ESPACES DE CULTURES ,ANTHROPOLOGIE,PHILOSOPHIE,VOYAGES...
SUIVEURS DE PISTES,DE SAISONS ,LEVEURS DE CAMPEMENTS DANS LE PETIT VENT DE L'AUBE ; Ô CHERCHEURS DE POINTS D'EAU SUR L'ECORCE DU MONDE. Ô CHERCHEURS,Ô TROUVEURS DE RAISONS POUR S'EN ALLER AILLEURS"...
SAINT JOHN PERSE .ANABASE.
salle consacrée aux femmes Africaines dont le rôle a été marquant.
REFLEXIONS SUR LES FEMMES AFRICAINES qui peut aussi être vu sur
http://muvacan.org/exposition-naitre-et-etre
NOCTURNE DU 6/07 Anita Sankale .Bureau de Muvacan.
CI DESSUS QUELQUES PHOTOS DE L'EXPOSITION.
CI-DESSUS TABLE RONDE SUR L'INITIATION: .Dominique Sewane, anthropologue ,chaire UNESCO. Pierre Boutin ,Musée Africain de Lyon.François Perrier, vice-président de Muvacan. Alfred Gambou. président de Casa Africa. Nantes.
Visite guidée pendant la nocture du 6/07.Jacques Barrier président de Muvacan.
salle PARENTS ET ANCÊTRES MYTHIQUES.
VITRINE POUPEES DE FERTILITE
NOCTURNE/ François Molinier du bureau de Muvacan.
Statues consacrées à la naissance des jumeaux.
NOCTURNE DU 6/07.Yvan Etiembre .
Y.Etiembre vice président et Marie Bossy ,CA de Muvacan. au premier plan
le camp d'initiation.
François Perrier Vice Président de Muvacan lors de la nocturne
L'enfant naissait ainsi avec des « signes », une personnalité, une vie antérieure, l'influence d'un ancêtre, etc. Il avait déjà son être propre. Il fallait donc, lui laisser le temps de se manifester, de se révéler, de livrer son message et de laisser entrevoir le destin qui était le sien. On allait donc chercher à reconnaitre ce passé encore enveloppé et à le faire éclore, (ce pouvait être la résurgence d'un proche disparu ou une puissance plus mystérieuse). L'éducation n'était plus un modelage mais toute une pédagogie ayant pour but de faire surgir cet être potentiel présent en lui. A la base de l'éducation allait se trouver un processus d'identification. L'enfant devait devenir sur le plan visible et social ce qu'il avait toujours été au fin fond de son être. La société espérait le retour des mêmes personnalités, des mêmes caractères, des mêmes noms, mais aussi des mêmes rôles et des mêmes fonctions, réapparaissant nt d'une génération à l'autre. En ce sens ces composantes présentes chez l'enfant mais implicites allaient devenir une sorte de guide ,de modèle éthique de vie, le passé anticipant le futur à être : « il devait devenir ce qu'il était». Si donc la question qu'on se posait d'abord, n'était pas de se demander ce que le nouveau-né allait devenir mais QUI il était , il fallait comprendre cette identité existante par diverses voies. Il était nécessaire d' être attentif aux moindres ressemblances physiques, marques corporelles et traits de comportement, en scrutant les rêves et en consultant voyants et devins.
Un terme va donc régir le devenir humain : la vie est à concevoir en termes de passage : passage d'un monde à l'autre, c'est la naissance et aussi la mort, passage d'un état à l'autre, le défunt accèdera à l'état d'ancêtre par exemple. Les rites de passage scanderont l'existence. L'enfant ne grandit pas au sens propre (hormis la maturation biologique): il passera aussi d'un état à l'autre , recevant plusieurs noms(chacun comportant une puissance) il sera initié, acquerra plusieurs rôles ou statuts. S'il est doté d'un être propre à sa naissance (qui doit se révéler comme dit), la reconnaissance ne peut être que sociale. Au plan de l'être, du cosmos, si l'enfant qui vient au monde est d'emblée quelqu'un, socialement il n'est encore personne. C'est "un étranger", "un hôte", "un voyageur de passage" qui a peut-être fait fausse route et n'a pas envie de rester. L'enfant, nommé « enfant-eau » ou « enfant de l'eau » chez les Bantous, est lié à l'élément liquide .( on ne célèbre souvent sa naissance qu'après que le cordon ombilical coupé ,ait séché. L'élément liquide indique l'élément fluide de la personnalité, encore virtuelle et son origine cosmique
Les rites de passage ont justement la fonction de reconnaissance et de socialisation. Le moi peut intégrer des éléments par les rites de naissance, la dation du nom, le sevrage, l'initiation, voire la possessions ou même des épisodes pathologiques, surtout dans l'ordre de la folie, il en reçoit même par la mort. (Ancestralisation). Inversement des parcelles du moi peuvent se localiser en dehors de lui ou passer à d'autres
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« Si quitter l'au-delà c'est « descendre >, tomber à terre comme l'enfant dont on accouche, c'est aussi émerger de l'eau originelle, s'assécher, se solidifier, s'affermir, se durcir. La naissance est l'abandon d'une condition aquatique de mollusque ou de poisson pour passer à une existence aérienne et terrestre. Grandir et se développer, c'est quitter l'indistinction et la mollesse de la glaise imbibée d'eau, devenir consistant puis dur à la manière de la poterie qui s'assèche à l'air libre puis que l'on passe au four. La marche vers la condition adulte équivaut à une solidification, à un affermissement. Les principales étapes en sont l'accouchement, quand l'enfant quitte les eaux de la matrice, la dessicadon et la chute du cordon ombilical, la station debout qui témoigne de la consistance qu'ont pris les os, et la dentition qui représente mieux que tout le reste l'apparition de ce qui est dur comme une perle ou un coquillage là où il n'y avait que du mou. L'apparition des dents équivaut donc à la cuisson dans le four, qui rend la poterie utilisable par la collectivité. Par le sevrage enfin on arrête l'alimentation liquide : l'enfant a pour de bon passé du côté du monde solide et dur.
Venir au monde, c'est enfin passer d'un état de fraîcheur aquatique à la chaleur de l'air et du feu, c'est passer par une « cuisson >.
Tant qu'elle reste à l'état d'enfance, enfermée dans ces catégories du petit, du mou, de l'aquatique, du frais, en somme de l'informel, de l'indistinct et du fragile, la personne demeure dans une certaine mesure purement virtuelle. Certes, à chacun des grands moments de sa croissance, elle s'actualise un peu plus, devenant apte à une intégration sociale plus complète ; mais le passage ne s'effectue définitivement qu'avec l'accession à la chaleur de l'âge adulte, quand marié et fécond, l'individu se hisse au cœur même de la communauté des vivants. Pierre Erny. L'enfant Dans La Pensée Traditionnelle De l'Afrique Noire
Le groupe se dote, par exemple, d'un moyen pour fixer le nouvel arrivé en lui conférant un nom. En un sens le nom fortifie l'être, mais en même temps il le rend vulnérable, l'exposant à l'emprise des autres, le rendant dépendant de son groupe. ". En Afrique, les noms (du moins certains) sont lestés d'un poids ontologique. Il y a une connexion entre l'homme et son nom. On peut blesser quelqu'un au travers de son nom. Agir sur lui, c'est provoquer et contraindre « l'âme »
Comme pour une même personne il y a souvent pluralité de noms, il en est qui ont des implications fortes, d'autres des implications faibles selon les croyances animistes. ; il en est qui n'ont qu'un impact superficiel, d'autres touchent et définissent la personne au plus profond d'elle-même. Cela oblige à en maintenir certains dans le secret. Cette pluralité est le reflet des différentes appartenances (parenté paternelle, parenté maternelle, classe ou fraternité d'âge, société d'initiation, etc.), mais aussi des grands moments de l'édification de la personne et des changements de statut. Le rapport entre dation du nom et croyances en la réincarnation est généralement mis en lumière par les intéressés eux-mêmes quand un des noms donnés au nouveau-né est celui de l'ascendant qui est censé "revenir" en lui. Grâce à l'enfant, le nom du parent survit, voire revit. Nommer l'enfant, c'est nommer le parent et perpétuer, non seulement son souvenir, mais aussi, mystérieusement, sa présence. Et en participant au dynamisme de ce nom, l'enfant vivra sous la protection et l'influence vitale du défunt en question.
En éveillant l'être naissant à la vie individuelle, le nom devient une partie intégrante de sa personnalité. Là où le nouveau-né est censé apporter avec lui de l'autre monde celui de ses noms qui va le définir en profondeur, il s'agit évidemment pour l'entourage de découvrir celui-ci, nullement de l'inventer, tâche délicate s'il en est. La dation du nom trace à l'enfant tout un programme de vie, mais impose aussi à l'entourage certains devoirs à son égard.
Dominique Sewane a ainsi marqué chez les Batammariba du Togo,(Le Souffle Du Mort , Terre Humaine) l'importance des noms d'ancêtres et de leur transmission.
Merci à Dominique Sewane du témoignage d'amitié que constitue l'envoi de photos originales.
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Dès lors, le benjamin, acquiert le statut de « maître de takyienta »( l'habitat très particulier et symbolique,remarquable dans son architecture en « forme de chateaux »). De lui dépendra la survie des siens. « Lourde charge réservée à notre petit frère » disent ses aînés. Ils le surnomment d'ailleurs « celui qui porte un fardeau sur la tête ».
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Pourquoi « survie » ?
Le sens de la tombe liée à la tour centrale de la takyiènta - à la fois abri des souffles des morts et abri des vivants - trouve son prolongement dans la connaissance des noms secrets des ancêtres de la famille et du clan, que révèle un père au « fils qu'il aime » (plus que les autres) : le benjamin. Il lui apprend en même temps à distinguer les autels d'ancêtres qui se trouvent dans la pièce du bas ou kunamunku, ; chacun d'eux correspondant à une tombe du cimetière. L'enseignement se poursuit donc dans cette même pièce, à l'écart de la famille, de préférence pendant la nuit.
Ces noms représentent pour un Otammari(singulier de Batammariba dont les Tamberma du Togo et les Somba du Bénin) les tinanti - paroles ou savoir - par excellence.
En tout vivant, pensent les Batammariba, revit le souffle d'un mort qui a désiré sa naissance, appelé yembota. Un Otammari ne doit jamais connaître son vrai nom. Interpellé à l'improviste par ce nom, il s'effondre dans un état proche de la mort. Le nom l'atteint en son centre ou diba, où interfèrent son souffle de vivant et le souffle de son yembota. En raison du danger que recèle la formulation de ces noms, ils ne doivent être transmis qu'à des « hommes sûrs », dont on sait qu'ils se refuseront à les divulguer, serait-ce sous la menace d'un couteau, tout en s'interdisant eux-mêmes de porter un coup mortel à autrui.
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Ces noms doivent pourtant être transmis, car c'est en identifiant le nom de l'ancêtre formateur d'un nouveau-né, que les parents sauront guider l'enfant sur son propre chemin, c'est à dire le destin que lui a tracé son yembota en lui attribuant des tinenti ou « affaires » spécifiques. Dans le cas contraire, si le nom est mal identifié ou ne l'est pas du tout, l'enfant risque d'éprouver un malaise qui en fera un être instable, incapable de s'intégrer à la société.
Nuit après nuit, quand le benjamin est « passé par difwani »,(l'initiation)son père lui transmet donc les noms des morts susceptibles de former des enfants dans les maisons de ses frères et plus tard, dans la sienne. Il doit également connaître le nom de leur tombe, les noms des yembota qui les ont eux-mêmes formés, les détails concernant leur existence etc… Seul est capable de le lui apprendre un okwoti (sage )qui, depuis sa jeunesse, a emmagasiné un prodigieux savoir généalogique. Les plus respectés d'entre eux se sont rendus sur les sites de takyiènta ou de sépultures abandonnées. Un okwoti fait œuvre d'archéologue en retrouvant les vestiges d'anciennes tombes (bien qu'il n'entreprenne pas de fouilles), d'historien en « cheminant » à l'étranger avec d'autres okwoti afin de glaner de précieux renseignements sur le passé de ces ancêtres. Retrouver les traces d'une tombe quasi oubliée, par conséquent le nom de son propriétaire dûment « couché » sous terre dans la position adéquate, c'est donner toute chance de survie à un enfant formé par ce très ancien mort.
On saisit alors l'importance que peut avoir le « vrai nom » d'une personne, particulièrement d'un aïeul enterré selon le rite du tibènti, (rite mortuaire)pour lequel, par conséquent, fut creusée une tombe, elle-même désignée sous son « vrai nom ». Le souffle du défunt, son nom et sa tombe ne font plus qu'un.
Une des conséquences paradoxales de la nature préalablement cosmique de l'enfance traditionnelle est son rapport à la mort. L'individualité, comme développé plus haut, n'est pas créé ex nihilo au moment de la conception puis de la gestation. Elle préexiste et attend dans l'au-delà le moment de s'incarner. Elle a séjourné dans la familiarité » des « puissances »forces cosmiques incarnées, dieux, esprits, génies, ancêtres,,. Le plus souvent, elle est elle-même un de ces êtres spirituels qui désire refaire l'expérience de la vie humaine ou revivre parmi les siens. .
copyright Jose Ortega VIOTA
« Parmi les êtres qui peuplent l'autre monde, les ancêtres jouent un rôle de premier plan, leurs relations avec les vivants étant particulièrement étroites. Il arrive qu'on se les représente comme habitant un village dans l'au-delà structuré lui aussi en lignages et en familles. Ils y mènent une existence en tout point similaire à celle qu'ils ont connue dans leur village d'ici-bas, ils y mangent, y boivent, y dorment, y cultivent leurs champs, y vont à la chasse, voire s'y reproduisent. On leur parle, on les prie, on les consulte, on leur adresse des offrandes, et on attend d'eux en échange des conseils, des bénédictions, des protections et un écoulement du trop-plein de ce réservoir de vie qu'ils représentent. Les deux faces du monde vivent en symbiose comme si elles étaient reliées par un système de vases communicants.
Le respect dû aux ancêtres est le fondement même de la solidarité familiale et de la soumission à l'autorité. Car ce sont eux qui ont mis en place les lois et les coutumes, et ils continuent à surveiller leur application et donc à se mêler des affaires de leurs descendants. Ils sont d'autant plus puissants qu'ils sont plus anciens et par le fait même plus proches de Dieu, à condition que leur mémoire demeure vivante sur terre. Ils se sentent directement concernés par la vie qui se perpétue dans leur lignée, car si celle-ci venait à s'éteindre, eux-mêmes n'auraient plus d'existence aux yeux des vivants, voire plus d'existence du tout. » Pierre Erny. L'idée De Réincarnation En Afrique Noire. L'Harmattan.
L'enfant va ainsi se situer dans une tradition, terme qui prend souvent chez nous un sens péjoratif du fait de notre conception linéaire du temps. Or la tradition en Afrique, avant les bouleversements dus à la colonisation, puis à la mondialisation revêtait une importance particulière. Elle n'avait rien de statique parce qu'elle signifiait l'accumulation des connaissances et symbolisait la sagesse d'une société. Le groupe des ancêtres était ainsi conçu comme une assemblée en perpétuel accroissement et en perpétuelle évolution : il formait donc une sorte de « capital spirituel »du fait des expériences passées ,au profit des vivants. La tradition représentant la paroles des ancêtres , établissait. un réseau de communication entre les vivants et les morts, visible et invisibles , englobant invocations, sacrifices et que fondaient les mythes.la parole de la tradition était parfois directe(par la possession par exemple ou les rêves) elle pouvait être indirecte par les calamités ou les maladies qu'il fallait alors interpréter comme signes.
On voit donc que tradition et ancestralisation étaient liées. Celle-ci constituait une sorte d'idéal éthique et de perfection .Aussi faut –il comprendre que les morts n'étaient pas automatiquement ancêtres mais que l'état nécessitait au contraire certaines conditions.En faire l'analyse, montre que dans nombre de sociétés africaines l'ancestralisation était au carrefour de plusieurs idées concernant la personne humaine, la société, le temps, la divinité. L'ancêtre était d'abord, un homme parvenu à un grand âge, ayant accumulé avec la longévité une profonde expérience des hommes et des choses. On l'opposait ainsi aux personnes peu avancées en âge, à celles que la crédulité et l'inexpérience de la vie classaient dans la catégorie des enfants ou des jeunes En second lieu, était définitivement rayé de la liste des ancêtre,s l'individu qui mourait d'une maladie « infamante ». Incompatible avec la considération, le rayonnement et la gloire des ancêtres. Etaient exclus ainsi du cycle de renaissance, tous ceux qui ne correspondaient pas au canon social : ainsi les morts trop jeunes ou morts de "mauvaise mort" - les noyés, les foudroyés, les femmes mortes en couches, ceux qui sont décédaient durant les rites d'initiation ou qui n'avaient pas bénéficié de rites funéraires normaux. Mais aussi les lépreux, les albinos, les fous, et enfin les personnes qui avaient eu une « mauvaise vie », en particulier celles qui se seraient livrées à la sorcellerie
chambre des ancêtres lobi: copyright Jose Ortega.
L'ancêtre était toujours et partout sur le continent un membre « organique » de la communauté des vivants ; il en était un des chaînons. Aussi, l'étranger, même adopté et intégré dans une société donnée, ne pouvait pas prétendre au titre d'ancêtre: il lui manquait la participation et la communion à la vie du groupe dans sa continuité spatiale et temporelle.
L'ensemble des normes qui présidaient à l'élaboration et à la conservation de la notion d'ancêtre semblait reposer sur deux idées maîtresses : d'une part, la pureté d'un type d'homme, conçu par le groupement humain comme le modèle social et religieux auquel les individus se doivent de se conformer afin d'éviter leur déperdition ; d'autre part, le souci de continuité et d'identité du groupement humain avec lui-même à travers le temps et en dépit des vicissitudes de l'existence. Ainsi, les éléments qui permettaient de caractériser l'ancêtre : la sagesse, l'intégrité physique et morale, le passage dans la vie sans entorse à son cours normal, ainsi que l'identification au groupe étaient ceux d'un idéal éthique d'achèvement et de perfection de l'humain. Ce qui faisait que l'ancêtre apparaissait comme le modèle du groupement humain, et donc comme intermédiaire tout indiqué entre le visible et l'invisible ou « divin ». (Les saints catholiques remplissent cette fonction et ils ne le deviennent également que par des rituels d'ancestralisation ou canonisation).
« En tout état de cause, l'ancêtre ne peut jouer pleinement son rôle dans la vie spirituelle de la société des vivants qu'à condition de s'en éloigner dans une certaine mesure. Parfois cette séparation est plus symbolique que réelle. Pour les Bantou du Sud-Est africain, les vieillards esseulés sont, par anticipation, assimilés aux disparus de leur promotion d'âge, c'est-à-dire aux ancêtres . Normalement cependant, les sages ne « jouissent » de cette qualité qu'après leur mort et, surtout, après leur éloignement net de la société des vivants, marqué par les secondes funérailles (levée de deuil), ou par des modifications apportées à leur sépulture.
Bien que, en principe, tous les morts ayant satisfait aux exigences sociales et religieuses dont nous venons de parler soient considérés comme étant des ancêtres, en réalité peu d'entre eux sont invoqués, à ce titre, par leurs descendants. Dans la masse totale de ses « élus » chaque société semble ainsi discerner une portion « utile », disposée en palier dans la série des générations et qui seule est avantageusement mise au service des vivants. Le reste, s'estompant dans la mémoire de ceux-ci, constitue les battitures de l'au-delà dont le souvenir est rappelé sans référence précise à l'occasion des rites de commencement d'année, en particulier. Ainsi, de même qu'une partie des vivants constitue, au moment du départ pour l'au-delà, le lot des morts inutiles, les défunts eux-mêmes deviennent partiellement inutilisables par la faiblesse des vivants. » Pierre Erny. L'idée De Réincarnation En Afrique Noire. L'Harmattan.
ancêtre Moba:copyright Jose Ortega.
Il y a ainsi une sorte de symétrie inversée entre l'enfant qui se construit et le vieillard qui se déconstruit, l'un qui s'achemine vers la plénitude personnelle et sociale, l'autre qui aspire à endosser le statut d'ancêtre. De même que la personne qui vient de mourir n'est pas encore entièrement morte et intégrée dans l'au-delà, de même l'enfant qui vient de naître n'est pas encore tout à fait né et intégré dans le monde des hommes. Le défunt franchit une première étape de cette intégration grâce au rite d'inhumation ; le nouveau-né fait le premier pas dans la société grâce au rite de première sortie et d'imposition du nom qui l'agrège à une famille, à un lignage, à un clan. Mais le défunt ne peut accéder au statut définitif d'ancêtre tant que son corps n'est pas décomposé, liquéfié, et que ses principes spirituels ne sont pas libérés de toute attache avec lui ; le nourrisson ne peut accéder au statut d'enfant tant que son corps est encore "de l'eau", ne s'est pas affermi, n'a pas durci, ce qui est attesté par l'acquisition des dents de lait, et par le fait même par l'accès à la nourriture solide et au sevrage.
Le vieillard qui meurt n'est pas encore un ancêtre, mais un defunctus, quelqu'un qui durant la période de transition où se dissout son cadavre n'a plus de fonction dans la société. Son statut est provisoire : c'est un être "en état de carence sociale", disait Maurice Leenhardt, "un vivant négatif, placé dans des conditions de contraste". Ce sont les rites de "secondes funérailles" ou de "levée de deuil" qui vont marquer son agrégation au monde des ancêtres s'il en est jugé digne.
Nulle n'a montré le rapport des vivants et des morts, autant que D. Sewane dans le « SOUFFLE DU MORT » consacré aux Batammariba du Togo, rapport tragique puisque le début du livre montre les femmes qui « tombent », sorte de catalepsie, état intermédiaire entre vie et mort ; cet évènement survenant, au moment où meurt celui qui lui avait donné le souffle vital. L'ensemble du livre reste une réflexion sur le sens aigu du tragique dans cette société que d'aucuns considéraient (y compris le gouvernement togolais) comme particulièrement primitifs. Toute une métaphysique complexe où il faut conjurer la mort par des rites funéraires « sophistiqués » pour éviter que la force retourne à la nuit, à la brousse environnante. Mais aussi l'existence chez des « voyants » et des sages de tout un savoir généalogique afin de conserver la mémoire des ancêtres qui redonneront leur souffle à un vivant.
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« Si un vivant doit sa vie à « celui qui l'aime » — le yembota (l'ancêtre) qui l'a formé —, le désir d'un mort de recommencer une nouvelle vie dépend de la mémoire des vivants. Qui viendra le tirer de la tombe si son nom est oublié ? Si, en célébrant un sacrifice devant son autel, personne ne dit plus son nom de l'intérieur de son foie, son nom pourrira au cimetière. Son souffle aussi, puisque l'un s'identifie à l'autre. Pour former une nouvelle vie, il a besoin de l'intervention de ses descendants. Il a besoin de /'okwoti qui garde la mémoire de son nom et de ses traces, celle, principalement, qui concerne sa tombe : combien de jeunes défunts y furent enterrés ? Quel est leur nom ? A quelle date ? En quel lieu ? Avec l'aide de quels autres morts de même cimetière forment-ils des enfants ?
Son savoir est d'abord celui des tombes….
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…Un okwoti (vieillard ayant accumulé de la sagesse) doit avoir en tête toutes les traces des morts de son clan susceptibles déformer un enfant. Un prodigieux savoir généalogique régulièrement mis à jour dans la fréquentation d'autres vénérables okwoti. Mais la place tenue par le devin est aussi indispensable que celle de l'okwoti ; si un okwoti a en tête toute, une liste de noms quand il vient consulter le devin, c'est au devin, en dernier ressort, de donner son aval. Du savoir de l'okwoti, validé par le bâton du devin, dépend la survie d'une takyiènta, et d'un clan. De la confrontation de /'okwoti et du devin, émergera une certitude quant à l'identité du mort, à condition que L'okwoti sache poser la « bonne question ». Faute de quoi, le nouveau-né dépérira. Se tromper sur le nom du mort revient à compromettre le destin de l'enfant : malaises, faiblesse de constitution, pour finir, mort précoce. L'oubli d'un nom prend vite les dimensions d'une faute dont pâtiront les descendants. Le nombre des vivants se raréfiera. Le cours des générations sera interrompu. C'est donc le devoir de l'okwoti de commencer les recherches auprès des devins « dès la deuxième ou troisième lune de grossesse, sinon le mort peut se cacher et un autre prendra sa place »…..
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…Un même yembota (ancêtre formateur) peut former plusieurs enfants : chacun recevra des tinènti ou affaires de destin différentes, lui permettant d'exceller dans une activité particulière — bâtisseur, forgeron, guerrier, chasseur... ou séducteur de femmes. Bien qu'entre eux, ces enfants soient considérés comme des Pareils puisque leur vie dépend d'un même souffle d'ancêtre, ils auront tous une destinée singulière. Chacun a son chemin, chacun doit laisser sa trace.
Bien qu'un vivant ne sache pas quel genre de tinènti lui ont été attribuées par son mort, elles se manifestent comme des aiguillons qui ne le laissent pas en paix tant qu' 'il ne les a pas réalisées. Le plus souvent, un yembota revient dans sa nouvelle vie à l'inverse de ce qu' 'il était auparavant. A l'origine de l'inversion : une souffrance.
Les souffrances endurées par les défunts dans leur vie antérieure constituent un savoir lentement emmagasiné par les okwoti. Ils ont le devoir de ne pas oublier les « malheureux » marqués par les échecs, les offenses, les deuils répétés. Pourquoi ? Pour favoriser au mieux le destin des enfants en lesquels ils reviennent, et dont le comportement, de prime abord, peut indisposer ou surprendre. » Dominique Sewane. Le Souffle Du Mort. Terre Humaine. Plon.
« L'homme ou l'essence humaine », disait Marx, « n'est pas une abstraction résidant dans l'individu pris isolément. Dans sa réalité, il est l'ensemble des rapports sociaux ».
L'homme en soi est une fiction, il est toujours situé dans un cadre culturel historique. La personne individuelle ne peut être conçue isolément. Comme Lévy-Bruhl l'a si bien montré, à propos des « primitifs », mais avec une portée qui s'avère générale : « la personne est un lieu de participation »….
La constellation typique des éléments interdépendants constituant la personne, peut prendre des formes différentes suivant le cadre socioculturel. Celui-ci sélectionne, valorise, stimule certaines potentialités de l'homme, inhibe et dévalorise d'autres, suivant sa structure. Les composantes des modèles de la personne sont multiples et variables, différemment « dosées » par les sociétés. Ces modèles « théoriques » ou « réels », explicites ou implicites, assurent le développement « typique » (la personnification) des individus d'une société, en réglant leur participation à la vie et aux valeurs de celle-ci.
La personne n'est pas l'apanage d'une seule culture, et aucun de ses modèles particuliers ne peut être élevé à la « dignité » métaphysique. Elle n'est pas une substance immuable, mais la forme variable sous laquelle se manifestent les acteurs humains de chaque société. Elle implique l'interaction entre les hommes concrets et un milieu social.
Comme le note très justement Jean-Pierre Vernant en ce qui concerne le domaine des hellénistes : « II n'y a pas, il ne peut pas y avoir de personne modèle extérieure au cours de l'histoire humaine... L'enquête n'a donc pas à établir si la personne en Grèce est ou n'est pas, mais à rechercher ce qu'est la personne grecque ancienne, en quoi elle diffère, dans la multiplicité de ses traits, de la personne d'aujourd'hui... » .
L'étude de la personne en anthropologie est capitale car elle constitue le palier bio-culturel qui se trouve au cœur même de l'ensemble social. Les dimensions multiples de ce que nous pouvons appeler personne (phénomène concret, modèle et système de correspondance) sont révélatricesnon seulement de l'idéologie d'un groupe en général, mais surtout de la manière dont l'humain y est appréhendé. Il importe de ne pas se contenter des aspects manifestes et clairement codifiés, il faut explorer les faces latentes, imaginaires, mythiques, eschatologiques, utopiques et erotiques de la personne dans chaque culture. Il faut sonder les recoupements subtils du visible et du caché. La personne ne doit pas être considérée seulement comme une « figure en relief », mais aussi en tant que « forme en creux » : représentations négatives, contenus refoulés, marginalités. L'image de ceux qui incarnent le modèle de la personnalité (de l'humanité parfaite) de leur groupe est structurellement liée au profil des « a-personnes », et des « sous-personnes » (du paria, de l'esclave, du prolétaire, souvent celui de la femme, du « malade mental », du « diable », etc...), à celles qui sont exclues de la participation complète aux valeurs culturelles de leur société. »Quelques Aspects De La Notion De Personne. Lajos Saghy. Dans La Notion De Personne En Afrique Noire L'Harmattan.
La personne, le devenir humain, reste irréductible à un principe unique (âme ou Moi, )à un de ses aspects ou manifestations : à la conscience individuelle à l'autonomie, à la liberté ou à la spontanéité. Elle n'est pas, à l'inverse, le pur produit d'un déterminisme social. Elle apparait plutôt à l'analyse, comme un phénomène bio-social, un nœud « dialectique » d'unité et de pluralité, liant des données anatomo-physiologiques, psychologiques et sociologiques. Elle n'est pas non plus l'apanage d'une seule culture puisque qu'apparaissant comme forme variable de l'interaction entre les humains concrets et leur milieu écologique et social.
Ainsi regarder l'enfant dans l'Afrique traditionnelle, c'est se demander quel sens il revêt pour ceux qui vont l'accueillir, et quel sera son itinéraire à venir avec les étapes et les rites de passages qui forgeront son identité. Ses significations diverses étant différente de la visibilité qui prévaut chez l'homme nourri des seules pensées objectives, sachant que dans les sociétés traditionnelles, le visible se double d'un invisible, qu'on ne peut lire qu'à travers des signes, et qui fait que la simple perception n'épuise pas la réalité. Tout se jouerait donc à un niveau plus caché, plus fondamental.
I l y a, à l'œuvre, une culture et une pensée qu'on a trop vite qualifiée « d'animiste », le terme renvoyant d'habitude à l'idée d'une primitivité comme phase infantile depuis longtemps dépassée de notre propre culture ,voire à une étrangeté « exotique ».
Pour commencer, il est primordial de préciser que l'animisme n'est pas en soi une religion, ou une organisation religieuse quelconque mais peut s'organiser en religions (les forces qui en sont l'élément fondamental pouvant se symboliser en panthéon). L'animisme est un appareil de croyances, une vision du monde, qu'on retrouve dans un certain nombre de traditions et de cultes, notamment amérindiens et africains, mais aussi ailleurs sur le globe. Il serait bien entendu vain d'en dresser une cartographie précise ,dans la mesure, où on pourrait faire remonter la plupart des traditions à l'animisme : par exemple, la mythologie latine archaïque (donc le panthéon qui existait avant Jupiter et tous les autres dieux d'inspiration Grecque) reposait sur un système de divinités mineures affiliées à des lieux (bois sacrés, sources…) ou des éléments (vent, pluie…).
L'animisme poserait, selon une définition plus que sommaire, le postulat que dans chaque être vivant, mais aussi dans divers éléments tels que les pierres, le vent, les éléments naturels, il y aurait une « AME », un principe de vie . Mais c'est là que le langage risque d'être trompeur : en ce sens qu'animus ou anima latin sont traduit chez nous et la tradition judéo-chrétienne par Ame au sens de réalité substantielle (j'ai un corps et une âme ) et qu'on en oublie le sens étymologique qui signifie (de même qu'esprit) une énergie, une force, un souffle. Ce qui anime… On est donc en présence d'une autre vision du monde, d'un autre modèle identificatoire parmi les structures de pensée possibles, à l'instar de l'objectivisme, du naturalisme ou du totémisme (P. Descola). Un système posant que les que les différents règnes du vivant sont apparentés par l'intériorité, quoique devenus différents dans leur aspect corporel, à partir d'une indistinction première. Ils seraient tous interdépendants au sein d'un cosmos à étages comportant des réalités visibles et invisibles mais sans transcendance. L'invisible n'étant pas la surnature, résiderait simplement dans « un autre lieu », imperméable à nos sens (nous-mêmes posons l'existence d'une matière « noire » constituante de notre univers).Ce cosmos aurait un principe « originel » ce qui a fait dire que l'Afrique traditionnelle était Monothéiste et la première à l'être, mais c'est pourtant à ne pas comprendre à l'aune de nos religions et philosophie. Ce principe créateur qu'on traduit par Dieu était souvent nommé par les langues, « l'Inconnaissable », donc différent de la personne divine du christianisme. « C'est alors qu'ayant décidé de créer l'univers, « le Maître incréé et le Maître sans limite et sans fin, le Maître qui n'a pas de bouche et qui parle » le fit au moyen des signes qu'il avait conçus dans le « mystère de son intérieur », dit ainsi la sagesse du KOMO société initiatique Bambara, soulignant par ce fait que « l'univers, la vie, restait toujours un mystère, un mystère insondable. A cette divinité, on ne rendait pas forcément de culte et il n'était pas transcendant. Le « Dieu » animiste était l'animateur du cosmos, son énergie interne, la « force vitale » originelle qui rayonnait, à travers êtres et choses à des degrés divers, (les trois règnes végétaux, animaux, et humains, les minéraux mais aussi les ancêtres, et les intermédiaires invisibles, vodun ,génies par exemple). Elle se condensait dans certains lieux (bois sacrés, temple, chambre des ancêtres), dans certains êtres particuliers (voyants devins chamans ailleurs) .Cette force pouvait s'augmenter ou diminuer en chacun et on pouvait la capter à travers divers objets –fétiches ou par certains rites. Elle irradiait aussi dans les noms.
« Qu'est-ce donc que l'homme pour les Evhé ? Quelle est sa place dans la création ? Quel est son degré de liberté ? Comment se définit-il des dieux et à quoi lui servent-ils ? Il me paraît indispensable de répondre d'abord à ces questions de façon à préserver la lecture de mon exposé de toute erreur de perspective.
A la recherche d'explications en profondeur à ce sujet, on est vite renvoyé par eux à la cause première de toutes choses, clef de voûte de toutes leurs conceptions, appelée Mawu. Comme il est d'usage je traduirai ce terme par Dieu, mais je tiens à mettre en garde contre une assimilation de la notion de Mawu à celle de Dieu la plus répandue autour de nous. L'étymologie la plus crédible en fait l'être qu'on ne surpasse (wu) pas (ma = négation). Effectivement on appelle Mawu tout ce qui dépasse les facultés de compréhension humaines, sur quoi on évite donc de se prononcer et dont on ne peut jamais acquérir que la conviction intime de l'existence. Identifiant l'inintelligible, au delà du nom et de la forme, Mawu correspond bien plus à la notion de "vide" dans le bouddhisme qu'à celle de "personne divine" dans le christianisme. Bien que tout vienne de lui et que tout tende vers lui, ce n'est pas à lui que l'homme s'adresse pour obtenir l'apparition, comme hors du vide, de ce qui lui semble nécessaire, mais à des entités dont il sait se donner une sorte de formule ou d'emblème, qui ont pouvoir d'intervenir au débouché d'une mystérieuse nature dont le Maître suprême s'est retiré après avoir fixé les lois de sa manifestation. Je ne me risquerai pas à parler de l'inconnaissable ou du vide, sur l'infinitude duquel tout se profile, mais prendrai en considération les toutes premières entités qui en occupent le seuil pour y provoquer ou y surveiller l'amorçage des phénomènes que nous percevons. Bien que plongées dans une profonde obscurité, elles ne peuvent pas moins en effet être l'objet d'assertions…..
….M'étant refusé à traduire luvho par âme et constatant que le luvho ne vient au monde que porté par du souffle vital, n'accomplit sa mission sur terre qu'en chevauchant du souffle vital, puis demeure à l'issue de celle-ci, une fois restitué à l'atmosphère, directement ou indirectement concernés par des appétits de souffle vitaux je me permettrai de le traduire par "esprit", terme dont le sens premier est bien celui d'un principe actif ne possédant qu'un corps de souffle, voyageant dans l'atmosphère et s'insinuant par la respiration qu'il entretient, ou du moins par voie gazeuse, à l'intérieur même des corps).
je traduirai en conséquence agbe luvho par esprit vital ou par pôle vital de l'âme, celui conférant à l'individu une certaine tonalité vibratoire dont dépendent ses sympathies et antipathies à l'égard des lieux, des êtres et des genres d'activité. Et je traduirai ku luvho par esprit imaginant ou pôle imaginaire de l'âme, celui réservant à l'individu un point d'insertion dans l'univers changeant des traces ances-rales, en particulier dans la mémoire collective et le langage.
La distinction est toujours difficile à établir entre l'esprit et le souffle vital qui le porte et qu'il emporte. Rendre le souffle équivaut en effet à rendre l'esprit. Le terme évhé que je traduis par souffle vital est celui de gbogbo qui désigne avant tout le va et vient de la respiration, mais peut désigner aussi le souffle alterné produit par un éventail et les fluctuations de l'atmosphère, et désigne par extension le principe énergétique absorbé en respirant qui entretient au sein des corps les ondulations ou pulsations caractéristiques de la vie. ». Albert De Surgy. Le Système Religieux Des Ewe. .L'Harmattan.
Ainsi dans nombres de sociétés traditionnelles, africaines ou autres, le monde visible et tangible était doublé en dessous, au-dessus ou au fond de lui par un monde parallèle qui n'était t ni tangible ni visible. Ce monde "autre" serait d'une absolue proximité et la mince cloison qui sépare les deux pourrait être traversée par de multiples voies. C'était justement le rôle des « passeurs de mondes», chamans, devins, voyants, nganga. Ce monde serait habité par d'innombrables « entités » : les dieux, les esprits, les génies de la nature, les défunts, les âmes en peine, les ancêtres, etc., dont la présence était tellement évidente et parfois tellement familière qu'on s'adressait à eux aussi naturellement qu'on s'adresse à des humains.
Pour exposer un instant des analogies avec ce qui existe (et pas seulement a existé) dans notre propre culture, rompant avec l'idée d'une primitivité exotique de l'altérité, personne ne dirait que Spinoza était animiste. Pourtant sa philosophie n'est pas différente des principes développés ici dans un tout autre langage. « Dieu c'est-à-dire la Nature » ,disait l'Ethique; une nature qui est « naturante » c'est-à-dire en pleine expansion et créativité, pour qui chaque être n'était qu'une modalité particulière de celle-ci, se différenciant seulement des autres , de tous les autres, par une puissance d'être particulière , un « conatus », force de vie et de pensée qui la faisait persévérer dans son être .(il n'y avait donc pas de privilège ontologique de l'humain mais seulement un degré de puissance.)Le but de chaque étant d'augmenter par la connaissance ou des associations avec d'autres telles les sociétés, sa propre puissance de vie(idée reprise par Nietzsche)
Ou encore selon certaines théories cosmologiques les plus sophistiquées de notre physique contemporaine (théorie des Cordes), une énergie cosmique vibratoire, existant à la fois, dans plusieurs dimensions de l'espace-temps, invisible à nos observations se matérialiserait en vibrant de différentes manières et en générant toutes les particules fondamentales du cosmos. (Tout comme les cordes d'un violoncelle peuvent vibrées à différentes fréquences, produisant des notes de musiques distinctes).
Dans un ouvrage contesté par sa volonté de généraliser, Placide TEMPELS a eu le mérite de dégager les principes d'une « philosophie bantoue » animiste. (Ce texte ancien (1940) est encore écrit dans un langage qui n'a plus cours, ainsi l'emploi de « primitif »).
« Ceci doit être reçu comme base de la philosophie bantoue. C'est un minimum qu'il faut admettre, sous peine de ne pas comprendre les Bantous.
Ainsi les Bantous auraient une notion composée de l'être, que l'on pourrait formuler : l'être est ce qui possède la force.
Cette hypothèse minimale ne me paraît au demeurant pas satisfaisante, ni même absolument exacte. Elle ne rend pas suffisamment compte du caractère propre de la notion d'être du primitif. Je crois serrer de plus près la vérité si je définis la notion d'être du primitif comme : l'être EST force.
En effet, la formule européenne « avoir la force », nous la comprenons inconsciemment d'après notre philosophie. Si nous formulons le concept d'être du Bantou comme étant : « la chose qui possède la force », le lecteur en retiendra que la force est considérée comme un attribut de l'être. Or, pour le Bantou, la force n'est pas un accident, c'est même bien plus qu'un accident nécessaire, c'est l'essence même de l'être en soi. Pour lui la force vitale, c'est l'être même tel qu'il est, dans sa totalité réelle, actuellement réalisée et actuellement capable d'une réalisation plus intense.
Cette force se réalisant plus ou moins, l'être même se réalise plus ou moins. Les changements de l'être sont, pour eux, les réalisations variées, les degrés, les croissances ou les intensités ontologiques de l'être lui-même…
Là où nous pensons le concept « être », eux se servent du concept « force ». Là où nous voyons des êtres concrets, eux voient des forces concrètes. Là où nous dirions que les êtres se distinguent par leur essence ou nature, les Bantous diraient que les forces diffèrent par leur essence ou nature.
C'est parce que tout être est de force, et n'est qu'en tant que force, que cette catégorie force embrasse nécessairement tous les êtres : Dieu, les hommes vivants et trépassés, les animaux, les plantes, les minéraux. L'être étant force, tous ces êtres apparaissent aux Bantous comme des forces. Ils donneront un nom à chaque chose, mais la nature intime de la chose nommée se présente à leur esprit comme telle ou telle force spécifique et non comme une réalité statique ..
Dans les êtres visibles les Bantous distinguent ce qui est perçu par les sens et la « chose en elle-même » ; par la chose en elle-même, ils désignent sa nature intime, propre, l'être même de la chose, ou plus précisément la force par laquelle la chose est ce qu'elle est. Ils s'expriment en langage imagé lorsqu'ils disent : « en chaque chose est une autre chose » ; « dans chaque homme se trouve un petit homme », on se tromperait grossièrement en prenant pour une terminologie rigoureuse à l'européenne ces périphrases imagées des Bantous. Leur allégorie fait simplement ressortir qu'il y a lieu de distinguer dans l'être matériel ce qui tombe sous les sens, ou phénomène apparent, de ce qui ne se voit pas, ou nature intrinsèque de l'être. » P.Tempels La Philosophie Bantoue. Présence Africaine
Ce sont ses principes qui ordonnaient la vision de l'enfant dans les sociétés africaines traditionnelles (quand elles n'étaient pas islamisées ou devenues chrétiennes par la colonisation comme en voie de disparition par la mondialisation).A la différence de nos traditions culturelles, l'enfant n'était pas un être nouveau, malléable, que l'éducation aurait pour fonction de façonner. Sa vie ne commençait ni à la conception, ni à la naissance, car être composite ,une partie de lui-même était censée venir d'ailleurs, de l'invisible et il avait tout un « passé- présent »en lui.
En plus du corps et de » l'âme" ,conception longtemps dominante de l'anthropologie occidentale, les "anthropologies" africaines faisaient état d'autres principes constitutifs : les uns sont créés par « Dieu » (au sens de l'animisme); les autres sont hérités d'ancêtres et destinés à retourner au monde des ancêtres ; d'autres encore, puisés dans quelque réservoir cosmique, clanique ou totémique, traduisant le fait que la personne n'est pas une monade fermée sur elle-même, mais qu'elle a des participations à tous les niveaux de la réalité. Il est des principes vitaux confinés au maintien des diverses fonctions biologiques et appelés à s'éteindre avec elles. Certains peuvent être eux-mêmes conçus comme des groupements d'éléments d'origines fort diverses, passagèrement coagulés, venant tantôt du père, tantôt de la mère, ou reçus au moment du passage par tel rite.
« L'étude des relations que l'enfant entretient avec l'autre monde révèle donc qu'en toute hypothèse l'héritage qu'il reçoit de ses ascendants dépasse l'ordre purement biologique et touche à l'être spirituel en ce qu'il a de plus intime. Mais dans une ontologie dynamiste où la force de vie représente, non un attribut, mais l'essence même de l'être, les influences que subit l'homme de la part des puissances qui le patronnent sont inhérentes à sa nature, constitutives de sa personne. L'enfant ne peut se concevoir qu'en référence à l'ensemble du système de forces qui le soutient en permanence et lui permet seul de subsister. Qu'une causalité s'exerce sur lui, elle ne peut être simplement passagère, mais fait partie d'un courant continu et durable de fécondation et de vivification. C'est ainsi par exemple que l'action du père sur le fils ne comporte pas uniquement l'acte d'engendrer, de donner l'existence, mais implique une continuelle incubation de la force vitale du père sur celle du fils pour la développer et la rendre prospère. De même l'intervention d'une puissance » PIERRE ERNY. LES PREMIERS PAS DANS LA VIE DE L'ENFANT. L'HARMATTAN
La personne humaine, selon l'animisme, ne peut être séparée du cosmos :Dans de nombreux mythes de l'origine et de l'apparition des hommes, l'humanité primordiale prend naissance, à la suite de l'union sacrée du Ciel et de la Terre, dans les cavernes et les gouffres, véritables matrices d'où elle grimpe jusqu'à l'air libre. L'image de la Terre est celle de la Mère primordiale, et la création de l'homme, est présentée en termes d'obstétrique et d'embryologie. La formation de l'embryon et l'enfantement répètent l'acte primordial et exemplaire de la naissance de l'humanité. L'histoire de la personne coïncide ainsi avec celle de l'espèce telle que la rapporte le mythe
Le lien indissociable entre le devenir humain et l'ontogenèse du cosmos est particulièrement signifiant dans les mythes de la gémellité tels les mythes Malinké-Bambara. Leur philosophie de l'univers se développe à partir de la notion de vide, GLA , de l'univers, qui caractérise un stade intemporel et primordial qui aurait précédé les étapes de la création ( on peut là encore montrer des analogies avec les cosmologies de notre science, Big Bang, expansion et rétraction de l'univers, multivers et énergie vibratoire mais aussi avec la philosophie du Dao et ses phases d'alternances, Ying et Yang.). L'idée de vide va s'accompagner de celle de mouvement, d'éveil, de résurrection. Glà est ainsi le principe du mouvement universel interne du cosmos et de tout ce qui le compose , le principe de l'éternelle résurrection des choses. La puissance de Gla va s'étendre en créant son double. La gémellité » apparaît donc comme un caractère primordial, un principe existentiel. La création originelle a pour base un mouvement qui tantôt pousse à l'expansion, tantôt à la concentration, tantôt fige les énergies, tantôt les ressuscite, et qui s'exprime, sur le plan verbal, par la répétition gémellaire du terme de base : glâ-glâ, indiquant cet éternel va-et-vient qui donne aux choses une âme. Notons que le rôle de l'homme est essentiel dans l'origine.
On peut ainsi lire l'ensemble du mythe Bambara :
Le Gla. , le vide émit une voix qui créa son double, et du couple est sortie une substance humide zo sumale (rouille froide) qui va former les corps durs et brillants. Après une suite de mouvements et de transformations, il se produisit entre les deux gla une explosion qui éjecta une matière dure et puissante qui descendit en vibrant. De cette vibration sortirent les signes qui allèrent se poser sur les choses encore incréées pour les désigner. Puis, la conscience de l'homme se détacha du gla et vint se poser sur les choses et les éveiller à leur propre conscience en les nommant. Au cours de cette création apparaît l'esprit agissant, Yo, plus 22 éléments fondamentaux, 22 spires qui brassèrent Yo et donnèrent naissance au son, à la lumière, à tous les êtres, toutes les actions et tous les sentiments existants. Par la suite, une série de désordres suivis de remises en ordre, vinrent troubler la création où l'homme joue un rôle prépondérant.
Deux premières puissances naquirent de l'esprit Yo : l'une Faro, maître du Verbe, construisit les sept cieux. Il donna naissance à Teliko, le génie de l'air, puis sous la forme d'eau il répandit la vie sur Terre. L'autre puissance, Pemba, créa les mottes et les buttes qui donnent forme à la terre. Après sept ans où il fut un tourbillon, Pemba, se transforma en graine d'acacia et se posa sur la terre pour germer en un arbre, le Balanza, qui devint son avatar terrestre. Puis avec la poussière de ces traces mêlées à sa salive, il créa une femme à laquelle il insuffla une âme (ni) et un double (dya) ; il unit et créa les plantes et les animaux Les hommes rendaient hommage à Pemba et à Mousso Koroni (la vieille mère terre), qui, en échange, leur donnait des directives de vie. Les femmes devaient toutes s'unir à Pemba; c'est pourquoi Mousso Koroni, jalouse, commença à troubler la création et à semer le désordre. Elle institua la circoncision et l'excision, et révéla aux hommes tout ce qu'elle avait appris de Pemba. Communiquant l'impureté à tout ce qu'elle touchait, elle introduisit dans le monde le mal, la douleur et la mort. Pemba la pourchassa, Faro l'atteignit, mais il ne put la soumettre. Finalement, elle mourut, mais avant de disparaître, elle révéla les techniques agricoles aux hommes. Pemba, en plus de l'amour des femmes, réclama le sang des hommes, d'où il puisait sa puissance; en échange, il les rajeunissait lorsqu'ils devenaient vieux et leur enseignait les techniques du feu. Mais il abusa de son pouvoir et épuisa les hommes, ce qui causa sa perte. En effet, les hommes se détournèrent du Balanza) pour s'adonner au culte de Faro. Celui-ci féconda les femmes qui enfantèrent des jumeaux aux membres souples. Mais les hommes avaient rompu un interdit à l'égard de Pemba, et la mort apparut et se propagea parmi eux. Pour compenser ce malheur, Faro leur enseigna la parole. Puis, le génie de l'air, Teliko, tenta de s'emparer du pouvoir; les hommes abandonnèrent Faro pour le suivre. Faro le vainquit et punit les hommes en leur attribuant les articulations propres au travail manuel, auquel tous furent contraints. Les naissances devinrent uniques, mais en compensation chaque être fut muni d'un double, dga, qui siège dans l'eau. »
D'après une étude sur les bambara :http://www.temple-parvis.com/images/cosmogonies/cosmo-av-bambaras.pdf
L'origine mythique du cosmos est donc elle-même vue sous forme d'une gestation et d'une naissance. Le dynamisme humain, et en particulier tout ce qui touche à la sexualité et à la procréation, trouve son équivalent dans l'univers. Une identité s'établit entre l'homme et le monde, de telle manière qu'à la vie de l'un correspond la vie de l'autre. Pour les Bambara.l'homme est un microcosme, résumé de la totalité des êtres et des choses. Le principe de dualité qui est contenu dans la pensée créatrice originelle (mythe de la gémellité ci-dessus))se réalise en l'intériorité humaine par des âmes jumelles qui compensent la séparation des sexes. En lui, Faro est représenté par le NI (l'âme) et le DYA (le double), Pemba par le TERE (le caractère, la force et la conscience) et le NYAMA (même composante que précédant mais quittant le corps à la mort.).
« Evidemment ce qui préoccupe au premier chef les responsables des sociétés d'initiation et notamment ces spécialistes que sont les « généalogistes », et les « psychologues »,c'est « l'origine de la personne » la matière dont cette personne est faite, la nature de l'énergie, du principe de vie, m qui l'anime et de l'esprit, de l'intelligence, dont elle est douée et qui la rend supérieure aux autres êtres. Une leçon dit : « Le signe premier de « l'édification ou fondement » de l'origine] de la personne est « le néant » ,le signe du néant,(qu'on va donc chercher à deviner sur le placenta par exemple) sur lequel repose le substrat de toutes les choses concrètes, dont « l'âme » et le « double de l'âme » dya sont nés et dont la pensée et la réflexion sont issues».
Le signe du néant apparaît ainsi comme un véritable précipité du destin de la personne qui, après avoir émergé à l'un des pôles du néant, acquiert pensée et réflexion (esprit) et âme, avant de disparaître à l'autre pôle une fois accomplie sa vie, « sa traversée de l'univers » "" selon l'expression bambara..
La personne tiendrait donc son origine du néant primordial qui est devenu entre temps notre univers; ce néant dont on dit « qu'il était à l'origine des temps obscur, frais, lourd (dense), uni et calme (statique) avant de vibrer, se rompre, s'illuminer et s'animer dans toutes ses parties sous l'effet de l'étincelle initiale»1101 est, on s'en doute, la matière. Comme celle-ci, dit une tirade du Komo, « la personne n'est autre chose que eau et terre, feu et air »
Cet axiome une fois avancé, on en vient à l'origine même de la vie, I du principe de vie, ni, qui anime la personne. Le NI provient, tout comme l'énergie radiante» nyâ-nyâ1"' qui anime l'univers dans l'étendue et a profondeur incommensurables de ses couches, de la « vibration », ce vocable signifiant par ailleurs « soi-même ». Ce qui permet aux Malinké et aux Bambara d'affirmer : « là où il n'y a pas de vibration, il n'y a point de mouvement; là où il n'y a pas de mouvement, il n'y a point de chaleur (d'énergie); et là où il n'y a pas de chaleur, il n'y a ni âme (ni principe de vie), ni vie. ni mort » l.
N'est-ce pas pour cette raison essentielle que pour matérialiser le « tournoiement (le mouvement) primordial », muntt jolo, et le premier signe de vie, d'existence, les Malinké et les Bambara choisirent le cercle parfait, kara, l'aboutissement final et logique — pour eux — de toute vibration et le symbole par excellence de la rotation ! ».Youssouf Cissé.Signes Graphiques Et Concepts Relatifs A La Personne Chez Les Malinke et Les Bambara Du Mali.
Le corps est conçu comme étant le support de toutes les forces spirituelles; chaque partie est connue distinctement dans son rôle particulier. Il est bisexuel comme les principes spirituels; le garçon est féminin dans son prépuce, et la fille mâle dans son clitoris, et ce n'est selon cette conception qu'après la circoncision et l'excision, que l'homme et la femme pourraient s'unir et réaliser la gémellité originelle fécondante.
On retrouve dans la vallée du Niger, de manière peut-être plus diffuse en d'autres régions d'Afrique, un mythe extrêmement répandu qui dote l'être à l'état originel comme à l'état d'achèvement d'une bisexualité qui en indique le caractère complet et parfait. Cette androgynie est manifestement liée à celles d'un univers gémellaire (-on sait que les mythes orphique grecs faisaient naitre un être bisexué d'un œuf primordial puis après séparation en deux sexes, le désir humain restait la marque de la nostalgie de l'unité perdue). Divinité ou hommes primordiaux se présentent souvent comme un couple de jumeaux de sexe différent. Dans la mythologie Evhé, le Créateur, lui-même bisexué, engendre deux jumeaux; Lisa qui est mâle et apparaît comme un être solaire, Mawu qui est femelle et représente la lune. Dans dans d' autres versions du mythe, Mawu réunit en lui les deux sexes. sur le plan de l'autorité, la reine-mère représente l'élément féminin prédominant et la lune, alors que le roi représente le soleil mâle.
Cette tradition de l'androgynie, qu'on retrouve en Chine, en Australie, et que popularisa Platon dans notre culture, comme mythe de l'Amour(le Banquet) est l'expression de la perfection de l'homme primordial (l'enfant qui nait le symbolise à l'état de virtualités.
La mort dissociera tous ces éléments composant la personne. Mais les composantes ne disparaissent pas, certaines demeurent dans l'eau, sur l'autel où elles ont été capturées, où rejoignent les forces ancestrales. A la naissance, toutes les forces spirituelles seront retransmises intégralement et « rafraîchies », purifiées. Un être en remplacera un autre. L'être humain bambara est ainsi le « grain du monde », reflet de la totalité; L'ensemble des choses soutient l'homme et le fait persévérer dans son existence. Comme le dit le mythe, c'est un même principe d'activité, Faro, le génie bambara de l'eau, qui anime l'univers en toutes ses manifestations vitales ; c'est lui qui détient les principes spirituels des êtres et qui leur donne vie ; il préside aussi bien à la naissance, aux rites de passage, au mariage, qu' aux travaux agraires, aux voyages, à la guerre et à la paix. Par la parole il a donné le langage et les techniques aux hommes.
En résumé, on pourrait dire que deux éléments vont se retrouver dans la conception de l'être des sociétés traditionnelles : la pluralité des éléments constitutifs de la personnalité et la fusion de l'individu dans son environnement ou son passé, ce que R.BASTIDE appelait la « fusion dans l'altérité ».
Cette fusion dans l'altérité est manifeste si l'on compare le statut du corps dans la pensée occidentale et dans celle des sociétés traditionnelles :
Dans les sociétés occidentales, on estime couramment que le corps humain est un objet relevant seulement de la biologie ou de la physiologie, et que sa réalité matérielle doit être pensée d'une façon indépendante des représentations sociales. Elle repose sur une conception particulière de la personne, celle qui fait dire au sujet "Mon corps" sur le modèle de la possession. Cette représentation s'est construite au fil de l'histoire occidentale accompagnant l'émergence de l'individualisme. En vertu de la longue tradition philosophico-religieuse de la séparation de l'âme et du corps, ce dernier ressortit au domaine de la connaissance objective, tandis que l'appréhension du psychisme serait soumis à la fluctuation des croyances religieuses, des théories philosophiques ou psychologiques (du moins jusqu'à l'apparition des récentes sciences cognitives).
Le corps fonctionne donc à la manière d'une borne frontière pour distinguer chaque individu. L'isolement du corps au sein des sociétés occidentales témoigne d'une trame sociale où l'homme est coupé du cosmos, coupé des autres et coupé de lui-même. Facteur d'individuation au plan social, au plan des représentations, le corps est dissocié du sujet et perçu comme l'un de ses attributs. Le corps devient un avoir, un double.
A l'inverse, les travaux anthropologiques – aussi bien que les études historiques ont décrit l'extrême variabilité, selon les sociétés, des conceptions du corps, de son traitement social, de sa relation avec autrui et avec le monde, Dans ces société traditionnelles, le corps est relieur, il unit l'homme au groupe et au cosmos à travers un tissu de correspondances.Toutes les cultures connues, font du corps une partie intégrante du social. Il est au cœur des pratiques magiques et thérapeutiques comme des croyances religieuses ou des mythologies. Il est inclus dans des systèmes de représentation où se mêlent imaginaires collectifs, observations empiriques, savoir-faire et interprétations.
La surface externe du corps humain est ainsi l'objet d'une évaluation sociale variable. Pour être socialement approuvés, les corps sont « retravaillés ». La capacité d'occuper certains statuts ou de remplir certains rôles, sexuels par exemple, ne s'effectue qu'au prix de l'exhibition d'un corps immédiatement signifiant, laquelle permet de situer d'emblée l'appartenance ethnique ou la position sociale d'un individu.
La définition du corps est toujours donnée en creux par celle de la personne. Ce n'est nullement une réalité évidente, une matière incontestable : le « corps » n'existe que construit culturellement par l'homme. C'est un regard porté sur la personne par les sociétés humaines qui en balisent les contours sans le distinguer la plupart du temps de l'homme qu'il incarne. D'où le paradoxe de sociétés pour qui le « corps » n'existe pas. Ou de sociétés pour qui le « corps » est une réalité si complexe qu'elle défie l'entendement de l'occidental. De même la forêt est évidente à première vue, mais il y a la forêt de l'Indien et celle du chercheur d'or, celle du militaire et celle du touriste, celle de l'herboriste et celle de l'ornithologue, celle de l'enfant et celle de l'adulte, celle du fugitif ou celle du voyageur... De même le corps ne prend sens qu'avec le regard culturel de l'homme .D.LE BRETON
Signes d'appartenance, souvenirs des rites de passage ou de contacts culturels, fonctions erotiques, esthétiques, prophylactiques ou thérapeutiques, les différents types de signes :scarifications, tatouages, peintures, coiffure mais aussi parures se font les échos des croyances, des valeurs sociales ou des relations extrapersonnelles, ; toutes ces données témoignant de la vie des individus, puberté, initiation, entrée dans une confrérie ou mariage, ont subi une transmutation plastique Les motifs corporels traduisent les changements opérés dans la vie des individus, et affichent parallèlement leurs droits et leurs obligations. Mais à travers une ligne ou un dessin, c'est parfois toute une métaphysique, une cosmogonie une culture qui s'exprime
Le signe corporel a ainsi une valeur identitaire, il dit au cœur même de la chair l'appartenance du sujet au groupe, à un système social, il précise les allégeances religieuses, les relations au cosmos, il humanise à travers une mainmise culturelle dont la valeur redouble celle de la nomination. Au sein de certaines sociétés, le signe renseigne sur la place de l'homme dans une lignée, un clan, une classe d'âge ; il indique un statut et affermit l'alliance. Impossible de se fondre dans le groupe sans ce travail d'intégration qu'opèrent les signes imprimés dans la chair. Les membres d'une même communauté portent parfois des marques corporelles identiques, par exemple certaines pour tous les hommes, d'autres pour toutes les femmes.
Les inscriptions corporelles durables accompagnent les rites initiatiques de nombreuses sociétés traditionnelles : circoncision, excision, subincision, limage ou arrachage des dents, amputation d'un doigt. Dans ces sociétés, le statut de personne l'immerge, avec son style propre, au sein de la communauté. Les marques impriment sur son corps une inaliénable égalité et une cosmogonie compréhensible par tous. Rituelles, elles inscrivent dans la durée le changement d'être de l'initié : il n'est plus le même après la redéfinition dont sa chair a été l'objet. À la trace physique qui livre désormais le jeune à l'approbation du groupe, la douleur ajoute souvent son supplément.
« À portée du regard et du toucher, s'affichent les signes du corps : des lignes s'inscrivent, d'autres s'estompent. Des formes naissent, parfois s'imbriquent ou se perdent, puis retrouvent leur mouvement pour partir à l'assaut d'une portion de surface lisse. Et tous ces dessins recherchent le motif d'un tressage, d'un tissage, ou les traces laissées par les êtres que dissimulent les rivières et les forêts, ou la mémoire des humains. »
Le corps humain inspira, dans les cultures occidentales, maints chefs-d'œuvre de la peinture et de la sculpture. L'image intemporelle qu'il projette, celle d'une nudité sublimée, se trouve aussi au cœur des arts de l'Afrique noire. Mais là, plus qu'ailleurs, c'est sur le corps lui-même que s'appliqua la créativité des hommes et des femmes.
Quelles que soient la tradition et l'habileté dont elles relèvent, ces pratiques nous déconcertent et éveillent le souvenir de certaines expériences troublantes : celles du Body Art ou de la Figuration libre impliquant le corps en tant que support plastique. De même, la pratique de la peinture corporelle par le mouvement hippie, dans les années 70, ou celle des tatouages par des adeptes de plus en plus nombreux, en Europe et aux États-Unis, sont perçues comme des actes étranges, parce que signes d'un désir de marginalité.
À l'inverse, pour la plupart des peuples africains, peintures et scarifications sont vecteurs de communication et facteurs d'intégration, qu'ils s'effectuent dans l'ordre du social ou du spirituel."
"Car ces marques, qui travaillent le corps, coexistent avec d'autres formes d'expression se révélant notamment à travers les déformations du crâne, l'élaboration des coiffures, les perforations des oreilles, du nez et de lbijoux en métal ou en ivoire. Ces attributs placent le corps au premier plan de la médiation et le définissent, d'un point de vue sémiologique, comme le lieu d'émergence d'une multitude de signes.
Toutes ces parures nous parlent des hommes et des femmes. Elles nous racontent leur histoire, leur devenir, dont le sens se définit d'abord par rapport à un lieu, un village, un groupe, une ethnie ou un clan, un état, nubilité, grossesse ou deuil. Mais ces individus, chefs ou guerriers, sont soucieux de gagner ou de conserver le pouvoir ou de tendre à la plus haute connaissance, désir des initiés, des officiants de cultes ou des devins. Lorsque les plus grands ont l'ambition d'atteindre l'essence des dieux et d'accéder au secret de l'éternité, ils se parent de perles de corail, comme les souverains de l'ancien royaume du Bénin ou se couvrent d'or, tels les rois ashanti. » Christiane Falgayrettes-Leveau .Corps Sublimes. Dapper
Personne ne nierait pourtant qu'à l'instar de nous, un individu africain ne se pense en même temps comme singularité d'où la nécessité problématique de penser l'unité de la multiplicité. De quoi est faite l'individualité dès lors qu'on serait en présence d'une pluralité constituante, force vitale, ombre, double etc. ? la personne aura à ainsi résoudre le problème de l'harmonie entre les éléments constitutifs.
Comme chacun de nous, l'individu a sa propre histoire : il est enfant, reçoit divers rites de passages mène une vie d'adulte puis meurt et devient ancêtre. Et c'est cette histoire qui va individualiser chacun dès lors qu'elle n'est pas simple développement linéaire mais va consister en un jeu de complémentarité, de conflits, de renforcement, d'exclusion. Ainsi le sommeil est-il conçu comme le départ d'une des âmes qui revient le matin et donc comme perte d'être. Le moi se définit comme devenir sans cesse remis en question, comme inachèvement entre ce qu'il possède (donné ou acquis) et ce qu'il perd comme « force » soit épisodiquement (émotion et folie, dévoration fantasmatique par sorcellerie)soit définitivement comme la perte de substance irréparable qu'est la mort.
Dans un ouvrage qui fit date, qui reste un classique même s'il est souvent critiqué par son abus de généralisation et sa volonté de retrouver chez les Bantous, des principes préchrétiens que l'occident aurait oublié , P.TEMPELS restitue les éléments d'une « philosophie bantoue », autour de la notion de force vitale ou « muntu. »
« Nous dirons de l'homme qu'il grandit, qu'il se développe, qu'il acquiert des connaissances, qu'il exerce son intelligence et sa volonté et qu'en ce faisant il les accroît. Par ces acquisitions, par ce développement, nous ne considérons pas qu'il sera devenu plus homme, en ce sens du moins que sa nature humaine est restée ce qu'elle était. On a la nature humaine ou on ne l'a pas. On ne l'augmente pas et on ne la diminue pas. Le développement s'opère dans les qualités et dans les facultés de l'homme. L'ontologie bantoue, ou plus exactement leur théorie des forces, s'oppose radicalement à pareille conception. Lorsque les bantous disent.: «je deviens fort», ils pensent tout autre chose que lorsque nous dirions que nos forces s'accroissent. Rappelons encore que pour le noir l'être est la force et la force l'être. Lorsqu'il dit qu' une force augmente, ou qu'un être est renforcé, il faudrait exprimer cela en notre langue et suivant notre mentalité par: « cet être s'est accru en tant qu'être », sa nature fortifiée, augmentée, magnifiée…Voilà le sens dans lequel il y a lieu de comprendre les expressions que nous avons citées en exposant que le comportement des bantous était centré sur l'idée de l'énergie vitale: être fort, renforcer sa vie, tu es puissant, soyez-fort, ou encore, ta force vitale décline, est altérée. C'est dans ce sens aussi qu'il faut comprendre Fraser, lorsqu'il écrit dans « Le Rameau d'Or »: «L'âme comme le corps peut être grasse ou maigre, grande ou petite»; et encore: « la diminution de l'ombre est considéré comme l'indice d'un affaiblissement analogue dans l'énergie vitale de son propriétaire. » C'est encore la même idée que vise M.E. Possoz, quand il écrit dans ses « Eléments de droit coutumier Nègre »: « L'existence est pour le nègre chose d'intensité variable »; et plus loin quand il évoque «la diminution ou le renforcement de l'être ». ..
La philosophie des forces est une conception de la vie, une Weltanschauung. Il est possible qu'elle ait été inventée pour justifier un comportement déterminé, ou qu'une acception de la nature ait conditionné ce comportement, toujours est-il qu'actuellement elle informe étroitement toute la vie des bantous. Elle explique les mobiles humains, raisonnables de toutes les coutumes bantoues, elle livre les normes de la conservation et de l'expansion de la personne. Ceci ne veut pas dire que chaque indigène est à même de décliner les dix vérités cardinales de sa philosophie, mais il n'en est pas moins vrai que le « muntu » qui omet d'orienter sa vie suivant les antiques normes de la sagesse bantoue se fera traiter de « kidima » par ses frères, c'est-à-dire de sous-homme, homme à l'esprit insuffisant pour compter comme « muntu ». Le « muntu » normal possède sa philosophie, il reconnaît des forces dans les êtres, il sait l'accroissement de l'être et ses influences ontologiques, il tient compte des lois générales de l'induction. Cette ontologie, tant qu'elle reste une science universelle, vraiment philosophique, est le bien commun de toute la communauté bantoue. » P.TEMPELS. LA PHILOSOPHIE BANTOUE.1945
L'unification de la personne est ainsi à concevoir en « itinéraires » ou chemins, en « tensions »ou en « nœuds ».L'histoire est donc celle d'un équilibre ou plutôt une perpétuelle équilibration et rééquilibration des éléments constituants et des forces à l'œuvre. Si, comme on l'a dit le destin est cosmique et déjà inscrit dans les signes, l'effectuation de celui reste pourtant l'œuvre personnelle de chacun. A l'instar de ce que montre le tragique grec : l'oracle ne prescrit rien, il signifie et c'est à chacun, guidé par le devin, de l'interpréter correctement : la méconnaissance étant paradoxalement un des moyens de réaliser ce destin.
On peut noter que cette histoire se cristallisait autour du nom de chacun, élément fondamental de la personne et chargé de puissance, au lieu d'une simple étiquette ».
Chaque nom rattache celui qui le porte à des représentants défunts du lignage tandis que la possession d'un patronyme secret préserve l'individu et assure la spécificité du moi. Les principales étapes de la personne marquées par des « rites de passage » (apparition des dents, puberté, mariage, ménopause et sénescence) sont spécifiées par le port d'un vocable nouveau. changer de nom consacre la disparition de l'ancienne personnalité, celle du « vieil homme », au profit de l'être nouveau régénéré par le rite initiatique : (il arrive même que la mutation nominale provoque des traumatismes graves au sein de l'équilibre psychique (lors du baptême chrétien par exemple).
C'est pourquoi la cérémonie d'imposition du nom peut avoir une grande importance dans la mesure où elle situe l'individu avec précision. D'où l'habitude de donner à l'individu plusieurs noms décelant la pluralité de ses origines (nom de l'ancêtre réincarné; nom du clan féminin, du clan masculin; nom exprimant sa propre essence) et rappelant les temps forts de son existence (initiations diverses). Il est fréquent que la dation de nom s'effectue après l'apparition des premières dents; avant cette date l'enfant n'est qu'un être cosmique, un bébé-eau comme disent les Bantou, non un être social. Ainsi chez les Fon, l'enfant reçoit un nom qui rappelle son signe (le fa ou destin) : c'est le nom d'enfance nécessairement imposé ; il porte à son insu la marque que ce nom lui imprime. Au moment même où l'enfant est encore ' inconscient ', cette cérémonie du nom le fait vraiment exister » (nommer c'est faire exister...), Désormais l'enfant a un sens, il commence d'exister pour son milieu social, malgré son inconscience. Lorsqu'il commencera sa propre histoire il prendra alors un autre nom qui va le personnaliser ;celui qu'il va cacher car il est ce qui révèlerait son être profond ; quiconque le possèderait aurait pouvoir sur lui..
Les conduites de chacun quotidiennes ou rituelles, et qui concernent son environnement (village, place du marché, rivière, forêt, forces) ou les autres (les ancêtres, puis les géniteurs, les oncles et les tantes, les frères et sœurs, les membres du clan) peuvent diminuer ou renforcer l'être, donc la force de vivre. D'où le rôle imparti à certaines cérémonies qui permettent à l'individu de réussir sa vie. Il est certaines situations, « nœuds de forces » où la personne conquiert un surcroît d'être, telle l'initiation ou l'apport d'un nouveau nom, paradoxalement aussi, la possession par un génie, ou enfin la mise au monde de nombreux enfants .
« Qu'il s'agisse des croyances et des symboles (domaine de l'imaginaire). des structures sociales, des attitudes (métaphysiques, religieuses, techniques), nous sommes toujours en présence de systèmes socio-culturels soucieux de l'homme, être privilégié par excellence, centre et but à la fois de la création. Une société prévenante qui : 1 ° intègre l'individu et veille sur lui lors des moments critiques de son existence (rites de passage); 2° prend en charge sa maladie et singulièrement ses troubles psychiques; 3° multiplie les voies de salut sous forme de conduites apaisantes ou d'institutions équilibrante — rapport tension/détente — 4° définit un univers comme ensemble de messages et de symboles motivés qu'il appartient à quiconque de traduire selon son degré d'ouverture sur le savoir profond; 5° fait de la personne un être en participation tant avec les êtres de son lignage, mieux de son phylum, qu'avec les forces telluriques; 6° conçoit des rapports possibles entre les vivants et les ancêtres, entre les hommes et les dieux; 7° imagine des mythes justifiant ce qui est et ordonnant ce qui doit être; 8° utilise une pensée dichotomique mais pourtant résolument unifiante (symboles, dialectique de complémentarité) et désireuse de ne rien perdre de la richesse du tout qu'il soit matériel ou spirituel — pour autant que ces termes aient: ici un sens —; 9° parvient astucieusement à maîtriser le temps, voire à le mettre entre parenthèse... telle: sont les principales caractéristiques de la culture négro-africaine. Nul groupement humain n'a peut-être jamais fait autant pour assurer le parfait équilibre et le plein épanouissement de ses membres que la collectivité noirs traditionnelle. Il est vrai qu'il s'agissait pour elle de vaincre une nature parfois difficile et avec des moyens rudimentaires quant à leur efficacité technique, au même titre qu'il fallait lutter contre les hommes, singulièrement les étrangers en quête d'esclaves ou désireux d'imposer, et non sans brutalité, leur loi ou leur religion. »L.V Thomas.Le Pluralisme Cohérent De La Personne En Afrique Traditionnelle. L'harmattan
La personne inscrit donc sa liberté dans et à travers les multiples déterminismes et leur failles. Lorsqu'un Nuer prend le nom d'une vache, c'est en référence au « Troupeau primordial « de ses mythes qui donne sens à son existence de pasteur mais en même temps il choisit telle ou telle animal particulier et donc des traits de caractère qu'il accomplira ; de la même façon l'ancêtre réincarné « suggère » «certaines conduites dont il est le modèle.
La personnalité ne s'accomplit pas en se séparant la nature ou des autres comme nous sommes prompts à le penser: l'harmonie interne ne se dissocie pas de l'harmonie sociale ni celle-ci de l'harmonie cosmique. il y a d'abord un ordre du monde où l'homme trouve d'emblée sa place, où l'homme trouve son autonomie
L'homme africain traditionnel doit ainsi être compris comme être-situé-dans-le-monde.Sa personne se trouve dans une certaine mesure conditionnée par l'accord de chaque individu avec les membres du lignage, du clan, du village avec les ancêtres (surtout celui qui est partiellement ou totalement réincarné), avec des génies tutélaires du groupe, avec les forces telluriques et cosmiques. Chaque fois qu'un signe annoncera le désordre, donc l'anomie (maladie, sécheresse, épizootie, mort), il faudra consulter le devin, se confesser publiquement, offrir un sacrifice, s'initier à un Génie ou se laisser ' monter ' par lui (adorcisme) : alors la pyramide des êtres retrouvera son équilibre, chaque force-puissance reprendra sa place, la société connaîtra à nouveau la paix, l'individu éprouvera sa plénitude d'être.
L'éthique de la personne n'est donc pas autre chose que l'accroissement de sa force de vie qui n'est pas indépendante de l'accroissement de la force de tous ;d'où la fonction des rites et des sages ,nganga,devins, voyants etc.. De même qu'il y a dans l'univers des zones privilégiées de concentration des forces (lieux sacrés, résidences des Génies, autels claniques), de même il existe des personnes qui concentrent en elles des puissances supérieures, qui par là même ne sont pas seulement sacrées, mais sacralisantes comme unités dynamisantes de cohésion ou d'ordre
A l'encontre de ce qu'on pourrait penser, cette situation n'engendre ni fatalisme ni pessimisme, mais peut constituer une véritable » sagesse », un usage de sa liberté, comme recherche constante de l'accord des diverses forces de l'univers.
Cette sagesse qui est la véritable philosophie de l'Animisme, l'écrivain camerounais Gaston –Paul EFFA va la recevoir de son initiatrice pygmée Tala , expérience qu'il nous communique dans « Dieu Est Perdu Dans L'herbe » :
« Dans « animisme », il y a âme. L'âme est le principe qui anime une chose. Vous la trouvez dans les végétaux, chez les animaux et chez les humains. Dès qu'un être respire, s'alimente, se reproduit, il est doté d'une âme. Le citronnier, la petite fourmi, l'humain ont tous une âme. Apprends donc que nous n'avons pas le monopole de l'âme, mais ton âme n'a qu'une vertu, celle de te rapprocher des autres âmes pour te confondre avec elles et les reconnaître. Le haut est dans le bas et le bas est dans le haut. Les animaux, les plantes, les insectes, tous les éléments portent l'influence des astres; certains comme le lion sont solaires, d'autres lunaires comme le buffle, d'autres stellaires comme le cerf ou certains poissons ou plantes. Le dehors et le dedans se croisent et se rejoignent sous le règne de l'âme. Si tu écoutes ton âme, tu comprends qu'il n'y a pas d'horizon clos car le monde est nu comme un cri.
Tout parle. L'eau, le feu, la poussière, le vent, le bois, l'oiseau. Même le plus petit insecte, invisiblequand tu marches, parle. Alors, avant de t'empresser de parler, apprends à écouter. Chaque être parle une langue différente, mais tous les êtres disent quelque chose. Respecte chaque parole comme une corde sur laquelle tu avances et dont tu ne peux te dire si elle est tendue très haut ou très bas au ras du sol.
Tout parle. Écoute.
Pour écouter, il faut se pencher. Nous ne prenons plus le temps de regarder les choses de près. La corne de la vache que tu jettes à présent après en avoir exploité la chair, le poil du cochon que tu brûles, les ongles que tu coupes sans y prendre garde, le fumier qui condense tous les restes que tu abandonnes, tout cela a une mémoire, celle du jour, de la nuit, des saisons, raison pour laquelle il ne faut pas se couper les ongles n'importe quand ni n'importe où, si tu ne veux pas perturber l'équilibre de ton être et ta santé.
Penche-toi, penche-toi encore, celui qui meurt a perdu son harmonie, n'est-ce pas ? Il a perdu ce qui accordait son corps et son âme. Apprends à aimer ces fleurs qui poussent seules, semées par une main invisible. Le pollen qui s'élève, les fleurs en bouquets, l'écume portent le dieu diffus, évaporé, comme des bulles éclatées, laissant derrière lui autre chose que tu ne comprends pas. Alors seulement, cette femme qui va fermer les yeux ne mourra pas. Son corps se décomposera ici, dans le fouillis des racines et des lianes. Ton corps n'est pas à toi, de même que le corps de cette femme n'est pas à elle, même si parfois tu t'en rapproches, mêlant ton souffle avec le sien. Mais, un jour, tu finis par le quitter pour t'en retourner à tes écorchures. Tu seras, comme elle, réduit à cette feuille ou cette porte entrouverte sur le petit jardin.
« Dieu est perdu dans l'herbe….
… « Il est dans la Terre en orbite autour du Soleil, dans les vallées, les usines et leurs routes, dans les champs de maïs et les déserts, dans les visages que tu croises, il est dans les feuilles qui tombent en octobre, dans les soleils qui montent et les lunes qui se couchent, dans les gens qui passent et ceux qui s'arrêtent, dans les beaux temps et les intempéries, dans les cortèges d'insectes immobiles, dans les chants d'oiseaux inaudibles, dans la mer qui gonfle, dans l'enfant qui joue. Tout cela tu l'oublies, bien sûr, puisque de la Terre il est à jamais impossible de tout dire. Alors, fais attention à tout, reste vigilant au plus petit détail… »
PHOTOS /HANS SILVESTER "LES HABITS DE LA NATURE". VOIR L'ARTICLE/ http://agoras.typepad.fr/regard_eloigne/omo/
Lisons Rousseau : « Quand on veut étudier les hommes, il faut regarder près de soi; mais pour étudier l'homme, il faut apprendre à porter son regard au loin; il faut d'abord observer les différences pour découvrir les propriétés» (Essai sur l'origine des langues,).
D'où une double problématique de l'identité en liaison avec l'altérité : comment l'Autre (ici des cultures différentes et des sociétés traditionnelles) peut-il révéler l'inconscient de ma propre culture et donc mon identité .Comment à l'intérieur d'une culture (ici les cultures africaines ) ,la prise en compte des racines et de la tradition permet-elle de comprendre les problèmes de la modernité.
On peut d'abord formuler les questions que pose tout devenir humain à partir de trois dimensions clefs ; on les retrouve évidemment dans toutes les cultures africaines.— L'Unité .Comment l'individu se reconnaît-il comme sujet unique à travers la pluralité des éléments constitutifs d'origine diverse et la multiplicité des états psychologiques — L'identité .Comment l'individu se reconnaît-il comme sujet permanent à travers les métamorphoses que subit son moi au cours de sa formation (la personne africaine « commence » bien avant la naissance el ne « s'achève » pas avec la mort) et de son histoire — La mise en situation : l'individu ne se définit qu'à travers diverses médiations, les ancêtres Le nom , l'entourage (famille, rapport aîné/cadet, place dans la caste ou dans la classe d'âge, rôle et statut) dans les cultures africaines..
« L'homme en soi est une fiction, il est toujours situé dans un cadre culturel historique. La personne individuelle ne peut être conçue isolément I Comme Lévy-Bruhl l'a si bien montré, à propos des «primitifs», mais avec une portée qui s'avère générale : « la personne est un lieu de' participation ».
La personne — considérée comme une unité biologique humaine enculturée (ou humanisée), un système de relations intra et interindividuelles — est un nœud dynamique et dialectique du bio-psychologique et du social, de l'intérieur et de l'extérieur, du particulier et du général, du permanent et du changeant, de l'un et du multiple. Elle présente une analogie frappante avec le « nous » (ou les « nous » dont elle procède et auxquels elle participe), en tant qu' « immanence réciproque », « qu'on pourrait aussi définir comme une participation mutuelle de l'unité à la pluralité et de la pluralité à l'unité ».
La personne est un phénomène bio-social total où fusionnent des données anatomo-physiologiques, psychologiques et sociologiques. Chacun de ces niveaux présente simultanément des caractéristiques dont le degré de généralité varie entre l'universalité et la particularité.
La constellation typique des éléments interdépendants constituant la personne, peut prendre des formes différentes suivant le cadre socioculturel. Celui-ci sélectionne, valorise, stimule certaines potentialités de l'homme, inhibe et dévalorise d'autres, suivant sa structure. Les composantes des modèles de la personne sont multiples et variables, différemment « dosées » par les sociétés. Ces modèles « théoriques » ou « réels », explicites ou implicites, assurent le développement « typique » (la personnification) des individus d'une société, en réglant leur participation à la vie et aux valeurs de celle-ci.
La personne n'est pas l'apanage d'une seule culture, et aucun de ses modèles particuliers ne peut être élevé à la « dignité » métaphysique. Elle n'est pas une substance immuable, mais la forme variable sous laquelle se manifestent les acteurs humains de chaque société. Elle implique l'interaction entre les hommes concrets et un milieu social.
Comme le note très justement Jean-Pierre Vernant en ce qui concerne le domaine des hellénistes : « II n'y a pas, il ne peut pas y avoir de personne modèle extérieure au cours de l'histoire humaine... L'enquête n'a donc pas à établir si la personne en Grèce est ou n'est pas, mais à rechercher ce qu'est la personne grecque ancienne, en quoi elle diffère, dans la multiplicité de ses traits, de la personne d'aujourd'hui ».Lagos Saghy.Quelques Aspects De La Notion De Personne.
Porter son regard au loin, s'il s'agit de notre propre moi, c'est découvrir qu'au-delà du sentiment plus ou moins conscient et illusoire de nous-même, la personne occidentale loin d'être universelle comme on le croit, est elle aussi le résultat d'une histoire et d'une tradition particulière.
Celle-ci a des origines latines, en rupture avec l'idée grecque d'un être faisant corps avec sa cité et rien sans elle. Persona latin est le masque de l'acteur d'où résonne la voix intime, s'extériorisant ainsi. Ce rôle de l'acteur définira l'homme romain d'abord comme seule personne juridique jouissant de droits , puis avec le Stoïcisme comme personne morale responsable. Le Christianisme y ajoutera la définition d'un être à part de la « création » et de nature rationnelle. Il ne sera pleinement une personne, que s'il actualise sa nature, s'il s'élève au-dessus de l'animal, autrement dit si la raison et la liberté s'épanouissent en lui.
Surtout, la réforme protestante et le cartésianisme mettront l'accent sur la conscience de soi, le moi , mais au prix d'une rupture épistémologique et ontologique : le dualisme d'une âme et d'un corps. Un corps conçu sur le modèle de l'automate et soumis aux appartenances et contraintes extérieures (ce qui permettra une approche scientifique et médicale), à l'opposé de la conscience capable de se ressaisir elle-même et de gagner son autonomie par rupture avec l'extérieur. Par rapport à ses appartenances le moi se conquiers ainsi en se séparant, voire en s'opposant pour devenir « maitre et possesseur de la nature » par les sciences et techniques et maitre de soi par le travail du devenir conscient.
Cette idée d'une personne existant en soi, qui doit pouvoir en même temps se rendre libre de tout héritage et s'affranchir de l'environnement, a pesé d'un poids décisif dans les aventures coloniales. Comme M. AUGE l'a montré, on la retrouve dans les politiques de développement et dans les tentatives des missionnaires. visant à couper l'individu du cercle de ses « appartenances », à le détacher des différents héritages qui étaient censés le constituer, pour faire apparaître à la place la notion d'une personne unitaire et isolée, libre de sa force de travail et devant chercher en elle-même « la cause du mal qui l'accable ». D'où sans doute les diverses problématiques de l'acculturation et des pertes d'identité à l'ère de la modernité.
Tout autre, en effet apparaissait l'être des sociétés traditionnelles, africaines, amérindiennes ou océaniennes : véritable « nœud de participations ». Cet être restait soumis au régime des appartenances et trouvait son identité autant en dehors qu'au dedans de lui-même, dans son totem, dans son lignage, dans la nature et dans le social (au point qu'on l'assimilera à l'enfant de nos sociétés qui serait sous le même régime ; d'où une des justifications idéologiques de la colonisation) . Par l'un ou l'autre des éléments de sa personne, par son corps également, l'individu était d'emblée et toujours, situé en un ou plusieurs points d'une chaîne d'ancêtres, ainsi qu'en plusieurs lieux du cosmos ou de son entourage naturel et social.
Il se définissait d'abord par sa position, fils cadet ou fils aîné, fille à marier, mari, père, mère ou chef. Quand on lui demandait ce qu'il était, il se situait dans un lignage et marquait sa place dans un arbre généalogique. Ces statuts définissaient l'individu dans ses relations avec quelque chose qui lui était extérieur, l'ordre social dans lequel il s'insérait .Chaque statut étant lié à un rôle, le statut déterminait de plus certaines attitudes, certains comportements, modelait donc la conduite, et par-delà la conduite, l'affectivité ou la mentalité.
Si l'on prend l'exemple de la réincarnation (souvent présente, quoique pas partout à l'instar du totémisme), ce qui revivait du grand père dans son petit-fils, ce n'est pas forcément un sujet ancien mais un ancêtre proche, « un mort vivant ». Si on prenait son nom, cela ne voulait pas dire qu'on lui ressemblait mais qu'on réincarnait le statut du grand-père, par exemple qu'on héritait de certains de ses pouvoirs religieux (il arrivait ainsi que le Père montrait une attitude de respect envers son fils puisque ce fils réincarnait le Père du Père). L'enfant n'était pas à proprement parler l'ancêtre mais il naissait sous le rayonnement, sous la sauvegarde, sous le patronage d'un défunt, de sorte que l'on possédait dans l'au-delà une sorte de patron protecteur, de même que l'ancêtre trouvait un point d'insertion dans le monde des vivant et perpétuait ainsi sa force de vie.
D.SEWANE dans le « Souffle Du Mort »Terre Humaine, a ainsi souligné le rapport « affectif » qui lie un individu à l'ancêtre « réincarné »
« Quand quelqu'un meurt, son diyuani sort de lui pour former un vivant. C'est cela, le mort qui ressort dans un être humain... Le diyuani voyage et cherche. Il peut venir de loin. Même de très loin !... Il cherche une maison qu'il aime pour sortir vers un enfant. »
Le diyuani, me disait Yambuane, est pareil à un souffle d'air, distinct de \'uwè, le souffle animal. « Un arbre ne peut mourir... » Yambuane me montrait le baobab sorti de terre devant sa takyiènta, parce qu'il l'aimait. En ce baobab revivait le souffle d'un aïeul allié à un esprit souterrain. « Sur l'arbre le plus sec, il restera un bourgeon, et il reprendra vie... Pareil pour les humains. On les croira tous disparus. Mais il en restera un, quelque part, et la terre se repeuplera.» Dans la racine vieillie d'un arbre, Yambuane voyait, comme Gaston Bachelard, « le mort vivant, le mort alangui dormant d'un long sommeil » prêt à se réveiller ou se relever.
Un Otàmmari désigne le mort inconnu auquel il doit la vie sous un terme affectueux : «Celui sorti (de la tombe pour aller) vers moi. » Le mot diyuani, qui désigne le souffle d'un défunt, est-il formé à partir du verbe keyene : « sortir (vers) » ? Plus précisément keyenni : « sortir vers moi ? » Est-il juste de le traduire par : « Cela (du mort) qui est sorti vers moi ? » Personne ne me l'a confirmé….
Un Otàmmari appelle également son mort : «! Celui qui m'a détaché ou regardé. » Le premier sens du verbe est lié à la récolte du fonio. Une fois les épis rassemblés sur une aire de forme ovoïde, les petits garçons impubères les piétinent en chantant au clair de lune. Les grains giclent sous leurs pieds, qu'ils font « kabota : sauter » hors de leur gousse. De même, un mort détache de lui, ou fait « sauter » hors de lui, un enfant. Le deuxième sens du verbe correspond à une façon très particulière de regarder : « de bas en haut ». De la terre vers le ciel. Se relevant du fond de sa tombe, le mort, le front à ras de terre, lève les yeux vers son futur enfant. Plus communément, un Otàmmari désigne son mort sous un terme qui exprime toute l'intimité et la douceur de leur lien : « we n'du, celui qui m'aime ou m'a désiré ». Ici, le verbe « kedu » signifie « vouloir » dans le sens « vouloir donner forme à un enfant », « avoir le désir de le former ». « We n 'du est là » dit un Otàmmari en montrant son autel personnel, construit dans sa prime enfance. Ce qui veut dire : « Le souffle du mort qui m'aime réside dans cet autel ». Ou bien : « Voici n 'yuanni, voici mon souffle » : le souffle de mon mort. L'autel et le souffle ne font plus qu'un. « N'yuanni me regarde », dit-il encore. De l'autel, le souffle du mort le suit des yeux tout au long de sa vie. Il le regarde, vivre. Il veille sur lui.
Sans jouer sur les mots, on peut dire que la personne était d'abord « personnage » ce que symbolisait le masque.(mais il ne s'y réduisait pas comme on la souvent cru), une des problématiques étant justement de penser l'unité de la pluralité).
La personnalité africaine, sans se réduire au masque (persona) ou à la fonction qui lui était assignée dans l'ensemble groupal, présentait donc une dimension sociologique éminente. Celle-ci apparaissait singulièrement dans les rites de passage (dations de noms, initiations graduelles et graduantes, mariage, funérailles, rites post-mortem) et lors de cérémonies à fin thérapeutique où le groupe prenait le malade (le possédé surtout) en charge et s'efforçait de le réintégrer au sein de la collectivité : individu et société s'avéraient à la fois inséparables et inséparés. . La société se saisissait de l'individu dès sa naissance, le marquait de diverses manières et ne le lâchait plus, jusqu'à sa mort; bien au contraire, le salut de son être ne se trouvait nulle part ailleurs qu'au sein de cette même société qui lui assurait les funérailles et le culte et qui le divinisait parfois à son tour.
D'autres liens marquaient l'individu : lien avec le génie qui le possédait ou avec son jumeau, son double totémique, certains membres privilégiés, l'homme avec qui on avait conclu un pacte de sang ou le « parent à plaisanterie », voire le sorcier avec qui s'engageait un singulier rapport de forces. Il pouvait se faire encore que le Moi ait des rapports privilégiés avec le placenta ou le cordon ombilical qui furent les siens... .
A la pluralité des statuts et des rôles aux différents réseaux, s'ajoutait, quant à la personne une pluralité « intérieure » qui n'en était pas indépendante.
Ainsi chez les Yoruba distinguait-on, pour être, des composantes matérielles, des composantes immatérielles périssables, des composantes immatérielles impérissables. Le corps, partie intégrante de la personne était pensé comme fait d'argile et devenait poussière après la mort. Son ombre distincte du corps quoique l'accompagnant, périssait avec lui mais seulement après l'inhumation. Les composantes immatérielles mais qui périssaient étaient L'esprit, localisé derrière le front, qu'on perdait dans la folie et qu'on distinguait parfois de l'intelligence. Les composantes immatérielles et impérissables se ramenaient à trois. Le Cœur, siège par excellence de la personne comme valeur; c'était l'instance la plus représentative de la personne dans sa totalité bien qu'il puisse quitter le moi durant le sommeil; jadis le nouveau roi devait consommer le cœur réduit en poudre de son prédécesseur afin de l'incorporer l'essence de son être. Puis leSouffle Vital, qui abandonnait le corps dès que s'arrêtait la respiration : sa destinée était de rejoindre l'Etre primordial à qui il appartenait . Enfin), Olori (seigneur de la tête) ou partie impérissable qui se réincarnait dans le nouveau-né à l'appel de l'ancêtre.
Pour tout compliquer ,s'il y avait pluralité d'éléments, certains venaient d'ailleurs, soit épisodiquement (possession), soit durablement (types de réincarnation, participation totémique); que d'autres pouvaient exister hors du moi ,âmes ou fragments d'âme qui séjournent dans la mare, dans l'autel... ou chez l'autre par alliance cathartique; tandis que simultanément il en est qui, parfois, abandonnaient la personne au moment du sommeil, de l'émotion vive, ou s'il s'agissait de sorcellerie ,le principe vital, était attiré ,incité à quitter le moi puis dévoré .
G.Dieterlen restitue ainsi toute la complexité de la personne Dogon.
« La notion de personne est très élaborée chez les Dogon.
L'individu est constitué d'un corps (gozu),
De huit principes directeurs (kikinu) (quatre principes dits « de corps » que nous nommerons « âmes » faute d'un meilleur terme ; un couple d'âmes jumelles de sexe opposé (kindu kindu say), « les âmes intelligentes » ; et leur reflet, « les âmes rampantes » kindu kindu bumone) ; enfin quatre « âmes de sexe » classées comme les précédentes) ;
Signifiant « âme, souffle ou essence », le terme kikinu employé communément est une contraction de l'expression kindu kindu désignant le principe directeur de la personne, que certains informateurs rattachent à kinu, le nez, le souffle. Kindu kindu, cette répétition n'est pas fortuite. Elle exprime l'existence dans l'être humain de différents couples « d'âmes », une « âme » mâle et une « âme » femelle.
L'adjectif say, que l'on rencontre souvent à propos de « âmes » a le sens de « savant », « intelligent ». Il qualifie « l'âme » en tant que siège de la connaissance et de la conscience de soi.
Des « graines de clavicules », symbole des nourritures de base situé dans les clavicules comparées à deux greniers et contenant chacune quatre graines ;
D'une force vitale composite (nyama) conçue comme une énergie, un fluide qui circule conjointement avec le sang dans les veines et les organes internes. « « Le nyama est une énergie en instance, impersonnelle, inconsciente, répartie dans tous les animaux, végétaux, dans les êtres surnaturels, dans les choses de la nature, et qui tend à faire persévérer dans son être le support auquel elle est affectée temporairement (être mortel) ou éternellement (être immortel). » Marcel GRIAULE, in « Masques Dogon »,
Le nyama d'un individu n'est pas une masse confuse et indifférenciée. Il est une somme de parcelles diverses dont l'ensemble contribue à former la personnalité.
En premier lieu, l'individu est doté d'un nyama en quelque sorte « de base » qui lui est octroyé par le Nommo, géniteur mythique de l'humanité, détenteur de la vie, du verbe et des âmes. L'individu reçoit une part de nyama provenant de son père, et une part provenant de sa mère.
L'individu est théoriquement constitué d'une somme de quatre-vingt parcelles qui lient l'individu à ses ascendants directs et indirects.Plus tard, si l'enfant assiste aux fêtes du Sigui, sa personnalité s'accroît d'une part du nyama du Grand Masque, c'est-à-dire de l'ancêtre mythique, qui, le premier, subit la mort. Au cours des sacrifices auxquels il participe, sa personnalité s'enrichit encore de parts octroyées par chacune des puissances à qui il rend un culte dieu Amma, Nommo, Lébé, ». G.Dieterlen.Les Dogon. Notion De Personne Et Mythe De La Création. L'harmattan
. L'enfant était marqué dès sa naissance — ou avant sa naissance — par quelque parole ou quelque signe originaire qui devaient orienter sa destinée, d'où le rôle essentiel de la géomancie, de la consultation des devins : dois-je partir en voyage ; que va être l'enfant qui va naitre ? Quelque chose de l'individu qui lui préexistait choisissait son futur destin terrestre et c'est en invoquant ce choix que le devin pouvait expliquer les succès répétés des uns, les échecs en série des autres dans des domaines aussi divers que l'acquisition des richesses, la recherche du pouvoir ou le désir de procréer.
La lecture des signes, renvoyait à un système d'actions et de réactions réciproques avec le monde environnant (la maladie, la mort, l'enfantement) et le monde social (l'alliance ou la guerre, l'inimitié ou la prospérité), mais par-delà au cosmos et au mythe originel.
Le système recevait son sens de l'Autre, la parole mythique et l'intervention des « puissances »,Génies, Orisha ,Vodun (quand ce n'est pas celle du sorcier) etc. Dans cette tradition de pensée, l'histoire de l'homme répétait l'histoire des « dieux », cette dernière constituant la matrice idéale des événements possibles qui pouvait définir une existence concrète. Ces « principes spirituels » étaient d'ailleurs conçus comme des signes inscrits dans le placenta.
Le développement de l'individu dépendait de la nature du signe inscrit dans la substance qui le rattachait à sa mère comme le développement de l'espèce humaine dépendait des signes inscrits dans le placenta primordial dont résultait toute la création.
Pour prendre un exemple chez les Bambara :les signes forment une arithmologie complexe. Les figures et les nombres mettent en rapport la création, la structure de l'homme et celle du monde. Aux 266 catégories entre lesquelles s'ordonnent les différents éléments de l'univers, répondent les 266 jours du cycle de la gestation humaine et les 266 éléments dont se compose le caractère de l'homme (son tere).Il y aussi a d'intimes correspondances entre la structure anatomique du corps humain et certains cycles astronomiques : aux 33 pièces osseuses de la colonne vertébrale (« le centre de gravité de l'homme ») correspondraient les 33 années lunaires au terme desquelles calendrier solaire et calendrier lunaire coïncident de nouveau.
On peut donc en conclure que, là où nous distinguons de l'autre pour être mieux nous-même, certains éléments, constituants de son être, faisaient sortir l'individu des sociétés traditionnelles de lui-même, pour le faire participer à des réalités autres ,le faisant à la fois, Soi et Autre : un réseau qui le reliait au temps des Ancêtres, aux Totems et aux « puissances « mythiques
.Par exemple dans la mesure où il réincarnait un Ancêtre, il y avait en lui une portion du lignage. Dans la mesure où il était t lié à un totem, il avait , à côté de son âme intérieure, une « âme extérieure », ( Frazer). Dans la mesure où il était possédé par un Génie, il devenait à la fois lui et l'autre. Dans la mesure où il était Jumeau, dont le frère était le jumeau de la brousse, il supprimait la distance qui le séparait de l'espace sacré, du monde mystérieux qui palpitait auprès de lui.
Le moi, aussi paradoxal que cela nous paraisse ne pouvait donc se concevoir que dans la continuité temporelle du lignage (présentification de l'ancêtre) et la diversité spatiale (localisation des âmes, relations privilégiées avec certains lieux, certains objets, certains génies, certains vivants) et jamais en dehors de ses dimensions cosmiques et sociales.
« Dans notre étude des premiers pas dans la vie de l'enfant d'Afrique noire, il faut d'abord nous demander d'où il vient aux yeux de ceux qui l'accueillent, puis où il va, enfin comment se réalise le passage, quelles étapes il est obligé de parcourir. Là où l'homme moderne, de plus en plus, se contente d'observer des phénomènes visibles, l'homme traditionnel n'a de repos tant qu'il n'a pas dénoué les significations qui, à ses yeux, se situent du côté invisible des choses. Le sensible et le perceptible n'épuisent jamais la réalité, ils ne sont qu'apparence et signe, alors qu'essence et signification se situent à un niveau plus profond, plus fondamental, plus caché. Le destin de tout être se joue dans son double invisible, dans le mystère même de sa constitution intime.
Dans la plupart des civilisations traditionnelles, on percevait et on perçoit encore comme une vérité d'évidence que pour venir en ce monde-ci l'individualité humaine doit émerger d'un autre monde où elle préexistait sous des formes différentes. Dieu intervient certes pour donner l'impulsion nécessaire au démarrage d'une nouvelle vie. Mais celle-ci s'exprimera au travers d'une individualité qui n'est pas créée ex nihilo au moment de la conception ou durant la gestation. Elle préexiste et attend dans l'au-delà le moment de s'incarner. Elle séjourne dans la familiarité des puissances numineuses, dieux, esprits, génies, ancêtres, forces cosmiques hypostasiées. Le plus souvent, elle est elle-même un de ces êtres spirituels qui désire faire l'expérience de la vie humaine ou revivre parmi les siens qu'il a quittés autrefois.
« C'est dans un contexte idéologique et émotionnel de proximité entre la terre et le ciel qu'il faut replacer la venue de l'enfant telle que la conçoit la pensée africaine. Les liens ne sont pas coupés entre les vivants, les morts et les dieux. Au contraire, les êtres de l'autre monde sont tout proches, on perçoit leur présence et la communication s'établit facilement avec eux. On parle aux Invisibles comme on parle aux hommes. Les défunts continuent à hanter les lieux qu'ils ont quittés et où se meuvent leurs descendants ; ils se mêlent à leur foule sous forme de danseurs masqués et apparaissent dans leurs rêves. Les dieux aussi descendent du ciel pour posséder leurs fidèles, les monter, les « chevaucher », parler à travers leurs bouches. Pour entretenir ce dialogue avec l'invisible des langages se créent, faits de signes et de présages, des hommes même se spécialisent dans cette fonction sous forme de prêtres, de devins et de médiums. Ciel et terre ne cessent de se toucher et d'interférer. L'enfant qui vient au monde est un des traits d'union qui les relient, un parmi d'autres. » Pierre Erny.Les Premiers Pas De L'enfant En Afrique Noire .L'harmattan.
Les carnavals masqués , continuent à rendre hommage aux mythes anciens un peu partout . Habillé sous forme de chèvre, de diable, d’ours ou de monstre avec mâchoire en acier, « l’homme sauvage » appartient au monde de ces mythes.
Le photographe Français Charles Freger découvre le Krampus ) à Salzburg lors d’une mascarade. - créature démoniaque, née dans des pays comme l’Autriche, la Bulgarie ou la Slovénie. Fasciné par la rencontre, il se mit à la recherche des divers figures du mythe dans une chasse photographique à travers, ce qu’il appelle « l’Europe tribale ».
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