiées par des noms propres, avec chacune sa caractéristique. Certaines sont réputées comme source de fécondité, d'autres ont la puissance de guérison, d'autres encore ont des vertus de purification et de libération de mauvais esprits, enfin certaines eaux sont réputées satisfaire les individus connaissant différentes difficultés. Pour les villages riverains, l'eau est source de paix et de cohésion dans la communauté villageoise. Aussi périodiquement les cours d'eau sont-ils sollicités pour la paix, la santé, la bénédiction féconde et pour le bonheur. Même si le cours d'eau, le lac ou la mare est à sec, l'autel continue à recevoir les offrandes.
En cas de conflit entre membre de la même famille ou entre familles, après conciliation, l'eau entre dans les rites comme élément d'apaisement des Ancêtres qui ont été offensés. Dans chaque rite aux différents autels, l'eau est donnée aux Ancêtres pour solliciter d'eux la paix. Si pour les Bobo , les esprits des eaux sont bienveillants, il n'en demeure pas moins qu'ils sont craints. En cas d'offense, ils sont capables de punition par noyade. Aussi chaque rivière a-t-elle droit régulièrement à un sacrifice pour pactiser avec elle. Dans certaines eaux ,lac sacré ou marigot ,la pêche est interdite, car les poissons, les caïmans et tout autre animal se trouvant à la source sont considérés comme fils de l'esprit de l'eau. Dans certains cas, les silures, les caïmans, les tortues, les grenouilles sont interdits de pêche, car ils sont sacrés.
Comme tout groupement n'accède au statut de village que s'il est constitué de différentes familles qui vont au-delà de la cohabitation pour la construction d'une communauté villageoise, cohérente et solidaire dans le temps, toute famille ou toute personne en quête d'une terre ou d'une communauté d'accueil doit être accueillie selon les commandements de l’Eprit et bénéficier d'un champ. Tout lignage ou grande famille qui reçoit un champ est tenu, de ce fait , avant tout défrichement, de procéder à l'installation d'un autel. Par la suite, le plus ancien de cette famille devient responsable de la gestion de ses champs .Périodiquement, il doit également sacrifier à cet autel en mémoire de ces premiers instants.
Tout champ acquis doit être obligatoirement mis en valeur sinon il est retiré. Au cas où il y a un empêchement, le donateur doit être informé. Tout champ mis en valeur ne doit jamais être retiré à l'occupant ou à ses descendants qui l'exploitent. Lorsque Soxo donne il ne reprend plus. Le retrait ne pourra intervenir que si l'individu commet une faute grave : crime de sang, vol, viol, mariage avec la femme d'un autochtone ou même d'un autre hôte, adultère avec l'épouse d'un autochtone, etc.
L'attribution d'un champ à une personne exige de celle-ci un savoir-vivre en communauté basé sur le respect de l'autre, la solidarité dans les épreuves, l'entraide dans le travail et une éthique à observer rigoureusement. Être paysan en milieu Bobo , c'est être un homme digne travailleur un sage, c'est-à-dire un homme qui a une manière de comprendre le monde et une manière de s'y comporter, mais aussi et surtout quelqu'un sur lequel le village peut compter.
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l est interdit de vendre son champ, car celui-ci est un patrimoine commun et sacré. Pour éviter que l'attributaire en fasse un bien privé qu'il pourra vendre un jour, il est interdit de planter des arbres, notamment fruitiers (manguiers, orangers, etc.). Le seul arbre dont la plantation est autorisée par la coutume est le renier, et cela, pour des raisons économiques car son vin est exigé lors des initiations au Dwo, ses feuilles servent à la vannerie des paniers et des nattes exigées pour les cérémonies des funérailles, son bois entre dans la construction des maisons. Il ne peut être exploité par personne d'autre que son propriétaire. Arbre du Dwo, le renier sert à délimiter les domaines.
« La gestion du foncier dans la communauté bobo est fonction de la perception que celle-ci a de ce patrimoine. La terre, mère nourricière, est considérée comme « bien commun », et donc revêt un caractère sacré. Aussi, sa gestion répond-elle à certaines normes souvent difficiles à accepter par des étrangers à la culture. La forêt et les bosquets, dans ces villages sahéliens, sont sacrés et souvent fermés comme c'est le cas dans la forêt du Kou au Burkina Faso. Ils étaient considérés comme « bien commun » et ne pouvaient être cédés à un individu, une famille ou tout autre organisation pour exploitation..
La brousse, lieu mystérieux, est aussi l'espace où les hommes, plus particulièrement le chasseur, vont s'inspirer, se ressourcer aux messages et pouvoirs des esprits qui y ont élu domicile afin de renforcer le désir de vivre ensemble, la cohésion villageoise. Les forêts, durant des siècles, protégées par des pratiques coutumières, et continuent encore de nos jours d'être animées périodiquement par des activités socio-religieuses et des rites sur des autels »
Doti Bruno Sanou : Politiques Environnementales : Traditions Et Coutumes En Afrique Noire . L’harmattan
l'homme ne peut finir de découvrir et de maîtriser la brousse ,en tant une sphère « sacrée » liée à 'invisible, qu’on doit respecter ,voire craindre. De cette idée découlent aussi des interdits concernant les rapports de l'homme avec la « brousse ». Les interdits imposent à l'être humain un code de conduite qui respecte la sacralité de la terre qui lui révèle, en tant que créature, Les sanctions imposées en cas de violation des interdits montrent l'importance que la communauté villageoise accorde au sacré. Le code de gestion de l'environnement a toujours tenu une place de premier choix dans la tradition. En réalité, la vie en brousse durant la saison agricole est une école d'éducation des enfants et de la jeunesse au contenu de ce code et sur d'autres éléments pouvant éveiller les consciences sur la sauvegarde de l'environnement ou sur les savoirs empiriques. Par exemple, l'apparition de certains oiseaux ou insectes annonce le passage d'une saison à une autre. Cette assiduité dans la transmission des savoirs a, au cours de l'histoire, favorisé la reconstitution des écosystèmes après certaines catastrophes naturelles telles que les sécheresses ou les inondations
Tout meurtre en « brousse » , source de vie et non de mort ,est interdit et considéré comme une souillure. Il nécessite une réparation, Et si le meurtrier est pris en flagrant délit, il subit le même sort que sa victime. Pour le Bobo, il n'y a jamais de mort sans cause. En cas de décès en brousse, un rite, l'interrogation se déroule au lieu du décès Tout décès en brousse est toujours perçu comme un châtiment de l'esprit contre le défunt pour une faute que l'on cherchera à identifier par le rite le l'interrogation ou en allant consulter un devin . En tout état de cause, s'impose un sacrifice de purification de la « brousse » (couper la brousse, purifier la brousse). Pour un cas de décès en brousse, la famille du défunt offre les éléments du sacrifice comme un bouc, des poules ,Toute personne décédée en brousse est enterrée en dehors du cimetière 'villageois sans toilette et sans petit caveau. Il est interdit de verser du sang humain en brousse, et donc de s'y battre avec des armes : les belligérants doivent se réconcilier avant le coucher du soleil, sinon une purification lieu est indispensable. Dans certains villages, lorsqu'une femme accouche au champ, il faut purifier la brousse par le sacrifice d'une poule pour le sang versé à l'occasion.
Les rapports sexuels sont prohibés dans la brousse, en dehors de la hutte « kuru »). La brousse est la terre nourricière et elle est considérée dans la mentalité comme l'épouse de Wuro qui la féconde par la pluie et lui ait produire de bonnes récoltes, donc la vie. Cet accouplement du ciel et de la terre est célébré dans le, en grandes pompes à la fête de la « poule de roche », réputée pour sa nombreuse progéniture. Cette fête célébrée en mai-juin, au début de la saison des pluies est le moment propice de la célébration des mariages traditionnels souvent regroupés à cette occasion. Aussi la sexualité en brousse apparait-elle comme un sacrilège qui demande châtiment et réparation cet acte ayant pour conséquence inévitable la sécheresse, signe que l'harmonie entre le ciel et la terre a été perturbée. Toutes les personnes prises en flagrant délit sont amenées à répéter en public, et au rythme du tam-tam, l'acte sexuel posé en brousse. S'étant souillées en souillant la brousse, elles doivent être purifiées par le rite qui consiste à passer une grande flamme entre leurs jambes pour brûler les poils de leurs sexes, parfois gravement. Ensuite l'immolation d'un coq et d'une poule clôt la cérémonie.
Le « droit coutumier »r dont l'application se fait de façon collégiale, a prévu des lois précises réglementant les activités des villageois dans la « brousse » concernant la coupe du bois, la cueillette, la chasse et la pêche. La coupe du bois vert est strictement interdite après les premières pluies et « dès que la première graine a été enfouie dans la terre ». Transgresser cette règle provoquerait les grands vents destructeurs de la récolte et la sècheresse. Un prélèvement peut être autorisé seulement pour refaire le toit de la hutte. La coupe du bois vert n'est autorisée qu'après le sacrifice d'offrande des prémices des nouvelles récoltes qui se déroule entre novembre et décembre. Cette cérémonie est appelée « offrande de la farine délayée » .La cérémonie des prémices consiste à en effet offrir de la farine délayée ou la pâte de la farine du nouveau mil en signe d'action de grâce aux différents esprits protecteurs du village. On doit offrir cette farine au « Kuru » (autel de l'esprit protecteur du village), et à DWO, en tant que fondateur de l'ethnie; de même aux autels dressés au village aux esprits communautaires ainsi qu'à ceux qui sont en brousse sur les rives des cours d'eau, sur les sommets des collines ou au pied des arbres. Cette cérémonie se déroule très tard dans la nuit en présence du collège des notables uniquement. Le lendemain, durant la journée, chaque famille se réunit pour effectuer les mêmes rites sur les autels familiaux dédiés aux Ancêtres et autres esprits protecteurs de la famille.
La cérémonie d'ouverture de la coupe du bois n'autorise en aucun cas la coupe du néré et du karité en raison de leur symbolisme culturel et de leur importance économique. Les fruits de ces arbres servent à produire du beurre de karité pour d'abord la consommation locale. De même la coupe de tout arbre en fleurs est interdite pour protéger la reproduction des essences. Quiconque coupe un arbre en fleurs ou portant des fruits non encore prêts pour la consommation, même le sien propre, est sanctionné . Il est strictement interdit de couper les gros arbres tels que le baobab, le fromager, le ficus, etc. Dans certains villages des essences sont interdites de coupe, parce que toutes ces plantes ont des vertus médicinales.
Les forêts sacrées les forêts galeries le long des cours d'eau et aux abords des sources sont interdites de toute exploitation..Il en est de même pour les espaces sacrés (lieux de culte) en brousse et dans la forêt. Chaque village a ainsi son « tolo » (forêt, colline ou mont sacrés) d'où viennent ses masques lors des funérailles. Lieu sacré, on ne s'y aventure pas n'importe comment. Les forêts galeries et les forêts aux abords des sources sont aussi protégées et constituent un espace de biodiversité.
Tout ancien est appelé à éduquer les jeunes à l'esprit de restauration de la flore, notamment par la technique de semis ou de plantation. Il est lui-même appelé à semer discrètement par exemple des noix de karité, des graines de néré en vue de restituer cet environnement qui l'a nourri, soigné et protégé depuis son enfance.
La cueillette des fruits du néré, du karité et des chenilles est réservée, dans les champs cultivés, aux familles qui exploitent ces champs et en entretiennent les arbres. Elle est permise à toute personne dans les champs en jachère, ou en pleine brousse. La date de la cueillette du néré peut être fixée après certains rites. Dans certains villages, la date de la cueillette dépend de chaque individu. Toutefois la cueillette des fruits non mûrs est sévèrement sanctionnée.
Les feux de brousse ne sont autorisés qu'après le rite du sacrifice d'offrande des prémices de nouvelles récoltes, et ils sont interdits après le « sanibige » ou fête de fin de récoltes et de retour au village. Entre les deux cérémonies, il n'y a que quatre mois tout au plus. Les feux de brousse ont pour objectif premier de créer une ceinture de sécurité autour des huttes d'habitation dans un environnement où l'herbe est très haute et contre les fauves, les reptiles ou encore des malfaiteurs. Les feux de brousse, après le sacrifice d'offrande des prémices, ne sont alors pas nuisibles à l'environnement et permettent une régénération de la flore par les jeunes pousses et les bourgeons qui leur succèdent peu de temps après. Ce sont des feux de brousse précoces. Les feux de brousse sont par contre, interdits après le « sanibige » qui se déroule entre les mois de janvier et de février car, l'herbe étant bien sèche en ce moment, les feux seraient incontrôlables et se répandraient sur de vastes superficies. Ils sont dangereux pour la flore, la faune et pour l'homme lui-même. Les arbres étant en floraison à partir de cette période, les feux de brousse sont néfastes pour les fruits, et donc pour la reproduction des essences floristiques. Aussi, toute personne prise en train de mettre le feu à la brousse après le rite du « sanibige «est-elle sévèrement sanctionnée par la communauté.
Les rivières sont sacrées et chaque village possède son autel ,près du rivage Il est strictement interdit de plonger dans ces rivières tout ustensile ayant été mis sur le feu pour la cuisson d'aliments. Il est également interdit d'y faire de la vaisselle et de la lessive. Pour éviter toute pollution préjudiciable à la flore et la faune du cours d'eau, l'individu doit porter son eau sur la rive pour y procéder à son activité.
Les relations sexuelles sont prohibées dans les rivières ou même au bord des rivières. Toute personne prise en flagrant délit subit la sanction de la flamme.de même personne ayant eu des rapports sexuels à l'intérieur d'une habitation ne peut se baigner dans la rivière que si elle s'est douchée auparavant à domicileLes inhumations et les toilettes mortuaires dans les lits des rivières sont strictement interdites. Périodiquement, les populations riveraines doivent entreprendre des activités d'assainissement des rivières polluées.
La pêche se pratique individuellement à la nasse ou « sié », ou à la ligne, constituée d'une fibre d'arbre et d'un hameçon, La pêche collective n'est pratiquée qu'à partir d'une date fixée pour tous, hommes comme femmes. Cette pêche collective, se pratique avec des nasses, et sa date est fonction de la ponte des poissons. Elle est toujours précédée d'un sacrifice à la rivière pour qu'elle épargne les pêcheurs de tous les dangers dans ses eaux. Il est autorisé l'utilisation dans certains cas de décoction de plantes pour droguer le poisson sans le tuer.
Les silures, sont épargnés au cours de la pêche individuelle et/ou collective ; ce serait de ces poissons que serait descendu l'être humain. Les tortues sont également épargnées dans certains cours d'eau et sources. Le code de gestion de l'environnement a toujours tenu une place de premier choix dans la tradition. En réalité, la vie en brousse durant la saison agricole est une école d'éducation des enfants et de la jeunesse au contenu de ce code et sur d'autres éléments pouvant éveiller les consciences sur la sauvegarde de l'environnement ou sur les savoirs empiriques. Par exemple, l'apparition de certains oiseaux ou insectes annonce le passage d'une saison à une autre. Cette assiduité dans la transmission des savoirs a, au cours de l'histoire, favorisé la reconstitution des écosystèmes après certaines catastrophes naturelles telles que les sécheresses ou les inondations.
"Toute communauté en constitution se dote obligatoirement d'un ensemble de règles et pratiques qui régissent les comportements individuels et collectifs. La coutume, au-delà des comportements qu'elle crée, est une modalité de mise en œuvre de la tradition qui a traversé le temps. L'ignorer dans la politique environnementale, c'est tout simplement transformer les hommes en main-d'œuvre, et donc les désintéresser du projet.
Les coutumes des villages ne constituent pas seulement des manières d'agir. Elles sont surtout une marque d'appartenance à un groupe et aussi un pont jeté entre les Ancêtres de l'au-delà et leurs descendants, entre le passé et le présent, entre hier et l'aujourd'hui. Ces coutumes sont raisonnables, conformes à l'ordre public, et par conséquent humaines. En outre, elles sont garantes de la décentralisation et de l'autonomie villageoise ; elles consolident le processus d'intégration ad intra et ad extra. L'environnement étant considéré comme un bien commun et, de ce fait, sacré, les coutumes qui régissent sa gestion sont presque similaires d'une communauté villageoise à l'autre. Les projets d'aménagement du territoire, de sauvegarde et d'aménagement des forêts trouvent ainsi dans les coutumes un tremplin pour leur mise en œuvre. En effet, la conception, la mise en place et le fonctionnement des coutumes régissant la gestion de l'environnement, dans le temps, ont permis à chaque village de prendre conscience de lui-même, de se transformer qualitativement, de se doter d'une identité et d'évoluer vers une communauté. Mais depuis la colonisation et l'entrée en contact avec d'autres cultures, et notamment les cultures véhiculées par les religions révélées, les traditions et coutumes des villages riverains des forêts africaines ont de plus en plus des difficultés à s'exprimer face à une législation qui, dans un premier temps les a combattues, et maintenant tend à les ignorer. Or, il est plausible que les traditions et coutumes qui régissent la gestion de l'environnement sont indispensables aujourd'hui à la sauvegarde et à l'aménagement des forêts et doivent être la source d'une législation moderne. Elles méritent seulement d'être actualisées dans leur esprit afin d'aider les communautés qui les ont conçues à l'origine à mieux vivre le présent et à être capables de se projeter dans le futur.
Mettre à profit les coutumes dans l'aménagement des forêts, pour et avec les communautés bénéficiaires, c'est aller de soi-même pour aboutir à soi-même à un niveau supérieur. Une telle méthode, bien appliquée, développe la confiance au sein de la collectivité bénéficiaire de tout projet, suscite en elle l'espérance qui l'amène à s'engager sans réserve dans le projet avec les moyens qui sont les siens. Ainsi, elle devient cet infirme qui «jette ses béquilles et marche sur ses propres pieds. »"4 : le pied dela liberté par lequel l'homme et la communauté réfléchissent, initient, inventent, et le pied de la nécessité par lequel ils mettent en place des institutions et structures pour vivre et survivre en harmonie."
Doti Bruno Sanou : Politiques Environnementales : Traditions Et Coutumes En Afrique Noire . L’harmattan
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