« Les lieux circonscrits, définis, cour, jardin, agraires, stables, n'existent que fondés. Il faut creuser pour établir ladite fondation. Creuser sous la muraille qui les ferme ou la borne qui les marque. Au-dessus de la sape se lèvent le socle ou le mur ou même la moisson. Dans le trou gît le secret. Pasteur errant derrière ses ouailles, Gygès, dit-on, descendit dans l'abîme ouvert par le séisme et, sur l'étrange mystère qu'il y découvrit, fonda son royaume, sa fortune et sa puissance. Ci-gît, invisible, l'énigme, l'arcane. Pas de lieu sans repère ni borne. La pluie ou les voleurs effacent ou changent les signes que celle-ci montre, seule la chose porte-enseigne reste stable. Depuis longtemps, les philosophes ne s'intéressent qu'aux marques volantes et méprisent la chose qui les supporte. Pas de douceur cependant sans la dureté qui la soutient, pas de geste sans corps sémaphore ni de mot sans objet. Nous venons des choses avant de naître de la parole, issus de la pierre inerte et tumulaire, stèle ou cippe qui arrête le passant devant l'obstacle tombal. »…
… « On n'a construit ni Paris ni Rome sans catacombes : de là sortent pendant des siècles les pierres meulières des parements, corniches, socles et statues, là descendent aux enfers les morts eux-mêmes, les premiers chrétiens à Rome et le peuple à Paris. Devenus pierres, ils reposent dans les creux d'où l'on a extrait les pierres des murs au-dessus d'eux. Et les vivants temporaires dorment dans les creux que font les murs de pierres tirés de là.
Paris s'enracine dans le multiple en foule opposé à l'individu royal et mélangé à lui, os dans la vallée noire et statues sous la lumière éblouissante jes vitraux, ossements des élus revenus dans la fosse des autres, Paris s'appuie et se bâtit sur la fondation des squelettes devenus pierres au lieu des pierres qui ont construit la ville, la population et les rois prenant le relais de la roche. Venez visiter la vraie ville, circuler le long des rues, sur des places, par de véritables boulevards, où les murs, montés visiblement au fil à plomb et au niveau à eau, équarris, se composent de têtes, omoplates et bassins, péronés ou clavicules, et pensez le rapport entre la nécropole du bas, stable, stock, et la métropole du haut, décor temporaire. De quelle matière sont faits ces murs qui sortent de terre, appuyés sur la force de telles fondations profondes ? Chair, os calcaire ou pierre » .Michel Serres Statues. Flammarion.
En 1952 l'architecte anglais Michael Ventris, déchiffra ce qu'on appelle le Linéaire B, des tablettes où figurait un système syllabique mycénien, une forme archaïque du grec ancien. Il en tira une thèse étymologique qui ruinerait le thème de la double hache Les mots "da-pu-ri-to-jo", "po-ti-ni-ja" et "da-da-re-jo" se retrouvaient sur les tablettes du linéaire B et les deux premiers termes semblaient même associés. On pouvait lire "labyrinthe", "Potnia" (la divinité chtonienne évoquée plus haut.) et "Daidallion". La question de savoir si le labyrinthe était habité par la Potnia (et non le Minotaure) reste pourtant sans réponse. S'opposeraient cependant le lieu de culte souterrain au palais de surface bien construit. La géographie et l'archéologie montrent qu'effectivement il existe en Crète, près de Gortyne, une caverne au parcours labyrinthique et que dans plusieurs grottes de Crète il y eut des cultes féminins. Dédale ne devient architecte que tardivement dans le mythe, à la période hellénistique.
" Pour certains chercheurs, le labyrinthe est une grotte. Ils citent Gortyne. Sa position centrale la désigne nettement. Son plan anciennement dressé révèle tout un dédale de passages. Les vieilles cartes semblent la désigner comme le « Labyrinthe ». Malheureusement, aucune fouille ne peut y être pratiquée. Elle est murée, gardant jalousement le secret de ses entrailles. Nul ne sait si Dédale s'est inspiré de ce prototype.
Il en existe d'autres, dont l'esprit a été sauvegardé jusqu'au temps de Minos : les tombes à tholos. Plusieurs d'entre elles ont été fouillées dans le sud de l'île et les plus anciennes datent de 4 000 ans avant notre ère. Les archéologues ne s'accordent pas sur l'origine de ce type de construction que l'on trouve, à la même époque, en Syrie et sur les côtes de l'Atlantique. Indubitablement, il s'agit d'édifices à vocation initiatique et funéraire. Correspondent-ils à la materia prima fécondée ? Ils sont constitués par une cour rectangulaire - ou un dromos dans le cas des tombes royales mycéniennes -, où se déroule la partie exotérique du culte et d'une partie circulaire recouverte par une fausse coupole, où ont lieu les rites secrets. Paradoxalement, la problématique de l'univers souterrain et celle de l'ouverture successive des centres énergétiques de l'être humain sont respectées. Le schéma graphique du labyrinthe s'inspire directement de ces deux modèles. Pourtant, cela ne nous éclaire pas sur la réalisation de Dédale. À trop chercher le labyrinthe de Minos, on finit par s'égarer.
La grotte, comme fondement, a une autre répercussion. Elle évoque les mineurs cherchant le précieux minerai, les boyaux souterrains, le travail des métaux, la besogne de la taupe dans un univers ténébreux, la lente progression dans des galeries sans fin, la mort différée dans un enfer abominable. Il y a l'or, au bout, pour certains…………….
Le mineur suit la veine de la roche et la proie, au fond du labyrinthe, l'unique sentier. Multiples sont les graphismes de labyrinthe, mais les plus archaïques s'inspirent d'un schéma simple, où une seule voie conduit au centre. Il n'y a pas d'alternative, mais exclusivement un cheminement aussi tortueux que le déroulement d'une vie.
Rappelons que les premiers labyrinthes gravés dans la roche apparaissent avec l'âge du bronze. Nul ne sait si le mythe est antérieur, puisque les premières versions écrites datent de l'époque historique. En revanche, les gravures nous apprennent la genèse du tracé, ou plus exactement la double opportunité : la spirale ou les cercles concentriques. Quant à l'aspect initiatique ou tantrique, il existe depuis la Préhistoire.
Dès le Paléolithique, les cercles concentriques et la spirale sont présents et le cercle pointé a probablement l'antériorité. Il fait partie des plus anciennes gravures connues. À l'époque postglaciaire, il n'a pas autant de succès, bien qu'il soit latent dans tout enclos sacré. C'est en Grande Bretagne que le projet reçoit un plein développement. Différentes variations graphiques sur le cercle pointé aboutissent ici au labyrinthe. L'origine se situe dans les cupules, naturelles ou délibérément agrandies. À l'époque paléolithique, elles évoquent la féminité et la fécondité. Dans les cercles mégalithiques écossais, elles ont un rapport certain avec l'eau et le culte lunaire, puisqu'elles constellent verticalement les monolithes. Mais sur les rochers, elles occupent le plus souvent une position horizontale, ce qui leur permet de recevoir une eau de pluie, que l'on cherche à solariser. À partir de ce point de départ, les hommes ont tracé des cercles concentriques. Ceux-ci génèrent, à leur tour, deux formes différentes : la roue et la triple enceinte. Myriam Philibert.Le Labyrinthe Un Fil D'ariane.Eds Du Rocher.
Certains archéologues ont fait un lien entre les les cultes rupestres de Crète et l'hypogée de Hal Salfieni à Malte ; celui-ci serait un « labyrinthe », dans l'acception de lieu de culte chthonien et d'oracle. le labyrinthe — au lieu d'être unique en son genre et situé en Crète, comme le disent les mythographes et les auteurs anciens serait alors dans une acception plus large, un type de lieu de culte, situé à l'intérieur de grottes naturelles, opportunément élargies et agrandies et où se déroulaient les rites de divinités chtoniennes.
Découvert en 1902, et d'une surface s'environ 80 mètres carrés, l'hypogée de Hal Salfieni se caractérise par son vaste domaine souterrain d'une profondeur d'environ 11 mètres , seul exemple connu d'une structure souterraine de l'âge du bronze. Creusé dans un calcaire tendre, il consiste en une série de chambres elliptiques et d'alvéoles de dimensions variées qui donnent accès aux différents couloirs.
Les murs mégalithiques sont construits en appareil cyclopéen, fait de grands blocs irréguliers de calcaire corallien taillés avec des outils rudimentaires en silex ou en obsidienne, et montés à sec. Les salles principales se caractérisent par leur voûte en dôme et par leurs fausses baies élaborées, inspirées par les portes et les fenêtres des maisons réelles. L'hypogée, a été utilisé comme ossuaire dès la préhistoire, comme en témoignent les restes de plus de 7 000 individus trouvés lors de fouilles.
La structure de l'hypogée retient surtout l'attention. :
« L'hypogée se compose essentiellement de trois étages de grottes qui s'échelonnent en profondeur à partir de la surface jusqu'à plus de dix mètres à l'intérieur de la roche, avec une série de salles, de cavernes, de niches et anfractuosités à chaque étage, situées à divers niveaux et communiquant entre elles, produisant ainsi un inextricable enchevêtrement de parcours qui se croisent, embrouillant le visiteur non expérimenté. Mais il y a là une particularité très singulière : le passage d'un étage à l'autre est unique, si bien que dans ce monument complexe il n'y a qu'un seul parcours possible à partir de la zone d'entrée jusqu'à la dernière petite salle de l'étage inférieur, et ce parcours se déroule suivant une double spirale, d'abord tournant à gauche puis à droite. Mais cette seconde partie, qui relie l'étage du milieu à l'étage inférieur, est le fruit d'une modification qui fut apportée déjà dans les temps anciens... lorsque l'on inséra un petit escalier dans l'ouverture de passage... Dans une phase plus ancienne... on devait descendre par une échelle de fortune... dans la salle du dessous... L'échelle mobile devait constituer une dernière difficulté, une ultime accentuation du caractère de repli sacral, propre aux salles les plus secrètes... Dans les diverses grottes on remarque, de loin en loin, de longs bancs creusés à vif dans les murs. Dans une vaste caverne de l'étage du milieu, le plafond fut décoré d'une peinture à spirales rouges qui se répètent... Dans l'hypogée on trouva quelques pierres globulaires ou coniques d'un évident caractère sacré, des petits objets divers, tels que des haches sacrées, des coquillages, etc., une énorme quantité de fragments de céramique, quelques sculptures — la fameuse " dormeuse " et une deuxième figurine semblable à celle-là, d'autres statuettes de femmes, des figurines d'animaux — et de nombreux ossements humains, ces derniers jetés en désordre. »
Près de l'hypogée on a trouvé les restes d'un « temple mégalithique » et, à l'intérieur, des sculptures représentant des silhouettes de femmes nues ou vêtues, et, une fois, la Déesse-Mère, la « Potnia ». La « dormeuse », déjà citée, est une figurine aux hanches très développées, vêtue d'une jupe ample et d'une casaque ouverte sur le devant, se terminant par un col en pointe. (La ressemblance de cet habillement avec le costume de Crète n'est-elle qu'une coïncidence?) Ugolini, qui le premier tira cette statue de l'ombre, y voit l'effigie d'une prêtresse en état d' « incubation » avant d'émettre l'oracle. Le rite de l'incubation, du sommeil sacré, est caractéristique de l'oracle et rappelle les « transes » dans lesquelles tombaient la Sibylle et la Pythie de Delphes. Tout cela semble indiquer qu'il devait certainement exister un oracle à Haï Saflieni ». . Paolo Santarcangeli. Le Livre Des Labyrinthes
L'archéologie suscite plus de questions que de réponses. Existe-t-il un lien entre les différents labyrinthes mentionnés par les historiens, le monument hypogée de Malte, le labyrinthe de Crète (qu'il ait été à Cnossos ou à Gortyne, caverne ou construction ou synthèse de l'une et de l'autre) et d'autres sanctuaires chthoniens situés dans des grottes, disséminés à travers l'aire égéenne ou même au-delà? A quelle époque du Mégalithique remontent les débuts de ces cultes et jusqu'à quelle époque se sont-ils conservés, au travers de l'évolution continuelle des croyances? A quel moment a-t-on établi la relation mentale entre l'enchevêtrement de la caverne et le dessin géométrique d'un « labyrinthe »? Quelles divinités souterraines et terrestres — serpent ou taureau? — y étaient adorées?
Pour l'époque minoenne, on ne trouve aucun document écrit, et dans le palais de Cnossos, on n'a trouvé ni construction, ni caverne de type labyrinthique, ni même un dessin sur les sarcophages ou sur les innombrables vases, à l'exception d'un motif mural à méandres. On sait par contre que l'on y vénérait une déesse chtonienne, que le taureau avait une part importante dans la vie cultuelle; enfin le mot « labyrinthe » s'il était utilisé par les Cretois, mais n'était probablement pas un dérivé de « la hache sacrale ».
Il est tentant ici de délaisser les questions complexes de l'archéologie et de « rêver » un instant sur le rapport du palais, de l'édifice de surface et de la grotte souterraine. Nous y invitent les structures anthropologiques de l'imaginaire. Ainsi Bachelard méditant sur la cave ou Gilbert Durand sur les méandres de la grotte. :
« A la cave, même pour un être plus courageux que l'homme évoqué par Jung, la « rationalisation » est moins rapide et moins claire ; elle n'est jamais définitive. Au grenier, l'expérience du jour peut toujours effacer les peurs de la nuit. A la cave les ténèbres demeurent jour et nuit. Même avec le bougeoir à la main, l'homme à la cave voit danser les ombres sur la noire muraille…. Le phénoménologue acceptera ici l'image du psychanalyste en une sympathie du tremblement. Il ravivera la primitivité et la spécificité des peurs. Dans notre civilisation qui met la même lumière partout, qui met l'électricité à la cave, on ne va plus à la cave un bougeoir à la main. L'inconscient ne se civilise pas. Il prend le bougeoir pour descendre au caveau…). Le rêveur de cave sait que les murs de la cave sont des murs enterrés, des murs à une seule paroi, des murs qui ont toute la terre derrière eux. Et le drame s'en accroît, et la peur s'exagère. Mais qu'est-ce qu'une peur qui s'arrête d'exagérer ?
Dans une telle sympathie de tremblement, le phénoménologue tend l'oreille, comme l'écrit le poète Thoby Marcelin « au ras de la folie ». La cave est alors de la folie enterrée, des drames murés. Les récits de caves criminelles laissent dans la mémoire des traces ineffaçables, des traces qu'on n'aime pas à accentuer ; qui voudrait relire la Barrique d'Amontillado ? Le drame est ici trop facile, mais il exploite des craintes naturelles, des craintes qui sont dans la double nature de l'homme et de la maison.
Mais sans ouvrir un dossier de drames humains, nous allons étudier quelques ultra-caves qui nous prouvent très simplement que le rêve de cave augmente invinciblement la réalité.
Si la maison du rêveur est située dans la ville, il n'est pas rare que le rêve est de dominer, par la profondeur, les caves environnantes. Sa demeure veut les souterrains des châteaux-forts de la légende où de mystérieux chemins faisaient communiquer par-dessous toute enceinte, tout rempart, tout fossé, le centre du château avec la forêt lointaine. Le château planté sur la colline avait des racines fasciculées de souterrains. Quelle puissance pour une simple maison d'être bâtie sur une touffe de souterrains ! Dans les romans d'Henri Bosco, grand rêveur de maisons, on rencontre de telles ultra-caves. Sous la maison de L'antiquaire (p. 60) se trouve « une rotonde voûtée où s'ouvrent quatre portes ». Par les quatre portes s'en vont des couloirs qui dominent en quelque sorte les quatre points cardinaux d'un horizon souterrain. La porte de l'est s'ouvre et alors « souterrainement nous allons très loin, sous les maisons de ce quartier... ». Les pages portent la trace de rêves labyrinthiques. Mais aux labyrinthes des couloirs à « l'air lourd » s'associent des rotondes et des chapelles, les sanctuaires du secret. Ainsi la cave de L'antiquaire est, si l'on ose dire, oniriquement complexe. Le lecteur doit l'explorer avec des songes qui touchent, les uns à la souffrance des couloirs, les autres à l'étonnement des palais souterrains. Le lecteur peut s'y perdre (au propre et au figuré).»…G.Bachelard .La Poétique De L'espace
« Un des premiers jalons de ce trajet sémantique est constitué par l'ensemble caverne-maison, habitat autant que contenant, abri autant que grenier, étroitement lié au sépulcre maternel, soit que le sépulcre se réduise à une caverne comme chez les anciens juifs ou à Cro-Magnon, soit qu'il se bâtisse à la façon d'une demeure, d'une nécropole, comme en Egypte et au Mexique. Certes, la conscience doit d'abord faire un effort pour exorciser et invertir les ténèbres, le bruit et les maléfices qui semblent être les attributs premiers de la caverne. Et toute image de la caverne est lestée d'une certaine ambivalence. En toute « grotte d'émerveillement » subsiste un peu de la « caverne d'effroi ».
Il faut la volonté romantique d'inversion pour arriver à considérer la grotte comme un refuge, comme le symbole du paradis initial. Cette volonté d'inversion du sens usuel de la grotte serait due à des influences ontogénétiques et philogénétiques à la fois : le traumatisme de la naissance pousserait spontanément à fuir le monde du risque redoutable et hostile pour se réfugier dans le substitut caverneux du ventre maternel. Si bien qu'un artiste intuitif6 peut sentir naturellement une corrélation entre la caverne « obscure et humide » et le monde « intra-utérin ». Entre la grotte et la maison il existerait la même différence de degré qu'entre la mère marine et la mère tellurique : la grotte serait plus cosmique et plus complètement symbolique que la maison. La grotte est considérée par le folklore comme matrice universelle et s'apparente aux grands symboles de la maturation et de l'intimité tels que l'œuf, la chrysalide et la tombe x. L'église chrétienne, à l'exemple des cultes initiatiques d'Attis et de Mithra a su admirablement assimiler la puissance symbolique de la grotte, de la crypte et de la voûte. Le temple chrétien est à la fois sépulcre-catacombe ou simple reliquaire tombal, tabernacle où reposent les saintes espèces, mais aussi matrice, giron où se réenfante Dieu. De nombreuses églises, comme de nombreux temples des cultes à mystères de l'antiquité païenne, sont érigées près ou sur des cavernes ou des crevasses : Saint-Clément à Rome comme Lourdes reprennent la tradition de Delphes, Hiéropolis et Kos . La caverne est donc la cavité géographique parfaite, la cavité archétype, « monde fermé où travaille la matière même des crépuscules », c'est-à-dire lieu magique où les ténèbres peuvent se revaloriser en nuit.
Il n'y a qu'une faible nuance entre la grotte et la demeure intime, cette dernière n'étant le plus souvent qu'une caverne transposée. C'est en effet par la cave, le creux fondamental, que physiquement s'implante toute demeure, même celle qui matériellement n'a pas de fondations. »Gilbert Durand.Les Structures Anthropologiques De L'imaginaire.Dunod
Pour finir il faut dire que bien d'autres étymologies ou réalités matérielles ont été proposées à l'origine du labyrinthe.
« L'idée de la spirale vint sans doute aux hommes de l'observation des coquillages, du tourbillon des vents, trombes et typhons, de * écoulement des eaux : elle est naturellement Maritime.
L'idée du labyrinthe découla sans doute de l'exploration des cavernes et des gouffres, de la contemplation des fleuves, de leurs méandres et de leur réseau d'affluents, de la traversée des forêts Elle est naturellement terrestre.
La spirale est lisse, régulière, ordonnée, d'inspiration céleste. Le labyrinthe est anguleux, tortueux, désordonné, sur le modèle humain... L'idée n'est sans doute pas non plus étrangère au premier chemin parcouru par l'homme, au terme duquel il devient une personne : celui qui le fait sortir du ventre maternel. La femme est le premier labyrinthe de l'homme…. »
« La simultanéité de l'apparition de ces figures aux quatre coins de la planète, dix mille ans avant notre ère, est proprement stupéfiante. On en trouve en effet sur tous les continents, minuscules représentations gravées sur une paroi, dessins sur une tombe, chemins tracés au sol, enchevêtrements de corridors, savants sentiers de pierres. » Jacques Attali. Chemins De Sagesse.
Il est possible de traduire le grec « laburinthos » par filet comme aussi par coquillage. Des mailles, des nœuds, une trame, une chaîne la nasse du pêcheur d'osier ou de joncs dont l'ouverture est le piège pour les proies potentielles. Est-ce l'image de l'entrée de la grotte, du gouffre, de l'antre menaçante du labyrinthe. Comment peut-on s'y laisser prendre ? N'est-ce ainsi que l'on capturait les oiseaux sauvages, au temps de Thésée et du Minos. Le filet prend une résonance tragique dans le labyrinthe du palais d'Agamemnon ainsi que le représente la tragédie d'Eschyle. Le jour de son retour de Troie, le roi est pris dans la nasse du filet que Clytemnestre et son amant jette sur lui pour le tuer. D'où le cri de la voyante Cassandre restée à l'extérieur
A.ha ! vois, vois ! gare à la vache !
Le taureau à cornes noires,
Elle l'a pris dans le piège d'un voile,
Elle frappe, il tombe dans la baignoire pleine ;
Le coup de la cuve,
Le piège de mort, te dis-je.
« Enclos » pourrait servir également de synonyme à labyrinthe, de même que piste de danse, si l'on lit attentivement Homère. Il décrit le bouclier d'Achille - image du monde - tout en évoquant le mythe d'Ariane mais d'une façon inhabituelle.
« Héphaïstos y fit encore un pacage , dans un beau vallon, un grand pacage de brebis blanches et des étables, des baraques couvertes, des parcs. l'illustre boiteux, y figura, un chœur varié, semblable à celui qu'autrefois, dans la vaste Cnossos »» Dédale exécuta pour Ariane aux belles boucles. Là, des jeunes gens, des jeunes filles valant beaucoup de bœufs dansaient en se tenant de la main le poignet. Elles portaient des robes de toile fine ; eux étaient vêtus de tuniques bien cousues, brillant du doux éclat de l'huile; elles portaient de belles couronnes, eux, des poignards d'or suspendus à des baudriers d'argent. Tantôt ils couraient en tournant, de leurs pieds exercés, avec beaucoup d'aisance, comme quand, une roue commode en mains, le potier, assis, essaie si elle tourne bien; tantôt, au contraire, ils couraient en lignes les uns vers les autres. Une foule entourait ce chœur charmant, avec grand plaisir. Parmi les danseurs chantait un aède divin, qui jouait de la cithare; et deux bateleurs, dont son chant guidait le rythme, tournaient au milieu ». HOMERE, L'ILIADE CHANT XVIII.
De la nasse, de la piste de danse, on passerait au serpent et ses ondulations, serpent lové, spirale, nœud coulant Il est vrai que l'une des nouvelles significations de laburinthos est « objet recourbé ». Bachelard, dans la Terre Et Les Rêveries Du Repos, dit du serpent « sujet animal du verbe enlacer » qu'il est un véritable nœud de vipères anthropologique. . Le serpent est le triple symbole de la transformation temporelle, de la fécondité, et enfin de la pérennité ancestrale.
Le symbolisme de la transformation temporelle est lui, même surdéterminé dans le reptile. Ce dernier est à la fois animal qui mue, qui change de peau tout en restant lui-même et se rattache par-là aux différents symboles du bestiaire lunaire, Il est pour la conscience mythique le grand symbole du cycle temporel, l'ouroboros.
Le serpent est un animal qui disparaît avec facilité dans les fentes du sol, qui descend aux enfers, et par la mue se régénère lui-même. Bachelard relie cette faculté de régénérescence de l'« animal métamorphose », cette faculté si frappante de « faire peau neuve », au schème de l'ouroboros, du serpent lové se mangeant indéfiniment lui-même : « Le serpent qui se mord la queue écrit-il dans les Rêveries Du Repos , n'est pas un simple anneau de chair, c'est la dialectique matérielle de la vie et de la mort, la mort qui sort de la vie et la vie qui sort de la mort mais comme une inversion sans fin de la matière de mort ou de la matière de vie. » Le serpent « complément vivant du labyrinthe » dit encore Bachelard est la bête chtonienne et funéraire par excellence. Ouroboros, vivant sous terre, est le redoutable gardien du mystère ultime du temps : maître de l'avenir comme détenteur du passé, il est l'animal magicien.
Il faudrait ici faire intervenir Aby Warburg et ses notions de « survivances » (nachleben) et d'images chargées d'énergie (pathosformeln).Un présent ou dans certaines images symboliques s'agitent et surgissent intensément des survivances sédimentées. Ce qui expliquerait la permanence des formes symboliques. De telles images nous fascinent (la Méduse n'est pas loin), parce que constituant des « attracteurs visuels »,selon l'expression de Didi-Huberman(comme il existe en physique des attracteurs étranges mettant en forme le chaos).S'y entrelacent l'exubérance de la vie et celle de la mort, la pantomime burlesque et le geste tragique,la dépense orgiaque et les conventions rituelles. Il faudrait citer, comme exemple, son image de la Nymphe
qui intègre justement le serpent et la danse, dans la fameuse ligne serpentine, sorte de spirale qui traverse l'histoire de l'art et qui, figurant dans les bas reliefs antiques de la danse des Ménades, se retrouve dans les figures de la Renaissance. Pour Warburg les cultures n'ont pas rompu avec le vieux fond archaïque ; elles l'ont simplement intégré et civilisé, dans un compromis toujours fragile (ce qu'il montre, on y reviendra, dans la danse du serpent des indiens Hopis).Ainsi Minos le faiseur de lois et Dédale, l'architecte arpenteur, enfermeront l'être mi-humain, mi-animal dans le labyrinthe. Le but de l'art serait justement d'exprimer en l'épurant le vieux fond »démoniaque. : tentative d'instaurer l'ordre face au chaos, chorégraphie du désir, « stylisation de l'énergie » selon l'auteur qui écrit :
« L'enthousiasme rituel engendra la danse orgiastique. Celle-ci n'est pas le fait exclusif des fervents de Dionysos. Le culte de Rhéa, les mystères de l'Orphisme évoquent une orchestique étrangement violente qui transformait les adeptes en hallucinés frénétiques. Il est possible que le culte apollinique lui-même ait fait une place aux danses orgiastiques : l'enthousiasme, d'après Strabon, touche de près à la divination. Qu'on se souvienne des contorsions de la Pythie : elles ne sont pas sans analogies avec les poses extatiques et les mouvements outrés d'un grand nombre de danseurs figurés sur les vases ou sur les reliefs. [...] Sans doute la Ménade qui tient un pied humain et qui exécute, tête renversée, une danse orgiastique, est une représentation purement symbolique : elle rappelle la légende de Dionysos Zagreus déchiré par les Titans. Mais l'homophagie, réduite à la lacération des animaux, a été pratiquée dans les cérémonies nocturnes en l'honneur de Zagreus. Les initiés se partageaient la chair crue d'un taureau, et, dans leur enthousiasme, ils imitaient Dionysos, qu'Euripide dépeint immolant le bouc et savourant sa chair palpitante. La Ménade de Scopas déchirant un chevreau et toutes les répliques postérieures peuvent donner une idée de ces danses dans lesquelles la violence des mouvements paraît exclure toute eurythmie. »
« Le processus de dé-démonisation du vieux fonds héréditaire d'engrammes phobiques intègre dans sa langue gestuelle tout l'éventail des émotions humaines, depuis la prostration méditative jusqu'au cannibalisme sanguinaire, conférant même aux manifestations les plus ordinaires de la motricité humaine - la lutte, la marche, la course, la danse, la préhension - cette marge inquiétante que l'homme cultivé de la Renaissance, élevé sous la férule de l'Église médiévale, considérait comme une région interdite (verboten), où seuls peuvent évoluer les esprits impies livrés sans retenue à leur élan naturel. [...] C'est avec une singulière ambivalence que la Renaissance italienne essaya de s'assimiler ce fonds héréditaire d'engrammes phobiques (phobische Engramme). Celui-ci constituait d'une part, pour ces esprits portés vers le monde par un élan nouveau, un aiguillon bienvenu qui, à l'homme luttant contre le destin pour sa liberté personnelle, donnait le courage de communiquer l'indicible (
Mais cet encouragement lui arrivait par le biais d'une fonction mnémonique, c'est-à-dire déjà épuré, à travers des formes prédéterminées par la création artistique ; de ce fait, la restitution du fonds ancien restait un acte qui assignait au génie artistique son lieu spirituel, entre l'aliénation pulsionnelle (- c'est-à-dire entre Dionysos et Apollon. C'est là qu'il pouvait donner à son langage formel le plus intime une empreinte déterminée ». WARBURG.OEUVRES.
À quelques kilomètres de Phaistos (Crète), des archéologues italiens découvrirent sur le site d'Haghia Triada au cours de campagnes de fouilles menées entre 1902 et 1914, les ruines d'une villa seigneuriale dont l'état primitif correspond à la deuxième période palatiale et qui fut détruite vers ~ 1400 en même temps que les autres palais crétois. On y découvrit un sarcophage près du site. C'est un cercueil de calcaire recouvert de plâtre, un plâtre que l'on retrouve habituellement sur les fresques murales minoennes[]. Chacun de ses côtés est peint de scènes religieuses, toutes différentes.. Toute laisse à penser que les scènes représentent des actes naturels et surnaturels associés aux croyances religieuses minoennes et aux funérailles.
« Une autre scène du même sarcophage d'Haghia Triada indique clairement que l'initiation est conférée par les déesses, mais on ne peut savoir s'il s'agit de l'ultime passage dans la mort - ou d'une cérémonie de noces. De nombreux serviteurs portent des offrandes, déjeunes chevreaux ou des veaux, des barques. L'adolescent, très jeune, est tourné vers la gauche, donc la mort. Il porte une couronne de laurier. Devant lui, des marches, des mâts avec la double hache et l'arbre de vie, symboles de l'initiation royale.
« Une telle célébration attendait-elle Thésée ou plutôt Minos, le roi taureau ? Des festivités prolongeaient le rite. C'est là que l'on situe volontiers les courses de taureaux et pourquoi pas des danses. Et Homère le poète vient nous inspirer. Il décrit un bouclier - image du monde -, où Dédale, l'habile artisan, a placé un chœur ou une piste de danse pour qu'Ariane la blonde puisse venir tournoyer.(voir ci-dessus) Homère : l'âge du fer, la Grèce héroïque. Et s'il s'était souvenu des temps révolus de l'âge du bronze ! Près du palais de Minos, à Cnossos, n'y a-t-il pas un théâtre, une piste de danse ou un labyrinthe, que nul n'a exploré ? Aucun archéologue digne de ce nom ne se résignerait à suivre la piste... d'une piste de danse. »
.Myriam Philibert.Le Labyrinthe Un Fil D'ariane.Eds Du Rocher.
Mais à ce stade on est déjà dans les mythes dont il faut désormais écouter les paroles.
(A SUIVRE)
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